Ma Fille Bernadette
NOUVEAUX PROGRÈS
Tu t’émancipes lentement, tes jambes et tes bras se délient, tu peux redresser à la façon d’un rameur ton buste dans ton berceau. Tu appelles, tu appelles, tu appelles la chienne : « iane… iane… ». Tu commences d’apercevoir les détails, les reflets des glaces où tu te souris de tes six dents. Tu t’intéresses à tout avec passion. Tu regardes d’un œil soutenu les anguilles que je rapporte de la pêche. Le grand chaos pour toi s’ordonne ! La vue du sirop purgatif et de la seringue te font pleurer. Viendra le jour qu’au-dessus du miroir noir tu voudras saisir le papillon de feu bleu qui, dans son cadre, évoque les forêts dont mon père m’a transmis l’ardeur, forêts qui baignent sans doute dans un ciel pareil à cet insecte géant qu’écaille une limaille d’azur. Papillon, miroir, seringue, sirop, anguilles, chienne, berceau, papa, maman, voilà les premiers exemples de ta grammaire vivante, le vocabulaire que tu traduis dans une langue diffuse qui embrouille les syllabes, compose un mot avec les assonances d’autres mots, se résout parfois dans un appel semblable à celui d’une perruche. Ton progrès est une agitation. Comme le jeune oiseau tâte l’air avec ses plumes, tu palpes le monde avec les ailes de ta petite âme qui bat, qui est là pareille, quand je te tiens, à cette fauvette au bord du nid, ta petite âme qui est là au bord de tes yeux, de ta bouche et de ta vie ; qui est là. Et tu cries ! Et tu cries ! Et tu saisis à deux mains ton pied nu et tu le portes à ta bouche, parce qu’un pied c’est pour s’amuser.