← Retour

Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle

16px
100%
Et vous nous faites voir
Des modérations qu’on ne peut concevoir.
(Fem. sav. I. 2.)

MODESTE; ÊTRE MODESTE A QUELQUE CHOSE, relativement à quelque chose:

Jamais on ne m’a vu triompher de ces bruits;
J’y suis assez modeste.
(Éc. des fem. I. 1.)

MOI, substantif:

Un moi de vos ordres jaloux,
Que vous avez du port envoyé vers Alcmène,
Et qui de vos secrets a connoissance pleine
Comme le moi qui parle à vous.
(Amph. II. 1.)

MOI-MÊME, où nous dirions lui-même:

Oui, je suis don Juan moi-même.

(D. Juan. III. 5.)

Cette façon de dire paraît plus raisonnable que l’autre, puisque tout y est à la première personne, au lieu d’accoupler la première à la troisième. En effet, je suis don Juan lui-même, reviendrait à: c’est moi qui est don Juan lui-même.

Au surplus, Molière s’est aussi exprimé de cette dernière façon:

N’est-ce pas vous qui se nomme Sganarelle?

—En ce cas, c’est moi qui se nomme Sganarelle.

(Méd. m. lui. I. 6.)

MOMON; JOUER UN MOMON:

Masques, où courez-vous? Le pourroit-on apprendre?
Trufaldin, ouvrez-leur pour jouer un momon.
(L’Ét. III. 11.)

Trévoux, et d’après lui le supplément du Dictionnaire de l’Académie, définissent le momon: «Défi d’un coup de dez qu’on fait quand on est en masque.» Cette définition ne s’applique pas au passage précédent ni au suivant:

Est-ce un momon que vous allez porter?

(B. gent. V. 1.)

Le momon pouvait donc être joué et porté. L’explication de Borel paraît lever toute difficulté. Le momon, selon lui, était une sorte de pelote énorme que l’on portait dans les mascarades notables, comme si c’eût été une grosse bourse enflée contenant des enjeux.

Périzonius dérive momon du grec μομμω; Ménage, de Momus, le bouffon des dieux; Nicot, de mon mon, espèce de gromellement que font entendre les masques, dit-il; d’autres, du sicilien momar, un fou. Personne n’a songé à l’allemand mumme, un masque; mummerey, mascarade; d’où en français momerie.

MON ESTIME, au sens passif:

Et qu’il eût mieux valu pour moi, pour mon estime,
Suivre les mouvements d’une peur légitime.
(Dép. am. III. 3.)

C’est-à-dire, pour l’estime qu’on fera de moi, dans l’intérêt de ma réputation. Mon estime est ici comme mon honneur.

MONSTRE PLEIN D’EFFROI. (Voyez PLEIN D’EFFROI.)

MONTRE, substantif féminin au sens d’exposition:

Conserve à nos neveux une montre fidèle
Des exquises beautés que tu tiens de son zèle.
(La Gloire du Val-de-Grâce.)

Montre s’employait autrefois au sens de revue: la montre des soldats; passer à la montre, c’est passer à la revue:

«Ainsi Richard jouit de ses amours,
«Vécut content, et fit force bons tours,
«Dont celui-ci peut passer à la montre
(La Font. Richard Minutolo.)

MONTRER A QUELQU’UN, absolument, pour donner des leçons:

Outre le maître d’armes qui me montre, j’ai arrêté encore un maître de philosophie.

(B. gent. I. 2.)

Votre maître de musique est allé aux champs, et voilà une personne qu’il envoie à sa place pour vous montrer.

(Mal. im. II. 4.)
«Son maître tous les jours vient pourtant lui montrer
(Regnard. Le Distrait.)

Bossuet emploie de la même façon enseigner, comme verbe actif; enseigner quelqu’un:

«J’ai déjà dit que ce grand Dieu les enseigne, et en leur donnant et en leur ôtant le pouvoir.»

(Or. fun. d’Henr. d’A.)

MONTRER DE (un infinitif):

Vous buviez sur son reste, et montriez d’affecter
Le côté qu’à sa bouche elle avoit su porter.
(L’Ét. IV. 5.)

MOQUER; SE MOQUER DE (un infinitif), dans le sens de ne pas vouloir, se mettre peu en peine de, non curare de:

Je me moquerois fort de prendre un tel époux!
(Tart. II. 2.)

Je veux lui donner pour époux un homme aussi riche que sage; et la coquine me dit au nez qu’elle se moque de le prendre.

(L’Av. I. 7.)

C’est-à-dire, non pas qu’elle est indifférente à le prendre ou non, mais qu’elle se moque de la volonté de son père de le lui faire prendre.

On sait leur rendre justice (à certains maris), et l’on se moque fort de les considérer au delà de ce qu’ils méritent.

(G. D. III. 5.)
Quand l’amour à vos yeux offre un choix agréable,
Jeunes beautés, laissez-vous enflammer:
Moquez-vous d’affecter cet orgueil indomptable
Dont on vous dit qu’il est beau de s’armer.
(Prol. de la pr. d’Élide. I.)

C’est que les filles bien sages et bien honnêtes comme vous se moquent d’être obéissantes et soumises aux volontés de leur père.

(Mal. im. II. 7.)

MORCEAU DE JUDICIAIRE. (Voyez JUDICIAIRE.)

MORGUER QUELQU’UN, le braver insolemment:

Et de son large dos morguant les spectateurs.
(Fâcheux. I. 1.)
«...... tous ces vaillants, de leur valeur guerrière,
«Morguent la destinée et gourmandent la mort.»
(Regnier. Sat. VI.)

MOUCHE; LA MOUCHE MONTE A LA TÊTE:

Ah! que vous êtes prompte!
La mouche tout à coup à la tête vous monte.
(L’Ét. I. 10.)

C’est une autre forme de la locution proverbiale, prendre la mouche. On dit en italien, la mosca vi salta al naso.

MOUCHER DU PIED (SE):

DORINE.
Certes, monsieur Tartufe, à bien prendre la chose,
N’est pas un homme, non, qui se mouche du pied!
(Tart. II. 3.)

Se moucher avec le pied était un tour d’agilité des saltimbanques. De là cette expression ironiquement familière en parlant d’un homme grave et considérable: Il ne se mouche pas du pied! ou, comme dit Mascarille: Il tient son quant-à-moi!

MOUSTACHE; SUR LA MOUSTACHE, à la barbe:

Afin qu’un jeune fou dont elle s’amourache
Me la vienne enlever jusque sur la moustache.
(Éc. des fem. IV. 1.)

MOUVEMENT; DE SON MOUVEMENT, proprio motu:

S’il s’attache à me voir, et me veut quelque bien,
C’est de son mouvement; je ne l’y force en rien.
(Mélicerte. II. 4.)

MYSTÈRE; FAIRE GRAND MYSTÈRE, c’est-à-dire, grand embarras de quelque chose:

Du nom de philosophe elle fait grand mystère,
Mais elle n’en est pas pour cela moins colère.
(Fem. sav. II. 8.)

NE, supprimé; dans une formule interrogative:

De quoi te peux-tu plaindre? ai-je pas réussi?
(L’Ét. IV. 5.)
Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner....
(Sgan. 1.)
Les querelles, procès, faim, soif et maladie,
Troublent-ils pas assez le repos de la vie?
(Ibid. 17.)
Et tu trembles de peur qu’on t’ôte ton galant.
(Ibid. 22.)
Dis-tu pas qu’on t’a dit qu’il s’appelle Valère?
(Éc. des mar. II. 1.)
...... Valère est-il pas votre nom?
(Ibid. II. 3.)
L’amour sait-il pas l’art d’aiguiser les esprits?
(Éc. des fem. III. 4.)
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux dans tout ce badinage?
(Ibid.)
Pour dresser un contrat m’a-t-on pas fait venir?
(Ibid. IV. 2.)
M’êtes-vous pas venu querir pour votre maître?
(Ibid. IV. 3.)
T’ai-je pas là-dessus ouvert cent fois mon cœur?
Et sais-tu pas pour lui jusqu’où va mon ardeur?
(Tart. II. 3.)

Pouvez-vous pas y suppléer de votre esprit?

(Impromptu. 1.)

Il aura un pied de nez avec sa jalousie, est-ce pas?

(G. D. I. 2.)

Pourrois-je point m’éclaircir doucement s’il y est encore?

(Ibid. II. 8.)

Est-ce pas vous, Clitandre?

(Ibid. III. 2.)

—Après à moins que:

La maîtresse ne peut abuser votre foi,
A moins que la maîtresse en fasse autant de moi.
(Dép. am. I. 1.)
A moins que Valère se pende,
Bagatelle; son cœur ne s’assurera point.
(Dép. am. I. 2.)
A moins que le ciel fasse un grand miracle en vous.
(Ibid. II. 2.)
Et moi, je ne puis vivre à moins que vos bontés
Accordent un pardon à mes témérités.
(D. Garcie. II. 6.)

On ne saurait dire que, dans ce dernier exemple, Molière ait cédé aux besoins de la mesure, car il ne lui en coûtait rien de Mettre: N’accordent un pardon.

Et moi, je ne puis vivre à moins que vous quittiez
Cette colère qui m’accable.
(Amph. II. 6.)
Et l’on en est réduite à n’espérer plus rien,
A moins que l’on se jette à la tête des hommes.
(Psyché. I. 1.)

Si cette suppression avait eu quelque importance dans la coutume du langage du temps, il eût été facile à Molière de mettre:

A moins qu’on ne se jette à la tête des hommes.

Je lui ai défendu de bouger, à moins que j’y fusse moi-même, de peur de quelque fourberie.

(Pourc. I. 6.)

—Après AVANT QUE:

Avant que vous parliez, je demande instamment
Que vous daigniez, seigneur, m’écouter un moment.
(D. Garcie. V. 5.)
Allons, courons avant que d’avec eux il sorte.
(Amph. III. 5.)

«Avant qu’on l’ouvrît (la cédule), les amis du prince soutinrent que, etc.»

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

«Toutes vos fables pouvoient vous servir avant qu’on sût vos principes.»

(Pascal. 15e Prov.)

—Après AVOIR PEUR QUE:

J’ai bien peur que ses yeux resserrent votre chaîne.
(Dép. am. IV. 2.)

—D’abord exprimé, puis supprimé après AVOIR PEUR QUE:

J’ai peur qu’elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.

(D. Juan. I. 1.)

—Après CRAINDRE QUE:

Mais, hélas! je crains bien que j’y perde mes soins.
(D. Garcie. II. 6.)
Je craindrois que peut-être
A quelques yeux suspects tu me fisses connoître.
(Fâcheux. III. 1.)
..... Oui, mais qui rit d’autrui
Doit craindre qu’à son tour on rie aussi de lui.
(Éc. des fem. I. 1.)

Peut-on craindre que des choses si généralement détestées fassent quelque impression dans les esprits?

(Préf. de Tartufe.)

—Après EMPÊCHER QUE:

Si son cœur m’est volé par ce blondin funeste,
J’empêcherai du moins qu’on s’empare du reste.
(Éc. des fem. IV. 7.)

Molière l’a exprimé ailleurs:

Cela n’empêchera pas que je ne conserve pour vous ces sentiments d’estime.....

(Pourc. III. 9.)

Mais il l’a encore supprimé dans ce passage:

Le choix qui m’est offert s’oppose à votre attente,
Et peut seul empêcher que mon cœur vous contente.
(Mélicerte. I. 5.)

Je crois qu’ici Molière a cédé à la contrainte de la mesure. Pascal exprime ne:

«M. le premier président a apporté un ordre pour empêcher que certains greffiers ne prissent de l’argent pour cette préférence.»

(18e Prov.)

Au surplus, il est vraisemblable que Molière n’attachait aucune importance à exprimer ou retrancher le ne; son habitude paraît avoir été pour la suppression. Pascal, au contraire, est pour l’expression.

—Après DE PEUR QUE:

De peur que ma présence encor soit criminelle.
(L’Ét. I. 5.)
De peur qu’elle revînt, fermons à clef la porte.
(Éc. des mar. III. 2.)

Ailleurs Molière l’a exprimé:

Ah! Myrtil, levez-vous, de peur qu’on ne vous voie.
(Mélicerte. II. 3.)

—Après DEVANT ou AVANT QUE:

Devant que les chandelles soient allumées.

(Préc. rid. 10.)

—Après GARDER QUE:

Gardons bien que par nulle autre voie elle en apprenne jamais rien.

(Am. magn. I. 1.)

—Après MIEUX QUE, précédé d’une négation:

Je ne crois pas qu’on puisse mieux danser qu’ils dansent.

(Am. magn. II. 1.)

Chacun demeura d’accord qu’on ne pouvoit pas mieux jouer qu’il fit.

(Crit. de l’Éc. des fem. 6.)

NE, exprimé; après NE DOUTER POINT QUE:

Oui, je ne doute point que l’hymen ne vous plaise.
(Éc. des fem. II. 7.)

Je ne doute point que vos paroles ne soient sincères.

(Scapin. I. 3.)

Bossuet a dit:

«Je ne crois pas qu’on puisse douter que Ninus ne se soit attaché à l’Orient.»

(Hist. Un. IIIe p. § 4.)

Ici pourtant l’expression est différente de celle de Molière, en ce que le premier ne s’attache, non pas au verbe douter, mais au verbe croire. Il paraît que le XVIIe siècle tenait pour règle invariable d’exprimer ne après douter que, quel que fût d’ailleurs le sens de la phrase, affirmatif ou négatif. Ninus s’était attaché à l’Orient, je ne crois pas qu’on en puisse douter; c’est ce que veut dire Bossuet, et il met deux négations. Il me semble que dans cet exemple la seconde est de trop, mais on observait encore certaines lois de symétrie, tradition de la vieille langue, qu’aujourd’hui nous qualifions pléonasmes.

(Voyez plus bas NE répété par pléonasme.)

—Après IL ME TARDE QUE:

Il me tarde que je ne goûte le plaisir de la voir.

(Sicilien. 10.)

—Après PRENDRE GARDE QUE....:

On m’a chargé de prendre garde que personne ne me vît.

(G. D. I. 2.)

—Après NE TENIR QU’A:

Il ne tiendra qu’à elle que nous ne soyons mariés ensemble.

(G. D. I. 2.)

—Après METTRE EN DOUTE QUE:

Il n’y aura personne qui mette en doute que ce ne soit vous qui m’aurez tuée.

(G. D. III. 8.)

NE, répété par pléonasme:

Je ne puis pas nier qu’il n’y ait eu des Pères de l’Église qui ont condamné la comédie; mais on ne peut pas me nier aussi qu’il n’y en ait eu quelques-uns qui l’ont traitée un peu plus doucement.

(Préf. de Tartufe.)

Je ne doute point, sire, que les gens que je peins dans ma comédie ne remuent bien des ressorts auprès de Votre Majesté, et ne jettent dans leur parti....

(2me Placet au Roi.)

On pourrait supprimer chaque fois le second ne; la phrase n’en serait pas moins claire, ni l’expression moins complète; mais je crois que le génie de la langue française préfère cette répétition, qui a une foule d’analogues: c’est à vous à parler,—c’est à vous à qui je m’adresse;—c’est de vous dont je m’occupe.—C’est là où vous verrez la bénignité de nos pères.

NE, ni:

Un mari qui n’ait pas d’autre livre que moi,
Qui ne sache A ne B, n’en déplaise à madame.
(Fem. sav. V. 3.)

C’est un archaïsme. Thomas Diafoirus s’en sert également: «Ne plus ne moins que la fleur que les anciens nommoient héliotrope...» (Mal. im. II. 6.) Cette forme, jadis seule en usage, était commode pour l’élision:

«Onc n’avoit vu, ne lu, n’ouï conter....»
(La Font. Le Diable de Papefig.)

On disait de même se pour si: se non, sinon. Malgré des réclamations réitérées, certains éditeurs de textes du moyen âge impriment encore avec un accent aigu , , qué, , pour ne, se, que, ce; l’élision même de cet e n’a pu leur persuader qu’il n’y faut point mettre d’accent. C’est une obstination bien étrange!

NÉCESSITANT, nécessiteux:

Aussi est-ce à vous seule qu’on voit avoir recours toutes les muses nécessitantes.

(Am. magn. I. 6.)

NÉGATION; DEUX NÉGATIONS REDOUBLÉES. (Voy. à la fin de l’article PAS.)

NEIGE; DE NEIGE, expression de mépris:

Tiens, tiens, sans y chercher tant de façons, voilà
Ton beau galant de neige avec ta nonpareille.
(Dép. am. IV. 4.)

Cette expression rappelle le floccifacere et floccipendere des Latins.

«Ah le beau médecin de neige avec ses remèdes!»
(Destouches. Le Tambour nocturne.)

NE M’EN PARLEZ POINT, incidemment, dans un sens affirmatif et laudatif:

Il y a plaisir, ne m’en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses de l’art.

(B. gent. I. 1.)

N’EN EST-CE PAS FAIT?

Nous rompons?—Oui, vraiment! Quoi? n’en est-ce pas fait?
(Dép. am. IV. 3.)

En, figure ici au même titre que dans c’en est fait; c’est fait de moi, de cela.

NE PERDRE QUE L’ATTENTE DE QUELQUE CHOSE:

Tu n’en perds que l’attente, et je te le promets.
(Dép. am. III. 10.)

On dit dans le même sens, et avec des termes contraires: Tu n’y perdras rien pour attendre.

NE QUE, faisant pléonasme avec seulement. (Voy. SEUL.)

NET, adverbialement:

Madame, voulez-vous que je vous parle net?
De vos façons d’agir je suis mal satisfait.
(Mis. II. 1.)

(Voyez PREMIER QUE, FERME, FRANC.)

NET, adjectif, au sens moral: loyal, sans détour; AME FRANCHE ET NETTE:

Et j’avouerai tout haut, d’une âme franche et nette.....
(Fem. sav. I. 1.)

NEZ; DONNER PAR LE NEZ, au figuré:

Ils nous donnent encore, avec leurs lois sévères,
De cent sots contes par le nez.
(Amph. II. 3.)

Par est ici abrégé de parmi; parmi le nez, au milieu du visage.

C’EST POUR TON NEZ, ironiquement:

C’est pour ton nez, vraiment! cela ce fait ainsi.
(Amph. II. 7.)
«Mais c’est pour leur beau nez! le puits n’est pas commun;
Et si j’en avois cent, ils n’en auroient pas un.»
(Regnier. Macette.)

NI, exprimé seulement au dernier terme de l’énumération:

Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui,
Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes.
(Éc. des fem. III. 2.)

—Exprimé devant chaque terme:

Elle n’a ni parents, ni support, ni richesse.
(Ibid. III. 5.)

NI, répété après la négation:

Cela n’est pas capable, ni de convaincre mon esprit, ni d’ébranler mon âme.

(D. Juan. V. 2.)

NI, supprimé. (Voyez L’UN NI L’AUTRE.)

NIER, dénier, refuser:

Et je n’ai pu nier au destin qui le tue
Quelques moments secrets d’une si chère vue.
(D. Garcie. III. 2.)
Et tâcher, par des soins d’une très-longue suite,
D’obtenir ce qu’on nie à leur peu de mérite.
(Mis. III. 1.)
Imitant en vigueur les gestes des muets,
Qui veulent réparer la voix que la nature
Leur a voulu nier, ainsi qu’à la peinture.
(La Gloire du Val-de-Grâce.)

Nous n’employons plus que le composé dénier, et encore il devient rare:

«Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie,
«Sacrifiez Iphigénie.»
(Racine. Iphig. I. 1.)

NOIRCIR QUELQU’UN ENVERS UN AUTRE. (Voyez ENVERS.)

NOMBRE; QUELQUE NOMBRE DE, pour quelques:

Je veux jouir, s’il vous plaît, de quelque nombre de beaux jours que m’offre la jeunesse.

(G. D. II. 4.)

NOMPAREIL:

J’ai souhaité un fils avec des ardeurs nompareilles.

(D. Juan. IV. 6.)
«Colette entra dans des peurs nompareilles
(La Font. Le Berceau.)

Boileau s’est moqué de cette expression, déjà surannée de son temps, aujourd’hui tout à fait hors d’usage:

«Si je voulois vanter un objet nompareil,
«Je mettrais à l’instant: Plus beau que le soleil.»
(Sat. II.)

NON CONTENT, employé comme adverbe:

Et, non content encor du tort que l’on me fait,
Il court parmi le monde un livre abominable.
(Mis. V. 1.)

Non content ne se rapporte à personne, comme s’il y avait, par exemple, nonobstant...

Et, nonobstant encor le tort que l’on me fait,
Il court.....

NOUS, indéterminé, construit avec on:

Au moins, en pareil cas, est-ce un bonheur bien doux
Quand on sait qu’on n’a point d’avantage sur nous.
(Dép. am. II. 4.)
Et qu’on s’aille former un monstre plein d’effroi
De l’affront que nous fait son manquement de foi?
(Éc. des fem. IV. 8.)

(Voyez VOUS.)

NOUVEAUTÉS, nouvelles:

Je demeure immobile à tant de nouveautés.
(L’Ét. V. 15.)
Seigneur, ces nouveautés ont droit de me confondre.
(D. Garcie.)

NOUVEAUX YEUX: JETER DE NOUVEAUX YEUX SUR..., de nouveaux regards:

Et mon esprit, jetant de nouveaux yeux sur elle...
(Pr. d’Él. I. 1.)

Un esprit qui jette de nouveaux yeux, est apparemment une de ces expressions qui semblaient du jargon à la Bruyère.

NUAGE DE COUPS DE BATONS:

Je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui crèvera sur mes épaules.

(Scapin, I. 1.)

OBJET par excellence, objet aimé:

LA MONTAGNE.
Si ce parfait amour que vous prouvez si bien
Se fait vers votre objet un grand crime de rien.
(Fâcheux. I. 1.)

Mon objet, son objet, votre objet, est une expression à l’usage du peuple, comme mon époux, mon épouse, pour mon mari, ma femme. Le ridicule s’y est attaché à cause de l’emphase. Aussi est-ce un valet à qui Molière prête cette façon de parler, Éliante ne s’exprime point comme la Montagne: elle dit, l’objet aimé:

Et dans l’objet aimé tout lui paroît aimable.
(Mis. II. 5.)

Le génie observateur de Molière recueille jusqu’aux nuances de vérité les plus fines et les plus fugitives. On ne le surprend jamais en défaut.

OBLIGER, absolument, dans le sens du latin obligare, lier:

Mes plus ardents respects n’ont pu vous obliger;
Vous avez voulu rompre: il n’y faut plus songer.
(Dép. am. IV. 3.)

OBLIGER A, forcer à:

Je me retire pour ne me voir point obligée à recevoir ses compliments.

(G. D. II. 11.)

«Quoique personne n’ignore les grandes qualités d’une reine dont l’histoire a rempli l’univers, je me sens obligé d’abord à les rappeler à votre mémoire.»

(Bossuet. Or. fun. d’Henr. d’Angl.)

«Mais je suis obligé à me contraindre.»

(Pascal. 8e Prov.)

«C’est pourquoi on n’est pas obligé à s’en confesser.»

(Id. 10e Prov.)

Pascal, bien qu’il paraisse préférer obliger à, emploie aussi obliger de:

«Les confesseurs n’auront plus le pouvoir de se rendre juges de la disposition de leurs pénitents, puisqu’ils sont obligés de les en croire sur leur parole.»

(10e Prov.)

Au XVIIe siècle, obliger de paraît avoir été réservé pour signifier rendre le service de:

«Obligez-moi de n’en rien dire.»
(La Font. Fables, III. 6.)

C’est-à-dire, rendez-moi le service de n’en rien dire; faites que je vous aie cette obligation.

«Il y a des âmes basses qui se tiennent obligées de tout, et il y a des âmes vaines qui ne se tiennent obligées de rien

(Saint-Évremond.)

«L’abbesse lui fit réponse qu’elle et ses filles se sentoient infiniment obligées de ses bontés

(Patru.)

Obligées par ses bontés.

S’OBLIGER DE, s’obliger à..., prendre l’engagement de...:

Un fort honnête médecin..... veut s’obliger de me faire vivre encore trente années.

(3e Placet au Roi.)

Je ne lui demandois pas tant, et je serois satisfait de lui, pourvu qu’il s’obligeât de ne me point tuer.

(Ibid.)

S’OBLIGER QUE, pour à ce que:

Il s’obligera, si vous voulez, que son père mourra avant qu’il soit huit mois.

(L’Av. II. 2. )

Remarquez que cette locution admet le second verbe au futur de l’indicatif, tandis qu’avec la tournure ordinaire il le faudrait au présent du subjonctif: «Il s’obligera à ce que son père meure.» C’est par où l’autre façon, employée par Molière, peut être utile.

L’analyse d’ailleurs la démontre excellente. Elle revient à ceci: Son père mourra avant huit mois, et à cet égard il s’obligera, il prendra un engagement positif. Cette forme exprime bien mieux la certitude du fils de la mort de son père, que si l’on y employait le conditionnel.

OBSCÉNITÉ, néologisme en 1663:

ÉLISE.

Comment dites-vous ce mot-là, madame?

CLIMÈNE.

Obscénité, madame.

ÉLISE.

Ah! mon Dieu, obscénité! Je ne sais ce que ce mot veut dire, mais je le trouve le plus joli du monde!

(Crit. de l’Éc. des fem. 3.)

OCCISEUR, meurtrier:

MASCARILLE.
Faisons l’olibrius, l’occiseur d’innocents.
(L’Ét. III. 5.)

Occiseur n’a été recueilli ni dans Trévoux ni dans le supplément au Dictionnaire de l’Académie. Aussi paraît-il forgé par Mascarille, d’après le latin.

ŒIL; CONDUIRE DE L’ŒIL:

Je conduis de l’œil toutes choses.

(Pourc. II. 11.)

ŒIL CONSTANT (D’UN), sans se troubler, avec fermeté:

J’attendrai d’un œil constant ce qu’il plaira au ciel de résoudre de moi.

(Scapin. I. 3.)

OI rimant avec È:

Ho, ho! les grands talents que votre esprit possède!
Diroit-on qu’elle y touche avec sa mine froide?
(Dép. am. I. 1.)

Oi sonnait dans l’origine oué[64]. On prononçait donc frouéde, d’où, par allégement, fréde, comme on prononce encore roide, que l’on commence à écrire raide. C’est une inconséquence de prononcer, comme nous faisons, froide et rède.

VALÈRE.
Que vient de te donner cette farouche bête?
ERGASTE.
Cette lettre, monsieur, qu’avecque cette boîte
On prétend qu’ait reçue Isabelle de vous.
(Éc. des mar. II. 8.)

On prononçait bouéte. Quelques textes imprimés du XVIe siècle l’écrivent même de la sorte, ainsi que les mots vouele, mirouer, etc., pour voile, miroir.

Une tête de barbe, avec l’étoile nette;
L’encolure d’un cygne, effilée et bien droite.
(Fâcheux. II. 7.)
D’abord j’appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit une surprise adroite.
(Tart. III. 3.)
Qui va là?—Hé! ma peur à chaque pas s’accroist!
Messieurs, ami de tout le monde.
Ah! quelle audace sans seconde
De marcher à l’heure qu’il est!
(Amph. I. 1.)

Toutes ces rimes eussent été exactes au moyen âge, et même encore au XVIe siècle, lorsque Marguerite d’Angoulême, Saint-Gelais et les autres faisaient rimer étoiles et demoiselles, paroisse et pécheresse. Alors on rimait encore pour l’oreille seule; c’est seulement au XVIIe siècle que s’introduisit la coutume vraiment barbare de rimer pour les yeux. La prononciation de la syllabe oi avait changé; mais les poëtes ne voulurent pas renoncer aux anciens priviléges, et ils sacrifièrent la rime véritable pour garder la facilité de rimer en apparence.

OMBRAGE; UN OMBRAGE, un soupçon, ou plutôt la disposition à soupçonner:

Quand d’un injuste ombrage
Votre raison saura me réparer l’outrage.
(D. Garcie. I. 3.)

OMBRAGES, au pluriel, dans le même sens:

Et que de votre esprit les ombrages puissants
Forcent mon innocence à convaincre vos sens...
(D. Garc. IV. 8.)
Qu’injustement de lui vous prenez de l’ombrage.
(Mis. II. 1.)

OMBRE; A L’OMBRE DE, figurément, sous la protection de...:

Je souhaiterois que notre mariage se pût faire à l’ombre du leur.

(B. gent. III. 7.)

OMBRES, apparences:

Mais aux ombres du crime on prête aisément foi.
(Mis. III. 5.)
Vos mines et vos cris aux ombres d’indécence
Que d’un mot ambigu peut avoir l’innocence.
(Ibid.)

ON; deux ON se rapportant à deux sujets différents:

Cette faute est très-fréquente dans Molière:

Au moins en pareil cas est-ce un bonheur bien doux
Quand on sait qu’on n’a pas d’avantage sur nous.
(Dép. am. II. 4.)
Moins on mérite un bien qu’on nous fait espérer,
Plus notre âme a de peine à pouvoir s’assurer.
(D. Garcie. II. 6.)
Je ne sais point par où l’on a pu soupçonner
Cette assignation qu’on m’avoit su donner.
(Éc. des fem. V. 2.)
Et l’ennui qu’on auroit que ce nœud qu’on résout
Vînt partager du moins un cœur que l’on veut tout.
(Tart. IV. 5.)

Le premier et le dernier on désignent Elmire elle-même; l’intermédiaire se rapporte à Orgon, et au mariage qu’il a résolu de Marianne avec Tartufe.

Mais puisque l’on (Orgon) s’obstine à m’y vouloir réduire,
Puisqu’on ne veut point croire à tout ce qu’on (Elmire) peut dire,
Et qu’on (Orgon) veut des témoins qui soient plus convaincants,
Il faut bien s’y résoudre et contenter les gens.
(Ibid. IV. 5.)

L’embarras d’Elmire, obligée de parler à double sens, peut servir peut-être d’excuse à cet endroit, et donner du moins à cette ambiguïté un air très-naturel.

Que chez vous on vit d’étrange sorte,
Et qu’on ne sait que trop la haine qu’on lui porte.
(Ibid. V. 3.)

On vit chez vous d’étrange sorte, et je ne sais que trop la haine que vous lui portez.

On n’attend pas même qu’on en demande (du tabac).

(D. Juan. I. 1.)
Veut-on qu’on rabatte,
Par des moyens doux,
Les vapeurs de rate
Qui nous minent tous?
Qu’on laisse Hippocrate,
Et qu’on vienne à nous.
(Am. méd. III. 8.)

Le premier on désigne le malade, le second, le médecin qui rabat les vapeurs. Ou bien les deux on se rapportent tous deux au malade, et la phrase revient à celle-ci: veut-on rabattre? Dans ce dernier cas, la tournure est entortillée, inusitée. Molière ne donnait pas beaucoup d’attention au style de ces divertissements.

Et la plus glorieuse (estime) a des régals peu chers,
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers.
(Mis. I. 1.)

Celui qui se voit mêlé n’est pas celui qui mêle.

Et qu’eût-on d’autre part cent belles qualités,
On regarde les gens par leurs méchants côtés.
(Ibid. I. 2.)

La personne qui a cent belles qualités n’est pas celle qui regarde les gens par leurs méchants côtés. Molière a parlé plus correctement dans cet autre passage:

Et l’on a tort ici de nourrir dans votre âme
Ce grand attachement aux défauts qu’on y blâme.
(Ibid. II. 5.)

Parce qu’il est possible que Célimène soit blâmée par ceux même qui en sa présence ont le tort de nourrir son penchant à la raillerie.

Les exemples suivants sont irréprochables:

En vain de tous côtés on l’a voulu tourner;
Hors de son sentiment on n’a pu l’entraîner.
(Ibid. IV. 1.)
Et lorsque d’en mieux faire (des vers) on n’a pas le bonheur,
On ne doit de rimer avoir aucune envie,
Qu’on n’y soit condamné sur peine de la vie.
(Ibid.)

La faute reparaît dans:

Mais croyez-vous qu’on l’aime, aux choses qu’on peut voir?
(Ibid.)
On lève les cachets, qu’on ne l’aperçoit pas.
(Amph. III. 1.)

Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les receleurs des choses qu’on dérobe, et je voudrois qu’on en eût fait pendre quelqu’un.

(L’Av. I. 3.)

On ne peut servir à désigner tout à la fois le voleur et le juge qui le fait pendre.

Molière, parlant en prose, et pour son propre compte, commet cette faute; ce qui achève de montrer combien elle lui était familière, ou que ce n’était point alors une faute reconnue:

On n’ignore pas que souvent on l’a détournée de son emploi (la philosophie) ............... Mais on ne laisse pas pour cela de faire les distinctions qu’il est besoin de faire: on n’enveloppe point dans une fausse conséquence la bonté des choses que l’on corrompt, avec la malice des corrupteurs................... Et puisque l’on ne garde point cette rigueur à tant de choses dont on abuse tous les jours, on doit bien faire la même grâce à la comédie.

(Préf. de Tartufe.)
Est-on d’une figure à faire qu’on se raille?
(Psyché. I. 1.)

Aglaure veut dire: Suis-je d’une figure à faire qu’on se raille?

Et, pour donner toute son âme,
Regarde-t-on quel droit on a de nous charmer?
(Ibid. I. 2.)

Cette négligence est très-commune dans les premiers écrivains du XVIIe siècle; c’est un des progrès incontestables de l’époque suivante de l’avoir proscrite.

«On amorce le monde avec de tels portraits;
«Pour les faire surprendre on les apporte exprès:
«On s’en fâche, on fait bruit, on vous les redemande;
«Mais on tremble toujours de crainte qu’on les rende.»
(Corn. La Suite du Menteur. II. 7.)

«Si ces personnes étoient en danger d’être assassinées, s’offenseroient-elles de ce que on les avertiroit de l’embûche qu’on leur dresse?... S’amuseroient-elles à se plaindre du peu de charité qu’on auroit eu de découvrir le dessein criminel de ces assassins?»

(Pascal. 11e Prov.)

«En vérité, mes pères, voilà le moyen de vous faire croire jusqu’à ce qu’on vous réponde; mais c’est aussi le moyen de faire qu’on ne vous croie jamais plus après qu’on vous aura répondu.»

(15e Prov.)

Celui qui répond aux jésuites, et celui qui leur ajoutait foi jusqu’au moment de cette réponse, sont évidemment deux personnes différentes.

ON DIRAIT DE..., cela ressemble à:

Et l’on diroit d’un tas de mouches reluisantes
Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel.
(Mélicerte. I. 3.)

Ce n’est pas que le verbe dire s’emploie jamais pour ressembler. Cette formule on dirait de, correspondant au présent cela ressemble à, suppose une ellipse: On dirait (la même chose) de... donc, cela ressemble à...

OPÉRA, en langage de gastronome:

... Et pour son opéra, d’une soupe à bouillon perlé, etc.

(B. gent. IV. 1.)

Son opéra signifie ici son chef-d’œuvre. «Opéra, dit Bouhours, se prend encore pour une chose excellente et pour un chef-d’œuvre.» Scarron écrit: «Toutes vos lettres sont admirables! ce sont ce qu’on appelle des opéra

Capi d’opera, des chefs-d’œuvre.

OPÉRER, amener un résultat:

Vous avez bien opéré avec ce beau monsieur le comte, dont vous êtes embéguiné!

(Bourg. gent. III. 3.)

OPÉRER DANS QUELQUE CHOSE:

AGNÈS.
Vous avez là-dedans bien opéré, vraiment!
(Éc. des fem. V. 4.)

OPINIATRETÉ CIVILE:

Vous avez une civile opiniâtreté qui, etc.

(B. gent. III. 18.)

ORDRE; PAR ORDRE, comme en latin ex ordine:

Eh bien! qu’est-ce? M’as-tu tout parcouru par ordre?
(Amph. III. 2.)

Des pieds à la tête, en détail.

ORDURES, au figuré:

Chaque instant de ma vie est chargé de souillures;
Elle n’est qu’un amas de crimes et d’ordures.
(Tart. III. 6.)

Pascal a employé ordure au singulier, dans le même sens:

«Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure

(Pensées. p. 175.)

Ordure est formé de l’ancien adjectif ord, qui vient lui-même de sordidus, en lui ôtant la première lettre et les deux dernières syllabes. Nicot donne les verbes ordir et ordoyer, qui signifient salir, souiller. Ordir est le latin sordere, devenu de verbe neutre verbe actif:

«Trop grande privauté et accointance d’hommes derechef engendre diffame, et ordoye la renommée des femmes très-honnestes.»

(Anc. trad. de Boccace, Des Nobles malheureux. liv. 9.)

OU, ubi:

Molière paraît avoir eu une aversion décidée pour lequel, comme relatif. (Voyez LEQUEL.) On ne rencontre presque jamais chez lui ces façons de parler, auquel, par lequel, dans lequel, vers lequel, à l’aide duquel, au sujet desquels, etc.; au lieu de ces détours et de ces syllabes vides, Molière emploie brusquement .

se place chez lui toutes les fois qu’il s’agit d’exprimer la relation du datif ou de l’ablatif.

A, Y, où, sont pour Molière trois termes corrélatifs. Toute phrase qui admettrait l’un, admettra les deux autres.

Comme cet emploi de est très-commode, très-vif, et tout à fait condamné ou perdu de nos jours, j’ai cru devoir en rassembler tous les exemples fournis par Molière, pour bien faire apprécier ce parti pris du grand écrivain, et les avantages qu’il en tire. La série sera un peu longue: je la divise en exemples dans les vers, et exemples dans la prose.

Exemples dans les vers:

Nous avons eu querelle
Sur l’hymen d’Hippolyte, je le vois rebelle.
(L’Ét. I. 9.)
Je sais un sûr moyen
Pour rompre cet achat, tu pousses si bien.
(Ibid. 10.)
Mais cessez, croyez-moi, de craindre pour un bien
je serois fâché de vous disputer rien.
(Ibid. III. 3.)
Vous avez vu ce fils mon espoir se fonde?
(Ibid. IV. 3.)
Mon âme embarrassée
Ne voit que Mascarille jeter sa pensée.
(Dép. am. III. 6.)
Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner
, de droit absolu, j’ai pouvoir d’ordonner?
(Sgan. 1.)
... Un cœur qui jamais n’a fait la moindre chose
A mériter l’affront ton mépris l’expose.
(Ibid. 16.)
Rien ne me reprochoit
Le tendre mouvement mon âme penchoit.
(D. Garcie. I. 1.)
Puisque chez notre sexe, l’honneur est puissant...
(Ibid.)
Ah! souffrez, dans les maux mon destin m’expose.
(Ibid. III. 2.)
Oui, le trépas cent fois me semble moins à craindre
Que cet hymen fatal l’on me veut contraindre.
(D. Garc. III. 1.)
Entretenir ce soir cet amant sous mon nom,
Par la petite rue ma chambre répond.
(Ibid. III. 2.)
Et pour justifier cette intrigue de nuit
me faisoit du sang relâcher la tendresse.....
(Ibid.)
Elle pourroit se plaindre
Du peu de retenue j’ai su me contraindre.
(Ibid.)
Les noces j’ai dit qu’il vous faut préparer.
(Éc. des fem. III. 1.)
Considérez un peu, par ce trait d’innocence,
l’expose d’un fou la haute impertinence.
(Ibid. V. 2.)
Elle a de certains mots mon dépit redouble.
(Ibid. V. 4.)
Et qu’un premier coup d’œil allume en nous les flammes
le ciel en naissant a destiné nos âmes.
(Pr. d’Él. I. 1.)
L’estime je vous tiens ne doit pas vous surprendre.
(Mis. I. 2.)
J’estime plus cela que la pompe fleurie
De tous ces faux brillants chacun se récrie.
(Ibid.)
Des vices l’on voit les humains se répandre.
(Ibid. II. 5.)
Enfin, toute la grâce et l’accommodement
s’est avec effort plié son sentiment,
C’est de dire, etc.
(Ibid. IV. 1.)
Pour moi, plus je le vois, plus surtout je m’étonne
De cette passion son cœur s’abandonne.
(Ibid.)
Et je sais encor moins comment votre cousine
Peut être la personne son penchant l’incline.
(Ibid.)
Je vous promets ici d’éviter sa présence,
De faire place au choix vous vous résoudrez.
(Mélicerte. II. 4.)
Vous devez n’avoir soin que de me contenter.
—C’est je mets aussi ma gloire la plus haute.
(Tart. II. 1.)
Fort bien! c’est un recours je ne songeois pas.
(Ibid. II. 3.)
Au plus beau des portraits lui-même il s’est peint.
(Ibid. III. 3.)
De vos regards divins l’ineffable douceur
Força la résistance s’obstinoit mon cœur.
(Ibid.)
Il suffit qu’il se rende plus sage,
Et tâche à mériter la grâce je m’engage.
(Ibid. III. 4.)
Et ce sont des papiers, à ce qu’il m’a pu dire,
sa vie et ses biens se trouvent attachés.
(Ibid. V. 1.)
Aux différents emplois Jupiter m’engage.
(Amph. Prol.)
Si votre cœur, charmante Alcmène,
Me refuse la grâce j’ose recourir...
(Amph. II. 6.)
Non, il faut qu’il ait le salaire
Des mots tout à l’heure il s’est émancipé.
(Ibid. III. 4.)
Ayez, je vous prie, agréable
De venir honorer la table
vous a Sosie invités.
(Ibid. III. 5.)
J’aurois mauvaise grâce
De maltraiter l’asile et blesser les bontés
je me suis sauvé de toutes vos fiertés.
(Fem. sav. IV. 2.)
Et les soins je vois tant de femmes sensibles
Me paroissent aux yeux des pauvretés horribles.
(Ibid. I. 1.)
Mais vous qui m’en parlez, la pratiquez-vous?
(Ibid. I. 2.)
Et l’hymen d’Henriette est le bien j’aspire.
(Ibid.. I. 4.)
Et la pensée enfin mes vœux ont souscrit....
(Ibid. III. 6.)
Cette pureté
du parfait amour consiste la beauté.
(Ibid. IV. 2.)
Et madame doit être instruite par sa sœur
De l’hymen l’on veut qu’elle apprête son cœur.
(Ibid. IV. 7.)
Il est une retraite notre âme se donne.
(Ibid. IV. 8.)
C’est sur le mariage ma mère s’apprête
Que j’ai voulu, monsieur, vous parler tête à tête.
(Ibid. V. 1.)
Le don de votre main l’on me fait prétendre.
(Ibid.)
Deux époux!
C’est trop pour la coutume.— vous arrêtez-vous?
(Ibid. V. 3.)
Suivez, suivez, monsieur, le choix je m’arrête.
(Ibid.)

Molière a même employé , rapporté à un nom de personne, pour à qui:

Et ne permettez pas.......
Que votre amour, qui sait quel intérêt m’anime,
S’obstine à triompher d’un refus légitime,
Et veuille que ce frère l’on va m’exposer
Commence d’être roi pour me tyranniser.
(D. Garcie. V. 5.)
Et je n’en veux l’éclat que pour avoir la joie
D’en couronner l’objet le ciel me renvoie.
(Ibid.)
Le véritable Amphitryon
Est l’Amphitryon l’on dîne.
(Amph. III. 5.)

, dans ce dernier exemple, est adverbe de lieu: dans la maison de qui.

Les Latins de même ont quelquefois employé ubi en relation avec un nom de personne: «Neque nobis præter te quisquam fuit ubi.....» (Cicéron), pour apud quem.

Exemples dans la prose:

C’est elle (la contrainte) qui me fait passer sur des formalités la bienséance du sexe oblige.

(Éc. des mar. II. 8.)

Est-il rien de si bas que quelques mots tout le monde rit?

(Crit. de l’Éc. des fem. 7.)

Eh! sans sortir de la cour, n’a-t-il pas (Molière) vingt caractères de gens il n’a point touché?

(Impromptu. 3.)

Vous ne sauriez m’ordonner rien je ne réponde aussitôt par une obéissance aveugle.

(Pr. d’Él. II. 4.)

Et rends à chacune les tributs la nature nous oblige.

(D. Juan. I. 2.)

Laissons là la médecine, vous ne croyez point.

(Ibid. III. 1.)

Une grimace nécessaire je veux me contraindre.

(Ibid. V. 2.)

Tous les dérèglements criminels m’a porté le feu d’une aveugle jeunesse.

(Ibid. V. 3.)

Serait-ce quelque chose je vous puisse aider?

(Méd. m. lui. I. 5.)

Je viens tout à l’heure de recevoir des lettres par où j’apprends que mon oncle est mort.

(Ibid. III. 11.)

Je te pardonne ces coups de bâton, en faveur de la dignité tu m’as élevé.

(Ibid. III. 11.)

Vous repentez-vous de cet engagement mes feux ont su vous contraindre?

(L’Av. I. 1.)

C’en est assez à mes yeux pour me justifier l’engagement j’ai pu consentir.

(Ibid.)

C’est une chose vous ne me réduirez point.

(Ibid. I. 6.)

C’est un parti il n’y a point à redire.

(Ibid.)

C’est une chose l’on doit avoir de l’égard.

(Ibid. I. 7.)

Elle n’aime ni les superbes habits, ni les riches bijoux, ni les meubles somptueux, donnent ses pareilles avec tant de chaleur.

(Ibid. II. 6.)

Les alarmes d’une personne toute prête à voir le supplice l’on veut l’attacher.

(Ibid. III. 8.)

C’est ici une aventure sans doute je ne m’attendais pas.

(Ibid. III. 11.)

C’est un mariage vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance.

(Ibid.)

Quand je pourrois passer sur la quantité d’égards notre sexe est obligé...

(Ibid. IV. 1.)

Ce sont des suites fâcheuses je n’ai garde de me commettre.

(L’Av. IV. 31)

Ce ne sont point ici des choses les enfants soient obligés de déférer aux pères.

(Ibid.)

C’est une chose tu m’obliges par la soumission et le respect tu te ranges.

(Ibid. IV. 5.)

Je ne vois pas.... le supplice vous croyez que je puisse être condamné pour notre engagement.

(Ibid. V. 5.)

Une journée de travail je ne gagne que dix sols.

(G. D. I. 2.)

Si j’avois étudié, j’aurois été songer à des choses on n’a jamais songé.

(Ibid. III. 1.)

Voilà un coup sans doute vous ne vous attendiez pas!

(Ibid. III. 8.)

C’est une chose je ne puis consentir.

(Ibid. III. 12.)

Voilà une connoissance je ne m’attendois point.

(Pourc. I. 7.)

C’est une chose il y va de l’intérêt du prochain.

(Ibid. II. 4.)

Les sentiments d’estime et de vénération votre personne m’oblige.

(Ibid. III. 9.)

Je renonce à la gloire elles veulent m’élever.

(Am. magn. III. 1.)

Le ciel ne sauroit rien faire je ne souscrive sans répugnance.

(Ibid.)

Un mariage je ne me sens pas encore bien résolue.

(Ibid. IV. 1.)

Une aventure merveilleuse personne ne s’attendoit.

(Ibid. V. 1.)

Que vous arrive-t-il à tous deux vous ne soyez préparés?

(Ibid. V. 4.)

Je ne veux pas me donner un nom d’autres en ma place croiroient prétendre.

(B. gent. III. 12.)

C’est une chose je ne consentirai point.

(Ibid.)

Cette feinte je me force n’étant que pour vous plaire.....

(Comtesse d’Esc. 1.)

Or çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle peut-être ne vous attendez-vous pas.

(Mal. im. I. 5.)

Elle m’a expliqué vos intentions, et le dessein vous êtes pour elle.

(Ibid. I. 9.)

Ces divers emplois de , y compris la relation à un nom de personne, sont autorisés par l’usage constant des plus anciens monuments de notre langue:

« aurai-je fiance?» (R. de Coucy), pour à qui me fierai-je?

—«Karlon, le roi France apent.» (Les quatre fils Aymon); à qui appartient la France.

«Les fils Garin, tant a de fierté.»
(Gérars de Viane.)
«Trestous li Deu croient les François.»
(Ogier le Danois.)
« pensez-vous, frère Symon?
«Je pens, fait-il, à un sermon
«Le meilleur je pensasse oncques.»
(Rutebeuf.)

«Et les gens au monde pour la santé plus il avoit de fiance (Charles V), c’estoit en bons maistres medecins.»

(Froissart. Chron. II. ch. 70.)

On en citerait des exemples innombrables de Montaigne, de Regnier, de Rabelais, etc.; il n’y a qu’à ouvrir le volume.

En voici de Bossuet et de Pascal:

«Les Égyptiens sont les premiers l’on ait su les règles du gouvernement.»

(Bossuet. Hist Un.)

«Ils (les rois) assistoient à une prière pleine d’instruction, le pontife prioit les dieux, etc.....»

(Ibid.)

«Ils ont pris un si grand soin de les rétablir parmi les peuples la barbarie les avoit fait oublier... etc.»

(Ibid.)

«Le premier de tous les peuples l’on voie des bibliothèques est celui d’Égypte.»

(Ibid.)

«Si un animal faisoit par esprit ce qu’il fait par instinct, et s’il parloit par esprit ce qu’il parle par instinct....... il parleroit aussi bien pour dire des choses il a plus d’affection, comme pour dire: Rongez cette corde qui me blesse, et je ne puis atteindre.»

(Pascal. Pensées.)

«Mais pensez un peu vous vous engagez.»

(Pascal. 12e Prov.)

«Mais parce qu’il faut que le nom de simonie demeure, et qu’il y ait un sujet il soit attaché...»

(Ibid.)

«Voilà la doctrine de Vasquez, vous renvoyez vos lecteurs pour leur édification.»

(Ibid.)

«Je ne vous dirai rien cependant sur les avertissements pleins de faussetés scandaleuses par où vous finissez chaque imposture.»

(Ibid.)

«Les méchants desseins des molinistes, que je ne veux pas croire sur sa parole, et je n’ai point d’intérêt.»

(1re Prov.)

«Une action si grande, ils tiennent la place de Dieu.»

(14e Prov.)

Enfin tout le XVIIe siècle a ainsi parlé, et une partie du XVIIIe. C’est de nos jours seulement qu’on a prétendu restreindre à marquer l’alternative ou le lieu, et qu’on a imposé ces affreuses locutions traînantes par laquelle, dans lesquels, à l’aide desquels, chez lesquels, par rapport auxquelles, etc., etc.

Sur ces deux vers de Corneille,

«Et c’est je ne sais quoi d’abaissement secret
« quiconque a du cœur ne descend qu’à regret,»
(Ép. à Ariste.)

Voltaire a eu le tort d’écrire lestement: «Cela n’est pas français.» Racine n’a donc pas non plus parlé français lorsqu’il a dit:

«Et voilà donc l’hymen j’étois destinée?»
(Iphigénie. III. 5.)

et Voltaire lui-même:

«Pardonne à cet hymen j’ai pu consentir.»
(Alzire. III. 1.)
«La honte je descends de me justifier.»
(Zaïre. IV. 6.)
«Sais-tu l’excès d’horreur je me vois livrée?»
(Mérope. IV. 4.)

Alléguer les priviléges de la poésie est une défaite ridicule, qui n’a pu naître que dans un temps où l’on avait perdu le sentiment vrai des choses, et où le raisonnement bannissait la raison. Est-ce qu’un solécisme en prose peut devenir légitime au moyen d’une rime? Il serait absurde de le penser. On me permettra de répéter ici ce que j’ai déjà dit ailleurs: «Ouvrez la Grammaire des grammaires; vous allez être bien édifié! elle distingue adverbe, pronom absolu, et pronom relatif (le pronom relatif ubi!). Elle permet ce dernier , avec un verbe qui marque une sorte de localité physique ou morale. Mais elle avoue que la poésie s’en sert quelquefois en des cas où il n’y a pas localité physique ou morale.

«C’est à ces faiseurs de galimatias double qu’est abandonnée la police de notre langue! Ce sont là nos instructeurs, et les juges en dernier ressort de Molière, de Pascal, de Bossuet, de tous nos grands écrivains! Il fallait effectivement moins de génie pour composer Tartufe ou les Provinciales, que pour surprendre le pronomdans une localité morale

Reprenons donc, il en est temps, une façon de parler vive, commode, excellente, que nous sommes en train de remplacer par la plus lourde et la plus insipide.

—où, pour jusqu’où:

Je ne sais qui me tient, infâme,
Que je ne t’arrache les yeux,
Et ne t’apprenne va le courroux d’une femme.
(Amph. II. 3.)

—où, faisant pléonasme où nous mettrions que:

Et c’est dans cette allée devroit être Orphise.
(Fâcheux. I. 1.)

«C’est ici où je veux vous faire sentir la nécessité de nos casuistes.»

(Pascal. 7e Prov.)

«C’est là où vous verrez la dernière bénignité de la conduite de nos pères.»

(Id. 9e Prov.)

OU (ou bien), pour ni:

Monsieur, j’ai grande honte et demande pardon
D’être sans vous connoître ou savoir votre nom.
(Tart. V. 4.)

OU NON, transporté devant le verbe sur lequel porte l’alternative:

Je ne vais point chercher, pour m’estimer heureux,
Si Mascarille ou non s’arrache les cheveux.
(Dép. am. I. 1.)

Ce n’est point Mascarille ou non, c’est s’arrache ou non. En prose, ou bien n’étant pas contraint par le besoin de la mesure, Molière eût suivi la construction ordinaire.

OU SI, complément d’une interrogation par il, après une troisième personne:

Mon cœur court-il au change? ou si vous l’y poussez?
(Fem. sav. IV. 2.)

OUS, pour vous, dans le langage des paysans:

PIERROT. Je vous dis qu’ous vous teigniois, et qu’ous ne caressiez point nos accordées.... Testiguenne, parce qu’ous êtes monsieur!....

(D. Juan. II. 3.)

Cette suppression du v, suggérée en certains cas par l’instinct de l’euphonie, était régulière et du bon langage dans le vieux français.

Dans la Bourse pleine de sens, de Jean le Gallois d’Aubepierre (XIIIe siècle):

«N’avous honte?—Dame, de quoi?»

Dans la farce de Pathelin, qui est du XVe siècle:

LE DRAPIER.
«Et qu’est cecy? n’avous pas honte?
«Par mon serment c’est trop desvé.»
LE JUGE.
«Comment, vous avez la main haute!
«A’vous mal aux dens, maistre Pierre?»
MAISTRE JEHAN (à Pathelin malade):
Or, dictes Benedicite.
PATHELIN.
Benedicite, monseigneur.
MAISTRE JEHAN.
Et voicy une grant hydeur!
Sça’vous réspondre Dominus?
(Le testament de Pathelin.)

Et encore, au XVIe siècle, cette syncope était maintenue à la cour de François Ier. La reine de Navarre l’emploie dans ses poésies, écrites dans le style le plus élevé du temps:

«Pourquoi a’vous espousé l’estrangière?....
«Mais qu’a’vous faict, voyant ma repentance?...»
(Le Miroir de l’Ame pescheresse.)

Théodore de Bèze consacre cette apocope par une règle formelle. (De linguæ fran. recta pronuntiatione, p. 84.)

(Voyez JE.)

OUTRÉS DE; CONTES OUTRÉS D’EXTRAVAGANCE:

Quoi! tu me veux donner pour des vérités, traître,
Des contes que je vois d’extravagance outrés?
(Amph. II. 2.)

OUVERTURE; FAIRE UNE OUVERTURE:

S’il faut faire à la cour pour vous quelque ouverture.
(Mis. I. 2.)

Bossuet dit: donner ouverture à...

«Le roi n’avoit point donné d’ouverture ni de prétexte aux excès sacriléges.....»

(Or. fun. de la R. d’A.)

(Voyez OUVRIR.)

OUVRIER DE, comme ouvrier en:

On n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues.

(Scapin. I. 2.)

On dit de même, un artisan de troubles.

OUVRIERS en deux syllabes:

On est venu lui dire, et par mon artifice,
Que les ouvriers qui sont après son édifice....
(L’Ét. II. 1.)

Primitivement l’i, dans toutes ces finales en ier, ne sonnait pas; il ne servait qu’à marquer l’accent fermé de l’é. Ainsi l’on prononçait un sangler, un boucler, un rocher, un verger, se coucher. Peu à peu l’on en est venu à faire entendre l’i dans quelques-uns de ces mots, sans pour cela modifier la règle de versification qui les concernait, et l’on s’est récrié sur la barbarie d’oreille de nos pères, quand il n’y avait lieu que d’admirer le peu de mémoire de leurs enfants. En effet, pourquoi dites-vous un sanglier, et ne dites-vous pas un rochier? Pourquoi avez-vous altéré l’orthographe de l’un, et point celle de l’autre? Pourquoi avez-vous introduit la disparité d’écriture et de prononciation entre des mots qui s’écrivaient et se prononçaient jadis de même?

OUVRIR; OUVRIR DES IDÉES:

Je le dois, sire (le succès), à l’ordre qu’elle (Votre Majesté) me donna d’y ajouter un caractère de fâcheux, dont elle eut la bonté de m’ouvrir les idées elle-même...

(Ép. dédic. des Fâcheux.)

«La vérité qui ouvre ce mystère

(Pascal. Pensées.)

OUVRIR DU SECOURS:

Et contre cet hymen ouvre-moi du secours.
(Tart. II. 3.)

OUVRIR LES PREMIÈRES PAROLES, comme ouvrir un avis:

Au moins appuyez-moi,
Pour en avoir ouvert les premières paroles.
(Fâcheux. III. 3.)

OUVRIR L’OCCASION DE:

D’autant mieux qu’ayant entrepris de vous peindre, ils vous ouvroient l’occasion de la peindre aussi.

(Impromptu. 1.)

OUVRIR SES SENTIMENTS, SON INTENTION, comme ouvrir son cœur:

Non, non, ma fille; vous pouvez sans scrupule m’ouvrir vos sentiments.

(Am. magn. IV. 1.)
C’est à quoi j’ai songé,
Et je vous veux ouvrir l’intention que j’ai.
(Fem. sav. II. 8.)

OUVRIR UN MOYEN:

Ne me pourriez-vous point ouvrir quelque moyen?
(Éc. des fem. III. 4.)

(Voyez OUVERTURE.)

PAIN BÉNIT; C’EST PAIN BÉNIT:

C’est conscience à ceux qui s’assurent en nous,
Mais c’est pain bénit, certe, à des gens comme vous.
(Éc. des mar. I. 3.)

C’est-à-dire: aux gens de votre sorte, cela vient aussi naturellement que le pain bénit à la messe.

PAIN DE RIVE, terme technique de gastronomie:

Il ne manqueroit pas de vous parler d’un pain de rive à biseau doré....

(B. gent. IV. 1.)

Pain qui, ayant été placé sur la rive, c’est-à-dire, sur le bord du four, n’a point touché les autres pains, et se trouve cuit et doré tout alentour.

PAMER, verbe neutre, pour se pâmer:

Madame,
D’où vous pourroit venir... Ah bons dieux! elle pâme!
(Sgan. 2.)
Dans ses simplicités à tous coups je l’admire,
Et parfois elle en dit dont je pâme de rire.
(Éc. des fem. I. 1.)
On n’en peut plus.—On pâme.—On se meurt de plaisir.
(Fem. sav. III. 2.)
«Sire, on pâme de joie ainsi que de tristesse.»
(Corn. Le Cid.)

(Voyez ARRÊTER.)

PAQUET, métaphoriquement au figuré, accident, surprise:

Ah! le fâcheux paquet que nous venons d’avoir!
(L’Ét. II. 13.)

PAR; CONDAMNER PAR, à cause de:

J’ai ouï condamner cette comédie à de certaines gens, par les mêmes choses que j’ai vu d’autres estimer le plus.

(Crit. de l’École des fem. 6.)

PAR, par rapport à, du côté de:

Les hommages ne sont jamais considérés par les choses qu’ils portent.

(Ép. dédic. de l’École des maris.)

C’est-à-dire qu’en un présent l’intention est plus considérable que la valeur de l’objet offert.

L’expression de Molière paraît obscure en cet endroit; elle est très-claire dans ce vers:

On regarde les gens par leurs méchants côtés.
(Mis. I. 2.)

PAR, parmi:

D’abord leurs escoffions ont volé par la place.
(L’Ét. V. 14.)

Parmi la place, dans le milieu de la place.

Suivez-moi, que j’aille un peu montrer mon habit par la ville.

(B. gent. III. 1.)

(Voyez PARMI.)

PAR UN MALHEUR, par malheur;

Et moi, par un malheur, je m’aperçois, madame,
Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme.
(Fem. sav. IV. 2.)

DE PAR:

Eh! de par Belzébut, qui vous puisse emporter!
(Sgan. 6.)

L’exactitude voudrait qu’on écrivît de part avec un t: ex parte Beelzebut, de la part de Belzébut. Le rapport du génitif, aujourd’hui marqué par de, l’était primitivement par la simple juxtaposition. Les plus anciens textes écrivent de part:—«De part nostre Seigneur» (Rois, 144, 289, 292.)—«Samuel li prophetes vint à Saül de part Deu.» (Rois, 53.)

De part Dieu, aujourd’hui pardieu, opposé à de part le diable ou de part Béelzebut.

(Voyez PAR SOI, et des Variations du langage français, p. 410.)

PARAGUANTE, de l’espagnol para guantes, pour (acheter) des gants; ce qu’on appelle en allemand Trinkgeld, en français pour boire:

Dessus l’avide espoir de quelque paraguante,
Il n’est rien que leur art aveuglément ne tente.
(L’Ét. IV. 9.)

PARAITRE AUX YEUX pour paraître simplement:

La géante paroît une déesse aux yeux.
(Mis. II. 5.)
Et les soins où je vois tant de femmes sensibles
Me paroissent aux yeux des pauvretés horribles.
(Fem. sav. I. 1.)

FAIRE PARAÎTRE, montrer, manifester:

Nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu’il nous fait paroître.

(Impromptu. 10.)
Quels sentiments aurai-je à lui faire paroître?
(Tart. V. 4.)
Mais ma discrétion se veut faire paroître.
(Tart. III. 3.)
Mais si son amitié pour vous se fait paroître...
(Mis. I. 1.)

«Une amitié paraît, et ne se fait point paraître. On fait paraître ses sentiments, et les sentiments se font connaître.»

(Voltaire. Mél. t. XXXIX, p. 226.)

Cette critique de Voltaire ne constate que l’usage du XVIIIe siècle; mais est-ce à dire que tout ce qui s’écarte de l’usage du XVIIIe siècle soit mauvais par cela seul? Le XVIIIe siècle, malheureusement, fut trop persuadé de la vérité de ce principe.

Pour en juger ainsi vous avez vos raisons;
Mais vous trouverez bon qu’on en puisse avoir d’autres,
Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres.

Voltaire croyait sans doute que cette expression, se faire paraître, était créée par Molière pour le besoin de sa rime; il se trompait:

«Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paroître par ces coups extraordinaires, qu’on doit profiter de ces occasions.»

(Pascal. Pensées. p. 338.)

PAR APRÈS, pour après simplement:

Que j’aye peine aussi d’en sortir par après.
(L’Ét. III. 5.)

Par après est la contre-partie de par avant, qui ne s’emploie plus que sous cette forme, auparavant.

Par ainsi est complétement hors d’usage.

PAR DEVANT, pour devant:

En passant par devant la chambre d’Angélique, j’ai vu un jeune homme.....

(Mal. im. II. 10.)

PARER QUELQUE CHOSE, s’en garantir:

Et quand par les plus grandes précautions du monde vous aurez paré tout cela... vous serez ébahi, etc...

(Scapin. II. 8.)

PARER (SE) D’UN COUP, d’un malheur:

Pour se parer du coup, en vain on se fatigue.
(Éc. des fem. III. 3.)

... Toutes les mesures qu’il prend pour se parer du malheur qu’il craint.

(Crit. de l’Éc. des fem. 7.)
Quoi! de votre poursuite on ne peut se parer?
(Tart. IV. 5.)

On dit encore se remparer.

PARLER, verbe actif; PARLER QUELQUE CHOSE:

Je vous demande, ce que je parle avec vous, qu’est-ce que c’est?

(B. gent. III. 3.)

«Si un animal faisoit par esprit ce qu’il fait par instinct, et s’il parloit par esprit ce qu’il parle par instinct...»

(Pascal. Pensées.)

PARLER CERCLE ET RUELLE:

Moi, j’irois me charger d’une spirituelle
Qui ne parleroit rien que cercle et que ruelle!...
(Éc. des fem. I. 1.)
«Et, sans parler curé, doyen, chantre ou Sorbonne...»
(Regnier. Sat. XV.)
«Ore ils parloient soldat, et ore citoyen
(Id. Sat. II.)

C’est une expression tout à fait analogue à celle du vers célèbre de Juvénal:

Qui Curios simulant et bacchanalia vivunt.

(Voyez ci-dessous parler Vaugelas.)

PARLER suivi de que, comme dire:

Vous avez ouï parler que ce monsieur Oronte a une fille?

(Pourc. II. 4.)

PARLER SUR-LE-CHAMP, improviser:

Vous n’allez entendre chanter que de la prose cadencée ou des manières de vers libres, tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d’eux-mêmes, et parlent sur-le-champ.

(Mal. im. II. 6.)

PARLER TERRE A TERRE:

Expression ridiculisée par Molière:

Il prétend que nous parlions toujours terre à terre,

(Impromptu. 3.)

dit Mlle du Parc, qui représente une précieuse.

parler Vaugelas:

Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,
A cause qu’elle manque à parler Vaugelas.
(Fem. sav. II. 7.)

C’est-à-dire, à la mode de Vaugelas, le français de Vaugelas. Le mot Vaugelas fait ici le rôle d’un adjectif pris adverbialement, comme grec, latin, dans parler grec, parler latin: c’est loqui græce, latine.

(Voyez PARLER CERCLE.)

PARMI, au milieu, par le milieu de:

On est venu lui dire, et par mon artifice,
Que les ouvriers qui sont après son édifice,
Parmi les fondements qu’ils en jettent encor,
Avoient fait par hasard rencontre d’un trésor.
(L’Ét. II. 1.)
Un trésor supposé,
Dont parmi les chemins on m’a désabusé.
(Ibid. II. 5.)
Ce m’est quelque plaisir, parmi tant de tristesse,
Que l’on me donne avis du piége qu’on me dresse.
(Éc. des fem. IV. 7.)

Et jamais il ne parut si sot que parmi une demi-douzaine de gens à qui elle avoit fait fête de lui.

(Crit. de L’Éc. des fem. 2.)

Vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde.

(Impr. I.)
MORON.
Et sa gueule faisoit une laide grimace,
Qui parmi de l’écume, à qui l’osoit presser,
Montroit de certains crocs.
(Pr. d’Él. I. 2.)

Quelle est ton occupation parmi ces arbres?

(D. Juan. III. 2.)

Ne voyez-vous pas bien quel tort ces sortes de querelles nous font parmi le monde?

(Amour méd. III. 1.)
Il faut parmi le monde une vertu traitable.
(Mis. I. 1.)
Il court parmi le monde un livre abominable.
(Ibid. V. 1.)
Et parmi leurs contentions
Faisons en bonne paix vivre les deux Sosies.
(Amph. III. 7.)

On ne demeure point tout seul, pendant une fête, à rêver parmi des arbres.

(Am. magn. I. 1.)

Et, parmi cette grande gloire et ces longues prospérités que le ciel promet à votre union.....

(Ibid. IV. 7.)
Parmi l’éclat du sang vos yeux n’ont-ils vu qu’elle?
(Psyché. I. 2.)
Mais c’est, parmi tant de mérite,
Trop que deux cœurs pour moi, trop peu qu’un cœur pour vous.
(Ibid. I. 3.)

Parmi a pour racines par et mi, apocope de milieu. Mi, au moyen âge, s’employait comme substantif, pour moitié:

«Et le bacon faisoit par mi tranchier.»
(R. d’Ogier le Danois.)

«Il faisait couper le porc par la moitié.»

Ainsi, sans s’arrêter aux distinctions chimériques ni aux subtilités des grammairiens, parmi s’emploie légitimement où il s’agit d’exprimer, au milieu de.

(Voyez PAR.)

PAROLE, ÊTRE EN PAROLE QUE...: être en pour-parler (pour convenir) que...:

Chargement de la publicité...