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Nymphes dansant avec des satyres

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II

Je suivis posément le Roi mon maître jusqu'à la cour intérieure où une grande masse de gens de toutes castes étaient assemblés. Il y avait aussi quarante chameaux, dirai-je à la mode de ce pays, pour exprimer que leur nombre allait au delà de ce que l'on peut compter ; force bagages sur des mules ; des chevaux bien drus et un épais tumulte d'officiers et d'esclaves. Je hasardai de m'enquérir si le prodige n'était point précisément que tant de monde se trouvât debout à une heure aussi matinale. Mais ma voix, qui ne puise sa clarté que dans la coupe de vin de Chypre propre au lever du sage, s'érailla dans ma gorge sèche et se perdit dans les murmures et le bruit des piétinements.

L'aurore coulait doucement le long des pentes de la colline où s'adosse le Palais, et en haut de l'escalier double, la chevelure des hippogriffes à tête d'homme recevait la caresse de ses tons de lait, tandis que leur barbe annelée rougeoyait encore au-dessus du brasier des torches.

Nous quittâmes la ville par la porte méridionale et il fallut que le cortège se déployât sous les rayons du jour et parmi les déclivités successives du terrain jusqu'aux bords du fleuve, pour que l'on pût apprécier le nombre et l'éclat des personnes qui le composaient. Je n'entreprendrai pas de le décrire ; qu'il me suffise de dire que tout ce qui a de la qualité dans l'antique Istakar était là, brillamment équipé et amplement muni de serviteurs. Sachez que l'un et l'autre sexe s'y balançaient en quantité égale, ce qui maintint dès aussitôt l'humeur sereine, sans préjuger le moins du monde des risques divers que comporte une expédition si mystérieuse.

Je passai la première matinée dans la compagnie des dames, insoucieux autant qu'elles, grâce à d'aimables discours, et confiant en la fantaisie royale. Nous admirâmes, au long de l'eau, la joaillerie capricieuse de la rosée sur les feuillages gras, et, sur la surface des flots polis, les combinaisons des tons harmonieux du jour, qu'égalent les Babyloniens dans le travail de leurs beaux tissus. Dans l'après-midi, nous lâchâmes l'oiseau de proie habile à piquer mortellement de son bec le lièvre et la gazelle ; le temps nous parut aussi prompt que la course de ces animaux agiles et le repas du soir fut succulent et gai.

Le Roi, qui ne sortait pas du cercle des prêtres, veilla la nuit et observa le ciel à l'aide d'instruments subtils. L'air était doux, et l'ombre aimable, à cause des mille clartés d'en haut. Mon puissant maître me reconnut accoudé à un vieux cep noueux, vers la lisière d'un champ d'oliviers dépouillés.

— Homme asservi à la matière et dont l'esprit cependant est souple, délicat et orné, prononça-t-il en passant, ne prendrais-tu pas d'intérêt à voir avec nous le Ciel continuer le livre des hommes, sublime collaboration! ou, si tu aimes mieux, à lire aux figures de cette grande coupe renversée, sinon le Destin que tu dédaignes, du moins les causes des fluctuations diverses de cet esprit humain que tu te piques de priser immédiatement après la chair des femmes?

— Maître, fis-je humblement, imprimant une cadence au cep flexible, outre que je ne me soucie pas de voir le Ciel corroborer des livres desquels je ne voudrais pas, par Apollon, avoir inscrit de mon stylet le plus mince iota, — car j'imagine qu'il s'agit de ces compilations des vilains Hébreux, incohérents et outrés, — je goûte pour le moment les aromes divins de la terre vers quoi je vois que toutes vos étoiles clignotent d'un œil jaloux ; et de plus, j'ai, sous ma tente, entre ma lampe allumée et ma petite esclave caucasienne, deux ou trois fragments homériques, quelques vers de Sophocle et des mimes courts et vifs où le dessin est pur, car, aux mobiles de l'esprit humain onduleux, j'avoue que je préfère le triomphe de cet esprit, dans les rares cas où il s'est montré parfait. J'implore donc, ô Roi, qu'il vous plaise me laisser sur mon cep, à recevoir la caresse du soir, délicieuse devancière des flatteries de jolis doigts parfumés et du bercement des nobles pensées traduites en langage excellent.

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