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Nymphes dansant avec des satyres

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TABUBU

Un brave homme, nommé Setna, en se promenant un jour sur le bord du Nil, aperçut une femme qui lui parut très belle, bien qu'il ne lui vît pas la figure. Elle portait beaucoup d'or sur ses vêtements, et elle était suivie de cinquante-deux jeunes filles de tournure agréable.

Setna en perdit immédiatement la tête. Il fit signe à son jeune serviteur et lui commanda de savoir tout de suite qui était cette femme.

Le jeune serviteur s'approcha aussitôt de la jeune servante qui marchait derrière la belle femme et lui demanda le nom de sa maîtresse.

— Tabubu, dit la jeune servante. Et elle sourit à cause de celui qui en était encore à s'informer de Tabubu, que connaissaient tous les hommes.

Le jeune serviteur rapporta à Setna ce qu'il avait appris.

— Retourne vers cette fille et dis-lui d'avertir sa maîtresse que je m'appelle Setna et que je donnerai dix pièces d'argent pour passer une heure avec elle.

Le garçon rapporta la réponse :

— Tabubu fait dire à Setna qu'il se trompe s'il la prend pour une personne vile, et qu'elle est sage.

— C'est bien! dit Setna dont la figure se colorait comme le ciel au soleil couchant, retourne encore et fais dire à Tabubu que je suis capable d'user de violence.

Le jeune serviteur parlementa de nouveau et revint :

— Tabubu répond que, dans ce cas, il n'y a qu'à aller la trouver chez elle, dans une belle maison derrière le temple de Bast, et que là, Setna fera d'elle tout ce qu'il voudra, moyennant dix pièces d'argent.

Le soir même, Setna se rendit derrière le temple de Bast, et, avisant une belle maison, il demanda qui demeurait là. On le prit d'abord pour un homme ivre ; mais, comme il insistait, quelqu'un lui dit d'un air équivoque :

— C'est Tabubu.

— Fort bien, dit Setna, c'est chez elle que je vais.

On avertit Tabubu. Elle descendit, modestement voilée, mais couverte de riches parures ; et Setna se félicita d'être venu chez elle. Elle le prit par la main et le conduisit dans le jardin où il vit les cinquante-deux jeunes filles occupées à chanter, à jouer ou à prendre des poses propres à ravir les yeux. Les pelouses étaient très bien éclairées et l'eau des bassins, formant miroir, multipliait les lumières.

— Tu vois, dit Tabubu, que rien ne laisse à désirer dans ma maison.

Setna, qui se sentait le feu dans le corps, dit :

— Allons à l'intérieur.

Tabubu le fit monter par le perron, et ils pénétrèrent dans une salle ouverte par tout un côté sur le dehors et d'où l'on apercevait les ébats des joyeuses filles. Elle était ornée de lapis-lazuli et de vraies turquoises. Il y avait autour de la pièce des lits nombreux drapés d'étoffe de fin lin. Nombre de coupes d'or étaient disposées sur un buffet et chacune était remplie de vin. On apporta des mets variés et des fruits.

— Qu'il te plaise boire et manger, dit Tabubu.

— Ce n'est pas ce que je demande, dit Setna.

Tabubu lui dit :

— Moi, je suis sage, je ne suis pas une personne vile. Si tu tiens à faire ce que tu veux avec moi, il faut me céder par contrat tous tes biens.

— Pourquoi n'ôtes-tu pas le voile qui te couvre la figure? dit Setna.

— Je viens précisément de t'en donner la raison. Tu te trompes si tu me crois celle que tu penses.

«Voici cinquante-deux jeunes filles sans aucun voile et ce n'est pas elles que tu désires. Laisse donc cela. D'ailleurs ne suis-je pas très bien faite par tout le reste du corps?

— Si, si, dit Setna, je vois que tu es parfaitement bien ; finissons, allons à l'intérieur.

Tabubu fit venir un scribe et faire à Setna un contrat de cession pour tous ses biens.

Quand Setna eut signé, il dit :

— Allons à l'intérieur.

— Viens, dit Tabubu.

Mais, au moment où ils allaient pénétrer dans l'appartement, on vint dire à Setna :

— Tes enfants sont en bas, ils t'ont suivi et ils veulent que tu descendes sur-le-champ!

— Ces enfants viennent mal à propos, dit Setna ; mais, quant à moi, je ne peux pas descendre ; qu'on les fasse monter.

Tabubu s'habilla d'un habit de lin, pendant qu'on faisait monter les enfants. Setna voyait tous ses membres à travers l'étoffe, et son amour grandissait encore.

— Finissons, dit-il ; allons à l'intérieur.

— Voilà tes enfants, dit Tabubu ; si tu tiens beaucoup à faire ce que tu veux avec moi, prie-les de signer au-dessous du contrat que tu as fait en ma faveur, afin qu'ils ne contestent pas le don de tes biens.

Les enfants étant rentrés signèrent ce qu'on leur demandait. Après quoi, Setna dit :

— Finissons, allons à l'intérieur!

— Moi, je suis sage, dit Tabubu ; je ne suis pas une personne vile ; si tu tiens absolument à faire ce que tu veux avec moi, fais tuer tes enfants pour qu'ils ne se disputent pas un jour avec les miens.

— Je voudrais au moins, dit Setna, que tu ôtasses ton voile afin de savoir pour quelle beauté, je vais commettre cette méchante action.

Tabubu lança un vif éclat de rire. Elle se promenait à contre-jour, le long de la muraille qui portait les lumières, de sorte que l'on voyait la forme de son corps au travers de l'habit de lin. Et il n'y avait que son visage que l'on ne vît point.

Setna se tourna vers ses enfants, afin de leur demander s'ils comprenaient que l'on fît les plus grandes folies pour cette femme. Mais il vit ceux d'entre eux qui commençaient à être des hommes s'élancer vers Tabubu avec tous les signes d'un désir au moins égal au sien, et il pensa qu'ils tueraient leur père pour passer une heure avec elle. Alors il dit :

— Qu'on les tue!

Tabubu les fit égorger là où ils étaient et fit jeter leurs corps en bas du perron, devant les chiens et les chats qui mangèrent leur chair. Setna entendit ronger leurs os en buvant avec Tabubu.

— Tout ce que tu m'as demandé, je l'ai fait, dit-il ; finissons, allons à l'intérieur.

— Entre dans cette salle.

Il entra dans la salle, se coucha sur un lit d'ivoire et d'ébène, et étendit la main vers Tabubu.

— Me voici, dit-elle en se découvrant. Alors, il s'aperçut qu'elle avait la figure désobligeante des proxénètes d'un certain âge et que sa bouche était un cloaque immonde.

Mais il ne se montra point mécontent ; il se leva tranquillement et descendit en passant par les endroits où il était passé pour venir.

Le bruit de son aventure était répandu ; on se moqua de lui dans les jardins où les jeunes filles étaient accouplées avec des hommes de différentes nations, et on lui fit honte d'avoir perdu ses enfants et son bien pour une hideuse créature.

Il s'en alla, en pensant que ces gens-là sortiraient de cette maison d'amour, sans savoir ce que c'était que l'amour, alors que lui, il en avait goûté les plus vives délices par les transes effroyables du désir.

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