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Napoléon

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APPENDICE

Page 20. — [A] Deux livres, par-dessus tous les autres, celui de Gourgaud, celui de Bourrienne, nous éclairent là-dessus. Avec Gourgaud, vaniteux, chagrin, incompréhensif, amoureux jaloux et tyrannique de son maître, le ton n’est plus du tout le même qu’avec Las Cases, assez intelligent, plus déférent, qui ne lui résiste jamais. Plus du tout le même avec Bourrienne, haineux, ingrat, mais faisant, pour paraître impartial, un effort vers la sincérité qu’avec Mme d’Abrantès, coquette, bavarde, vaniteuse, pénétrée de l’esprit de famille. Chacun, comme il faut s’y attendre, écoute son tempérament, ses rancunes, ses préjugés pour porter son jugement. Un seul possède une vision aussi large que clairvoyante, jugeant l’homme d’ensemble, avec noblesse et pureté. C’est Rœderer. On sent qu’il est le seul, parmi les interlocuteurs de Napoléon, à comprendre ce qu’il lui entend dire, le seul aussi devant qui Napoléon, se sentant compris, s’épanche et se montre tel qu’il est réellement. Telle dut être aussi sa conversation avec Gœthe. Les autres laissent tomber les grandes choses, qui passent au dessus de leur tête, ou il se ferme devant eux.

Page 25. — [B] « Il avait beau, raconte Rapp, chercher à se montrer sévère, la nature était la plus forte, sa bonté l’emportait toujours. »

Page 37. — [C] Joseph, un jour, lui écrit qu’il est son aîné : « Aîné ? lui ? Pour la vigne de notre père, sans doute. »

Page 37. — [D] « La première bourrade passée, leur persévérance, leur obstination l’emportait toujours, et de guerre lasse, ils ont fait de moi ce qu’ils ont voulu. »

Page 40. — [E] « Vous aimez, écrit-il à Joseph, cajoler les gens et obéir à leurs idées. Moi, j’aime qu’on me plaise et qu’on obéisse aux miennes. »

Page 42. — [F] Et plus tard, à Sainte-Hélène : « Qu’ils m’appellent comme ils voudront, ils ne m’empêcheront pas d’être moi. » Ceci est le profond du cœur. Mais devant les Anglais, et pour ses serviteurs, il ne veut pas capituler. Il exige qu’on lui donne son titre, ou interdit qu’on paraisse devant lui.

Page 45. — [G] « Les ambitieux secondaires, a-t-il dit, n’ont jamais que des idées mesquines. »

Page 49. — [H] Il dit, après Marengo, à ses lieutenants qui le félicitent, « Oui : j’ai conquis en moins de deux ans Le Caire, Milan, Paris. Eh bien ! si je mourais demain, je n’aurais pas une demi-page dans l’Histoire universelle. » Et, en 1804, à Rœderer : « Je n’ai pas encore assez fait pour être connu. » Et ailleurs : « Que dira l’Histoire ? Que pensera la postérité ? »

Page 50. — [I] « Les malheurs, disait-il à Sainte-Hélène, ont aussi leur héroïsme et leur gloire. L’adversité manquait à ma carrière. Si je fusse demeuré sur le trône, dans les nuages de ma toute-puissance, je serais devenu un problème pour bien des gens. Aujourd’hui, grâce au malheur, on pourra me juger à nu. »

Page 52. — [J] « Vouloir et faire était un pour lui. » (Bourrienne.)

Page 53. — [K] « L’homme, a-t-il encore dit, ne marque dans la vie qu’en dominant le caractère que lui a donné la nature, ou en s’en créant un par l’imagination et sachant le modifier suivant les obstacles qu’il rencontre. »

Page 55. — [L] « On ne jouit de soi-même que dans le danger. »

Page 61. — [M] « La cause principale de sa puissance, dit Gœthe dans ses Entretiens avec Eckermann, c’est que les hommes étaient sûrs, sous ses ordres, d’arriver à leur but. »

Page 68. — [N] « Bonaparte, qui ne croyait pas à la vertu des hommes, croyait à leur honneur. » (Bourrienne.)

Page 102. — [O] « Le 18 Brumaire a sauvé la France. » (La Fayette.)

Page 105. — [P] Il a « frappé à mort la République, et sauvé la Révolution. » (Albert Vandal.)

Page 109. — [Q] « Pour moi, disait Napoléon à propos des procédés de l’Angleterre, je n’ai jamais rien fait de tout cela, et jusqu’à la malheureuse affaire d’Espagne, qui du reste ne vient qu’après celle de Copenhague, je puis dire que ma moralité reste inattaquable. Mes transactions avaient pu être tranchantes, dictatoriales, mais jamais perfides. »

Page 118. — [R] Ce mot, on le connaît. Mme de Staël lui demandant quelle était, à ses yeux, la femme la plus remarquable : « Celle, répondit-il, qui fait le plus d’enfants. » Qu’on me permette d’en rappeler ici un autre, encore plus expressif et moral — oui, moral ! — mais infiniment plus grossier, bien que celui qui l’a prononcé n’ait jamais passé pour un malotru, ni pour un misogyne, ni pour un tyran. Une dame, féministe et mûre, énumérait à Renoir les qualités qui rendaient, à son sens, la femme supérieure à l’homme : le désintéressement, l’esprit de sacrifice, la bonté, la générosité, l’énergie, la moralité, la franchise, le caractère, l’intelligence, le génie… « Et un beau c…l », conclut Renoir.

Page 133. — [S] « Chateaubriand a reçu de la nature le feu sacré… Son style est celui du prophète. »

Page 165. — [T] Et aussi : « Étouffer la presse est absurde. Je suis convaincu sur cet article. »

Page 171. — [U] Et ailleurs : « C’est l’esprit civil, et non la force militaire qui gouverne, et même qui commande. Le calcul ?… La connaissance des hommes ?… L’éloquence ?… Qualités civiles. »

Page 173. — [V] Et encore : « Il ne faut pas que le chef de l’État soit chef de parti. »

Page 186. — [W] Lettre à son frère Jérôme, roi de Westphalie : « Ce que désirent avec impatience les peuples d’Allemagne, c’est que les individus qui ne sont point nobles et qui ont des talents, aient un égal droit à votre considération et aux emplois ; c’est que toute espèce de servage et de liens intermédiaires entre le souverain et la dernière classe du peuple soit entièrement abolie. Les bienfaits du Code Napoléon, la publication des procédures, l’établissement des jurys seront autant de caractères distinctifs de votre monarchie ; et s’il faut vous dire ma pensée tout entière, je compte plus sur leurs effets pour l’extension et l’affermissement de cette monarchie, que sur le résultat des plus grandes victoires. Il faut que vos peuples jouissent d’une liberté, d’une égalité, d’un bien-être inconnus aux autres peuples de la Germanie, et que ce gouvernement libéral produise d’une manière ou d’une autre les changements les plus salutaires au système de la confédération et à la puissance de votre monarchie. Cette manière de gouverner sera une barrière plus puissante pour vous séparer de la Prusse que l’Elbe, les places fortes et la protection de la France. Quel peuple voudra retourner sous le gouvernement arbitraire prussien, quand il aura goûté les bienfaits d’une administration sage et libérale ? Les peuples d’Allemagne, ceux de France, d’Italie, d’Espagne, désirent l’égalité et veulent des idées libérales… Voilà bien des années que je mène les affaires de l’Europe, et j’ai eu lieu de me convaincre que le bourdonnement des privilégiés était contraire à l’opinion générale. Soyez roi constitutionnel… »

« On compte en Europe, dit-il plus tard, bien qu’épars, plus de trente millions de Français, quinze millions d’Espagnols, quinze millions d’Italiens, trente millions d’Allemands… j’eusse voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation… C’est dans cet état de choses qu’on eût trouvé le plus de chances d’amener partout l’unité des Codes, celle des principes, des opinions, des sentiments, des vues et des intérêts… Alors… peut-être devenait-il permis de rêver, pour la grande famille européenne, l’application du Congrès américain, où celle des Amphictyons de la Grèce… et quelle perspective, alors, de force, de grandeur, de jouissances, de prospérité !… » Pour les Français, dit-il, la chose est faite… Pour L’Espagne : « L’agglomération de quinze millions d’Espagnols était à peu près faite… Comme je n’ai point soumis les Espagnols on raisonnera désormais comme s’ils eussent été insoumettables »… Pour l’Italie : « Il me fallait vingt ans pour rétablir la nation italienne… L’agglomération des Allemands demandait plus de lenteur, aussi n’avais-je fait que simplifier leur monstrueuse complication… Quoi qu’il en soit, cette agglomération arrivera tôt ou tard par la force des choses : l’impulsion est donnée, et je ne pense pas qu’après ma chute et la disparition de mon système, il y ait en Europe d’autre grand équilibre possible que l’agglomération et la confédération des grands peuples. »

Page 187. — [X] « Grâce au génie de l’Empereur, disait Laplace, l’Europe entière ne formera bientôt plus qu’une immense famille, unie par une même religion et le même code de lois. »

Page 194. — [Y] Voici ce qu’il a dit lui-même de l’Histoire, et de la façon de l’écrire. Je ne crois pas qu’on ait jamais parlé avec plus de tact psychologique des mobiles secrets qui déterminent, dans l’intention des hommes, les événements historiques et nous rendent l’Histoire, de ce fait, à demi inintelligible :

« Cette vérité historique, tant implorée, à laquelle chacun s’empresse d’en appeler, n’est trop souvent qu’un mot : elle est impossible au moment même des événements, dans la chaleur des passions croisées ; et si, plus tard, on demeure d’accord, c’est que les intéressés, les contradicteurs ne sont plus. Mais qu’est alors cette vérité historique, la plupart du temps ? Une fable convenue, ainsi qu’on l’a dit fort ingénieusement.

« Dans toutes ces affaires, il est deux portions essentielles fort distinctes : les faits matériels et les intentions morales. Les faits matériels sembleraient devoir être incontroversables ; et pourtant, voyez s’il est deux relations qui se ressemblent : il en est qui demeurent des procès éternels. Quant aux intentions morales, le moyen de s’y retrouver, en supposant même de la bonne foi dans les narrateurs ? Et que sera-ce s’ils sont mus par la mauvaise foi, l’intérêt et la passion ? J’ai donné un ordre : mais qui a pu lire le fond de ma pensée, ma véritable intention ? Et pourtant chacun va se saisir de cet ordre, le mesurer à son échelle, le plier à son plan, à son système individuel. Voyez les diverses couleurs que va lui donner l’intrigant dont il gêne ou peut, au contraire, servir l’intrigue, la torsion qu’il va lui faire subir. Il en sera de même de l’important à qui des ministres ou le souverain auront confidentiellement laissé échapper quelque chose sur le sujet : il en sera de même des nombreux oisifs du palais qui, n’ayant rien de mieux à faire que d’écouter aux portes, inventent, faute d’avoir entendu. Et chacun sera si sûr de ce qu’il racontera ! et les rangs inférieurs qui le tiendront de ces bouches privilégiées en seront si sûrs à leur tour et alors les mémoires, et les agendas, et les bons mots, et les anecdotes de salon d’aller leur train…

Voilà pourtant l’Histoire ! J’ai vu me disputer, à moi, la pensée de ma bataille, me disputer l’intention de mes ordres, et prononcer contre moi. N’est-ce pas le démenti de la créature vis-à-vis de celui qui a créé ? N’importe, mon contradicteur, mon opposant aura ses partisans. Aussi est-ce ce qui m’a détourné d’écrire mes mémoires particuliers, d’émettre mes sentiments individuels, d’où fussent découlées naturellement les nuances de mon caractère privé. Je ne pouvais descendre à des confessions à la Jean-Jacques, qui eussent été attaquées par le premier venu. Aussi, j’ai pensé ne devoir dicter à vous autres ici que sur les actes publics. Je sais bien encore que ces relations même peuvent être combattues ; car quel est l’homme, ici-bas, quel que soit son bon droit et la force et la puissance de ce bon droit, que la partie adverse n’attaque et ne démente ? Mais aux yeux du sage, de l’impartial, du réfléchi, du raisonnable, ma voix, après tout, vaudra bien celle d’un autre, et je redoute peu la décision finale. Il existe, dès aujourd’hui, tant de lumières, que quand les passions auront disparu, que les nuages seront passés, je m’en fie à l’éclat qui restera.

Mais que d’erreurs intermédiaires ! On donnera souvent beaucoup de profondeur, de subtilité de ma part à ce qui ne fut, peut-être, que le plus simple du monde ; on me supposera des projets que je n’eus jamais. On se demandera si je visais en effet à la monarchie universelle ou non. On raisonnera longuement pour savoir si mon autorité absolue et mes actes arbitraires dérivaient de mon caractère ou de mes calculs, s’ils étaient produits par mon inclination ou par la force des circonstances, si mes guerres constantes vinrent de mon goût, ou si je n’y fus conduit qu’à mon corps défendant, si mon immense ambition, tant reprochée, avait pour guide ou l’avidité de la domination, ou la soif de la gloire, ou le besoin, ou l’amour du bien-être général, car elle mérite d’être considérée sous ces diverses faces. On se débattra sur les motifs qui me déterminèrent dans la catastrophe du duc d’Enghien, et ainsi d’une foule d’autres événements. Souvent on alambiquera, on tordra ce qui fut tout à fait naturel et entièrement droit.

Il ne m’appartient pas, à moi, de traiter ici spécialement de tous ces objets : ils seraient mes plaidoyer, et je les dédaigne. Si, dans ce que j’ai dicté sur les matières générales, la rectitude et la sagacité des historiens y trouvent de quoi se former une opinion juste et vraie sur ce que je ne mentionne pas, tant mieux. Mais, à côté de ces faibles étincelles, que de fausses lumières dont ils se trouveront assaillis !… depuis les faibles et les mensonges des grands intrigants qui ont eu chacun leurs buts, leurs menées, leurs négociations particulières, lesquelles, s’identifiant avec le fait véritable, compliquent le tout d’une manière inextricable, jusqu’aux révélations, aux « portefeuilles », aux assertions même de mes ministres, honnêtes gens qui cependant auront à donner bien moins ce qui était que ce qu’ils auront cru car en est-il qui aient eu ma pensée générale tout entière ? Leur portion spéciale n’était, la plupart du temps, que des éléments du grand ensemble qu’ils ne soupçonnaient pas. Ils n’auront donc que la face du prisme qui leur est relative, et encore, comment l’auront-ils saisie ? Leur sera-t-elle arrivée pleine et entière ? N’était-elle pas elle-même morcelée ? Et pourtant, il n’en est probablement pas un qui, d’après les éclairs dont il aura été frappé, ne donne pour mon véritable système le résultat fantastique de ses propres combinaisons ; et de là encore la fable convenue qu’on appellera l’Histoire, et cela ne saurait être autrement : il est vrai que, comme ils sont plusieurs, il est probable qu’ils seront loin d’être d’accord. Du reste, dans leurs affirmations positives, ils se montreraient plus habiles que moi, qui très souvent aurais été très embarrassé d’affirmer avec vérité toute ma pleine et entière pensée. On sait que je ne me butais pas à plier des circonstances à mes idées, mais que je me laissais en général conduire par elles : or, qui peut, à l’avance, répondre des circonstances fortuites, des accidents inopinés ? Que de fois j’ai donc dû changer essentiellement ! Aussi ai-je vécu de vues générales, bien plus que de plans arrêtés. La masse des intérêts communs, ce que je croyais être le bien du très grand nombre, voilà les ancres auxquelles je demeurais amarré, mais autour desquelles je flottais la plupart du temps au hasard. »

Page 239. — [Z] Il prétendait que Napoléon veut dire « le lion du désert ».

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