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Oeuvres de Champlain

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100%

VOYAGES

DE LA

NOUVELLE FRANCE

OCCIDENTALE, DICTE

CANADA

FAITS PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN

Xainctongeois, Capitaine pour le Roy en la Marine
du Ponant, & toutes les Descouvertes
qu'il a faites en ce païs depuis l'an
1603 jusques en l'an 1629.

Où Je voit comme ce pays a esté premièrement descouvert par les
François, sous l'authorité de nos Roys tres-Chrestiens, jusques au règne
de sa Majesté à present régnante LOUIS XIII.
Roy de France & de Navarre.

Avec un traitté des qualitez & conditions requises à un bon & parfaict Navigateur pour cognoistre la diversité des Estimes qui se font en la Navigation. Les Marques & enseignements que la providence de Dieu a mises dans les Mers pour redresser les Mariniers en leur routte, sans lesquelles ils tomberoient en de grands dangers. Et la manière de bien dresser Cartes marines avec leurs Ports, Rades, Isles. Sondes, & autre chose necessaire à la Navigation.

Ensemble une Carte generalle de la description dudit pays faicte en son Méridien selon la déclinaison de la guide Aymant, & un Catéchisme ou Instruction traduicte du François au langage des peuples Sauvages de quelque contrée, avec ce qui s'est passé en ladite Nouvelle France en l'année 1631.

A MONSEIGNEUR LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU.

A PARIS.

Chez Louis SEVESTRE Imprimeur-Libraire, rue du Meurier, prés la porte S. Vidior, & en sa Boutique dans la Cour du Palais.


MDCXXXII.

Avec Privilege du Roy.




3/643

A

MONSEIGNEUR

L'ILLUSTRISSIME CARDINAL

Duc DE RICHELIEU, Chef,

Grand Maistre & Sur-Intendant
Général du Commerce &
Navigation de France.

ONSEIGNEUR,

Ces Relations se presentent à vous; comme, à celuy auquel elles sont principalement deues, tant à cause de l'eminente Puissance que vous avez en l'Eglise, & en l'Estat comme en l'authorité de toute la Navigation, que pour estre informé ponctuellement de la grandeur, la bonté, & la beauté des lieux qu'elles vous rapportent. Partant que ce n'est pas sans grandes 4/644& preignantes causes que les Roys Predecesseurs de sa Majesté, & elle, non seulement y ont arboré l'estendart de la Croix, pour y planter la foy comme ils ont fait, ains encores y ont voulu adjouster le nom de la Nouvelle France. Vous y verrez les grands & périlleux Voyages qui y ont esté entreprins, les Descouvertes qui s'en sont ensuivies, l'estendue de ces terres, non moins grandes quatre fois que la France, leur disposition, la facilité de l'asseuré et important Commerce qui s'y peut faire, la grande utilité qui s'en peut retirer, la possession que nos Roys ont prinse d'une bonne partie de ces Pays, la mission qu'ils y ont faite de divers Ordres de Religieux, leur progrès en la conversion de plusieurs Sauvages, celle du défrichement de quelques unes de ces Terres, par lequel vous cognoistrez qu'elles ne cèdent en aucune façon en bonté à celle de la France, et en fin les habitations et forts qui y ont esté construicts sous le nom François. A la conservation desquels, comme en une bonne partie de ces Descouvertes ayant ainsi que j'ay esté assiduement employé depuis trente ans, tant sous l'auctorité de nos Vice-rois, que de celle de vostre Grandeur, c'est Monseigneur, ce qui excusera s'il vous plaist la liberté que je prends de vous offrir ce petit Traitté: en ceste asseurance qu'il ne vous sera point desagréable. Non pour ma consideration propre: Mais bien seulement pour celle du public: qui faict desja retentir vostre nom en toute l'estendue des rivages maritimes 5/645de la Terre habitable, par les acclamations des effects qu'il se promet de la continuation de la gloire de vos actions: & que comme vostre Grandeur les a eslevées en terre jusques au dernier degré, par la Paix qu'elle a procurée en ce Royaume, après tant & de si heureuses victoires, aussi ne sera elle moins portée à se faire admirer durant la Paix aux choses qui la concernent. Sur tout au restablissement du Commerce de France: dans les pays plus esloygnez; comme le moyen plus asseuré qu'elle ait pour reflorir de nouveau sous vos heureux auspices. Mais entre ces nations estranges celles de la Nouvelle France vous tendent principalement les mains: se figurans avec toute la France que puisque Dieu vous a constitué d'un costé Prince de l'Eglise, et de l'autre eslevé aux sureminantes dignitez que vous tenez, non seulement vous leur redonnerez la lumière de la foy, laquelle ils respirent continuellement, mais encores releverez et soustiendrez la possession de ceste Nouvelle Terre, par les Peuplades et Colonies qui s'y trouverront necessaires, et qu'en fin Dieu vous ayant choisy expressement entre tous les hommes pour la perfection de ce grand Oeuvre, il sera entièrement accomply par vos mains. C'est le souhait que je faits sans cesse, auquel je joincts encores les offres que je vous presente du reste de mes ans, que je tiendray tres-heureusement et necessairement employez en un si glorieux dessein, si avec 6/646tous mes labeurs passez je puis estre encores honoré des commandemens qu'attend de vostre Grandeur,

MONSEIGNEUR,

Vostre très-humble & tres-affectionné serviteur

CHAMPLAIN.

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SUR LE LIVRE DES

VOYAGES

du Sieur de Champlain Capitaine

pour le Roy en la Marine.



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TABLE DES CHAPITRES

contenus en la première Partie.

LIVRE PREMIER.


stendue de la Nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la Nouvelle France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, & Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples. Chap. I. P. 1

Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs Estats. Voyages des François faits es Terres neufves, depuis l'an 1504. Chap. II. P. 8

Voyage en la Floride sous le règne du Roy Charles IX. par Jean Ribaus. Fit bastir un fort, appellé le Fort de Charles, sur la riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par un Anglois. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de famine. Recompense de l'Empereur Charles V à ceux qui firent la descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May par les Espagnols. Attaquent Laudonniere. François tuez, & pendus avec des escriteaux. Chap. III. P. 16

Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut des Espagnols en la cruauté qu'ils exercèrent envers les François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est assailly des Espagnols, qu'il défait, & les traitte comme ils avoient fait les François. Chap. IIII. P. 23

Voyage que fit faire le sieur de Roberval. Envoye Alphonse Xainctongeois vers Labrador. Son parlement: son arrivée. Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort, pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son entreprise. Chap. V.P. 36

Voyage du sieur Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour dudit Sieur Chauvin & du Pont en France. Second voyage de Chauvin: son entreprise blasmable. Chap. VI. P. 40

Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur de Charte. Le sieur de Pont Gravé eslu pour le voyage de Tadoussac. L'Autheur se met 10/650en voyage avec ledit sieur Commandeur. Leur arrivée au Grand sault Sainct Louis. Sa difficulté à le passer. Leur retraite. Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage. Chap. VII. P. 44

Voyage du sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu Commandeur de Chaste. Obtient commission du Roy pour aller descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands de Rouen & de la Rochelle. L'Autheur voyage avec luy. Arrivent au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le sieur de Poitrincourt va avec le sieur de Mons. Plaintes dudit sieur de Mons. Sa commission revoquée. Chap. VIII. P. 48


Livre Second.

Description de la Héve. Du port au Mouton. Du port du Cap Nègre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie. Du port de Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de la coste d'Acadie. Chap. I. P. 55

Description du Port Royal, & des particularitez d'iceluy. De l'isle Haute. Du port aux Mines. De la grande baye Françoise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux Mines jusques à icelle. De l'isle appellée par les Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste. Chap. II. P. 60

De la coste, peuples, & riviere de Norembeque. Chap. III. P. 68

Descouverture de la riviere de Quinibequy, qui est de la coste des Almouchiquois, jusques au 42. degré de latitude, & des particularitez de ce voyage. A quoy les hommes & les femmes passent le temps durant l'hyver. Chap. IIII. P. 75

Riviere de Choüacoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap aux Isles. Canaux de ces peuples faits d'escorce de bouleau. Comme les Sauvages de ce pays là font revenir à eux ceux qui tombent en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux. Leur chef honorablement receu de nous. Chap. V. P. 83

Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce qu'y avons remarqué de particulier. Chap. VI. P. 90

Continuation des susdites descouvertures jusques au port Fortuné, & quelque vingt lieues par de là. Chap. VII. P. 98

Descouverture depuis le Cap de la Héve, jusques à Canseau, fort particulièrement. Chap. VIII. P. 104

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Livre Troisiesme.

Voyages du sieur de Poitrincourt en la Nouvelle France, ou il laisse son fils le sieur de Biencourt. Pères Jesuistes qui y sont envoyez, & les progrés qu'ils y firent, y faisans fleurir la Foy Chrestienne. Chap. I. P. 109

Seconde entreprise du sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que l'Autheur fait au lieu de Québec. Crieries contre le sieur de Mons. Chap. II, p. 127

Embarquement de l'Autheur pour aller habiter la grande riviere Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la riviere de Saguenay. De l'Isle d'Orléans. Chap. III. P. 130

Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: & du sault de Montmorency. Chap. IIII. P. 133

Arrivée de l'Autheur à Québec, où il fit ses logemens. Forme de vivre des Sauvages de ce pays là. Chap. V. P. 136

Semences de vignes plantées à Québec par l'Autheur. Sa charité envers les pauvres Sauvages. Chap. VI. P. 141

Partement de Québec jusques à l'Isle Sainct Eloy, & de la rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Ochataiguins. Chap. VII. P. 145

Retour à Québec, & depuis continuation avec les Sauvages jusques au Sault de la riviere des Hiroquois. Chap. VIII. P. 149

Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Hiroquois. Chap. IX. P. 155

Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin. Chap, X. P. 167

Deffaite des Hiroquois prés de l'emboucheure de ladite riviere des Hiroquois. Chap. XI. P. 170

Description de la pesche des Baleines en la Nouvelle France, Ch. XII. P. 179

Partement de l'Autheur de Québec: du Mont Royal, & ses Rochers. Isles où se trouve la terre à potier. Isle de faincte Hélène. Chap. XIII. P. 182

Deux cents Sauvages ramènent le François qu'on leur avoit baillé, & remmenèrent leur Sauvage qui estoit retourné de France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. XIIII. P. 188

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Livre Quatriesme.

Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée au Sault sainct Louys. Chap. I. P. 198

Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me fit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promirent quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost après me les refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrans les difficultez. Response à ces difficultez. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession. Chap. II. P. 211

Nostre retour au Sault. Fausse alarme. Cérémonie du sault de la Chaudière. Confession de nostre menteur devant un chacun. Nostre retour en France. Chap. III. P. 224

L'Autheur va trouver le sieur de Mons, qui luy commet la charge d'entrer en la societé. Ce qu'il remonstre à Monsieur le Comte de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur s'addresse à Monsieur le Prince, qui le prend en sa protection. Chap. IIII. P. 229

Embarquement de l'Autheur pour aller en la Nouvelle France. Nouvelles descouvertures en l'an 1615. Chap. V. P. 241

Nostre arrivée à Cahiagué. Description de la beauté du pays: naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommoditez que nous receusmes. Chap. VI. P. 253

Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du petum. Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre. Chap. VII. P. 272

Changement de Viceroy de feu Monsieur le Mareschal de Thémines, qui obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la Nouvelle France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons à la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par tes envieux. Chap. VIII. P. 310

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TABLE DES CHAPITRES

contenus en la Seconde Partie.

LIVRE PREMIER.

Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son arrivée à Québec. Prend possession du Pays, au nom de Monsieur de Montmorency. Chap. I. P. 1

Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France. Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de France apportées au sieur de Champlain. Chap. II. P. 8

Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France. Le sieur de May mis au Fort. Arrivée des Commis du sieur du Pont à Québec, & ce qui se passa sur ce qu'ils pretendoient. Chap. III. P. 16

Arrivée du sieur du Pont à Québec & du Canau d'Halard, & du sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père George à Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Sur l'arrest de sa Majesté. Magazin de Québec achevé par l'Autheur. Armes pour le fort de Québec. Chap. IV. P. 21

L'Autheur faist travailler au fort de Québec. Voye asseurée qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin commis du sieur Dolu. Réunion des deux societés. Chap. V. P. 36

L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez à Messieurs du Conseil. Des commoditez qui reviendroient de ces decouvertures. Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de faire la paix entr'eux. Chap. VI. P. 44

Arrivée du sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy à l'Autheur. Arrivée du sieur de la Ralde à Tadoussac. Ce qui se passa le reste de l'année 1622. & aux premiers mois de 1623. Chap. VII. P. 49

Arrivée de l'Autheur devant la riviere des Yroquois. Advis du Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en l'Isle S. Jean. Plaintes des Sauvages accordées. Le meurtrier est pardonné. Cérémonies observées en recevant le pardon du Roy de France. Accord entre ces nations sauvages & les François. Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de Nouveaux édifices. Chap. VIII. P. 6l

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Livre Second.

Monsieur le duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France, continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il luy fait expédier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez. Chap. I. P. 87

Description de l'Isle de terre Neufve. Isles aux Oyseaux, Ramées, S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonaventure, Miscou, Baye de Chaleu, avec celle qui environne le Golfe S. Laurent, avec les Costes, depuis Gaspey, jusques à Tadoussac, & de là à Québec, sur le grand fleuve S. Laurent. Chap. II. P. 98

Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois. L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres. Chap. III. P. 133

Mort, & assassinat de Pierre Magnan, François, du chef des Sauvages appellé Reconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour d'Emery de Caen & du P. l'Allemand à Québec. Necessitez en la Nouvelle France. Chap. IV. P. 142

Guerre déclarée par les Yroquois. Assemblée des sauvages. Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur veut venger ce meurtre. Chap. V. P. 149

Défauts observez par l'Autheur au voyage du sieur de Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire la guerre aux Yrocois. Chap. VI. P. 184


Livre Troisiesme.

Rapport du combat faict entre les François & les Anglois. Des François emmenez prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle amy des François promet les advertir de toutes les menées des Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient. Chap. I. P. 207

Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglois. Chap. II. P. 222

Le sieur de Champlain, ayant eu advis de l'arrivée des Anglois, donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux. Lettre qu'un Gentil-homme Anglois luy apporte, & sa response. Articles de leur composition. Infidelles< 16/655François prennent des commoditez de l'habitation. Anglois s'emparent de Québec. Chap. III. P. 237

Combat des François avec les Anglois. On fait parler l'Autheur au sieur Emery. Voyage des François pour secourir Québec. Le beau frère de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit de se retirer. Chap. IV. P. 251

Voyages de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites en la Foy. Chap. V. P. 268

Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes & munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort mal heureuse de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer. Chap. VI. P. 282

Partement des Anglois au port de Tadoussac, Général Quer craint l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre. L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du Reverend père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de l'Autheur à Paris. Chap. VII. P. 292

Relation du Voyage fait par le Capitaine Daniel de Dieppe, en la Nouvelle France, la presente année 1629. P. 299

Abrege des descouvertures de la Nouvelle France, tant de ce que nous avons descouvert comme aussi les Anglois, depuis les Virgines jusqu'àu Freton Davis & de ce qu'eux & nous pouvons prétendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger à un chacun du tout sans passion. P. 322.



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TABLE Du TRAITÉ

de la Marine, & du devoir

d'un bon Marinier.


DE la Navigation. P. 5

Que les cartes pour la navigation sont necessaires. P. 19.

Comme l'on doit user de la carte marine. P. 20.

Comme les cartes sont necessaires à la navigation, pour tous Mariniers qui peuvent sçavoir le moyen de les fabriquer pour s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus dictes, & la façon comme l'on y doit procéder selon la Boussole des Mariniers. P. 2l

Des accidents qui arrivent à beaucoup de navigateurs pour ce qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde. P. 26

Premier que rapporter les diverses estimes l'on verra une chose remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a donné aux hommes pour eviter les périls de la plus part des navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a point de reigle bien asseurée, non plus qu'en l'estime du marinier, p. 28

Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour au papier journal. P. 37

S'ensuit comme l'on peut sçavoir si un pilote a bien fait son estime, & pointer la carte. P. 40

De pointer la carte. P. 42

Autre manière d'estimer & arrester le poind sur la carte. P. 45

Autre manière d'estimer que font beaucoup de navigateurs. P. 48

Autre manière de pointer après l'estime faicte. P. 49

Autre manière d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns Anglois bons navigateurs, qui m'a semblé fort seure au respect des estimes que l'on fait ordinairement. P. 50

Autre manière de sçavoir le lieu où se treuve un vaisseau cinglant par quelque vent que ce soit. P. 54

Autre façon d'estimer par fantaisie. P. 54

FIN.

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LES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.

LIVRE PREMIER.


Estendue de la nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la nouvelle France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, & Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples.

CHAPITRE PREMIER.

ES travaux que le Sieur de Champlain a soufferts aux descouvertes de plusieurs terres, lacs, rivieres, & isles de la nouvelle France depuis vingt-sept ans1, ne luy ont point fait perdre courage pour les difficultez qui s'y sont rencontrées: mais au contraire les périls & hazards qu'il y a courus, le luy ont redoublé, au lieu de l'en destourner: & sur tout, deux puissantes considerations l'ont fait resoudre 2/658d'y faire de nouveaux voyages. La première, que souz le règne du Roy Louis le Juste, la France se verra enrichie & accreue d'un païs dont l'estendue excede plus de seize cents lieues en longueur, & de largeur prés de cinq cents. La seconde, que la bonté des terres, & l'utilité qui s'en peut tirer, tant pour le commerce du dehors, que pour la douceur de la vie au dedans, est telle, que l'on ne peut estimer l'avantage que les François en auront quelque jour, si les Colonies Françoises y estans establies, y sont protégées de la bien-veillance & authorité de sa Majesté.

Note 1: (retour)

Champlain fit son premier voyage en la Nouvelle-France dès 1603: par conséquent en 1632, il y avait vingt-neuf ans qu'il avait commencé ses découvertes de ce côté. Ce nombre de vingt-sept ans, qui se trouve au commencement de cette édition de 1632, est une preuve assez forte que l'auteur commença son travail de publication peu de temps après la prise de Québec par les frères Kerck, peut-être même des l'automne de 1629. Une édition complète de ses voyages devait avoir le bon effet d'éclairer la cour de France sur les ressources que pouvait offrir pour l'avenir un pays si avantageusement doué de la nature, et surtout de faire bien comprendre les droits de priorité de possession que pouvaient revendiquer les Français sur toutes ces nouvelles et importantes régions qui portaient depuis longtemps déjà le nom de Nouvelle-France. Aussi, quelques lignes plus loin, l'auteur laisse assez entrevoir le motif de cette édition, qui résume ses premiers voyages, et renferme tous les principaux événements des années subséquentes.

Ces nouvelles descouvertes ont causé le dessein d'y faire ces Colonies, lesquelles quoy que d'abord elles ayent esté de petite consideration, néantmoins par succession de temps, au moyen du commerce, elles égalent les Estats des plus grands Rois. On peut mettre en ce rang plusieurs villes que les Espagnols ont édifiées au Pérou, & autres parties du monde, depuis six vingt ans en ça, qui n'estoient rien en leur principe. L'Europe peut rendre tesmoignage de celle de Venise, qui estoit à son commencement une retraitte de pauvres pescheurs. Gennes, l'une des plus superbes villes du monde, édifiée dedans un païs environné de montagnes, fort desert, & si infertile, que les habitans sont contraints3/659 de faire apporter la terre de dehors pour cultiver leurs jardinages d'alentour, & leur mer est sans poisson. La ville de Marseille, qui autre-fois n'estoit qu'un marescage, environné de collines & montagnes assez fascheuses, neantmoins par succession de temps a rendu son territoire fertile, & est devenue fameuse, & grandement marchande. Ainsi plusieurs petites Colonies ayans la commodité des ports & des havres, se sont accreue en richesses & réputation.

Il se peut dire aussi, que le pays de la nouvelle France est un nouveau monde, & non un royaume, beau en toute perfection, & qui a des scituations très-commodes, tant sur les rivages du grand fleuve Sainct Laurent (l'ornement du pays) qu'és autres rivieres, lacs, estangs, & ruisseaux, ayant une infinité de belles isles accompagnées de prairies & boccages fort plaisans & agréables, où durant le Printemps & l'Esté se voit un grand nombre d'oiseaux, qui y viennent en leur temps & saison: les terres très-fertiles pour toutes sortes de grains, les pasturages en abondance, la communication des grandes rivieres & lacs, qui sont comme des mers traversant les contrées, & qui rendent une grande facilité à toutes les descouvertes, dans le profond des terres, d'où on pourroit aller aux mers de l'Occident, de l'Orient, du Septentrion, & s'estendre jusques au Midy.

Le pays est remply de grandes & hautes forests, peuplé de toutes les mesmes sortes de bois que nous avons en France; l'air salubre, & les eaux excellentes sur les mesmes parallelles d'icelle: &l'utilité qui 4/660se trouvera dans le païs, selon que le Sieur de Champlain espere le representer, est assez suffisant pour mettre l'affaire en consideration, puis que ce pays peut produire au service du Roy les mesmes advantages que nous avons en France, ainsi qu'il paroistra par le discours suivant.

Dans la nouvelle France y a nombre infiny de peuples sauvages, les uns sont sedentaires amateurs du labourage, qui ont villes & villages fermez de pallissades, les autres errans qui vivent de la chasse & pesche de poisson, & n'ont aucune cognoissance de Dieu. Mais il y a esperance que les Religieux qu'on y a menez, & qui commencent à s'y establir, y faisant des Séminaires, pourront en peu d'années y faire de beaux progrez pour la conversion de ces peuples. C'est le principal soin de sa Majesté, laquelle levant les yeux au ciel, plustost que les porter à la terre, maintiendra, s'il luy plaist, ces entrepreneurs, qui s'obligent d'y faire passer des Ecclesiastiques, pour travailler à ceste saincte moisson, & qui se proposent d'y establir une Colonie, comme estant le seul & unique moyen d'y faire recognoistre le nom du vray Dieu, & d'y establir la Religion Chrestienne, obligeant les François qui y passeront, de travailler au labourage de la terre, avant toutes choses, afin qu'ils ayent sur les lieux le fondement de la nourriture, sans estre obligez de le faire apporter de France: & cela estant, le pays fournira avec abondance, tout ce que la vie peut souhaitter, soit pour la necessité, ou pour le plaisir, ainsi qu'il sera dit cy-aprés.

Si on desire la vollerie, il se trouvera dans ces5/661 lieux de toutes sortes d'oiseaux de proye, & autant qu'on en peut désirer: les faucons, gerfauts, sacres, tiercelets, esperviers, autours, esmerillons, mouschets2, de deux sortes d'aigles, hiboux petits & grands, ducs grands outre l'ordinaire3, pies griesches, piverts, & autres sortes d'oyseaux de proye, bien que rares au respect des autres, d'un plumage gris sur le dos, & blanc souz le ventre, estans de la grosseur & grandeur d'une poulle, ayans un pied comme la serre d'un oyseau de proye, duquel il prend le poisson: l'autre est comme celuy d'un canard, qui luy sert à nager dans l'eau lors qu'il s'y plonge pour prendre le poisson: oiseau qu'on croit ne s'estre veu ailleurs qu'en la nouvelle France 4.

Note 2: (retour)

Dans quelques parties de la France, et surtout en Picardie, on donnait le nom de mouchets aux petits oiseaux de proie.

Note 3: (retour)

C'est une variété du Grand Duc (Bubo Virginianus).

Note 4: (retour)

L'oiseau dont parle ici Champlain, est le Balbuzard de la Caroline (Pandion Carolinensis). Ce passage montre qu'on a fait sur notre aigle pêcheur les mêmes contes que sur celui d'Europe. «C'est une erreur populaire,» dit Buffon, «que cet oiseau nage avec un pied, tandis qu'il prend le poisson avec l'autre, et c'est cette erreur populaire qui a produit la méprise de M. Linnaeus. Auparavant, M, Klein a dit la même chose de l'orfraie ou grand aigle de mer; il s'est également trompé, car ni l'un ni l'autre de ces oiseaux n'a de membranes entre aucuns doigts du pied gauche. La source commune de ces erreurs est dans Albert-le-Grand, qui a écrit que cet oiseau avait l'un des pieds pareil à celui d'un épervier, et l'autre semblable à celui d'une oie: ce qui est non-seulement faux, mais absurde et contre toute analogie.»

Pour la chasse du chien couchant, les perdrix s'y trouvent de trois sortes5; les unes sont vrayes gelinotes, 6/662 autres noires, autres blanches, qui viennent en hyver, & qui ont la chair comme les ramiers, & d'un très-excellent goust.

Note 5: (retour)

Les trois espèces de perdrix que mentionne ici Champlain, sont celles que l'on rencontre communément dans nos forêts: la Perdrix de savane, ou Gelinotte du Canada (Tetrao Canadensîs, LINN.); la Perdrix de bois, ou Coq de bruyère (Bonasa umbellus, STEPH.), et la Perdrix blanche (Lagopus albus, AUD.). Boucher et Charlevoix n'en mentionnent aussi que trois espèces. «Il y a, dit le premier, trois sortes de Perdrix; les unes sont blanches, & elles ne se trouvent qu'en Hyver, elles ont de la plume jusque sur les argots, elles sont belles & plus grosses que celles de France, la chair en est délicate. Il y a d'autres perdrix qui sont toutes noires, qui ont des yeux rouges: elles sont plus petites que celles de France, la chair n'en est pas si bonne à manger; mais c'est un bel oyseau, & elles ne sont pas bien communes. Il y a aussi des Perdrix grises, qui sont grosses comme des Poules: celles-là sont fort communes & bien aisées à tuer, car elles ne s'enfuyent quasi pas du monde: la chair est extrêmement blanche & seiche.» (Hist. véritable & naturelle, ch. VI.) Nous avons cependant une quatrième espèce de Perdrix, le Lagopus rupestris; mais on ne la trouve que vers la côte du Labrador.

Quant à l'autre chasse du gibbier, il y abonde grande quantité d'oiseaux de riviere, de toutes sortes de canards, sarcelles, oyes blanches & grises, outardes, petites oyes, beccasses, beccassines, allouettes grosses & petites, pluviers, hérons, grues, cygnes, plongeons de deux ou trois façons, poulles d'eau, huarts, courlieux, grives, mauves blanches & grises, & sur les costes & rivages de la mer, les cormorans, marmettes, perroquets de mer, pies de mer, apois, & autres en nombre infiny, qui y viennent selon leur saison.

Dans les bois, & en la contrée où habitent les Hiroquois, peuples de la nouvelle France, il se trouve nombre de cocs d'Inde sauvages, & à Quebec quantité de tourtres tout le long de l'esté, merles, fauves, allouettes de terre, autres sortes d'oiseaux de divers plumages, qui sont en leur saison de très-doux ramages.

Après cette sorte de chasse, y en a une autre non moins plaisante & agréable, mais plus pénible, y ayant audit pays des renards, loups communs, & loups cerviers, chats sauvages, porcs-espics, castors, rats musquez, loutres, martres, fouines, especes de blereaux, lapins, ours, eslans6, cerfs, dains, caribous 7/663de la grandeur des asnes sauvages, chevreux, escurieux vollans, & autres, des hermines, & autres especes d'animaux que nous n'avons pas en France. On les peut chasser, soit à l'affus, ou au piège, par huées dans les isles, où ils vont le plus souvent, & comme ils se jettent en l'eau entendant le bruit, on les peut tuer aisément, ou ainsi que l'industrie de ceux qui voudront y prendre le plaisir, le fera voir.

Note 6: (retour)

Par élan, les auteurs qui ont écrit sur le Canada ont désigné généralement l'Orignal, ou Orignac. «Premièrement, dit Lescarbot, parlons de l'Ellan... lequel noz Basques appellent Orignac.» (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) «Commençons, dit Boucher, par le plus commun & le plus universel de tous les animaux de ce pays, qui est l'Elan, qu'on appelle en ces quartiers icy Orignal.» (Hist. véritable & naturelle, ch. v.) «Les eslans, dit Sagard, ou orignats, en Huron Sondareinta, sont fréquents & en grand nombre au pays des Montagnais, & fort rares à celuy des Hurons, sinon à la contrée du Nort.» (Hist. du Canada, p. 749.) «Ce qu'on appelle ici Orignal, dit Charlevoix, c'est ce qu'en Allemagne, en Pologne & en Moscovie on nomme Elan, ou la Grand-Bête.» (Journal historique, lettre VII.) A part l'Orignal (Alce Americanus, BAIRD), la même famille compte encore, en Canada, quatre espèces différentes de Cerfs, qui peuvent correspondre à celles que mentionne ici Champlain: 1° Le Cerf du Canada (Cervus Canadensis, GRAY). 2° Le Caribou, dont il y a deux espèces: le Rangifer caribou, AUD., et le Rangifer Groenlandicus, BAIRD. 3° Le Chevreuil, ou Cerf de Virginie (Cervus Virginianus, AUD.).

Si on aime la pesche du poisson, soit avec les lignes, filets, parcs, nasses, & autres inventions, les rivieres, ruisseaux, lacs, & estangs sont en tel nombre que l'on peut desirer, y ayant abondance de saumons, truittes très-belles, bonnes & grandes de toutes sortes, esturgeons de trois grandeurs, aloses, bars fort bons, & tel se trouve qui pese vingt livres: carpes de toutes sortes, dont y en a de très-grandes, & des brochets, aucuns de cinq pieds de long, barbus qui sont sans escaille, de deux à trois sortes grands & petits: poisson blanc d'un pied de long7: poisson doré, esplan, tanche, perche, tortue, loups marins, dont l'huile est fort bonne, mesme à frire, marsouins blancs, & beaucoup d'autres que nous n'avons point, & ne se trouvent dedans nos rivieres & estangs. Toutes ces especes de poissons se trouvent dans le grand fleuve Sainct Laurent: & d'avantage, mollues & baleines se peschent tout le long des costes de la nouvelle France presque en toute saison.

Note 7: (retour)

Le Poisson Blanc, en certaines parties du Canada et spécialement aux environs de Québec, atteint jusqu'à près de deux pieds.

8/664Ainsi de là on peut juger le plaisir que les François auront en ces lieux y estans habituez, vivans dans une vie douce & tranquille, avec toute liberté de chasser, pescher, se loger & s'accommoder selon sa volonté, y ayans dequoy occuper l'esprit à faire bastir, desfricher les terres, labourer des jardinages, y planter, enter, & faire pépinières, semer de toutes sortes de grains, racines, légumes, sallades, & autres herbes potagères, en telle estendue de terre, & en telle quantité que l'on voudra. La vigne y porte des raisins assez bons, bien qu'elle soit sauvage, laquelle estant transplantée, & labourée, portera des fruicts en abondance. Et celuy qui aura trente arpents de terre défrichée en ce pays là, avec un peu de bestail, la chasse, la pesche, & la traitte avec les Sauvages, conformément à l'establissement de la Compagnie de la nouvelle France, il y pourra vivre luy dixiesme, aussi bien que ceux qui auroient en France quinze à vingt mil livres de rente.



Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs Estats. Voyages des François faits és Terres neufves depuis l'an 1504.

CHAPITRE II.

Les palmes & les lauriers les plus illustres que les Rois & les Princes peuvent acquérir en ce monde, est que mesprisans les biens temporels, porter leur desir à acquérir les spirituels: ce qu'ils ne peuvent faire plus utilement, qu'en attirant 9/665par leur travail & pieté un nombre infiny d'âmes sauvages (qui vivent sans foy, sans loy, ny cognoissance du vray Dieu) à la profession de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Car la prise des forteresses, ny le gain des batailles, ny la conqueste des pays, ne sont rien en comparaison ny au prix de celles qui se préparent des coronnes au ciel, si ce n'est contre les Infidèles, où la guerre est non seulement necessaire, mais juste & saincte, en ce qu'il y va du salut de la Chrestienté, de la gloire de Dieu, & de la défende de la foy, & ces travaux sont de soy louables & tres-recommandables, outre le commandement de Dieu, qui dit, Que la conversion d'un infidèle vaut mieux que la conqueste d'un Royaume. Et si tout cela ne nous peut esmouvoir à rechercher les biens du ciel aussi passionnément du moins que ceux de la terre, d'autant que la convoitise des hommes pour les biens du monde est telle, que la plus-part ne se soucient de la conversion des infidèles, pourveu que la fortune corresponde à leurs desirs, & que tout leur vienne à souhait. Aussi est-ce ceste convoitise qui a ruiné, & ruine entièrement le progrez & l'advancement de ceste saincte entreprise, qui ne s'est encores bien avancée, & est en danger de succomber, si sa Majesté n'y apporte un ordre tres-sainct, charitable, & juste, comme elle est, & qu'elle mesme ne prenne plaisir d'entendre ce qui se peut faire pour l'accroissement de la gloire de Dieu, & le bien de son Estat, repoussant l'envie qui se met par ceux qui devroient maintenir ceste affaire, lesquels en cherchent plustost la ruine que l'effect.

10/666Ce n'est pas chose nouvelle aux François d'aller par mer faire de nouvelles conquestes: car nous sçavons assez que la descouverte des Terres neufves, & les entreprises genereuses de mer ont esté commencées par nos devanciers.

Ce furent les Bretons & les Normands, qui en l'an 1504-descouvrirent8 les premiers des Chrestiens, le grand Banc des Moluques, & les Isles de Terre neufve, 11/667ainsi qu'il se remarque és histoires de Niflet9, & d'Antoine Maginus.

Note 8: (retour)

Les Bretons, les Normands et les Basques fréquentaient déjà le grand banc de Terreneuve dès l'an 1504, et cela depuis longtemps, d'après le témoignage de plusieurs auteurs tant français qu'étrangers. «Quant au premier,» dit Lescarbot, en parlant de Terreneuve, «il est certain que tout ce pais que nous avons dit se peut appeller Terre-neuve, & le mot n'en est pas nouveau: car de toute mémoire, & dés plusieurs siècles noz Dieppois, Maloins, Rochelois, & autres mariniers du Havre de Grâce, de Honfleur & autres lieux, ont les voyages ordinaires en ces païs-là pour la pêcherie des Morues dont ilz nourrissent presque toute l'Europe, & pourvoyent tous vaisseaux de mer. Et quoy que tout pais de nouveau découvert se puisse appeller Terre-neuve, comme nous avons rapporté au quatrième chapitre du premier livre que Jean Verazzan appella la Floride Terre-neuve, pource qu'avant lui aucun n'y avoit encore mis le pied: toutefois ce mot est particulier aux terres plus voisines de la France és Indes Occidentales, léquelles sont depuis les quarante jusques au cinquantième degré. Et par un mot plus général on peut appeller Terre-neuve tout ce qui environne le Golfe de Canada, où les Terre-neuviers indifféremment vont tous les ans faire leur pêcherie: ce que j'ay dit être dès plusieurs siecles; & partant ne faut qu'aucune autre nation se glorifie d'en avoir fait la découverte. Outre que cela est très-certain entre noz mariniers Normans, Bretons, & Basques, léquels avoient imposé nom à plusieurs ports de ces terres avant que le Capitaine Jacques Quartier y allât; je mettray encore ici le témoignage de Postel que j'ay extrait de sa Charte géographique en ces mots: Terra haec ob lucrosissimam piscationis utilitatem summa literarum memoria a Gallis adiri solita, & ante mille sexcentos annos frequentari solita est: sed eo quod sit urbibus inculta & vasta, spreta est. De manière que nôtre Terre-neuve étant du continent de l'Amérique, c'est aux François qu'appartient l'honneur de la première découverte des Indes Occidentales, & non aux Hespagnols. Quant au nom de Bacalos il est de l'imposition de noz Basques, léquels appellent une Morue Bacaillos, & à leur imitation noz peuples de la Nouvelle-France ont appris à nommer aussi la Morue Bacaillos, quoy qu'en leur langage le nom propre de la morue soit Apegé. Et ont dés si long temps la fréquentation dédits Basques, que le langage des premières terres est à moitié de Basque.» (Hist. de la Nouv. France, p. 228, 229.) «Les grands profits,» dit le commentateur des Jugements d'Oleron, «& la facilité que les habitans de Capberton» (Cap breton) «prez Bayonne, & les Basques de Guienne ont trouvé à la pescherie des Balenes, ont servi de Leurre & d'amorce à les rendre hazardeux à ce point, que d'en faire la queste sur l'Océan, par les longitudes & les latitudes du monde. A cest effet ils ont cy-devant équippé des Navires, pour chercher le repaire ordinaire de ces monstres. De sorte que suivant ceste route, ils ont descouvert cent ans avant les navigations de Christophe Colomb, le grand & petit banc des Morues, les terres de Terre-neufve, de Capberton & Baccaleos (Qui est à dire Morue en leur langage) le Canada ou nouvelle France, où c'est que les mers sont abondantes & foisonnent en Balenes. Et si les Castillans n'avoient pris à tasche de dérober la gloire aux François de la première atteinte de l'Isle Athlantique, qu'on nomme Indes Occidentales, ils advoueroient, comme ont fait Corneille Wytfliet & Anthoine Magin, Cosmographes Flamans, ensemble F. Antonio S. Roman, Monge de S. Benico, del Historia général de la India, lib. I, cap. 2, pag. 8. que le Pilote lequel porta la première nouvelle à Christophe Colomb, & luy donna la connoissance & l'adresse de ce monde nouveau, fut un de nos Basques Terre-neufiers.» (Jugements d'Oleron, p. 151, 152). «Si, dans la langue primitive des Basques,» dit M. Francis Parkman (Pioneers of France in the New World, p. 171, note), «le mot baccaleos veut dire morue, et que Cabot l'ait trouvé en usage parmi les habitants de Terreneuve, il est difficile d'éluder la conclusion, que les Basques y avaient été avant lui.»

Note 9: (retour)

Wytfliet. L'auteur parle ici, sans doute, de l'édition française publiée à Douay en 1611, et qui a pour titre: «Histoire universelle des Indes Occidentales et Orientales, et de la Conversion des Indiens, divisée en trois parties, par Cornille Wytfliet, et Anthoine Magin, et autres historiens.» La première partie, qui est de Wytfliet, avait d'abord paru en latin, à Louvain, en 1597, sous le titre: Descriptionis Ptolemaicae Augmentum sive Occidentis notitia brevi commentario illustrata studio et opéra Cornely Wytjliet Louaniensis. L'année suivante, il en parut une seconde édition, dans le titre de laquelle on a ajouté et bac secundo editione magna sui parte aucta C. Wytfliet auctore. Dans les éditions subséquentes, ce sont les mêmes cartes que celles de 1597; et, dans quelques-unes de ces cartes, on retrouve encore les restes du chiffre mal effacé 1597, en particulier dans celles intitulées Chica, etc., Peruani regni descriptio. Limes Occidentis Quivira et Anian Norumbega et Virginia, Nova Francia et Canada. La seconde partie est intitulée «Histoire Universelle des Indes Occidentales, divisée en deux livres, faicte en latin par Antoine Magin, nouvellement traduite...»

Il est aussi très-certain que du temps du Roy François premier en l'an 1323.10 il envoya Verazzano Florentin descouvrir les terres, costes,& havres de la Floride, comme les relations de ses voyages font foy: où après avoir recognu depuis le 33e degré 11, jusques au 47. de pays 12, ainsi comme 12/668il pensoit s'y habituer, la mort luy fit perdre la vie avec ses desseins13.

Note 10: (retour)

Vérazzani était parti en 1523; mais ce ne fut qu'au commencement de l'année suivante qu'il se rendit en Amérique, comme on peut le voir par la lettre qu'il adressa, de Dieppe, à François I, en date du 8 juillet 1524, pour lui rendre compte de ce qu'il avait pu faire jusque-là. Ramusio (vol. III, fol. 35°) et Hakluyt (vol. III, p. 295) nous ont conservé cette lettre, qui n'est cependant, à ce qu'il paraît, qu'un abrégé de celle conservée à Florence, dans la bibliothèque Magliabecchi. (Voir Pioneers of France in the New World, par FRANCIS PARKMAN, p. 175, note I.)

Note 11: (retour)

Vérazzani a dû même se rendre jusque vers le trente-deuxième degré, c'est-à-dire, non loin de l'embouchure de la rivière Savannah; car, suivant sa propre relation, après avoir fait cinquante lieues vers le sud, pour chercher un havre, il revint sur ses pas, fit voile vers le nord, et, se trouvant dans le même embarras, il mouilla par la hauteur de 34°. Il avait donc fait plus de cinquante lieues au-delà du trente-quatrième degré, dans une direction à peu près sud-est; ce qui équivaut à environ deux degrés de latitude.

Note 12: (retour)

C'est la latitude de la côte méridionale de Terreneuve, et c'est en effet la dernière terre de l'Amérique que Vérazzani paraît avoir vue: «Faisant le nord-est, dit-il, l'espace de cent cinquante lieues, nous approchâmes la terre qui dans les temps passés fut découverte par les Bretons, laquelle est par les cinquante degrés.» (Hakluyt, voi. 111.)

Note 13: (retour)

Vérazzani ne périt point à ce voyage, puisqu'il fit au roi de France rapport de ses découvertes. Il n'avait fait, cette fois, qu'un simple voyage d'exploration; mais, d'après Ramusio (vol. III, fol. 438), son intention était d'engager François I à fonder une colonie en Amérique. On ignore absolument quelle fut la fin de cet intrépide voyageur; seulement, on voit, par une lettre d'Annibal Caro, I, 6, qu'il était encore vivant en 1537. Cette lettre est citée dans Tiraboschi.

Du depuis, le mesme Roy François, à la persuasion de Messire Philippes Chabot Admiral de France, dépescha Jacques Cartier, pour aller descouvrir nouvelles terres: & pour ce sujet il fit deux voyages és années 1534 & 35. Au premier il descouvrit l'isle de Terre neufve, & le golphe de Sainct Laurent, avec plusieurs autres Isles de ce golphe; & eust fait davantage de progrés, n'eust esté la saison rigoureuse qui le pressa de s'en revenir. Ce Jacques Cartier estoit de la ville de Sainct Malo, fort entendu & expérimenté au faict de la marine, autant qu'autre de son temps: aussi Sainct Malo est obligée de conserver sa mémoire, tout son plus grand desir estant de descouvrir nouvelles terres: & à la sollicitation de Charles de Mouy sieur de la Mailleres 14, lors Vice-Admiral, il entreprint le mesme voyage pour la deuxiesme fois: & pour venir à chef de son dessein, & y faire jetter par sa Majesté le fondement d'une Colonie, afin d'y accroistre l'honneur de Dieu, & son authorité Royale, pour cet effect il donna ses commissions, avec celle du dit sieur Admiral, qui avoit la direction de cet embarquement, auquel il contribua de son pouvoir.

Note 14: (retour)

Meilleraye.

Les commissions expédiées, sa Majesté donna la charge audit Cartier, qui se met en mer avec deux 13/669vaisseaux le 16 May15 1535. & navige si heureusement, qu'il aborde dans le golfe Sainct Laurent, entre dans la riviere avec les vaisseaux du port de 800. tonneaux 16, & fait si bien qu'il arrive jusques à une isle, qu'il nomma l'isle d'Orléans 17, à cent vingt lieues à mont le fleuve. De là va à quelque dix lieues du bout d'amont dudit fleuve hyverner à une petite riviere qui asseche presque de basse mer, qu'il nomma Saincte Croix, pour y estre arrivé le jour de l'Exaltation de saincte Croix: lieu qui s'appelle maintenant la riviere sainct Charles, sur laquelle à prêtent sont logez les Pères Recollets, & les Peres Jesuites18, pour y faire un Séminaire à instruire la jeunesse.

Note 15: (retour)

La relation du second voyage de Cartier commence en effet par cette date; mais le départ n'eut lieu que le 19 suivant. «Le dimenche, dit-il, jour & feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en l'an mil cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine & bon vouloir de tous, chascun se confessa, & receusmes tous ensemblement nostre créateur en l'esglise cathédrale de sainct Malo. Après lequel avoir reçu, feusmes nous presenter au coeur de ladicte eglise, devant reverend père en Dieu monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa benediction. Et le mercredy ensuivant dix neufiesme jour de May, le vent vint bon & convenable, & appareillasmes avec trois navires, Scavoir la grand Hermine du port environ cent à six vingtz tonneaulz... Le second navire nommé la petite Hermine, du port environ soixante tonneaulz... Le tiers navire nommé l'Emerillon du port de environ quarante tonneaulz...» (Second Voy.)

Note 16: (retour)

Deux cents à deux cent vingt tonneaux. (Voir la note précédente.)

Note 17: (retour)

En remontant le fleuve, dans l'automne de 1535, Cartier l'appela île de Bacchus, et, le printemps suivant, au retour du même voyage, il dit: «Vinsmes poser au bas de l'isle d'Orléans.» (Voir Brief Récit, Notes de M. d'Avezac, verso 63.—Voir aussi le Voyage 1603, p. 24, note 1 de cette édition.)

Note 18: (retour)

On sait que les Pères Jésuites, en arrivant à Québec, logèrent chez les Pères Récollets, à leur couvent de Notre-Dame-des-Anges, pendant deux ans et demi (Sagard, Hist. du Canada, p. 868); mais, à l'époque de l'édition de 1632, les Jésuites demeuraient de l'autre côté de la rivière Saint-Charles, près de l'embouchure de la petite rivière Lairet. «Nos Frères, dit Sagard, leur offrirent charitablement, & les mirent en possession cordialement, de la juste moitié de nostre maison (à leur choix) du jardin & tout nostre enclos, qui est de fort longue estendue fermé de bonnes palissades & pièces de bois, qu'ils ont occupez par l'espace de deux ans & demy. De plus ils leur presterent une charpente toute disposée & preste à mettre en oeuvre, pour un nouveau corps de logis, d'environ 40 pieds de longueur, & 28 de large, & en l'an 1627, ils leur en presterent encore une autre que nos Religieux avoient de rechef fait dresser pour aggrandir nostre Convent, lesquelles ils ont employées à leur bastiment commencé au delà de la petite riviere sept ou 800 pas de nous, en un lieu que l'on appelle communément le fort de Jacques Cartier.» (Ibid.)

14/670De là ledit Cartier alla à mont ledit fleuve quelques soixante lieues, jusques à un lieu qui s'appelloit de son temps Ochelaga, & qui maintenant s'appelle Grand Sault sainct Louis, lesquels lieux estoient habitez de Sauvages, qui estans sedentaires, cultivoient les terres. Ce qu'ils ne font à present, à cause des guerres qui les ont fait retirer dans le profond des terres.

Cartier ayant recognu, selon son rapport, la difficulté de pouvoir passer les Sauts, & comme estant impossible, s'en retourna où estoient ses vaisseaux, où le temps & la saison le presserent de telle façon, qu'il fut contraint d'hyverner en la riviere Saincte Croix, en un endroit où maintenant les Pères Jesuites ont leur demeure, sur le bord d'une autre petite riviere qui se descharge dans celle de Saincte Croix, appellée la riviere de Jacques Cartier19, comme ses relations font foy.

Note 19: (retour)

Aujourd'hui la rivière Lairet. (Voir la note 4 de la page précédente.)

Cartier receut tant de mescontentement en ce voyage, qu'en l'extrême maladie du mal de scurbut, dont ses gens la plus-part moururent, que le printemps revenu il s'en retourna en France assez triste & fasché de ceste perte, & du peu de progrès qu'il s'imaginoit ne pouvoir faire, pensant que l'air estoit si contraire à nostre naturel, que nous n'y pourrions vivre qu'avec beaucoup de peine, pour avoir esprouvé en son hyvernement le mal de scurbut, qu'il appelloit mal de la terre. Ainsi ayant fait sa relation au Roy, & audit Sieur Admiral, & de Mallières 20, lesquels n'approfondirent pas ceste affaire, l'entreprise 15/671fut infructueuse. Mais si Cartier eust peu juger les causes de sa maladie, & le remède salutaire & certain pour les eviter, bien que luy & ses gens receurent quelque soulagement par le moyen d'une herbe appellée aneda comme nous avons fait à nos despens aussi bien que luy, il n'y a point de doute que le Roy dés lors n'auroit pas négligé d'assister ce dessein comme il avoit desja fait: car en ce temps là le pays estoit plus peuplé de gens sedentaires qu'il n'est à prêtent: qui occasionna sa Majesté à faire ce second voyage, & poursuivre ceste entreprise, ayant un sainct desir d'y envoyer des peuplades. Voila ce qui en est arrivé.

Note 20: (retour)

De Meilleraye, vice-amiral.

D'autres que Cartier eussent bien peu entreprendre ceste affaire, qui ne se fussent si promptement estonnez, & n'eussent pour cela laissé de poursuivre l'entreprise, estant si bien commencée. Car, à dire vray, ceux-là qui ont la conduitte des descouvertures, sont souventefois ceux qui peuvent faire cesser un louable dessein, quand on s'arreste à leurs relations: car y adjoustant foy, on le juge comme impossible, ou tellement traversé de difficultez, qu'on n'en peut venir à bout qu'avec des despenses & difficultez presque insupportables. Voila le sujet qui a empesché dés ce temps là que ceste entreprise sortist effects: outre que dans un Estat se presentent quelquefois des affaires importantes, qui font que celle-cy se négligent pour un temps: ou bien que ceux qui ont bonne volonté de les poursuivre, viennent à mourir, & ainsi les années se panent sans rien faire.

16/672


Voyage en la Floride souz le règne du Roy Charles IX. par Jean Ribaus. Fit bastir un Fort, appellé le Fort de Charles, sur la riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par un Anglais. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de famine. Recompense de l'Empereur Charles V. à ceux qui firent la descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May par les Espaynols, Attaquent Laudonniere. François tuez, & pendus avec des escriteaux.

CHAPITRE III.

Souz le règne du Roy Charles IX. & à la poursuitte de l'Admirai de Chastillon21, Jean Ribaus se met en mer le 18 Fevrier 1562. avec deux vaisseaux équipez de ce qui luy estoit necessaire pour aller jetter les fondemens d'une Colonie. Passant par les isles du golphe de Mexique, vint ranger la coste de la Floride, où il reconnut une riviere, qu'il appella la riviere de May 22, & y fit édifier un fort, qu'il nomma du nom de Charles, y laissant pour y commander le Capitaine Albert, fourny & muny de tout ce qu'il jugeoit estre necessaire. Cela fait, il met la voile au vent, & s'en revint en France le 20 de Juillet, & fut prés de six mois à son voyage.

Note 21: (retour)

Gaspard de Châtillon, sire de Coligny.

Note 22: (retour)

Aujourd'hui la rivière Saint-Jean.

Cependant le Capitaine Albert ne se soucie de 17/673faire défricher les terres, pour ensemencer & eviter les necessitez, mangent leurs vivres sans y apporter l'ordre necessaire en telles affaires: ce que faisant, ils se trouverent courts de telle façon, que la disette fut extrême. Sur ce, les soldats & autres qui estoient souz son obeissance, ne voulans luy obéir, en fit pendre un pour un bien petit sujet, ce qui fut cause que quelques jours après la mutinerie s'y esmeut si violente, & la desobeissance fut telle, qu'ils tuèrent leur chef, & en esleverent un autre, appelle Nicolas Barré, homme de conduitte. Et voyans que nul secours ne leur venoit de France, ils firent édifier une petite barque pour s'y en retourner, & se mettent en mer avec fort peu de vivres. L'histoire dit que la famine fut si cruelle, qu'ils mangèrent un leurs compagnons. Mais Dieu ayant pitié de ceste troupe miserable, leur fit tant de grâce, qu'ils furent rencontrez d'un Anglois, qui les secourut & emmena en Angleterre, où ils se rafraischirent. Voila le peu de soin que l'on eut à les secourir, pour les guerres qui estoient entre la France & l'Espagne.

Cependant c'estoit une grande cruauté de laisser mourir des hommes de faim, & réduits à tel poinct que de s'entre-manger, faute d'envoyer une petite barque au risque de la mer, qui les pouvoit secourir. Ce fut un retardement pour la Colonie, & un presage d'une plus mauvaise fin, puis que le commencement avoit esté mal conduit en toutes choses.

La paix se fait entre la France & l'Espagne, qui donne loisir de faire nouveaux desseins & embarquemens. Ledit Sieur Admiral de Chastillon fit 18/674equipper d'autres vaisseaux 23 souz la charge du Capitaine Laudonniere24, qui fut accommodé de toutes choses pour sa peuplade. Il partit25 le 22 d'Avril 1564. & arriva à la coste de la Floride par le 32e degré, au lieu de la riviere de May, où estant, & ayant mis tous ses compagnons à terre, & autres commoditez, il fit édifier un fort, qu'il nomma la Caroline 26.

Note 23: (retour)

«Trois vaisseaux, l'un de six vingts tonneaux, l'autre de cent, l'autre de soixante.» (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p. 60.)

Note 24: (retour)

René de Laudonniere, gentilhomme poitevin, qui avait accompagné Ribaut en 1562.

Note 25: (retour)

«Du Havre de Grâce.» (Lescarbot.)

Note 26: (retour)

«En l'honneur de Charles IX, ce fort reçut le nom de Caroline, qui s'est conservé et a été plus tard donné à deux des états de la république américaine.» (M. Ferland, Cours d'Hist., I, 51.)

Pendant le temps que les vaisseaux estoient en ce lieu, se firent des conspirations contre Laudonniere, qui furent descouvertes: & toutes choses remises, Laudonniere se délibère de renvoyer ses vaisseaux en France, & laissa pour y commander le Capitaine Bourdet, lequel singlant en haute mer pour achever son voyage, laissant là Laudonniere, avec ses compagnons, partie desquels se mutinèrent de telle façon, qu'ils menacèrent de faire mourir leur Capitaine, s'il ne leur permettoit d'aller ravager vers les isles des Vierges, & Sainct Dominique, force luy fut leur permettre, & donner congé. Ils se mettent en une petite barque, font quelque proye sur les vaisseaux Espagnols, & après qu'ils eurent bien couru toutes ces isles, ils furent contraints s'en retourner au fort de la Caroline, où estans arrivez, Laudonniere fit prendre quatre des principaux seditieux, qui furent exécutez à mort. En suitte de ces malheurs, les vivres venans à leur manquer, ils 19/675souffrirent beaucoup jusques en May, sans avoir aucun secours de France; & estans contraints d'aller chercher des racines dans les bois l'espace de six sepmaines, en fin ils se resolurent de bastir une barque pour estre preste au mois d'Aoust, & avec icelle retourner en France.

Cependant la famine croissait de plus en plus, & ces hommes devenoient si foibles & débiles, qu'ils ne pouvoient presque parachever leur travail; qui les occasionna d'aller chercher à vivre parmy les Sauvages, qui les traittoient fort mal, leur survendant les vivres beaucoup plus qu'ils ne valloient, se rians & moquans des François, qui ne souffroient ces moqueries qu'à regret. Laudonniere les appaisoit le plus doucement qu'il pouvoit: mais quoy qu'il en fust, il fallut avoir la guerre avec les Sauvages, pour avoir dequoy te substanter, & firent si bien qu'ils recouvrerent du bled d'Inde, qui leur donna courage de parachever leur vaisseau: cela fait, ils se mirent à ruiner & démolir le fort, pour s'en retourner en France. Comme ils estoient sur ces entre-faites, ils apperceurent quatre voiles, & craignans au commencement que ce ne fussent Espagnols, en fin ils furent recognus estre Anglois, lesquels voyans la necessité des François, les assisterent de commoditez, & mesmes les accommodèrent de leurs vaisseaux. Ceste courtoisie remarquable fut faite par le chef de cet embarquement, qui s'appelloit Jean Hanubins27. Les ayant accommodez au 20/676mieux qu'il peut, leve les anchres, met à la voile, pour parachever le dessein de son voyage.

Note 27: (retour)

Hawkins. «Somme, dit Lescarbot, il ne se peut exprimer au monde de plus grande courtoisie que celle de cet Anglois, appellé Jean Hawkins, duquel si j'oubliois le nom, je penserois avoir contre lui commis ingratitude.» (Hist. de la Nouv. France, p. 106, 107.)

Comme Laudonniere estoit prest de s'embarquer avec tes compagnons, il apperceut des voiles en mer; & estant en impatience de sçavoir qui ils estoient, on recognut que c'estoit le Capitaine Ribaus, qui venoit donner secours à Laudonniere. Les resjouissances de part & d'autre furent grandes, voyans renaistre leur esperance, qui sembloit auparavant estre du tout perdue, mais fort faschez d'avoir fait démolir leur fort. Ledit Ribaus fit entendre à Laudonniere que plusieurs mauvais rapports avoient esté faits de luy, ce qu'il recognoissoit estre faux, & eust eu sujet de faire ce qui luy estoit commandé, s'il en eust esté autrement.

C'est tousjours l'ordinaire que la vertu est opprimée par la medisance des meschans, qui en fin les fait recognoistre pour tels, & mesprisez d'un chacun: l'on sçait assez combien cela a apporté de troubles aux conquestes des Indes, tant envers Christoffe Colomb, que depuis contre Ferdinand Cortais, & autres, qui blasmez à tort, se justifierent en fin devant l'Empereur. C'est pourquoy l'on ne doit adjouster foy légèrement, premier que les choses n'ayent esté bien examinées, recognoissant tousjours le mérite & la valeur des généreux courages, qui se sacrifient pour Dieu, leur Roy & leur patrie, comme firent ceux-cy qui estans recognus de l'Empereur, mal-gré l'envie, les honora de bien, & de belles & honorables charges, pour leur donner courage de bien faire, à d'autres l'envie de les imiter, & au meschant de s'amender.

21/677Cependant que Laudonniere & Ribaus estoient à consulter pour faire descharger leurs vivres, voicy que le 4 Septembre 1565. l'on apperceut six voiles, qui sembloient estre grand vaisseaux, & furent recognus pour estre Espagnols 28, qui vinrent mouiller l'anchre à la rade où les quatre vaisseaux de Ribaus&8s recognoissans que partie des soldats estoient à terre, ils tirèrent des coups de canon sur les nostres: qui fit qu'estans avec peu de force, coupèrent le câble sur les ecubiers, & mettent à la voile: ce que font aussi les Espagnols, qui les chassent tous le lendemain. Et comme nos vaisseaux estoient meilleurs voliers qu'eux, ils retournèrent à la coste, prennent port à une riviere distante de huict lieues du fort de la Caroline, & nos vaisseaux retournèrent à la riviere de May. Cependant trois des vaisseaux Espagnols estoient venus à la rade, où ils firent descendre leur infanterie, vivres, & munitions.

Note 28: (retour)

Ces six vaisseaux espagnols étaient commandés par Don Pedro Menendez de Avilez, l'un des meilleurs officiers de la marine espagnole.

Le Capitaine Ribaus, contre l'advis de Laudonniere, qui luy representoit les inconveniens qui pouvoient arriver, tant pour les grands vents qui regnoient ordinairement en ce temps là, que pour autre sujet, quoy que ce soit un traict d'opiniastre, ne voulant faire qu'à sa volonté, sans conseil, chose tres-mauvaise en telles affaires, il se délibère de voir l'Espagnol, & le combatre à quelque prix que ce fust. A cet effect il fit équiper ses vaisseaux d'hommes, & de tout ce qui luy estoit necessaire, s'embarqua le 8. Septembre, laissant les siens fort incommodez 22/678de toutes choses, & Laudonniere assez malade, qui ne laissoit pas de donner courage tant qu'il peut à ses soldats, & les exhorter à se fortifier au mieux qu'ils pourroient, pour resister aux forces de leur ennemy, lequel se mit en estat de venir attaquer Laudonniere le 20 Septembre, auquel temps il fit une pluye fort violente, & si continuelle, que les nostres fatiguez d'estre en sentinelle, se retirèrent de leur faction, croyans aussi que les ennemis ne viendroient durant un temps si mauvais & impétueux. Quelques-uns allans sur le rampart appercevans les Espagnols venir à eux, crient allarme, allarme, l'ennemy vient. A ce cry Laudonniere se met en estat de les attendre, & encourage les siens au combat, qui voulurent soustenir deux bresches qui n'estoient encores remparées: mais en fin ils furent forcez, & tuez. Laudonniere voyant ne pouvoir plus soustenir, en esquivant pensa estre tué, & se sauve dans les bois avec les Sauvages, où il trouva nombre de ses soldats, qu'il r'allia avec beaucoup de peine. S'acheminant par des palus & marescages difficiles, fait tant qu'il arrive à l'entrée de la riviere de May, où estoit un vaisseau, y commandant un Nepveu du Capitaine Ribaus29, qui n'avoit peu gaigner que ce lieu, pour la grande tourmente. Les autres vaisseaux furent perdus à la coste; comme aussi plusieurs soldats & mariniers, Ribaus pris, avec beaucoup d'autres, qu'ils firent mourir cruellement & inhumainement; & en pendirent aucuns, avec un escriteau sur le dos, portant ces mots: Nous n'avons pas fait pendre ceux-cy 23/679comme François, mais comme Luthériens, ennemis de la foy.

Note 29: (retour)

Jacques Ribaut.

Laudonniere voyant tant de desastres, délibere s'en retourner en France, le 23 Septembre 1565. Il fait lever les anchres, met souz voile le 11 de Novembre30, 7 arrive proche de la coste d'Angleterre, où se trouvant malade, se fit mettre à terre pour recouvrer sa santé, & de là venir en France faire son rapport au Roy. Cependant les Espagnols se fortifient en trois endroits, pour s'asseurer contre tout evenement. Nous verrons au chapitre suivant le chastiment que Dieu rendit aux Espagnols, pour l'injustice & cruauté dont ils userent envers les François.

Note 30: (retour)

«L'onzième de Novembre ilz se trouverent à soixante-quinze brasses d'eau... sur la côte d'Angleterre.» (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p. 116.)



Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut des Espagnols en la cruauté qu'ils exercerent envers les François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est assailly des Espagnols, qu'il défait & les traitte comme ils avoient fait les François.

CHAPITRE IIII.

Le Roy sçachant l'injustice & les ignominies faites aux François ses subjects par les Espagnols, comme j'ay dit cy dessus, eut raison d'en demander justice & satisfaction à Charles V. 31 Empereur & Roy d'Espagne, comme estant un outrage

24/680fait au prejudice de ce que les Espagnols leur avoient promis, de ne les inquiéter ny molester en la conservation de ce qu'avec tant de travail ils s'estoient acquis en la Nouvelle France, suivant les commissions du Roy de France leur maistre, que les Espagnols n'ignoroient point; & neantmoins les firent mourir ainsi ignominieusement, souz le pretexte specieux qu'ils estoient Luthériens, à leur dire, quoy qu'ils fussent meilleurs Catholiques qu'eux32, sans hypocrisie, ny superstition, & initiez en la foy Chrestienne plusieurs siecles devant que les Espagnols.

Note 31: (retour)

C'était alors Philippe II, fils de Charles V, qui régnait en Espagne. Il avait, comme son père, les titres d'empereur d'Allemagne et de roi d'Espagne.

Note 32: (retour)

Voici comme Menendez rend compte lui-même, au roi d'Espagne, des motifs de sa conduite. «J'ai sauvé la vie à deux jeunes gens d'environ dix-huit ans, et à trois autres, le fifre, le tambour et le trompette, et j'ai passé au fil de l'épée Jean Ribaut, avec tous les autres, jugeant la chose utile au service de Notre Seigneur et de Votre Majesté, et j'estime que sa mort est d'un grand avantage, car le roi de France pouvait plus avec lui et cinq cents ducats, qu'avec d'autres et cinq mille, et il pouvait plus en un an, qu'un autre en dix; c'était en effet le plus habile marin et commandant que l'on connût, et d'une grande adresse dans cette navigation des Indes et des côtes de la Floride; il était si aimé en Angleterre, qu'il y fut nommé capitaine général de toute l'armée anglaise contre les catholiques de France, dans la guerre qui a eu lieu, il y a quelques années, entre l'Angleterre et la France.» (Carta de Pedro Menendez, apud F. Parkman, Pioneers, p. 132.)

Sa Majesté dissimula cette offence pour un temps, pour avoir les deux Coronnes quelques differents à vuider auparavant, & principalement avec l'Empereur, qui empescha que l'on ne tiraft raison de telles inhumanitez.

Mais comme Dieu ne delaisse jamais les tiens, & ne laisse impunis les traittemens barbares qu'on leur fait souffrir, ceux-cy furent payez de la mesme monnoye qu'ils avoient payé les François.

Car en l'an 1567, se presenta le brave Chevalier de Gourgues33, qui plein de valeur & de courage, pour venger cet affront fait à la nation Françoise; 25/681& recognoissant qu'aucun d'entre la Noblesse, dont la France foisonne, ne s'offroit pour tirer raison d'une telle injure, entreprint de le faire. Et pour ne faire cognoistre du commencement son dessein, fit courir le bruit qu'un embarquement se faisoit pour quelque exploict qu'il vouloit faire en la coste d'Afrique. Pour ce sujet nombre de matelots & soldats s'assemblent à Bourdeaus, où se faisoit tout l'appareil de mer: il se pourveut & fournit de toutes les choses qu'il jugea estre necessaires en ce voyage.

Note 33: (retour)

«Dominique de Gourgues, gentilhomme gascon, né au Mont-de-Marsan, dans le comté de Comminges d'une famille distinguée de tout temps par un attachement inviolable à l'ancienne religion: lui-même ne s'en éloigna jamais, quoique le dernier historien espagnol de la Floride l'ait accusé d'avoir été hérétique furieux.» (Charlevoix, Hist. de la Nouv. France, liv. II.)

Son embarquement se fit le 23 Aoust de la mesme année en trois vaisseaux, ayant avec luy 250 hommes34. Estant en mer, il relascha à la coste d'Afrique, soit pour se rafraischir, ou autrement, mais ce ne fut pas pour long temps: car incontinent il fit voile, & fait publier par quelques siens amis affidez, qu'il avoit changé son premier dessein en un autre plus honorable que celuy de la coste d'Afrique, moins périlleux, & plus facile à exécuter: & au lieu où il avoit relasché, il eut advis que ce qu'il disoit deplaisoit à plusieurs des siens, qui croyoient que le 26/682voyage estoit rompu, & qu'il faudroit s'en retourner sans rien faire: toutesfois ils avoient tous grand desir de tenter quelque autre dessein.

Note 34: (retour)

«Il s'embarqua à Bourdeaux le second jour d'aoust... & descend le long de la riviere à Royan à vingt lieues de Bourdeaux, où il fait sa monstre, tant de soldats que de mariniers. Il y avoit cent harquebouziers aians tous harquebouze de calibre & morrion en teste, dont plusieurs estoient gentilshommes, & quatre vingtz mariniers... Après la monstre faicte, le Cappitaine Gourgue donne le rendez-vous accoustumé en telles expéditions. Mais ainsi qu'il estoit prest à partir, se leve ung vent contraire qui le contrainct de sejourner huict jours à Roian, ce vent estant un peu remis il se meit sur mer pour faire voille; mais bientost après il fut repoussé vers la Rochelle, & ne pouvant mesme estre à la radde de la Rochelle pour la violance du temps, il fut contrainct de se retirer à la bouche de la Charente, & sejourner là huict jours... Le vingt-deuxiesme jour d'aoust, le vent estant cessé, & le ciel donnant apparence d'un plus doulx temps pour l'advenir, il se remect sur mer.» (La reprinse de la Floride, Ternaux-Compans, p. 309, 310.)

Le Sieur de Gourgues sçachant la volonté de ses compagnons, qui ne perdoient point courage, & estant asseuré de son équipage, trouva à propos d'assembler son conseil, auquel il fit entendre la raison pourquoy il ne pouvoit exécuter ce qu'il avoit entrepris, qu'il ne falloit plus songer à ce dessein: mais aussi que de retourner en France sans avoir rien fait, il n'y avoit point d'apparence. Qu'il sçavoit une autre entreprise non moins glorieuse que profitable, à des courages tels qu'ils en avoit en ses vaisseaux, & de laquelle la mémoire seroit immortelle, qui estoit un exploict des plus signalez qui se puisse faire: chacun brusloit d'ardeur & de desir de voir l'effect de ce qu'il disoit; & leur fit entendre que s'il estoit bien assisté en ceste louable entreprise, il se sentiroit fort glorieux de mourir en l'exécutant. Et voulant ledit Sieur de Gourgues leur déclarer son dessein, les ayant tous fait assembler, parla ainsi. «Mes compagnons & fidèles amis de ma fortune, vous n'estes pas ignorans combien je chéris les braves courages comme vous, & l'avez assez tesmoigné par la belle resolution que vous avez prise de me suivre & assister en tous les périls & hazards honorables que nous aurons à souffrir & essuyer, lors qu'ils se presenteront devant nos yeux, & l'estat que je fais de la conservation de vos vies; ne desirant point vous embarquer au risque d'une entreprise que je sçaurois réussir à une ruine sans honneur: ce seroit à moy une trop 27/683grande & blasmable témérité, de hazarder vos personnes à un dessein d'un accez si difficile, ce que je ne croy pas estre, bien que j'aye employé une bonne partie de mon bien & de mes amis, pour équiper ces vaisseaux, & les mettre en mer, estant le seul entrepreneur de tout le voyage. Mais tout cela ne me donne pas tant de sujet de m'affliger, comme j'en ay de me resjouir, de vous voir tous resolus à une autre entreprise, qui retournera à vostre gloire, sçavoir d'aller venger l'injure que nostre nation a receue des Espagnols, qui ont fait une telle playe à la France, qu'elle saignera à jamais, par les supplices & traictemens infames qu'ils ont fait souffrir à nos François, & exercé des cruautez barbares & inouïes en leur endroit. Les ressentimens que j'en ay quelquefois, m'en font jetter des larmes de compassion, & me relevent le courage de telle sorte, que je suis resolu, avec l'assistance de Dieu, & la vostre, de prendre une juste vengeance d'une telle felonnie & cruauté Espagnolle, de ces coeurs lasches & poltrons, qui ont surpris mal-heureusement nos compatriotes, qu'ils n'eussent osé regarder sur la defense de leurs armes. Ils sont assez mal logez, & les surprendrons aisément. J'ay des hommes en mes vaisseaux qui cognoissent très-bien le païs, & pouvons y aller en seureté. Voicy, chers compagnons, un subject de relever nos courages, faites paroistre que vous avez autant de bonne volonté à exécuter ce bon dessein, que vous avez d'affection à me suivre: ne serez vous pas contents de remporter les lauriers triomphans de la despouille de nos ennemis?»

28/684Il n'eut pas plustost achevé de parler, que chacun de joye s'escrierent: «Allons où il vous plaira, il ne nous pouvoit arriver un plus grand plaisir & honneur que celuy que vous nous proposez, & mille fois plus honorable qu'on ne se peut imaginer, aimans beaucoup mieux mourir en la poursuitte de cette juste vengeance de l'affront qui a esté fait à la France, que d'estre blessez en une autre entreprise; tout nostre plus grand souhait est de vaincre ou mourir, en vous tesmoignant toute sorte de fidélité: commandez ce que vous jugerez estre plus expédient, vous avez des soldats qui ont du courage de reste pour effectuer ce que vous direz: nous n'aurons point de repos jusques à ce que nous nous voyons aux mains avec l'ennemy.»

La joye creut plus que jamais dans les vaisseaux. Le sieur de Gourgues fait changer la routte, & tirer quelques coups de canon, pour commencer la resjouissance, & donner courage à tous les soldats: & alors ce généreux Chevalier fait singler vers les costes de la Floride, & fut tellement favorisé du beau temps, qu'en peu de jours il arriva proche du fort de la Caroline, & le jour apperceu, les Sauvages du pays firent voir force fumées, jusques à ce que le Le sieur de Sieur de Gourgues eust fait abbaisser les voiles, & mouiller l'anchre. Il envoya à terre s'informer des Sauvages de l'Estat des Espagnols, qui estoient fort ailes de voir le sieur de Gourgues resolu de les attaquer. Ils asseurerent qu'ils estoient en nombre de 400, très bien armez, & pourveus de tout ce qui leur estoit necessaire. Puis s'estant fait instruire de la 29/685façon en laquelle les Espagnols estoient campez, il commença d'ordonner ses gens de guerre pour les assaillir. Voyons s'ils auront le courage de soustenir le Sieur de Gourgues, comme ils firent Laudonniere, mal pourveu de munitions, & de ce qui luy estoit necessaire.

Doncques le Sieur de Gourgues se faisant conduire par ses hommes, & de quelques Sauvages par l'espaisseur des bois, sans estre apperceu des Espagnols, fait recognoistre les places, & l'estat auquel elles estoient: & le Samedy d'auparavant Quasimodo35, au mois d'Avril 1568. attaque furieusement les deux forts36,& se dispose de les avoir par escalade, en quoy il trouva grande resistance: & le combat s'eschauffant, ce fut alors que parut le courage de nos François, qui se jettoient à corps perdu parmy les coups, tantost repoussez, puis reprenans coeur retournent au combat avec plus de valeur qu'auparavant. Bien attaqué, mieux défendu. La mort ny les blesseures ne les fait point paslir, ny ne leur fait perdre le sens, ny la vaillance.

Note 35: (retour)

Le samedi d'avant la Quasimodo était le 24 d'avril.

Note 36: (retour)

Outre le grand fort de la Caroline, les Espagnols en avaient élevé deux petits, pour protéger l'entrée de la rivière de May, comme on l'apprit de la bouche d'un jeune français, Pierre Debré, natif du Havre-de-Grâce, qui était demeuré parmi les sauvages. (Reprinse de la Floride, Tern.-Compans, p. 332.) Ces deux petits forts furent emportés du premier coup le même jour 24 avril. De Gourgues laissa reposer ses soldats le dimanche et le lundi, et commença par assurer cette première victoire avant d'entreprendre l'attaque du grand fort.

Nostre généreux Chevalier de Gourgues le coutelas à la main, leur enflamme le courage, & comme un lion hardy à la teste des tiens gaigne le dessus du rampart, repousse les Espagnols, se fait voye parmy eux. Ses soldats se suivent, & combattent vaillamment, entrent de force dans les deux forts, tuent 30/686tout ce qu'ils rencontrent: de sorte que le reste de ceux qui y moururent & s'enfuirent, demeurèrent prisonniers des François; & ceux qui pensoient se sauver dans les bois, furent taillez en pièces par les Sauvages, qui les traitterent comme ils avoient fait les nostres. Deux jours après le sieur de Gourgues se rend maistre du grand fort, que les ennemis avoient abandonné, après quelque resistance, desquels partie furent tuez, les autres prisonniers.

Ainsi demeurant victorieux, & estant venu à bout d'une si glorieuse entreprise, se ressouvenant de l'injure que les Espagnols avoient faite aux François, en fit pendre quelques-uns, avec des escriteaux sur le dos, portans ces mots: Je n'ay pas fait pendre ceux-cy comme Espagnols, mais comme pirates bandoliers & escumeurs de mer37 Après ceste exécution, il fit démolir & ruiner les forts 38, puis s'embarque pour revenir en France, laissant au coeur des Sauvages un regret immortel de se voir privez d'un si magnanime Capitaine. Son partement fut le 30 de May 39 1568, 31/687& arriva à la Rochelle le 6 de Juin, & de là à Bourdeaus, où il fut receu aussi honorablement, & avec autant de joye, que jamais Capitaine auroit esté.

Note 37: (retour)

«Ils sont branchez aux mesmes arbres où ils avoient penduz les François, & au lieu d'un escriteau que Pierre Malendez y avoit faict mettre contenant ces mots en langage Espaignol: Je ne faicts cecy comme à François mais comme à Luthériens, le cappitaine Gourgue faict graver en une table de sapin avec ung fer chault: Je ne faicts cecy comme à Espaignols, n'y comme à Marannes; mais comme à traistres, volleurs & meurtriers.» (Manuscrit de Gourgues.) On sait que Maran ou Marane était un terme de mépris que les Espagnols donnaient aux Maures, et, par suite, à tous les malfaiteurs.

Note 38: (retour)

De Gourgues eut l'adresse d'intéresser les sauvages à la ruine de ces forts. «Affin, dit le manuscrit déjà cité, que les sauvaiges ne trouvassent mauvais que les fortz fussent ruynez, ains qu'en estant bien aises ils les ruynassent eulx-mesmes, il assemble les Rois, & leur aiant remonstré du commencement comment il leur avoit tenu promesse, & les avoit vengez de ceulx qui les avoient tirannisez si cruellement, il vint tomber puis après sur le propos de ruyner les forts, employant tout ce qui pouvoit servir à leur persuader que tout ce qu'il en vouloit faire estoit pour leur proffit & en haine de tant de meschancetez & cruaultez que les Espaignols y avoient commises. A quoy ils presterent si volontiers l'oreille, que le Cappitaine Gourgue n'eut pas plustost achevé de parler, qu'ils s'en coururent droict au fort, crians & appellans leurs subjects après eulx, où ils feirent telle diligence qu'en moing d'ung jour ils ne laisserent pierre sur pierre.»

Note 39: (retour)

«Le troisiéme jour de May (ung lundi), le rendez-vous fut donné comme l'on a accoustumé de faire sur mer, & les anchres levées firent voilles, & eurent le vent si propre qu'en dix-sept jours ils firent unze cens lieues de mer, & depuis continuantz leur navigation arrivèrent à la Rochelle le lundy sixiéme jour de juing...» (Reprinse de la Floride.)

Mais il n'est si tost arrivé en France, que l'Empereur envoya au Roy demander justice de ses subjects, que le Sieur de Gourgues avoit fait pendre en l'Inde Occidentale: dequoy sa Majesté fut tellement irritée, qu'elle menaçoit ledit Sieur de Gourgues de luy faire trencher la teste, & fut contraint de s'absenter pour quelque temps, pendant lequel la colère du Roy se passa: & ainsi ce généreux Chevalier repara l'honneur de la nation Françoise, que les Espagnols avoient offensée: ce qu'autrement eust esté un regret à jamais pour la France, s'il n'eust vengé l'affront receu de la nation Espagnolle. Entreprise genereuse d'un Gentil-homme, qui l'exécuta à ses propres cousts & despens, seulement pour l'honneur, sans autre esperance: ce qui luy a réussi glorieusement, & ceste gloire est plus à priser que tous les tresors du monde 40.

Note 40: (retour)

«Il est fâcheux cependant pour sa gloire,» remarque M. Ferland, «que de Gourgues ait imité la conduite des Espagnols, en livrant ses prisonniers à la mort; ces tristes représailles ne sauraient être approuvées par la justice, puisque souvent elles tombent sur des innocents, plutôt que sur les coupables.» (Cours d'Hist. du Canada, I, 57.)

On a remarqué aux voyages de Ribaus & de Laudonniere de grands défauts & manquemens. Ribaus fut blasmé au sien, pour n'avoir porté des vivres que pour dix mois, sans donner ordre de faire défricher les terres, & les rendre aptes au labourage, pour remédier aux disettes qui peuvent survenir, & aux périls que courent les vaisseaux sur mer, ou bien pour le retardement de leur arrivée en saison 32/688convenable, pour soulager les necessitez, qui en fin reduisent les entrepreneurs à de grandes extremitez, jusques à estre homicides les uns des autres, pour se nourrir de chair humaine, comme ils firent en ce voyage, qui causerent de grandes mutineries des soldats contre leur chef, & ainsi le désordre & la desobeissance régnant parmy eux, en fin ils furent contraints (quoy qu'avec un regret incroyable, & après une perte notable d'hommes & de biens) d'abandonner les terres & possessions qu'ils avoient acquises en ce pays; & tout cela, faute d'avoir pris leurs mesures avec jugement & raison.

L'experience fait voir qu'en tels voyages & embarquemens les Roys & les Princes, & les gens de leur conseil qui les ont entrepris, avoient trop peu de cognoissance és exécutions de leurs desseins. Que s'il y en a eu d'experimentez en ces choses, ils ont esté en petit nombre, pource que la plus-part ont tenté telles entreprises sur les vains rapports de quelques cajoleurs, qui faisoient les entendus en telles affaires, dont ils estoient tres-ignorans, seulement pour se rendre considerables: car pour les commencer, & terminer avec honneur & utilité, faut consommer de longues années aux voyages de mer, & avoir l'expérience de telles descouvertes41.

Note 41: (retour)

Dans la plupart des exemplaires de l'édition originale, ce passage se termine là. Mais quelques-uns renferment la phrase censurée qui obligea l'auteur de réimprimer les feuilles DII et DIII, et qui finissait ainsi; «... de telles descouvertes; ce que n'ont pas les grands hommes d'estat, qui sçavent mieux manier & conduire le gouvernement & l'administration d'un Royaume, que celle de la navigation, des expéditions d'outre-mer, & des pays loingtains, pour ne l'avoir jamais practiqué.» (H. Stevens, Historical Nuggets, I, 131.)

La plus grande faute que fit Laudonniere, qui y alloit à dessein d'y hyverner, fut de n'estre fourny 33/689que de peu de vivres, au lieu qu'il se devoit gouverner sur l'exemple de l'hyvernement du Capitaine Albert à Charles-fort, que Ribaus laissa si mal pourveu de toutes choses; & ces manquemens arrivent ordinairement en telles entreprises, pour s'imaginer que les terres de ces pays là rapportent sans y semer; joint à cela, qu'on entreprend mal à propos tels voyages sans practique ny expérience. Il y a bien de la différence à bastir de tels desseins en des discours de table, parler par imagination de la scituation des lieux, de la forme de vivre des peuples qui les habitent, des profits & utilitez qui s'en retirent; envoyer des hommes au delà des mers en des pays loingtains, traverser des costes & des isles incognues, & se former ainsi telles chimères en l'esprit, faisans des voyages & des navigations idéales & imaginaires; ce n'est pas là le chemin de sortir à l'honneur de l'exécution des descouvertes: il faut auparavant meurement considerer les choses qui se presentent en telles affaires, communiquer avec ceux qui s'en sont acquis de grandes cognoissance, qui sçavent les difficultez & les périls qui s'y rencontrent, sans s'embarquer ainsi inconsiderément sur de simples rapports & discours. Car il sert de peu de discourir des terres lointaines, & les aller habiter, sans les avoir premièrement descouvertes, & y avoir demeuré du moins un an entier, afin d'apprendre la qualité des pays, & la diversité des saisons, pour par après y jetter les fondemens d'une Colonie. Ce que ne font pas la plus-part des entrepreneurs & voyageurs, qui se contentent seulement de voir les costes & les élevations des terres en passant, sans s'y arrester.

34/690D'autres entreprennent telles navigations sur de simples relations, faites à des personnes, qui, quoy que bien entendues dans les affaires du monde, & ayent de grandes & longues expériences, neantmoins estans ignorans en celles-cy, croyent que toutes choses se doivent gouverner selon les élevations des lieux où ils sont, & c'est en quoy ils se trouvent grandement trompez: car il y a des changemens si estranges en la nature, que ce que nous en voyons nous fait croire ce qui en est. Les raisons de cela sont fort diverses & en grand nombre, qui est cause que j les passeray souz silence. J'ay dit cecy en passant, afin que ceux qui viendront après nous, & qui bastiront de nouveaux desseins, s'en servent, & les considerent: de sorte que lors qu'ils s'y embarqueront, la ruine & la perte d'autruy leur serve d'exemple, & d'apprentissage.

Le troisiesme défaut, & le plus prejudiciable, est en ce que fit Ribaus, de n'avoir fait descharger les vivres & munitions qu'il avoit apportez pour Laudonniere & ses compagnons, avant que s'exposer au risque de perdre tout, comme il fit (quoy qu'il n'y allast pas pour combatre l'ennemy) mais demeurer tousjours sur la defensive, aider avec ses hommes à Laudonniere, se fortifier, & attendre de pied ferme ceux qui le viendroient assaillir: pouvant bien juger que puis que son dessein estoit de prendre le Fort, qu'il devoit estre plus fort que ceux qui le gardoient, sans s'exposer inconsiderément au péril & à la fortune; & eust mieux fait de recognoistre les forces de l'ennemy avant qu'il l'allast attaquer, & qu'il ne fust asseuré de la victoire. Mais au contraire 35/691ayant mesprisé les conseils de Laudonniere, qui estoit plus expérimenté que luy en la cognoissance des lieux, il luy en prit très-mal.

Davantage, en telles entreprises les vaisseaux qui portent les vivres & les munitions de guerre pour une Colonie, doivent tousjours faire leur routte le plus droit qu'il est possible, sans se détourner pour donner la chasse à quelque autre vaisseau, d'autant que s'il se faut battre, & qu'ils viennent à se perdre, ce mal-heur ne leur sera pas seulement particulier, mais ils mettent la Colonie en danger d'estre perdue, & les hommes contraints d'abandonner toutes choses, se voyans réduits à souffrir une mort miserable, causée par la faim, qui les assailliroit faute de vivres, pour ne s'estre pourveus & munis du moins pour deux ans, en attendant que la terre soit défrichée, pour nourrir ceux qui sont dans le pays. Fautes très-grandes, qui sont semblables à celles qu'ont faites ces nouveaux entrepreneurs, qui n'ont fait défricher aucunes terres, ny trouvé moyen de le faire depuis vingt-deux ans42 que le pays est-habité, n'ayans eu autre pensée qu'à tirer profit des pelleteries: & un jour arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons. Ce qui est aisé à juger si le Roy n'y fait ordonner un bon règlement.

Note 42: (retour)

Ce passage est une nouvelle preuve que l'édition de 1632 a été commencée peu de temps après la prise de Québec; car, au printemps de 1630, il y avait juste vingt-deux ans que notre auteur était parti de la vieille France, pour venir fonder, dans la nouvelle, cette petite habitation de Québec, que l'avarice des sociétés marchandes tint jusqu'à cette époque dans un état de faiblesse qui lui fait dire ici: «Un jour arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons... si le Roy n'y fait ordonner un bon règlement.»

Ce sont les plus grands défauts qui se peuvent remarquer és premiers voyages, & les suivans n'ont esté gueres plus heureux.


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Voyage, que fit faire le Sieur de Roberval. Envoye Alphonse Sainctongeois vers Labrador. Son partement: son arrivée. Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort, pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son entreprise.

CHAPITRE V.

L'An 1541 43 le Sieur de Roberval ayant renouvellé cette saincte entreprise, envoya Alphonse Sainctongeois (homme des plus entendus au faict de la navigation qui fust en France de son temps) qui voulut par ses descouvertes voir & rencontrer plus au Nort un passage vers Labrador. Il fit équiper deux 44 bons vaisseaux de ce qui luy estoit necessaire pour ceste descouverte, & partit audit an 1541.45 Et après avoir navigé le long des costes du Nort, & terres de Labrador, pour trouver un passage qui peust faciliter le commerce avec les Orientaux, par un chemin plus court que celuy que l'on fait par le Cap de bonne esperance, & destroit de Magellan, les obstacles fortunez, & le risque qu'il courut à cause des glaces, le fit retourner sur ses brisées, & n'eut pas plus dequoy se glorifier que Cartier.

Note 43: (retour)

Cinq des vaisseaux qui faisaient partie de l'expédition de M. de Roberval, partirent en effet de Saint-Malo le 23 mai 1541, sous les ordres de Jacques Cartier; mais il ne put partir lui-même qu'au printemps suivant, le 16 avril 1542, avec trois autres vaisseaux; et Jean Alphonse, son premier pilote, était avec lui. (Hakluyt, III, 232, 237, 240.)

Note 44: (retour)

Trois. (Relation de Roberval.)

37/693Ceste seconde entreprise n'estoit que pour decouvrir un passage46, mais l'austre estoit pour le profond des terres, & y habiter, s'il se pouvoit; & ainsi ces deux voyages n'ont pas réussi. Pour le passage, je n'allegueray point le discours au long des nations estrangeres qui ont tenté fortune de trouver passage par le Nort, pour aller aux Indes Orientales, comme és années 1576, 77 & 78. Messire Martin Forbichet47 fit trois voyages: sept ans aprés Hunfoy Gilbert y fut avec 5 vaisseaux, qui se perdit sur l'isle de Sable, où il demeura deux ans 48. Après Jean Davis Anglois fit trois voyages, pénétra souz le 72e degré, passa par un destroit appellé aujourd'huy de son nom. Un autre appellé le Capitaine Georges 49, en l'an 1590. fit ce voyage, & fut contraint à cause des glaces de s'en retourner sans effect: & quelques autres qui l'ont entrepris, ont eu pareille fortune.

Note 46: (retour)

Tel était, sans aucun doute, le but auquel aspirait le pilote saintongeois; mais M. de Roberval avait bien certainement dessein de fonder une colonie, comme le prouve abondamment la relation de son voyage.

Note 47: (retour)

Frobisher. La relation de ses trois voyages se trouve dans Hakluyt, vol. III.

Note 48: (retour)

Sir Humphrey Gilbert périt en ce voyage, l'année même de son départ. (Hakl. III.)

Note 49: (retour)

D'après Bergeron, le capitaine George Weymouth fit un voyage pour chercher le passage du nord-ouest, mais en l'année 1602. (Traité de la Navigation, ch, X.)

Quant aux Espagnols & Portugais, ils y ont perdu leur temps. Les Hollandois n'en ont pas eu plus certaine cognoissance par la nouvelle Zambie du costé de l'Est, pour trouver ce passage, que les autres ont perdu tant de temps pour le chercher par l'Occident, au dessus des terres dites Labrador.

Tout cecy n'est que pour faire cognoistre que si ce passage tant desiré se fust trouvé, combien cela eust apporté d'honneur à celuy qui l'eust rencontré, 38/694& de biens à l'Estat ou Royaume qui l'eust possedé. Puis donc que nous seuls avons jugé ceste entreprise d'un tel prix, elle n'est pas moins à mépriser en ce temps cy, & ce qui ne s'est peu faire par un lieu, se peut recouvrer par un autre avec le temps, pourveu que sa Majesté vueille assister les entrepreneurs d'un si louable dessein. Je laisseray ce discours, pour retourner à nos nouveaux conquerans au pays de la nouvelle France.

Le Sieur Marquis de la Roche de Bretagne, poussé d'une saincte envie d'arborer l'estendart de Jesus Christ, & y planter les armes de son Roy, en l'an 1598 50 prit commission du Roy Henry le Grand (d'heureuse mémoire) qui avoit de l'amour pour ce dessein, fit équiper quelques vaisseaux, avec nombre d'hommes, & un grand attirail de choses necessaires à un tel voyage: mais comme ledit Sieur Marquis de la Roche n'avoit aucune cognoissance des lieux, que par un pilote de navire appelle Chédotel, du pays de Normandie, il mit les gens dudit Sieur Marquis sur l'isle de Sable, distante de la terre du Cap Breton de 25 lieues au Sud, où cependant les hommes qui resterent en ce lieu avec fort peu de commoditez, furent sept ans abandonnez sans secours que de Dieu, & furent contraints de se tenir comme les renards dans la terre, pour n'y avoir ny bois, ny pierre en ceste isle propre à bastir, que le débris & fracas des vaisseaux qui viennent à la coste de ladite isle; & vescurent seulement de la chair des boeufs & vaches, qu'ils y trouverent en quantité, s'y 39/695estans sauvez par la perte d'un vaisseau Espagnol qui s'estoit perdu voulant aller habiter l'isle du Cap Breton; & se vestirent de peaux de loups marins, ayans usé leurs habits, & conserverent les huiles pour leur usage, avec la pescherie de poisson, qui est abondante autour de ladite isle; jusques à ce que la Cour de Parlement de Rouen par arrest condamna ledit Chédotel d'aller repasser ces pauvres miserables, à la charge qu'il auroit la moitié des commoditez de ce qu'ils auroient peu pratiquer pendant leur sejour en cette isle, comme cuirs de boeufs, peaux de loups marins, huile, renards noirs, ce qui fut exécuté: & revenans en France au bout de sept ans, partie vint trouver sa Majesté à Paris, qui commanda au Duc de Suilly de leur donner quelques commoditez, comme il fit, jusques à la somme de 50 escus, pour les encourager de s'en retourner51.

Note 50: (retour)

Le marquis de la Roche avait déjà obtenu une première commission en 1578. (Voir Voyage 1613, p. 4, note 1.)

Note 51: (retour)

Lescarbot rapporte la chose un peu différemment. «Cependant ses gens demeurent cinq ans dégradés en ladite ile, se mutinent, & coupent la gorge l'un à l'autre, tant que le nombre se racourcit de jour en jour. Pendant lesdits cinq ans ils ont là vécu de pêcherie, & des chairs des animaux... dont ils en avoient apprivoisez quelques uns qui leur fournissaient de laictage, & autres petites commoditez. Ledit Marquis étant délivré fit récit au Roy à Rouen de ce qui lui étoit survenu. Le Roy commanda à Chef-d'hotel Pilote d'aller recueillir ces pauvres hommes quand il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit, & en trouva douze de reste, auxquels il ne dit point le commandement qu'il avoit du Roy, afin d'attraper bon nombre de cuirs, & peaux de Loups marins dont ils avoient fait réserve durant lesdites cinq années. Somme, revenus en France ilz se presentent à sa Majesté vêtus dédites peaux de Loups-marins. Le Roy leur fit bailler quelque argent, & se retirèrent. Mais il y eut procès entre eux, & ledit Pilote, pour les cuirs & pelleteries qu'il avoit extorquées d'eux, dont par après ilz composerent amiablement.» (Hist. de la Nouv. France, liv. III, ch. XXXII.—Voir Biographie Générale des hommes illustres de la Bretagne, par Pol de Courcy, Cours d'Hist. du Canada, par M. Ferland, I, 60, 6l.)

Cependant le Marquis de la Roche estant à poursuivre en Cour les choses que sa Majesté luy avoit promises pour son dessein, elles luy furent déniées par la sollicitation de certaines personnes qui n'avoient desir que le vray culte de Dieu s'accreust, 40/696ny d'y voir florir la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce qui luy causa un tel desplaisir, que pour cela, & autre chose, il se trouva assailly d'une forte maladie, qui l'emporta, après avoir consommé son bien & son travail, sans en ressentir aucun fruict.

En ce sien dessein se remarquent deux défauts; l'un, en ce que ledit Marquis n'avoit fait descouvrir & recognoistre le lieu par quelque homme entendu en telle affaire, & où il devoit aller habiter, premier que s'obliger à une despense excessive. L'autre, que les envieux qui estoient en ce temps prés du Roy en son Conseil, empescherent l'effect & la bonne volonté qu'avoit sa Majesté de luy faire du bien. Voila comme les Roys sont souvent deceus par ceux en qui ils ont quelque confiance. Les histoires du temps passé le font assez cognoistre, & ceste-cy nous en peut fournir d'eschantillon. Voicy un quatriesme voyage rompu, venons au cinquiesme.



Voyage du Sieur de Sainct Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour de S. Chauvin & du Pont en France, Second voyage de Chauvin: son entreprise.

CHAPITRE VI.

Un an après, l'an 1599, le Sieur Chauvin de Normandie, Capitaine pour le Roy en la marine, homme très-expert & entendu au faict de la navigation (qui avoit servy sa Majesté aux guerres passées, quoy qu'il fust de la religion pretendue 41/697reformée) entreprit ce voyage souz la commission de sadite Majesté, à la sollicitation du Sieur du Pont Gravé, de Sainct Malo (fort entendu aux voyages de mer, pour en avoir fait plusieurs) accompagnez d'autres vaisseaux jusques à Tadoussac, quatre vingts dix lieues à mont la riviere, lieu où ils faisoient trafic de pelleterie & de castors, avec les Sauvages du pays, qui s'y rendoient tous les printemps: ledit du Pont desireux de trouver moyen de rendre ce trafic particulier, va en Cour rechercher quelqu'un d'authorité & pouvoir eminent auprés du Roy, pour obtenir une commission, portant que le trafic de ceste riviere seroit interdit à toutes personnes, sans la permission & consentement de celuy qui seroit pourveu de ladite commission, à la charge qu'ils habiteroient le pays, & y feroient une demeure. Voila un commencement de bien faire, sans qu'il en couste rien au Roy, si ce qui est en ladite commission s'effectue, ayant dessein d'y mener cinq cents hommes, pour s'y fortifier & défendre le pays. Le Roy qui avoit grande confiance en cet entrepreneur, qui neantmoins pretendoit n'y faire que la moindre despense qu'il pourroit, pour souz le prétexte d'habiter, & exécuter tout ce qu'il promettoit, vouloit priver tous les sujects du Royaume de ce trafic, & retirer luy seul les castors. Et pour donner un esclat à ceste affaire, se met en devoir de l'exécuter. Les vaisseaux s'équipent de choses les plus necessaires qu'il croit estre propres à son entreprise. Plusieurs personnes d'arts & de mestiers s'acheminent & se rendent au lieu de Hondefleur lieu de l'embarquement. Ses vaisseaux hors, il met 42/698ledit Pont Gravé pour son Lieutenant en l'un d'iceux: mais le chef estant de contraire religion, ce n'estoit pas le moyen de bien planter la foy parmy des peuples qu'on veut réduire, & c'estoit à quoy l'on songeoit le moins. Ils navigent jusques au port de Tadoussac, lieu de la traitte, & fut ceste affaire assez mal conduite pour y faire grand progrés. Ils se délibèrent d'y faire une habitation; lieu le plus desagreable & infructueux qui soit en ce pays, qui n'estant remply que de pins, sapins, bouleaux, montagnes, & rochers presque inaccessibles, & la terre très-mal disposée pour y faire aucun bon labourage, & où les froidures sont si excessives, que s'il y a une once de froid à 40 lieues à mont la riviere, il y en a là une livre: aussi combien de fois me suis-je estonné, ayant veu ces lieux si effroyables sur le printemps.

Or comme ledit Sieur Chauvin y vouloit bastir, & y Laisser des hommes, & les couvrir contre la rigueur des froidures extrêmes, ayant sceu du Pont Gravé que son opinion n'estoit que l'on y deust bastir, remonstra audit Sieur Chauvin plusieurs fois qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus commode à habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux trois rivieres, pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux.

Le Sieur de Mons fit le mesme voyage pour son plaisir, avec ledit Sieur Chauvin, qui estoit de la mesme opinion que Gravé, qui recognoissant ce lieu estre fort desagreable, eust bien voulu voir plus à mont ledit fleuve 52. Mais quoy que c'en soit, ou le 43/699temps ne le permettant pour lors, ou autres considerations qui estoient en l'esprit de l'entrepreneur, fut cause qu'il employa quelques ouvriers à édifier une maison de plaisance, de quatre toises de long, sur trois de large, de huict pieds de haut, couverte d'ais, & une cheminée au milieu, en forme d'un corps de garde, entouré de clayes, (laquelle j'ay veue en ce lieu là) & d'un petit fossé fait dans le sable 53. Car en ce pays là où il n'y a point de rochers, ce sont tous sables fort mauvais. Il y avoit un petit ruisseau au dessous, où ils laisserent 16. hommes fournis de peu de commoditez, qu'ils pouvoient retirer dans le mesme logis, où ce peu qu'il y avoit estoit à l'abandon des uns & des autres, ce qui dura peu. Les voila bien chaudement pour leur hyver. Ce qui fut cause que le sieur Chauvin s'en retourna, ne voulant voir, ny descouvrir plus avant, comme aussi fit le dit du Pont.

Note 52: (retour)

La mauvaise impression que fit ce voyage sur l'esprit de M. de Monts, explique pourquoi il ne se décida à faire une habitation sur le fleuve qu'après plusieurs tentatives infructueuses pour s'établir dans des climats moins rigoureux.

Note 53: (retour)

Voir la carte des environs de Tadoussac, 1613.

Pendant qu'ils sont en France, nos hyvernans consomment en bref ce peu qu'ils avoient, & l'hyver survenant, leur fit bien cognoistre le changement qu'il y avoit entre la France & Tadoussac: c'estoit la cour du Roy Petault, chacun vouloit commander; la paresse & faineantise, avec les maladies qui les surprirent, ils se trouverent réduits en de grandes necessitez, & contraints de s'abandonner aux sauvages, qui charitablement les retirèrent avec eux, & quittèrent leur demeure; les unze moururent miserablement, les autres patissans fort attendans le retour des vaisseaux.

Le sieur Chauvin voyant ses gens humer le vent 44/700du Saguenay, fort dangereux, poursuit ses affaires pour refaire un second voyage, qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure long temps sans estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.

Ce qui fut à blasmer en ceste entreprise, est d'avoir donné une commission à un homme de contraire religion, pour pulluler la foy Catholique, Apostolique, & Romaine, que les hérétiques ont tant en horreur, & abhomination. Voila les défauts que j'avois à dire sur ceste entreprise.



Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur de Chaste. Le Sieur de Pont Gravé esleu pour le voyage de Tadoussac. L'Autheur se met en voyage. Leur arrivée au Grand sault Sainct Louys. Sa difficulté à le passer. Leur retraite. Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage.

CHAPITRE VII.

La quatrième entreprise fut celle du Sieur Commandeur de Chaste, gouverneur de Dieppe, qui estoit homme très-honorable, bon Catholique, grand serviteur du Roy, qui avoit dignement & fidèlement servy sa Majesté en plusieurs occasions signalées. Et bien qu'il eust la teste chargée d'autant de cheveux gris que d'années, vouloit encore laisser à la posterité par ceste louable entreprise une remarque très charitable en ce dessein, & mesmes s'y porter en personne, pour consommer 45/701le reste de ses ans au service de Dieu & de son Roy, en y faisant une demeure arrestée, pour y vivre & mourir glorieusement, comme il esperoit, si Dieu ne l'eust retiré de ce monde plustost qu'il ne pensoit, & se pouvoit-on bien asseurer que souz sa conduite l'heresie ne se fust jamais plantée aux Indes: car il avoit de tres-chrestiens desseins, dont je pourrois rendre de bons tesmoignages, pour m'avoir fait l'honneur de m'en communiquer quelque chose.

Donc après la mort dudit sieur Chauvin, il obtint nouvelle commission de sa Majesté. Et d'autant que la despense estoit fort grande, il fit une societé avec plusieurs Gentils hommes, & principaux marchands de Rouen, & d'autres lieux, sur certaines conditions. Ce qu'estant fait, ils font équiper vaisseaux tant pour l'exécution de ceste entreprise, que pour descouvrir & peupler le pays. Ledit Pont-Gravé avec commission de sa Majesté (comme personne qui avoit desja fait le voyage, & recognu les defauts du passé) fut éleu pour aller à Tadoussac, & promet d'aller jusques au Sault Sainct Louys, le descouvrir, & passer outre, pour en faire son rapport à son retour, & donner ordre à un second embarquement; & ledit Sieur Commandeur quitter son gouvernement, avec la permission de sa Majesté, qui l'aimoit uniquement, s'en aller au pays de la nouvelle France.

Sur ces entre-faites, je me trouvay en Cour, venu fraischement des Indes Occidentales, où j'avois esté prés de deux ans & demy54, après que les Espagnols 46/702furent partis de Blavet55, & la paix faite en France, où pendant les guerres j'avois servy sadite Majesté souz Messeigneurs le Mareschal d'Aumont, de Sainct Luc, & Mareschal de Brissac. Allant voir de fois à autre ledit Sieur Commandeur de Chaste, jugeant que je luy pouvois servir en son dessein, il me fit ceste faveur, comme j'ay dit, de m'en communiquer quelque chose, & me demanda si j'aurois agréable de faire le voyage, pour voir ce pays, & ce que les entrepreneurs y feroient. Je luy dis que j'estois son serviteur: que pour me licencier de moy-mesme à entreprendre ce voyage, je ne le pouvois faire sans le Commandement de sadite Majesté, à laquelle j'estois obligé tant de naissance, que d'une pension de laquelle elle m'honoroit, pour avoir moyen de m'entretenir prés d'elle, & que s'il luy en plaisoit parler, & me le commander, que je l'aurois tres-agreable. Ce qu'il me promit, & fit, & receut commandement de sa Majesté pour faire ce voyage, & luy en faire fidel rapport: & pour cet effect Monsieur de Gesvre Secrétaire de ses commandemens, m'expédia, avec lettre addressante audit Pont-Gravé, pour me recevoir en son vaisseau, & me faire voir & recognoistre tout ce qui se pourroit en ces lieux, en m'assistant de ce qui luy seroit possible en ceste entreprise.

Note 54: (retour)

Champlain avait été deux ans et deux mois à ce voyage des Indes Occidentales. Parti du Blavet au commencement d'août 1598, avec son oncle le capitaine Provençal, il se rendit en Espagne, où on lui confia le commandement d'un des vaisseaux de la flotte des Indes, qui partit au «commencement de janvier 1599». Il fut de retour au commencement de 1601.

Note 55: (retour)

Aujourd'hui Port-Louis, département du Morbihan.

Me voila expédié, je pars de Paris, & m'embarque dans le vaisseau dudit du Pont l'an 1603. nous faisons heureux voyage jusques à Tadoussac, avec 47/703de moyennes barques de 12 à 15 tonneaux, & fusmes jusques à une lieue à mont le Grand-sault Sainct Louis. Le Pont Gravé & moy nous nous mettons dans un petit bateau fort léger, avec cinq matelots, pour n'en pouvoir faire naviger de plus grand, à cause des difficultez. Ayant fait une lieue avec beaucoup de peine dans une forme de lac, pour le peu d'eau que nous y trouvasmes, & estans parvenus au pied dudit Sault, qui se descharge en ce lac, nous jugeasmes impossible de le passer avec nostre esquif, pour estre si furieux, & entre-meslé de rochers, que nous nous trouvasmes contraints de faire presque une lieue par terre, pour voir le dessus de ce Sault, n'en pouvans voir d'avantage, & tout ce que nous peusmes faire fut de remarquer les difficultez, tout le pais, & le long de ladite riviere, avec le rapport des Sauvages de ce qui estoit dedans les terres, des peuples, des lieux, & origines des principales rivieres, & notamment du grand fleuve S. Laurent.

Je fis dés lors un petit discours, avec la carte 56 exacte de tout ce que j'avois veu & recognu, & ainsi nous nous en retournasmes à Tadoussac, sans faire que fort peu de progrés: auquel lieu estoient nos vaisseaux qui faisoient la traitte avec les Sauvages, ce qu'estant fait, nous nous embarquasmes, mettant les voiles au vent, jusques à ce que nous fussions arrivez à Honnefleur, où sceusmes les nouvelles de la mort du Sieur Commandeur de Chaste57, qui m'affligea fort, recognoissant que mal-aisément un 48/704autre pourroit entreprendre ceste entreprise, qu'il ne fust traversé, si ce n'estoit un Seigneur de qui l'authorité fust capable de repousser l'envie.

Note 56: (retour)

Cette carte ne se trouve pas même dans l'exemplaire du Voyage de 1603 que possède la Bibliothèque Impériale.

Note 57: (retour)

Il était mort le 13 mai de cette année 1603 (Asseline, ms de Dieppe). Son tombeau est dans l'église de Saint-Rémi à Dieppe.

Je n'arresté gueres en ce lieu de Honnefleur, que j'allay trouver sa Majesté, à laquelle je fis voir la carte dudit pays, avec le discours fort particulier que je luy en fis, qu'elle eut fort agréable, promettant de ne laisser ce dessein, mais de le faire poursuivre & favoriser. Voila le cinquiesme voyage rompu par la mort dudit Sieur commandeur.

En ceste entreprise je n'ay remarqué aucun defaut pour avoir esté bien commencé: mais je sçay qu'aussi tost plusieurs marchands de France qui avoient interest en ce négoce, commençoient à faire des plaintes de ce qu'on leur interdisoit le trafic des pelleteries, pour le donner à un seul.



Voyage du Sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu Commandeur de Chastes. Obtient commission du Roy pour aller descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands de Rouen & de la Rochelle, L'Autheur voyage avec luy. Arrivent au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le Sieur de Poitrincourt va avec le Sieur de Mons. Plaintes dudit Sieur de Mons. Sa commission revoquée.

CHAPITRE VIII.

Aprés la mort du Sieur Commandeur de Chaste, le Sieur de Mons58, de Sainctonge, de la religion prétendue reformée, Gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy, & Gouverneur 49/705de Pons, qui avoit rendu de bons services à sa Majesté durant toutes les guerres passées, en qui elle avoit une grande confiance, pour sa fidélité comme il a tousjours fait paroistre jusques à sa mort, porté d'un zèle & affection d'aller peupler & habiter le pays de la nouvelle France, & y exposer sa vie & son bien, voulut marcher sur les brisées du feu sieur Commandeur audit pays, où il avoit esté, comme dit est, avec le sieur Chauvin, pour le recognoistre, bien que ce peu qu'il avoit veu, luy avoit fait perdre la volonté d'aller dans le grand fleuve Sainct Laurent, n'ayant veu en ce voyage qu'un fascheux pays, luy qui desiroit aller plus au Midy, pour jouir d'un air plus doux & agréable. Et ne s'arrestant aux relations que l'on luy en avoit faites, vouloit chercher un lieu duquel il ne sçavoit l'assiette ny la température que par l'imagination & la raison, qui trouve que plus vers le Midy il y fait plus chaud. Estant en volonté d'exécuter ceste genereuse entreprise, il obtient commission du Roy l'an 1623, 59 pour peupler & habiter le pays, à condition d'y planter la foy Catholique, Apostolique & Romaine, permettant de laisser vivre chacun selon sa religion. Cela estant, il continue sa societé avec les marchands de Rouen, de la Rochelle, & autres lieux, à qui la traitte de pelleterie estoit accordée par ladite commission privativement à tous les subjects de sa Majesté. Toutes choses ordonnées, ledit Sieur de Mons fait son embarquement au Havre de Grâce, s'embarque faisant équiper plusieurs vaisseaux tant pour ledit 50/706trafic de pelleterie de Tadoussac, que des costes de la nouvelle France. Il assembla nombre de Gentils-hommes, & de toutes sortes d'artisans, soldats & autres, tant d'une que d'autre religion, Prestres & Ministres.

Note 58: (retour)

Pierre du Gast, ou du Gua, sieur de Monts.

Note 59: (retour)

Cette commission est du 8 novembre 1603. (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv, IV, c. I.)

Ledit Sieur de Mons me demanda si j'aurois agréable de faire ce voyage avec luy. Le desir que j'avois eu au dernier s'estoit accreu en moy, qui me fit luy accorder, avec la licence que m'en donneroit sa Majesté, qui me le permit, pour tousjours en voyant & descouvrant, luy en faire fidel rapport. Estans tous à Dieppe, on s'embarque, un vaisseau va à Tadoussac, ledit du Pont avec la commission dudit sieur de Mons à Canseau, & le long de la coste vers l'isle du Cap Breton, voir ceux qui contreviendroient aux défenses de sa Majesté. Le Sieur de Mons prend sa routte plus à val vers les costes de l'Acadie60, & le temps nous fut si favorable, que nous ne fusmes qu'un mois à parvenir jusques au Cap de la Héve, où estans, nous passasmes plus outre cherchans lieu pour y habiter, ne trouvans celuy-cy agréable. Le Sieur de Mons me commit à la recherche de quelque lieu qui fut propre: ce que je fis avec quelque pilote que je menay avec moy, où descouvrismes plusieurs ports & rivieres, jusques à ce que ledit Sieur de Mons s'arresta en une isle, qu'il jugea d'assiette forte, & le terroir d'alentour très-bon, la température douce, sur la hauteur de 45.5°61 de latitude, comme 62 Saincte Croix.

Note 60: (retour)

D'après l'édition de 1613 et Lescarbot, M. de Monts ne serait parti qu'avec deux vaisseaux: celui du capitaine Morel, et celui du capitaine Timothée; ici cependant l'auteur en mentionne évidemment trois, qui ont une mission tout à fait distincte. (Voir 1613, p. 6, 7; Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv. IV, c. II.)

Note 61: (retour)

L'île de Sainte-Croix n'est que quelques minutes au-delà du quarante-cinquième degré.

Note 62: (retour)

Lisez nommée.

51/707Il y fait venir ses vaisseaux, employé chacun selon sa condition, & mestier, tant pour les descharger, que pour se loger promptement. Ses vaisseaux deschargez, il les renvoye au plustost, & le sieur de Poitrincourt (qui estoit venu avec ledit sieur de Mons pour voir le pays, afin de l'habiter, & avoir quelque lieu de luy, en vertu de sa commission) s'en retourna.

Mais laissons-le aller, en attendant si nous aurons meilleur marché des froidures, que ceux qui hyvernerent à Tadoussac. Nos vaisseaux estans retournez en France, ouirent un nombre infiny de plaintes tant des Bretons, Basques, que autres, de l'excez & mauvais traittement qu'ils recevoient aux costes, par les Capitaines dudit Sieur de Mons, qui les prenoit, & empeschoit de faire leur pesche, les privans de l'usage des choses qui leur avoient tousjours esté libres: de sorte que si le Roy n'y apportoit un règlement, toute ceste navigation s'en alloit perdre, & ses douanes par ce moyen diminuées, leurs femmes & enfans pauvres & miserables, & contraints à mendier leurs vies. Requestes sont presentées à ce sujet, mais l'envie & les crieries ne cessent point; il ne manque en Cour de personnes qui promettent que pour une somme de deniers l'on feroit casser la commission du Sieur de Mons. Ceste affaire se practique en telle façon, que ledit Sieur de Mons ne sceut si bien faire, que la volonté du Roy ne fust destournée par quelques personnages qui estoient en crédit, qui luy avoient promis d'entretenir trois cents hommes audit pays. Doncques en peu de temps la commission de sa Majesté fut revoquée,< 52/708pour le prix de certaine somme qu'un certain personnage eut, sans que sadite Majesté en sceust rien. Cependant, pour recompense de trois ans que le Sieur de Mons avoit consommez, avec une despense de plus de 100000 livres, en la première desquelles trois années il souffrit beaucoup, & endura de grandes incommoditez à cause des rigueurs du froid, & la longue durée, des neges de trois pieds de haut, durant cinq mois, bien que l'on puisse aborder en tout temps aux costes où la mer ne gele point, si ce n'est à l'entrée des rivieres qui charrient des glaces qui vont se descharger en la mer. Outre cela, presque la moitié de ses hommes moururent de la maladie de la terre, & fut contraint de faire revenir le reste de ses gens, avec le Sieur de Poitrincourt, qui en ceste année estoit son Lieutenant: car le Pont Gravé l'avoit esté l'an precedent.

Voila tous les desseins du Sieur de Mons rompus, lequel s'estoit promis d'aller plus au Midy pour faire une habitation plus saine & tempérée que l'Isle de Saincte Croix, où il avoit hyverné, & depuis l'on fut au port Royal, où l'on se trouva un peu mieux, pour n'avoir trouvé l'hyver si aspre, souz la hauteur de 45 degrez de latitude. Pour recompense de ses pertes, luy fut ordonné par le Conseil de sa Majesté 6000 livres, à prendre sur les vaisseaux qui iroient trafiquer des pelleteries.

Mais quelle despense luy eust-il fallu faire en tous les ports & havres, pour recouvrer ceste somme, s'informer de ceux qui auroient traitté, & le département qu'il faudroit, sur plus de quatre vingts vaisseaux qui fréquentent ces costes? c'estoit luy donner 53/709la mer à boire, en faisant une despense qui eust surmonté la recepte, comme il en a bien apparu. Car ledit Sieur de Mons n'en a presque rien retiré & a esté contraint de laisser aller cet arrest comme il a peu. Voila comme ces affaires furent mesnagées au Conseil de sa Majesté: Dieu face pardon à ceux qu'il a appellez, & amender ceux qui sont vivans. Hé bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si tout se revoque de la façon, sans juger meurement des affaires, premier que d'en venir là? ceux qui ont le moins de cognoissance crient le plus fort, & en veulent plus sçavoir que ceux qui en auront une parfaite expérience; & ne parlent que par envie, ou pour leur interest particulier, sur de faux rapports & apparences, sans s'en informer davantage.

Il se trouve quelque chose à redire en ceste entreprise, qui est, en ce que deux religions contraires ne font jamais un grand fruict pour la gloire de Dieu parmy les Infideles, que l'on veut convertir. J'ay veu le Ministre & nostre Curé s'entre-battre à coups de poing, sur le différend de la religion. Je ne sçay pas qui estoit le plus vaillant, & qui donnoit le meilleur coup, mais je sçay très-bien que le Ministre se plaignoit quelquefois au Sieur de Mons d'avoir esté battu, & vuidoient en ceste façon les poincts de controverse. Je vous laisse à penser si cela estoit beau à voir; les Sauvages estoient tantost d'un costé tantost de l'autre, & les François menez selon leur diverse croyance, disoient pis que pendre de l'une & de l'autre religion, quoy que le Sieur de Mons y apportast la paix le plus qu'il pouvoit. Ces insolences estoient véritablement un moyen à l'infidèle 54/710de le rendre encore plus endurcy en son infidélité.

Or puis que ledit Sieur de Mons n'avoit voulu aller habiter au fleuve Sainct Laurent, il devoit envoyer recognoistre un lieu propre pour y jetter les fondemens d'une Colonie, qui ne fut subjecte à estre delaissée comme celle de Saincte Croix, & Port Royal, où personne n'y cognoissoit rien, & devoit faire une despense de quatre à cinq mille livres, pour estre asseuré du lieu, & mesme donner charge d'y passer un hyver, pour cognoistre ce climat. Cela estant, il n'y a point de doute que le terroir, & la chaleur, correspondans à quelque bonne température, l'on s'y fust arresté. Et bien que la commission dudit sieur de Mons eust esté revoquée, l'on n'eust pas laissé d'habiter le pays en trois ans & demy, comme l'on avoit fait en l'Acadie, & eust-on assez défriché de terre, pour se pouvoir passer des commoditez de France. Que si ces choses eussent esté bien ordonnées, peu à peu l'on s'y fust habitué, & les Anglois & Flamens n'auroient jouy des lieux qu'ils ont surpris sur nous, qui s'y sont establis à nos despens.

Il ne sera hors de propos pour contenter le lecteur curieux, & principalement les voyageurs de mer, de descrire les descouvertes de ces costes, pendant trois ans & demy que je fus à l'Acadie, tant à l'habitation de Saincte Croix, qu'au Port Royal, où j'eus moyen de voir & descouvrir le tout, comme il se verra au Livre suivant.


Fin du premier Livre.




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