Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle
—FAIRE FAUX BOND A L’HONNEUR:
—FAIRE FORCE A (un substantif), forcer, contraindre:
—FAIRE GALANTERIE DE (un infinitif). Voyez GALANTERIE.
—FAIRE LA COMÉDIE:
Ne voulez-vous point, un de ces jours, venir voir avec elle le ballet et la comédie que l’on fait chez le roi?
—FAIRE LES HONNEURS DE QUELQUE CHOSE:
—FAIRE MÉTIER ET MARCHANDISE DE:
—SE FAIRE LES DOUCEURS D’UNE INNOCENTE VIE:
—FAIRE PARAITRE (SE), se montrer:
La douceur de sa voix a voulu se faire paroître dans un air tout charmant qu’elle a daigné chanter.
—FAIRE POUR QUELQU’UN, agir pour lui, le protéger:
(Voyez FAIRE CONTRE QUELQU’UN.)
—FAIRE SCRUPULE, causer du scrupule:
Ce nom (de gentilhomme) ne fait aucun scrupule à prendre.
—FAIRE SEMBLANT QUE....:
Profitons de la leçon si nous pouvons, sans faire semblant qu’on parle à nous.
—FAIRE SON POUVOIR, faire son possible:
C’était l’expression du temps:
—FAIRE UNE BOURLE (bourle, de l’italien burla, moquerie):
.... Une certaine mascarade que je prétends faire entrer dans une bourle que je veux faire à notre ridicule.
(Voyez BOURLE.)
—FAIRE UNE VENGEANCE DE QUELQU’UN; en tirer vengeance:
Et je prétends faire de lui une vengeance exemplaire.
FAIT A (un infinitif), habitué à....:
FAIT, substantif; C’EST UN ÉTRANGE FAIT QUE....:
—LE FAIT DE QUELQU’UN; tout ce qui le concerne, sa conduite, sa fortune, etc....:
Bienheureux qui a tout son fait bien placé!
Dans La Fontaine:
—DIRE SON FAIT A QUELQU’UN:
Il me donna un soufflet, mais je lui dis bien son fait!
FALLANT, participe présent de falloir:
Comme il lui fallait un pique. Le participe abrège singulièrement, et mériterait pour cela seul d’être en usage.
FALLOT, plaisant, grotesque; TRAIT FALLOT:
«Falot se prend aussi pour un muguet, compagnon de village:—Un gentil falot.»
Au sens propre, le substantif falot est très-ancien dans notre langue, où il est venu de la basse latinité. Dans les actes de Minutius Félix (ap. Baron. ad ann. 303), on trouve déjà cereofalum, un falot de cire; et dans une charte de l’évêché d’Amiens, en 1240, falæ signifie les torches employées aux enterrements.
Falæ était traduit failles en français:
De faille ou fale, le diminutif falot.
Falot se trouve dans Albert Mussato, de Padoue, qui écrivait, au commencement du XIVe siècle, la chronique des gestes d’Henri VI: «Soudain ils voient briller, au sommet de la Gorgone, une sorte de signal par le feu, qu’ils appellent falot: quod ipsi falo nuncupabant.»—Sur quoi Nicolas Villani fait une note pour expliquer ce que c’est qu’un falot, et il dérive ce mot du grec φαλὸς, dérivé lui-même du verbe φάλω, briller.
Il est à remarquer que ceux dont il est question, et que désigne le mot ipsi, ce sont les Padouans. Falot, ou plutôt falo, était donc, vers 1300, un terme italien. On le retrouve en effet dans la chronique de Modène: «Et ex hoc facti fuerunt magni falo mutinæ.»
Fallodia, fallogia, dans les chroniques italiennes du moyen âge, sont des illuminations.
J’ai insisté sur l’origine de ce mot, parce qu’il a causé beaucoup de tortures aux érudits; on peut voir dans Trévoux les peines qu’ils se sont données pour tirer falot du saxon bal, ou du chaldéen lappid, changé en peled, qui se serait à son tour transformé en falot.
Le passage du sens propre au sens métaphorique ne peut arrêter personne. Il est tout naturel de comparer un homme gai, facétieux, folâtre, à une flamme qui joue sous le vent. Les Latins disaient, par une figure pareille, igniculi ingenii (Quintilien).
(Voyez Du Cange aux mots Falo, Phalæ, Fallodia.)
FAMEUX, au sens de considérable, important:
Cet emploi de fameux, qui paraît avoir été du style noble du temps de Molière, est aujourd’hui une des formes triviales du langage du peuple.
Royale constance, fameuse expérience, laissent trop voir la précipitation de l’écrivain.
FANFAN, terme de tendresse et de mignardise:
C’est la dernière syllabe du mot enfant, redoublée, à l’imitation des enfants eux-mêmes.
FANFARONNERIE:
La fanfaronnade est l’expression de la fanfaronnerie.
FATRAS au pluriel:
FAUT, de faillir:
De même de défaillir, défaut:
«Que si la frayeur nous saisit de sorte que le sang se glace si fort que tout le corps tombe en défaillance, l’âme défaut en même temps.»
Dans l’édition in-12, imprimée en 1846 chez MM. Didot, l’éditeur a mis: «l’âme semble s’affaiblir.» De pareilles corrections sont de véritables sacriléges. Comment n’a-t-on pas vu l’intention de ce rapprochement entre les mots défaillance et défaillir? comment, à cette expression énergique l’âme défaut, a-t-on osé substituer cette misérable et lâche expression, semble s’affaiblir? comment enfin se trouve-t-il des mains qui osent toucher à Bossuet, et mutiler sa pensée?
FAUTE, absence, manque; IL VIENT FAUTE DE:
S’il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde.
FAUX, dans le sens de méchant, félon, déloyal:
FAUX BOND. Voyez FAIRE FAUX BOND.
FAUX MONNOYEURS EN DÉVOTION:
..... Toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux monnoyeurs en dévotion....
FAVEUR, ressource, protection:
On dit encore tous les jours à la faveur de: il a nié, à la faveur d’un faux-fuyant.
FAVEURS ÉTROITES. Voyez ÉTROIT.
FEINDRE A (un infinitif), hésiter à.....:
Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre.
—FEINDRE DE (un infinitif), même sens:
Ainsi, monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l’offense que nous cherchons à venger..... etc.
Je ne feindrai pas de dire, de faire, c’est-à-dire, je dirai, je ferai réellement, sincèrement.
Nous ne feignons point de mettre tout en usage.
Je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connoître il y a six jours.
—FEINDRE, suivi d’un infinitif sans préposition, hésiter, comme feindre à, et feindre de:
La reine de Navarre construit pareillement feindre avec un infinitif, sans préposition intermédiaire:
«Le seigneur de Bonnivet, pour luy arracher son secret, feignit luy dire le sien.»
La vieille langue employait se faindre, pour exprimer s’épargner à quelque chose, ne faire que le semblant de.....
Nicot dit: «Se faindre, parcere labori, remittere, summittere. Sans se faindre, sedulo.—Se faindre, prævaricari. Tu te fains à jouer; non bona fide ludis.»
Montaigne emploie se feindre absolument, pour feindre, comme se jouer, pour jouer; se mourir, pour mourir:
«Pour revenir à sa clemence (de César), nous en avons plusieurs naïfs exemples au temps de sa domination, lorsque, toutes choses estant reduictes en sa main, il n’avoit plus à se feindre.»
FEMME DE BIEN, recevant comme un adjectif la marque du comparatif:
Croyez-moi, celles qui font tant de façons n’en sont pas estimées plus femmes de bien.
FERME, adverbialement:
(Voyez PREMIER QUE, FRANC, NET.)
FERMER, métaphoriquement; FERMER LES MOYENS DE:
C’est que vous voyez bien que tous les moyens vous en sont fermés.
Vous en sont interdits. (Voyez OUVRIR.)
FÉRU, blessé, de férir, archaïsme, dans le sens restreint de rendre amoureux:
FESTINER QUELQU’UN, lui offrir un festin:
C’est ainsi que vous festinez les dames en mon absence!
FEU, invariable:
Furetière qualifie ce terme substantif, et il lui donne, comme à un adjectif, un féminin: le feu roi, la feue reine. Il nous apprend même que les notaires de province usent du pluriel furent, en parlant de deux personnes conjointes et décédées, ce qui, ajoute-t-il, marque que ce mot vient de fuit et de fuerunt. C’est une raison pour maintenir feu invariable. Dans le temps que la notation eu sonnait u, l’on prononçait fu mon père, fu ma mère (fut mon père, fut ma mère); l’ignorance des origines a laissé s’introduire, à la suite d’une mauvaise orthographe, une mauvaise prononciation qui a prévalu; en sorte qu’aujourd’hui cette espèce de prétérit-adverbe est transformé en un véritable adjectif.
Nicot dérive feu de defunctus, et le qualifie adjectif; puis il ajoute: «Aussi le pourrait-on extraire de cette tierce personne fuit..... comme feut signifiant en ce sens a esté ou fut, c’est-à-dire, a vescu et n’est plus.»
C’est la bonne étymologie.
FEU QUI SE RÉSOUT EN ARDEUR DE COURROUX:
FIEFFÉ, FOU FIEFFÉ:
Peste du fou fieffé!
Fieffé est celui à qui l’on a donné un fief, ce qui suppose un homme en son genre excellant par-dessus ses confrères. Cette locution se rapporte aux mœurs du moyen âge. Aujourd’hui qu’il n’y a plus de fiefs, mais des brevets d’invention, on dirait, par une expression tout à fait correspondante: un fou breveté.
FIER, adjectif; ÊTRE FIER A QUELQU’UN:
FIÈVRE QUARTAINE (VOTRE)......., sorte de serment elliptique:
Si vous y manquez, vous consentez à être pris de la fièvre quartaine; jurez sur votre fièvre quartaine.
C’est aussi une espèce d’exclamation imprécatoire: Que la fièvre quartaine te serre! ta fièvre quartaine!
Dans l’explication entre le prêtre et le pelletier, joués par Pathelin:
FIGURE, dans le sens restreint de forme. Molière a dit, en ce sens, la figure du visage:
Offusque la forme des visages humains.
—TENIR LA FIGURE DE:
Cette acception de figure se rapporte à celle de FIGURER. (Voyez ce mot.)
FIGURER, se rapportant à tout l’extérieur, à la configuration, en quelque sorte:
.... Une vieille tante qui.... nous figure tous les hommes comme des diables qu’il faut fuir.
FILER DOUX:
Doux est adverbial, comme franc, ferme, net, clair, soudain, etc., dans des locutions analogues.
FILET, diminutif de fil:
Il semble, à vous entendre, que monsieur Purgon tienne dans ses mains le filet de vos jours, et que, d’autorité suprême, il vous l’allonge ou le raccourcisse comme il lui plaît.
Trévoux indique encore filet comme diminutif de fil, tenue filum; et Regnier décrivant le costume de son pédant:
FILLE A SECRET, capable de garder un secret:
FILLOLE, filleule, archaïsme:
Nicot dit: «filleul ou fillol.»
Vaugelas déclare que fillol pour filleul, c’est très-mal parler. Pourquoi, puisque la racine est filiolus? L’usage, dira-t-on? A la bonne heure, si l’on pose en principe que l’usage ne saurait avoir tort.
FIN. Voyez FAIRE LE FIN DE QUELQUE CHOSE (p. 176).
—FIN FOND:
Fin, dans l’ancienne langue, se joignait comme affixe à un substantif ou à un adjectif, pour lui donner la forme superlative.
On dit, en certains pays vignobles, que du vin est fin clair. Il nous reste encore, dans l’usage commun, fin fond, et fine fleur.
dit Guillemette à Pathelin. Et plus loin:
FLAIREUR DE CUISINE:
FLÉCHIR AU TEMPS:
Molière eût mis aussi bien céder au temps; mais fléchir au temps fait une image bien plus vive et poétique.
FOIN! exclamation:
Ce mot n’a que la forme de commun avec foin, fœnum.
On rencontre fréquemment, dans Plaute et dans Térence, l’exclamation phu! (en grec φεῦ), exprimant tantôt le dégoût, tantôt l’admiration: peste, oh oh, diantre! Ce phu est devenu en français foin, par le changement de l’u en oi, comme pungere, ungere, poindre, oindre. Il s’emploie sans complément ou avec un complément:
Foin ou fi sur le loup—phu de lupo.
FOND D’AME, substantif; UN FOND D’AME:
FONDANTE EN LARMES:
Une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu’on puisse jamais voir.
M. Auger veut qu’ici fondant soit un participe présent, et non un adjectif verbal, attendu le complément indirect en larmes. La raison ne paraît pas convaincante. On dit bien: cette jeune fille est charmante de grâces. Le complément ne fait donc rien à l’affaire; mais le féminin toute, qui précède fondante, y fait beaucoup, et détermine au second mot le caractère d’adjectif. Cette femme est toute riante de santé, ou bien toute fondante en larmes; il est clair qu’il s’agit d’un état, d’une manière d’être, et non pas d’une action.
(Voyez PARTICIPE PRÉSENT variable.)
FONDER SUR QUELQUE CHOSE, absolument:
L’espoir où je me fonde. (Voyez ARRÊTER.)
FORCE, adverbe; FORCE GENS:
Nicot: «Force, id est copia: il luy est allé force gens au devant.—Lieux où il y a force arbres.»
Cette locution est trop commune pour qu’il en faille rapporter des exemples. Je me contenterai d’observer que le mot force doit être porté sur la liste des substantifs que l’usage a transformés en adverbes dans certains cas donnés, comme pas, point, trop (qui est une ancienne forme de troupe), rien, mot ou motus.
FORCER, vaincre en luttant; FORCER UN MALHEUR:
L’emploi de forcer est ici le même que dans cette locution: forcer un lièvre.
FORFANTERIE D’UN ART, vanité d’un art qui se vante:
Sans découvrir encore au peuple,...... la forfanterie de notre art.
Les Italiens disent un furfante; mais, au rebours de ce qu’affirme Nicot, ce n’est pas d’eux que nous avons emprunté forfant ni forfanterie, car les racines de ces mots sont exclusivement françaises. Forfanterie est pour forvanterie. For, en composition, signifie tantôt hors, comme dans forligner, forclore, forbannir, forban, etc., tantôt mal, parce que le mal résulte de l’excès qui franchit les limites. Ainsi forfaire, forsenné, forconseiller, forjuger, formarier et formariage (mariage contre la loi et la coutume), formener (malmener), etc. Se forfanter, c’est se vanter au delà de la vérité, se vanter à faux; et c’est de nous que les Italiens l’ont emprunté.
FORGER UN AMUSEMENT:
FORLIGNER DE:
Jour de Dieu! je l’étranglerois de mes propres mains, s’il falloit qu’elle forlignât de l’honnêteté de sa mère!
Fors-ligner, c’est sortir hors de la ligne droite, se dévier, comme on parlait jadis.
(Voyez FORFANTERIE.)
FORMER DES SENTIMENTS, comme former des vœux:
FORT EN GUEULE:
—FORTE PASSION, passion dominante:
FORTUNE, au sens du latin fortuna, la destinée, dans ce vers d’Horace:
Le capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour moi.
Comme on trouve écrit dans le ciel jusqu’aux plus petites particularités de la fortune du moindre des hommes.
La fortune d’un homme, pour signifier sa richesse, l’ensemble de son avoir, est une acception toute moderne, qui ne se rencontre point dans Molière.
Un homme fortuné n’est point un homme riche, mais un homme favorisé du sort. On peut être le plus fortuné des mortels, et très-pauvre en même temps.
Avoir de la fortune, ne signifie donc réellement autre chose que avoir la chance heureuse, fortune se prenant pour bonne fortune, comme heur pour bon heur; succès pour heureux succès, etc.
Arnolphe demande à Horace:
C’est-à-dire, d’aventure galante.
«Tu portes César et sa fortune.» Il serait ridicule d’entendre: Tu portes César et ses trésors.
—PAR FORTUNE, par hasard:
La Fontaine dit de fortune:
FORTUNES, au pluriel, même sens:
Les Anglais ont retenu ce sens: the fortunes of Nigel, sont les aventures de Nigel.
Horace dit aussi, au pluriel:
Si le langage ne convient pas à la position du personnage, à sa fortune, ou à ses fortunes.
FOUDRE PUNISSEUR. Voyez PUNISSEUR.
FOURBER QUELQU’UN:
—Vous vous êtes accordés, Scapin, vous et mon fils, pour me fourber.
—Ma foi, monsieur, si Scapin vous fourbe, je m’en lave les mains.
FOURBISSIME:
La forme en issime fut naturellement la forme primitive de notre superlatif. La traduction des Rois, la chanson de Roland, saint Bernard, l’emploient constamment; d’ordinaire elle est contractée en isme: saintisme, grandisme, altisme, cherisme, etc., y sont pour saintissime, grandissime, etc. On disait même bonisme, et non optime, formé de bon, par analogie.
C’est donc à tort que le P. Bouhours (Entretiens d’Ariste et Eugène) prétend ces superlatifs contraires au génie de notre langue.
En 1607, Malherbe, dans ses lettres, se sert fréquemment de grandissime; et Perrot d’Ablancourt, dans sa traduction de César: «Il y avait un grandissime nombre de villes.» Mais on les en a repris l’un et l’autre. Par conséquent, c’est du commencement du XVIIe siècle qu’il faut dater dans notre langue la déchéance de l’ancienne forme latine, et l’emploi exclusif de très pour marquer le superlatif.
Les Latins, outre la forme en issimus, formaient aussi le superlatif par le mot ter, soit séparé, soit en composition. Ils avaient emprunté cela des Grecs, qui disaient τρισόλβιος, τρισευδαίμων, τρισκατάρατος, etc.
Plaute dit de même, trifur, triveneficus, tricerberus.
Et Virgile: «O ter quaterque beati!»
Très-docte, en français, est donc comme tridoctus, et nous avons eu, à l’instar des Latins, deux manières de former les superlatifs; seulement la forme grecque, chez les Latins la moins usitée, a fini par l’emporter chez nous, et par étouffer complétement la forme latine.
FOURNIR A, suffire à:
FRAIS; PRENDRE LE FRAIS, c’est-à-dire, choisir l’heure du frais, le soir ou le matin:
FRANC, adverbialement:
Tout franchement, comme tout net est pour tout nettement.
(Voyez PREMIER QUE, FERME, NET.)
FRÉQUENTER CHEZ QUELQU’UN:
Les Latins employaient frequentare sans apud, comme aujourd’hui nous faisons. Dans Cicéron: Qui domum meam frequentant, ceux qui fréquentent ma maison; et dans Phèdre: Aras frequentas, tu fréquentes les autels.
FRICASSER, métaphoriquement:
Observez que c’est Marinette qui parle.
FRIPERIE; NOTRE FRIPERIE, notre personne:
C’est un valet qui parle.
FROTTER SON NEZ AUPRÈS DE LA COLÈRE DE QUELQU’UN:
FUIR DE (un infinitif), comme éviter de....:
Il ne fuit rien tant tous les jours que d’exercer les merveilleux talents qu’il a eus du ciel pour la médecine.
C’est le fuge quærere d’Horace.
De, dans l’expression française, est la marque de l’ablatif employé dans ce vers de Virgile:
«Mon esprit recule d’horreur à ces images de deuil, et fuit de s’en souvenir.»
—«J’ay monstré, en la conduite de ma vie et de mes entreprinses, que j’ay plustost fuy qu’aultrement d’enjamber par dessus le degré de fortune auquel Dieu logea ma naissance.»
FULIGINES, terme technique:
Beaucoup de fuligines épaisses et crasses, etc.
FURIEUX, dans le sens d’extrême:
Voilà une furieuse imprudence, que de nous envoyer querir.
FUSEAUX; FAIRE BRUIRE SES FUSEAUX. Voyez BRUIRE.
FUTURS (DEUX), commandés l’un par l’autre:
Cette symétrie des temps, empruntée du latin, est aussi négligée au XIXe siècle qu’elle était soigneusement observée au XVIIe. On dirait aujourd’hui sans scrupule: Ce n’est pas là qu’il viendra.
Je reviendrai voir sur le soir en quel état elle sera.
Et non: en quel état elle est.
Lorsqu’on me trouvera morte, il n’y aura personne qui mette en doute que ce ne soit vous qui m’aurez tuée.
Et non: qui m’avez.
Cette symétrie des temps s’observait aussi pour le conditionnel.
(Voyez CONDITIONNELS.) (DEUX.)
—Futur suivi d’un présent de l’indicatif:
L’exigence du mètre, et la nécessité de rimer à philosophie, ont apparemment ici forcé la main à Molière, dont l’usage constant est de mettre les deux futurs, même en des cas où ils sont bien moins nécessaires.
GAGE QUE...., adverbialement, ou par une sorte d’ellipse pour je gage que:
GAGER QUELQU’UN POUR (un substantif), c’est-à-dire, en qualité de:
(Voyez POUR, en qualité de.)
GAGNER; GAGNER AU PIED, s’enfuir:
Ah! par ma foi, je m’en défie, et je m’en vais gagner au pied.
La Fontaine a dit, dans le même sens, gagner au haut:
Nicot et Trévoux ne donnent que gagner le haut.
(Voyez HAUT.)
—GAGNER DE (un infinitif), obtenir:
—GAGNER LE TAILLIS, fuir, s’évader:
—GAGNER LES RÉSOLUTIONS de quelqu’un, les surmonter:
Pied à pied vous gagnez mes résolutions.
GALANT, substantif, un nœud de rubans:
GALANT, adjectif, au sens d’élégant, distingué:
Il me montra toute l’affaire, exécutée d’une manière, à la vérité, beaucoup plus galante et plus spirituelle que je ne puis faire.
GALANTERIE, FAIRE GALANTERIE DE (un infinitif):
N’a-t-il pas (Molière), ceux...... qui, le dos tourné, font galanterie de se déchirer l’un l’autre?
Rien n’a remplacé cette excellente expression; il faut, pour en rendre le sens, recourir à une longue périphrase.
GALIMATIAS au pluriel:
Mon Dieu, prince, je ne donne point dans tous ces galimatias où donnent la plupart des femmes.
GARANT; ÊTRE GARANT DE QUELQUE CHOSE, en fournir la garantie, la preuve:
GARD’, en style familier, pour garde:
GARDE; SE DONNER DE GARDE DE.... Voyez à DONNER.
GARDER DE (un infinitif), se garder de, prendre garde de:
Mon Dieu, Éraste, gardons d’être surpris.
Gardez de vous tromper!
Molière emploie indifféremment, et selon le besoin de la circonstance, garder ou se garder de:
—GARDER QUE (sans ne):
Gardons bien que, par nulle autre voie, elle en apprenne jamais rien.
(Voyez DONNER DE GARDE (SE).)
GARDIEN, en trois syllabes:
Il est probable que plus tard Molière eût écrit: Suis-je donc le gardien.....
GATER QUELQU’UN DE, c’est-à-dire, à l’aide, par le moyen de....:
Cette tournure se rapporte à DE, exprimant la cause, la manière.
—GATER (SE) SUR L’EXEMPLE D’AUTRUI; par l’exemple, d’après l’exemple d’autrui:
GAUCHIR, aller à gauche; GAUCHIR DE QUELQUE CHOSE, s’en écarter:
GAULIS, terme technique, branche d’arbre:
«Les gaulis, dit Trévoux, sont, en terme de vénerie, des branches d’arbre qu’il faut que les veneurs plient ou détournent pour percer dans un bois.»
Gault, en vieux français, est une forêt:
«Gault paraît venir du bas latin caula, d’où s’est formé gaule, par l’adoucissement du c en g. Dans un compte de 1202: «pro perticis et caulis.... pro L caulis.» Pour des perches et des gaules..... pour 50 gaules.» (Du Cange, au mot CAULA.)
J’avoue que j’aimerais mieux dériver gault de saltus, et gaule de caula. Le nom propre Gault de Saint-Germain signifie Bois de Saint-Germain.
GAYETÉ, en trois syllabes:
GENDARMÉ CONTRE...:
GÊNER (gehenner) QUELQU’UN, le torturer, lui faire violence:
Racine a dit de même:
Ah, que vous torturez mon cœur!
Ce mot a perdu aujourd’hui toute l’énergie de son acception primitive; c’était même déjà un archaïsme dans Racine et dans Molière. On voit par cet exemple combien les mœurs influent sur le langage: à mesure que l’usage de la torture ou de la gene s’éloignait, la valeur du mot s’affaiblissait comme le souvenir de la chose. Il est gêné dans ses habits eût été, au XIIe siècle, une hyperbole violente; aujourd’hui, cela signifie simplement, il n’y est pas à son aise; c’est l’expression la plus douce qu’on puisse employer.
GÊNES, au pluriel, dans le sens du latin gehenna, torture:
GENS masculin:
La délicatesse est trop grande, de ne pouvoir souffrir que des gens triés.
—GENS avec un nom de nombre déterminé:
Il y a là vingt gens qui sont fort assurés de n’entrer point.
Et jamais il ne parut si sot que parmi une demi-douzaine de gens à qui elle avoit fait fête de lui.
A l’origine de la langue il a été souvent employé ainsi:
—GENS DE BIEN A OUTRANCE:
Toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance.
—GENS DE DIFFICULTÉS:
Ce sont (les avocats) gens de difficultés.
—GENS DE NOM:
Toute mon ambition est de rendre service aux gens de nom et de mérite.
GENTILLESSE, dans le sens de l’italien gentilezza, noblesse:
Ce sont des brutaux, ennemis de la gentillesse et du mérite des autres villes.
GLOIRE, considération personnelle, mérite:
Je mets ma gloire, je fais consister mon mérite principal à vous satisfaire.
GOBER LE MORCEAU, se laisser prendre, duper tranquillement:
Métaphore prise de la pêche à la ligne.
GOGUENARDERIE:
Oui, mais je l’enverrois promener avec ses goguenarderies.
GRACE; DONNER GRACE, pardonner:
GRAIS, Grec:
C’est l’ancienne et légitime prononciation, comme dans échecs, legs. Ce passage nous montre que, du temps de Molière, le peuple la retenait encore.
GRAND invariable en genre:
Dans l’origine de la langue, tout adjectif dérivé d’un adjectif latin en is, grandis, qualis, regalis, viridis, etc., ne changeait pas non plus en français pour le féminin.
Il nous reste encore de cet usage, grand messe, grand mère, grand route, etc., et, dans le langage du palais, lettres royaux.
C’est donc une véritable faute de mettre une apostrophe après grand, comme si l’e s’élidait.
(Voyez des Variations du langage français, p. 226.)
—GRAND LATIN, grand latiniste, comme on dit grand grec pour grand helléniste:
—GRAND SEIGNEUR (LE), pour l’aristocratie, la noblesse:
De même le marquis, pour la classe des marquis.
(Voyez MARQUIS.)
GRIMACIERS, hypocrites:
Ils donnent bonnement (les hommes sincèrement vertueux) dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions.
(Voyez FAÇONNIER.)
GROUILLER:
Comme grouiller est devenu, l’on ne sait pourquoi, un terme bas, les éditeurs de 1682 ont jugé qu’il était mal séant dans la bouche de Célimène, et ils ont fait à Molière l’aumône d’une correction que les comédiens se sont empressés d’adopter:
M. Auger observe qu’il fallait au moins mettre se meut ou remue, car c’est de cela qu’il s’agit, et non de s’émouvoir.
Ces corrections, faites au texte d’un écrivain comme Molière, sont autant d’impertinences.
Est-ce que madame Jourdain est décrépite? et la tête lui grouille-t-elle déjà?
Grouiller est une forme de crouller. La prononciation les confondait. Crouller, verbe actif ou verbe neutre, trembler, agiter, ébranler; en italien, crollare: crollare il capo, secouer la tête: «Les fundemens des munz sunt emeuz et crollez, kar nostre sire est curuciez.» (Rois, p. 205.) Les fondements des monts sont émus et ébranlés, concussa et conquassata.
Baucent grouille la tête, secoue la tête.
Il peut être intéressant, pour l’histoire de la langue, d’observer que nos pères avaient à la fois crouler et trembler, et qu’ils distinguaient fort bien l’un de l’autre. En voici un exemple, tiré du roman d’Alexandre; il s’agit des prodiges qui signalèrent la naissance de ce héros:
«Dieu demonstra par signe qu’il (Alexandre) se feroyt cremir[57], car l’on vit l’aer muer, le firmament croissir[58], et la terre crouler; la mer par lieus rougir, et les bestes trembler, et les hommes fremir.»
Ces finesses de nuances n’indiquent pas une langue barbare.
«Quand le souldich l’eut entendu, si crolla la teste et le regarda fellement, et dist: Tu has murdry!»
GUÉRIR, au sens figuré:
NICOLE.
De quoi est-ce que tout cela guérit?
A quoi tout cela sert-il?
GUEUSER DES ENCENS:
GUEUX COMME DES RATS:
Tous ces blondins sont agréables.... mais la plupart sont gueux comme des rats.
L’expression complète eût été: Comme des rats d’église, qui n’y trouvent rien à manger. Mais, du temps de Molière, on n’osait pas prononcer sur le théâtre le mot église; quand on y était réduit, on disait le temple. (Voyez TEMPLE.)
—GUEUX D’AVIS:
GUIDE, subst. féminin, comme sentinelle; archaïsme:
Guide, terme technique, est resté féminin: CONDUIRE A GRANDES GUIDES.
GUIGNER, lorgner du coin de l’œil:
J’ai guigné ceci tout le jour.
De guingois, espèce d’adverbe, pour signifier de côté, de travers, paraît dérivé de guigner: de guingois, comme de guïgois. Mme de Sévigné affectionne ce terme familier: un esprit de guingois.
HABILLER; S’HABILLER D’UN NOM:
Le monde aujourd’hui n’est plein..... que de ces imposteurs qui.... s’habillent insolemment du premier nom illustre qu’ils s’avisent de prendre.
HABITUDE DU CORPS, tenue, maintien, habitus:
Cette habitude du corps menue, grêle, noire et velue.
HAINE POUR QUELQU’UN, au lieu de haine contre:
Ils ont en cette ville une haine effroyable pour les gens de votre pays.
HANTER QUELQUE PART:
HANTISES, FRÉQUENTATION:
La forme primitive était hant, racine du verbe hanter:
«Sunt se nettement guardé tes vadlets, e meimement de hant de femme?»
HARDI, employé comme exclamation:
HATÉ, pressé, urgent:
HAUT, substantif; un haut, pour une hauteur:
(Voyez GAGNER LE HAUT.)
—HAUT DE L’ESPRIT (DU):
—HAUT LA MAIN, sans l’ombre de résistance ou de difficulté:
Vous l’auriez guéri haut la main.
Molière a dit aussi la main haute:
Cette expression se rapporte à cette autre, avoir la haute main sur...; et cette dernière se trouve fréquemment dans les plus vieux monuments de notre langue:
«E la malvaise gent e les fils Belial.... ourent la plus halte main envers Roboam.»
On trouve aussi, avant la main, pour haut la main:
—LE PORTER HAUT, être fier, orgueilleux:
Le subst. de l’ellipse paraît être chef: portez le chef moins haut.
—HAUT DU JOUR (le); midi:
—FAIRE UNE HAUTE PROFESSION DE (un infinitif):
Ils ont trouvé moyen de surprendre des esprits qui, dans toute autre matière, font une haute profession de ne se point laisser surprendre.
HAUTEUR; DE HAUTEUR, hautement, avec hauteur:
—HAUTEUR D’ESTIME:
HÉROS D’ESPRIT:
HEUR, bonheur; d’où vient heureux:
—HEURE; A L’HEURE, maintenant, à cette heure, comme dans l’italien allora:
HIATUS.
Nos vers sont pleins d’hiatus très-réels pour l’oreille, que l’on se contente de masquer aux yeux:
On en citerait de pareils par centaines dans Boileau, la Fontaine, Racine et Molière. Cette remarque a surtout pour but de montrer quelle est dans les arts la puissance de l’habitude et de la convention.
Molière ne s’arrête pas à l’hiatus qui résulte de l’interjection:
HOC; ÊTRE HOC:
Le hoc est un jeu de cartes: «Et parce qu’en jouant ces sortes de cartes on a coutume de dire hoc, de là vient que, dans le discours familier, pour dire qu’une chose est assurée à quelqu’un, on dit: Cela lui est hoc.» (Dictionn. de l’Acad.)
Un commentateur reproduit sur ce vers l’explication ci-dessus; mais cette explication, tirée du jeu de cartes, n’est point satisfaisante; car les cartes furent inventées au XVe siècle seulement, et dès le XIe le mot hoc entrait dans une locution analogue à être hoc:
«Respundi David: Ci est la lance le rei. Vienge un vadlet, pur hoc si l’emport.»
Tous ceux qui ont tenté d’expliquer cette locution sont partis de ce point que hoc était un mot latin, le neutre du pronom hic.
Mais c’est une erreur: hoc est un mot français, un mot de la vieille langue, où il signifie un croc:
«Un hoc à tanneur, de quoy l’on trait les cuirs hors de l’eaue.»
(Voyez Du Cange au mot Hoccus.)
Du substantif hoc viennent les verbes hocher et ahocher (hoker, ahoker); ce dernier est le même qu’accrocher:
«Mais le surplis du prêtre s’accrocha à un pieu, en sorte qu’il y resta.»
«Ainsi comme un singe accroché et lié à un bloc.»
Saint-Évremond ne se doutait pas qu’il faisait rimer le mot avec lui-même, quand il écrivait:
Cela m’est hoc est donc une locution faite, dont le sens revient à: cela ne peut me manquer, cela m’est acquis aussi infailliblement que si je le tirais de la rivière avec un croc; j’ai accroché cela. Mon congé cent fois me fût-il hoc, c’est-à-dire, eussé-je accroché cent fois mon congé.—Hoc ou croc, le nom de l’instrument mis pour celui du butin qu’il procure.
Voilà l’explication que j’offre de cette façon de parler, n’empêchant point qu’on n’en adopte une meilleure, si on la trouve telle; par exemple, celle de Trévoux:
«Ce mot vient du latin hoc, qui en gascon veut dire oui, ou ita est; de sorte qu’en disant cela est hoc, c’est-à-dire, oui j’y consens. Le Languedoc est nommé ainsi comme langue de hoc, parce qu’on y dit hoc pour oui.»
HOMMAGES; FAIRE DES HOMMAGES:
Je lui ai fait des hommages soumis de tous mes vœux.
HOMME; ÊTRE HOMME QUI.... être un homme qui...:
Vous êtes homme qui savez les maximes du point d’honneur.
Je suis homme qui aime à m’acquitter le plus tôt que je puis.
—HOMME DE (un substantif):
Vous êtes homme d’accommodement.
Homme de suffisance, homme de capacité.
HONNÊTES DIABLESSES:
HONNEUR, susceptibilité:
Votre délicatesse ombrageuse, le soin de votre honneur.
Molière emploie aussi honneur dans le sens général et indéterminé de considération personnelle. Alors il y joint une épithète pour fixer la nature de cet honneur. Il fait dire énergiquement à Alceste, parlant du franc scélérat contre lequel il plaide:
Il est tout naturel qu’on dise, en parlant de soi: Mon honneur, le soin de mon honneur; mais appliquer ce mot à un tiers, et y joindre une épithète de mépris, c’est ce qui rend l’expression neuve et originale; et toutefois elle est si claire et si juste, qu’on n’y prend pas garde.
HONTE; AVOIR HONTE A (un infinitif):
HORS DE GARDE (ÊTRE), métaphore prise de l’art de l’escrime:
—HORS DE PAGE, au figuré, affranchi:
Il faut observer que cette locution affectée, parce qu’on l’applique à l’esprit, est mise dans la bouche de Bélise; ce qui équivaut à une censure.
—HORS DE SENS; IL EST HORS DE SENS QUE..., il est invraisemblable, absurde de croire que...:
Cela excède les limites du bon sens.
HOURETS, mauvais chiens de chasse:
HUCHET, cor de chasse; Voyez PORTEUR DE HUCHET.
HUMANISER (S’) DE....:
(Voyez DE exprimant la manière, la cause.)
—HUMANISER SON DISCOURS; le mettre à la portée des humains:
Ne paroissez point si savant, de grâce! humanisez votre discours, et parlez pour être entendu.
HUMANITÉ (L’), le caractère d’homme, la forme humaine:
—L’HUMANITÉ, au sens philosophique:
Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité.
Molière a devancé le XVIIIe siècle dans cette acception du mot humanité, que la philosophie moderne a rendue depuis si commune. Au XVIIe siècle, on entendait par l’humanité une vertu analogue à la charité, mais non l’ensemble du genre humain, considéré philosophiquement comme une seule famille.
HUMEUR SOUFFRANTE, endurante:
Sur ce mot humeur, j’observerai qu’il avait encore du temps de Corneille un sens qu’on a laissé perdre depuis, et qui persiste dans l’anglais humour; si bien que beaucoup de gens, désespérant de faire sentir toute la force et la grâce du mot anglais, le transportent dans notre langue comme ils font du mot fashion, qui n’est que notre façon, et de bien d’autres.
Cette remarque a échappé à Voltaire, qui en a fait de moins importantes.
HYMEN (L’) DE, c’est-à-dire, avec:
Chercher dans l’hymen d’une douce et sage personne la consolation de quelque nouvelle famille.
ICI AUTOUR:
Depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour.
—ICI DEDANS:
Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces.
Pour ici dedans, on disait, au moyen âge, ci ens, et plus tard céans. Aujourd’hui on ne dit plus rien du tout, car les tyrans de la grammaire ont proscrit ici dedans.
—ICI DESSOUS:
Ici dessous comme ici dedans, bonnes et utiles expressions qui ont disparu, et qu’on n’a point remplacées.
Ces anciennes façons de parler ici dedans, ici dessus, ici dessous, persistent en Picardie.
IDOLE, ironiquement, UNE IDOLE D’ÉPOUX:
IGNORANT DE QUELQUE CHOSE:
Ce sont gens de difficultés (les avocats), et qui sont ignorants des détours de la conscience.
C’est un latinisme: inscius rei.
Nous construisons de même avec le génitif le verbe ignorer, ce que ne faisaient pas les Latins:
IL COUTE, impersonnel, pour il en coûte:
IL N’EST PAS QUE...:
Il n’est pas (possible) que.....
Cette manière d’employer que est toute latine. Hoc est quod ad vos venio (Plaute), c’est cela que je viens à vous.
IL Y VA DU MIEN, DU VÔTRE:
Molière a supprimé l’y pour le soin de l’euphonie, ou plutôt cet y s’absorbe dans celui de irait. C’était originairement la coutume, non-seulement pour l’i, mais pour toute voyelle:
On ne compte dans la mesure qu’un seul i, un seul a, un seul e.
(Voyez des Variations du langage français, p. 192, 193.)
Le mien, le vôtre, dans cette locution sont au neutre, signifiant mon intérêt, votre intérêt, ou mon bien et le vôtre, comme en latin meum, tuum: «Nil addo de meo,» (Cicer.) Je n’y ajoute rien du mien. «Tetigin’ tui?» (Ter.) Ai-je rien pris du tien?
IL supprimé après voilà:
Ne voilà pas de mes mouchards qui prennent garde à ce qu’on fait?
Ne voilà pas ce que je vous ai dit?
—IL; deux il se rapportant à des sujets divers:
L’éloge de Louis XIV, dans le ve acte de Tartufe, présente un singulier exemple de mauvais style, où l’incorrection des deux il se montre plusieurs fois. Cette tirade, si souvent reprochée à Molière, vaut la peine d’être examinée. Molière commence par dire de Louis XIV:
Ce mais et cette remarque ne semblent-ils pas dire que d’ordinaire l’amour de la vertu exclut la haine du vice?
Son cœur est le cœur de Tartufe.
Le sujet change: il n’est plus le roi, c’est Tartufe.
Il revient au monarque; sous un autre nom s’applique à Tartufe, et non pas à Louis XIV; c’est Tartufe qui était connu sous un autre nom.
On ne s’exprimerait pas autrement si c’était Louis XIV qui se repentît d’avoir été ingrat et déloyal envers Orgon.
Le roi a joint cette suite, ou ce supplément, aux autres horreurs de Tartufe.
Sa conduite, pour dire que Tartufe commandait à l’exempt.
Tant d’impropriété de termes, d’incorrection et de négligence, feraient à bon droit soupçonner que ce morceau de placage n’est pas de Molière. Molière en aura donné l’idée et confié l’exécution à quelqu’un des versificateurs de sa troupe. C’est ce qui expliquerait l’étrange disparate de cette tirade dans une pièce qui, parmi toutes celles de Molière, peut réclamer le prix du style.
Enfin, si Molière a versifié lui-même ce passage, il fallait qu’il n’attachât guère d’importance à la matière.
Le premier il se rapporte au cœur; le second, à l’amant, qui est nommé dans la phrase précédente.
Peut-être faudrait-il lire se percer; mais aucune édition ne le donne.
Enfin le Malade imaginaire offre de fréquents exemples de cette incorrection:
Tout le spectacle se passe sans qu’il (le berger) y donne la moindre attention. Mais il se plaint qu’il est trop court, parce qu’en finissant il se sépare de son adorable bergère.
Le premier il représente le berger; le second, le spectacle; et le troisième, encore le berger. En finissant, qui grammaticalement ne peut se rapporter qu’au berger, se rapporte au spectacle.
On lit dans la même scène:
Des manières de vers libres tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver.
Il paraît qu’il faut en ou les faire trouver.
On l’avertit que le père de la belle a conclu son mariage avec un autre.
Son ne désigne pas le mariage du père, comme la phrase le ferait entendre, mais celui de la belle.
Cette pièce est de toutes celles de Molière la plus négligemment écrite. On y sent en quelque sorte la rapidité de l’auteur fuyant devant la mort, qui l’atteignit à la quatrième représentation. Au reste, cette faute d’employer dans la même phrase deux il relatifs à des sujets différents, se rencontre dans les meilleurs écrivains. En voici un exemple de Pascal:
«Les confesseurs n’auront plus le pouvoir de se rendre jugés de la disposition de leurs pénitents, puisqu’ils (les confesseurs) sont obligés de les croire sur leur parole, lors même qu’ils (les pénitents) ne donnent aucun signe suffisant de douleur.»