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Ma Fille Bernadette

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L’ANGE GARDIEN

Comme un flocon de neige inattendu au milieu de l’Été, elle est apparue sur le seuil tenue dans sa robe de baptême. Et les pauvres petits du quartier avaient jonché le sol de buis et de baies de sureau. Et ils ont crié : « Vive Mlle Bernadette ! » Et dans mon cœur pris par tant de douce naïveté, Vous seul, ô mon Dieu ! avez su ce que je Vous disais. Car vous êtes mon Dieu et Bernadette est ma fille. C’est Vous qui l’avez envoyée du fond de Votre Ciel à deux voyageurs ici-bas qui Vous louent de ce qu’elle repose dans son humble nid sous un rayon de gloire. C’est un prodige adorable que Votre main, qui soulève les flots, nous offre cette rose frêle.

De tout temps Vous aviez prévu son éclosion, car dans Votre éternel dessein Vous voyez se presser sur la fresque du firmament, parmi les ailes des anges gardiens, les faces innombrables des nouveau-nés. Parfois Votre regard qui confond les abîmes se repose. Et je ne sais si ce n’est pas alors que Vous le tournez vers ces petits et que, l’élevant au-dessus d’eux, Vous contemplez Votre propre Fils dans sa crèche.

Oh ! quel poète décrira ce paradis entr’ouvert sur ces légions d’enfants ! Il en est parmi eux qui attendent leur tour de descendre sur la terre et il en est, hélas ! qui en ont été rappelés trop tôt à notre gré. Cependant, vous qui pleurez, consolez-vous, car ceux-ci sont dans la béatitude et ils vous tendent les bras et gonflent leurs joues et l’un d’eux parfois gazouille en demandant pour vous une grâce à la Trinité formidable.

A chaque enfant son nid. Et ce nid, il est tantôt de simple paille comme celui de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et caché dans une étable. C’est ainsi que dans son humilité Dieu imite le passereau. Et tantôt ce nid est de roseaux comme celui de la fauvette de rivière, et la fille du Pharaon qui va au bain sauve et recueille Moïse. Il est encore des nids de bois précieux qu’abritent des villas de marbre, suspendues au-dessus de la mer comme des aires de grands oiseaux. Et le nid de Henri IV est une écaille de tortue dans un château qui communique avec le gave, à la mode du martin-pêcheur. Et la femme de l’Indien tresse un hamac d’aloès qu’elle suspend à l’ombre des roses de la Louisiane, et les colibris s’y trompent et s’en viennent butiner sur les lèvres de son fils.

Les premières soies dont on tisse un nid d’enfant, ce sont les cheveux que s’arrache en rêvant la jeune fille qui les donne à son fiancé. Ainsi la tourterelle choisit les duvets les plus doux à son cœur. Le nid de Bernadette fut commencé de cette sorte, puis des fils de lin blanc tramés autour l’épaissirent et, comme un cocon entr’ouvert, il fut fixé entre les barres de l’humble berceau d’où s’élèvent les vapeurs du tulle. Le tout repose sur un vieux plancher, au-dessus d’une grange.

Les hirondelles revenues de l’Extrême-Orient ont pondu et couvé en bas et leurs petits semblaient s’en être allés quand arrivait Bernadette. Mais le gazouillement continue et je ne sais trop parfois si c’est Bernadette qui hante le berceau des hirondelles ou si ce sont les hirondelles qui visitent le nid de Bernadette. Enfants, oiseaux, vous parlez une même langue !


— Qu’avez-vous vu ? demande la petite fille à ses amies ailées.

Et celles-ci :

— Nous avons vu l’empereur de Chine. Il coiffe un chapeau qui sonne comme ton hochet. Le toit de son palais est pareil à son chapeau, mais nous n’avons point pondu sous les corniches de peur que l’on ne prît nos nids pour les manger. Nous avons plané au-dessus des pagodes des diables et passé la mer pour venir jusqu’ici. Nous nous reposions sur le pont des navires où nous becquetions dans les doigts de jeunes passagères. Quand nous repartions elles pleuraient, portant une main à leur cœur et l’autre au-dessus de leurs yeux pour nous suivre longtemps à travers leurs larmes.

Ainsi parlent les hirondelles, mais Bernadette gazouille ainsi :

— Je viens d’un Empire céleste qui n’est pas le même que celui que vous chantez. J’ai été amenée sur la terre, pour l’amour de mes parents, par l’ange gardien dont j’entrevois, tout contre mon bonnet, la figure comme une belle pomme rouge. Voyez, il ne me quitte pas, il m’accompagne dans le jardin où mon aïeule me promène sous le beau temps des feuilles dans lesquelles on entend le vent bruire comme un ruisseau. Il a les mains jointes. Mais les ailes parfois battent en silence pour louer le Seigneur. Et alors je m’efforce à retenir dans mes doigts un peu de la brise dont elles me caressent.

Et il est vrai que l’ange gardien de Bernadette déjà la protège, et qu’il la préservera des mille dangers que courent les petits. Si elle tombe, il étendra la main, telle qu’une palme pacifique, pour que le front ne bute pas contre le pavé. Et si elle frotte des allumettes, l’ange, avec le même arrosoir qu’elle aura fait bruiner sur les fleurs, détrempera le phosphore pour qu’elle ne s’incendie pas. Et si, dans le jardin, elle porte à la bouche quelque baie vénéneuse, l’ange fera s’envoler un papillon si bleu que Bernadette ravie jettera cette baie pour ne s’occuper plus que de l’insecte. Et si, dans la rue, elle s’échappe et qu’elle soit menacée d’être écrasée par quelque voiture, il saisira par la bride le bon cheval en lui disant :

— Je suis l’ange gardien de la petite fille.

O Bernadette ! j’ai vu, dans un livre de la Bibliothèque rose, une gravure qui représente un ange gardien qui donne la main à une petite fille, et jamais je n’oublierai cette gravure : Dans le difficile sentier du Ciel l’être divin conduit l’enfant semblable à quelque Chaperon rouge. Des forêts aux arbres merveilleux s’étendent à côté, mais on les devine suspectes et c’est loin d’elles que le serviteur de Dieu entraîne sa frêle protégée. « O mon enfant ! semble-t-il lui dire, ne va point cueillir ces fruits des Mille et une Nuits et garde-toi de ces corolles pleines d’un encens empoisonné. Mais plutôt, suivons ce chemin rocailleux que ne bordent que les mûres et les marjolaines. »

Tu écouteras, ô ma fille ! les conseils de ton ange. Si calme que soit une existence, des souffles qui donnent le vertige s’élèvent parfois de la forêt maudite et séduisante. Ne quitte pas alors le chemin que Dieu t’a tracé. Que les violettes de notre petite propriété suffisent à charmer ton cœur ! Du haut d’une côte tu contempleras parfois la vie simple dont tu te seras contentée : cette maison où fut ton nid, les géraniums sur le mur du jardin, l’église, la place, la fontaine. Cette existence un peu obscure te sera chère parce que ton cœur l’illuminera du feu de Dieu, comme l’étoile de Bethléem éclaira les rois mages.

Mais tu es encore loin de ce moment où l’on connaît le trouble et qui vous rend semblable à un ruisseau de Mai sous de légers orages. Avant que je m’en aille tu reviendras souvent vers nous, n’est-ce pas ? Et ton ange gardien sera le frère de ce voyageur inconnu qui accompagne et ramène le jeune Tobie à la maison. O ma Bernadette ! tu songeras à cette grande histoire, au chien qui aboie pour annoncer le retour, au père aveugle et guéri par le fiel du poisson. A la manière dont je me lèverai du coin du feu pour t’accueillir, tu devineras que l’ombre commence de peser sur mes yeux fatigués. Et tu prieras ton ange pour que la lumière me soit conservée. Alors il ouvrira quelque armoire et, sur les draps qui seront mon linceul, il prendra un livre et te le tendra. Et il se tiendra debout, t’enveloppant d’une aile, cependant que tu me liras les Saintes Écritures pour que j’y trouve l’onguent qui descelle les paupières. Et c’est toi qui m’aideras à entrer dans la tombe puisque c’est moi qui t’ai aidée à sortir du berceau.

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