Nymphes dansant avec des satyres
III
Le visage du Roi parut radieux, le lendemain. On en augura que les signes étaient bons et personne ne s'inquiéta d'autre chose que de suivre cette face auguste et se reposer sur ces présages. Rien n'est plus doux que d'être conduit.
Toutefois, ayant eu, dans le courant de ce jour, à traverser un coin notable du désert d'Arabie, et les ressources de l'esprit commençant à se sentir de l'aridité générale, nous éprouvâmes quelque malaise dès auparavant que le soleil déclinât. Je crus comprendre que les seigneurs et les dames souhaitaient savoir si, non content des prodiges annoncés, le Roi entendait en tirer de notre patience. On me chargeait bientôt de cette enquête délicate, grâce à la complaisance que ce monarque témoigne pour ma double qualité de misérable sophiste et d'héritier d'une race qui mit le royaume à feu et à sang. J'allais m'en acquitter quand nous vîmes poindre à l'horizon des sables un nuage poudreux qui s'enfla progressivement et, dès aussitôt, nous fit oublier tout le reste.
Le nuage contenait un groupe de négrillons tout nus, hormis les régions du cou, des poignets et des chevilles, où des racines tressées supportaient de pauvres objets sans nom, qui étaient des talismans. A leur approche, les dames poussèrent un grand cri, se firent garantir la face par des écrans de plumes, puis n'eurent de cesse qu'elles n'eussent entouré et quasiment touché ces esclaves d'ébène fort divertissants par leur affectation à singer l'allure des hommes libres. Le comble de l'hilarité vint de ce qu'il nous fallut comprendre à leur mimique saccadée et inharmonieuse, qu'ils tenaient parmi eux quelque chose comme un roi et qui ne craignait pas de solliciter une entrevue face à face avec le puissant Seigneur de la Perse. Et je vous donne à penser de l'état de nos esprits quand nous sûmes que la tente royale s'était ouverte à toute cette peuplade gambadante aux membres menus et aux dos luisants comme ont les scarabées. Mieux que cela, le petit roi noir fut admis, la nuit suivante, à l'examen du ciel étoilé, et l'on sut qu'après avoir manqué défaillir au premier aspect des instruments et des signes graphiques de nos livres, les résultats s'en étaient trouvés d'une si intime concordance avec ceux des notions rudimentaires que l'on possède au royaume des Sables, qu'une scène touchante avait eu lieu où Roi, Mages et Nègre nu s'étaient confusément embrassés.
Nous ne doutâmes plus que l'on ne nous menât vers des merveilles, et nos dames, allégées par ce bel horizon, reprirent un goût serein aux choses de la route, à la grâce des matins, au clair déroulement de la journée, aux diversités troublantes des crépuscules, à la volupté des nuits.