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Oeuvres de Champlain

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Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le cours de la riviere.

B 2 Isles qui sont à l'antré de la riviere.

C Deux rochers qui sont dans la riviere fort dangereux.

D Islets & rochers qui sont le long de la coste.

E Basses où de plaine mer vaisseaux du port de 60 tonneaux peuvent

eschouer.

F Le lieu où les sauvages cabannent quand ils viennent à la pesche du

poisson.

G Basses de sable qui sont le long de la coste.

H Un estang d'eau douce.

I Un ruisseau où des chaloupes peuvent entrer à demy flot.

L Isles au nombre de 4 qui sont dans la riviere comme l'on est entré

dedans.

Le 8 du mois partismes de l'emboucheure d'icelle riviere ce que ne peusmes faire plustost à cause des brumes que nous eusmes. Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une baye75 où il y a quantité d'isles, & voit on d'icelle de grandes montaignes à l'ouest, où est la demeure d'un Capitaine sauvage appelé Aneda, qui se tient proche de la riviere de Quinibequy. Je me parsuaday par ce nom que c'estoit un de sa race qui avoit trouvé l'herbe appelée Aneda76 que Jacques 51/199Quartier a dict avoir tant de puissance contre la maladie appelée Scurbut, dont nous avons desja parlé, qui tourmenta ses gens aussi bien que les nostres, lors qu'ils yvernerent en Canada. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne sçavent que c'est, bien que ledit sauvage en porte le nom. Le lendemain fismes huit lieues. Costoyant la coste nous apperçeusmes deux fumées que nous faisoient des sauvages, vers lesquelles nous fusmes mouiller l'ancre derrière un petit islet proche de la grande terre, où nous vismes plus de quatre vingts sauvages qui accouroyent le long de la coste pour nous voir, dansant & faisant signe de la resjouissance qu'ils en avoient. Le sieur de Mons envoya deux hommes avec nostre sauvage77 pour les aller trouver: & après qu'ils eurent parlé quelque temps à eux, & les eurent asseurez de nostre amitié nous leur laissames un de nos gens, & eux nous baillèrent un de leurs compagnons en ostage: Cependant le sieur de Mons fut visiter une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la terre deffrichée & force vignes, qui aportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers qu'eussions veu en toutes ces costes depuis le cap de la Héve: Nous la 52/200nommasmes l'isle de Bacchus78. Estans de pleine mer nous levasmes l'ancre, & entrasmes dedans une petite riviere, où nous ne peusmes plustost: d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie, & du grand de l'eau deux brasses; quand on est dedans il y en a trois, quatre, cinq & six. Comme nous eusmes mouillé l'ancre il vint à nous quantité de sauvages sur le bort de la riviere, qui commencèrent à dancer: Leur Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appeloient Honemechin79: il arriva environ deux ou trois heures après avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de nostre barque. Nostre sauvage ne pouvoit entendre que quelques mots, d'autant que la langue Almouchiquoise, comme s'appelle ceste nation, diffère du tout de celle des Souriquois & Etechemins. Ces peuples demonstroient estre fort contens: leur chef estoit de bonne façon, jeune & bien dispost: l'on envoya quelque marchandise à terre pour traicter avec eux, mais ils n'avoient rien que leurs robbes, qu'ils changèrent, car ils ne font aucune provision de pelleterie que pour se vestir. Le sieur de Mons fit donner à leur chef quelques commoditez, dont il fut fort satisfait, & vint plusieurs fois à nostre bort pour nous veoir. Ces sauvages se rasent le poil de dessus le crasne assez haut, & portent le reste fort longs, qu'ils peignent & tortillent par derrière en 53/201plusieurs façons fort proprement, avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de noir & rouge comme les autres sauvages qu'avons veus. Ce sont gens disposts bien formez de leur corps: leurs armes sont piques, massues, arcs & flèches, au bout desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appelé Signoc80, d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu. Au lieu de charuës ils ont un instrument de bois fort dur, faict en façon d'une besche. Ceste riviere s'appelle des habitans du pays Chouacoet81.

Note 75: (retour)

La baie de Casco. Ce mot, parait-il, n'est qu'une contraction de l'ancien nom Acocisco. (Williamson, Hist. of Maine, Introd., sect. II.)

Note 76: (retour)

Cette phrase nous fait connaître quelques-unes des causes qui ont empêché les Français de retrouver, en Acadie, le remède que les sauvages du Canada avaient enseigné à Cartier pour guérir ses gens du scorbut. D'abord, on avait défiguré un peu le nom de la plante: les trois manuscrits qui existent du second voyage de Cartier sont unanimes à l'appeler amedda, d'après M. d'Avezac (réimpression figurée de l'édit. de 1545, publiée en 1863); tandis que Lescarbot écrit annedda, et Champlain aneda. En second lieu, cette plante n'était pas une herbe, mais bien un arbre de bonne taille; c'était probablement ce que l'on a toujours appelé, en Canada, l'épinette. Voici ce qu'en dit le capitaine malouin: «Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes avecq le capitaine pour en quérir: lesquelz en apportèrent neuf ou dix rameaulx, & nous monstrerent comme il failloit piler l'escorce & les fueilles dudict boys, & mettre tout bouillir en eaue, puis en boire de deux jours l'un, & mettre le marcq sur les jambes enflées & malades, & que de toute maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur langaige Ameda... Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent l'advantage... Apres ce avoir veu & cogneu, y a eu telle presse ladicte médecine, que on si vouloit tuer, à qui premier en auroit. De sorte que ung arbre aussi gros & aussi grand que je viz jamais arbre a esté employé en moins de huit jours: lequel a faict telle opération, que si tous les médecins de Louvain & de Montpellyer y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant faict en ung an, que ledict arbre a faict en six jours.»

Note 77: (retour)

Panounias, allié par sa femme à la nation almouchiquoise. (Voir ci-dessus, p. 4.) Ce sauvage fut, quelque temps après, assassiné par les Almouchiquois, et sa mort fut la cause d'une guerre sanglante entre cette nation et celles des Souriquois et des Etchemins.

Note 78: (retour)

Cette île, suivant la carte de 1632, est située vers le nord de la baie de Saco ou Chouacouet. C'est probablement celle que l'on trouve indiquée, dans les cartes anglaises, sous les noms de Richmond et de Richman's island.

Note 79: (retour)

Lescarbot l'appelle Olmechin. Il fut tué l'année suivante par un parti d'Etchemins. (Voir ci-après, ch. XVI, et Lescarbot, Muses de la Nouvelle-France.)

Note 80: (retour)

L'auteur donne, un peu plus loin (chapitre VIII), la description du signoc ou siguenoc.

Note 81: (retour)

Le nom de Saco, que porte aujourd'hui cette rivière, de même que la baie où elle se jette, vient évidemment de ce nom sauvage Chouacouet, ou, si l'on veut, de Sawahquatok, comme on le trouve dans les auteurs anglais. De Souacouet, on a fait Sacouet, et enfin Saco.

Le lendemain le sieur de Mons fut à terre pour veoir leur labourage sur le bord de la riviere, & moy avec luy, & vismes leur bleds qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages, semant trois ou quatre grains en un lieu, après ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc quantité de terre: Puis à trois pieds delà en sement encore autant; & ainsi consecutivement. Parmy ce bled à chasque tourteau ils plantent 3 ou 4 febves du Bresil, qui viennent de diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelassent au tour dudict bled qui leve de la hauteur de cinq à six pieds: & tiennent le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y vismes force citrouilles, courges & petum, qu'ils cultivent aussi82.

Note 82: (retour)

Toutes ces plantes, le petun, ou tabac, les courges et citrouilles, les fèves, le maïs, sont-elles indigènes dans les contrée que parcourt ici Champlain? M. Asa Gray et le Dr. Harris, qui ont étudié cette question, prétendent qu'elles ne le sont pas à une latitude plus au nord que le Mexique, et, par conséquent, que la culture de ces plantes a dû être transmise aux sauvages de la Nouvelle-Angleterre, comme à ceux de la Nouvelle-France, par les nations plus méridionales.

54/202Le bled d'Inde que nous y vismes pour lors estoit de deux pieds de haut, il y en avoit aussi de trois. Pour les febves elles commençoient à entrer en fleur, comme faisoyent les courges & citrouilles. Ils sement leur bled en May, & le recueillent en Septembre. Nous y vismes grande quantité de noix, qui sont petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessoubs, qui estoient de l'année précédente. Nous vismes aussi force vignes, ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de tresbon verjust, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur demeure arrestée, le labourage, & les beaux arbres, nous firent juger que l'air y est plus tempéré & meilleur que celuy où nous yvernasmes ny que les autres lieux de la coste: Mais que je croye qu'il n'y face un peu de froit, bien que ce soit par la hauteur de 43 degrez 3 quarts de latitude, non. Les forests dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres fresnes & ormeaux: Dans les lieux aquatiques il y a quantité de saules. Les sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont une grande Cabanne entourée de pallissades, faictes d'assez gros arbres rengés les uns contre les autres, où ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre. Ils couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort plaisant & aussi aggreable que lieu que l'on 55/203puisse voir. La riviere est fort abondante en poisson, environnée de prairies. A l'entrée y a un islet capable d'y faire une bonne forteresse, où l'on seroit en seureté.

202b

Chouacoit-R

Les chifres montrent les brases d'eau.

A La riviere.

B Le lieu où ils ont leur forteresse.

C Les cabannes qui sont parmy les champs où auprès ils cultivent

la terre & sement du bled d'Inde.

D Grande compaigne sablonneuse, neantmoins remplie d'herbages.

E Autre lieu où ils font leurs logemens tous en gros sans estre

separez après la semence de leurs bleds estre faite.

F (1) Marais où il y a de bons pasturages.

G Source d'eau vive.

H Grande pointe de terre toute deffrichée horsmis quelques arbres

fruitiers & vignes sauvages.

I Petit islet à l'entrée de la riviere.

L Autre islet (2).

M Deux isles où vesseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry d'icelles

avec bon fons.

N Pointe de terre deffrichée ou nous vint trouver Marchim.

O (3) Quatre isles.

P Petit ruisseau qui asseche de basse mer.

Q (4) Basses le long de la coste.

R La rade où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre attendant le flot.

(1) f, dans la carte.—(2) Cet îlet est marqué I. Des deux qui sont marqués de la même lettre, celui-ci est le plus éloigné de l'entrée de la rivière.—(3) Des quatre O qui désignaient les quatre îles, le graveur a fait quatre îles plus petites. Les quatre îles sont au nord-ouest de la pointe H.—(4.) Dans la carte, c'est une lettre minuscule.

Le dimanche 12 83 du mois nous partismes de la riviere appelée Chouacoët, & rengeant la coste aprés avoir fait quelque 6 ou 7 lieues le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller l'ancre & mettre pied à terre, où nous vismes deux prairies, chacune desquelles contenoit environ une lieue de long, & demie de large. Nous y aperceusmes deux sauvages que pensions à l'abbord estre de gros oiseaux qui sont en ce pays là, appelés outardes, qui nous ayans advisés, prindrent la fuite dans les bois, & ne parurent plus. Depuis Chouacoet jusques en ce lieu où vismes de petits oiseaux84, qui ont le chant comme merles, noirs horsmis le bout des ailles, qui sont orangés, il y a quantité de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes deux ou trois lieux devers Chouacoet jusques à un cap qu'avons nommé le port aux isles85, bon pour des vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles. Mettant le cap au nordest quart du nort 56/204proche de ce lieu, l'on entre en un autre port86 où il n'y a aucun passage (bien que ce soient isles) que celluy par où on entre, où à l'entrée y a quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y a tant de groiselles rouges que l'on ne voit autre chose en la pluspart, & un nombre infini de tourtes 87, dont nous en prismes bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de 43 degrez 25 minutes de latitude.

Note 83: (retour)

Le 12 de juillet était un mardi. Comme M. de Monts et l'auteur semblent avoir visité ce lieu assez en détail, et qu'ils mirent à terre le 10, il est probable qu'on ne repartit de Chouacouet que le 12.

Note 84: (retour)

On donne à cet oiseau le nom de Commandeur (Agelaius Phoeniceus, VIEILLOT). En Canada, on l'appelle Étourneau, parce qu'il a avec ce dernier une certaine conformité de couleur et d'habitudes.

Note 85: (retour)

Il ne faut pas confondre ce cap du Port-aux-Iles avec celui que l'auteur appelle, un peu plus loin, le Cap-aux-Iles. Ce dernier porte aujourd'hui le nom de cap Anne, et le premier celui de cap Porpoise (cap au Marsouin). Williamson parle du cap Porpoise à peu près dans les mêmes termes que Champlain. «Le cap Porpoise, dit-il, est un havre étroit et de difficile accès.» Le nom de Mousom, que l'on a donné à la rivière du cap Porpoise, est vraisemblablement une corruption du mot marsouin; car il est impossible qu'il soit dérivé du nom sauvage Meguncouk.

Note 86: (retour)

Ce doit être l'entrée de la rivière Kenebunk, «qui est un bon havre pour les petits vaisseaux,» dit Williamson. (Hist. of Maine.)

Note 87: (retour)

Tourtres, ou Pigeons de passage (Ectopistes migratoria, AUDUBON).

Le 15 dudit mois fismes 12 lieues. Costoyans la coste nous apperçeusmes une fumée sur le rivage de la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne vismes aucun sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuys. Le soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous loger icelle nuict, à cause que la coste estoit platte, & sablonneuse. Mettant le cap au su pour nous esloigner, afin de mouiller l'ancre, ayant fait environ deux lieues nous apperçeusmes un cap 88 à la grande terre au su quart du suest de nous, où il pouvoit avoir quelque six lieues: à l'est deux lieues apperçeusmes trois ou quatre isles assez hautes 89, & à l'ouest un grand cu de sac90. La coste de ce cul de sac toute rengée jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu où 57/205nous estions environ quatre lieues: il en a deux de large nort & su91 & trois en son entrée: Et ne recognoissant aucun lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap cy dessus à petites voilles une partie de la nuict, & en aprochasmes à 16 brasses d'eaue où nous mouillasmes l'ancre attendant le poinct du jour.

Note 88: (retour)

Le cap Anne.

Note 89: (retour)

Les îles appelées Isles of Shoals (îles de Battures.) «Ces îles constituent le groupe auquel le célèbre capitaine John Smith donna son propre nom; mais l'ingratitude de l'homme a refusé à sa mémoire ce faible honneur.» (Dict. of Am.)

Note 90: (retour)

On voit, par ce qui suit, que ce grand cul-de-sac désigne évidemment la grande baie que forme la côte au nord du cap Anne. C'est ce même cul-de-sac que l'auteur appelle ailleurs baie Longue. Les cartes modernes ne lui assignent aucun nom particulier.

Note 91: (retour)

A rigoureusement parler, la largeur de cette baie n'est pas dans le sens nord et sud; mais il est évident que l'auteur ne prétend point en donner ici une description mathématique, puisqu'il ne la décrit que de loin et selon l'apparence qu'elle présente à la distance de plusieurs lieues.

Le lendemain nous fusmes au susdict cap, où il y a trois isles proches de la grand terre, pleines de bois de diferentes sortes, comme à Chouacoet & par toute la coste: & une autre platte, où la mer brise, qui jette un peu plus à la mer que les autres, où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux isles 92, proche duquel apperçeusmes un canau, où il y avoit 5 ou 6 sauvages, qui vindrent à nous, lesquels estans prés de nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Le sieur de Mons m'envoya à terre pour les veoir, & leur donner à chacun un cousteau & du biscuit, ce qui fut cause qu'ils redanserent mieux qu'auparavant. Cela fait je leur fis entendre le mieux qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste. Apres leur avoir dépeint avec un charbon la baye 93 & le cap aux isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le 58/206mesme creon, une autre baye 94 qu'ils representoient fort grande, où ils mirent six cailloux d'esgalle distance, me donnant par là à entendre que chacune des marques estoit autant de chefs & peuplades 95: puis figurèrent dedans ladicte baye une riviere que nous avions passée 96, qui s'estent fort loing, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en quantité, dont le verjust estoit un peu plus gros que des poix, & force noyers, où les noix n'estoient pas plus grosses que des balles d'arquebuse. Ces sauvages nous dirent, que tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemensoient la terre, comme les autres qu'avions veu auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez, & quelque minutes 97 de latitude. Ayant fait demie lieue nous apperçeusmes plusieurs sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la coste, en dansant, vers leurs compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayant monstré le quartier de leur demeure, ils firent signal de fumées pour nous monstrer l'endroit de leur habitation. Nous 59/207fusmes mouiller l'ancre proche d'un petit islet, où l'on envoya nostre canau pour porter quelques cousteaux & gallettes aux sauvages; & apperçeusmes à la quantité qu'ils estoient que ces lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus. Après avoir arresté quelques deux heures pour considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faicts d'escorce de boulleau, comme les Canadiens, Souriquois & Etechemins, nous levasmes l'ancre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes à la voille. Poursuivant nostre routte à l'ouest surouest, nous y vismes plusieurs isles à l'un & l'autre bort. Ayant fait 7 à 8 lieues nous mouillasmes l'ancre proche d'une isle où apperçeusmes force fumées tout le long de la coste, & beaucoup de sauvages qui accouroient pour nous voir. Le sieur de Mons envoya deux ou trois hommes vers eux dedans un canau, ausquels il bailla des cousteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a quantité de terre deffrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays est fort plaisant & aggreable: neantmoins il ne laisse d'y avoir force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux faicts tout d'une pièce, fort subjets à tourner, si on n'est bien adroit à les gouverner: & n'en avions point encore veu de ceste façon. Voicy comme ils les font. Apres avoir eu beaucoup de peine, & esté long temps à abbatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre 60/208(car ils n'en ont point d'autres, si ce n'est que quelques uns d'eux en recouvrent par le moyen des sauvages de la coste d'Accadie, ausquels on en porte pour traicter de peleterie) ils ostent l'escorce & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce: & prennent quelques fois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent aussi dessus: & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent avec un peu d'eau, non pas du tout, mais de peur que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux à leur fantasie, ils le raclent de toutes parts avec des pierres, dont ils se servent au lieu de cousteaux. Les cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables à nos pierres à fusil.

Note 92: (retour)

Les Anglais lui ont donné le nom de la reine Anne.

Note 93: (retour)

La baie dont l'auteur vient de parler, c'est-à-dire, la baie Longue.

Note 94: (retour)

La baie de Massachusets, au fond de laquelle est la baie de Boston. En comparant le récit des auteurs anglais sur les sauvages appelés Massachusets, avec ce que Champlain et les français de son temps disent des Almouchiquois, on demeure convaincu que les uns et les autres ont désigné par ces deux mots, en apparence si différents, une seule et même nation, ou qu'ils ont étendu ce nom à toutes les tribus qui faisaient cause commune avec ces sauvages contre les nations des côtes d'Acadie. «Les Massachusets, dit Gookin, demeuraient principalement vers cet endroit de la baie de Massachusets, où les Anglais sont maintenant établis. Ils formaient un peuple grand et nombreux. Leur principal chef avait autorité sur plusieurs capitaines subalternes... Cette nation pouvait autrefois mettre sur pied environ trois mille hommes de guerre, au rapport des vieux sauvages.» (Collect. of the Mass. Hist. Soc., première série, vol. I.) Suivant le même auteur, les Massachusets avaient pour alliés les Patoukets, qui demeuraient plus au nord. D'où l'on voit que les peuples qui habitaient la plus grande partie des côtes de la Nouvelle-Angleterre, étaient les Massachusets et leurs alliés. Or ce sont précisément ces mêmes nations que les voyageurs français comprenaient sous le nom d'Almouchiquois. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Français appelaient Almouchiquois plusieurs peuples ou tribus que les Anglais comprenaient sous le nom de Massachusets, et, quelle que soit la vraie signification de ces deux mots, on ne peut nier qu'ils n'aient entre eux un certain air de parenté (al-moussicoua-set).

Note 95: (retour)

C'étaient, d'après Gookin, les chefs de Weechagaskas, de Neponsitt, de Punkapaog, de Nonantum, de Nashaway, et d'une partie des Nipmucks, suivant le rapport des anciens.

Note 96: (retour)

Le Merrimack.

Note 97: (retour)

La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.

Le lendemain 17 dudict mois levasmes l'ancre pour aller à un cap, que nous avions veu le jour précèdent, qui nous demeuroit comme au su surouest98. Ce jour ne peusmes faire que 5 lieues, & passames par quelques isles remplies de bois. Je recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre route il en vint à nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la terre ferme. Nous fusmes ancrer à une lieue du cap, qu'avons nommé S. Loys99, où nous apperçeusmes plusieurs fumées: y voulant aller nostre barque eschoua sur une roche, où nous fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement remédié, elle eut bouleversé dans la mer, qui perdoit tout à l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau: mais Dieu nous preserva, & fusmes 61/209mouiller l'ancre proche du susdict cap, où il vint quinze ou seize canaux de sauvages, & en tel y en avoit 15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que nous n'entendions nullement. Le sieur de Mons envoya trois ou quatre hommes à terre dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur chef nommé Honabetha, qui eut quelques cousteaux, & autres jolivetés, que le sieur de Mons luy donna, lequel nous vint voir jusques en nostre bort, avec nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy fit-on bonne chère: &c y ayant esté quelque espace de temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoyés devers eux, nous apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont tresbonnes; & du pourpié100, qui vient en quantité parmy le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises herbes. Nous vismes en ce lieu grande quantité de petites maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement leur bled d'Inde.

Note 98: (retour)

Ce cap, appelé plus loin cap Saint-Louis, leur «demeurait comme au sud-sud-ouest» dans la journée du 16.

Note 99: (retour)

La pointe Brandt. On ne la désigne ordinairement que comme pointe, parce que, suivant l'expression même de Champlain, c'est «une terre médiocrement basse.»

Note 100: (retour)

Portulaca oleracea. «Ce pourpier,» dit Miller (Dict. des Jardiniers), «croît naturellement en Amérique et dans les parties les plus chaudes du globe.» Il est assez probable que cette plante se sera propagée jusqu'à cette latitude avec la culture du tabac.

Plus y a en icelle baye 101 une riviere qui est fort spatieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas 102, qui, à mon jugement, va rendre vers les Yroquois, nation qui a guerre ouverte avec les montaignars qui sont en la grande riviere S. Lorans.

Note 101: (retour)

Dans la baie de Boston.

Note 102: (retour)

Du nom de M. de Monts, Pierre Du Gas. C'est probablement la rivière Charles; mais elle vient du sud-ouest, plutôt que du côté des Iroquois.




62/210 Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce qu'y avons remarqué de particulier.

CHAPITRE VIII.

Le lendemain doublasmes le cap S. Louys, ainsi nommé par le sieur de Mons, terre médiocrement basse, soubs la hauteur de 42 degrez 3 quarts de latitude103; & fismes ce jour deux lieues de coste sablonneuse, & passant le long d'icelle, nous y vismes quantité de cabannes & jardinages. Le vent nous estans contraire, nous entrasmes dedans un petit cu de sac, pour attendre le temps propre à faire nostre routte. Il vint à nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche de morue, & autres poissons, qui sont là en quantité, qu'ils peschent avec des aims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os qu'ils forment en façon de harpon, & lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte: le tout estant en forme d'un petit crochet: la corde qui y est attachée est d'escorce d'arbre. Ils m'en donnèrent un, que je prins par curiosité, où l'os estoit attaché de chanvre, à mon opinion, comme celuy de France, & me dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds. Ledict canau s'en retourna à terre avertir ceux de son habitation, qui nous firent des fumées, & apperçeusmes 18 ou 20 sauvages, qui vindrent sur le bort de la coste, & se mirent à danser. Nostre canau fut à terre pour leur donner quelques 63/211bagatelles, dont ils furent fort contens. Il en vint aucuns devers nous qui nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'ancre pour ce faire, mais nous n'y peusmes entrer à cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de basse mer, & fusmes contraincts de mouiller l'ancre à l'entrée d'icelle. Je descendis à terre, où j'en vis quantité d'autres qui nous reçeurent fort gratieusement: & fus recognoistre la riviere, où n'y vey autre chose qu'un bras d'eau qui s'estant quelque peu dans les terres, qui sont en partie desertées; dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter basteaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit. En l'une des entrées duquel y a une manière d'icelle couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un costé à des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre costé est une terre assez haute. Il y a deux islets dans ladicte baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, où autour la mer asseche presque toute de basse mer. Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de l'entrée de la baye, qu'avons nommé, le port du cap sainct Louys104, distant dudict cap deux lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur du cap S. Louys.

Note 103: (retour)

La latitude de la pointe Brandt est d'environ 42° 6'.

Note 104: (retour)

Ce port Saint-Louis est précisément le lieu où abordaient, quinze ans plus tard, les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre, appelés les Pèlerins (Pilgrim Fathers). Ils lui donnèrent le nom de Plymouth, en mémoire de la ville d'où ils étaient partis pour l'Amérique. (Holme's Annals, an. 1620.)

211a

Port St-Louis

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Monstre le lieu où posent les vaisseaux.

B L'achenal.

C Deux Isles.

D Dunes de sable

E Basses.

F Cabannes où les sauvages labourent la terre.

G Le lieu où nous fusmes eschouer nostre barque.

H Une manière d'isle remplie de bois tenant aux dunes de sable.

I Promontoire assez haut qui paroist de 4 à 5 lieux à la mer.

Le 19 du mois nous partismes de ce lieu. Rengeant la coste comme au su, nous fismes 4 à 5 lieues, & passames proche d'un rocher qui est à fleur d'eau. Continuant nostre route nous 64/212apperçeusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans plus prés nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous demeuroit au nord nordouest, qui estoit le cap d'une grande baye contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous engouffrasmes tellement, qu'il nous falut mettre à l'autre bort pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap blanc105, pour ce que c'estoient sables & dunes, qui paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu: car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettés à la coste. Cette baye est fort seine, pourveu qu'on n'approche la terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui entre assez avant dans les terres, que nommasmes saincte suzanne du cap blanc 106, d'où jusques au cap S. Louis y a dix lieues de traverse. Le cap blanc est une pointe de sable qui va en tournoyant vers le su quelque six lieues. Ceste coste est assez haute eslevée de sables, qui sont fort remarquables venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de 15 ou 18 lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau jusques à ce qu'on vienne à 10 brasses en approchant de la terre, qui est très seine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur le bort de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont fort aggreables & plaisans à voir. Nous mouillasmes l'ancre à 65/213la coste, & vismes quelques sauvages, vers lesquels furent quatre de nos gens, qui cheminant sur une dune de sable, advisèrent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout à l'entour. Estans environ une lieue & demye de nous, il vint à eux tout dansant (à ce qu'ils nous ont raporté) un sauvage qui estoit descendu de la haute coste, lequel s'en retourna peu après donner advis de nostre venue à ceux de son habitation.

Note 105: (retour)

Sans aucun doute, l'auteur n'avait pas eu connaissance du voyage du capitaine Gosnold, qui, un peu plus de deux ans auparavant, s'était comme lui engouffré dans la même baie, et qui avait, dès 1602, donné à ce cap le nom de cap Cod, parce qu'on y avait pris grande quantité de morue (cod).

Note 106: (retour)

Ce que l'auteur appelle la rivière de Sainte-Suzanne du cap Blanc, est probablement la baie de Wellfleet, à l'entrée de laquelle se trouve la batture de Billingsgate.

Le lendemain 20 du mois fusmes en ce lieu que nos gens avoient aperçeu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause des basses & bancs, où nous voiyons briser de toutes parts. Il estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y avoit que quatre pieds d'eau par la passée du nort; de haute mer il y a deux brasses. Comme nous fusmes dedans nous vismes ce lieu assez spatieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de circuit, tout entouré de maisonnettes, à l'entour desquelles chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y descend une petite riviere, qui est assez belle, où de basse mer y a quelque trois pieds & demy d'eau. Il y a deux ou trois ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est tresbeau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, & trouvé 42 degrez de latitude & 18 degrez 40 minuttes de declinaison107 de la guide-aymant. Il vint à nous quantité de sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes parts en dansant. Nous avons nommé ce lieu le port de Mallebarre108.

Note 107: (retour)

La déclinaison aujourd'hui n'y est que de 7° environ.

Note 108: (retour)

Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41° 50'.

66/214Le lendemain 21 du mois le sieur de Mons prit resolution d'aller voir leur habitation, & l'accompaignasmes neuf ou dix avec nos armes: le reste demeura pour garder la barque. Nous fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé de bled d'Inde à la façon que nous avons dit cy dessus. Le bled estoit en fleur de la hauteur de 5 pieds & demy. Il y en avoit d'autre moins avancé qu'ils sement plus tart. Nous vismes force febves du Bresil, & force citrouilles de plusieurs grosseurs, bonnes à manger, du petun & des racines, qu'ils cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de chesnes noyers & de tresbeaux cyprès, qui sont rougeastres & ont fort bonne odeur 109. Il y avoit aussi plusieurs champs qui n'estoient point cultivez: d'autant qu'ils laissent reposer les terres. Quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs bêches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes, faictes de roseaux, & par enhaut il y a au milieu environ un pied & demy de descouvert, par où sort la fumée du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrestée en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup; ce que ne peusmes bien sçavoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y efforçassent par signe, en prenant du sable en leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de nos rabats, & qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un 67/215pied: & d'autres nous monstroient moins, nous donnant aussi à entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je tiens neantmoins que le pays est tempéré, & que l'yver ny est pas rude. Pendant le temps que nous y fusmes, il fit une tourmente de vent de nordest, qui dura 4 jours, avec le temps si couvert que le soleil n'aparoissoit presque point. Il y faisoit fort froid: ce qui nous fit prendre nos cappots, que nous avions delaissez du tout: neantmoins je croy que c'estoit par accident, comme l'on void souvent arriver en d'autres lieux hors de saison.

Note 109: (retour)

La couleur rougeâtre et l'odeur de l'arbre mentionné en cet endroit, font voir que l'auteur parle du cèdre rouge (juniperus virginiana). C'est une nouvelle preuve que ce qu'il appelle cyprès dans son voyage de 1603, n'est rien autre chose que notre cèdre ordinaire (thuja)

Le 23 dudict mois de Juillet, quatre ou cinq mariniers estans allés à terre avec quelques chaudières, pour quérir de l'eau douce, qui estoit dedans des dunes de sable, un peu esloignée de nostre barque, quelques sauvages desirans en avoir aucunes, espierent l'heure que nos gens y alloyent, & en prirent une de force entre les mains d'un matelot, qui avoit puisé le premier, lequel n'avoit nulles armes: Un de ses compagnons voulant courir après, s'en revint tout court, pour ne l'avoir peu atteindre, d'autant qu'il estoit plus viste à la cource que luy. Les autres sauvages voyans que nos matelos accouroient à nostre barque en nous criant que nous tirassions quelques coups de mousquets sur eux, qui estoient en grand nombre, ils se mirent à fuir. Pour lors y en avoit quelques uns dans nostre barque qui se jetterent à la mer, & n'en peusmes saisir qu'un. Ceux en terre qui s'en estoient fuis les appercevant nager, 68/216retournèrent droit au matelot 110 à qui ils avoient osté la chaudière, & luy tirèrent plusieurs coups de flèches par derrière & l'abbatirent, ce que voyant ils coururent aussitost sur luy & l'acheverent à coups de cousteau. Cependant on fit diligence d'aller à terre, & tira on des coups d'arquebuse de nostre barque, dont la mienne creva entre mes mains & me pença perdre. Les sauvages oyans cette escopeterie se remirent à la fuite, qu'ils doublèrent quand ils virent que nous estions à terre: d'autant qu'ils avoient peur nous voyans courir après eux. Il n'y avoit point d'apparence de les attraper: car ils sont vistes comme des chevaux. L'on apporta le mort qui fut enterré quelques heures après: Cependant nous tenions tousjours le prisonnier attaché par les pieds & par les mains au bort de nostre barque, creignant qu'il ne s'enfuist. Le Sieur de Mons se resolut de le laisser aller, se persuadant qu'il n'y avoit point de sa faute, & qu'il ne sçavoit rien de ce qui s'estoit passé, ny mesme ceux qui estoient pour lors dedans & autour de nostre barque. Quelques heures après il vint des sauvages vers nous, faisant des excuses par signes & demonstrations, que ce n'estoit pas eux qui avoient fait ceste meschanceté, mais d'autres plus esloignez dans les terres. On ne leur voulut point faire de mal, bien qu'il fut en nostre puissance de nous venger.

Note 110: (retour)

C'était, suivant Lescarbot, un charpentier malouin. (Liv. IV, ch. VII.)

Tous ces sauvages depuis le cap des isles ne portent point de robbes, ny de fourrures, que fort rarement, encore les robbes sont faites d'herbes & de chanvre, qui à peine leur couvrent le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la 69/217nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière; tout le reste du corps est nud. Lors que les femmes nous venoient voir, elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes se coupent le poil dessus la teste comme ceux de la riviere de Chouacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par dessus de petites patenôtres de porceline: une partie de ses cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entrelassé de diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge, noir, & jaune. Ils n'ont presque point de barbe, & se l'arrachent à mesure qu'elle croist. Ils sont bien proportionnez de leurs corps. Je ne sçay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent à leurs voisins, qui n'en ont point du tout. Ils ne sçavent qu'adorer ny prier. Ils ont bien quelques superstitions comme les autres, que je descriray en leur lieu. Pour armes, ils n'ont que des picques, massues, arcs & flèches. Il semble à les voir qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort: mais tous à bien parler ne vallent pas grande chose. Si peu de fréquentation que l'on ait avec eux, les fait incontinent cognoistre. Ils sont grands larrons; & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils y taschent avec les pieds, comme nous l'avons esprouvé souventefois. J'estime que s'ils avoient dequoy eschanger avec nous, qu'ils ne s'adonneroient au larrecin. Ils nous troquèrent leurs arcs, flèches & carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur ils en 70/218eussent fait autant. Il se faut donner garde de ces peuples, & vivre en mesfiance avec eux toutefois sans leur faire apperçevoir. Ils nous donnèrent quantité de petum, qu'ils font secher, & puis le reduisent en poudre111. Quand ils mangent le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre qu'ils font d'autre manière que nous 112. Ils le pilent aussi dans des mortiers de bois & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du Pérou.

Note 111: (retour)

Il n'y a aucun doute que les Almouchiquois préparaient leur tabac, ou petun, comme les sauvages du Canada, c'est-à-dire, qu'après l'avoir fait sécher, comme, dit Champlain, ils le broyaient assez menu pour pouvoir en charger commodément leurs pipes ou petunoirs, mais non pas si fin que le tabac râpé. C'est ce que prouvent du reste les intéressantes découvertes que vient de faire monsieur J. C. Taché. Le riche musée d'antiquités huronnes que l'université Laval doit à la générosité de cet infatigable antiquaire, renferme des échantillons parfaitement conservés de pipes qui ont été trouvées encore toutes chargées de leur tabac, et par lesquelles on peut constater que cette espèce de poudre que les sauvages mettaient dans leurs calumets n'était guère plus fine que notre tabac haché.

Note 112: (retour)

Ces vases de terre n'étaient point faits au tour, comme les poteries européennes, ni cuits au four, mais à feu libre. Voici, d'après Sagard, comment les femmes huronnes, et sans doute aussi les femmes almouchiquoises, s'y prenaient pour fabriquer leur poterie: «Elles ont l'industrie de faire de bons pots de terre, qu'elles cuisent dans leur foyer fort proprement, & sont si forts qu'ils ne se cassent point au feu sans eau comme les nostres, mais ils ne peuvent aussi souffrir longtemps l'humidité ny l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & ne se cassent au moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent beaucoup. Les Sauvagesses les font prenans de la terre propre, laquelle elles nettoyent & petrissent très bien entre leurs mains, & y mestent, je ne sçay par quelle science, un peu de grais pillé parmy; puis la masse estant réduite comme une boulle, elles y font un trou au milieu avec le poing, qu'elles agrandisent tousjours en frappant par dehors avec une petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour les parfaire: ces pots sont de diverses grandeurs, sans pieds & sans ances, & tous ronds comme une boulle, excepté la gueulle qui sort un peu dehors.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. XIII.) L'université Laval doit encore au même monsieur J. C. Taché le plus bel échantillon que l'on connaisse de cette ancienne poterie huronne.

218b

Malle Baiye

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Les deux entrées du port.

B Dunes de sable où les sauvages tuèrent un Matelot de la barque du

sieur de Mons.

C Les lieux où fut la barque du sieur de Mons audit port.

D Fontaine sur le bort du port.

E Une riviere descendant audit port.

F Ruisseau.

G Petite riviere où on prend cantité de poisson.

H Dunes de sable où il y a un petit bois & force vignes.

I Isle à la pointe des dunes.

L Les maisons & habitations des sauvages qui cultivent la terre.

M Basses & bancs de sable tant à l'entrée que dedans ledit port.

O Dunes de sable.

P La coste de la mer.

q La barque du sieur de Poitrincourt quand il y fut deux aprés le sieur

de Mons.

R Dessente des gens du sieur de Poitrincourt.

En ce lieu, & en toute la coste, depuis Quinibequi, il y a quantité de figuenocs113, qui est un poisson portant une 71/219escaille sur le dos, comme la tortue: mais diferente pourtant; laquelle a au milieu une rangée de petits piquants de couleur de fueille morte, ainsi que le reste du poisson: Au bout de laquelle escaille il y en a une autre plus petite, qui est bordée d'esguillons fort piquans. La queue est longue selon qu'ils sont grands ou petits du bout de laquelle ces peuples ferrent leurs flèches, ayant aussi une rangée d'esguillons comme la grande escaille sur laquelle sont les yeux. Il a huict petits pieds comme ceux d'un cancre, & derrière deux plus longs & plats, desquels il se sert à nager. Il en a aussi deux autres fort petits devant, avec quoy il mange: quand il chemine ils sont tous cachez, excepté les deux de derrière qui paroissent un peu. Soubs la petite escaille il y a des membranes qui s'enflent, & ont un battement comme la gorge des grenouilles, & sont les unes sur les autres en façon des facettes d'un pourpoint. Le plus grand que j'aye veu, a un pied de large, & pied & demy de long.

Note 113: (retour)

C'est le Limule Polyphène (limulus poltphemus, LAMARCK). La femelle, qui est plus grande que le mâle, a ordinairement une vingtaine de pouces de longueur, et un peu moins de dix pouces de large. «Cette espèce, commune dans nos parages», dit M. James-E. De Kay (New-York Fauna), «est connue ici sous le nom vulgaire de pied-de-cheval (horse-foot), à cause de sa forme, et retient encore dans quelques districts le nom de king-crab que lui donnaient les premiers colons anglais.» Jean de Laët fait aussi de ce singulier crustacé, une description détaillée et accompagnée d'une figure.

Nous vismes aussi un oiseau marin 114 qui a le bec noir, le haut un peu aquilin, & long de quatre poulces, fait en forme de lancette, sçavoir la partie inférieure representant le manche & la superieure la lame qui est tenue, trenchante des deux costez & plus courte d'un tiers que l'autre, qui donne de l'estonnement à beaucoup de personnes, qui ne peuvent 72/220comprendre comme il est possible que cet oiseau puisse manger avec un tel bec115. Il est de la grosseur d'un pigeon, les ailles fort longues à proportion du corps, la queue courte & les jambes aussi, qui sont rouges, les pieds petits & plats: Le plumage par dessus est gris brun, & par dessous fort blanc. Il va tousjours en troupe sur le rivage de la mer, comme font les pigeons pardeçà.

Note 114: (retour)

Le Bec-en-ciseaux ou Coupeur-d'eau (rhynchops nigra, LATHAM). La singularité de ses habitudes et l'étrange conformation de son bec, lui ont valu différents noms populaires surtout chez les navigateurs anglais, comme ceux de cutwater, shearwater, razorbill, black skimmer, flood gull, skippang et autres. Il a le bec noir à l'extrémité, et tirant sur le rouge près de la tête. Cependant l'on rencontre des individus qui ont le bec entièrement noir, comme celui dont parle ici l'auteur; mais ce n'est probablement qu'une variété d'âge. Il se trouve principalement sur les rivages de la Caroline du Sud, et du Texas, et quelquefois par volées immenses.

Note 115: (retour)

Avec un bec en apparence si incommode, cet oiseau sait fort bien trouver sa vie. Quand il veut pêcher, il rase lentement la surface de la mer, et, coupant l'eau avec la partie inférieure de son bec, il saisit en dessous le poisson, qui fait sa nourriture habituelle.

Les sauvages en toutes ces costes où nous avons esté, disent qu'il vient d'autres oiseaux quand leur bled est à maturité, qui sont fort gros; & nous contrefaisoient leur chant semblable à celuy du cocq d'Inde. Ils nous en montrèrent des plumes en plusieurs lieux, dequoy ils empannent leurs flèches & en mettent sur leurs testes pour parade, & aussi une manière de poil qu'ils ont soubs la gorge, comme ceux qu'avons en France: & disent qu'ils leur tumbe une creste rouge sur le bec. Ils nous les figurèrent aussi gros qu'une outarde, qui est une espece d'oye; ayant le col plus long & deux fois plus gros que celles de pardeça. Toutes ces demonstrations nous firent juger que c'estoient cocqs d'Inde. Nous eussions bien desiré voir de ces oiseaux, aussi bien que de la plume, pour plus grande certitude. Auparavant que j'eusse veu les plumes & le petit boquet de poil qu'ils ont soubs la gorge; & que j'eusse oy contrefaire leur chant, je croiyois que ce fussent de certains oiseaux116, qui se trouvent en quelques endroits du Perou en 73/221forme de cocqs d'Inde, le long du rivage de la mer, mangeans les charongnes autres choses mortes, comme font les corbeaux: mais ils ne sont pas si gros, & n'ont pas la barbe si longue, ny le chant semblable aux vrais coqs d'Inde, & ne sont pas bons à manger comme sont ceux que les sauvages disent qui viennent en troupe en esté; & au commencement de l'yver s'en vont aux pays plus chauts, où est leur demeure naturelle.

Note 116: (retour)

L'oiseau dont parle ici Champlain, est vraisemblablement l'Aura (vultur aura, LINNÉE), appelé Ouroua par les Brésiliens, et Suyuntu par les Péruviens, «se nourrissant plutôt de chair morte et de vidanges, que de chair vivante», suivant Buffon.




Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois.

CHAPITRE IX.

Ayant demeuré plus de cinq sepmaines à eslever trois degrez de latitude, nous ne peusmes estre plus de six sepmaines en nostre voyage; car nous n'avions porté des vivres que pour ce temps là. Et aussi ne pouvans passer à cause des brumes & tempestes que jusques à Mallebarre, où fusmes quelques jours attendans le temps propre pour sortir, & nous voyans pressez par la necessité des vivres, le sieur de Mons délibéra de s'en retourner à l'isle de saincte Croix, afin de trouver autre lieu plus propre pour nostre habitation: ce que ne peusmes faire en toutes les costes que nous descouvrismes en ce voyage.

Et partismes de ce port, pour voir ailleurs, le 25 du mois de Juillet, où au sortir courusmes risque de nous pardre sur la barre qui y est à l'entrée, par la faute de nos pilottes appelez Cramolet & Champdoré 117 Maistres de la barque, qui 74/222avoient mal ballizé l'entrée de l'achenal du costé du su, par où nous devions passer. Ayans evité ce péril nous mismes le cap au nordest six lieues jusques au cap blanc: & de là jusques au cap des isles continuant 15 lieues au mesme vent: puis misme le cap à l'est nordest 16 lieues jusques à Chouacoet, où nous vismes le Capitaine sauvage Marchim, que nous avions esperé voir au lac de Quinibequy118, lequel avoit la réputation d'estre l'un des vaillans hommes de son pays: aussi avoit il la façon belle, où tous ses gestes paroissoient graves, quelque sauvage qu'il fut. Le sieur de Mons luy fit present de beaucoup de choses, dont il fut fort satisfait, & en recompense donna un jeune garçon Etechemin, qu'il avoit prins en guerre, que nous emmenasmes avec nous, & partismes de ce lieu ensemblement bons amis, & mismes le cap au nordest quart de l'est 15 lieues, jusques à Quinibequy, où nous arrivasmes le 29 du mois, & où pensions trouver un sauvage appelé Sasinou, dont j'ay parlé cy dessus, que nous attendismes quelque temps, pensant qu'il deust venir, afin de retirer de luy un jeune homme & une jeune fille Etechemins, qu'il tenoit prisoniers. En l'attendant il vint à nous un capitaine appelé Anassou pour nous voir, lequel traicta quelque peu de pelleterie, & fismes allience avec luy. Il nous 75/223dit qu'il y avoit un vaisseau 119 à dix lieues du port, qui faisoit pesche de poisson, & que ceux de dedans avoient tué cinq sauvages d'icelle riviere, soubs ombre d'amitié: & selon la façon qu'il nous despeignoit les gens du vaisseau, nous les jugeasmes estre Anglois, & nommasmes l'isle où ils estoient la nef: pour ce que de loing elle en avoit le semblance. Voyant que ledict Sasinou ne venoit point nous mismes le cap à l'est suest 20 lieues jusques à l'isle haute où mouillasmes l'ancre attendant le jour.

Note 117: (retour)

Pierre Angibaut dit Champdoré. (Lescarbot, Muses de la Nouv. France, p. 48.)

Note 118: (retour)

Voir ci-dessus p. 49, note 1.

Note 119: (retour)

Les différentes circonstances de ce récit prouvent que le vaisseau dont parle Anassou, était celui du capitaine Waymouth. 1° C'était un vaisseau anglais, d'après la description qu'en fait le capitaine sauvage. Or il ne paraît pas qu'il soit venu aux côtes du Maine, en 1605, d'autre vaisseau anglais que l'Arkangel, commandé par George Waymouth. Il est vrai que ce vaisseau était reparti dès le 26 de juin (nouveau style), c'est-à-dire, depuis plus d'un mois; mais Anassou pouvait croire qu'il était encore dans ces parages, vu que le capitaine anglais, avant de reprendre directement la route de l'Angleterre, était retourné à son havre de la Pentecôte, situé en face de l'île de Monahigan. Il est possible, en outre, qu'Anassou n'ait pas dit autre chose sinon que les Anglais s'étaient retirés à cette île, et que les Français aient compris qu'ils y étaient encore. 2° A dix lieues du port. Précisément à dix lieues du port ou était mouillée la barque de M. de Monts, se trouve cette île remarquable, appelée Monahigan, qui est celle où, suivant les critiques anglais, a dû mouiller l'Arkangel à son arrivée, et non loin de laquelle Waymouth jeta l'ancre encore avant que de repartir; c'est cette île que Champlain appelle la Nef. 3° Qui faisait pêche de poisson. Quoique ce ne fut pas là le but principal du voyage de Waymouth, l'équipage employa effectivement une bonne partie du temps à faire la pêche soit à la ligne, soit à la seine. 4° Que ceux de dedans avaient tué cinq sauvages. Le capitaine Waymouth, ayant de bonnes raisons de croire que les sauvages voulaient le surprendre traîtreusement, résolut de les devancer, et en fit saisir cinq d'entre eux: Sassacomouet, Maneddo, Skitouarros, Amohouet, et un sagamo du nom de Tahanedo. Anassou pouvait croire qu'on les avait tués; cependant le capitaine anglais au contraire les traita si bien, qu'ils parurent ensuite contents de leur sort. «Quoique, au moment de la surprise, dit Rosier, ils aient résisté de leur mieux, ne sachant point nos vues, ni ce que nous étions, ou ce que nous en prétendions faire; cependant, dès qu'ils virent, par nos bons traitements que nous ne leur voulions point de mal, ils ne parurent pas depuis mécontents de nous.» (Rap. du voy. de Waymouth par Rosier, Coll. de la Soc. Hist. de Mass. 3e série, vol. VIII.) 5° Sauvages d'icelle rivière. Ces sauvages étaient donc du Kénébec. Cette circonstance vient à l'appui de l'ingénieuse dissertation que M. John McKeen a publiée en 1867, dans le cinquième volume des Collections de la Société Historique du Maine, et dans laquelle l'auteur prouve aussi bien qu'il est possible de le faire, suivant nous, que Waymouth a visité, non pas le Pénobscot, comme le prétend Belknap et quelques autres auteurs, mais bien le Kénébec. 6° Sous ombre d'amitié. L'intention de Waymouth n'était pas d'abord d'user de ruse ou de trahison avec ces sauvages. «Ayant trouvé, dit Rosier, que ce lieu répondait parfaitement au motif de notre voyage de découverte, savoir, qu'on y pouvait faire un bon établissement, nous traitâmes ces gens avec toute la bonté qu'il nous fut possible d'imaginer, ou dont nous les croyions capables.» Cependant, il n'est pas surprenant qu'Anassou et les autres sauvages aient attribue la conduite des Anglais à un motif qui leur paraissait assez naturel. Ainsi, le vaisseau dont parle Anassou, est évidemment celui de George Waymouth.

Le lendemain premier d'Aoust nous le mismes à l'est quelque 20 lieues jusques au cap Corneille 120 où nous passâmes la nuit. 76/224Le 2 du mois le mettant au nordest 7 lieues vinsmes à l'entrée de la riviere S. Croix du costé de l'ouest. Ayant mouillé l'ancre entre les deux premières isles, le sieur de Mons s'embarqua dans un canau à six lieues de l'habitation S. Croix, où le lendemain nous arrivasmes avec nostre barque. Nous y trouvasmes le sieur des Antons de sainct Maslo, qui estoit venu en l'un des vaisseaux du sieur de Mons, pour apporter des vivres, & autres commoditez pour ceux qui devoient yverner en ce pays.

Note 120: (retour)

La carte de 1612 et les distances données ici par l'auteur, permettent de croire que ce cap est dans Cross Island (ou Crow's Island?)




L'habitation qui estoit en l'isle de. S. Croix transportée au port Royal, & pourquoy.

CHAPITRE X.

Le sieur de Mons se délibéra de changer de lieu & faire une autre habitation pour esviter aux froidures & mauvais yver qu'avions eu en l'isle saincte Croix. N'ayant trouvé aucun port qui nous fut propre pour lors, & le peu de temps que nous avions à nous loger & bastir des maisons à cest effect, nous fit équipper deux barques, que l'on chargea de la charpenterie des maisons de saincte Croix, pour la porter au port Royal, à 25 lieues de là, où l'on jugeoit y estre la demeure beaucoup plus douce & tempérée. Le Pont & moy partismes pour y aller, où estans arrivez cerchasmes un lieu propre pour la situation de nostre logement & à l'abry du norouest, que nous redoutions pour en avoir esté fort tourmentez.

77/225Apres avoir bien cerché d'un costé & d'autre, nous n'en trouvasmes point de plus propre & mieux scitué qu'en un lieu qui est un peu eslevé, autour duquel y a quelques marescages & bonnes sources d'eau.

Ce lieu est devant l'isle qui est à l'entrée de la riviere de la Guille121: Et au nord de nous comme à une lieue, il y a un costau de montagnes, qui dure prés de dix lieues nordest & surouest. Tout le pays est rempli de forests tres-espoisses ainsi que j'ay dit cy dessus, horsmis une pointe qui est à une lieue & demie dans la riviere, où il y a quelques chesnes qui y sont fort clairs, & quantité de lambruches, que l'on pourroit deserter aisement, & mettre en labourage, neantmoins maigres & sablonneuses. Nous fusmes presque en resolution d'y bastir: mais nous considerasmes qu'eussions esté trop engouffrez dans le port & riviere: ce qui nous fit changer d'advis.

Note 121: (retour)

Rivière de l'Equille. «On choisit la demeure,» dit Lescarbot, «vis-à-vis de l'île qui est à l'entrée de la rivière de l'Equille, dite aujourd'hui la rivière du Dauphin, laquelle fut appelée l'Équille, parce que le premier poisson qu'on y print fut une Équille.» (Liv. IV, ch. VIII et ch. III.)

Ayant donc recogneu l'assiette de nostre habitation estre bonne, on commença à défricher le lieu, qui estoit plein d'arbres; & dresser les maisons au plustost qu'il fut possible: un chacun s'y employa. Apres que tout fut mis en ordre, & la pluspart des logemens faits, le sieur de Mons se délibéra de retourner en France pour faire vers sa Majesté qu'il peust avoir ce qui seroit de besoin pour son entreprise. Et pour commander audit lieu en son absence, il avoit volonté d'y laisser le sieur d'Orville: mais la maladie de terre, dont il estoit atteint, ne luy peut permettre de pouvoir satisfaire au desir dudit sieur de Mons: qui fut occasion d'en parler au 78/226Pont-gravé, & luy donner ceste charge; ce qu'il eut pour aggreable: & fit parachever de bastir ce peu qui restoit en l'habitation 122. Et moy en pareil temps je pris resolution d'y demeurer aussi, sur l'esperance que j'avois de faire de nouvelles descouvertures vers la Floride: ce que le sieur de Mons trouva fort bon.

Note 122: (retour)

«A tant, dit Lescarbot, on met la voile au vent, & demeure ledit sieur du Pont pour lieutenant par delà, lequel ne manque de promptitude (selon son naturel) à faire & parfaire ce qui estoit requis pour loger soy & les tiens: qui est tout ce qui se peut faire pour cette année en ce pais la. Car de s'éloigner du parc durant l'hiver, mêmes après un si long harassement: il n'y avoit point d'apparence. Et quant au labourage de la terrer je croy qu'ils n'eurent le temps commode pour y vacquer: car ledit sieur du Pont n'etoit pas homme pour demeurer en repos, ni pour laisser ses gens oisifs s'il y eût eu moyen de ce faire.» (Liv. IV, ch. VIII.)




Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusqu'à ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partist du port Royal pour retourner en France.

CHAPITRE XI.

Aussi tost que ledit sieur de Mons fut party, de 40 ou 45 qui resterent, une partie commença à faire des jardins. J'en fis aussi un pour éviter oisiveté, entouré de fossez plains d'eau, esquels y avoit de fort belles truites que j'y avois mises, & où descendoient trois ruisseaux de fort belle eaue courante, dont la pluspart de nostre habitation se fournissoit. J'y fis une petite escluse contre le bort de la mer, pour escouler l'eau quand je voulois. Ce lieu estoit tout environné des prairies, où j'accomoday un cabinet avec de beaux arbres, pour y aller prendre de la fraischeur. J'y fis aussi un petit 79/227reservoir pour y mettre du poisson d'eau sallée, que nous prenions quand nous en avions besoin. J'y semay quelques graines, qui proffiterent bien: & y prenois un singulier plaisir: mais auparavant il y avoit bien fallu travailler. Nous y allons souvent passer le temps: & sembloit que les petits oiseaux d'alentour en eussent du contentement: car ils s'y amassoient en quantité, & y faisoient un ramage & gasouillis si aggreable, que je ne pense pas jamais en avoir ouy de semblable.

Le plan de l'habitation estoit de 10 toises de long, & 8 de large, qui font trentesix de circuit. Du costé de l'orient est un magazin de la largeur d'icelle, & une fort belle cave de 5 à 6 pieds de haut. Du costé du Nord est le logis du sieur de Mons eslevé d'assez belle charpenterie 123. Au tour de la basse court sont les logemens des ouvriers. A un coing du costé de l'occident y a une platte forme, où on mit quatre pièces de canon, & à l'autre coing vers l'orient est une palissade en façon de platte forme: comme on peut veoir par la figure suivante124.

Note 123: (retour)

C'est le logis qui correspond aux lettres N, N, dans l'abitation du port royal, dont l'auteur nous a conservé une vue. Autant qu'on peut en juger par le dessin, ce logis devait avoir environ quarante pieds de long.

Note 124: (retour)

Dans la première édition, la figure de l'habitation était intercalée dans le texte.

227a

Habitation du Port Royal

A Logemens des artisans.

B Plate forme où estoit le canon.

C Le magasin.

D Logement du sieur de Pontgravé & Champlain.

E La forge.

F Palissade de pieux.

G Le four,

H La cuisine.

0 Petite maisonnette où l'on retiroit les utansiles de nos barques;

que depuis le sieur de Poitrincourt fit rebastir, & y logea le sieur

Boulay quand le sieur du Pont s'en revint en France.

P (1) La porte de l'abitation.

Q (2) Le cemetiere.

R (3) La riviere.

(1) Cette lettre manque dans le dessin; mais la porte est bien reconnaissable tant par sa figure que par l'avenue qui y aboutit—(2) K, dans le dessin—(3) L, dans le dessin.

Quelques jours après que les bastiments furent achevez, je fus à la riviere S. Jean, pour chercher le sauvage appellé Secondon, lequel avoit mené les gens de Preverd à la mine de cuivre, que j'avois desja esté chercher avec le sieur de Mons, quand nous fusmes au port aux mines, & y perdismes nostre temps. L'ayant trouvé, je le priay d'y venir avec nous: ce 80/228qu'il m'accorda fort librement: & nous la vint monstrer. Nous y trouvasmes quelques petits morceaux de cuivre de l'espoisseur d'un sold; & d'autres plus, enchassez dans des rochers grisastres & rouges. Le mineur qui estoit avec nous, appellé Maistre Jaques, natif d'Esclavonie, homme bien entendu à la recherche des minéraux, fut tout au tour des costaux voir s'il trouveroit de la gangue; mais il n'en vid point: Bien trouva il à quelques pas d'où nous avions prins les morceaux de cuivre susdit, une manière de mine qui en approchoit aucunement. Il dit que par l'apparence du terrouer, elle pourroit estre bonne si on y travailloit, & qu'il n'estoit croyable que dessus la terre il y eut du cuivre pur, sans qu'au fonds il n'y en eut en quantité. La vérité est, que si la mer ne couvroit deux fois le jour les mines, & qu'elles ne fussent en rochers si durs, on en espereroit quelque chose.

Apres l'avoir recogneue, nous nous en retournasmes à nostre habitation, où nous trouvasmes de nos gens malades du mal de la terre, mais non si griefvement qu'en l'isle S. Croix, bien que de 45 que nous estions il en mourut 12 dont le mineur fut du nombre, & cinq malades, qui guérirent le printemps venant. Nostre chirurgien appelle des Champs, de Honfleur, homme expert en son art, fit ouverture de quelques corps, pour veoir s'il recognoistroit mieux la cause des maladies, que n'avoient fait ceux de l'année précédente. Il trouva les parties du corps offencées comme ceux qui furent ouverts en l'isle S. Croix, & ne peut on trouver remède pour les guérir non plus que les autres.

81/229Le 20 Decembre il commença à neger: & passa quelques glaces par devant nostre habitation. L'yver ne fut si aspre qu'il avoit esté l'année d'auparavant, ny les neges si grandes, ny de si longue durée. Il fit entre autres choses un si grand coup de vent le 20 de Fevrier 1605 125 qu'il abbattit une grande quantité d'arbres avec leurs racines, & beaucoup qu'il brisa. C'estoit chose estrange à veoir. Les pluyes furent assez ordinaires, qui fut occasion du peu d'yver, au regard du passé, bien que du port Royal à S. Croix, n'y ait que 25 lieues.

Note 125: (retour)

Février 1606. C'est peut-être par inadvertance, plutôt que par un reste de l'ancienne coutume de commencer l'année à Pâques, que Champlain met ici 1605: car on peut voir plus loin, au chapitre XVI, que, dès l'année suivante, il compte exactement comme nous.

Le premier jour de Mars, Pont-gravé fit accommoder une barque du port de 17 à 18 tonneaux, qui fut preste au 15 pour aller descouvrir le long de la coste de la Floride.

Pour cet effect nous partismes le 16 ensuivant, & fusmes contraints de relascher à une isle au su de Menasne, & ce jour fismes 18 lieues, & mouillasmes l'ancre dans une ance de sable, à l'ouvert de la mer, où le vent de su donnoit, qui se renforça la nuit d'une telle impetuosité que ne peusmes tenir à l'ancre, & fallut par force aller à la coste, à la mercy de Dieu & des ondes, qui estoient si furieuses & mauvaises, que comme nous appareillions le bourcet sur l'ancre, pour après coupper le câble sur l'escubier, il ne nous en donna le loisir car aussitost il se rompit sans coup frapper. A la ressaque le vent & la mer nous jetterent sur un petit rocher, & n'attendions que l'heure de voir briser nostre barque, pour nous sauver sur 82/230quelques esclats d'icelle, si eussions peu. En ce desespoir il vint un coup de mer si grand & favorable, après en avoir receu plusieurs autres, qu'il nous fit franchir le rocher, & nous jetta en une petite playe de sable, qui nous guarentit pour ceste fois de naufrage.

La barque estant eschouée, l'on commença promptement à descharger ce qu'il y avoit dedans, pour voir où elle estoit offencée, qui ne fut pas tant que nous croyons. Elle fut racoustrée promptement par la diligence de Champdoré Maistre d'icelle. Estant bien en estat on la rechargea en attendant le beau temps, & que la fureur de la mer s'apaisast, qui ne fut qu'au bout de quatre jours, sçavoir le 21 Mars, auquel sortismes de ce malheureux lieu, & fusmes au port aux Coquilles, à 7 ou 8 lieues de là, qui est à l'entrée de la riviere saincte Croix, où y avoit grande quantité de neges. Nous y arrestasmes jusques au 29 dudit mois, pour les brumes & vents contraires, qui sont ordinaires en ces saisons, que le Pont-gravé print resolution de relascher au port Royal, pour voir en quel estat estoient nos compagnons, que nous y avions laissez malades. Y estans arrivés le Pont fut atteint d'un mal de coeur, qui nous fit retarder jusques au 8 d'Avril.

Et le 9 du mesme mois il s'embarqua, bien qu'il se trouvast encores maldisposé, pour le desir qu'il avoit de voir la coste de la Floride, & croyant que le changement d'air luy rendroit la santé. Ce jour fusmes mouiller l'ancre & passer la nuit à l'entrée du port, distant de nostre habitation deux lieues. Le lendemain devant le jour Champdoré vint demander au Pont-gravé 83/231s'il desiroit faire lever l'ancre, lequel luy respondit que s'il jugeoit le temps propre, qu'il partist. Sur ce propos Champdoré fit à l'instant lever l'ancre & mettre le bourcet au vent, qui estoit nort nordest, selon son rapport. Le temps estoit fort obscur, pluvieux & plain de brumes, avec plus d'aparence de mauvais que de beau temps. Comme l'on vouloit sortir de l'emboucheure du port, nous fusmes tout à un coup transportez par les marées hors du passage, & fusmes plustost sur les rochers du costé de l'est norouest, que nous ne les eusmes apperceus. Le Pont & moy qui estions couchez, entendismes les matelots s'escrians & disans, Nous sommes perdus: ce qui me fit bien tost jetter sur pieds, pour voir ce que c'estoit. Du Pont estoit encores malade, qui l'empescha de se lever si promptement qu'il desiroit. Je ne fus pas sitost sur le tillac, que la barque fut jettée à la coste & le vent se trouva nort, qui nous poussoit sur une pointe. Nous deffrelasmes la grande voille, que l'on mit au vent, & la haussa l'on le plus qu'il fut possible pour nous pousser tousjours sur les rochers, de peur que le ressac de la marée, qui perdoit de bonne fortune, ne nous attirast dedans, d'où il eust esté impossible de nous sauver. Du premier coup que nostre barque donna sur les rochers le gouvernail fut rompu, une partie de la quille, & trois ou quatre planches enfoncées, avec quelques membres brisez, qui nous donna estonnement: car nostre barque s'emplit incontinent; & ce que nous peusmes faire, fut d'attendre que la mer se retirast de dessoubs, pour mettre pied à terre: car autrement nous courions risque de la vie, à cause 84/232de la houlle qui estoit fort grande & furieuse au tour de nous. La mer estant donc retirée nous descendismes à terre par le temps qu'il faisoit, où promptement on deschargea la barque de ce qu'il y avoit, & sauvasmes une bonne partie des commoditez qui y estoient, à l'aide du Capitaine sauvage Secondon, & de ses compagnons, qui vindrent à nous avec leurs canots, pour reporter en nostre habitation ce que nous avions sauvé de nostre barque, laquelle toute fracassée s'en alla au retour de la mer en plusieurs pièces: & nous bien heureux d'avoir la vie sauve retournasmes en nostre habitation avec nos pauvres sauvages, qui y demeurèrent presque une bonne partie de l'yver, où nous louasmes Dieu de nous avoir preservez de ce naufrage, dont n'esperions sortir à si bon marché.

La perte de nostre barque nous fit un grand desplaisir, pour nous voir, à faute de vaisseau, hors d'esperance de parfaire le voyage que nous avions entreprins, & de n'en pouvoir fabriquer un autre, car le temps nous pressoit, bien qu'il y eust encore une barque sur les chantiers: mais elle eut esté trop long temps à mettre en estat, & ne nous en eussions peu servir qu'au retour des vaisseaux de France, qu'attendions de jour en autre.

Ce fut une grande disgrace, & faute de prevoyance au Maistre, qui estoit opiniastre & peu entendu au fait de la marine, qui ne croioit que sa teste. Il estoit bon Charpentier, adroit à fabriquer des vaisseaux, & soigneux de les accommoder de choses necessaires: mais il n'estoit nullement propre à les conduire. Le Pont estant à l'habitation, fit informer à l'encontre de 85/233Champdoré, qui estoit accusé d'avoir malicieusement mis nostre barque à la coste; & sur ses informations fut emprisonné & emmenotté, d'autant qu'on le vouloit mener en France pour le mettre entre les mains du sieur de Mons, & en requérir justice.

Le 15 de Juin le Pont voyant que les vaisseaux de France ne revenoient point, fit desemmenotter Champdoré pour parachever la barque qui estoit sur les chantiers, lequel s'aquitta fort bien de son devoir.

Et le 16 juillet, qui estoit le temps que nous nous devions retirer, au cas que les vaisseaux ne fussent revenus, ainsi qu'il estoit porté par la commission qu'avoit donnée le sieur de Monts au Pont, nous partismes de nostre habitation pour aller au cap Breton ou à Gaspé, chercher le moyen de retourner en France, puis que nous n'en n'avions aucunes nouvelles.

Il y eust deux de nos hommes126 qui demeurèrent de leur propre volonté pour prendre garde à ce qui restoit des commoditez en l'habitation, à chacun desquels le Pont promit cinquante escus en argent, & cinquante autres qu'il devoit faire valoir leur practique, en les venant requérir l'année suivante.

Note 126: (retour)

Lescarbot nous a conservé les noms de ces deux braves: l'un s'appelait La Taille, et l'autre Miquelet. «Je ne puis que je ne loue, dit-il, le gentil courage de ces deux hommes... & méritent bien d'être ici enchassées, pour avoir exposé si librement leurs vies à la conservation du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pont n'ayant qu'une barque & une patache, pour venir chercher vers la Terre-neuve des navires de France, ne pouvoit se charger de tant de meubles, blez, farines & marchandises, qui etoient par-delà, léquels il eût fallu jetter dans la mer (ce qui eût été à notre grand prejudice, & en avions bien peur) si ces deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer là pour la conservation de ces choses. Ce qu'ilz firent volontairement, & de gayeté de coeur.» (Liv. IV, ch. XII.)

86/234Il y eut un Capitaine des sauvages appellé Mabretou127 qui promit de les maintenir, & qu'ils n'auroient non plus de deplaisir que s'ils estoient ses propres enfans. Nous l'avions recogneu pour bon sauvage en tout le temps que nous y fusmes, bien qu'il eust le renom d'estre le plus meschant & traistre qui fut entre ceux de sa nation.

Note 127: (retour)

Lescarbot et le P. Biard écrivent Membertou.




Partement du port Royal pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrouser chemin.

CHAPITRE XII.

Le 17 du mois, suivant la resolution que nous avions prise, nous partismes de l'emboucheure du port Royal avec deux barques, l'une du port de 18 tonneaux, & l'autre de 7 à 8 pour parfaire la routte du cap Breton ou de Campseau & vinsmes mouiller l'ancre au destroit de l'isle Longue, où la nuit nostre câble rompit & courusmes risque de nous perdre par les grandes marées qui jettent sur plusieurs pointes de rochers, qui sont dans & à la sortie de ce lieu: Mais par la diligence d'un chacun on y remédia & fit on en sorte qu'on en sortit pour ceste fois.

Le 21 du mois il vint un grand coup de vent qui rompit les ferremens de nostre gouvernail entre l'isle Longue & le cap fourchu, & nous mit en telle peine, que nous ne sçavions de quel bois faire flesches: car d'aborder la terre, la furie de la mer ne le permettoit pas, par ce qu'elle brisoit haute comme 87/235des montaignes le long de la coste: de façon que nous resolusmes plustost mourir à la mer, que d'aborder la terre, sur l'esperance que le vent & la tourmente s'appaiseroit, pour puis après ayant le vent en pouppe aller eschouer en quelque playe de sable. Comme chacun pensoit à part soy à ce qui seroit de faire pour nostre seureté, un matelot dit, qu'une quantité de cordages attachez au derrière de la barque, & traînant en l'eau, nous pourroit aucunement servir pour gouverner nostre vaisseau, mais ce fut si peu que rien, & vismes bien que si Dieu ne nous aidoit d'autres moyens, celuy là ne nous eust guarentis du naufrage. Comme nous estions pensifs à ce qu'on pourroit faire pour nostre seureté, Champdoré, qu'on avoit de rechef emmenotté, dit à quelques uns de nous, que si le Pont vouloit qu'il trouveroit moyen de faire gouverner nostre barque: ce que nous rapportasmes au Pont, quine refusa pas cette offre, & les autres encore moins. Il fut donc desemmenotté pour la seconde fois, & quant & quant prist un câble qu'il coupa, & en accommoda fort dextrement le gouvernail & le fit aussi bien gouverner que jamais il avoit fait: & par ce moyen repare les fautes qu'il avoit commises à la première barque qui fut perdue: & fut libéré de ce dont il avoit esté accusé, par les prières que nous en fismes au Pont-gravé qui eut un peu de peine à s'y resoudre.

Ce jour mesme fusmes mouiller l'ancre prez la baye courante, à deux lieues du cap fourchu, & là fut racommodée la barque.

Le 23 du mois de Juillet fusmes proche du cap de Sable.

88/236Le 24 du dit mois sur les deux heures du soir nous apperçeusmes une chalouppe, proche de l'isle aux cormorans, qui venoit du cap de Sable, qu'aucuns jugeoient estre des sauvages qui se retiroient du cap Breton, ou de l'isle de Campseau: D'autres disoient que ce pouvoit estre des chalouppes qu'on envoyoit de Campseau pour sçavoir de nos nouvelles. Enfin approchant plus prez on vid que c'estoient François, ce qui nous resjouit fort: Et comme elle nous eust presque joints, nous recogneusmes Ralleau Secrétaire du sieur de Mons, ce qui nous redoubla le contentement. Il nous fit entendre que le sieur de Mons envoyoit un vaisseau de six vingts tonneaux 128, & que le sieur de Poitrincourt y commandoit, & estoit venu pour Lieutenant général, & demeurer au pays avec cinquante hommes: & qu'il avoit mis pied à terre à Campseau, d'où ledit vaisseau avoit pris la plaine mer, pour voir s'il ne nous descouvriroit point, cependant que luy s'en venoit le long de la coste dans une chalouppe pour nous rencontrer au cas qu'y fussions en chemin, croyans que serions partis du port Royal, comme il estoit bien vray: Et en cela firent fort sagement. Toutes ces nouvelles nous firent rebrousser chemin; & arrivasmes au port Royal le 25 129 du mois, où nous trouvasmes ledict vaisseau, & le sieur de Poitrincourt, ce qui nous apporta beaucoup de resjouissance, 89/237pour voir renaistre ce qui estoit hors d'esperance. Il nous dit que ce qui avoit causé son retardement estoit un accident qui estoit survenu au vaisseau, au sortir de la chaine de la Rochelle, d'où il estoit party, & avoit esté contrarié du mauvais temps sur son voyage 130.

Note 128: (retour)

C'était le Jonas, où se trouvait Lescarbot.

Note 129: (retour)

Le 31 juillet, qui était un lundi. Pour que Pont-Gravé et Champlain eussent pu retourner au port Royal dans l'espace d'environ vingt-quatre heures, il eût fallu un concours de circonstances si exceptionnelles, que l'auteur n'aurait pas manqué de le faire observer. En outre, quand ils arrivèrent à Port-Royal, le vaisseau et M. de Poutrincourt y étaient déjà rendus: or, suivant Lescarbot, qui, en cet endroit, donne toutes les dates de ces diverses circonstances, le vaisseau entra dans le port le jeudi 27 de juillet, et Pont-Gravé arriva «le lundi dernier jour de juillet.» (Liv. IV, ch. XIII.)

Note 130: (retour)

Toutes ces circonstances sont rapportées en détail dans Lescarbot, liv. IV, chapitres IX-XIII.

Le lendemain le sieur de Poitrincourt commença à discourir de ce qu'il devoit faire, & avec l'advis d'un chacun se resolut de demeurer au port Royal pour ceste année, d'autant que l'on n'avoit descouvert aucune chose depuis le sieur de Mons, & que quatre mois qu'il y avoit jusques à l'yver n'estoit assez pour chercher & faire une autre habitation: encore avec un grand vaisseau, qui n'est pas comme une barque, qui tire peu d'eau, furette par tout, & trouve des lieux à souhait pour faire des demeures: mais que durant ce temps on iroit seulement recognoistre quelque endroit plus commode pour nous loger131.

Note 131: (retour)

Tout en décidant qu'on hivernerait encore à Port-Royal, parce qu'on n'avait pu, jusqu'ici, trouver de lieu plus commode, M. de Poutrincourt devait suivre les instructions que lui avait données M. de Monts, à son départ de France. «Le sieur de Monts, dit Lescarbot, ayant desiré de s'élever au su tant qu'il pourroit & chercher un lieu bien habitable par delà Malebarre, avoit prié le sieur de Poutrincourt de passer plus loin qu'il n'avoit été, & chercher un port convenable en bonne température d'air, ne faisant plus de cas de Port-Royal que de sainte Croix, pour ce qui regarde la santé. A quoy voulant obtempérer le dit sieur de Poutrincourt, il ne voulut attendre le printemps, sachant qu'il auroit d'autres exercices à s'occuper.»

Sur ceste resolution le sieur de Poitrincourt envoya aussitost quelques gens de travail au labourage de la terre, en un lieu qu'il jugea propre, qui est dedans la riviere, à une lieue & demie de l'habitation du port Royal, où nous pensames faire 90/238nostre demeure 132, & y fit semer du bled, seigle, chanvre, & plusieurs autres graines, pour voir ce qu'il en reussiroit. Le 22 d'Aoust, on advisa une petite barque qui tiroit vers nostre habitation. C'estoit des Antons de S. Maslo, qui venoit de Campseau, où estoit son vaisseau133, à la pesche du poisson, pour nous donner advis qu'il y avoit quelques vaisseaux au tour du cap Breton qui traittoient de pelleterie 134, & que si on vouloit envoyer nostre navire, il les prendroit en s'en retournant en France: ce qui fut resolu après qu'il seroit deschargé des commodités qui estoient dedans.

Note 132: (retour)

Voir ci-dessus p. 77. C'est précisément le lieu où est maintenant Annapolis, au sud de la rivière de l'Équille (aujourd'hui rivière d'Annapolis), et près de l'endroit où la rivière du Moulin se jette dans celle de l'Équille.

Note 133: (retour)

Le Saint-Étienne.

Note 134: (retour)

«Quant au sieur du Pont, dit Lescarbot, il deliberoit en passant d'attaquer un marchand de Rouen nommé Boyer (lequel contre les deffenses du Roy étoit allé par delà troquer avec les Sauvages, après avoir été délivré des prisons de la Rochelle par le consentement du sieur de Poutrincourt, & souz promesse qu'il n'iroit point) mais il étoit ja parti.» (Liv. IV, ch. XIII.)

Ce qu'estant fait, du Pont-gravé s'enbarqua dedans avec le reste de ses compagnons qui avoient demeuré l'yver avec luy au port Royal, horsmis quelques uns, qui fut Champdoré & Foulgere de Vitré. J'y demeuray aussi avec le sieur de Poitrincourt, pour moyennant l'aide de Dieu, parfaire la carte des costes & pays que j'avois commencé. Toutes choses mises en ordre en l'habitation, le sieur de Poitrincourt fit charger des vivres pour nostre voyage de la coste de la Floride.

Et le 29 d'Aoust partismes du port Royal quant & Pont-gravé, & des Antons qui alloient au cap Breton & à Campseau pour se saisir des vaisseaux qui fesoient traitte de pelleterie, comme j'ay dit cy dessus. Estans à la mer nous fusmes contraints de relascher au port pour le mauvais vent qu'allions. Le grand vaisseau tint tousjours sa route & bientost le perdismes de veue.




91/239 Le sieur de Poitrincourt part du port Royal pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vid: & ce qui y arriva jusques à Male-barre.

CHAPITRE XIII.

Le 5 Septembre nous partismes de rechef du port Royal 135.

Note 135: (retour)

D'après Lescarbot, M. de Poutrincourt relâcha par deux fois. «Quant au sieur de Poutrincourt, dit-il, il print la volte de l'ile sainte Croix première demeure des François, ayant Champdoré pour maître & conducteur de sa barque, mais contrarié du vent, & pour ce que sa barque faisoit eau, il fut contraint de relâcher par deux fois.»

Le 7 nous fusmes à rentrée de la riviere S. Croix, où trouvasmes quantité de sauvages, entre autres Secondon & Messamouet. Nous nous y pensames perdre contre un islet de rochers, par l'opiniastreté de Champdoré, à quoy il estoit fort subject.

Le lendemain fusmes dedans une chalouppe à l'isle de S. Croix, où le sieur de Mons avoit yverné, voir si nous trouverions quelques espics du bled, & autres graines qu'il y avoit fait semer. Nous trouvasmes du bled qui estoit tombé en terre, & estoit venu aussi beau qu'on eut sceu desirer136, & quantité d'herbes potagères qui estoient venues belles & grandes: cela nous resjouit infiniment, pour voir que la terre y estoit bonne & fertile.

Note 136: (retour)

Monsieur de Poutrincourt «nous en envoya au Port Royal, dit Lescarbot, où j'étois demeuré, ayant été de ce prié pour avoir l'oeil à la maison, & maintenir ce qui y restoit de gens en concorde. A quoy j'avoy condescendu (encores que cela eust été laissé à ma volonté) pour l'asseurance que nous nous donnions que l'an suivant l'habitation se seroit en païs plus chaut par delà Malebarre, & que nous irions tous de compagnie avec ceux qu'on nous envoyeroit de France. Pendant ce temps je me mis à préparer de la terre, & faire des clôtures & compartimens de jardins pour y semer des légumes, & herbes de ménage. Nous fimes aussi faire un fossé tout à l'entour du Fort, lequel étoit bien necessaire pour recevoir les eaux & humidités qui paravant decouloient par dessouz les logemens parmi les racines des arbres qu'on y avoit défrichez: ce qui paraventure rendoit le lieu mal sain.» (Liv. IV, ch. XIII.)

92/240Apres avoir visité l'isle, nous retournasmes à nostre barque, qui estoit du port de 18 tonneaux, & en chemin prismes quantité de maquereaux, qui y sont en abondance en ce temps là; & se resolut on de continuer le voyage le long de la coste, ce qui ne fut pas trop bien consideré: d'autant que nous perdismes beaucoup de temps à repasser sur les descouvertures que le sieur de Mons avoit faites jusques au port de Malebarre, & eut esté plus à propos, selon mon opinion, de traverser du lieu où nous estions jusques audict Malebarre, dont on sçavoit le chemin, & puis employer le temps jusques au 40° degré, ou plus su, & au retour revoir toute la coste à son plaisir.

Après ceste resolution nous prismes avec nous Secondon & Messamouet, qui vindrent jusques à Chouacoet dedans une chalouppe, où ils vouloient aller faire amitié avec ceux du pays en leur faisant quelques presens.

Le 12 de Septembre nous partismes de la riviere saincte Croix.

93/241Le 21137 arrivasmes à Chouacoet, où nous vismes Onemechin chef de la riviere, & Marchin, lesquels avoient fait la cueillette de leur bleds. Nous vismes des raisins à l'isle de Bacchus qui estoient meurs, & assez bons: & d'autres qui ne l'estoient pas, qui avoient le grain aussi beau que ceux de France, & m'asseure que s'ils estoient cultivez, on en feroit de bon vin.

Note 137: (retour)

Lescarbot nous donne sur cette navigation de Sainte-Croix à Chouacouet, quelques détails que Champlain omet sans doute parce qu'il était ennuyé de suivre le même chemin, et qu'il avait déjà décrit tous ces lieux, «Revenons au sieur de Poutrincourt, dit-il, lequel nous avons laissé en l'ile Sainte-Croix. Apres avoir là fait une reveue, & caressé les Sauvages qui y étoient, il s'en alla en quatre jours à Pemptegoet, qui est ce lieu tant renommé souz le nom de Norombega. Et ne falloit un si long temps pour y parvenir, mais il s'arrêta sur la route à faire racoutrer sa barque: car à cette fin il avoit mené un serrurier & un charpentier, & quantité d'ais. Il traversa les iles qui sont à l'embouchure de la rivière, & vint à Kinibeki, là où sa barque fut en péril à-cause des grans courans d'eaux que la nature du lieu y fait. C'est pourquoy il ne s'y arrêta point, ains passa outre à la Baye de Marchin, qui est le nom d'un Capitaine Sauvage, lequel à l'arrivée dudit sieur commença à crier hautement Hé, hé: A quoy on lui répondit de même. Il répliqua demandant en son langage: Qui êtes-vous? On lui dit que c'étoient amis. Et là dessus à l'approcher le sieur de Poutrincourt traita amitié avec lui, & lui fit des presens de couteaux, haches, & Matachiaz, c'est à dire écharpes, carquans, & brasselets faits de patenôtres, ou de tuyaux de verre blanc & bleu, dont il fut fort aise, même de la confédération que ledit sieur de Poutrincourt faisoit avec lui, reconnoissant bien que cela lui feroit beaucoup de support. Il distribua à quelques uns d'un grand nombre de peuple qu'il avoit autour de soy, les presens dudit sieur de Poutrincourt, auquel il apporta force chairs d'Orignac, ou Ellan (car les Basques appellent un Cerf, ou Ellan, Orignac) pour refraichir de vivres la compagnie. Cela fait, on tendit les voiles vers Chouakoet.» (Liv. IV, ch. XIV.)

En ce lieu le sieur de Poitrincourt retira un prisonnier qu'avoit Onemechin, auquel Messamouet fit des presens de chaudières, haches, cousteaux, & autres choses138. Onemechin luy en fit au réciproque, de bled d'Inde, cytrouilles, febves du Bresil: ce qui ne contenta pas beaucoup ledit Messamouet, qui partit d'avec eux fort mal content, pour ne l'avoir pas bien recogneu, de ce qu'il leur avoit donné, en dessein de leur 94/242faire la guerre en peu de temps: car ces nations ne donnent qu'en donnant, si ce n'est à personnes qui les ayent bien obligez, comme de les avoir assistez en leurs guerres.

Note 138: (retour)

«Messamouet, capitaine en la rivière du port de la Heve, sur lequel on avoit pris ce prisonier,» & Secondon «avoient force marchandises troquées avec les François, léquelles ilz venoient là débiter, sçavoir chaudières grandes, moyennes, & petites, haches, couteaux, robbes, capots, camisoles rouges, pois, fèves, biscuit, & autres choses. Sur ce voici arriver douze ou quinze bateaux pleins de Sauvages de la sujetion d'_Olmechin, iceux en bon ordre, tous peinturés à la face, selon leur coutume, quand ilz veulent être beaux, ayans l'arc, & la flèche en main, & le carquois auprès d'eux, léquels ilz mirent bas à bord. A l'heure Messamoet commence à haranguer devant les Sauvages, leur remontrant comme par le passé ils avoient eu souvent de l'amitié ensemble; & qu'ilz pourroient facilement domter leurs ennemis s'ils se vouloient entendre, & se servir de l'amitié des François, léquels ils voyoient là presens pour reconoitre leur pais, à fin de leur porter des commodités à l'avenir, & les secourir de leurs forces, léquelles il sçavoit, & les leur representoit d'autant mieux, que lui qui parloit étoit autrefois venu en France, & y avoit demeuré en la maison du sieur de Grandmont Gouverneur de Bayonne. Somme, il fut prés d'une heure à parler avec beaucoup de véhémence & d'affection, & avec un contournement de corps & de bras tel qu'il est requis en un bon Orateur. Et à la fin jetta toutes ses marchandises (qui valoient plus de trois cens escus rendues en ce païs-là) dans le bateau d'Olmechin, comme lui faisant present de cela en asseurance de l'amitié qu'il lui vouloit témoigner. Cela fait la nuit s'approchoit, & chacun se retira.» (Lescarbot, liv, IV, ch. XIV.)

Continuant nostre routte, nous allasmes au cap aux isles, où fusmes un peu contrariez du mauvais temps & des brumes; & ne trouvasmes pas beaucoup d'apparence de passer la nuit: d'autant que le lieu n'y estoit pas propre. Comme nous estions en ceste peine, il me resouvint, que rengeant la coste avec le sieur de Mons, j'avois, à une lieue de là, remarqué en ma carte un lieu, qui avoit apparence d'estre bon pour vaisseaux, ou n'entrasmes point à cause que nous avions le vent propre à faire nostre routte, lors que nous y passames. Ce lieu estoit derrière nous, qui fut occasion que je dis au sieur de Poitrincourt qu'il faloit relascher à une pointe que nous y voiyons, où estoit le lieu dont il estoit question, lequel me sembloit estre propre pour y passer la nuit. Nous fusmes mouiller l'ancre à l'entrée, & le lendemain entrasmes dedans.

Le sieur de Poitrincourt y mit pied à terre avec huit ou dix de nos compagnons. Nous vismes de fort beaux raisins qui estoient à maturité, pois du Bresil, courges, cytrouilles, & des racines qui sont bonnes, tirant sur le goust de cardes, que les sauvages cultivent. Il nous en firent quelques presens en contr'eschange d'autres petites bagatelles qu'on leur donna. Ils avoient desja fait leur moisson. Nous vismes 200 sauvages en ce lieu, qui est assez aggreable, & y a quantité de noyers, cyprès, sasafras, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont tresbeaux. Le chef de ce lieu s'appelle Quiouhamenec, qui nous 95/243vint voir avec un autre sien voisin nommé Cohouepech, à qui nous fismes bonne chère. Onemechin chef de Chouacoet nous y vint aussi voir, à qui on donna un habit qu'il ne garda pas long temps, & en fit present à un autre, à cause qu'estant gesné dedans il ne s'en pouvoit accommoder. Nous vismes aussi en ce lieu un sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope, autour duquel en vint nombre d'autres chantans un espace de temps devant que de luy toucher: après firent quelques gestes des pieds & des mains, & luy secouerent la teste, puis le soufflant il revint à luy. Nostre chirurgien le pensa, & ne laissa après de s'en aller gayement.

Le lendemain comme on calfeustroit nostre chalouppe, le sieur de Poitrincourt apperceut dans le bois quantité de sauvages, qui venoyent en intention de nous faire quelque desplaisir, se rende à un petit ruisseau qui est sur le destroit d'une chaussée, qui va à la grande terre, où de nos gens blanchissoient du linge. Comme je me pourmenois le long d'icelle chaussée ces sauvages m'apperçeurent, & pour faire bonne mine, à cause qu'ils virent bien que je les avois descouvers en pareil temps, ils commancerent à s'escrier & se mettre à danser: puis s'en vindrent à moy avec leurs arcs, flesches, carquois & autres armes. Et d'autant qu'il y avoit une prairie entre eux & moy, je leur fis signe qu'ils redansassent; ce qu'ils firent en rond, mettant toutes leurs armes au milieu d'eux. Ils ne faisoient presque que commencer, qu'ils adviserent le sieur de Poitrincourt dedans le bois avec 96/244huit arquebusiers, ce qui les estonna: toutesfois ne laisserent d'achever leur danse, laquelle estant finie, ils se retirèrent d'un costé & d'autre, avec apprehention qu'on ne leur fit quelque mauvais party: Nous ne leur dismes pourtant rien, & ne leur fismes que toutes demonstrations de resjouinance; puis nous revinsmes à nostre chalouppe pour la mettre à l'eaue, & nous en aller. Ils nous prièrent de retarder un jour, disans qu'il viendroit plus de deux mil hommes pour nous voir: mais ne pouvans perdre temps, nous ne voulusmes diferer d'avantage. Je croy que ce qu'ils en fesoient estoit pour nous surprendre. Il y a quelques terres desfrichées, & en desfrichoient tous les jours: en voicy la façon. Ils couppent les arbres à la hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois couppez: & par succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port est tresbeau & bon, où il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & où on se peut mettre à l'abry derrière des isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude; & l'avons nommé le Beau-port 139.

Note 139: (retour)

Aujourd'hui Gloucester.

244a

Le beau port.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu où estoit nostre barque.

B Prairies.

C Petite isle.

D Cap de rocher.

E Le lieu où l'on faisoit calfeutrer nostre chalouppe.

F [f] Petit islet de rochers assez haut à la coste.

G Cabanes des sauvages, & où ils labourent la terre.

H Petite riviere où il y a des prairies.

I Ruisseau.

L Langue de terre plaine de bois où il y a quantité de safrans, noyers &

vignes.

M La mer d'un cul de sac en tournant le cap aux isles.

N Petite riviere.

0 Petit ruisseau venant des preries.

P Autre petit ruisseau où l'on blanchissoit le linge.

Q Troupe de sauvages venant pour nous surprendre.

R Playe de sable.

S La coste de la mer.

T Le sieur de Poitrincourt en embuscade avec quelque 7 ou 8 arquebusiers.

V Le sieur de Champlain apersevant les sauvages.

Le dernier de Septembre nous partismes du beau port, & passâmes par le cap S. Louys, & fismes porter toute la nuit pour gaigner le cap blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous trouvasmes à vau le vent du cap blanc en la baye blanche à huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, où nous mouillasmes l'ancre, pour n'en approcher de plus prés, en 97/245attendant le jour; & voir comme nous estions de la marée. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chalouppe, & ne trouva on plus de huit pieds d'eau: de façon qu'il fallut délibérer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua jusques à cinq pieds, & nostre barque talonnoit quelquefois sur le sable: toutesfois sans s'offencer ny faire aucun dommage: Car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de trois pieds d'eau soubs nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous donna beaucoup d'esperance.

Le jour estant venu nous apperceusmes une coste de sable fort basse, où nous estions le travers plus à vau le vent, & d'où on envoya la chalouppe pour sonder vers un terrouer, qui est assez haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau; & de fait on y en trouva sept brasses. Nous y fusmes mouiller l'ancre, & aussitost appareillasmes la chalouppe avec neuf ou dix hommes, pour aller à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau & bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fut eslevé plus grand qu'il n'estoit. Estant recogneu nous y entrasmes à 2, 3 & 4 brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 & 6. Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres 140: & est par la hauteur de 42 degrez 141 de latitude. Il y vint à nous trois canots de sauvages. Ce jour le vent nous vint favorable, qui fut cause que nous levasmes l'ancre pour aller 98/246au Cap blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au Nord un quart du Nordest, & le doublasmes.

Note 140: (retour)

La baie de Barnstable. Il semble qu'elle ait légué son ancien nom à une baie plus petite qu'elle renferme et que l'on appelle baie aux Huîtres (Oysters Bay).

Note 141: (retour)

L'entrée du port aux Huîtres est par les 41° 45'.

Le lendemain 2 d'Octobre arrivasmes devant Malebarre, où sejournasmes quelque temps pour le mauvais vent qu'il faisoit, durant lequel, le sieur de Poitrincourt avec la chalouppe accompagné de 12 à 15 hommes, fut visiter le port, où il vint au-devant de luy quelque 150 sauvages, en chantant & dansant, selon leur coustume. Apres avoir veu ce lieu nous nous en retournasmes en nostre vaisseau, où le vent venant bon, fismes voille le long de la coste courant au Su.




Continuation des susdites descouvertures: & ce qui y fut remarqué de singulier.

CHAPITRE XIV.

Comme nous fusmes à quelque six lieues de Malebarre, nous mouillasmes l'ancre proche de la coste, d'autant que n'avions bon vent. Le long d'icelle nous advisames des fumées que faisoient les sauvages: ce qui nous fit délibérer de les aller voir: pour cet effect on esquipa la chalouppe: Mais quand nous fusmes proches de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder: car la houlle estoit trop grande: ce que voyant les sauvages, ils mirent un canot à la mer, & vindrent à nous 8 ou 9 en chantans, & faisans signes de la joye qu'ils avoient de nous voir, & nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, où nous pourrions mettre nostre barque en seureté.

99/247Ne pouvant mettre pied à terre, la chalouppe s'en revint à la barque, & les sauvages retournèrent à terre, qu'on avoit traicté humainement.

Le lendemain le vent estant favorable nous continuasmes notre routte au Nord142 5 lieues, & n'eusmes pas plustost fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau estans esloignez une lieue & demie de la coste: Et allans un peu de l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demye & deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehention, voyant la mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel nous pussions retourner sur nostre chemin: car le vent y estoit entièrement contraire.

Note 142: (retour)

Il faut lire au sud, comme le prouve assez cette expression continuasmes notre routte; c'est, du reste, ce que donne à entendre tout le contexte.

De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable, il fallut passer au hasart, selon que l'on pouvoit juger y avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que quatre pieds au plus: & vinsmes parmy ces brisans jusques à 4 pieds & demy: Enfin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous passames par dessus une pointe de sable, qui jette prés de trois lieues à la mer, au Su Suest, lieu fort dangereux. Doublant ce cap que nous nommasmes le cap batturier, qui est à 12 ou 13 lieues de Malebarre143, nous mouillasmes l'ancre à deux brasses & demye d'eau, d'autant que nous nous voiyons entournez de toutes parts de brisans & battures, reservé en quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On envoya la chalouppe pour trouver en achenal, à fin d'aller à un 100/248lieu que jugions estre celuy que les sauvages nous avoient donné à entendre: & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere, où pourrions estre en seureté.

Note 143: (retour)

La tête de Sankaty (Sankaty Head), qui fait la pointe sud-est la plus avancée de l'île Nantucket.

Nostre chalouppe y estant, nos gens mirent pied à terre, & considererent le lieu, puis réunirent avec un sauvage qu'ils amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions entrer, ce qui fut resolu, & aussitost levasmes l'ancre, & fusmes par la conduite du sauvage, qui nous pilotta, mouiller l'ancre à une rade qui est devant le port, à six brasses d'eau & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la nuit nous surprint.

Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc de sable qui est à l'embouchure du port: puis la plaine mer venant y entrasmes à deux brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des cordages, & craignions que parmy ces basses & fortes marées il ne rompist de rechef, qui eut esté cause de nostre perte. Dedans ce port il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer deux brasses, à l'Est y a une baye qui refuit au Nort quelque trois lieues, dans laquelle y a une isle & deux autres petits culs de sac, qui décorent le pays, où il y a beaucoup de terres défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage de bled & autres grains, dont ils vivent. Il y a aussi de tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprès, & peu de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du labourage & font provision de bled d'Inde pour l'yver, lequel ils conservent en la façon qui ensuit.

101/249Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le sable quelque cinq à six pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres grains qu'ils mettent dans de grands tacs d'herbe, qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de sable trois ou quatre pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre à leur besoin, & ce conserve aussi bien qu'il sçauroit faire en nos greniers.

Nous vismes en ce lieu quelque cinq à six cens sauvages, qui estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes le sont aussi, qui couvrent la leur comme les hommes de peaux ou de fueillages. Ils ont les cheveux bien peignez & entrelassez en plusieurs façons, tant hommes que femmes, à la manière de ceux de Chouacoet; & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans le teinct olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres jolivetés qu'ils accommodent fort proprement en façon de broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches & massues. Ils ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs & laboureurs.

Pour ce qui est de leur police, gouvernement & créance, nous n'en avons peu juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que nos sauvages Souriquois, & Canadiens, lesquels n'adorent ny la lune ny le soleil, ny aucune chose, & ne prient non plus que les bestes: Bien ont ils parmy eux quelques gens qu'ils disent avoir intelligence avec le Diable, à qui ils ont grande croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir, où ils mentent le plus souvent: Quelques fois ils peuvent bien 102/250rencontrer, & leur dire des choses semblables à celles qui leur arrivent; c'est pourquoy ils ont croyance en eux, comme s'ils estoient Prophètes, & ce ne sont que canailles qui les enjaulent comme les Aegyptiens & Bohémiens font les bonnes gens de vilage. Ils ont des chefs à qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de rang que leurs compagnons. Chacun n'a de terre que ce qui luy en faut pour sa nourriture.

Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond, couverts de natte faite de senne ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement d'un lict ou deux, eslevés un pied de terre, faicts avec quantité de petits bois qui sont pressez les uns contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la façon d'Espaigne (qui est une manière de natte espoisse de deux ou trois doits) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de pulces en esté, mesme parmy les champs: Un jour en nous allant pourmener nous en prismes telle quantité, que nous fusmes contraints de changer d'habits.

Tous les ports, bayes & costes depuis Chouacoet sont remplis de toutes sortes de poisson, semblable à celuy que nous avons devers nos habitations; & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne vissions & entendissions passer aux costez de nostre barque, plus de mille marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantité de plusieurs especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse des oyseaux y est fort abondante.

103/251Ce seroit un lieu fort propre pour y bastir & jetter les fondemens d'une republique si le port estoit un peu plus profond & l'entrée plus seure qu'elle n'est.

Devant que sortir du port l'on accommoda nostre gouvernail, & fit on faire du pain de farines qu'avions apportées pour vivre, quand nostre biscuit nous manqueroit. Cependant on envoya la chalouppe avec cinq ou six hommes & un sauvage, pour voir si on pourroit trouver un passage plus propre pour sortir, que celuy par où nous estions venus.

Ayant fait cinq ou six lieues & abbordant la terre, le sauvage s'en fuit, qui avoit eu crainte que l'on ne l'emmenast à d'autres sauvages plus au midy, qui sont leurs ennemis, à ce qu'il donna à entendre à ceux qui estoient dans la chalouppe, lesquels estans de retour, nous firent rapport que jusques où ils avoient esté il y avoit au moins trois brasses d'eau, & que plus outre il n'y avoit ny basses ny battures.

On fit donc diligence d'accommoder nostre barque & faire du pain pour quinze jours. Cependant le sieur de Poitrincourt accompagné de dix ou douze arquebusiers visita tout le pays circonvoisin, d'où nous estions, lequel est fort beau, comme j'ay dit cy dessus, où nous vimes quantité de maisonnettes ça & la.

Quelque 8 ou 9 jours après le sieur de Poitrincourt s'allant pourmener, comme il avoit fait auparavant, nous apperceusmes que les sauvages abbatoient leurs cabannes & envoyoient dans les bois leurs femmes, enfans & provisions, & autres choses qui leur estoient necessaires pour leur vie, qui nous donna soubçon 104/252de quelque mauvaise intention, & qu'ils vouloyent entreprendre sur nos gens qui travailloient à terre, & où ils demeuroient toutes les nuits, pour conserver ce qui ne se pouvoit embarquer le soir qu'avec beaucoup de peine, ce qui estoit bien vray: car ils resolurent entre eux, qu'après que toutes leurs commoditez seroient en seureté, il les viendroient surprendre à terre à leur advantage le mieux qu'il leur seroit possible, & enlever tout ce qu'ils avoient. Que si d'aventure ils les trouvoient sur leurs gardes, ils viendroient en signe d'amitié comme ils vouloient faire, en quittant leurs arcs & flesches.

Or sur ce que le sieur de Poitrincourt avoit veu, & l'ordre qu'on luy dit qu'ils tenoient quand ils avoient envie de jouer quelque mauvais tour, nous passames par des cabannes, où il y avoit quantité de femmes, à qui on avoit donné des bracelets, & bagues pour les tenir en paix, & sans crainte, & à la plus part des hommes apparens & antiens des haches, cousteaux, & autres choses, dont ils avoient besoing: ce qui les contentoit fort, payant le tout en danses & gambades, avec des harangues que nous n'entendions point. Nous passames partout sans qu'ils eussent asseurance de nous rien dire: ce qui nous resjouist fort, les voyans si simples en apparence comme ils montroient.

Nous revinmes tout doucement à nostre barque, accompagnez de quelques sauvages. Sur le chemin nous en rencontrasmes plusieurs petites trouppes qui s'amassoient peu à peu avec leurs armes, & estoient fort estonnez de nous voir si avant 105/253dans le pays; & ne pensoient pas que vinssions de faire une ronde de prés de 4 à 5 lieues de circuit au tour de leur terre, & passans prés de nous ils tremblotent de crainte que on ne leur fist desplaisir, comme il estoit en nostre pouvoir; mais nous ne le fismes pas, bien que cognussions leur mauvaise volonté. Estans arrivez où nos ouvriers travailloient, le sieur de Poitrincourt demanda si toutes choses estoient en estat pour s'opposer aux desseins de ces canailles.

Il commanda de faire embarquer tout ce qui estoit à terre: ce qui fut fait, horsmis celuy qui faisoit le pain qui demeura pour achever une fournée, qui restoit, & deux autres hommes avec luy. On leur dit que les sauvages avoient quelque mauvaise intention & qu'ils fissent diligence, afin de s'embarquer le soir ensuivant, scachans qu'ils ne mettoient en exécution leur volonté que la nuit, ou au point du jour, qui est l'heure de leur surprinse en la pluspart de leurs desseins.

Le soir estant venu, le sieur de Poitrincourt commanda qu'on envoyast la chalouppe à terre pour quérir les hommes qui restoient: ce qui fut fait aussitost, que la marée le peut permettre, & dit on à ceux qui estoient à terre, qu'ils eussent à s'embarquer pour le subject dont l'on les avoit advertis, ce qu'ils refuserent, quelques remonstrances qu'on leur peust faire, & des risques où ils se mettoient, & de la desobeissance qu'ils portoient à leur chef. Ils n'en feirent aucun estat, horsmis un serviteur du sieur de Poitrincourt, qui s'embarqua, mais deux autres se desembarquerent de la chalouppe qui furent trouver les trois autres, qui estoient à terre, lesquels 106/254estoient demeurez pour manger des galettes qu'ils prindrent sur le pain, que l'on avoit fait. Ne voulans donc faire ce qu'on leur disoit, la chalouppe s'en revint à bort sans le dire au sieur de Poitrincourt qui reposoit & pensoit qu'ils fussent tous dedans le vaisseau.

Le lendemain au matin 15 d'Octobre les sauvages ne faillirent de venir voir en quel estat estoient nos gens, qu'ils trouverent endormis, horsmis un qui estoit auprès du feu. Les voyans en cet estat ils vindrent doucement par dessus un petit costau au nombre de 400 & leur firent une telle salve de flesches, qu'ils ne leur donnèrent pas le loisir de se relever, sans estre frappez à mort: & se sauvant le mieux qu'ils pouvoient vers nostre barque, crians, à l'ayde on nous tue, une partie tomba morte en l'eau: les autres estoient tout lardez de coups de flesches, dont l'un mourut quelque temps après. Ces sauvages menoient un bruit desesperé, avec des hurlemens tels que c'estoit chose espouvantable à ouir.

Sur ce bruit, & celuy de nos gens, la sentinelle qui estoit en nostre vaisseau s'escria, aux armes l'on tue nos gens: Ce qui fit que chacun se saisit promptement des tiennes, & quant & quant nous nous embarquasmes en la chalouppe quelque 15 ou 16 pour aller à terre: Mais ne pouvans l'abborder à cause d'un banc de sable qu'il y avoit entre la terre & nous, nous nous jettasmes en l'eau & passames à gay de ce banc à la grand terre la portée d'un mousquet. Aussitost que nous y fusmes, ces sauvages nous voyans à un trait d'arc, prirent la fuitte dans les terres: De les poursuivre c'estoit en vain, car ils sont 107/255merveilleusement vistes. Tout ce que nous peusmes faire, fut de retirer les corps morts & les enterrer auprès d'une croix qu'on avoit plantée le jour d'auparavant, puis d'aller d'un costé & d'autre voir si nous n'en verrions point quelques uns, mais nous perdismes nostre temps: Quoy voyans, nous nous en retournasmes. Trois heures après ils revindrent à nous sur le bord de la mer. Nous leur tirasmes plusieurs coups de petits espoirs de fonte verte: & comme ils entendoient le bruit ils se tapissoient en terre pour éviter le coup. En derision de nous ils abbatirent la croix, & desenterrerent les corps: ce qui nous donna un grand desplaisir, & fit que nous fusmes à eux pour la seconde fois: mais ils s'en fuirent comme ils avoient fait auparavant. Nous redressasmes la croix & renterrasmes les morts qu'ils avoient jettés ça & la parmy des bruieres, où ils mirent le feu pour les brusler, & nous en revinsmes sans faire aucun effect comme nous avions esté l'autre fois144, voyans bien qu'il n'y avoit gueres d'apparence de s'en venger pour ce coup, & qu'il failloit remettre la partie quand il plairoit à Dieu.

Note 144: (retour)

D'autres exemplaires portent: «sans avoir rien fait contre eux non plus que l'autre fois.»

Le 16 du mois nous partismes du port Fortuné 145 qu'avions nommé de ce nom pour le malheur qui nous y arriva. Ce lieu est par la haulteur de 41 degré & un tiers de latitude, & à quelque 12 ou 13 lieues de Malebarre.

Note 145: (retour)

Le port Fortuné est bien évidemment le port de Chatham, à en juger soit par la description que l'auteur en fait ici, soit par la place qu'il lui assigne dans sa grande carte de 1632. Cependant, il n'est pas à plus de sept ou huit lieues de Mallebarre, même par eau, et sa latitude est de 41 degrés et deux tiers.

255a

Port fortune.

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