Louis XIV et Marie Mancini d'après de nouveaux documents
Mémoires de la duchesse de Mazarin, écrits par elle-même, en collaboration avec l'abbé de Saint-Réal.—Mémoires de Marie Mancini, dont la première partie lui est faussement attribuée; authenticité probable de la seconde.—Apologie, ou les véritables Mémoires de Madame Marie Mancini, connétable Colonna, etc.—Preuves de leur authenticité.—Autres sources consultées: Lettres de la marquise de Villars; Mémoires de la cour d'Espagne, par Mme d'Aulnoy; Relation du voyage d'Espagne, par la même; Mémoires attribués au marquis de Villars, ambassadeur de Louis XIV en Espagne; Lettres de Mme de Sévigné et de Mme de Scudéry, etc., etc.
Les Mémoires de la Duchesse de Mazarin, que cette belle personne écrivit de compte à demi avec le galant abbé de Saint-Réal [279], obtinrent un tel succès à leur apparition, qu'un anonyme s'empressa de publier presque aussitôt des Mémoires, en partie apocryphes, attribués à la connétable Colonna [280]. La première moitié de cet opuscule est évidemment fabriquée à plaisir; pas la moindre vraisemblance, pas le moindre esprit, pas une anecdote amusante, et le tout dans un français détestable. Il n'en est pas de même de la seconde moitié, remplie de récits piquants, d'aventures parfois très légères, de détails qui ne peuvent avoir été donnés que par la connétable elle-même, mais en confidence et à quelque ami intime. Cette Relation, qui n'était pas destinée à voir le jour, paraît avoir été écrite par elle en Espagne, pendant qu'elle était captive dans le couvent de Saint-Dominique-le-Royal. Une indiscrétion fit sans doute tomber cette Relation entre les mains d'un inconnu, et celui-ci, en la faisant précéder de quelques pages de sa façon, s'empressa de la publier.
La connétable, fort émue, fort irritée de cet abus de confiance, de cette publication, qui fit grand scandale, surtout à Rome et en Italie, où il en courut une traduction en italien [281], n'imagina rien de mieux que de prendre la plume et de rédiger un petit volume sous ce titre: Apologie, ou les véritables Mémoires de Mme Marie Mancini, connétable de Colonna, écrits par elle-même [282].
L'authenticité de ces Mémoires est hors de doute. Elle est formellement attestée par la marquise de Villars, femme de l'ambassadeur de Louis XIV en Espagne. Au moment où ils parurent, elle voyait souvent à Madrid la connétable Colonna, et elle écrivait alors à Mme de Coulanges: «Elle a fait un livre de sa vie, qui est déjà traduit en trois langues, afin que personne n'ignore ses aventures; il est fort divertissant [283].» N'eussions-nous pas ce témoignage formel, il serait impossible, après avoir lu l'Apologie, de ne pas l'attribuer à son véritable auteur, tant les détails que donne la connétable sur certaines particularités de sa vie, concordent de tous points avec les correspondances et les Mémoires du temps, qui n'avaient point encore paru. Ajoutons que c'est une œuvre toute personnelle, écrite évidemment par une grande dame, très familiarisée avec notre langue, fort à la hauteur des sujets qu'elle traite ou qu'elle effleure, et que tout trahit Marie Mancini, jusqu'aux italianismes, qui lui échappent de temps en temps et qui ne prêtent qu'une grâce de plus à son récit [284].
C'est d'après ces Mémoires authentiques et d'une extrême rareté, et en consultant d'autres sources contemporaines, telles que les lettres de Mme de Villars, les Mémoires de la duchesse de Mazarin, ceux de Mme d'Aulnoy sur la cour d'Espagne, la correspondance de Mme de Sévigné et d'autres documents épars, que nous allons essayer de retracer la fin de la vie de cette singulière personne, véritable héroïne de roman.