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Mémoires de Céleste Mogador, Volume 2

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XX
UN SOUPER AU CAFÉ ANGLAIS.

La mort de Lise marque une des phases les plus tristes de ma vie. J'étais tombée dans un découragement profond. Les espérances ambitieuses qui m'avaient soutenue s'étaient évanouies. L'exaltation qui m'avait portée à mettre fin à mes jours s'était affaissée. Mon dégoût pour l'existence n'avait pas diminué; seulement mon courage, pour en rejeter le fardeau, n'était plus le même. Le mal dont je souffrais, c'était une défiance absolue, invincible; je le pensais, du moins.

Je ne croyais plus à l'affection; je ne croyais qu'à l'amour du jour, à l'amour sans dévouement et sans lendemain. Mon âme en était saturée.

On m'a bien souvent reproché d'avoir torturé ceux qui m'ont aimée. Si j'avais eu ce malheur, je pourrais au moins me rendre cette justice, que je n'ai jamais agi par méchanceté et par calcul. Le doute qui me dévorait le cœur a seul inspiré ma conduite, et a pu me donner quelquefois l'apparence de l'ingratitude et de l'insensibilité. L'incrédulité, dans le cœur d'une femme, est pour cette femme une poignante souffrance; mais elle lui donne sur les autres caractères une force et un ascendant presque irrésistibles.

J'appris alors une nouvelle assez étrange, qui m'impressionna d'autant plus qu'elle se rattachait aux idées, aux sentiments et aux doutes qui vibraient douloureusement en moi, depuis la mort de Lise.

Cette nouvelle était relative au pauvre pianiste, que j'avais accusé d'inconstance, en me raillant moi-même d'un instant de faiblesse et de crédulité.

On vint me dire qu'après notre séparation, H... avait eu un grand chagrin; il était tombé malade, sans qu'il fût possible à la science de déterminer le caractère de sa maladie. On lui conseilla la distraction; il partit pour l'Italie, visita Rome, s'y fit catholique et entra dans un couvent. J'avais bien de la peine à croire, comme on me l'assurait, que cette détermination eût été causée par la douleur qu'il avait ressentie de notre séparation; en tout cas, il avait été bien inspiré, et je répondis en souriant, à la personne qui me contait cette histoire, que si je damnais tous mes amis comme celui-là, l'Église me devrait une récompense. Au fond de l'âme, pourtant, j'étais plus émue que je ne voulais le paraître.

J'avais mon logement en horreur: je n'y avais pas été heureuse, et, pour ne pas y rester, je passais les nuits dehors.

Deligny avait repris ses habitudes de dissipation. Je le suivais, je criais bien haut pour ne pas entendre ma tristesse. Ma santé était profondément altérée, depuis ma tentative de suicide. On n'avale pas impunément le gaz d'un boisseau de charbon; je toussais, j'avais le feu à la poitrine; je buvais du champagne pour l'éteindre; je me figurais mourir comme Lise. Mais loin de m'effrayer des approches de la mort, je l'aurais acceptée comme un bienfait.

Une pareille situation d'esprit ne contribuait pas à rendre mon humeur égale. Je tyrannisais Deligny. A toutes ses protestations de tendresse, je répondais invariablement:

—Vous m'aimez aujourd'hui; vous le dites au moins. Que je tombe malade, vous me laisserez là comme un chien; que je meure, vous ne me donnerez pas un regret.

Rien ne pouvait m'ôter cette idée de la tête.

J'avais fini par réussir à m'étourdir. Un souper en amenait un autre; je ne dormais plus: je trouvai le repos de mes souvenirs.

Au milieu des désordres de cette folle existence, je m'étais liée avec une petite femme qui était venue au magasin; elle était gentille, spirituelle et insouciante du lendemain. Cette femme était la maîtresse de Brididi.

Elle m'avait d'abord détestée; elle était venue me voir par curiosité et s'était attachée à moi. Nous devînmes amies. Comme cela, elle me surveillait et était sûre que je ne m'occupais pas de son cher Brididi, qui, de son côté, m'avait, je crois, tout-à-fait oubliée. Deligny étant parti pour M..., je me trouvais seule et je passais beaucoup de temps avec elle. Sa gaîté était intarissable, son cœur était bon, trop bon même, car elle avait une grande faiblesse en amour. Brididi en abusait un peu; il était tout fier d'inspirer une si grande passion. Il avait raison, du reste; elle était vraiment charmante: une jolie taille, de jolis yeux, de jolis cheveux ondés qui lui valurent le nom de Frisette.

Ce que j'aimais surtout en elle, c'était sa bonté; elle rendait service à qui elle pouvait et se cachait pour éviter un remercîment; n'ayant que six sous pour prendre l'omnibus, elle les donnait à un pauvre et faisait sa course en chantant. Si l'énergie manquait dans cette tête et dans ce cœur, il y avait, en revanche, de bien excellentes qualités.

Ces qualités avaient survécu au vice, qui les étouffe chez tant d'autres femmes. Quand ma folie parlait raison, elle écoutait, m'approuvait; enfin, je l'aimais beaucoup.

Je ne sais laquelle de nous deux mena l'autre à un souper au café Anglais. Je m'y rendis, comme j'allais à toutes ces parties, par désœuvrement, sans me promettre beaucoup de plaisir. J'étais loin de me douter que cette soirée exercerait une influence décisive sur ma vie et en préparerait peut-être le dénoûment.

Je me trouvai, à ce souper, en pays de connaissance. Je reconnus plusieurs personnes que j'avais vues chez Lagie.

Le fond de mon caractère a toujours été sérieux. Le temps que d'autres consacraient à dire ou à écouter des folies, je l'employais en général à me rendre compte des caractères avec lesquels j'étais en contact, et à lire en quelque sorte les physionomies nouvelles que je rencontrais.

Mon attention se fixa d'abord sur un jeune homme de trente ans environ, grand, maigre, brun, pâle; le front d'une largeur et d'une hauteur ridicules; la figure allongée, mince du bas, les yeux grands et noirs, le nez pointu, la bouche moyenne, les dents gâtées... Il avait quitté son habit; je voyais au travers de sa chemise fine se dessiner ses épaules maigres, étroites, qui annonçaient une mauvaise santé. Il ordonnait le festin, commandait en maître; quelques femmes l'entouraient, il leur répondait d'un air protecteur.

En attendant qu'on servît le souper, il se mit au piano; il était bon musicien, mais il faisait trop de grimaces, de contorsions; ses mains osseuses me faisaient l'effet d'araignées. Je ne lui fis aucun compliment; il en parut étonné.

Pendant le souper, il m'attaqua. Il avait de l'esprit, mais un de ces esprits impossibles à dépenser avec d'autres qu'avec certaines femmes; un esprit brutal, malhonnête, ne reculant pas devant la plus grosse injure pour un mot drôle. Il parlait toujours de lui; il faisait, à ce qu'il disait, tout mieux que personne. Sa noblesse était la meilleure, sa fortune la plus grande; nul n'était brave comme lui.

Toutes ces forfanteries me portaient sur les nerfs. Je n'avais rien répondu à ses provocations, mais je faisais provision de colère, et déjà je lui avais donné un surnom que j'avais glissé dans l'oreille de ma voisine et qui l'avait fait rire de bon cœur, tant il s'appliquait bien au personnage. Je l'appelais le Faucheux.

Ce qui augmentait ma mauvaise humeur, c'est que j'étais placée à côté d'un grand homme très-beau, très-content de lui-même, qui faisait tout au monde pour attirer mon attention sur ses larges épaules et sur sa poitrine bombée; il était bête comme une oie et vaniteux comme un paon. C'était un bellâtre. L'oreille ouverte aux sarcasmes du Faucheux, je perdais la pantomime de mon voisin, ce qui le mit de fort mauvaise humeur.

Cela commençait mal. Je n'avais encore rien dit et j'avais déjà deux ennemis.

Le Faucheux semblait avoir pris à tâche de lasser ma patience.

J'étais le point de mire de toutes les plaisanteries.

La colère finit par me monter au cerveau, et je débutai avec d'autant plus de vivacité que je m'étais contenue plus longtemps.

—Monsieur, lui dis-je, voulez-vous avoir la bonté de me laisser tranquille? Voilà une heure que j'écoute vos sottises. En ne vous répondant pas, je croyais vous avoir fait comprendre que votre esprit n'était pas de mon goût. Les araignées ne me font pas peur, mais elles me dégoûtent, et quand elles s'approchent trop près de moi, je les écrase. Ainsi, grand Faucheux, ne vous occupez pas plus de moi que je ne m'occuperai de vous.

C'était dur; mais j'avais été cruellement provoquée, et je n'ai jamais brillé par la patience.

L'épithète de grand Faucheux mit immédiatement les rieurs de mon côté. Il y a dans toutes les réunions, petites ou grandes, un sentiment de justice qui se fait jour.

On comprenait que les attaques dont j'avais été l'objet me donnaient droit, de mon côté, à une assez grande latitude.

Mon adversaire devint furieux. Il ne s'attendait pas à de semblables représailles de la part d'une de ces pauvres filles, habituées à courber la tête sous le joug de la fatuité opulente. Il n'avait pas encore eu le temps de réfléchir qu'un galant homme ne gagne jamais rien à se disputer avec une femme, quelle que soit cette femme.

Il reprit la balle au bond.

—Qui donc, s'écria-t-il a amené cette...

Et il en débita tant sur mon compte que j'en fus étourdie.

Il se fit un grand silence. Chacun comprenait que cela allait devenir drôle.

C'était la mode, au surplus, dans les soupers arrangés par ce Faucheux: il lui fallait une victime à qui il pût dégoiser son catéchisme poissard. J'avais été choisie par lui pour ce jour-là; mais avec mon caractère, il était mal tombé.

Mon beau voisin, qui n'aurait pas eu assez d'esprit pour venger lui-même ses injures, et me punir de mes dédains, faisait cause commune avec mon ennemi, et l'appuyait du regard et du geste.

Frisette seule ne s'amusait pas de cette scène. La pauvre enfant comprenait qu'il y avait un gros orage amoncelé sur mon cœur; elle avait peur de me voir passer les bornes, et craignait que je ne me misse sur les bras quelque méchante affaire. Elle vint à moi et, me parlant tout bas, me supplia de quitter la place et de partir avec elle. Je la fis asseoir et lui répondis tout haut:

—Pourquoi donc m'en irais-je? monsieur est à bout. J'aurais peut-être dû ne pas venir; c'est la première fois que j'assiste à un souper d'hommes d'aussi bonne compagnie. Comme monsieur le disait, tout-à-l'heure, je suis entrée ici libre, sans condition; je n'ai pas de regrets, car j'ai montré du tact, et n'ai pas cherché à attirer l'attention. Monsieur n'a pas su imiter ma réserve. Il n'est probablement pas plus que moi habitué au grand monde. Sans doute, il est noble d'hier; il prend ses conquêtes bien bas pour se grandir. S'il n'y avait pas de femmes comme nous, où vivrait-il donc... au jardin des Plantes?... J'ai bien payé mon écho en l'écoutant, je reste.

Sans m'en douter, j'avais frappé juste: c'était un parvenu; il pâlit et se mordit les lèvres.

La réflexion lui était revenue, et je crois qu'il commençait à regretter de s'être attaqué à moi.

J'avais, sans m'en douter, pendant le feu de cette discussion, gagné un allié qui, touché de mon courage, s'intéressa à ma cause et rompit une lance en ma faveur.

C'était un jeune homme que je n'avais pas encore remarqué, quoique assurément il méritât, plus que toutes les autres personnes présentes, de fixer mon attention.

—Ah ça, messieurs, dit-il d'une voix douce et fière, est-ce que cela ne va pas bientôt finir? Vous vous mettez deux contre une femme! ce serait déjà trop d'un seul.

Et, s'adressant plus particulièrement au Faucheux, qu'il paraissait connaître intimement:

—Mon cher, je ne reconnais aujourd'hui ni ton bon goût, ni ta magnificence ordinaires.

—Comment donc, reprit le Faucheux, qui crut voir dans cette idée un moyen de retraite honorable, si j'ai blessé l'amour-propre de mademoiselle, je suis tout prêt à lui accorder une réparation. Vous savez très-bien, mon cher, que si j'ai le tort de taquiner ces filles-là, j'ai le bon goût de les payer. Puisque vous vous êtes déclaré son chevalier, fixez vous-même la rançon.

—Quinze louis!

—Quinze louis! soit! elle les aura demain.

—Demain! c'est bien tard, dit mon champion, qui se montra impitoyable, parce qu'il savait que le Faucheux passait pour être plus libéral en paroles qu'en actions.

—Je ne les ai pas sur moi.

—La belle affaire! Vesparoz te les prêtera.

Il n'y avait pas moyen de reculer; l'amour-propre du Faucheux était en jeu. Il sonna.

Vesparoz, le maître-d'hôtel du café, parut.

—Apportez-moi quinze louis, lui dit le Faucheux.

Un garçon rentra, portant sur un plateau la somme demandée.

—Remettez cet argent à mademoiselle Céleste.

Naturellement, je refusai de le prendre.

Mais mon champion n'entendait pas de cette oreille-là. Il était décidé à pousser la plaisanterie jusqu'au bout, et à punir le Faucheux par son côté sensible.

—Apportez-moi cela! dit-il au garçon; et il mit les quinze louis sur la table à côté de lui.

Puis se tournant vers moi:

—Ma chère enfant, venez vous asseoir à côté de moi.

J'y fus bien volontiers.

—Prenez cela, me dit-il; c'est à vous, vous ne pouvez refuser sans désavouer votre champion et me faire une mortelle injure. Ainsi le veulent les lois de la guerre.

—Maintenant, ajouta-t-il en s'adressant au Faucheux, continue tant que tu voudras, au même prix bien entendu. Cependant tu en as beaucoup dit pour tes quinze louis, et je t'engage à ne pas te ruiner ce soir.

Il paraît qu'il trouva le conseil bon, car il se leva et, me tendant la main:

—Faisons la paix, me dit-il.

Il n'y avait plus à hésiter, et je mis ma main dans la sienne d'assez bonne grâce.

A partir de ce moment, la scène prit une tournure à laquelle je ne m'étais pas attendue. J'eus une nouvelle preuve, qu'en fait de sentiment, les extrêmes se touchent, et que souvent on est bien près d'aimer les femmes qu'on croit haïr.

Quand on quitta la table pour faire de la musique, danser, chanter, le Faucheux m'attira dans l'angle d'une croisée, et me confessa qu'il ne m'avait fait cette scène ridicule que pour attirer mon attention et pour avoir un prétexte de se réconcilier avec moi.

Je lui répondis poliment, mais froidement, que s'il arrangeait ainsi les femmes qui lui plaisaient, je ne savais pas ce qu'il pouvait inventer pour ses antipathies.

Il devenait tendre, pressant; il me promettait monts et merveilles.

Je n'avais, quant à moi, aucune envie de me réconcilier à ce point. Je l'écoutais avec distraction, mais, en revanche, je regardais très-attentivement mon allié, que, pour des raisons à moi connues, j'appellerai désormais Robert, quoique ce ne soit pas son véritable nom.

Celui-ci s'aperçut qu'il était l'objet de mon attention, et il s'approcha de nous.

Alors, par un sentiment de coquetterie toute féminine, je me mis à répéter tout haut les paroles tendres que le Faucheux venait de me dire tout bas. Je tenais à me parer de ma victoire, et, pour la bien constater, je répondis au Faucheux:

—Je vois bien que vous revenez à vous-même et je vous crois sincère; aussi, soyez sûr que je ne vous en veux pas. Mais je vous connais d'hier, et je ne vois aucun motif pour prolonger nos relations.

Et je le laissai dans un coin, tout honteux et tout ému de l'aveu qu'il venait de me faire.

Il prit une bouteille de vin de Champagne et la vida presque d'un trait. Je dois lui rendre cette justice que je n'ai jamais vu personne boire autant, sans être malade. Était-ce par fanfaronnade, ou pour se consoler? Je suis convaincue que c'était pour ce dernier motif.

La plupart du temps, ces natures fanfaronnes sont au fond les plus tendres et les plus faibles. Elles font du bruit pour s'étourdir, et les excentricités dont elles amusent le public ne sont qu'une parade. Soulevez le rideau, vous verrez se jouer derrière le drame de leur cœur, souvent bien triste et bien lugubre.

Mais je n'avais rien à donner, j'avais mes pauvres.

Robert ne me quittait plus des yeux; de mon côté, je suivais tous ses mouvements; quand il causait avec une femme, j'avais envie d'aller me mettre entre lui et cette femme.

Je m'assis auprès de Frisette et je m'arrangeai de manière à ce qu'elle me parlât de lui.

C'était un homme qui paraissait avoir vingt-cinq ans, assez grand, la taille bien prise et bien proportionnée, la tête ronde, de jolis cheveux bruns, la raie blanche et fine, le front moyen, la figure ovale, les sourcils épais, la moustache forte; ses yeux bruns étaient ordinaires pour la grandeur, mais leur regard était profond, pénétrant; il était élégant de manières, très-recherché dans sa mise, sans avoir cet air raide, emprunté qu'ont beaucoup de jeunes gens.

Son esprit était vif; il me parut d'un caractère un peu violent, mais sachant se dompter, et corrigeant sa fougue par des manières charmantes.

Je l'avais regardé, j'avais vu tout cela; je le regardais toujours.

—Sans lui, dis-je à Frisette en le désignant, je ne sais comment cette dispute aurait fini; il m'a rendu un grand service. Je ne sais si je l'ai remercié.

J'aurais voulu qu'il vînt me parler... mais il n'en fit rien; mon cœur faisait autant de tours que lui sans qu'il y prît garde.

On avait improvisé un bal, il ne m'invita pas à danser; pourtant il me regardait.

Le grand beau, mon voisin de table, ayant fini par se persuader, sans doute, que ma froideur était un jeu, s'approcha de moi, et, avec le tact qui paraissait le caractériser, il me demanda bruyamment si je voulais me sauver avec lui.

Je me levai sans lui répondre.

Le Faucheux ne me parlait plus; mais devinant ce qui se passait en moi, il paraissait souffrir.

Cette promenade des yeux et du cœur à la suite de M. Robert me fatiguait. Je fus droit à lui, et lui demandai s'il voulait me reconduire, pour me débarrasser de ces deux messieurs.

—Oui, dit-il en attachant sur moi un regard qui avait l'air de lire ma pensée; oui, dans dix minutes; mais auparavant, je voudrais bien danser avec vous.

On commençait une valse: il me fit tourner sans attendre ma réponse. J'étais souple, il avait le bras nerveux; il me serra, je sentais les battements de son cœur, je respirais son haleine; je fermai les yeux, me laissant conduire. J'eus un étourdissement de bonheur qui passa comme l'éclair, mais dont je me souviens toujours.

Je revins à Frisette, toute radieuse.

Elle connaissait Robert, ou venait de se renseigner sur son compte, car elle me dit:

—C'est le comte ***, avec qui tu viens de danser.

Ce nom était bien beau, bien loin de moi. Je devins triste.

—Venez-vous? dit Robert; je vais reconduire Frisette d'abord, vous ensuite.

—Je suis bien fâchée de vous donner cette peine.

Il me serra le bras, et me dit:

—C'est un plaisir. Je n'aurais pas osé vous le demander; je ne voulais pas être le troisième à vous persécuter.

Il me promit de venir me voir le soir à quatre heures. Je rentrai chez moi, la tête et le cœur remplis de son image. Insensée que j'étais de désespérer de la vie! A vingt ans! est-ce que c'est possible? La veille, il me semblait que la vie n'avait plus de but pour moi. Triste folie! aujourd'hui, je me sentais renaître à l'espérance; j'entrevoyais de nouveaux horizons, de nouveaux mondes; mes ailes avaient repoussé!

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