Nymphes dansant avec des satyres
VII
Nous atteignîmes un pays remarquable par sa pauvreté. Mais les signes et les informations s'accordant à le désigner comme l'endroit où les prodiges étaient accomplis, chacun s'exténua à en vanter l'agrément. A la vérité, la ville était composée de gros blocs réguliers et blancs, sans un portique, sans une colonne, sans la trace ni d'un marbre taillé ou non, ni de ces représentations vivement colorées où excellent les artistes persans. Des troncs dénudés de figuiers et de vignes s'enlaçaient à l'entour de cette misère. On n'avait rien vu d'un goût si délicat et la sobriété de ces cabanes avait de l'héroïque et du divin. Quelques seigneurs dépêchèrent des esclaves démolir leurs palais d'Istakar ; on jeta les tentures d'Athènes et des Thermopyles ; et le reste du train piétina les tissus éblouissants. Les chameaux glissaient dans la fange et la croupe des chevaux blancs en était maculée. On se traita de Babyloniens et d'efféminés à cause de la répugnance qu'on avait peine à dissimuler. Mais il faut avouer qu'aux fontaines, des femmes nous regardèrent avec d'admirables yeux étonnés.
Enfin, le groupe des Rois mages qui tenait la tête du cortège fit halte, et tout le meilleur de la Perse sentit son cœur battre et s'humecter ses paupières.
Il y avait dans l'une de ces masures à peine abritées de la bise, une femme donnant le sein à un petit enfant nouveau-né, et un homme debout, qui les considérait d'un œil timide et doux. Notre nombre et notre magnificence ne parurent pas les émouvoir grandement. C'étaient des gens honnêtes et sans culture ; ils ignoraient la langue persane aussi bien que la grecque et celle des Romains. Quand enfin nous les pûmes atteindre par quelques paroles hébraïques et syriaques touchant le but de notre mission, ils hochèrent la tête en souriant et parurent rentrer aussitôt dans la tiède sérénité de leur union. Le Roi ouvrit des cassettes ; l'or brilla et tinta. Le Roi ne put se tenir de prendre l'enfant, et il dit, les yeux pleins de larmes : «Je le tiens dans mes bras!»
— Maître! Maître! prononçai-je à voix basse, et sur un ton de remontrance suppliante.
Ils sourirent encore et parurent confondus. L'autre mage avait aussi des présents. Mais le petit roi nègre qui se démenait étrangement pour expliquer la vertu de certains objets racornis, pareils à des noyaux, qu'il offrait, amusa l'enfant. Celui-ci agita les mains et remua ses lèvres humides de lait. On avait eu tant d'émotion qu'une grande détente se produisit. On entendit les chuchotements des seigneurs mêlés aux rires légers des dames. Une grande baie ouverte dans la muraille laissait apercevoir le reste du cortège attentif, haussé sur les montures, sur les bagages et jusque sur le cou des chameaux. Une princesse osa s'approcher de l'enfant et le baisa. Toutes les dames le voulurent approcher et baiser. On se le passait de main en main. On commença de mettre à part tout ce qu'il avait touché, mais on n'y put suffire. On lui promit cent cadeaux divers. On le voulait emmener et élever plus chaudement. Tout bas on blâma même le père de demeurer si tranquillement dans un hangar glacé. On prit pitié de ses langes ; jusqu'à des nourrices affranchies haussèrent l'épaule à cause de la façon dont il était enveloppé, selon la coutume du pays. Le petit avait l'air patient et bon ; les caresses lui plaisaient et il secouait de la main les colliers d'or. On finit par s'asseoir où l'on put, et l'on occupa le reste du jour à jouer avec l'enfant le plus simplement du monde.