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Oeuvres de Champlain

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Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Estang d'eau sallée.

B Les cabannes des sauvages & leurs terres où ils labourent.

C Prairies où il y a deux petis ruisseaux.

C Prairies à l'isle qui couvrent à toutes les marées.

D Petis costaux de montaignes en l'isle remplis de bois, vignes &

pruniers.

E Estang d'eau douce, où il y a quantité de gibier.

F Manières de prairies en l'isle.

G Isle remplie de bois dedans un grand cul de sac.

H Manière d'estang d'eau salée & où il y a force coquillages,

entre autres quantité d'huîtres.

I Dunes de sable sur une lenguette de terre.

L Cul de sac.

M Rade où mouillasmes l'ancre devant le port.

N Entrée du port.

O Le port & lieu où estoit nostre barque.

P La croix que l'on planta.

Q Petis ruisseau.

R Montaigne qui descouvre de fort loin.

S La coste de la mer.

T Petite riviere.

V Chemin que nous fismes en leur pais autour de leurs logement, il est

pointé de petits points.

X Bans & baze.

Y Petite montagne qui paroit dans les terres.

Z Petits ruisseaux.

9 L'endroit où nos gens furent tués par les sauvages prés la Croix.




108/256 L'incommodité du temps ne nous permettant, pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation. Et ce qui nous arriva jusques en icelle.

CHAPITRE XV.

Comme nous eusmes fait quelques six ou sept lieues nous eusmes cognoissance d'une isle que nous nommasmes la soupçonneuse 146, pour avoir eu plusieurs fois croyance de loing que ce fut autre chose qu'une isle, puis le vent nous vint contraire, qui nous fit relascher au lieu d'où nous estions partis, auquel nous fusmes deux ou trois jours sans que durant ce temps il vint aucun sauvage se presenter à nous.

Note 146: (retour)

Dans l'édition de 1632, l'auteur dit qu'elle est «à une lieue vers l'eau.» C'est donc vraisemblablement l'île qui porte aujourd'hui le nom de Martha's Vineyard.

Le 20 partismes de rechef, & rengeant la coste au Surouest prés de 12 lieues, où passames proche d'une riviere qui est petite & de difficile abord, à cause des basses & rochers qui sont à l'entrée, que j'ay nommée de mon nom 147. Ce que nous vismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses. Le vent nous vint de rechef contraire, & fort impétueux, qui nous fit mettre vers l'eau, ne pouvans gaigner ny d'un costé ny d'autre, lequel enfin s'apaisa un peu, & nous fut favorable: mais ce ne fut que

109/257pour relascher encore au port Fortuné, dont la coste, bien qu'elle soit basse, ne laisse d'estre belle & bonne, toutesfois de difficile abbord, n'ayant aucunes retraites, les lieux fort batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses 7 à 8 brasses, encore cela ne duroit que la longueur du cable, aussitost l'on revenoit à 2 ou 3 brasses, & ne s'y fie qui voudra qu'il ne l'aye bien recogneue la sonde à la main.

Note 147: (retour)

L'auteur, dans sa grande carte de 1632, la marque comme venant du nord-ouest. Or, dans l'espace d'environ douze lieues à l'ouest du port Fortuné, il n'y a, croyons-nous, qu'une seule rivière qui suive cette direction: c'est celle qui traverse le district de Machpee et se jette dans la baie de Popponesset, La plupart des cartes ne lui assignent aucun nom.

Estant relaschez au port, quelques heures après le fils de Pontgravé appelé Robert, perdit une main en tirant un mousquet qui se creva en plusieurs pièces sans offencer aucun de ceux qui estoient auprès de luy.

Or voyant tousjours le vent contraire & ne nous pouvans mettre en la mer, nous resolumes cependant d'avoir quelques sauvages de ce lieu pour les emmener en nostre habitation & leur faire moudre du bled à un moulin à bras, pour punition de l'assacinat qu'ils avoient commis en la personne de cinq ou six de nos gens: mais que cela se peust faire les armes en la main, il estoit fort malaysé, d'autant que quand on alloit à eux en délibération de se battre, ils prenoient la fuite, & s'en alloient dans les bois, où on ne les pouvoit attraper. Il fallut donc avoir recours aux finesses: & voicy comme nous advisames. Qu'il failloit lors qu'ils viendroient pour rechercher amitié avec nous les amadouer en leur montrant des patinostres & autres bagatelles, & les asseurer plusieurs fois: puis prendre la chalouppe bien armée, & des plus robustes & 110/258forts hommes qu'eussions, avec chacun une chaîne de patinostres & une brasse de mèche au bras, & les mener à terre, où estans, & en faisant semblant de petuner avec eux (chacun ayant un bout de sa mèche allumé, pour ne leur donner soupçon, estant l'ordinaire de porter du feu au bout d'une corde pour allumer le petum) les amadoueroient par douces paroles pour les attirer dans la chalouppe; & que s'ils n'y vouloient entrer, que s'en approchant chacun choisiroit son homme, & en luy mettant les patinostres au col, luy mettroit aussi en mesme temps la corde pour les y tirer par force: Que s'ils tempestoient trop, & qu'on n'en peust venir à bout; tenant bien la corde on les poignarderoit: Et que si d'aventure il en eschapoit quelques uns, il y auroit des hommes à terre pour charger à coups d'espée sur eux: Cependant en nostre barque on tiendroit prestes les petites pièces pour tirer sur leurs compagnons, au cas qu'il en vint les secourir; à la faveur desquelles la chalouppe se pourroit retirer en asseurance. Ce qui fut fort bien exécuté ainsi qu'on l'avoit proposé.

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Port fortune.

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A Le lieu où estoient les François faisans le pain.

B Les sauvages surprenans les François en tirant sur eux à coups de

flesches.

C François bruslez par les sauvages.

D François s'enfuians à la barque tout lardés de flesches.

E Trouppes de sauvages faisans brusler les François qu'ils avoient tués.

F Montaigne sur le port.

G Cabannes des sauvages.

H François à terre chargeans les sauvages.

I Sauvages desfaicts par les François.

L Chalouppe où estoient les François.

M Sauvages autour de la chalouppe qui furent surpris par nos gens.

N Barque du sieur de Poitrincourt.

O Le port.

P Petit ruisseau.

Q François tombez morts dans l'eau pensans se sauver à la barque.

R Ruisseau venant de certins marescages.

S Bois par où les sauvages venoient à couvert.

Quelques jours après que ces choses furent passées, il vint des sauvages trois à trois, quatre à quatre sur le bort de la mer, faisans signe que nous allassions à eux: mais nous voiyons bien leur gros qui estoit en embuscade au dessoubs d'un costau derrière des buissons, & croy qu'ils ne desiroient que de nous attraper en la chalouppe pour descocher un nombre de flesches sur nous, & puis s'en fuir: toutesfois le sieur de Poitrincourt ne laissa pas d'y aller avec dix de nous autres, bien équipez & en resolution de les combattre si l'occasion se presentoit. 111/259Nous fusmes dessendre par un endroit que jugions estre hors de leur embuscade, où ils ne nous pouvoient surprendre. Nous y mismes trois ou quatre pied à terre avec le sieur de Poitrincourt: le reste ne bougea de la chalouppe pour la conserver & tenir preste à un besoin. Nous fusmes sur une butte & autour des bois pour voir si nous descouvririons plus à plain ladite embuscade. Comme ils nous virent aller si librement à eux ils leverent le siege & furent en autres lieux, que ne peusmes descouvrir, & des quatre sauvages n'en vismes plus que deux, qui s'en alloient tout doucement. En se retirant ils nous faisoient signe qu'eussions à mener nostre chalouppe en autre lieu, jugeant qu'elle n'estoit pas à propos pour leur dessein. Et nous voyans aussi qu'ils n'avoient pas envie de venir à nous, nous nous rembarquasmes & allasmes où ils nous monstroient, qui estoit la seconde embuscade qu'ils avoient faite, taschant de nous attirer en signe d'amitié à eux, sans armes: ce qui pour lors ne nous estoit permis: neantmoins nous fusmes assez proches d'eux sans voir ceste embuscade, qui n'en estoit pas esloignée, à nostre jugement. Comme nostre chalouppe approcha de terre, ils se mirent en fuite, & ceux de l'embuscade aussi, après qui nous tirasmes quelques coups de mousquets, voyant que leur intention ne tendoit qu'à nous decevoir par caresses, en quoy ils se trompoient: car nous recognoissions bien quelle estoit leur volonté, qui ne tendoit qu'à mauvaise fin. Nous nous retirasmes à nostre barque après avoir fait ce qu'il nous fut possible.

Ce jour le sieur de Poitrincourt resolut de s'en retourner à 112/260nostre habitation pour le subject de 4 ou 5 mallades & blessez, à qui les playes empiroient à faute d'onguens, car nostre Chirurgien n'en avoit aporté que bien peu, qui fut grande faute à luy, & desplaisir aux malades & à nous aussi: d'autant que l'infection de leurs blesseures estoit si grande en un petit vaisseau comme le nostre, qu'on ne pouvoit presque durer: & craignions qu'ils engendrassent des maladies: & aussi que n'avions plus de vivres que pour faire 8 ou 10 journées de l'advant, quelque retranchement que l'on fist, & ne sçachans pas si le retour pourroit estre aussi long que l'aller, qui fut prés de deux mois.

Pour le moins nostre délibération estant prinse, nous ne nous retirasmes qu'avec le contentement que Dieu n'avoit laissé impuny le mesfait de ces barbares. Nous ne fusmes que jusques au 41 degré & demy, qui ne fut que demy degré plus que n'avoit fait le sieur de Mons à sa descouverture. Nous partismes donc de ce port.

Et le lendemain vinsmes mouiller l'ancre proche de Mallebarre, où nous fusmes jusques au 28 du mois que nous mismes à la voile. Ce jour l'air estoit assez froid, & fit un peu de neige. Nous prismes la traverse pour aller à Norambegue, ou à l'isle Haute. Mettant le cap à l'Est Nordest fusmes deux jours sur la mer sans voir terre, contrariez du mauvais temps. La nuict ensuivant eusmes cognoissance des isles qui sont entre Quinibequi & Norembegue. Le vent estoit si grand que fusmes contraincts de nous mettre à la mer, pour attendre le jour, où nous nous esloignasmes si bien de la terre, quelque peu de 113/261voiles qu'eussions, que ne la peusmes revoir que jusques au lendemain, que nous vismes le travers de l'isle Haute.

Ce jour dernier d'Octobre, entre l'isle des Monts-deserts, & le cap de Corneille, nostre gouvernail se rompit en plusieurs pièces, sans sçavoir le subject. Chacun en disoit son opinion. La nuit venant avec beau frais, nous estions parmy quantité d'isles & rochers, où le vent nous jettoit, & resolumes de nous sauver, s'il estoit possible, à la première terre que rencontrerions.

Nous fusmes quelque temps au gré du vent & de la mer, avec seulement le bourcet de devant: mais le pis fut que la nuit estoit obscure & ne sçavions où nous allions: car nostre barque ne gouvernoit nullement, bien que l'on fit ce qu'on pouvoit, tenant les escouttes du bourcet à la main, qui quelquefois la faisoient un peu gouverner. Tousjours on sondoit si l'on pourroit trouver fonds pour mouiller l'ancre & se préparer à ce qui pourroit subvenir. Nous n'en trouvasmes point; enfin allant plus viste que ne desirions, l'on advisa de mettre un aviron par derrière avec des hommes pour faire gouverner à une isle que nous apperceusmes, afin de nous mettre à l'abry du vent. On mit aussi deux autres avirons sur les costés au derrière de la barque, pour ayder à ceux qui gouvernoient, à fin de faire arriver le vaisseau d'un costé & d'autre. Ceste invention nous servit si bien que mettions le cap où desirions, & fusmes derrière la pointe de l'isle qu'avions apperceue, mouiller l'ancre à 21 brasses d'eau attendant le jour, pour nous recognoistre & aller chercher un endroit pour faire un autre gouvernail.

114/262Le vent s'appaisa. Le jour estant venu nous nous trouvasmes proches des isles Rangées, tout environnés de brisans; & louasmes Dieu de nous avoir conservés si miraculeusement parmy tant de périls.

Le premier de Novembre nous allasmes en un lieu que nous jugeasmes propre pour eschouer nostre vaisseau & refaire nostre timon. Ce jour je fus à terre, & y vey de la glace espoisse de deux poulces, & pouvoit y avoir huit ou dix jours qu'il y avoit gelé, & vy bien que la température du lieu differoit de beaucoup à celle de Malebarre & port Fortuné: car les fueilles des arbres n'estoient pas encores mortes ny du tout tombées quand nous en partismes, & en ce lieu elles estoient toutes tombées, & y faisoit beaucoup plus de froid qu'au port Fortuné.

Le lendemain comme on alloit eschouer la barque, il vint un canot où y avoit des sauvages Etechemins qui dirent à celuy que nous avions en nostre barque, qui estoit Secondon, que Jouaniscou avec ses compagnons avoit tué quelques autres sauvages & emmené des femmes prisonnieres, & que proche des isles des Montsdeserts ils avoient fait leur exécution.

Le neufiesme du mois nous partismes d'auprès du cap de Corneille & le mesme jour vinsmes mouiller l'ancre au petit passage148 de la riviere saincte Croix.

Note 148: (retour)

C'est le passage de l'ouest.

Le lendemain au matin mismes nostre sauvage à terre avec quelques commoditez qu'on luy donna, qui fut tres-aise & satisfait d'avoir fait ce voyage avec nous, & emporta quelques testes des sauvages qui avoient esté tuez au port Fortuné. 115/263Ledict jour allasmes mouiller l'ancre en une fort belle ance au Su de l'isle de Menasne.

Le 12 du mois fismes voile, & en chemin la chalouppe que nous traisnions derrière nostre barque y donna un si grand & si rude coup qu'elle fit ouverture & brisa tout le haut de la barque: & de rechef au resac rompit les ferremens de nostre gouvernail, & croiyons du commencement qu'au premier coup qu'elle avoit donné, qu'elle eut enfoncé quelques planches d'embas, qui nous eut fait submerger: car le vent estoit si eslevé, que ce que pouvions faire estoit de porter nostre misanne: Mais après avoir veu le dommage qui estoit petit, & qu'il n'y avoit aucun péril, on fit en sorte qu'avec des cordages on accommoda le gouvernail le mieux qu'on peut, pour parachever de nous conduire, qui ne fut que jusques au 14 de Novembre, où à l'entrée du port Royal pensames nous perdre sur une pointe: mais Dieu nous delivra tant de ce péril que de beaucoup d'autres qu'avions courus.




Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement.

CHAPITRE XVI.

A nostre arrivée l'Escarbot qui estoit demeuré en l'habitation nous fit quelques gaillardises avec les gens qui y estoient restez pour nous resjouir149.

Note 149: (retour)

«Le sieur de Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzième de Novembre, où nous le receumes joyeusement & avec une solennité toute nouvelle par delà. Car sur le point que nous attendions son retour avec grand desir, (& ce d'autant plus, que si mal lui fût arrivé nous eussions été en danger d'avoir de la confusion) je m'avisay de representer quelque gaillardise en allant audevant de lui, comme nous fîmes. Et d'autant que cela fut en rhimes Françoises faites à la hâte, je l'ay mis avec Les Muses de la Nouvelle-France souz le tiltre de THEATRE DE NEPTUNE, où je renvoyé mon Lecteur. Au surplus pour honorer davantage le retour de nôtre action, nous avions mis au dessus de la porte de notre Fort les armes de France, environnées de couronnes de lauriers (dont il y a là grande quantité au long des rives des bois) avec la devise du Roy, DUO PROTEGIT UNUS. Et au dessous celles du sieur de Monts avec cette inscription, DABIT DEUS HIS QUOQUE FINEM: & celle-du sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription, INVIA VIRTUTI NULLA EST VIA, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers.» (Lescarbot, liv. IV, ch. XV.)

116/264Estans à terre, & ayans repris halaine chacun commença à faire de petits jardins, & moy d'entretenir le mien, attendant le printemps, pour y semer plusieurs sortes de graines, qu'on avoit apportées de France, qui vindrent fort bien en tous les jardins.

Le sieur de Poitrincourt, d'autre part fit faire un moulin à eau à prés d'une lieue & demie de nostre habitation, proche de la pointe où on avoit semé du bled. Le moulin estoit basty auprès d'un saut d'eau, qui vient d'une petite riviere qui n'est point navigable pour la quantité de rochers qui y sont, laquelle se va rendre dans un petit lac. En ce lieu il y a une telle abbondance de harens en sa saison, qu'on pourroit en charger des chalouppes, si on vouloit en prendre la peine, & y apporter l'invention qui y seroit requise. Aussi les sauvages de ces pays y viennent quelquesfois faire la pesche. On fit aussi quantité de charbon pour la forge. Et l'yver pour ne demeurer oisifs j'entreprins de faire un chemin sur le bort du bois pour aller à une petite riviere qui est comme un ruisseau, que nommasmes la truittiere150, à cause qu'il y en avoit beaucoup. Je demanday deux ou trois hommes au sieur de Poitrincourt, qu'il me donna pour m'ayder à y faire une allée. 117/265Je fis si bien qu'en peu de temps je la rendy nette. Elle va jusques à la truittiere, & contient prés de deux mille pas, laquelle servoit pour nous pourmener à l'ombre des arbres, que j'avois laisse d'un costé & d'autre. Cela fit prendre resolution au sieur de Poitrincourt d'en faire une autre au travers des bois, pour traverser droit à l'emboucheure du port Royal, où il y a prés de trois lieues & demie par terre de nostre habitation, & la fit commencer de la truittiere environ demie lieue, mais il ne l'ascheva pas pour estre trop pénible, & s'occupa à d'autres choses plus necessaires pour lors. Quelque temps après nostre arrivée, nous apperceusmes une chalouppe, où il y avoit des sauvages, qui nous dirent que du lieu d'où ils venoient, qui estoit Norembegue, on avoit tué un sauvage qui estoit de nos amis, en vengeance de ce que Jouaniscou aussi sauvage, & les siens avoient tué de ceux de Norembegue, & de Quinibequi, comme j'ay dit cy dessus, & que des Etechemins l'avoient dit au sauvage Secondon qui estoit pour lors avec nous.

Note 150: (retour)

Ce ruisseau était du côté de l'ouest de l'habitation, comme le marque l'auteur dans sa carte du port Royal, tandis que son jardin était du côté de l'est.

Celuy qui commandoit en la chalouppe estoit le sauvage appelle Ouagimou151, qui avoit familiarité avec Bessabes chef de la riviere de Norembegue, à qui il demanda le corps de Panounia qui avoit esté tué: ce qu'il luy octroya, le priant de dire à ses amis qu'il estoit bien fasché de sa mort, luy asseurant que c'estoit sans son sçeu qu'il avoit esté tué, & que n'y ayant de sa faute, il le prioit de leur dire qu'il desiroit qu'ils demeurassent amis comme auparavant: ce que Ouagimou luy promit faire quand il seroit de retour. Il nous dit qu'il luy ennuya 118/266fort qu'il n'estoit hors de leur compagnie, quelque amitié qu'on luy monstrast, comme estans subjects au changement, craignant qu'ils ne luy en fissent autant comme au deffunct: aussi n'y arresta il pas beaucoup après sa despeche. Il emmena le corps en sa chalouppe depuis Norembegue jusques à nostre habitation, d'où il y a 50 lieues.

Note 151: (retour)

Lescarbot écrit Oagimont.

Aussi tost que le corps fut à terre ses parens & amis commencèrent à crier au prés de luy, s'estans peints tout le visage de noir, qui est la façon de leur dueil. Après avoir bien pleuré, ils prindrent quantité de petum, & deux ou trois chiens, & autres choses qui estoient au deffunct, qu'ils firent brusler à quelque mille pas de nostre habitation sur le bort de la mer. Leurs cris continuèrent jusques à ce qu'ils fussent de retour en leur cabanne.

Le lendemain ils prindrent le corps du deffunct, & l'envelopperent dedans une catalongue rouge, que Mabretou chef de ces lieux m'inportuna fort de luy donner, d'autant qu'elle estoit belle & grande, laquelle il donna aux parens dudict deffunct, qui m'en remercièrent bien fort. Après donc avoir emmaillotté le corps, ils le parèrent de plusieurs sortes de matachiats, qui sont patinostres & bracelets de diverses couleurs, luy peinrent le visage, & sur la teste luy mirent plusieurs plumes & autres choses qu'ils avoient de plus beau, puis mirent le corps à genoux au milieu de deux bastons, & un autre qui le soustenoit soubs les bras: & au tour du corps y avoit sa mère, sa femme & autres de ses parens & amis, tant femmes que filles, qui hurloient comme chiens.

119/267Cependant que les femmes & filles crioient le sauvage appelé Mabretou, faisoit une harangue à ses compagnons sur la mort du deffunct, en incitant un chacun d'avoir vengeance de la meschanceté & trahison commise par les subjects de Bessabes, & leur faire la guerre le plus promptement que faire se pourroit. Tous luy accordèrent de la faire au printemps.

La harange faitte & les cris cessez, ils emportèrent le corps du deffunct en une autre cabanne. Après avoir petuné, le renveloperent dans une peau d'Eslan, & le lièrent fort bien, & le conserverent jusques à ce qu'il y eust plus grande compagnie de sauvages, de chacun desquels le frère du defunct esperoit avoir des presens, comme c'est leur coustume d'en donner à ceux qui ont perdu leurs pères, mères, femmes, frères, ou soeurs.

La nuit du 26. Décembre il fist un vent de Surest, qui abbatit plusieurs arbres.

Le dernier Décembre il commença à neger, & cela dura jusqu'au lendemain matin.

Le 16 janvier ensuivant 1607, le sieur de Poitrincourt voulant aller au haut de la riviere de l'Equille la trouva scelée de glaces à quelque deux lieues de nostre habitation, qui le fit retourner pour ne pouvoir passer.

Le 8 Fevrier il commença à descendre quelques glaces du haut de la riviere dans le port qui ne gele que le long de la coste.

Le 10 de May ensuivant, il negea toute la nuict, & sur la fin du mois faisoit de fortes gelées blanches, qui durèrent jusques au 10 & 12 de Juin, que tous les arbres estoient couverts de fueilles, horsmis les chesnes qui ne jettent les leurs que vers le 15.

120/268L'yver ne fut si grand que les années précédentes, ny les neges aussi ne furent si long temps sur la terre. Il pleust assez souvent, qui fut occasion que les sauvages eurent une grande famine, pour y avoir peu de neges. Le sieur de Poitrincourt nourrist une partie de ceux qui estoient avec nous, sçavoir Mabretou, sa femme & ses enfans, & quelques autres.

Nous passames cest yver fort joyeusement, & fismes bonne chère, par le moyen de l'ordre de bontemps que j'y establis, qu'un chacun trouva utile pour la santé, & plus profitable que toutes sortes de medicines, dont on eust peu user. Ceste ordre estoit une chaine que nous mettions avec quelques petites cérémonies au col d'un de nos gens, luy donnant la charge pour ce jour d'aller chasser: le lendemain on la bailloit à un autre, & ainsi consecutivement: tous lesquels s'efforçoient à l'envy à qui feroit le mieux & aporteroit la plus belle chasse: Nous ne nous en trouvasmes pas mal, ny les sauvages qui estoient avec nous152.

Note 152: (retour)

Lescarbot donne quelques détails de plus sur ce sujet: «Je diray que pour nous tenir joyeusement & nettement, quant aux vivres, fut établi un Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui fut nommé L'ORDRE DE BON-TEMPS, mis premièrement en avant par Champlein, suivant lequel ceux d'icelle table étoient Maitres-d'hotel chacun à son tour, qui étoit en quinze jours une fois. Or avoit-il le soin de faire que nous fussions bien & honorablement traités. Ce qui fut si bien observé, que (quoy que les gourmans de deçà nous disent souvent que là nous n'avions point la rue aux Ours de Paris) nous y avons fait ordinairement aussi bonne chère que nous sçaurions faire en cette rue aux Ours, & à moins de frais. Car il n'y avoit celui qui deux jours devant que son tour vint ne fût soigneux d'aller à la chasse, ou à la pêcherie, & n'apportât quelque chose de rare, outre ce qui étoit de notre ordinaire. Si bien que jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupiquets de chair ou de poisson: & au repas de midi & du soir encor moins: car c'étoit le grand festin, là où l'Architriclin, ou Maitre-d'hotel (que les Sauvages appellent Atoctegic) ayant fait préparer toutes choses au cuisinier, marchoit la serviete sur l'épaule, le bâton d'office en main, le collier de l'Ordre au col, & tous ceux d'icelui Ordre après lui portant chacun son plat. Le même étoit au dessert, non toutefois avec tant de suite. Et au soir avant rendre grâce à Dieu, il resignoit le collier de l'Ordre, avec un verre de vin à son successeur en la charge, & buvoient l'un à l'autre.» (Liv. IV, ch. XVI.)

121/269

II y eut de la maladie de la terre parmy nos gens, mais non si aspre qu'elle avoit esté aux années précédentes: Neantmoins il ne laissa d'en mourir sept; & un autre d'un coup de flesche qu'il avoit receu des sauvages au port Fortuné.

Nostre chirurgien appelé maistre Estienne, fit ouverture de quelques corps, & trouva presque toutes les parties de dedans offencées, comme on avoit fait aux autres les années précédentes. Il y en eut 8 ou 10 de malades qui guérirent au printemps.

Au commencement de Mars & d'Avril, chacun se mit à préparer les jardins pour y semer des graines en May, qui est le vray temps, lesquelles vindrent aussi bien qu'elles eussent peu faire en France, mais quelque peu plus tardives: & trouve que la France est au plus un mois & demy plus advancée: & comme j'ay dit, le temps est de semer en May, bien qu'on peut semer quelquefois en Avril, mais ces semences n'advancent pas plus que celles qui sont semées en May, & lors qu'il n'y a plus de froidures qui puisse offencer les herbes, sinon celles qui sont fort tendres, comme il y en a beaucoup qui ne peuvent resister aux gelées blanches, si ce n'est avec un grand soin & travail.

Le 24 de May apperceusmes une petite barque du port de 6 à 7 tonneaux qu'on envoya recognoistre, & trouva on que c'estoit un jeune homme de sainct Maslo appelé Chevalier qui apporta lettres du sieur de Mons au sieur de Poitrincourt, par lesquelles il luy mandoit de ramener ses compagnons en 122/270France153, & nous dit la naissance de Monseigneur le Duc d'Orléans 154, qui nous apporta de la resjouissance, & en fismes les feu de joye, & chantasmes le Te deum.

Note 153: (retour)

Lescarbot ajoute encore ici plusieurs autres détails, qui ne manquent pas d'intérêt «Le soleil commençoit à échauffer la terre, & oeillader sa maitresse d'un regard amoureux, quand le Sagamos Membertou (apres noz prières solennellement faites à Dieu, & le desjeuner distribué au peuple, selon la coutume) nous vint avertir qu'il avoit veu une voile sur le lac, c'est à dire dans le port, qui venoit vers notre Fort. A cette joyeuse nouvelle chacun va voir, mais encore ne se trouvoit-il persone qui eût si bonne veue que lui, quoy qu'il soit âgé de plus de cent ans. Neantmoins on découvrit bientôt ce qui en étoit. Le sieur de Poutrincourt fit en diligence apprêter la petite barque pour aller reconoitre. Champ-doré & Daniel Hay y allèrent & par le signal qu'ils nous donnèrent étans certains que c'étoient amis, incontinent fimes charger quatre canons, & une douzaine de fauconneaux, pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin. Eux de leur part ne manquèrent à commencer la fête, & décharger leurs pièces, auxquels fut rendu le réciproque avec usure. C'étoit tant seulement une petite barque marchant souz la charge d'un jeune homme de saint-Malo nommé Chevalier, lequel arrivé au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrincourt, léquelles furent leuës publiquement. On lui mandoit que pour ayder à sauver les frais du voyage, le navire (qui étoit encor le JONAS) s'arreteroit au port de Campseau pour y faire pêcherie de Morues, les marchans associez du sieur de Monts ne sachans pas qu'il y eût pêcherie plus loin que ce lieu: toutefois que s'il étoit necessaire il fit venir ledit navire au Port Royal. Au reste, que la societé étoit rompue, d'autant que contre l'honnêteté & devoir les Holandois (qui ont tant d'obligations à la France) conduits par un traitre François nommé La Jeunesse, avoient l'an précèdent enlevé les Castors & autres pelleteries de la Grande Rivière de Canada: chose qui tournoit au Grand detriement de la societé, laquelle partant ne pouvoit plus fournir aux frais de l'habitation de delà, comme elle avoit fait par le passé. Joint qu'au Conseil du Roy (pour ruiner cet affaire) on avoit nouvellement révoqué le privilège octroyé pour dix ans au sieur de Monts pour la traicte des Castors, chose que l'on n'eût jamais esperé. Et pour cette cause n'envoyoient persone pour demeurer là après nous. Si nous eûmes de la joye de voir nôtre secours asseuré, nous eûmes aussi une grande tristesse de voir une si belle & si sainte entreprise rompue; que tant de travaux & de périls passez ne servissent de rien: & que l'esperance de planter là le nom de Dieu, & la Foy Catholique, s'en allât evanouie.» (Liv. IV, ch. XVII.)

Note 154: (retour)

Il ne faut pas confondre ce duc d'Orléans, second fils de Henri IV, avec son frère Gaston, qui ne prit le titre de duc d'Orléans qu'après la mort de celui dont il est ici question. Ce second fils de Henri IV mourut, sans être nommé, à Saint-Germain-en-Laye, le 17 novembre 1611. Il était né le 16 avril de cette année 1607. (Hist. généalogique de la France, t. I, p. 146.)

Depuis le commencement de Juin jusqu'au 20 du mois, s'assemblerent en ce lieu quelque 30 ou 40 155 sauvages, pour s'en aller faire la guerre aux Almouchiquois, & venger la mort de Panounia, qui fut enterré par les sauvages selon leur 123/271coustume, lesquels donnèrent en aprés quantité de pelleterie à un sien frere. Les presens faicts, ils partirent tous de ce lieu le 29 de Juin pour aller à la guerre à Chouacoet, qui est le pays des Almouchiquois.

Note 155: (retour)

Environ quatre cents, d'après Lescarbot. «Au commencement de Juin,» dit-il, liv. IV, ch. XVII, «les Sauvages, au nombre d'environ quatre cens, partirent de la cabanne que le Sagamos Membertou avoit façonné de nouveau en forme de ville environnée de hautes palissades, pour aller à la guerre contre les Almouchiquois... Les Sauvages furent prés de deux mois à s'assembler là. Membertou le grand Sagamos les avoit fait avertir durant & avant l'hiver, leur ayant envoyé hommes exprés, qui étoient ses deux fils Actaudin & Actauddinech, pour leur donner là le rendez-vous.» (Liv. IV, ch. XVII.)

Quelques jours après l'arrivée dudict Chevalier, le sieur de Poitrincourt l'envoya à la riviere S. Jean & saincte Croix pour traicter quelque pelleterie: mais il ne le laissa pas aller sans gens pour ramener la barque, d'autant que quelques uns avoient raporté qu'il desiroit s'en retourner en France avec le vaisseau où il estoit venu, & nous laisser en nostre habitation. L'Escarbot estoit de ceux qui l'accompagnèrent, lequel n'avoit encores sorty du port Royal: c'est le plus loin qu'il ayt esté, qui sont seulement 14 à 15 lieues plus avant que ledit port Royal 156.

Note 156: (retour)

«Je ne sçay, dit Lescarbot, à quel propos Champlein en la relation de ses voyages imprimés l'an mil six cens treize, s'amuse à écrire que je n'ay point été plus loin que Sainte-Croix, veu que je ne di pas le contraire. Mais il est peu memoratif de ce qu'il fait, disant là même, p. 151» (anc. édit.) «que dudit Sainte-Croix au port Royal n'y a que quatorze lieues, & en la page 95» (p. 76 de cette édit.) «il avoit dit qu'il y en a 25. Et si on regarde sa charte géographique, il s'en trouvera pour le moins quarante.» (Liv. IV, ch. XVII.)—Il ne faut pas faire un crime à Lescarbot d'avoir été piqué de la remarque de Champlain; mais il est évident que la mauvaise humeur lui fait voir des contradictions là où il n'y en a point. Champlain ne dit pas précisément qu'il y ait quatorze lieues de Port-Royal à Sainte-Croix, mais seulement que Lescarbot ne fut pas plus loin que quatorze ou quinze lieues au-delà de Port-Royal; ce qui n'est point exact, il est vrai, si l'auteur veut parler de la distance à Sainte-Croix; mais il est visible que Champlain, dans cette phrase, reporte sa pensée sur la rivière Saint-Jean, où Chevalier se rendait directement, et qui est en effet à quatorze ou quinze lieues de Port-Royal. Quant aux distances marquées dans les cartes de Champlain, il est impossible, avec toute la bonne volonté du monde, de trouver même trente lieues de Sainte-Croix à Port-Royal. Ce qui a trompé Lescarbot, sans doute, c'est que, dans les cartes de Champlain, les chiffres de ses échelles, au lieu d'être marqués au bout de chacune des divisions, sont placés au milieu de l'espace qui les sépare.

Attendant le retour dudit Chevalier, le sieur de Poitrincourt fut au fonds de la baye Françoise dans une chalouppe avec 7 à 8 hommes. Sortant du port & mettant le cap au Nordest quart de 124/272l'Est le de la coste quelque 25 lieues, fusmes à un cap, où le sieur de Poitrincourt voulut monter sur un rocher de plus de 30 thoises de haut, où il courut fortune de sa vie: d'autant qu'estant sur le rocher, qui est fort estroit, où il avoit monté avec assez de difficulté, le sommet trembloit soubs luy: le subject estoit que par succession de temps il s'y estoit amassé de la mousse de 4 à 5 pieds d'espois laquelle n'estant solide, trembloit quand on estoit dessus, & bien souvent quand on mettoit le pied sur une pierre il en tomboit 3 ou 4 autres: de sorte que s'il y monta avec peine, il descendit avec plus grande difficulté, encore que quelques matelots, qui sont gens assez adroits à grimper, luy eussent porté une haussiere (qui est une corde de moyenne grosseur) par le moyen de laquelle il descendit. Ce lieu fut nommé le cap de Poitrincourt 157, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers de latitude.

Note 157: (retour)

Ce cap a été appelé depuis cap Fendu (Cape Split). Sa latitude est de 45° 22'.

Nous fusmes au fonds d'icelle baye 158, & ne vismes autre chose que certaines pierres blanches à faire de la chaux: Mais en petite quantité, & force mauves, qui sont oiseaux, qui estoient dans des isles: Nous en prismes à nostre volonté, & fismes le tour de la baye pour aller au port aux mines, où j'avois esté auparavant, & y menay le sieur de Poitrincourt, qui y print quelques petits morceaux de cuivre, qu'il eut avec bien grand peine. Toute ceste baye peut contenir quelque 20 lieues de circuit, où il y a au fonds une petite riviere, qui est fort 125/273platte & peu d'eau. Il y a quantité d'autres petits ruisseaux & quelques endroits, où il y a de bons ports, mais c'est de plaine mer, où l'eau monte de cinq brasses. En l'un de ces ports 159 3 à 4 lieues au Nort du cap de Poitrincourt trouvasmes une Croix qui estoit fort vieille, toute couverte de mousse & presque toute pourrie, qui monstroit un signe evident qu'autrefois il y avoit esté des Chrestiens. Toutes ces terres sont forests tres-espoisses, où le pays n'est pas trop aggreable, sinon en quelques endroits.

Note 158: (retour)

Le bassin des Mines.

Note 159: (retour)

Probablement la baie de Greville.

Estant au port aux mines nous retournasmes à nostre habitation. Dedans icelle baye y a de grands transports de marée qui portent au Surouest.

Le 12 de Juillet arriva Ralleau secretaire du sieur de Mons, luy quatriesme dedans une chalouppe, qui venoit d'un lieu appelé Niganis160, distant du port Royal de quelque 160 ou 170 lieues, qui confirma au sieur de Poitrincourt ce que Chevalier lui avoit raporté.

Note 160: (retour)

Ou Niganiche, dans l'île du Cap-Breton, à six ou sept lieues au sud du cap de Nord.

Le 3 Juillet 161 on fit équiper trois barques pour envoyer les hommes & commoditez qui estoient à nostre habitation pour aller à Campseau, distant de 115 lieues de nostre habitation, & à 45 degrez & un tiers de latitude, où estoit le vaisseau162 qui faisoit pesche de poisson, qui nous devoit repasser en France.

Note 161: (retour)

Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait le 30 juillet, ce qui s'accorderait assez bien avec le récit de Lescarbot. Voici comment celui-ci rapporte les circonstances du départ. «Sur le point qu'il falut dire adieu au Port Royal, le sieur de Poutrincourt envoya son peuple les uns après les autres trouver le navire, à Campseau... Nous avions une grande barque, deux petites & une chaloupe. Dans l'une des petites barques on mit quelques gens que l'on envoya devant. Et le trentième de Juillet partirent les deux autres. J'étois dans la grande, conduite par Champ-doré». (Liv. IV, ch. XVIII.)

Note 162: (retour)

C'était le Jonas, par lequel était retourné Pont-Gravé. (Lescarbot, liv. IV, ch. XVII.)

126/274Le sieur de Poitrincourt renvoya tous ses compagnons, & demeura luy neufieme en l'habitation pour emporter en France quelques bleds qui n'estoient pas bien à maturité.

Le 10 d'Aoust arriva de la guerre Mabretou, lequel nous dit avoir esté à Chouacoet, & avoir tué 20 sauvages & 10 ou 12 de blessez, & que Onemechin chef de ce lieu, Marchin, & un autre avoient esté tués par Sasinou chef de la riviere de Quinibequi, lequel depuis fut tué par les compagnons d'Onemechin & Marchin. Toute ceste guerre ne fut que pour le subject de Panounia sauvage de nos amis, lequel, comme j'ay dict cy dessus avoit esté tué à Norembegue par les gens dudit Onemechin & Marchin.

Les chefs qui sont pour le jourd'huy en la place d'Onemechin, Marchin, & Sasinou, sont leurs fils, sçavoir pour Sasinou, Pememen: Abriou pour Marchin son père: & pour Onemechin Queconsicq. Les deux derniers furent blessez par les gens de Mabretou, qui les attrapèrent soubs apparence d'amitié, comme est leur coustume, de quoy on se doit donner garde, tant des uns que des autres.




Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous ses gens.

CHAPITRE XVII.

L'onsieme du mois d'Aoust partismes de nostre habitation dans une chalouppe, & rengeasmes la coste jusques au cap Fourchu, où 127/275j'avois esté auparavant.

Continuant nostre routte le long de la coste jusques au cap de la Héve (où fut le premier abort avec le sieur de Mons, le 8 de May 1604.) nous recogneusmes la coste depuis ce lieu jusques à Campseau, d'où il y a prés de 60 lieues: ce que n'avois encor fait, & la vis lors fort particulièrement, & en fis la carte comme du reste.

Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre, qui est une isle ainsi appelée par quelques Mallouins163, distante de la Héve de 15 lieues. En ce chemin y a quantité d'isles qu'avions nommées les Martyres pour y avoir eu des françois autrefois tués par les sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac & bayes: En une desquelles y a une riviere appelée saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la hauteur de 44 degrez & 23 minuttes de latitude. Les isles & costes sont remplies de quantité de pins, sapins, boulleaux, & autres meschants bois. La pesche du poisson y est abbondante, comme aussi la chasse des oiseaux.

Note 163: (retour)

En souvenir d'une petite île du même nom qui est en face de Saint-Malo. De Sésambre, on a fait S. Sambre, et les navigateurs anglais, qui ne sont pas fort dévots aux saints, l'ont appelée simplement Sambro.

De Sesambre passames une baye fort saine164 contenant sept à huit lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau 165, & fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues mettant le cap au Nordest quart d'Est, qui est assez bon pour des vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son entrée 128/276y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la grande terre. Nous avons nommé ce lieu, le port saincte Helaine166, qui est par la hauteur de 44 degrez 40 minuttes peu plus ou moins de latitude.

Note 164: (retour)

Cette baie Saine était appelée par les sauvages Chibouctou. C'est la baie d'Halifax.

Note 165: (retour)

C'est, sans doute, pour cette raison que l'auteur l'appelle rivière Flatte, dans son édition de 1632.

Note 166: (retour)

Le port de Sainte-Hélène est probablement celui qu'on a appelé plus tard baie de Théodore, et dont on a fait Jeddore.

De ce lieu fusmes à une baye appelée la baye de toutes isles 167, qui peut contenir quelques 14 à 15 lieues: lieux qui sont dangereux à cause des bancs, basses & battures qu'il y a. Le pays est tresmauvais à voir, rempli de mesmes bois que j'ay dict cy dessus. En ce lieu fusmes contrariez de mauvais temps.

Note 167: (retour)

Ce qu'on a appelé, et ce qu'on appelle encore baie de Toutes-Iles, n'est pas à proprement parler une baie. Dès les premiers temps, on désignait sous ce nom tout l'archipel qui s'étend depuis la chaîne de la rivière Théodore, jusqu'à quelques lieues en deçà de la rivière Sainte-Marie; ce qui pouvait faire quatorze à quinze lieues, comme dit Champlain. Aujourd'hui, ce que l'on appelle baie des Iles, ne s'étend que du havre au Castor jusqu'à celui de Liscomb; c'est-à-dire que la baie des Iles d'aujourd'hui n'est pas même la moitié de la baie de Toutes-Iles d'autrefois.

De là passames proche d'une riviere qui en est distante de six lieues qui s'appelle la riviere de l'isle verte 168, pour y en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez un quart de latitude.

Note 168: (retour)

Denys, dans sa Description de l'Amérique, t. I, p. 116, dit que la rivière de l'île Verte «a elle nommée Sainte-Marie par La Giraudière, qui s'y est venu habiter.» Près de l'entrée de cette rivière, il y a une île appelée Pierre-à-Fusil (Wedge Island), qui doit avoir porté le nom d'île Verte, que l'on donne aujourd'hui à une autre île, située à l'entrée du port Sandwich ou Country harbour; et une des raisons qui viennent à l'appui de cet avancé, c'est l'expression dont se sert ici Champlain, pour y en avoir une en son entrée. En effet cette île est seule à l'entrée de la rivière de Sainte-Marie; tandis que celle qu'on appelle aujourd'hui île Verte ou Green island, est la plus petite des trois qui sont situées à l'entrée du «cul-de-sac» dont parle l'auteur un peu plus loin.

129/277De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac 169, & deux ou trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte trois lieux. Nous passames aussi par plusieurs isles qui sont rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles rangées170, distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En après passames par une autre baye 171, où il y a plusieurs isles, & fusmes jusque à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloignées de la terre, distantes des isles rangées quatre lieues, & 130/278nommasmes 172 ce lieu le port de Savalette, qui estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche qui estoit Basque, lequel nous fit bonne chère, & fut tres-aise de nous voir: d'autant qu'il y avoit des sauvages qui luy vouloient faire quelque desplaisir: ce que nous empeschasmes.

Note 169: (retour)

Ce cul-de-sac, à l'entrée duquel il y a trois îles, était appelé autrefois Mocodome. Aujourd'hui il est connu sous le nom de Country harbour. Le cap qui ferme le port du côté de l'ouest a seul retenu le nom ancien.

Note 170: (retour)

Ces îles sont près de la terre ferme, à l'est de l'entrée de la rivière Sainte-Catherine.

Note 171: (retour)

Cette baie est évidemment celle qui porte maintenant le nom de Tor bay.

Note 172: (retour)

Quand l'auteur emploie cette expression nommâmes, il veut dire simplement que le nom a été donné ou suggéré par quelqu'un de la troupe. Cette fois ce fut à Lescarbot. «Nous arrivâmes, dit-il, à quatre lieues de Campseau, à un Port où faisoit sa pêcherie un bon vieillart de Saint-Jean de Lus nommé le Capitaine Savalet, lequel nous receut avec toutes les courtoisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui est petit, mais tres-beau) n'a point de nom, je l'ay qualifié sur ma Charte géographique du nom de Savalet. Ce bon personnage nous dit que ce voyage étoit le quarante-deuxième qu'il faisoit pardela, & toutefois les Terreneuviers n'en font tous les ans qu'un. Il étoit merveilleusement content de sa pêcherie, & nous disoit qu'il faisoit tous les jours pour cinquante écus de Morues: & que son voyage vaudroit dix mille francs. Il avoit seze hommes à ses gages: & son vaisseau étoit de quatre vints tonneaux, qui pouvoit porter cent milliers de morues seches. Il étoit quelquefois inquiété des Sauvages là cabannez, léquelz trop privément & impudemment alloient dans son navire, & lui cmportoient ce qu'ilz vouloient. Et pour éviter cela il les menaçoit que nous viendrions & les mettrions tous au fil de l'épée s'ilz lui faisoient tort. Cela les intimidoit, & ne lui faisoient pas tout le mal qu'autrement ilz eussent fait. Neantmoins toutes les fois que les pécheurs arrivoient avec leurs chaloupes pleines de poissons, ces Sauvages choisissoient ce que bon leur sembloit, & ne s'amusoient point au Morues, ains prenoient des Merlus, Bars, & Flétans qui vaudroient ici à Paris quatre écus, ou plus. Car c'est un merveilleusement bon manger, quand principalement ilz sont grands & épais de six doits, comme ceux qui se péchoient là. Et eût été difficile de les empêcher en cette insolence, d'autant qu'il eût toujours fallu avoir les armes en main, & la besogne fût demeurée. Or l'honnêteté de cet homme ne s'étendit pas seulement envers nous, mais aussi envers tous les nôtres qui passerent à son Port, car c'étoit le passage pour aller & venir au Port-Royal. Mais il y en eut quelques uns de ceux qui nous vindrent querir, qui faisoient pis que les Sauvages, & se gouvernoient envers lui comme fait ici le gend'arme chez le bon homme: chose que j'ouy fort à regret.» Plusieurs raisons nous font croire que le port de Savalette est celui qu'on appelle aujourd'hui White haven. Il est à environ quatre lieues des îles Rangées, et à six de Canseau, comme l'auteur le remarque plus loin. Il est vrai que Lescarbot le met à quatre lieues seulement de Canseau; mais rien, dans son récit, ne vient confirmer son avancé: tandis que notre auteur marque séparément la distance du port de Savalette aux îles Rangées et à Canseau, et que ces deux distances réunies donnent exactement le nombre de lieues qu'il y a des îles Rangées à Canseau. De plus, à l'entrée de ce port, il y a plusieurs îles qui sont un peu éloignées de la terre; et, dans le port même, certains noms que l'on y retrouve, semblent rappeler la mémoire du vieux voyageur basque, comme l'île du Pêcheur, la pointe au Pilote.

Partant de ce lieu arrivasmes à Campseau le 27 du mois, distant du port de Savalette six lieues, ou passames par quantité d'isles jusques audit Campseau, où trouvasmes les trois barques arrivées à port de salut. Champdoré & l'Escarbot vindrent audevant de nous pour nous recevoir. Aussi trouvasmes le vaisseau prest à faire voile qui avoit fait sa pesche, & n'attendoit plus que le temps pour s'en retourner: cependant nous nous donnasmes du plaisir parmy ces isles, où il y avoit telle quantité de framboises qu'il ne se peut dire plus.

Toutes les costes que nous rengeasmes depuis le cap de Sable jusques en ce lieu sont terres médiocrement hautes, & costes de rochers, en la pluspart des endroits bordées de nombres d'isles & brisans qui jettent à la mer par endroits prés de deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abort des vaisseaux: Neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & raddes le long des costes Seines, s'ils estoient descouverts. Pour ce qui est de la terre elle est plus mauvaise & mal aggreable, qu'en autres lieux qu'eussions veus; si ce ne sont en quelques rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez plaisant: & ne faut doubter qu'en ces lieux l'yver n'y soit froid, y durant prés de six à sept mois.

131/279Ce port de Campseau 173 est un lieu entre des isles qui est de fort mauvais abord, si ce n'est de beau-temps, pour les rochers & brisans qui sont au tour. Il s'y fait pesche de poisson vert & sec.

Note 173: (retour)

Ce nom de Campseau ou Canseau, que les Anglais écrivent Canso, est sauvage, suivant Lescarbot (page 221 de la 3e édition). Le P. F. Martin (App. de sa trad. du P. Bressani, p. 320), après avoir mentionné Lescarbot, au sujet de ce mot, ajoute: «Thévet, dans un manuscrit de 1586, dit qu'il vient de celui d'un navigateur français nommé «Canse.» Le passage du manuscrit de 1586 est extrait mot pour mot de la Cosmographie Universelle de Thévet. Or, en cet endroit l'auteur parle des Antilles, et non du Canada; et, en second lieu, il n'écrit pas Canse, mais Cause. Voici le passage en entier: «Quant à l'isle de Virgengorde & celle de Ricque» (Porto-Rico), «basse & sablonneuse, il vous faut tirer à celle de Sainct Domingue, & conduire les vaisseaux droit à la poincte de la Gouade» (del Aguada) «qui est au bout de l'isle» (de Porto-Rico), «puis à celle de Mona, premièrement que venir aborder & mouiller l'ancre à l'isle Espagnole. Passé qu'avez, & doublé la haulteur de laditte isle, vous apparoist la terre de Cause, qui prend son nom de l'un des vaillans Capitaines pilotes, natif d'une certaine villette, nommée Cause» (Cozes), «en Xainctonge, une lieue de maison de Madion.» (Cosm. Universelle, verso du fol. 993.) Thévet ne parle donc point de Canseau, dans ce passage, et son témoignage n'infirme en rien celui de Lescarbot.

De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton qui est par la hauteur de 45 degrez trois quars174 de latitude & 14 degrez 50 minuttes175 de declinaison de l'aimant y a huit lieues, & jusques au cap Breton 25, où entre les deux y a une grande baye 176 qui entre quelque 9 ou 10 lieues dans les terres & fait passage entre l'isle du cap Breton & la grand terre qui va rendre en la grand baye sainct Laurens, par où on va à Gaspé & isle parcée, où se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle du cap Breton est fort estroit: Les grands vaisseaux n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des grands courans & transports de marée qui y sont: & avons nommé ce lieu le passage courant 177, qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude.

Note 174: (retour)

L'extrémité la plus méridionale de l'île du Cap-Breton est à 45° 34', et la latitude du cap Breton lui-même est de 45° 57' environ.

Note 175: (retour)

Il est assez probable qu'il faut lire 24° 50'. Aujourd'hui la variation de l'aiguille au cap Breton est de prés de 24° de déclinaison occidentale.

Note 176: (retour)

La baie de Chédabouctou, que l'on a appelée quelque temps baie de Milford.

Note 177: (retour)

Le passage Courant a pris plus tard le nom de Fronsac, et aujourd'hui on l'appelle passage ou détroit de Canseau.

132/280Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a quelque 80 lieues de circuit, & est la pluspart terre montagneuse: Neantmoins en quelques endroits fort aggreable. Au milieu d'icelle y a une manière de lac178, où la mer entre par le costé du Nord quart du Nordouest, & du Su quart du Suest179: & y a quantité d'isles remplies de grand nombre de gibier, & coquillages de plusieurs sortes: entre autres des huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a deux ports, où l'on fait pesche de poisson: sçavoir le port aux Anglois180, distant du cap Breton quelque 2 à 3 lieues: & l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues au Nord quart du Nordouest. Les Portuguais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y passèrent un yver: mais la rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur habitation.

Note 178: (retour)

Le Bras-d'or, ou Labrador, dont le nom sauvage était Bideauboch, d'après Bellin.

Note 179: (retour)

L'auteur, dans sa carte de 1613, indique en effet une communication entre le Bras-d'Or et les eaux du golfe vers le nord-quart-de-nord-ouest; mais il n'en marque aucune du côté du sud-est. On sait que le Bras-d'Or ne communique avec la mer que du côté de l'est par la Grande et la Petite Entrées.

Note 180: (retour)

Le port de Louisbourg.

Le 3 Septembre partismes de Campseau 181.

Note 181: (retour)

«Nous levâmes les ancres, dit Lescarbot, & avec beaucoup de difficultez sortimes hors les brisans qui sont aux environs dudit Campseau. Ce que nos mariniers firent avec deux chaloupes qui portoient les ancres bien avant en mer pour soutenir notre vaisseau, à fin qu'il n'allât donner contre les rochers. En fin étans en mer on laissa à l'abandon l'une dédites chaloupes, & l'autre fut tirée dans le Jonas, lequel outre notre charge portoit cent milliers de Morues, que seches que vertes. Nous eûmes assez bon vent jusques à ce que nous approchâmes les terres de l'Europe.» (Liv. IV, ch. XVIII.)

Le 4 estions le travers de l'isle de Sable.

Le 6 Arrivasmes sur le grand banc, où se fait la pesche du poisson vert, par la hauteur de 45 degrez & demy de latitude.

Le 26 entrasmes sur la Sonde proche des costes de Bretagne & Angleterre, à 65 brasses d'eau, & par la hauteur de 49 degrez & demy de latitude.

133/281Et le 28, relachasmes à Roscou182 en basse Bretagne, ou fusmes contrariés du mauvais temps jusqu'au dernier de Septembre, que le vent venant favorable nous nous mismes à la mer pour parachever nostre routte jusques à sainct Maslo183, qui fut la fin de ces voyages 184, où Dieu nous conduit sans naufrage ny péril.

Note 182: (retour)

«Nous demeurâmes» à Roscou, dit Lescarbot, «deux jours & demi à nous rafraîchir. Nous avions un sauvage qui se trouvoit assez étonné de voir les batimens, clochers & moulins à vent de France: même les femmes qu'il n'avoit onques veu vêtues à notre mode.»

Note 183: (retour)

«En quoy je ne puis que je ne loue,» ajoute Lescarbot, «la prévoyante vigilance de notre maître de navire Nicolas Martin, de nous avoir si dextrement conduit en une telle navigation, & parmi tant d'écueils & capharées rochers dont est remplie la cote d'entre le cap d'Ouessans & ledit Saint Malo. Que si cetui ci est louable en ce qu'il a fait, le capitaine Foulques ne l'est moins de nous avoir mené parmi tant de vents contraires en des terres inconues où nous nous sommes efforcés de jetter les premiers fondemens de la Nouvelle France.»

Note 184: (retour)

Le vaisseau de Chevalier, qui était de Saint-Malo, était rendu à sa destination. Champlain dut prendre de là le chemin de la Saintonge. Messieurs de Poutrincourt, de Biencourt et Lescarbot, y demeurèrent encore quelques jours, pendant lesquels ils visitèrent le Mont-Saint-Michel et les pêcheries de Cancale; puis ils se mirent dans une barque qui les conduisit à Honfleur. «En cette navigation,» dit Lescarbot, «nous servit beaucoup l'expérience du sieur de Poutrincourt, lequel voyant que nos conducteurs étoient au bout de leur latin, quand il se virent entre les iles de Jersey & Sart» (Serck) «... il print sa Charte marine en main, & fit le maitre de navire, de manière que nous passames le Raz-Blanchart (passage dangereux à des petites barques) & vinmes à l'aise suivant la côte de Normandie audit Honfleur.» (Liv. IV, ch. XVIII.)

Fin des voyages depuis l'an 1604, jusques en 1608.




135/283

LES VOYAGES
FAITS AU GRAND FLEUVE
SAINCT LAURENS PAR LE
sieur de Champlain Capitaine ordinaire
pour le Roy en la marine, depuis
l'année 1608. jusques en 1612.


LIVRE SECOND.




Resolution du sieur de Mons pour faire les descouvertures par dedans les terres; sa commission, & enfrainte d'icelle par des Basques qui désarmèrent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accort qu'ils firent après entre eux.

CHAPITRE I.

stant de retour en France après avoir sejourné trois ans au pays de la nouvelle France, je fus trouver le sieur de Mons, auquel je recitay les choses les plus singulieres que j'y eusse veues depuis son partement, & luy donnay la carte & plan des costes & ports les plus remarquables qui y soient.

Quelque temps après ledit sieur de Mons se delibera de continuer ses dessins, & parachever de descouvrir dans les terres par le grand fleuve S. Laurens, où j'avois esté par le commandement du feu Roy HENRY LE GRAND en l'an 1603. quelque 136/284180 lieues, commençant par la hauteur 48 degrez deux tiers de latitude, qui est Gaspé entrée dudit fleuve jusques au grand saut, qui est sur la hauteur de 45 degrez & quelques minuttes de latitude, où finist nostre descouverture, & où les batteaux ne pouvoient passer à nostre jugement pour lors: d'autant que nous ne l'avions pas bien recogneue comme depuis nous avons fait.

Or après que par plusieurs fois le sieur de Mons m'eust discouru de son intention touchant les descouvertures, print resolution de continuer une si genereuse, & vertueuse entreprinse, quelques peines & travaux qu'il y eust eu par le passé. Il m'honora de sa lieutenance pour le voyage: & pour cest effect fit equipper deux vaisseaux, où en l'un commandoit du Pont-gravé, qui estoit député pour les negotiations, avec les sauvages du pays, & ramener avec luy les vaisseaux: & moy pour hyverner audict pays.

Le sieur de Mons pour en supporter la despence obtint lettres de sa Majesté pour un an, où il estoit interdict à toutes personnes de ne trafficquer de pelleterie avec les sauvages, sur les peines portées par la commission qui ensuit.

«HENRY PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A nos amez & féaux Conseillers, les officiers de nostre Admirauté de Normandie, Bretaigne & Guienne, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Juges ou leurs Lieutenans, & à chacun d'eux endroict soy, en l'estendue de leurs ressorts, Jurisdictions & destroits, Salut: Sur l'advis qui nous a esté donné par ceux qui sont venus de la nouvelle France, de la bonté, fertilité des terres dudit pays, & que les peuples d'iceluy sont disposez à recevoir la cognoissance de Dieu, Nous avons resolu de faire continuer l'habitation qui avoit esté cy devant commencée audit pays, à fin que nos subjects y puissent aller librement trafficquer. Et sur l'offre que le sieur de Monts Gentil-homme ordinaire de nostre chambre, & nostre Lieutenant General audit pays, nous aurait proposée de faire ladite habitation, en luy 137/285donnant quelque moyen & commodité d'en supporter la despence: Nous avons eu aggreable de luy promettre & asseurer qu'il ne serait permis à aucuns de nos subjects qu'à luy de trafficquer de pelleteries & autres marchandises, durant le temps d'un an seulement, és terres, pays, ports, rivieres & advenues de l'estendue de sa charge: Ce que voulons avoir lieu. Nous pour ces causes & autres considerations, à ce nous mouvans, vous mandons & ordonnons que vous ayez chacun de vous en l'estendue de vos pouvoirs, jurisdictions & destroicts, à faire de nostre part, comme nous faisons tres-expressement inhibitions & deffences à tous marchands, maistres & Capitaines de navires, matelots, & autres nos subjects, de quelque qualité & condition qu'ils soient, d'equipper aucuns vaisseaux, & en iceux aller ou envoyer faire traffic, ou trocque de Pelleteries, & autres choses avec les Sauvages de la nouvelle France, fréquenter, negotier, & communiquer durant ledit temps d'un an en l'estendue du pouvoir dudit sieur de Monts, à peine de desobeyssance, de confiscation entière de leurs vaisseaux, vivres, armes, & marchandises, au proffit dudit sieur de Monts & pour asseurance de la punition de leur desobeissance: Vous permettrez, comme nous avons permis & permettons audict sieur de Monts ou ses lieutenans, de saisir, appréhender, & arrester tous les contrevenans à nostre présente deffence & ordonnance, & leurs vaisseaux, marchandises, armes, vivres, & vituailles, pour les amener y remettre és mains de la Justice, & estre procedé, tant contre les personnes que contre les biens des desobeyssans, ainsi qu'il appartiendra. Ce que nous voulons, & vous mandons faire incontinent lire & publier par tous les lieux & endroicts publics de vosdits pouvoirs & jurisdictions, où vous jugerez, besoin estre, par le premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis, en vertu de ces presentes, ou coppie d'icelles, deuement collationnées pour une fois seulement, par l'un de nos amez & féaux Conseillers, Notaires & Secrétaires, ausquelles voulons foy estre adjoustée comme au present original, afin qu'aucuns de nosdits subjects n'en prétendent cause d'ignorance, ains que chacun obeysse & se conforme sur ce à nostre volonté. Mandons en outre à tous Capitaines de navires, maistres d'iceux, contre-maistres, matelots, & autres estans dans vaisseaux ou navires au port & havres dudit pays, de permettre, comme nous avons permis audit sieur de Monts, & autres ayant pouvoir & charge de luy, de visiter dans leursdits vaisseaux qui auront traicté de laditte Pelleterie, aprés que les presentes deffences leur auront esté signifiées. Nous voulons qu'à la requeste dudit sieur de Monts, ses lieutenans, & autres ayans charge, vous procédiez contre les desobeyssans & contrevenans, ainsi qu'il appartiendra: De ce faire vous donnons pouvoir, authorité, commission, & mandement special, nonobstant l'Arrest de nostre Conseil du 17e jour de Juillet dernier, clameur de haro, chartre normande, prise à-partie, oppositions, ou appellations quelsconques: Pour lesquelles, & sans prejudice d'icelles, ne voulons estre differé, & dont si aucune interviennent, nous en avons retenu & reservé à nous & à nostre Conseil la cognoissance, privativement à tous autres juges, & icelle interdite & défendue à toutes nos Cours & Juges: Car tel est nostre plaisir. Donné a Paris le septiesme jour de Janvier l'an de grâce, mil six cents huict. Et de nostre règne le dix-neufiesme. Signé, HENRY. Et plus bas. Par le Roy, Delomenie.

Et seellé sur simple queue du grand seel de cire jaulne,

Collationné à l'original par moy Conseiller, Notaire & Secrétaire du Roy.»

138/286Je fus à Honnefleur pour m'embarquer, où je trouvay le vaisseau de Pontgravé prest, qui partit du port, le 5 d'Avril; & moy le 13 & arrivay sur le grand banc le 15 de May, par la hauteur de 45 degrez & un quart de latitude, & le 26 eusmes cognoissance du cap saincte Marie, qui est par la hauteur de 46 degrez trois quarts 185 de latitude, tenant à l'isle de terreneufve. Le 27 du mois eusmes la veue du cap sainct Laurens tenant à la terre du cap Breton & isle de sainct Paul, distante du cap de saincte Marie 83 lieues. Le 30 du mois eusmes cognoissance de l'isle percée, & de Gaspé qui est soubs la hauteur de 48 degrez deux tiers de latitude, distant du cap de sainct Laurens, 70 à 75 lieues.

Le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac186, distant de Gaspé 80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'ancre à la radde du port 187 de Tadoussac, qui est à une lieue du port, lequel est comme une ance à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée fort estrange pour sa vistesse, où quelquesfois il vient des vents impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que ceste riviere a quelque 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au premier saut, qui vient du Nort Norouest. Ce port est petit, & n'y pourroit que quelque 20 vaisseaux: Il y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de Saguenay & d'une petite isle de rochers qui est presque coupée de la mer.

Note 186: (retour)

Ce que l'auteur dit ici de Tadoussac, est emprunté presque mot pour mot au Voyage de 1603, p. 4-22.

Note 187: (retour)

La rade du port de Tadoussac est le mouillage du Moulin-Baude.

139/287Le reste sont montaignes hautes eslevées, où il y a peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sappins & bouleaux 188. Il y a un petit estanc proche du port renfermé de montagnes couvertes de bois. A l'entrée y a deux pointes l'une du costé du Surouest, contenant prés d'une lieue en la mer, qui s'appelle la pointe sainct Matthieu, ou autrement aux Allouettes, & l'autre du costé du Nordouest contenant demy quart de lieue, qui s'appele la pointe de tous les Diables 189, pour le grand danger qu'il y a. Les vents du Su Suest frappent dans le port, qui ne sont point à craindre: mais bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées assechent de basse mer: nostre vaisseau ne peust entrer dans le port pour n'avoir le vent & marée propre. Je fis aussitost mettre nostre basteau hors du vaisseau pour aller au port voir si Pont-gravé estoit arrivé. Comme j'estois en chemin, je rencontray une chalouppe & le pilotte de Pont-gravé & un Basque, qui me venoit advertir de ce qui leur estoit survenu pour avoir voulu faire quelques deffences aux vaisseaux Basques de ne traicter suivant la commission que le sieur de Mons avoit obtenue de sa majesté, Qu'aucuns vaisseaux ne pourroient traicter sans la permission du sieur de Monts, comme il estoit porté par icelle.

Note 188: (retour)

L'auteur avait dit, en 1603, «pins, cyprez, sapins & quelques manières d'arbres de peu.» Il semble avoir reconnu que ce qu'il appelait cyprès n'en était pas réellement.

Note 189: (retour)

Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Voir 1603, note 2 de la page 6.

Et que nonobstant les significations que peust faire Pont-gravé de la part de sa Majesté, ils ne laissoient de traicter la 140/288force en la main, & qu'ils s'estoient mis en armes & se maintenoient si bien dans leur vaisseau, que faisant jouer touts leurs canons sur celuy de Pont-gravé, & tirant force coups de mousquets, il fut fort blessé, & trois des siens, dont il y en eust un qui en mourut, sans que le Pont fit aucune resistance: Car dés la première salve de mousquets qu'ils tirèrent il fut abbatu par terre. Les Basques vindrent à bort du vaisseau & enleverent tout le canon & les armes qui estoient dedans, disans qu'ils traicteroient nonobstant les deffences du Roy, & que quand ils seroient prés de partir pour aller en France il luy rendroient son canon & son amonition, & que ce qu'ils en faisoient estoit pour estre en seureté. Entendant toutes ces nouvelles, cela me fascha fort, pour le commencement d'une affaire, dont nous nous fussions bien passez.

Or après avoir ouy du pilotte toutes ces choses je luy demanday qu'estoit venu faire le Basque au bort de nostre vaisseau, il me dit qu'il venoit à moy de la part de leur maistre appelé Darache, & de ses compagnons, pour tirer asseurance de moy, Que je ne leur ferois aucun desplaisir, lors que nostre vaisseau seroit dans le port.

Je fis responce que je ne le pouvois faire, que premier je n'eusse veu le Pont. Le Basque dit que si j'avois affaire de tout ce qui despendoit de leur puissance qu'ils m'en assisteroient. Ce qui leur faisoit tenir ce langage, n'estoit que la cognoissance qu'ils avoient d'avoir failly comme ils confessoient, & la crainte qu'on ne leur laissast faire la pesche de balene.

141/289Après avoir assez parlé je fus à terre voir le Pont pour prendre délibération de ce qu'aurions affaire, & le trouvay fort mal. Il me conta particulièrement tout ce qui s'estoit passé. Nous considerasmes que ne pouvions entrer audit port que par force, & que l'habitation ne fut pardue pour cette année, de sorte que nous advisasmes pour le mieux, (afin d'une juste cause n'en faire une mauvaise & ainsi se ruiner) qu'il failloit leur donner asseurance de ma part tant que je serois là & que le Pont n'entreprendroit aucune chose contre eux, mais qu'en France la justice se feroit & vuideroit le différent qu'ils avoient entr'eux.

Darache maistre du vaisseau me pria d'aller à son bort, où il me fit bonne réception. Après plusieurs discours je fis l'accord entre le Pont & luy, & luy fis promettre qu'il n'entreprendroit aucune chose sur Pont-gravé ny au prejudice du Roy & du sieur de Mons. Que s'ils faisoient le contraire je tiendrois ma parole pour nulle: Ce qui fut accordé & signé d'un chacun.

En ce lieu y avoit nombre de sauvages qui y estoient venus pour la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre vaisseau avec leurs canots190, qui sont de 8 ou 9 pas de long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts. Il sont fort subjects à tourner si on ne les sçay bien gouverner, & sont faicts d'escorce de boulleau, renforcez par le dedans de petits cercles de cèdre blanc, bien proprement arrangez: & sont si 142/290légers qu'un homme en porte aysement un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis Chouacoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac ils sont tous semblables.

Note 190: (retour)

Ce qui est dit ici du canot sauvage, est emprunté au Voyage de 1603, p. 9 et 10.




De la riviere du Saguenay, & des sauvages qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orléans; & de tout ce que nous y avons remarqué de singulier.

CHAPITRE II.

Aprés cest accord fait, je fis mettre des charpentiers à accommoder une petite barque du port de 12 à 14 tonneaux, pour porter tout ce qui nous seroit necessaire pour nostre habitation, & ne peut estre plustost preste qu'au dernier de Juin.

Cependant j'eu moyen de visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une profondeur incroyable, comme 150. & 200. brasses191. A quelque cinquante lieues de l'entrée du port, comme dit est, y a un grand saut d'eau, qui descend d'un fort haut lieu & de grande impetuosité. Il y a quelques isles dedans icelle riviere qui sont fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins & bruieres. Elle contient de large demie lieue en des endroits, & 143/291un quart en son entrée, où il y a un courant si grand qu'il est trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle porte encore hors. Toute la terre que j'y ay veue ne sont que montaignes & promontoires de rochers, la pluspart couverts de sapins & boulleaux, terre fort mal plaisante, tant d'un costé que d'autre: enfin ce sont de vrays deserts inhabités d'animaux & oyseaux: car allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme arondelles, & quelques oyseaux de riviere, qui y viennent en esté, autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure qu'il y fait. Ceste riviere vient du Norouest192.

Note 191: (retour)

L'auteur donne ici au Saguenay une trop grande profondeur; les plus forts sondages y sont de 150 brasses environ. Aussi corrige-t-il cette erreur dans sa dernière édition.

Note 192: (retour)

Ce que l'auteur dit ici du Saguenay, et de ce que lui ont rapporté les sauvages, est du Voyage de 1603, avec quelques corrections.

Les sauvages m'ont fait rapport qu'ayant passé le premier saut ils en passent huit autres, puis vont une journée sans en trouver, & de rechef en passent dix autres, & vont dans un lac, où ils font trois journées 193, & en chacune ils peuvent faire à leur aise dix lieues en montant: Au bout du lac y a des peuples qui vivent errans, & trois rivieres qui se deschargent dans ce lac, l'une venant du Nord 194, fort proche de la mer, qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les 144/292autres deux 195 d'autres costes par dedans les terres, où il y a des peuples sauvages errans qui ne vivent aussi que de la chasse, & est le lieu où nos sauvages vont porter les marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures qu'ils ont, comme castors, martres, loups serviers, & loutres, qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos vaisseaux. Ces peuples septentrionaux disent aux nostres qu'ils voient la mer salée196; & si cela est, comme je le tiens pour certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les terres par les parties du Nort. Les sauvages disent qu'il peut y avoir de la mer du Nort au port de Tadoussac 40 à 50197 journées à cause de la difficulté des chemins, rivieres & pays qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année y a des neges. Voyla au certain ce que j'ay appris de ce fleuve. J'ay desiré souvent faire ceste descouverture, mais je n'ay peu sans les sauvages, qui n'ont voulu que j'allasses avec eux ny aucuns de nos gens: Toutesfois ils me l'ont promis. Ceste descouverture ne seroit point mauvaise, pour oster beaucoup de personnes qui sont en doubte de ceste mer du Nort, par où l'on tient que les Anglois ont esté en ces dernières années pour trouver le chemin de la Chine.

Note 193: (retour)

Dans le Voyage de 1603, l'auteur avait dit «où ils sont deux jours à rapasser; en chasque jour, ils peuvent faire à leur aise quelques douze à quinze lieues»; ce qui était moins près de la réalité. Le lac Saint-Jean a dix ou onze lieues de long; mais il est à remarquer que, si les sauvages mettent deux ou trois jours à le passer, c'est parce qu'ils ne se hasardent guère à le traverser, et qu'ils en font à moitié le tour pour venir prendre l'une de ces grandes rivières dont l'auteur parle un peu plus loin.

Note 194: (retour)

La rivière Mistassini (grosse pierre), ou des Mistassins, qui est le chemin de la baie d'Hudson. On l'a appelée aussi rivière des Sables.

Note 195: (retour)

Ces deux autres rivières sont: le Chomouchouan (Achouabmoussouan, guet à l'orignal), qui vient du nord-ouest, et le Péribauca (rivière Percée), qui vient du nord-est.

Note 196: (retour)

La baie d'Hudson. Elle fut découverte en 1610 par Henry Hudson, anglais de naissance, qui y passa l'hiver, et y périt misérablement l'année suivante 1611. Voir le 4e vol. de Purchas et Belknap's Biog. I, 394-407.

Note 197: (retour)

Voir 1603, note 3 de la page 21.

292a

R du Saguenay.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Une montaigne ronde sur le bort de la riviere du Saguenay.

B Le port de Tadoussac.

C Petit ruisseau d'eau douce.

D Le lieu où cabannent les sauvages quand ils viennent pour la traicte.

E Manière d'isle qui clost une partie du port de la riviere du Saguenay.

F (1) La pointe de tous les Diables.

G La riviere du Saguenay.

H La pointe aux allouettes (2).

I Montaignes fort mauvaises, remplies de sapins & boulleaux.

L Le moulin Bode.

M La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre attendant le vent & la

marée.

N Petit estang proche du port.

O Petit ruisseau sortant de l'estang, qui descharge dans le Saguenay.

P Place sur la pointe sans arbres, où il y a quantité d'herbages.

(1) f, dans la carte. Cette pointe s'appelle aujourd'hui la pointe aux Vaches.—(2) La lettre H est placée plutôt sur la batture que sur la pointe aux Alouettes.

Je party de Tadoussac le dernier du mois 198 pour aller à Quebecq, & passames prés d'une isle qui s'apelle l'isle aux 145/293lievres, distante de six lieues dudict port, & est à deux lieues de la terre du Nort, & à prés de 4 lieues 199 de la terre du Su. De l'isle au lievres, nous fusmes à une petite riviere, qui asseche de basse mer, où à quelque 700 à 800 pas dedans y a deux sauts d'eau: Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons200, à cause que nous y en prismes. Costoyant la coste du Nort nous fusmes à une pointe qui advance à la mer, qu'avons nommé le cap Dauphin 201, distant de la riviere aux Saulmons 3 lieues. De là fusmes à un autre cap que nommasmes le cap à l'Aigle 202, distant du cap Daulphin 8 lieues: entre les deux y a une grande ance, où au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer 203. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des prairies 204 & pointes de rochers, qui advancent quelque peu dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui 146/294l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nommée la riviere du gouffre 205, d'autant que le travers d'icelle la marée y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste fusmes à un cap, que nous avons nommé le cap de tourmente 206, qui en est à cinq lieues, & l'avons ainsi nommé, d'autant que pour pe qu'il face de vent la mer y esleve comme si elle estoit plaine. En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes à l'isle d'Orléans, où il y a deux lieues, en laquelle du costé du Su y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort aggreables, remplies de grandes prayries, & force gibier, contenant à ce que j'ay peu juger les unes deux lieux, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers & basses fort dangereuses à passer qui sont esloignés de quelques deux lieues de la grand terre du Su. Toute ceste coste, tant du Nord que du Su, depuis Tadoussac jusques à l'isle d'Orléans, est terre montueuse & fort mauvaise, où il n'y a que des pins, 147/295sappins, & boulleaux, & des rochers tresmauvais, où on ne sçauroit aller en la plus part des endroits.

Note 198: (retour)

Le 30 de juin.

Note 199: (retour)

La côte du sud n'est qu'à environ 3 lieues; mais le peu d'élévation qu'elle a, comparativement à celle du nord, la fait paraître plus éloignée qu'elle n'est.

Note 200: (retour)

Suivant toutes les apparences, cette rivière aux Saumons est celle qui se jette dans le port à l'Équille, que l'on a appelé aussi port aux Quilles (Skittles port). Son embouchure est à trois lieues du cap au Saumon, et il n'y a point dans les environs d'autre rivière dont la position réponde aussi bien à ce qu'en dit l'auteur. Il ne faut pas la confondre avec le cap au Saumon.

Note 201: (retour)

Ce nom a complètement disparu. Le cap Dauphin doit être le même que le cap au Saumon. La pointe à l'Homme, sur laquelle il est situé, avance à la mer d'une manière très-remarquable.

Note 202: (retour)

Le cap aux Oies, qui est à près de deux lieues de l'île aux Coudres. Ici la tradition est évidemment en défaut: car le cap à l'Aigle d'aujourd'hui est bien à six lieues plus bas que celui auquel Champlain a donné ce nom.

Note 203: (retour)

Dans sa grande carte de 1632, l'auteur la désigne, par le chiffre 4, sous le nom de rivière Platte. C'est celle de la Malbaie. (Voir la note 2 de la page suivante.)

Note 204: (retour)

Cette partie de l'île aux Coudres s'appelle encore Les Prairies, ou Côte-des-Prairies.

Note 205: (retour)

La rivière du Gouffre a gardé fidèlement son nom, malgré une erreur qui s'est glissée dans l'édition de 1632. On y a reproduit tout ce passage, en appliquant à la rivière du Gouffre une addition que l'auteur destinait évidemment à celle de la Malbaie, comme le prouve surabondamment la légende de la grande carte, où se trouvent ïndiquées séparément la baie du Gouffre (la baie Saint-Paul, qui forme l'entrée de la rivière du Gouffre) et la rivière Flatte ou Malbaie.

Note 206: (retour)

Le cap Tourmente est à environ huit lieues de l'île aux Coudres. La grande hauteur des Caps fait paraître les distances beaucoup moindres.

Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du Su, distante de la grand terre une lieue & demie: & du costé du Nort demie lieue, contenant de long 6 lieues, & de large une lieue, ou lieue & demie, par endroits. Du costé du Nort elle est fort plaisante pour la quantité des bois & prayries qu'il y a: mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où il y a quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits; & à l'embucheure207 des vignes & autres bois comme nous avons en France. Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande riviere, où il y a de son entrée 120.208 Au bout de l'isle y a un torent d'eau209 du costé du Nort, qui vient d'un lac 210 qui est quelque dix lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a prés de 25 thoises211 de haut, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante à voir bien que dans le pays on voye de hautes montaignes, qui paroissent de 15 à 20 lieues.

Note 207: (retour)

Ou embuchure. Ce mot, qui ne paraît pas avoir été fort en usage, doit signifier ici entrée du bois, et la phrase revient à celle-ci: «et, à l'entrée du bois, (il y a) des vignes, et autres bois comme en France.» Notre vigne sauvage, en effet, se rencontre ordinairement le long des rivières ou à l'entrée des bois.

Note 208: (retour)

Cent vingt lieues.

Note 209: (retour)

Au chapitre suivant, dans la carte des environs de Québec, l'auteur l'indique, à la lettre H, sous le nom de Montmorency, et dans l'édition de 1632, il ajoute ces mots, «que j'ay nommé le sault de Montmorency.» Il est assez probable que ce fut à ce voyage de 1608 que Champlain lui donna ce nom, en l'honneur du duc de Montmorency, à qui il avait dédié son Voyage de 1603.

Note 210: (retour)

Le lac des Neiges.

Note 211: (retour)

Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.




148/296Arrivée à Quebecq, où nous fismes nos logemens, sa situation. Conspiration contre, le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire.

CHAPITRE III.

De l'isle d'Orléans jusques à Quebecq, y a une lieue, & y arrivay le 3 Juillet: où estant, je cherchay lieu propre pour nostre habitation, mais je n'en peu trouver de plus commode, ny mieux situé que la pointe de Quebecq, ainsi appellé des sauvages212, laquelle estoit remplie de noyers. Aussitost j'emploiay une partie de nos ouvriers à les abbatre pour y faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre fouiller la cave & faire des fossez: & l'autre à aller quérir nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun, & le soin que j'en eu.

Note 212: (retour)

Par ces mots «ainsi appelé des Sauvages» l'auteur veut dire, suivant nous, que le mot Québec est sauvage, et c'est ainsi que Lescarbot l'a compris. Dans les différents dialectes de la langue algonquine, le mot kebec ou kepac signifie rétrécissement. «Kébec, en micmac,» dit un de nos missionnaires qui ont le mieux connu cette langue (M. Bellanger), «veut dire rétrécissement des eaux formé par deux langues ou pointes de terre qui se croisent. Dans les premiers temps que j'étais dans les missions, je descendais de Riscigouche à Carleton; les deux sauvages qui me menoient en canot répétant souvent le mot kebec, je leur demandai s'ils se préparaient à aller bientôt à Québec Ils me repondirent: Non; regarde les deux pointes, et l'eau, qui est resserrée en dedans: on appelle cela kébec en notre langue.» (Cours d'Hist. de M. Ferland, I, p. 90.) Cette pointe de Québec, où est maintenant l'église de la basse ville, n'est presque plus reconnaissable par suite de la disparution du Cul-de-Sac, à la place duquel on a fait le marché Champlain.

296a

Quebec.

Agrandissement (3146x2051x16)

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu où l'habitation est bastie (1).

B Terre deffrichée où l'on seme du bled & autres grains (2).

C Les jardinages (3).

D Petit ruisseau qui vient de dedans des marescages (4).

E Riviere (5) où hyverna Jaques Quartier, qui de son temps la nomma

saincte Croix, que l'on a transféré à 15 lieues audessus de Québec.

F Ruisseau des marais (6).

G Le lieu où l'on amassoit les herbages pour le bestail que l'on y avoit

mené (7).

H Le grand saut de Montmorency qui descent de plus de 25 brasses de haut

dans la riviere (8).

I Bout de l'isle d'Orléans.

L Pointe fort estroite (9) du costé de l'orient de Quebecq.

M Riviere bruyante, qui va aux Etechemains.

N La grande riviere S. Laurens.

O Lac de la riviere bruyante.

P Montaignes qui sont dans les terres; baye que j'ay nommé la nouvelle

Bisquaye.

Q Lac du grand saut de Montmorency (10).

R Ruisseau de lours (11).

S Ruisseau du Gendre (12).

T Prairies qui sont inondées des eaux à toutes les marées.

V Mont du Gas (13) fort haut, sur le bort de la riviere.

X Ruiseau courant, propre à faire toutes sortes de moulins.

Y Coste de gravier, où il se trouve quantité de diamants un peu

meilleurs que ceux d'Alanson.

Z La pointe aux diamants.

9 (14) Lieux où souvent cabannent les sauvages.

(1)C'est là proprement la pointe de Québec, qui comprenait l'espace renfermé aujourd'hui entre la Place, la rue Notre-Dame et le fleuve.—(2)Ce premier défrichement a dû être ce qu'on a appelé plus tard l'Esplanade du fort, ou la Grand-Place, ou peut-être l'un et l'autre. La Grand-Place devint en 1658 le fort des Hurons; c'était l'espace compris entre la Côte de la basse ville et la rue du Fort.—(3)Un peu au-dessus des jardinages, sur le penchant de la côte du Saut-au-Matelot, on distingue une croix, qui semble indiquer que dès lors le cimetière était où on le trouve quelques années après mentionné pour la première fois.—(4)D'après les anciens plans de Québec, ces marécages auraient été à l'ouest du Mont-Carmel et au pied des glacis de la Citadelle. Le ruisseau venait passer à l'est du terrain des Ursulines et des Jésuites, suivait quelque temps la rue de la Fabrique, jusqu'à la clôture de l'Hôtel-Dieu, à l'est de laquelle il se jetait en bas du côteau vers le pied de la côte de la Canoterie.—(5)La rivière Saint-Charles. La lettre E n'indique pas précisément le lieu où hiverna Jacques Cartier, mais seulement l'embouchure de la rivière (voir p. 156).—(6)A en juger par les contours du rivage, ce ruisseau, qui venait du sud-ouest, se jetait dans le havre du Palais, vers l'extrémité ouest du Parc.—(7)C'est probablement ce qu'on appela plus tard la grange de Messieurs de la Compagnie, ou simplement la Grange, qui paraît avoir été quelque part sur l'allée du Mont-Carmel.—(8)Le saut Montmorency a 40 brasses de haut, ou 240 pieds français, et même davantage.—(9)On voit qu'en 1613, cette pointe n'avait pas encore de nom; en 1629, Champlain l'appelle cap de Lévis: on peut donc conclure que cette pointe tire son nom de celui du duc de Ventadour, Henri de Lévis, et qu'elle dut être ainsi appelée entre les années 1625 et 1627, époque où il fut vice-roi.—(10)Le lac des Neiges est la source de la branche ouest de la rivière du Saut.—(11)La rivière de Beauport, qu'on appelle aussi la Distillerie.—(12)Appelé plus tard ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers, rivière Chalifour, et enfin rivière des Fous, à cause du nouvel asile des Aliénés, sur l'emplacement duquel il passe aujourd'hui.—(13)Élévation où est maintenant le bastion du Roi à la Citadelle. Ce nom lui fut donné sans doute en souvenir de M. de Monts, Pierre du Gas.—(14)Ce chiffre se retrouve non-seulement à la pointe du cap Diamant, mais encore le long de la côte de Beauport et au bout de l'île d'Orléans.

Quelques jours après que je fus audit Quebecq, il y eut un 149/297serrurier qui conspira contre le service du Roy; qui estoit m'ayant fait mourir, & s'estant rendu maistre de nostre fort, le mettre entre les mains des Basques ou Espagnols213, qui estoient pour lors à Tadoussac, où vaisseaux ne peuvent passer plus outre pour n'avoir la cognoissance du partage ny des bancs & rochers qu'il y a en chemin 214.

Note 213: (retour)

Lescarbot prétend encore ici trouver Champlain en défaut, parce que «les conspirateurs (qui dévoient exécuter leur entreprise dans quatre jours) avoient proposé de livrer la place aux Hespagnols, laquelle toutefois n'étoit à peine commencée à bâtir.» (Liv. V, ch. II.) Il suffit de considérer les différentes circonstances du récit de Champlain, pour voir qu'il n'y a pas l'ombre de contradiction. Quand le complot fut formé, il n'était point question de livrer aux Espagnols un fort déjà construit, puisque Duval «les avoit induits à telle trahison, dés qu'ils partirent de France,» comme le déposent les témoins (voir ci-après, p. 154). Le complot consistait donc à choisir le moment opportun pour s'emparer de tout, que le fort fût achevé ou non. Or, comme l'auteur le remarque plus loin (p. 150), les conjurés n'eussent pu venir à bout de leur dessein une fois les barques arrivées de Tadoussac.

Note 214: (retour)

Dans un temps où l'on n'avait encore pu faire que des observations incomplètes, c'eût été une vraie imprudence que de risquer à monter plus haut un vaisseau de gros tonnage, puisque, de nos jours même, avec des études spéciales, avec le secours des cartes marines si exactes de l'Amirauté, nos pilotes canadiens, qui certes n'ont pourtant pas dégénéré de leurs ancêtres, regardent encore la Traverse comme la partie la plus difficile de la navigation du fleuve. (Voir Bayfield, I, partie II, ch. XI.)

Pour exécuter son malheureux dessin, sur l'esperance d'ainsi faire sa fortune, il suborna quatre215 de ceux qu'il croyoit estre des plus mauvais garçons, leur faisant entendre mille faulcetez & esperances d'acquérir du bien.

Note 215: (retour)

«Champlain racontant ce fait,» dit Lescarbot, «se met au nombre des juges & dit que du Val en débaucha quatre, comme ainsi soit que par son discours il ne s'en trouve que trois.» (Liv. V, ch. II.) Si Champlain, après avoir affirmé que Duval en avait débauché quatre, disait ensuite qu'il n'en débaucha que trois la contradiction sauterait aux yeux; mais il n'en est rien. L'auteur dit bien que Duval en débaucha quatre, ce qui faisait cinq conjurés; mais, de ces cinq, il n'en restait plus que quatre, dès que Champlain eut accordé le pardon à Natel; c'est-à-dire, qu'il n'y en eut que quatre qui subirent leur procès, et qui furent condamnés.

Après que ces quatre hommes furent gaignez, ils promirent chacun de faire en sorte que d'attirer le reste à leur devotion, & que pour lors je n'avois personne avec moy en qui j'eusse fiance: ce qui leur donnoit encore plus d'esperance de faire reussir leur dessin: d'autant que quatre ou cinq de mes 150/298compagnons, en qui ils sçavoient que je me fiois, estoient dedans les barques pour avoir esgard à conserver les vivres & commoditez qui nous estoient necessaires pour nostre habitation.

Enfin ils sceurent si bien faire leurs menées avec ceux qui restoient, qu'ils devoient les attirer tous à leur devotion, & mesme mon laquay, leur promettant beaucoup de choses qu'ils n'eussent sceu accomplir.

Estant donc tous d'accord, ils estoient de jour en autre en diverses resolutions comment ils me feroient mourir, pour n'en pouvoir estre accusez, ce qu'ils tenoient difficile: mais le Diable leur bandant à tous les yeux: & leur ostant la raison & toute la difficulté qu'ils pouvoient avoir, ils arresterent de me prendre à despourveu d'armes & m'estouffer, ou donner la nuit une fauce alarme, & comme je sortirois tirer sur moy, & que par ce moyen ils auroient plustost fait qu'autrement: tous promirent les uns aux autres de ne se descouvrir, sur peine que le premier qui en ouvriroit la bouche, seroit poignardé: & dans quatre jours ils devoient exécuter leur entreprise, devant que nos barques fussent arrivées: car autrement ils n'eussent peu venir à bout de leur dessin.

Ce mesme jour arriva l'une de nos barques, où estoit nostre pilotte appelé le Capitaine Testu, homme fort discret. Après que la barque fut deschargée & preste à s'en retourner à Tadoussac, il vint à luy un serrurier appelé Natel, compagnon de Jean du Val chef de la traison, qui luy dit, qu'il avoit 151/299promis aux autres de faire tout ainsi qu'eux: mais qu'en effect il n'en desiroit l'exécution, & qu'il n'osoit s'en déclarer, & ce qui l'en avoit empesché, estoit la crainte qu'il avoit qu'il ne le poignardassent.

Après qu'Antoine Natel eust fait promettre audit pilotte de ne rien déclarer de ce qu'il diroit, d'autant que si ses compagnons le descouvroient, ils le feroient mourir. Le pilotte l'asseura de toutes choses, & qu'il luy declarast le fait de l'entreprinse qu'ils desiroient faire: ce que Natel fit tout au long: lequel pilotte luy dist, Mon amy vous avez bien fait de descouvrir un dessin si pernicieux, & montrez que vous estes homme de bien, & conduit du S. Esprit. Mais ces choses ne peuvent passer sans que le sieur de Champlain le scache pour y remedier, & vous promets de faire tant envers luy, qu'il vous pardonnera & à d'autres: & de ce pas, dit le pilotte, je le vays trouver sans faire semblant de rien, & vous, allez faire vostre besoigne, & entendez tousjours ce qu'ils diront, & ne vous souciez du reste. Aussitost le pilotte me vint trouver en un jardin que je faisois accommoder, & me dit qu'il desiroit parler à moy en lieu secret, où il n'y eust que nous deux. Je luy dis que je le voulois bien. Nous allasmes dans le bois, où il me conta toute l'affaire. Je luy demanday qui luy avoit dit. Il me pria de pardonner à celuy qui luy avoit déclaré: ce que je luy accorday bien qu'il devoit s'adresser à moy. Il croignoit dit-il qu'eussiez entré en cholere, & que l'eussiez offencé. Je luy dis que je sçavois mieux me gouverner que cela en telles affaires, & qu'il le fit venir, pour l'oyr parler. Il 152/300y fut, & l'amena tout tremblant de crainte qu'il avoit que luy fisse quelque desplaisir. Je l'asseuray, & luy dy qu'il n'eust point de peur & qu'il estoit en lieu de seureté, & que je luy pardonnois tout ce qu'il avoit fait avec les autres, pourveu qu'il dist entièrement la vérité de toutes chose, & le subjet qui les y avoit meuz, Rien, dit-il, sinon que ils s'estoient imaginez que rendant la place entre les mains des Basques ou Espaignols, ils seroient tout riches, & qu'ils ne desiroient plus aller en France, & me conta le surplus de leur entreprinse.

Après l'avoir entendu & interrogé, je luy dis qu'il s'en allast à ses affaires: Cependant je commanday au pilotte qu'il fist: approcher sa chalouppe: ce qu'il fit; & après donnay deux bouteilles de vin à un jeune homme, & qu'il dit à ces quatre galants principaux de l'entreprinse, que c'estoit du vin de present que ses amis de Tadoussac luy avoient donné & qu'il leur en vouloit faire part: ce qu'ils ne réfuserent, & furent sur le soir en la Barque, où il leur devoit donner la collation: je ne tarday pas beaucoup après à y aller, & les fis prendre & arrester attendant le lendemain.

Voyla donc mes galants bien estonnez. Aussitost je fis lever un chacun (car c'estoit sur les dix heures du soir) & leur pardonnay à tous, pourveu qu'ils me disent la vérité de tout ce qui s'estoit passé, ce qu'ils firent, & après les fis retirer.

Le lendemain je prins toutes leurs depositions les unes après les autres devant le pilotte & les mariniers du vaisseau, lesquelles je fis coucher par escript, & furent fort aises à ce qu'ils dirent, d'autant qu'ils ne vivoient qu'en crainte, pour 153/301la peur qu'ils avoient les uns des autres, & principalement de ces quatre coquins qui les avoient ceduits; & depuis vesquirent en paix, se contentans du traictement qu'ils avoient receu, comme ils déposerent.

Ce jour fis faire six paires de menottes pour les autheurs de la cedition, une pour nostre Chirurgien appelé Bonnerme, une pour un autre appelé la Taille que les quatre ceditieux avoient chargez, ce qui se trouva neantmoins faux, qui fut occasion de leur donner liberté.

Ces choses estans faites, j'emmenay mes galants à Tadoussac, & priay le Pont de me faire ce bien de les garder, d'autant que je n'avois encores lieu de seureté pour les mettre, & qu'estions empeschez à édifier nos logemens, & aussi pour prendre resolution de luy & d'autres du vaisseau, de ce qu'aurions à faire là dessus. Nous advisames qu'après qu'il auroit fait ses affaires à Tadoussac, il s'en viendroit à Ouebecq avec les prisonniers, où les ferions confronter devant leurs tesmoins: & après les avoir ouis, ordonner que la justice en fut faite selon le délict qu'ils auroient commis.

Je m'en retournay le lendemain à Quebecq pour faire diligence de parachever nostre magazin, pour retirer nos vivres qui avoient esté abandonnez de tous ces belistres, qui n'espargnoient rien, sans considerer où ils en pourroient trouver d'autres quand ceux là manqueroient: car je n'y pouvois donner remède que le magazin ne fut fait & fermé.

Le Pont-gravé arriva quelque temps après moy, avec les prisonniers, ce qui apporta du mescontentement aux ouvriers qui 154/302restoient, craignant que je leur eusse pardonné, & qu'ils n'usassent de vengeance envers eux, pour avoir déclaré leur mauvais dessin.

Nous les fismes confronter les uns aux autres, où ils leur maintindrent tout ce qu'ils avoient déclaré dans leur dépositions, sans que les prisonniers leur deniassent le contraire, s'accusans d'avoir meschament fait, & mérité punition, si on n'usoit de misericorde envers eux, en maudissant Jean du Val, comme le premier qui les avoit induits à telle trahison, dés qu'ils partirent de France. Ledit du Val ne sceut que dire, sinon qu'il meritoit la mort, & que tout le contenu és informations estoit véritable, & qu'on eust pitié de luy, & des autres qui avoient adhéré à ses pernicieuses vollontez.

Après que le Pont & moy, avec le Capitaine du vaisseau, le Chirurgien, maistre, contre maistre, & autres mariniers eusmes ouy leurs dépositions & confrontations, Nous advisames que ce seroit assez de faire mourir le dit du Val, comme le motif de l'entreprinse, & aussi pour servir d'exemple à ceux qui restoient, de se comporter sagement à l'advenir en leur devoir, & afin que les Espagnols & Basques qui estoient en quantité au pays n'en fissent trophée: & les trois autres condamnez d'estre pendus, & cependant les remmener en France entre les mains du sieur de Mons, pour leur estre fait plus ample justice, selon qu'il adviseroit, avec toutes les informations, & la sentence, tant dudict Jean du Val qui fut pendu & estranglé audit Quebecq, & sa teste mise au bout d'une pique pour estre plantée au lieu le plus eminent de nostre fort & les autres trois renvoyez en France.




155/303Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement & du lieu ou sejourna Jaques Quartier en l'an 1535.

CHAPITRE IV.

Aprés que toutes ces choses furent passées le Pont partit de Quebecq le 18 Septembre pour s'en retourner en France avec les trois prisonniers. Depuis qu'ils furent hors tout le reste se comporta sagement en son devoir.

Je fis continuer nostre logement, qui estoit de trois corps de logis à deux estages. Chacun contenoit trois thoises de long & deux & demie de large. Le magazin216 six & trois de large, avec une belle cave de six pieds de haut. Tout autour de nos logemens je fis faire une galerie par dehors au second estage, qui estoit fort commode, avec des fossés de 15 pieds de large & six de profond: & au dehors des fossés, je fis plusieurs pointes d'esperons217 qui enfermoient une partie du logement, 156/304là où nous mismes nos pièces de canon: & devant le bastiment y a une place 218 de quatre thoises de large, & six ou sept de long, qui donne sur le bort de la riviere. Autour du logement y a des jardins qui sont très-bons, & une place de costé de Septemptrion qui a quelque cent ou six vingts pas de long, 50 ou 60 de large 219. Plus proche dudit Quebecq, y a une petite riviere 220 qui vient dedans les terres d'un lac distant de nostre habitation de six à sept lieues. Je tiens que dans cette riviere qui est au Nort & un quart du Norouest de nostre habitation, ce fut le lieu où Jaques Quartier yverna, d'autant qu'il y a encores à une lieue 221 dans la riviere des vestiges comme d'une cheminée, dont on a trouvé le fondement, & apparence d'y avoir eu des fossez autour de leur logement, qui estoit petit. Nous trouvasmes aussi de grandes pièces de bois escarrées, vermoulues, & quelques 3 ou 4 balles de canon. Toutes ces choses monstrent evidemment que c'a esté une 157/305habitation, laquelle a esté fondée par des Chrestiens: & ce qui me fait dire & croire que c'est Jaques Quartier, c'est qu'il ne se trouve point qu'aucun aye yverné ny basty en ces lieux que ledit Jaques Quartier au temps de ses descouvertures, & failloit, à mon jugement, que ce lieu s'appelast sainte Croix, comme il l'avoit nommé, que l'on a transféré depuis à un autre lieu qui est 15 lieues de nostre habitation à l'Ouest, & n'y a pas d'apparence qu'il eust yverné en ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix, ny en d'autres: d'autant qu'en ce chemin il n'y a riviere ny autres lieux capables de tenir vaisseaux, si ce n'est la grande riviere ou celle dont j'ay parlé cy dessus, où de basse mer y a demie brasse d'eau, force rochers & un banc à son entrée: Car de tenir des vaisseaux dans la grande riviere, où il y a de grands courans, marées & glaces qui charient en hyver, ils courroient risque de se perdre, aussi qu'il y a une pointe de sable qui advance sur la riviere, qui est remplie de rochers, parmy lesquels nous avons trouvé depuis trois ans un partage 222 qui n'avoit point encore esté descouvert: mais pour le passer il faut bien prendre son temps, à cause des pointes & dangers qui y sont. Ce lieu est à descouvert des vents de Norouest, & la riviere y court comme si c'estoit un saut d'eau, & y pert de deux brasses & demie. Il ne s'y voit aucune apparence de bastimens ny qu'un homme de jugement voulust s'establir en cest endroit, y en ayant beaucoup d'autres meilleurs quand on seroit forcé de demeurer, 158/306J'ay bien voulu traicter de cecy, d'autant qu'il y en a beaucoup qui croyent que ce lieu fust la residence dudit Jaques Quartier223: ce que je ne croy pas pour les raisons cy dessus: car ledit Quartier en eust aussi bien fait le discours pour le laisser à la posterité comme il l'a fait de tout ce qu'il a veu & descouvert: & soustiens que mon dire est véritable: ce qui se peut prouver par l'histoire qu'il en a escrite.

Note 216: (retour)

Suivant toutes les apparences, ce premier magasin de Québec était situé à angle droit avec les longs pans de l'église de la basse ville, à peu près à l'endroit où est la chapelle latérale, et, comme ce terrain continua d'appartenir au gouvernement jusqu'à ce qu'on y bâtit, l'église, il y a tout lieu de croire que la limite de cette enceinte, du côté du sud-ouest, était l'alignement du mur auquel est adossé le maître-autel, avec l'encoignure des rues Saint-Pierre et Sous-le-Fort.

Note 217: (retour)

Les deux corps de logis les plus rapprochés du fleuve devaient faire entre eux un angle correspondant à celui que fait, un peu plus en arrière, la rue Notre-Dame; par conséquent les deux pointes d'éperons que figurent l'auteur dans la vue de ce premier logement, enfermaient quelque peu l'habitation de ce côté. Cependant il semble que, s'il n'y en avait eu que deux, Champlain n'aurait pas dit plusieurs; en outre on remarque, dans ce dessin, la prolongation d'une des faces de l'enceinte au-delà de l'angle oriental de l'habitation; ce qui autorise à croire qu'il y avait une troisième pointe d'éperon du côté du nord-est. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que ce côté était plus exposé à une attaque.

Note 218: (retour)

Cette place forme aujourd'hui une partie de la rue Saint-Pierre, dont la direction s'est trouvée déterminée sans doute par la position du corps de logis qui était le plus à l'est, comme semble l'indiquer le dessin que nous en a conservé l'auteur.

Note 219: (retour)

La largeur de la rue Notre-Dame, avec les emplacements qui la bordent du côté du Nord, forment en effet une profondeur d'une cinquantaine de pas.

Note 220: (retour)

Cette Petite Rivière (car les habitants de Québec l'appellent encore ainsi) vient du lac Saint-Charles, qui n'est qu'à environ quatre lieues de Québec. Les Montagnais, au rapport du Frère Sagard, l'appelaient Cabirecoubat, «à raison, dit-il, qu'elle tourne et fait plusieurs pointes.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. V.) Jacques Cartier lui donna le nom de Sainte-Croix, parce qu'il y arriva le jour de l'Exaltation de la sainte Croix, 14 septembre 1535; et enfin les Récollets lui imposèrent le nom qu'elle porte généralement aujourd'hui, et l'appelèrent rivière Saint-Charles, en mémoire du grand vicaire de Pontoise, Charles Des Boues. (P. Chrestien LeClercq, Prem. établiss. de la foi, vol I, p. 157.)

Note 221: (retour)

Suivant l'auteur lui-même (édit. 1632, liv. I, ch. II), Jacques Cartier hiverna à l'endroit où les PP. Jésuites fixèrent leur demeure, «Or, dit M. Ferland (I, p. 26), les Jésuites bâtirent leur première maison, ainsi que leur chapelle de Notre-Dame des Anges, à la pointe formée par les rivières Saint-Charles et Lairet. C'est donc à l'embouchure de la rivière Lairet, et vis-à-vis la pointe aux Lièvres, que furent placés pour l'hiver la Grande et la Petite Hermine.» Il est vrai que l'embouchure de la rivière Lairet n'est qu'à environ une demi-lieue dans la Petite-Rivière; mais il est probable que Champlain compte la distance depuis l'habitation.

Note 222: (retour)

Le chenal du Richelieu. On sait combien il est difficile de faire, dans un courant aussi rapide, des observations régulières et des sondages suivis.

Note 223: (retour)

Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, un siècle plus tard, Charlevoix, qui avait connaissance des relations et de Champlain et de Cartier, soutienne encore une opinion si dénuée de vraisemblance. (Voir Hist. gén. de la Nouv. France, liv I.)

296b

Abitation de Quebecq.

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