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Mémoires de Céleste Mogador, Volume 2

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XVI
IMPRESSIONS DE VOYAGE.

Presque tous les hommes sont galants en voyage.

Pourtant, il y en a beaucoup qui, lorsqu'ils aperçoivent une femme dans une diligence, se sauvent en disant: «Allons dans une autre, nous ne pourrions pas fumer.»

Deux jeunes gens, sur le point d'entrer dans la voiture où je me trouvais, refermèrent la porte pour aller chercher ailleurs; après avoir visité le convoi, ils revinrent, n'ayant pas trouvé d'autres places; je vis sur leurs figures qu'ils me donnaient à tous les diables. J'aurais pu les rassurer, car je fumais des cigarettes et le cigare ne m'incommodait nullement.

Mais je pris plaisir à les taquiner.

L'un d'eux, oubliant ce contre-temps, en prit son parti et voulut se dédommager, s'il le pouvait, par une histoire galante.

Je répondis par des oui et des non bien secs. Il se rebuta et ne m'adressa plus la parole.

Si je n'étais pas très-bavarde, j'aimais au moins beaucoup à causer. Mes compagnons parlèrent bas, puis s'arrangèrent dans leur coin pour dormir.

Je n'avais pas sommeil, je voulais qu'ils me tinssent compagnie. J'avais réservé pour ce moment un moyen triomphant pour les dérider.

—Si vous voulez fumer, messieurs, leur dis-je, ne vous gênez pas, cela ne m'incommode pas, au contraire, j'aime l'odeur du tabac.

Ils fouillèrent en même temps dans leurs poches, et ne me dirent merci qu'après avoir cassé le petit bout de leurs cigares avec leurs dents.

Je suis sûre qu'à partir de ce moment ils me trouvèrent charmante, au travers du nuage de fumée dont ils m'enveloppaient.

Pour certaines personnes, fumer est un besoin plus impérieux que manger.

Je les avais rendus si heureux, qu'ils me comblèrent de politesses, d'attentions.

Ils poussèrent la complaisance jusqu'à m'apporter de l'eau sucrée et des gâteaux dans la voiture, dont je n'avais pas voulu descendre.

D'abord, ils étaient fort intrigués sur mon compte; puis, m'ayant reconnue pour m'avoir vue à l'Hippodrome, ils furent gais avec moins de retenue. De mon côté, je m'étais assurée que c'étaient des gens comme il faut, et qu'ils resteraient dans les limites convenables.

Ma bonne ronflait plus fort que la locomotive et ne fut pas la moindre cause de notre hilarité; elle tombait obstinément sur son voisin, qui entreprit de la caler avec sa canne et son manteau.

Elle dormait en équilibre avec des soubresauts impossibles à raconter... et nous de rire!

Il faisait un froid atroce.

Comme tous les gens qui n'ont jamais voyagé, j'étais partie corsée, ajustée, comme si j'allais à la noce; aussi, le matin, étais-je pâle, rompue de fatigue.

J'allai à l'hôtel de la Poste, à Bruxelles; je dormis pendant quelques heures, ce qui me remit tout-à-fait.

Après déjeuner, je fis un tour dans la ville. C'est Paris, moins les monuments et les Parisiens.

Toutes ces rues qui montent et descendent m'ennuyaient; d'ailleurs je n'avais pas le loisir de m'arrêter longtemps.

Je m'étais figuré que Bruxelles devait avoir un cachet particulier. Je rentrai désillusionnée, et je partis pour Anvers dans un mauvais chemin de fer qui nous secoua à nous bossuer le front les uns contre les autres. Heureusement que le chemin n'était pas long.

J'arrivai très-incommodée; je demandai où se trouvaient les bateaux à vapeur faisant le service de la Haye; je m'adressai à un grand homme joufflu qui me laissa répéter trois fois, puis finit par me faire signe qu'il ne comprenait pas. Je l'envoyai au diable en français. Il me fit un grand salut.

Un employé vint m'annoncer que les bateaux à vapeur ne marchaient pas, à cause des glaces; qu'ils reprendraient peut-être leur service dans une quinzaine de jours.

L'autre m'avait mal disposée, j'eus envie de battre celui-là; mais, comme je n'aurais pas été la plus forte et que je n'ai pas la témérité de Lola-Montès, je le pris par la douceur: je me donnai un air d'importance, et je dis que j'étais attendue pour des affaires qui n'admettaient aucun retard; qu'il fallait à tout prix que je partisse.

—Dame! il y a bien des voitures, mais vous serez très-mal.

—Qu'à cela ne tienne; où sont-elles?

Il m'indiqua l'hôtel du Cheval Blanc.

On me mit dans une chambre à deux lits avec ma buse de bonne, que j'étais obligée de servir. Après cela, je ne savais pas commander; elle pouvait bien ne pas savoir obéir.

Une grosse fille vint mettre une allumette au poêle.

Figurez-vous un feu de charbon de terre dans le milieu d'une chambre. Le tuyau du poêle était bouché; je passai la journée la fenêtre ouverte, tantôt faisant un pas de polka pour me réchauffer, tantôt battant la semelle.

Il n'y avait pas d'autre chambre; je ne pouvais aller ailleurs, à cause de la voiture.

Je demandai à manger: on m'apporta de la bière.

J'avais retenu deux places dans le coupé, les deux coins. Il nous vint pour troisième un monsieur, sans exagérer, gros comme une feuillette.

J'eus beau me faire petite, il m'écrasait; je le portai à moitié pendant deux heures.

Au premier relais, je lui offris le coin, sous prétexte de causer avec ma bonne; cela ne nous desserra pas, et je commençai à regretter mon voyage.

On nous fit changer dix fois: nous quittions une voiture pour prendre un bachot que l'on faisait glisser entre des cassures de glace; nous reprenions un autre coucou, puis une autre barque; cela n'était pas sans danger et sans émotion.

Il fallait avoir bien affaire pour voyager ainsi entre la neige et le charriage des glaces; aussi, n'étions-nous que trois voyageurs.

Notre compagnon paraissait avoir trente ans; il était entortillé de fourrure, son cache-nez m'empêchait de voir une partie de sa figure. Ce que j'en voyais me paraissait empreint d'une grande tristesse; ses yeux me parurent rouges. Mais, comme d'un temps pareil tout le monde a le nez rouge, je pensais que cela lui avait gagné les paupières.

La barque dans laquelle nous étions entrés était une espèce de gros radeau à rebords pointus à l'avant et ferré comme un patin.

Nous venions de prendre un nouveau voyageur; il avait une voiture faite absolument comme les fourgons qui conduisent ici l'argent de la Banque.

Il descendit du cabriolet de devant, aida à dételer les deux chevaux et fit placer cette voiture avec précaution sur le bachot. Il parlait hollandais avec les mariniers; nous avancions; on n'entendait que le craquement de la glace.

Je m'ennuyais; j'aurais bien voulu causer avec mon compagnon. Appuyé sur le devant de sa voiture, il était silencieux; il ne savait peut-être pas un mot de français: je le laissai tranquille.

Ma bonne s'appelait Joséphine; elle était morte de peur et de froid; moi, je n'étais pas rassurée; je me donnais des airs de bravoure pour me tromper moi-même.

—Allons, Joséphine, du courage! On ne meurt qu'une fois. Cette voiture me fait l'effet d'une bière qu'on a mise là tout exprès; les poissons ne vous mangeront pas.

—Ah! madame, vous riez toujours; je suis bien fâchée d'être venue.

Le jeune homme dit en très-bon français:

—Mademoiselle a raison, c'est une bière; mais elle n'est pas vide.

Je me sauvai de la voiture aussi loin que me le permit l'espace.

—Pas vide? lui dis-je; mais nous voyageons donc avec un mort?

—Mon père, mademoiselle, me dit-il, en ôtant sa casquette de voyage comme pour saluer ces restes qu'il pleurait encore. Ses yeux étaient pleins de larmes.

Je fus honteuse du peu de retenue que j'avais eue, de ma gaieté; j'avais envie de lui en faire mes excuses.

Mais aussi, croyant que personne ne me comprenait, j'avais dit mille sottises pour rassurer ma compagne; je n'osais plus bouger.

Je me mis à réfléchir: je ne comprenais pas pourquoi on faisait voyager les morts.

Je parlai bas à Joséphine.

Le jeune homme entendit ou devina; il vint à côté de moi et me dit.

—Cela arrive quelquefois. J'habite la Haye; mon père est mort à Paris; sa dernière volonté a été d'être enterré près des siens. J'ai obtenu la permission de le ramener dans son pays. N'ayez aucune crainte; il était le meilleur des hommes: il ne peut que nous porter bonheur.

En ce moment, j'entendis des paroles brutales; sans comprendre leur langue, je vis bien que nos mariniers juraient. Ils prirent des crocs de fer et travaillèrent à repousser d'énormes glaçons qui, se joignant, nous fermaient le chemin.

Le jeune homme était pressé d'arriver; il avait payé quatre fois la valeur du passage; on avait pris cette grande barque, quoique ce fût une imprudence.

La compagnie n'était pas gaie, la situation non plus. Je cachai ma tête dans mes mains et je fis à Dieu une fervente prière.

Quand j'eus fini, je vis beaucoup d'hommes sur un port où nous abordâmes avec force difficultés.

Une fois à terre, nous reprîmes une voiture qui était toute prête.

On mit deux chevaux à la voiture du jeune homme, qui marcha à la tête avec beaucoup de respect.

Nous traversâmes la ville, qui était, je crois, Rotterdam.

Je ne vis que des bornes, des chaînes et des grilles; la campagne était inondée, et l'eau qui recouvrait les champs était gelée. Çà et là des enfants qui patinaient.

Quand nous fûmes à quelques lieues de la Haye, le paysage s'anima; les prés étaient couverts de patineurs; les femmes portaient sur leurs têtes des corbeilles rondes, tenaient leur tricot à la main, et glissaient comme les hirondelles qui rasent la terre, cela si facilement, sans quitter leur ouvrage, que je fus émerveillée tout le reste de la route.

On va se faire des visites d'une ville à l'autre, on se rencontre, on cause, puis on repart; c'est très-joli, je fus enchantée et je voulus essayer.

Nous fîmes halte dans une auberge; j'envoyai acheter des patins, et me voilà essayant. Au premier départ, je m'étendis tout de mon long; au second, ce fut la même chose. J'appris seulement qu'on ne tombait jamais en avant.

Je m'obstinai, la glace était dure; je fus forcée d'y renoncer. Quand il fallut me rasseoir en voiture, je regrettai bien de n'avoir pas cédé plus tôt.

Enfin nous arrivâmes; je fus à l'hôtel de l'Europe. J'avais demandé le plus beau de la ville et on me l'avait indiqué.

Il y a dans toutes les chambres un petit poêle qui faisait mon bonheur.

La Haye est une ville très-morose; on reçoit froidement les Françaises seules, quand elles n'ont pas soixante ans.

On me regardait, on hésitait; je voyais le moment où l'on allait refuser de me recevoir. Je dis:

—Donnez-moi ce que vous aurez, je ne suis pas difficile; je repars dans deux jours.

On me fit monter au premier, dans une chambre très-propre; une autre plus simple donnait dedans; chacune avait son petit poêle ciré comme une paire de bottes; je les fis rougir.

J'écrivis un mot à mon ami, qui allait mieux; il était de service et ne pouvait me voir qu'une minute le soir, encore fallait-il prendre beaucoup de précautions.

Il vint en tournant sur lui-même comme un homme poursuivi, me fit parler bas, me supplia de garder l'incognito.

L'idée de me faire passer pour une noble étrangère me sourit assez.

Le lendemain, je fus voir Skevening.

Arrivée au bord de la plage, je marchai dans un sable jaune et fin, le plus près possible de la mer. Mes pieds enfonçaient, il faisait du brouillard, nous étions seules; je me retroussai assez pour ne pas me salir.

Ayant des bottines bleues boutonnées un peu justes, j'avais mis des bas de soie; probablement que ce n'était pas la mode du pays.

Joséphine se mit à crier:

—Ah! mon Dieu, madame!

Je crus que quelque chose me montait aux jambes, je relevai un peu plus. Ne voyant rien à terre, je me retournai; je vis derrière moi peut-être deux cents hommes habillés tous de même: pantalon et veste jaunâtres, chapeau à larges bords, comme nos forts de la Halle. Beaucoup étaient baissés et regardaient... sans doute mes bas.

Je baissai ma robe; je n'osais plus bouger de place. J'avais entendu dire qu'on avait enlevé des femmes dans des bateaux, puis, qu'après leur avoir tout pris, on les avait jetées à la mer. Heureusement une Hollandaise apparut avec ses plaques d'or, cela m'enhardit.

Les hommes qui m'avaient fait tant de peur se rangèrent pour nous laisser passer. J'avais crains une fin tragique!

«S'ils veulent me prendre, m'étais-je dit, je m'élancerai dans la mer.»

Quelques-uns me saluèrent; je rentrai en riant encore de ma peur. C'étaient des pêcheurs d'huîtres.

Le lendemain, il faisait une belle journée de gelée; le soleil était pâle, mais il égayait.

On me conseilla d'aller voir le parc; je mis une robe de velours noir, un manteau pareil, un chapeau de velours épinglé blanc avec des roses dessous, un voile, plutôt pour empêcher mon nez de rougir que pour me cacher. Ce parc était superbe; il y avait des cerfs, des chevreuils presque apprivoisés.

Je vis venir devant moi une grande dame blonde, les cheveux frisés à l'anglaise.

Quelques personnes marchaient à ses côtés; les passants la saluaient avec beaucoup de respect; elle rendait un sourire. Elle me regarda, parla à une dame près d'elle et continua sa route. J'entendais tout le monde dire:

—La reine!

Je ne pouvais me figurer que c'était cette dame que je venais de croiser.

Je vis mon baron déboucher d'une allée sur un superbe cheval gris; j'allais lui demander si cette dame était bien la reine, mais quand il me vit, il tourna bride. Je crois que, sans les obstacles qu'il a dû rencontrer, il courrait encore.

Je rentrai dîner.

Le baron vint me voir une minute, et me dit qu'en effet, dans ma promenade du matin, j'étais tombée, sans le savoir, au milieu de toute la cour.

Je compris pourquoi il s'était sauvé; il était chambellan.

Je ne crois pas commettre une indiscrétion, tout le monde est chambellan, dans ce pays-là.

Il m'envoya des places de spectacle; on jouait le Comte Ory et Figaro.

La salle est singulière: il n'y a pas de loge dans ce théâtre; une galerie séparée à plusieurs endroits pour les chambellans, les dames, le roi. Les personnes les plus considérables de la ville vont aux stalles d'orchestre. Je fis la moue, quand on me désigna mes places.

Mon chapeau blanc occupait beaucoup les jeunes gens placés au balcon: ils voulaient connaître la figure qui était sous ce chapeau; plusieurs vinrent à la porte de l'orchestre. J'étais entrée d'une façon majestueuse; je gardai un air digne.

Hélas! j'avais compté sans les embarras de ma célébrité. Dans l'entr'acte, deux curieux vinrent se placer presque en face de moi.

—Ah! ce n'est pas possible! dit l'un; mais si, c'est elle, c'est Mogador!

—Allons donc! dit l'autre.

—J'en suis sûr, reprit le premier; je la connais, je l'ai assez vue à l'Hippodrome; tu vas voir.

Ils partirent tous deux, mais revinrent avec du renfort.

Il me prit une envie de loucher épouvantable.

—Vous vous serez trompé, disait un nouveau venu.

—Non, non, disait mon délateur, je la reconnais bien; elle est un peu grêlée, c'est bien elle; d'ailleurs, le baron peut nous mettre d'accord.

Heureusement le rideau se leva; ils n'osèrent plus redescendre. J'avais été très-vexée; maintenant j'avais une envie de rire qui m'étranglait.

Maître Basile entra à propos, je pus me livrer impunément à ma gaieté. Ils avaient fait une si drôle de figure, je les avais regardés avec un si grand air d'indignation quand ils m'avaient appliqué le nom de Mogador, que je n'osais plus tourner la tête et que j'étais à l'avance très-embarrassée de ma sortie.

La pièce n'était pas finie, que je quittais ma place. J'espérais ainsi gagner mon hôtel, je demeurais à la porte; mais ils avaient quitté leurs places en même temps que moi, et ils étaient rangés dans le couloir.

Je vis le baron sur la porte; il me tourna le dos en me faisant signe de monter dans une voiture qui se trouvait ouverte au perron; un homme me poussa; j'entendis parler au cocher sans comprendre; nous partîmes à fond de train. Nous marchions depuis longtemps; je commençais à m'inquiéter, car je devais être arrivée depuis une demi-heure.

Je voulus parler au cocher, il ne comprenait pas; il redoubla de vitesse. Je voyais les arbres, la rivière.

Je compris que j'étais perdue: il m'entraînait dans un bois. J'étais bien mise; il me croyait riche: il allait me voler et me tuer.

Je demandai pardon à ma domestique d'avoir ainsi exposé ses jours.

Je ne sais si c'est la course ou la peur qui me portait sur les nerfs, mais je me mis à pleurer. Ma bonne m'accompagna dans un autre ton; c'était à fendre les oreilles.

La voiture s'arrêta, je reconnus l'hôtel.

—Le maladroit! dis-je en descendant, il s'était perdu.

—Non, me dit le baron, qui m'attendait à la porte; c'est moi qui lui ai commandé de faire un grand détour; sans cela on vous aurait suivie. Je ne veux pas qu'on sache où vous demeurez. Bonsoir, à demain. Ne sortez pas, ne vous mettez pas à la fenêtre!

—Ah! mais je suis donc en prison ici?

—Ce que je vous dis est dans votre intérêt. Une de vos compatriotes, Mlle Hermance, sous prétexte qu'on s'occupait trop d'elle, vient d'être renvoyée en France.

—On n'est guère hospitalier dans ce pays; je pars demain.

—Non, restez encore quelques jours. Les routes sont impraticables.

Restée seule, je ne trouvai qu'une distraction: rougir mon poêle, ouvrir la fenêtre pour ne pas griller, puis me coucher et dormir. Dormir! était-ce possible? ma bonne ronflait comme un roulement de tambours.

Je me levai de bonne heure, je cherchai à me distraire: ce fut en vain, et je gagnai quatre heures avec force bâillements. Je me détendais à me rompre les fibres, quand j'entendis plusieurs voix qui causaient en montant.

Je restai les bras en l'air; on disait mon nom. Je crus que le baron me faisait une galanterie, qu'il m'amenait de ses amis. J'allai ouvrir; je vis cinq jeunes gens, mais pas de baron. Je poussai vite ma porte. Il était trop tard; ils m'avaient bien vue. J'écoutai, ils parlaient de moi. L'un disait:

—Je savais bien qu'elle devait loger ici.

Une porte à côté de la mienne s'ouvrit; c'était un salon où ils venaient dîner. Ils frappèrent au mur, me chantèrent des chansons faites sur moi, ou qu'ils improvisèrent, enfin ils firent les diables!

Je ne bougeai pas, et je n'aurais répondu pour rien au monde; pourtant cela m'amusait.

A huit heures, on frappa; je refusai d'ouvrir, n'ayant pas reconnu la voix de mon ami. On me passa un mot sous la porte; il était ainsi conçu.

«Je n'ose aller vous voir. Votre hôtel est envahi. Sortez à dix heures; je vous attendrai au coin de la place et du café Anglais.»

L'heure venue, je m'enveloppai comme un conspirateur et nous glissâmes le long des murs comme deux ombres. La ville, à cette heure, est calme, triste comme un cimetière.

Nous avancions avec peine, tant il y avait de verglas. Joséphine fit une glissade et s'étendit comme une masse; heureusement qu'il n'y a pas que moi, sans cela on m'appellerait mauvais cœur; je me mis à rire si fort que je fus obligée de m'appuyer au mur.

Une sentinelle se promenait silencieuse; elle s'arrêta pour écouter et nous cria, sans doute: Qui vive! Je ne savais que lui répondre, et puis il m'était impossible de m'empêcher de rire.

—Oh! madame, me dit Joséphine, ce n'est pas gentil de rire du mal des autres; ça ne fait pas de bien de se prendre mesure comme ça sur le pavé.

Je n'osais plus faire un pas; la sentinelle criait toujours; j'avais répondu:

C'est nous!

Il paraît que cela ne lui suffisait pas, et que si le baron, voyant mon retard, n'était pas venu quelques pas au-devant de nous et n'eût dit un mot au factionnaire, il aurait bien pu nous envoyer une balle.

—Ah! c'est vous! Tant mieux, nous ne pouvions plus avancer.

—Qu'est-ce donc qui vous faisait rire de si bon cœur?

—C'est Joséphine, qui ne voulait plus avancer sans être ferrée à glace.

—Il faut que vous changiez d'hôtel demain. On demande déjà qui est l'étrangère qu'on a vue à la promenade; et puis, on sait où vous êtes. Comme on est privé d'aussi charmantes femmes que vous, quand il en vient une, c'est une révolution; les jeunes gens font le diable.

—Mon cher, votre pays m'ennuie. Je ne changerai pas d'hôtel; je pars demain sans faute; ça me fera grand plaisir et ne vous fera pas de peine. Faites-moi retenir un coucou.

Il essaya bien encore de me retenir; mais ma résolution était prise et ma patience à bout.

Je repartis aussi péniblement que j'étais venue, et je vis le débarcadère de Paris avec une joie d'exilée.

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