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Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle

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(Pascal, 1re Prov.)

D’UN SUBSTANTIF OU D’UN ADJECTIF:

Et sur lui, quoiqu’aux yeux il montrât beau semblant,
Petit Jean de Gaveau ne montoit qu’en tremblant.
(Fâcheux. II. 7.)

Gaveau était le nom du marchand de chevaux, petit Jean était son fils ou son valet: le petit Jean de chez Gaveau, comme dans la Comtesse d’Escarbagnas:—Voilà Jeannot de monsieur le conseiller qui vous demande, madame. (Sc. 12.)

Comme à de mes amis, il faut que je le chante
Certain air que j’ai fait de petite courante.
(Fâcheux. I. 5.)

Comme à l’un de mes amis.

Ressouvenez-vous que, hors d’ici, je ne dois plus qu’à mon honneur.

(Don Juan. III. 5.)

Je ne dois plus rien qu’à mon honneur.

D’UN PRONOM PERSONNEL:

C’est donc ainsi qu’absent vous m’avez obéi?
(Éc. des fem. II. 2.)

Moi absent, tandis que j’étais absent, me absente.

La tournure en elle-même n’a rien de blâmable; au contraire, elle s’accorde bien avec la passion qui transporte Arnolphe; seulement il est fâcheux que le mot absent soit placé, de manière à faire équivoque: d’après les règles et les usages de la grammaire, le sens serait, vous absent, tandis que vous étiez absent; et c’est moi absent, en mon absence. Il faut que l’intelligence de l’auditeur supplée à l’inexactitude de l’expression.

ÉLUDER QUELQU’UN DE...., c’est-à-dire, à l’aide, au moyen de:

J’éludois un chacun d’un deuil si vraisemblable,
Que les plus clairvoyants l’auroient cru véritable.
(L’Ét. II. 7.)

Cet exemple se rapporte à DE, employé pour marquer la cause ou la manière.

EMBÉGUINÉ, coiffé, métaphoriquement:

Ce beau monsieur le comte, dont vous êtes embéguiné!

(B. gent. III. 3.)

Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins?

(Mal. im. III. 3.)

EMBUCHE; METTRE EN EMBUCHE, en embuscade:

Va-t’en faire venir ceux que je viens de dire,
Pour les mettre en embûche au lieu que je désire.
(Fâcheux. III. 5.)

Je ferai remarquer qu’on prononce aujourd’hui embûche et embusquer; Nicot ne donne que embuscher. La racine est bois, «car, dit Nicot, les embusches et telles surprinses se font communement dedans le bois.»

Regnard s’est servi de rembûcher, pour dire faire rentrer dans sa cachette:

MERLIN.
«. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Qu’il vous souvienne
«Qu’un jour, étant chez vous, par malheur la garenne
«S’ouvrit, et qu’aussitôt on vit tous vos garçons
«S’armer habilement de broches, de bâtons;
«Et qu’ils eurent grand’peine, avec cet air si brave,
«A faire rembûcher au fond de votre cave
«Et dans votre grenier tous les lapins fuyards,
«Qu’on voyoit dans la rue abondamment épars.»
(Le Bal. 2.)

EMMAIGRIR:

Moi, jaloux! Dieu m’en garde, et d’être assez badin
Pour m’aller emmaigrir avec un tel chagrin!
(Dép. am. I. 2.)

Emmaigrir et non amaigrir, comme portent les éditions modernes. Emmegrir est dans l’édition faite sous les yeux de Molière.

Et c’est la forme primitive du mot:

«E dist al bacheler: Qu’espelt (quid spectat) que tu es si deshaitez e si emmegriz

(Rois. p. 162.)

«Et dit au jeune homme: D’où vient que tu es si défait et si amaigri?»

Nos pères ont composé avec en quantité de verbes, entre autres ceux qui marquent le passage progressif d’un état dans un autre: embellir, enlaidir, emmaladir[51], engraisser, emmaigrir, etc., c’est-à-dire, devenir de plus en plus beau, laid, gras, maigre; tomber malade.

Mais comme la notation en sonnait an, d’où vient qu’on a écrit et prononcé anemi, fame, solanel, les mots figurés, ennemi, femme, solennel, on a de même prononcé, et par suite écrit, amaigrir, agrandir, pour emmaigrir, engrandir; certains mots ont conservé leur syllabe initiale en; d’autres ont totalement péri, par exemple, emmaladir, au lieu de quoi il nous faut dire tomber malade; d’autres enfin ont conservé la double forme, comme ennoblir et anoblir, à chacune desquelles les grammairiens sont parvenus à fixer une nuance particulière, d’abord toute de fantaisie, puis adoptée, et maintenant consacrée par l’usage.

Les grammairiens obtiendront peut-être un jour ce résultat pour maigrir et amaigrir. Déjà, dans un Traité des synonymes, je lis sur ces deux verbes: «Nul doute que la particule initiale du second ne vienne du latin ad......... Maigrir est toujours neutre et intransitif; au contraire, amaigrir se prend d’ordinaire dans le sens actif; au lieu d’énoncer simplement le fait, il le fait comprendre davantage, il le montre s’accomplissant dans un objet, etc.»[52].

J’avoue que je ne saisis pas la distinction que l’auteur s’évertue à établir. Le résumé le plus clair de ce long paragraphe, c’est que maigrir est intransitif, et amaigrir, représentatif. Sunt verba et voces. Les faiseurs de synonymes sont les premiers hommes du monde pour trouver un mot à des énigmes qui n’en ont pas.

Je reviens à la distinction d’anoblir et ennoblir, dont on veut que le premier soit pour le sens propre, et le second pour le sens métaphorique. C’est là, dis-je, une distinction toute chimérique. Montaigne se sert d’anoblir au figuré:

«Les lois prennent leur auctorité de la possession et de l’usage: il est dangereux de les ramener à leur naissance[53]; elles grossissent et s’anoblissent en roulant, comme nos rivières.»

(Montaigne. II. 12.)

Nicot ne connaît pas anoblir, mais seulement ennoblir. Il n’y avait qu’une prononciation; on l’a notée par deux orthographes; puis les gens qui font gloire et métier de raffiner sur les mots, ont voulu assigner à chaque orthographe sa valeur à part.

Le plus simple bon sens indique que toujours l’acception figurée est venue à la suite de l’acception propre: pourquoi donc où l’origine est commune voulez-vous prescrire des formes différentes?

L’étymologie d’ennoblir est in et nobilitare, sans conteste. Et anoblir, d’où viendra-t-il? De ad et nobilitare, sans doute, parce que ad est plus métaphorique que in? Belles finesses!

Dufresny, au contraire, se sert d’ennoblir dans le sens propre:

«Mais ici j’ai de plus un grade que j’ai pris
«Avec feu mon mari, doyen de ce bailliage.
«C’est ainsi que je vins m’ennoblir au village;
«Bonne noblesse au fond, etc.»
(La Coquette de village. I. 1.)

La distinction d’anoblir et ennoblir est toute récente. Le Dictionnaire de l’Académie, de 1718, ne donnait encore qu’ennoblir, avec cette définition: «Rendre plus considérable, plus noble, plus illustre.» Trévoux (1740) met les deux formes, mais seulement comme différence d’orthographe, et en attribuant à chacune les deux valeurs:—«Anoblir se dit figurément en parlant du langage: Anoblir son style. (D’Ablancourt.

Et au mot ENNOBLIR:—«On distingue ordinairement trois degrés de noblesse: l’ennobli, qui acquiert le premier la noblesse; le noble, qui naît de l’ennobli; l’écuyer ou le gentilhomme, qui est au troisième degré. (Le P. Menestrier.

ÉMOUVOIR UN DÉBAT:

Souffrez qu’on vous appelle
Pour être entre nous deux juge d’une querelle,
D’un débat qu’ont ému nos divers sentiments
Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants.
(Fâcheux. II. 4.)

EMPAUMER L’ESPRIT:

Je vois qu’il a, le traître, empaumé son esprit.
(Éc. des fem. III. 5.)

Métaphore prise du jeu de paume. Empaumer la balle, c’est la saisir bien juste au milieu de la paume de la main, ou de la raquette qui remplace la main; ce qui donne moyen de la renvoyer avec le plus de puissance et d’avantage possible.

La racine est palma, syncope du grec παλάμη, paume de la main. Nos pères, ne voulant jamais articuler deux consonnes consécutives, changeaient al en au. Cette règle primitive de formation ou de transformation fut oubliée dès le XVIe siècle; aussi avons-nous aujourd’hui les mots palme, palmé, palmipède.

Nos pères avaient fait le verbe paumoier, que nous avons laissé perdre, et que manier remplace bien faiblement.

EMPÊCHER absolument, dans le sens d’arrêter, embarrasser:

Oui, j’ai juré sa mort; rien ne peut m’empêcher.
(Sgan. 21.)
Mais aux hommes par trop vous êtes accrochées,
Et vous seriez, ma foi, toutes bien empêchées
Si le diable les prenait tous.
(Amph. II. 5.)

Dis-lui que je suis empêché, et qu’il revienne une autre fois.

(L’Av. III. 13)
«Je suis bien empêché: la vérité me presse,
«Le crime est avéré; lui-même le confesse.»
(Racine. Les Plaideurs. III. 3.)

Les Latins employaient de même impeditus au figuré.

EMPÊCHER QUE sans ne. (voyez à NE supprimé.)

EMPLOIS; FAIRE SES EMPLOIS DE QUELQUE CHOSE, en faire son occupation favorite:

Et que je fasse enfin mes plus fréquents emplois
De parcourir nos monts, nos plaines et nos bois.
(Pr. d’Él. I. 3.)

EMPLOYÉ; C’EST BIEN EMPLOYÉ, espèce d’adage:

Poussez, c’est moi qui vous le dis; ce sera bien employé!

(G. D. I. 7.)

Ce sera un effort bien employé, ce sera bien fait.

EMPORTER, au sens figuré:

Monsieur, cette dernière (abomination) m’emporte, et je ne puis m’empêcher de parler.

(D. Juan. V. 2.)

Métaphore tirée de la balance, quand un plateau emporte l’autre.

EN, archaïsme de prononciation pour on:

MARTINE.
Hélas! l’en dit bien vrai:
Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.
.... Ce que j’ai?
—Oui.—J’ai que l’en me donne aujourd’hui mon congé.
(Fem. sav. II. 5.)

Cette confusion de formes, occasionnée par l’analogie des sons, était originairement permanente dans le meilleur langage.

«Et tenoit l’en que le dit arcevesque avoit ung dyable privé qu’il appeloit Toret, par lequel il disoit toutes choses que l’en lui demandoit...... Maugier cheit en la mer, et si se noya que l’en ne le peut sauver.»

(Chr. de Norm., dans le Recueil des historiens des Gaules. XI. 338.)

Les exemples en sont trop communs pour s’arrêter à les recueillir; mais il est intéressant d’observer que cette forme, aujourd’hui reléguée chez le peuple, était encore, au XVIe siècle, en usage à la cour et chez les mieux parlants. Dans l’aînée de toutes les grammaires françaises, celle que Palsgrave écrivit en anglais pour la sœur de Henri VIII (1530), on voit constamment l’en figurer à côté de l’on:

«Au singulier, dit Palsgrave, le pronom personnel a huit formes: je, tu, il, elle, l’en, l’on ou on, et se. Exemple: l’en, l’on ou on parlera, etc.» (Fol. 34 verso.) «Annotations pour savoir quand on doit employer l’en, l’on ou on..... L’en, l’on ou on, peult estre bien joyeux.» (Fol. 102 verso.)

J’ai eu ailleurs l’occasion de montrer que François Ier disait et écrivait: j’avons, j’allons. D’où l’on voit que ces formes, considérées comme des vices de la rusticité, sont nées au Louvre, et sont descendues de la bouche des rois dans celle des paysans.

EN, préposition, représentant par syllepse le pluriel d’un substantif qui n’a figuré dans la phrase qu’au singulier:

Comme l’amour ici ne m’offre aucun plaisir,
Je m’en veux faire au moins qui soient d’autre nature;
Et je vais égayer mon sérieux loisir.....
(Amph. III. 2.)

Je veux me faire des plaisirs qui soient.....

EN sans rapport grammatical:

Mais je ne suis pas homme à gober le morceau,
Et laisser le champ libre aux yeux d’un damoiseau.
J’en veux rompre le cours.
(Éc. des fem. III. 1.)

Rompre le cours de quoi? Des yeux du damoiseau? Des yeux n’ont point de cours. Cet en figure par syllepse avec l’idée d’intrigue, qu’ont fait naître les premiers vers.

EN pour avec, de: ASSAISONNER EN:

Il n’y a rien qu’on ne fasse avaler, lorsqu’on l’assaisonne en louanges.

(L’Av. I. 1.)

EN pour à; S’ALLIER EN:

J’aurois bien mieux fait, tout riche que je suis, de m’allier en bonne et franche paysannerie.

(G. D. I. 1.)

EN, comme, en qualité de:

Autrement qu’en tuteur sa personne me touche.
(Éc. des mar. II. 3.)
Et je puis sans rougir faire un aveu si doux
A celui que déjà je regarde en époux.
(Ibid. 14.)
Je la regarde en femme, aux termes qu’elle en est.
(Éc. des fem. III. 1.)

Je la regarde comme ma femme.

Touchez à monsieur dans la main,
Et le considérez désormais, dans votre âme,
En homme dont je veux que vous soyez la femme.
(Fem. sav. III. 3.)

Cette locution n’a de remarquable que la façon dont Molière l’a placée. Clitandre agit en homme qui vous aime; c’est la manière de parler toute naturelle: en homme se rapporte au sujet Clitandre. Le sens et la grammaire sont d’accord.

Mais: ma fille, considérez monsieur en homme dont....., en homme ne se rapporte plus du tout au sujet, et semble prêter à une équivoque, comme si l’on disait: Madame, considérez ce malheur en homme courageux, c’est-à-dire, comme si vous étiez un homme courageux.

Cette équivoque est ici impossible, et le sens saute aux yeux; mais enfin j’ai cru qu’il y avait matière à une observation, par rapport à la rigueur de l’exactitude grammaticale.

EN, à la manière de: EN DIABLE, voyez DIABLE.

EN surabondant; EN ÊTRE DE MÊME:

Il est très-naturel, et j’en suis bien de même.
(Dép. am. I. 3.)

Hé oui, la qualité! la raison en est belle!

(D. Juan. I. 1.)
Ah! ah! tu t’en avises,
Traître, de l’approcher de nous!
(Amph. II. 2.)
Mais de vous, cher compère, il en est autrement.
(Éc. des fem. I. 1.)

De vous, dans ce dernier exemple, est pour quant à vous, de te: quant à vous, il en est autrement. On ne peut donc pas dire que en y fasse un double emploi réel.

Quels inconvénients auroient pu s’en ensuivre!
(Amph. II. 3.)

Molière suivait ici la règle et l’usage de son temps.

Le grammairien la Touche, dans son Art de bien parler français, dit, à l’article du verbe s’ensuivre: «Dans les temps composés, on met toujours la particule en devant l’auxiliaire être:—Ce qui s’en est ensuivi; les procédures qui s’en étaient ensuivies.» (T. II, p. 204.)

Nos pères composaient avec en tous les verbes qui expriment une idée de mouvement, soit progrès, dérangement, métamorphose:—S’ensauver, s’enpartir, s’endormir, s’entourner, s’enaller, s’enrepentir, etc., etc. On disait de même activement, enoindre, enamer, enappeler, ensuivre, etc., dont les simples sont aujourd’hui seuls usités:

«Je n’ignore pas les lois de la nostre (politesse); j’aime à les ensuivre

(Montaigne.)

Ces verbes se construisaient encore avec la préposition en, même au commencement du 18e siècle. Fontenelle, dans l’Histoire des oracles: «Voyons ce qui s’en est ensuivi;» et l’abbé d’Olivet, dans sa Prosodie: «De là il s’ensuit...;» ce que M. Landais, avec sa confiance intrépide et accoutumée, ne manque pas d’appeler un solécisme, à cause, dit-il, de la répétition vicieuse des deux en.

Il n’y a pas là de répétition vicieuse, ni de solécisme, non plus que lorsque nous disons d’un homme épris d’une femme: il en est enflammé; il en est ensorcelé;—vous avez ouvert la cage de ces oiseaux; il s’en est envolé deux.

Ensuivre, traduction d’insequi, comme poursuivre de persequi, est dans Nicot et dans Trévoux. Le dimanche ensuivant, pour le dimanche suivant, est du style de procédure.

«Le lendemain, ne fut tenu, pour cause,
«Aucun chapitre; et le jour ensuivant,
«Tout aussi peu.»
(La Fontaine. Le Psautier.)

(Voyez EMMAIGRIR.)

EN supprimé:

Tu n’es pas où tu crois. En vain tu files doux.
(Amph. II. 3.)
Je vous montrerai bien. . . . . . . . . . . . . 
Qu’on n’est pas où l’on croit, en me faisant injure.
(Tart. IV. 7.)

Sosie croit être dans le palais d’Amphitryon, Orgon croit être chez soi; et ni l’un ni l’autre ne s’abuse par cette croyance. Mais il s’agit ici d’un point moral, et non du lieu physique: c’est pourquoi je pense qu’il n’est pas permis de supprimer cet en, qui marque la différence des deux locutions être quelque part et en être à.....

EN, relatif à un nom de personne:

C’est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête
Les moyens les plus prompts d’en faire ma conquête.
(L’Ét. I. 2.)

De faire que Célie soit ma conquête.

Le plus parfait objet dont je serois charmé
N’auroit pas mon amour, n’en étant point aimé.
(Dép. am. I. 3.)

C’est-à-dire, si je n’en étais pas aimé.

(Voyez PARTICIPE PRÉSENT, pour si suivi d’un conditionnel.)

Arnolphe dit d’Agnès:

Je l’aurai fait passer chez moi dès son enfance,
Et j’en aurai chéri la plus tendre espérance.
(Éc. des fem. IV. 1.)

L’espérance d’Agnès, c’est-à-dire que donnait Agnès.

Ce n’est là qu’une ébauche du personnage; et, pour en achever le portrait, il faudroit bien d’autres coups de pinceau....

(D. Juan. I. 1.)

Mes justes soupçons chaque jour avoient beau me parler, j’en rejetois la voix qui vous rendoit criminel.

(Ibid. I. 3.)
Allons, cédons au sort dans mon affliction;
Suivons-en aujourd’hui l’aveugle fantaisie.
(Amph. III. 7.)

Le sort est personnifié dans cet exemple, comme les soupçons dans le précédent.

Et tandis qu’au milieu des béotiques plaines
Amphitryon son époux
Commande aux troupes thébaines,
Il en a pris la forme.
(Ibid. prol.)

Jupiter a pris la forme d’Amphitryon.

EN, construit avec un verbe, avec ALLER:

Il faut que ce soit elle, avec une parole
Qui trouve le moyen de les faire en aller.
(D. Garcie. IV. 6.)

Vous ne voulez pas faire en aller cet homme-là?

(Impromptu. 2.)

L’usage est fort ancien de supprimer le pronom réfléchi:

(Voyez ARRÊTER et PRONOM RÉFLÉCHI.)

Ne devrait-on pas écrire tout d’un mot enaller, comme enflammer, s’envoler, s’enfuir, et tous les composés avec en?

Pourquoi la tmèse est-elle prescrite au participe passé de ce verbe, tandis qu’elle est défendue dans les analogues? Pourquoi faut-il absolument dire il s’en est allé, et ne peut-on dire il s’en est volé, il s’en est flammé?

Le peuple dit toujours: il s’est enallé.

Le livre des Rois tantôt fait la tmèse, et tantôt non.

Ce qui a placé ce verbe dans une catégorie particulière, c’est peut-être l’irrégularité de ses formes à certains temps.

On trouve, dès l’origine de la langue, en aller avec ou sans le pronom réfléchi:

«A tant Samuel s’enturnad, e en Gabaa Benjamin s’enalad, e li altre enalerent od Saul.»

(Rois. p. 44.)

On rencontre, à l’impératif, en va, sans le pronom, et va-t-en, avec le pronom:

«Pur co, enva e oci e destrui Amalech.»

(Ibid. p. 53.)

«Truvad Cisnee, ki cusins fu Moysi, e bonement li dist: Vat en d’ici.»

(Ibidem.)

EN (S’) ALLER, pour aller simplement. Molière affectionne la première forme:

Oui, notaire royal.—De plus, homme d’honneur.
—Cela s’en va sans dire.
(Éc. des mar. III. 5.)

Le commissaire viendra bientôt, et l’on s’en va vous mettre en lieu où l’on me répondra de vous.

(Méd. m. lui. III. 10.)
Mais son valet m’a dit qu’il s’en alloit descendre.
(Tart. III. 1.)

—Avec devoir; EN DEVOIR A QUELQU’UN:

Il ne vous en doit rien, madame, en dureté de cœur.

(Princ. d’Él. III. 5.)

—Avec donner et jouer; EN DONNER D’UNE, et EN JOUER D’UNE AUTRE:

Bon, bon! tu voudrois bien ici m’en donner d’une.
(Dép. am. III. 7.)
Pour toi premièrement, puis pour ce bon apôtre,
Qui veut m’en donner d’une, et m’en jouer d’une autre.
(L’Ét. IV. 7.)

Le mot de l’ellipse paraît être le substantif bourde ou plutôt bourle.

(Voyez BOURLE.)

—Avec être; EN ÊTRE JUSQU’A (un infinitif):

Pour moi, j’en suis souvent jusqu’à verser des larmes.
(Psyché, I. 1.)

—Avec payer:

Non, en conscience, vous en payerez cela.

(Méd. m. lui. I. 6.)

—Avec planter; EN PLANTER A QUELQU’UN:

Je sais les tours rusés et les subtiles trames
Dont, pour nous en planter, savent user les femmes.
(Éc. des fem. I. 1.)

En figure ici le mot cornes, qu’on laisse de côté par bienséance et discrétion.

—Avec pouvoir; N’EN POUVOIR MAIS:

.... Ayant de la manière
Sur ce qui n’en peut mais déchargé sa colère.....
(Éc. des fem. IV. 6.)
Est-ce que j’en puis mais? Lui seul en est la cause.
(Ibid. V. 4.)

Mais est le latin magis, qu’on prononçait, dans l’origine, en deux syllabes: ma-his, l’aspiration remplaçant le g du latin. Mais signifie donc plus, davantage; et je n’en puis mais, non possum magis, c’est-à-dire, je n’en puis rien, pas plus que vous ne voyez.

EN POUVOIR QUE DIRE, locution elliptique:

Beaucoup d’honnêtes gens en pourroient bien que dire.
(Éc. des fem. III. 3.)

Pourraient bien avoir ou savoir que dire de cela.

Que représente ici quod, comme dans cette locution: faire que sage; c’est faire ce que fait le sage.

EN, construit avec un substantif ou un adverbe; en Alger:

Il va vous emmener votre fils en Alger.—On t’emmène esclave en Alger!

(Scapin. II. 11.)

Cette façon de parler est née de l’horreur de nos pères pour l’hiatus, même en prose. A Alger, leur paraissait intolérable. En pareil cas, ils appelaient à leur secours les consonnes euphoniques, dont l’n était une des principales, et disaient: Aller A(n) Alger. L’identité de prononciation a fait écrire par e, en Alger.

«Je serai marié, si l’on veut, en Alger
(Corneille. Le Ment.)

Aujourd’hui, que l’euphonie de notre langue a été détruite par l’intrusion des habitudes étrangères, tous les journaux écrivent, et l’on prononce, à Alger. Cela s’appelle un perfectionnement logique.

EN-BAS, EN-HAUT, considérés comme substantifs, et recevant encore devant eux la préposition en:

Qu’est ceci? vous avez mis les fleurs en en-bas?—Vous ne m’aviez pas dit que vous les vouliez en en-haut.

(B. gent. II. 8.)

Nicot écrit d’un seul mot embas, enhault. Perrault, parlant de la feuille d’arbre:

«Lorsque l’hiver répand sa neige et ses frimas,
«Elle quitte sa tige, et descend en en-bas

«Ce mot, en de certaines occasions, doit être regardé comme substantif, car on lui donne une préposition.»

(Trévoux.)

EN DÉPIT QUE..... Voyez DÉPIT.

EN LA PLACE DE:

Et qui des rois, hélas! heureux petit moineau,
Ne voudrait être en votre place!
(Mélicerte. I. 5.)

ENCANAILLER (S’), néologisme en 1663:

Climène (précieuse).—..... Le siècle s’encanaille furieusement!

Élise.—Celui-là est joli encore, s’encanaille! Est-ce vous qui l’avez inventé, madame?

Climène.—Hé!

Élise.—Je m’en suis bien doutée.

(Crit. de l’Éc. des f. 7.)

Il paraît que ce mot fit un établissement rapide, car il est dans Furetière (1684), et sans observation.

S’enducailler, que Chamfort avait fait par représailles, n’a pas eu le même bonheur, sans doute parce qu’il était moins nécessaire.

ENCENS, au pluriel; DES ENCENS, des hommages, des louanges:

Cet empire, que tient la raison sur les sens,
Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens.
(Fem. sav. I. 1.)
Aux encens qu’elle donne à son héros d’esprit.
(Ibid. I. 3.)
Pour moi, je ne vois rien de plus sot, à mon sens,
Qu’un auteur qui partout va gueuser des encens.
(Ibid. III. 5.)

ENCHÈRE; PORTER LA FOLLE ENCHÈRE DE QUELQU’UN:

Vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres, et vous n’avez point de père gentilhomme.

(G. D. I. 6.)

Porter la folle enchère, c’est couvrir à soi seul les mises de tous les autres enchérisseurs, demeurer seul responsable et payer pour tout le monde, et un peu encore au delà.

ENCLOUURE:

De l’argent, dites-vous: ah! voilà l’enclouure!
(L’Ét. II. 5.)

On a deviné l’enclouure.

(B. gent. III. 10.)

L’enclouure est, au propre, la plaie secrète d’un cheval que le maréchal a piqué jusqu’au vif en le ferrant, et qui fait boîter la bête. Comme il est très-difficile de reconnaître au dehors lequel des clous perce trop avant, on est quelquefois obligé de dessoler entièrement le cheval.

De là, le sens figuré de cette expression: deviner l’enclouure.

Nicot ne donne que enclouer, d’où il paraîtrait que le substantif est plus moderne; mais on le rencontre dès le XIIIe siècle:

«Li rois qui payens asseure
«Panse bien cette encloeure (enclouvéure).»
(Complainte de Constantinoble, p. 29.)

ENCORE QUE, quoique:

Encor que son retour
En un grand embarras jette ici mon amour....
(Éc. des f. III. 4.)

Les Italiens disent de même ancora che.

«Encore qu’ils soient fort opposés à ceux qui commettent des crimes...»

(Pascal. 8e Prov.)

La Fontaine affectionne cette expression; elle revient très-souvent aussi dans les Provinciales.

Encore que, pour la construction, est autre que quoique. Quoi n’est pas un adverbe, c’est un pronom neutre à l’accusatif; on ne devrait donc, à la rigueur, l’employer que devant un verbe dont il pût recevoir l’action: quoi que vous disiez; quoi qu’il fasse. Ainsi l’on ne devrait pas dire: quoi qu’ils soient opposés, parce que rien ici ne gouverne quoi. En latin: quod cumque agas, et quamvis sint oppositi. Il faut, en français, prendre l’autre expression, encore que. C’est par abus et par oubli de la valeur des mots qu’on a laissé quoique passer pour adverbe, et en cette qualité usurper indistinctement toutes les positions, au point d’étouffer comme inutile l’autre forme.

ENDIABLER (S’) A (un infinitif):

Chacun s’est endiablé à me croire médecin.

(Méd. m. lui. III. 1.)

ENFLÉ D’UNE NOUVELLE:

Et quand je puis venir, enflé d’une nouvelle,
Donner à son repos une atteinte mortelle,
C’est lors que plus il m’aime.
(D. Garcie. II. 1.)

ENFONCÉ, par métaphore comme plongé: ENFONCÉ DANS LA COUR:

Il est fort enfoncé dans la cour; c’est tout dit.
(Fem. sav. IV. 3.)

ENGAGÉ DE PAROLE AVEC QUELQU’UN:

J’étois, par les doux nœuds d’une amour mutuelle,
Engagé de parole avecque cette belle.
(Éc. des fem. V. 9.)

ENGAGEMENT, condition d’être engagé:

L’engagement ne compatit point avec mon humeur.

(D. Juan. III. 6.)

ENGENDRER la MÉLANCOLIE:

Allons, morbleu! il ne faut point engendrer de mélancolie.

(Méd. m. lui. I. 6.)

ENGENDRER (S’), se donner un gendre:

Ma foi, je m’engendrois d’une belle manière!
(L’Ét. II. 6.)

Que vous serez bien engendré!

(Mal. im. II. 5.)

Remarquez que dans gendre, engendrer, le d est euphonique, attiré entre l’n et l’r, qui se trouvent rapprochés après la syncope du mot latin: gen(era)re, gen(e)rum. C’est ainsi que Vendres représente Veneris, dans le nom de Port-Vendres, portus Ven(e)ris. Les Grecs disaient de même ἀνδρός pour ἀνρός, syncope d’ἀνερός.

Nr attirait le d intermédiaire; ml attirait le b. De humilem, on fit d’abord humele, qui se lit dans les plus anciens textes; puis, par syncope, humle; et enfin humble.

Les lois de l’euphonie sont les mêmes en tout temps comme en tous lieux; seulement elles sont mieux obéies par les peuples naissants que par les peuples vieillis. Il semble que, chez les derniers, la langue soit devenue plus souple à proportion que l’oreille devenait plus dure.

ENGER. Voyez ANGER.

ENGLOUTIR LE CŒUR:

Pouas! vous m’engloutissez le cœur!

(G. D. III. 11.)

ENGROSSER:

N’a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire?

(D. Juan. III. 1.)

Ce mot ne serait plus souffert sur la scène, à cause du progrès des mœurs.

ENNUYER (S’); JE M’ENNUIE, IL M’ENNUIE, absolument, sans complément; et IL M’ENNUIE DE:

Lorsque j’étois aux champs, n’a-t-il point fait de pluie?
—Non.—Vous ennuyoit-il?—Jamais je ne m’ennuie.
(Éc. des fem. II. 6.)

Il vous ennuyoit d’être maître chez vous.

(G. D. I. 3.)

Molière, pour ce verbe, a mis en présence l’ancienne locution et la nouvelle; l’ancienne, qui est la seule logique: il m’ennuie, comme tædet, pœnitet; et la moderne, aujourd’hui seule usitée: je m’ennuie, comme je me repens, quoique la forme réfléchie n’ait ici aucun sens, puisque l’on n’ennuie ni ne repent soi-même. Mais l’usage!...

Il faut, au surplus, observer que se repentir était usité dès le XIIe siècle:

«Deu se repenti que ont fait rei Saul.»

(Rois. p. 54.)

Et la glose marginale:

«Deu ne se puet pas repentir de chose qu’il face.»

«Il n’est pas huem ki se repente

(Ibid. p. 57.)

On trouve à côté de cette forme réfléchie la forme impersonnelle.

«Ore, dit Dieu, ore m’enrepent que fait ai Saul rei sur Israel.»

(Ibid. p. 54.)

Il m’enrepent, me pœnitet.

ENQUÊTER (S’) DE, s’enquérir:

Ils ne s’enquêtent point de cela.

(Pourc. III. 2.)

Quester, par syncope de quæs(i)tare. Quærere a donné querir.

ENRAGER QUE, à cause que:

J’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas bien fait étudier dans toutes les sciences, quand j’étois jeune.

(Bourg. gent. II. 6.)

ENROUILLÉ. Voyez SAVOIR ENROUILLÉ.

ENSEVELIR (S’) DANS UNE PASSION:

La belle chose que de..... s’ensevelir pour toujours dans une passion!

(D. Juan. I. 2.)

Molière a dit de même s’enterrer dans un mari.

(Voyez ENTERRER.)

ENSUITE DE...

Il voudroit vous prier ensuite de l’instance
D’excuser de tantôt son trop de violence.
(L’Ét. II. 3.)

On devrait écrire séparément en suite de, par suite de.

—«En suite des premiers compliments.—En suite de tant de veilles.»

(Pascal. Pensées. p. 370 et 377.)

..... «Une réponse exacte, en suite de laquelle je crois que vous n’aurez pas envie de continuer cette sorte d’accusation.

(Id. 11e Prov.)

«Filiutius n’avoit garde de laisser les confesseurs dans cette peine: c’est pourquoi, en suite de ces paroles, il leur donne cette méthode facile pour en sortir.»

(10e Prov.)

Cette locution est très-fréquente dans Pascal.

ENTENDRE (L’), mis absolument, comme on dirait s’y entendre:

Je pensois faire bien.—Oui! c’étoit fort l’entendre.
(L’Ét. I. 5.)

Le français, surtout celui du XVIIe siècle, a une foule de locutions où l’article s’emploie ainsi sans relation grammaticale, et par rapport à un substantif sous-entendu, dont l’idée, bien que vague, est assez claire.

ENTERRER, figurément; S’ENTERRER DANS UN MARI:

Mon dessein n’est pas..... de m’enterrer toute vive dans un mari.

(G. D. II. 4.)

S’enterrer dans un mari, comme s’ensevelir dans une passion. (Voyez ENSEVELIR.)

ENTÊTEMENT, en bonne part, passion obstinée:

J’aime la poésie avec entêtement.
(Fem. sav. III. 2.)

ENTHOUSIASME, à peu près dans le sens de frénésie:

Mais voyez quel diable d’enthousiasme il leur prend de me venir chanter aux oreilles comme cela!

(Prol. de la Pr. d’Él. 2.)

ENTICHÉ:

Vous en êtes un peu dans votre âme entiché.
(Tart. I. 6.)

Ce mot remonte à l’origine de la langue.

«Sathanas se elevad encuntre Israel, e enticha David que il feist anumbrer ces de Israel e ces de Juda.»

(Rois. p. 215.)

Taxa, taxare aliquem. D’où teche, techer, ou tache, tacher. Entacher, enticher, tacher, tasser et taxer, ont la même origine: taxare. Mais la date relative de leur naissance se révèle par leur forme matérielle.

ENTRECOUPER (S’) DE QUESTIONS:

Ensuite, s’il vous plaît?—Nous nous entrecoupâmes
De mille questions qui nous pouvoient toucher.
(Amph. II. 2.)

ENTREMETTRE (S’) DE....:

Ah, ah! c’est toi, Frosine? Que viens-tu faire ici?—Ce que je fais partout ailleurs: m’entremettre d’affaires, me rendre serviable aux gens.

(L’Av. II. 5.)

Locution qui remonte à l’origine de la langue:

«Saül aveit osted de la terre ces ki s’entremeteient d’enchantement e de sorcerie

(Rois. p. 108.)

ENTRER, construit avec divers substantifs. ENTRER DEDANS L’ÉTONNEMENT:

N’entrez pas tout à fait dedans l’étonnement.
(Dép. am. II. 1.)

ENTRER DANS LES MOUVEMENTS D’UN CŒUR, s’y associer:

C’est que tu n’entres point dans tous les mouvements D’un cœur, hélas! rempli de tendres sentiments.

(Mélicerte. II. 1.)

ENTRER EN DÉSESPOIR:

Et l’accord que son père a conclu pour ce soir
La fait à tous moments entrer en désespoir.
(Tart. IV. 2.)

EN UNE HUMEUR:

J’entre en une humeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font.
(Mis. I. 1.)

«J’entre en une vénération qui me transit de respect envers ceux qu’il (Dieu) me semble avoir choisis pour ses élus.»

(Pascal. Pensées. p. 344.)
«Colette entra dans des peurs nonpareilles.»
(La Fontaine. Le Berceau.)

«Car, mes pères, puisque vous m’obligez d’entrer dans ce discours...»

(Pascal, 11e Prov.)

ENTRER SOUS DES LIENS, se marier:

Ce n’est pas à mon cœur qu’il faut que je défère
Pour entrer sous de tels liens.
(Psyché. I. 3.)

ENTRIGUET. Voyez INTRIGUET.

ENTRIPAILLÉ:

Un roi, morbleu, qui soit entripaillé comme il faut.

(Impromptu. 1.)

ENVERS, préposition, construite avec un verbe:

Je vois qu’envers mon frère on tâche à me noircir.
(Tart. III. 7.)

(Voyez VERS.)

ENVERS DU BON SENS, substantivement:

Un envers du bon sens, un jugement à gauche.
(L’Ét. II. 14.)

ENVIES, au pluriel:

J’en avois pour moi toutes les envies du monde.

(D. Juan. V. 3.)

ENVOYER A QUELQU’UN, l’envoyer chercher:

Armande, prenez soin d’envoyer au notaire.
(Fem. sav. IV. 5.)
Pour dresser le contrat elle envoie au notaire.
(Ib. IV. 7.)

ÉPARGNE DE BOUCHE, pour sobriété:

Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne de bouche.

(L’Av. II. 6.)

ÉPAULER DE SES LOUANGES:

C’est bien la moindre chose que nous devions faire que d’épauler de nos louanges le vengeur de nos intérêts.

(Impromptu. 3.)

ÉPÉE DE CHEVET, métaphoriquement:

Toujours parler d’argent! voilà leur épée de chevet, de l’argent!

(L’Av. III. 5.)

L’épée accrochée au chevet du lit est l’arme sur laquelle on saute tout d’abord, pour se défendre d’une surprise nocturne.

ÉPIDERME, féminin:

La beauté du visage est un frêle ornement,
Une fleur passagère, un éclat d’un moment,
Et qui n’est attaché qu’à la simple épiderme.
(Fem. sav. III. 6.)

L’Académie fait ce mot masculin. Il est vrai que δέρμα est neutre en grec, et que nos médecins ont fait derme masculin. Mais derme est un terme scientifique récent; épiderme est ancien, et du commun usage; et comme il réveille l’idée de la peau, il paraissait plus naturel qu’il fût aussi féminin.

ÉPINES; AVOIR L’ESPRIT SUR DES ÉPINES:

N’ayez point pour ce fait l’esprit sur des épines.
(L’Ét. I. 10.)

On ne comprend pas que des épines matérielles puissent piquer l’esprit, qui est immatériel.

ÉPOUSE:

DON JUAN.

Comment se porte madame Dimanche, votre épouse?.... C’est une brave femme.

(D. Juan. IV. 3.)

Il est vraisemblable que don Juan emploie ici ce mot épouse par moquerie des gens d’état, comme M. Dimanche, qui trouvent ma femme une expression trop basse, et croient mon épouse un terme bien plus digne et relevé.

Et, comme pour mieux faire ressortir cette emphase ironique, don Juan, en homme sûr de son aristocratie, ajoute tout de suite cette expression familière: C’est une brave femme.

Madame Jacob, revendeuse à la toilette et sœur de M. Turcaret, parlant à une baronne, n’a garde non plus de dire mon mari:

«Il fait bien pis, le dénaturé qu’il est! il m’a défendu l’entrée de sa maison, et il n’a pas le cœur d’employer mon époux

(Turcaret. IV. 12.)

ÉPOUSER LES INQUIÉTUDES DE QUELQU’UN:

Le mien (mon maître) me fait ici épouser ses inquiétudes.

(Sicilien. 1.)

Molière dit, dans le même sens, prendre la vengeance, le courroux de quelqu’un. (Voyez PRENDRE.)

ÉPOUSTER:

Oui-dà, très-volontiers, je l’épousterai bien.
(L’Ét. IV. 7.)

Molière a contracté par licence le futur d’épousseter, consultant la prononciation plutôt que la grammaire.

ÉPURÉ DU COMMERCE DES SENS:

Il n’a laissé dans mon cœur, pour vous, qu’une flamme épurée de tout le commerce des sens.

(D. Juan. IV. 9.)

ESCAMPATIVOS, mot espagnol ou de forme espagnole, des échappées:

Ah! je vous y prends donc, madame ma femme! et vous faites des escampativos pendant que je dors!

(G. D. III. 8.)

ESCOFFION, bonnet de femme, cornette:

D’abord leurs escoffions ont volé par la place.
(L’Ét. V. 14.)

La racine est l’italien scuffia, devant lequel on ajoute l’é, comme dans éponge, esprit, et tous les mots qui commencent par ces deux consonnes st, sp, sq, pour éviter d’articuler la première.

Au XVIe siècle, la reine de Navarre écrit, ou plutôt ses éditeurs lui font écrire, scofion:

«Un lit de toile fort desliée... et la dame seule dedans, avec son scofion et chemise, etc.»

(Heptaméron, nouv. 14.)

ESPÉRANCE (L’) DE QUELQU’UN, l’espérance ou les espérances qu’il donne:

Je l’aurai fait passer chez moi dès son enfance,
Et j’en aurai chéri la plus tendre espérance...
(Éc. des fem. IV. 1.)

Je me serai complu dans les espérances que donnait Agnès. Cette expression est embarrassée et peu claire.

ESPÉRER A, espérer dans:

Mais j’espère aux bontés qu’une autre aura pour moi.
(Tart. II. 4.)

«J’espère dans les bontés.» (Voyez AU, AUX.)

ESPRIT CHAUSSÉ A REBOURS:

Tout ce que vous avez été durant vos jours,
C’est-à-dire un esprit chaussé tout à rebours.
(L’Ét. II. 14.)

FAIRE ÉCLATER UN ESPRIT:

Je ne suis point d’humeur à vouloir contre vous
Faire éclater, madame, un esprit fort jaloux.
(Sgan. 22.)

ESSAYER A, suivi d’un infinitif:

Est-ce donc que par là vous voulez essayer
A réparer l’accueil dont je vous ai fait plainte?
(Amph. II. 2.)
Et j’ose maintenant vous conjurer, madame,
De ne point essayer à rappeler un cœur
Résolu de mourir dans cette douce ardeur.
(Fem. sav. I. 2.)

ESSUYER, subir; ESSUYER LA BARBARIE:

C’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d’essuyer sur des compositions la barbarie d’un stupide.

(B. gent. I. 1.)

LA CERVELLE:

On n’a point à louer les vers de messieurs tels,
A donner de l’encens à madame une telle,
Et de nos francs marquis essuyer la cervelle.
(Mis. III. 7.)

(Voyez CERVELLE.)

UN COMBAT:

Je ne m’étonne pas; au combat que j’essuie,
De voir prendre à monsieur la thèse qu’il appuie.
(Fem. sav. IV. 3.)

UNE CONVERSATION:

Ces conversations ne font que m’ennuyer,
Et c’est trop que vouloir me les faire essuyer.
(Mis. II. 4.)

EST après un pluriel. Voyez C’EST après un pluriel.

EST-CE.... OU SI....:

Mais est-ce un coup bien sûr que votre seigneurie
Soit désenamourée? ou si c’est raillerie?
(Dép. am. I. 4.)

De grâce, est-ce pour rire, ou si tous deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin?

(Méd. m. lui. I. 6.)

EST-CE PAS, pour n’est-ce pas:

Lubin. Il aura un pied de nez avec sa jalousie, est-ce pas?

(Georg. Dand. I. 2.)

(Voyez NE supprimé dans une forme interrogative.)

EST-IL DE (un substantif), est-il quelque:

Est-il pour nous, ma sœur, de plus rude disgrâce?
(Psyché. I. 1.)

Marmontel a dit pareillement dans le Sylvain:

«Est-il de puissance
«Qui rompe ces nœuds?»

ESTIME, comme les mots ressentiment, heur, succès, recevant une épithète qui en détermine l’acception favorable ou défavorable:

C’est de mon jugement avoir mauvaise estime,
Que douter si j’approuve un choix si légitime.
(Éc. des fem. V. 7.)

ESTIME DE, comme réputation de; ÊTRE EN ESTIME D’HOMME D’HONNEUR:

En quelle estime est-il, mon frère, auprès de vous?
D’homme d’honneur, d’esprit, de cœur et de conduite.
(Fem. sav. II. 1.)

ESTIME au sens passif, pour l’estime qu’on inspire. Voyez MON ESTIME.

ESTOC; PARLER D’ESTOC ET DE TAILLE, au hasard:

N’importe, parlons-en et d’estoc et de taille,
Comme oculaire témoin.
(Amph. I. 1.)

Par allusion à cette expression, frapper d’estoc et de taille, désespérément, comme l’on peut.

L’estoc est la pointe de l’épée, ou l’épée elle-même, longue et pointue. La racine est stocum, avec l’e initial, comme dans tous les mots commençant en latin par st, sp.

Voyez Du Cange, aux mots Stocum, Stochus et Estoquum.

L’expression d’estoc et de taille remonte très-haut, car on la trouve dans les chartes du moyen âge:

«Diversis vulneribus tam de taillo quam de stoquo vulnerare dicuntur.»

(Ap. Cang. in stoquum litt. rem. ann. 1364.)

D’estoc vient le verbe estoquer (étoquer), encore usité en Picardie. Toquer, dont se sert le peuple, paraît plutôt abrégé d’étoquer, que formé sur l’onomatopée de toc.

Le radical de cette famille de mots est l’allemand stock, canne, bâton; anglais, stick; latin, stocum; italien, stocco; espagnol, estoque, estoquear; français, estoc, estoquer.

ÉTAGE DE VERTU:

C’est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme.

(Préf. de Tartufe.)

ÉTAT, façon de se vêtir, comme l’on dit aujourd’hui la mise; PORTER UN ÉTAT:

Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l’état que vous portez?

(L’Av. I. 5.)

FAIRE ÉTAT DE QUELQUE CHOSE:

Dis à ta maîtresse
Qu’avecque ses écrits elle me laisse en paix,
Et que voilà l’état, infâme, que j’en fais.
(Dép. am. I. 6.)
Elle m’a répondu, tenant son quant-à-soi:
Va, va, je fais état de lui comme de toi.
(Ibid. IV. 2.)
Il connoîtra l’état que l’on fait de ses feux.
(Éc. des mar. II. 7.)
Afin de lui faire connoître
Quel grand état je fais de ses nobles avis.
(Fem. sav. IV. 4.)

FAIRE ÉTAT DE (un infinitif), compter sur, être certain de....:

Sinon, faites état de m’arracher le jour,
Plutôt que de m’ôter l’objet de mon amour.
(Éc. des mar. III. 8.)

Pascal a dit, faire état que, comme compter que:

«Faites état que jamais les Pères, les papes, les conciles....... n’ont parlé de cette sorte.»

(Pascal. 3e Prov.)

ET LE RESTE; c’était la traduction consacrée d’et cætera, qu’on met aujourd’hui sans scrupule en latin:

Je ne manque point de livres qui m’auroient fourni tout ce qu’on peut dire de savant sur la tragédie et la comédie, l’étymologie de toutes deux, leur origine, leur définition, et le reste.

(Préf. des Préc. rid.)
«Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,
«Bon souper, bon gîte, et le reste
(La Font. Les deux Pig.)

C’est-à-dire: bon souper, bon gîte, et cætera. Les commentateurs, qui entendent finesse à tout et sont toujours prêts à enrichir leur auteur, ont supposé que la Fontaine avait créé cette expression pour faire, en termes chastes, allusion aux mœurs amoureuses de ses héros: sur quoi ils lui ont donné de grandes louanges. L’intention peut y être, mais ce ne serait qu’une application d’une façon de parler usuelle.

ÉTONNÉ QUE:

Je fus étonné que, deux jours après, il me montra toute l’affaire exécutée...

(Préf. de la Crit. de l’Éc. des Fem.)

ÊTRE pour aller:

Et nous fûmes coucher sur le pays exprès,
C’est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts.
(Fâcheux. II. 7.)

A peine ai-je été les voir trois ou quatre fois, depuis que nous sommes à Paris.

(Impromptu. 1.)

Et en Hollande, où vous fûtes ensuite?

(Mar. for. 2.)

LUCAS. Il se relevit sur ses pieds, et s’en fut jouer à la fossette.

(Méd. m. lui. I. 6.)

Toutes mes études n’ont été que jusqu’en sixième.

(Ibid. III. 1.)
On servit. Tête à tête ensemble nous soupâmes,
Et, le soupé fini, nous fûmes nous coucher.
(Amph. II. 2.)

Je lui ai défendu de bouger, à moins que j’y fusse moi-même.

(Pourc. I. 6.)

Pascal fait le même usage du verbe être:

«Je le quittai après cette instruction; et, bien glorieux de savoir le nœud de l’affaire, je fus trouver M. N***...»

(1re Prov.)

«Et, de peur de l’oublier, je fus promptement retrouver mon janséniste.»

(Ibid.)

ÊTRE A MÊME DE QUELQUE CHOSE:

Afin de m’appuyer de bons secours..... et d’être à même des consultations et des ordonnances.

(Mal. im. I. 5.)

C’est être dans la chose même, au centre de la chose dont il s’agit; par conséquent aussi bien placé que possible pour en contenter son désir.

On dit être à même, ou à même de, avec ou sans complément:

«On demanda, à un philosophe que l’on surprist à mesmes, ce qu’il faisoit.»

(Montaigne. II. 12.)

Que l’on surprit au milieu de l’action.

La version des Rois dit en meime, suivi du substantif auquel s’accorde même:

«E cumandad à ses fils que il à sa mort fust enseveliz en meime le sepulchre u li bons huem fud enseveliz.»

(P. 290.)

Il commanda qu’on l’ensevelît à même le sépulcre, c’est-à-dire dans le même sépulcre où, etc.

A même est donc une sorte d’adverbe composé, du moins on l’emploie comme tel; mais il est hors de doute que c’est au fond l’adjectif même, avec l’ellipse du substantif.

ÊTRE APRÈS QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire, être occupé à cette chose:

On est venu lui dire, et par mon artifice,
Que les ouvriers qui sont après son édifice....
(L’Ét. II. 1.)

ÊTRE CONTENT DE QUELQUE CHOSE, y consentir volontiers:

ASCAGNE.
Ayez-le donc[54], et lors, nous expliquant nos vœux,
Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux.
VALÈRE.
Adieu, j’en suis content.
(Dép. am. II. 2.)

C’est-à-dire, cette condition me plaît, je l’accepte.

ÊTRE DE, être à la place de:

Mais enfin, si j’étois de mon fils son époux,
Je vous prierois bien fort de n’entrer point chez nous.
(Tart. I. 1.)

(Voyez ÊTRE QUE DE...)

—Faire partie de, être compris dans...:

Mais, monsieur, cela seroit-il de la permission que vous m’avez donnée, si je vous disois... etc.

(D. Juan. I. 2.)

ÊTRE DE CONCERT:

Soyons de concert auprès des malades.

(Am. méd. III. 1.)

ÊTRE EN MAIN POUR FAIRE QUELQUE CHOSE; être en situation avantageuse:

MORON.
Mais laissez-moi passer entre vous deux, pour cause:
Je serai mieux en main pour vous conter la chose.
(Pr. d’Él. I. 2.)

ÊTRE POUR (un infinitif); être fait pour, de nature à...:

Ce seroit pour monter à des sommes très-hautes.
(Fâcheux. III. 3.)

Nous ne sommes que pour leur plaire (aux grands).

(Impr. 1.)
Puisque vous y donnez dans ces vices du temps,
Morbleu! vous n’êtes pas pour être de mes gens.

Être, ou n’être pas pour être, est une expression manifestement trop négligée; mais Molière ne la créait pas, et il était directeur de troupe, souvent pressé par le temps et par l’ordre du roi:

Je crois qu’un ami chaud, et de ma qualité,
N’est pas assurément pour être rejeté.
(Mis. I. 2.)
Le sentiment d’autrui n’est jamais pour lui plaire.
(Ibid. II. 5.)
Les choses ne sont plus pour traîner en longueur.
(Ibid. V. 2.)
Puisque vous n’êtes point en des liens si doux
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous.
(Ibid. V. 7.)
Je ne suis pas pour être en ces lieux importun.
(Tart. V. 4.)
Pareil déguisement seroit pour ne rien faire.
(Amph. prol.)
Ah, juste ciel! cela se peut-il demander?
Et n’est-ce pas pour mettre à bout une âme?
(Ibid. II. 6.)

Lui auroit-on appris qui je suis? et serois-tu pour me trahir?

(L’Av. II. 1.)

Elle sera charmée de votre haut-de-chausse attaché avec des aiguillettes: c’est pour la rendre folle de vous.

(Ibid. II. 7.)

Ses contrôles perpétuels..... ne sont rien que pour vous gratter et vous faire sa cour.

(Ibid. III. 5.)

Il y a quelques dégoûts avec un tel époux, mais cela n’est pas pour durer.

(Ibid. III. 8.)

Je suis homme pour serrer le bouton à qui que ce puisse être.

(G. D. I. 4.)

Si le galant est chez moi, ce seroit pour avoir raison aux yeux du père et de la mère.

(Ibid. II. 8.)

S’il vous demeure quelque chose sur le cœur, je suis pour vous répondre.

(Ibid. II. 11.)

Je ne suis pas pour recevoir avec sévérité les ouvertures que vous pourriez me faire de votre cœur.

(Am. magn. IV. 1.)

Si Anaxarque a pu vous offenser, j’étois pour vous en faire justice moi-même.

(Ibid. V. 4.)
De tels attachements, ô ciel! sont pour vous plaire!
(Fem. sav. I. 1.)
Suis-je pour la chasser sans cause légitime?
(Ibid. II. 6.)

Cette locution, qui paraît abrégée de être fait pour, était usuelle au XVIe siècle et auparavant. Montaigne dit que Socrate, dans une déroute d’armée, se retirait avec fierté:

«Regardant tantost les uns, tantost les aultres, amis et ennemis, d’une façon qui encourageoit les uns, et signifioit aux aultres qu’il estoit pour vendre bien cher son sang et sa vie à qui essayeroit de la luy oster.»

(Montaigne. III. 6.)
«S’il me vient quelque bon hasard
«De par vous, songez que je suis
«Pour le reconnoistre
(Le Nouveau Pathelin.)

ÊTRE QUE DE:

Moi? Voyez ce que c’est que du monde aujourd’hui!
(L’Ét. I. 6.)

Rien n’était si facile que de mettre: ce que c’est que le monde; mais tout le piquant de l’expression s’en va avec le vieux gallicisme.

Molière paraît s’être ici rappelé ce début de la satire de Regnier:

«Voyez que c’est du monde et des choses humaines!
«Toujours à nouveaux maux naissent nouvelles peines.»
(Le Mauvais Giste.)

Si j’étois que de vous, je lui achèterois dès aujourd’hui une belle garniture de diamants.

(Am. méd. I. 1.)

(Voyez DU représentant que le.)

Vous ferez ce qu’il vous plaira; mais si j’étois que de vous, je fuirois les procès.

(Scapin. II. 8.)
Je ne souffrirois point, si j’étois que de vous,
Que jamais d’Henriette il pût être l’époux.
(Fem. sav. IV. 2.)

Que est en français la traduction de quod. Si essem quod de te (sous-entendu est), si j’étais ce qui est de vous.

Le que, dans cette locution, est donc nécessaire, et ne peut en être supprimé que par ellipse.

Si j’étois que de vous, mon fils, je ne la forcerois point à se marier.

(Mal. im. II. 7.)

Si j’étois que des médecins, je me vengerois de son impertinence.

(Mal. im. III. 14.)

Voilà un bras que je me ferois couper tout à l’heure si j’étois que de vous.

(Ibid. III. 3.)

(Voyez p. 166, ÊTRE DE.)

ÊTRE SUR QUELQU’UN, être sur son propos, s’occuper de lui:

Ma foi,
Demande: nous étions tout à l’heure sur toi.
(Dép. am. I. 2.)

ÊTRE ou EN ÊTRE SUR UNE MATIÈRE:

Sur quoi en étiez-vous, mesdames, lorsque je vous ai interrompues?

(Crit. de l’Éc. des fem. 5.)

Vous êtes là sur une matière qui depuis quatre jours fait presque l’entretien de toutes les maisons de Paris.

(Ibid. 6.)

Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que nous poussions.

(Ibid. 7.)

ÊTRE UN HOMME A (un infinitif):

Albert n’est pas un homme à vous refuser rien.
(Dép. am. I. 2.)

ÉTROIT, au sens figuré; ÉTROITES FAVEURS:

Et je serois un fou, de prétendre plus rien
Aux étroites faveurs qu’il a de cette belle.
(Dép. am. I. 4.)

ET SI, et cependant:

Depuis assez longtemps je tâche à le comprendre,
Et si plus je l’écoute, et moins je puis l’entendre.
(Sgan. 22.)

Vous me semblez toute mélancolique: qu’avez-vous, madame Jourdain?—J’ai la tête plus grosse que le poing, et si elle n’est pas enflée.

(B. gent. III. 5.)

Et si paraît être tout simplement l’etsi latin, quoique, écrit en deux mots par erreur, et à cause d’une trompeuse analogie.

ET-TANT-MOINS; l’ET-TANT-MOINS, substantif composé, comme le quant-à-soi:

LUBIN.—Claudine, je t’en prie, sur l’et-tant-moins.

(G. D. II. 1.)

C’est-à-dire que ce soit une avance à rabattre plus tard.

ÉTUDIER DANS UN ART, UNE SCIENCE:

J’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas bien fait étudier dans toutes les sciences quand j’étois jeune!

(B. gent. II. 6.)

EUX AUTRES:

Il s’est fait un grand vol; par qui? L’on n’en sait rien:
Eux autres rarement passent pour gens de bien.
(L’Ét. IV. 9.)

EXACT; UN ESPION D’EXACTE VUE:

Je veux, pour espion qui soit d’exacte vue,
Prendre le savetier du coin de notre rue.
(Éc. des fem. IV. 4.)

Pascal a dit de même, une réponse exacte.

«J’espère que vous y verrez, mes pères, une réponse exacte, et dans peu de temps.»

(11e Prov.)

Exacte est ici au sens de rigoureuse, qui n’omet rien.

Aujourd’hui, une réponse exacte signifierait celle qui arrive à l’heure précise, qui serait ponctuelle. C’est dans ce sens que l’on dit répondre exactement:—Je lui écris toutes les semaines, et il me répond exactement.

EXCELLENT; LE PLUS EXCELLENT:

J’aurois voulu faire voir........ que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes...

(Préf. des Précieuses ridicules.)

EXCITER UNE DOULEUR A QUELQU’UN:

Et, dans cette douleur que l’amitié m’excite.
(D. Garcie. V. 4.)

(Voyez DATIF DE PERTE OU DE PROFIT.)

EXCUSER A QUELQU’UN....., auprès de quelqu’un:

Ne viens point m’excuser l’action de cette infidèle.

(B. gent. III. 9.)

EXCUSER QUELQU’UN SUR:

... Vous m’excuserez sur l’humaine foiblesse.
(Tart. III. 3.)
Je vous excusai fort sur votre intention.
(Mis. III. 5.)

EXCUSES; FAIRE LES EXCUSES DE QUELQUE CHOSE:

Ne m’oblige point à faire les excuses de ta froideur.

(Pr. d’Él. II. 4.)

EXPRESSION; DES EXPRESSIONS, en parlant du mérite d’une peinture:

Dis-nous quel feu divin, dans tes fécondes veilles,
De tes expressions enfante les merveilles.
(La Gloire du Val-de-Grâce.)
De ses expressions les touchantes beautés.
(Ibid.)

EXPULSER LE SUPERFLU DE LA BOISSON. Voyez SUPERFLU.

FACHER; SE FACHER dans le sens de s’affliger:

Ne vous fâchez point tant, ma très-chère madame.
(Sgan. 16.)

FACHERIE, dans le même sens:

En tout cas, ce qui peut m’ôter ma fâcherie,
C’est que je ne suis pas seul de ma confrérie.
(Sgan. 17.)
Et je m’en sens le cœur tout gros de fâcherie.
(Éc. des mar. II. 5.)
Le beau sujet de fâcherie!
(Amph. I. 4.)

FACILE A (un infinitif):

... De véritables gens de bien... faciles à recevoir les impressions qu’on veut leur donner.

(Préf. de Tartufe.)

FAÇON; DE LA FAÇON, ainsi, de la sorte:

On se riroit de vous, Alceste, tout de bon,
Si l’on vous entendoit parler de la façon.
(Mis. I. 1.)

De la façon que, avec un verbe, se trouve dans Pascal:

«Il semble, de la façon que vous parlez, que la vérité dépende de notre volonté!»

(Prov. 8e lettre.)

Et dans Corneille, de la manière que:

«De la manière enfin qu’avec toi j’ai vécu,
«Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.»
(Cinna. V. 1.)

FAÇONNIER, FAÇONNIÈRE, adjectif pris substantivement:

... La plus grande façonnière du monde.
(Crit. de l’Éc. des f. 2.)
De tous vos façonniers on n’est point les esclaves.
(Tart. I. 6.)

Façon est le diminutif de face. La finale on, qui est augmentative en italien, est diminutive en français: Beste, bestion; lutin, luiton; pied, peton; gars, garson; poupe (du latin pupa), poupon; Jeanne, Jeanneton, Pierron, Suzon, etc.

Les façons, par conséquent, sont de petites mines.

(Voyez GRIMACIERS.)

FAIBLE, substantif, LE FAIBLE DE QUELQU’UN:

Et que votre langage à mon foible s’ajuste.
(Dép. am. II. 7.)

C’est le point faible, et non la faiblesse.

Le faible continue à être en usage dans cette locution: Prendre quelqu’un par son faible.

FAILLIR A QUELQUE CHOSE:

Ne me l’a-t-il pas dit?—Oui, oui, il ne manquera pas d’y faillir.

(B. gent. III. 3.)

Aujourd’hui qu’on a retranché, ou à peu près, le verbe faillir, comme suranné, il faudrait dire: Il ne manquera pas d’y manquer. Voilà l’avantage de supprimer les synonymes.

(Voyez FAUT.)

FAIM, désir; AVOIR FAIM, GRAND’FAIM de....:

Je n’ai pas grande faim de mort ni de blessure.
(Dép. am. V. 1.)

Cette locution est demeurée de fréquent usage en Picardie; elle est dans Montaigne:

«Il n’est rien qui nous jecte tant aux perils qu’une faim inconsidérée de nous en mettre hors.»

(Montaigne. III. 6.)

«Il a grand faim de se combattre contre Annibal.—Quand il luy viendra faim de vomir.—Il avait faim de l’avoir

(Nicot.)

FAIRE, pour dire:

AGNÈS.
Moi, j’ai blessé quelqu’un? fis-je tout étonnée...
Hé! mon Dieu, ma surprise est, fis-je, sans seconde...
Oui, fit-elle, vos yeux pour donner le trépas...
(Éc. des fem. II. 6.)

Cet archaïsme remonte à l’origine de la langue.

Le livre des Rois, traduit au XIe siècle, en fait constamment usage, non-seulement pour inquit, mais aussi pour dixit:

«Vien t’en, fist Jonathas.... fist Jonathas: à els irrum...»

(p. 46.)

«Fist li poples à Saul: Comment! si murrad Jonathas?»

(p. 51.)

«Fist li prestres: Pernez de Deu conseil.»

(p. 50.)

Voltaire l’a souvent employé pour donner à son style une teinte de naïveté ironique.

Mais comment le verbe faire s’est-il, dès l’origine de la langue, substitué au verbe dire? Cette substitution n’est pas réelle: elle n’est qu’apparente.

Par suite des habitudes de syncope et des lois de la transmutation des voyelles, il est arrivé que des formes rapprochées en latin ont produit, en français, des formes identiques.

Dicere a donné dire, di(ce)re.

Desi(de)rare, de(si)rare, dire aussi.

(Voyez DIRE, TROUVER QUELQU’UN A DIRE.)

Pareillement, de făcere, fere, et de fāri, faire.

L’oreille les confondait, la plume ne tarda pas à les confondre; et les deux formes sont encore mêlées dans l’orthographe moderne: Je fAis, je fErai, fEsant ou fAisant.

FAIRE, remplaçant dans ses temps, nombres et personnes, un verbe précédemment exprimé, et qu’il faudrait répéter:

Ah! que j’ai de dépit, que la loi n’autorise
A changer de mari comme on fait de chemise!
(Sgan. 5.)
Je risque plus du mien que tu ne fais du tien.
(Ibid. 22.)

Puisque me voilà éveillé, il faut que j’éveille les autres, et que je les tourmente comme on m’a fait.

(Prol. de la Pr. d’Él. sc. 2.)

Comme on m’a tourmenté.

On vous aime autant en un quart d’heure qu’on feroit une autre en six mois.

(D. Juan. II. 2.)
Il l’appelle son frère, et l’aime, dans son âme,
Cent fois plus qu’il ne fait mère, fils, fille et femme.
(Tart. I. 2.)

Le nom du grand Condé est un nom trop glorieux pour le traiter comme on fait tous les autres noms.

(Ép. dédic. d’Amphitryon.)

Il y a un certain air doucereux qui les attire, ainsi que le miel fait les mouches.

(G. D. II. 4)

Les Anglais emploient absolument au même usage leur verbe do, faire, qui n’est autre que le saxon thun. Par exemple, dans cette phrase: «He loves not plays as thou dost, Antony.» (Shaksp. Jul. Cæs.) «Il n’aime pas la comédie comme tu fais, Antoine.» Dost remplace lovest, par une tournure toute française. J’ai montré ailleurs[55] que how do you do, est aussi une formule française traduite avec des mots saxons.

FAIRE, représentant l’idée exprimée par une phrase ou une demi-phrase:

VALÈRE. Je vous proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j’ai.

HARPAGON. Non ferai, de par tous les diables!

(L’Av. V. 3.)

C’est-à-dire: je ne te laisserai pas celui que tu as, à la charge par toi de ne prétendre rien aux autres.

On disait, si ferai, aussi bien que non ferai.

FAIRE (un substantif), être la cause, l’objet, le but de....:

Non, non, vous pouvez bien,
Puisque vous le faisiez, rompre notre entretien.
(Dép. am. II. 2.)
Oui, je veux bien qu’on sache, et j’en dois être crue,
Que le sort offre ici deux objets à ma vue
Qui, m’inspirant pour eux différents sentiments,
De mon cœur agité font tous les mouvements.
(Éc. des mar. II. 14.)

Elle fait tous mes soins, tous mes désirs, toute ma joie.

(B. gent. III. 9.)

FAIRE, suivi d’un adverbe, produire un effet:

Ces deux adverbes joints font admirablement.
(Fem. sav. III. 2.)

FAIRE, représenter, dépeindre:

Mais, las! il le fait, lui, si rempli de plaisirs[56],
Que de se marier il donne des désirs.
(Éc. des fem. V. 4.)

FAIRE, simuler, feindre:

Je ferai le vengeur des intérêts du ciel.

(D. Juan. V. 2.)
Est-ce par les appas de sa vaste rhingrave
Qu’il a gagné votre âme en faisant votre esclave?
(Mis. II. 1.)

M’engager à faire l’amant de la maîtresse du logis, c’est.... etc.

(Comtesse d’Esc. 1.)

C’est ainsi qu’on l’emploie en parlant des rôles de théâtre: Molière faisait Sganarelle; il faisait aussi les rois et les personnages nobles; il faisait don Garcie, et il y fut sifflé à double titre, comme auteur et comme acteur.

FAIRE A QUELQUE CHOSE, y contribuer:

Même, si cela fait à votre allégement,
J’avouerai qu’à lui seul en est toute la faute.
(Dép. am. III. 4.)

FAIRE BESOIN, être nécessaire:

Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,
Nous sommes les chéris et les incomparables.
(L’Ét. I. 2.)
S’il vous faisoit besoin, mon bras est tout à vous.
(Dép. am. V. 3.)

FAIRE CONTRE QUELQU’UN, agir contre ses intérêts:

Il faut avec vigueur ranger les jeunes gens,
Et nous faisons contre eux à leur être indulgents.
(Éc. des fem. V. 7.)

(Voyez FAIRE POUR QUELQU’UN.)

FAIRE DE (un substantif), traiter, en agir avec:

Et tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage.
(Éc. des mar. I. 1.)
Je voudrois bien qu’on fît de la coquetterie
Comme de la guipure et de la broderie.
(Ibid. II. 9.)

FAIRE DU...., prendre le rôle de...., FAIRE DE SON DRÔLE:

J’ai bravé ses armes assez longtemps (de l’amour), et fait de mon drôle comme un autre.

(Pr. d’Él. II. 2.)

J’ai ouï dire, moi, que vous aviez été autrefois un bon compagnon parmi les femmes; que vous faisiez de votre drôle avec les plus galantes de ce temps-là....

(Scapin. I. 6.)

«Faire du roy, faire du capitaine, pro rege se gerere, imperatorias partes sumere. Faire du liperquam, se montrer le grand gouverneur.»

(Nicot.)

Faire, dans ces locutions, se rapporte au sens de feindre, simuler. (Voyez p. 174.) Le de, marque du génitif, suppose une ellipse: faire (le rôle) du roi; faire (le rôle) du liperquam.

Ce mot liperquam, qui est une corruption de luy per quem (sous-entendu omnia geruntur), ou plutôt qui est la notation fidèle de la manière dont on prononçait ces mots latins au moyen âge, paraît renfermer l’origine du mot péquin. Un péquin, ou un per quem, est un fat qui tranche de l’important, qui se monstre le grand gouverneur, qui fait du liperquan.

(Voyez des Variations du langage français, p. 414.)

FAIRE DES DISCOURS, UN DESSEIN, DES CRIS; FAIRE PLAINTE, FAIRE ÉCLAT:

Tous ces signes sont vains: quels discours as-tu faits?
(L’Ét. III. 4.)

Je quitterois le dessein que j’ai fait!

(Mar. forc. 2.)

Tu vois, Toinette, les desseins violents que l’on fait sur lui (sur son cœur)!

(Mal. im. I. 10.)
Comment, bourreau, tu fais des cris?
(Amph. I. 2.)
J’ai peine à comprendre sur quoi
Vous fondez les discours que je vous entends faire.
(Ibid. II. 2.)
Est-ce donc que par là vous voulez essayer
A réparer l’accueil dont je vous ai fait plainte?
(Ibid. II. 2.)
La plus rare vertu
Qui puisse faire éclat sous un sort abattu.
(L’Ét. III. 4.)

FAIRE EN..., agir en:

Il sait faire obéir les plus grands de l’État,
Et je trouve qu’il fait en digne potentat.
(Fâcheux. I. 10.)
J’avois mangé de l’ail, et fis en homme sage
De détourner un peu mon haleine de toi.
(Amph. II. 3.)

EN FAIRE A QUELQU’UN POUR....:

J’en suis pour mon honneur; mais à toi, qui me l’ôtes,
Je t’en ferai du moins pour un bras ou deux côtes.
(Sgan. 6.)

Je t’en donnerai pour un bras ou deux côtes.—C’est-à-dire, il t’en coûtera un bras ou deux côtes.

Cette expression est empruntée au langage technique du commerce, où l’on dit: Faites-moi de cette marchandise pour telle somme.—On n’en fait pas pour ce prix.

«Le marchand fit son chantre mille écus, et son grammairien trois mille.»

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

FAIRE LE FIN DE QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire relativement à quelque chose, de aliqua re:

Mais, je ne t’en fais pas le fin,
Nous avions bu de je ne sais quel vin
Qui m’a fait oublier tout ce que j’ai pu faire.
(Amph. II. 3.)

IL FAIT, impersonnel, construit avec l’adjectif sûr, comme avec l’adjectif bon, beau, clair, etc.:

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