Oeuvres de Champlain
CHAPITRE VII.461
Le quatrième jour de Decembre nous partismes de ce lieu, marchant sur la riviere qui estoit gelée, & sur les lacs & estangs glacez, & par les bois, l'espace de dix-neuf jours, qui n'estoit pas sans beaucoup de peine & travail, tant pour les 273/929Sauvages qui estoient chargez de cent livres pesant chacun comme de moy-mesme qui portois la pesanteur de 20 livres. Il est bien vray que t'estois quelquefois soulagé par nos Sauvages, mais nonobstant je ne laissois pas de recevoir beaucoup d'incommoditez. Quant à eux, pour traverser plus aisément les glaces, ils ont accoustumé de faire de certaines traînées 462 de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges, & les traisnent après eux sans aucune difficulté, & vont fort promptement. Quelques jours après il arriva un grand dégel qui nous tourmenta grandement: car il nous falloit passer par dedans des sapinieres pleines de ruisseaux, estangs, marais & pallus, avec quantité de boisées renversées les unes sur les autres, qui nous donnoit mille maux, avec des embarrassemens qui nous apportoient de grandes incommoditez, pour estre tousjours mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes quatre jours en cet estat, à cause qu'en la plus grande partie des lieux les glaces ne portoient point: & fismes tant, que nous arrivasmes à nostre village 463 le 23e jour dudit mois, où le capitaine Yroquet vint hyverner avec ses compagnons, qui sont Algommequins, & son fils, qu'il amena pour faire traitter & penser, lequel allant à la chasse avoit esté fort offensé d'un ours, le voulant tuer.
M'estant reposé quelques jours je deliberay d'aller voir464 les peuples en l'hyver, que l'esté & la guerre ne m'avoient peu permettre de visiter. Je partis de 274/930ce village le 14 465 de Janvier ensuivant, après avoir remercié mon hoste du bon traittement qu'il m'avoit fait: & croyant ne le revoir de trois mois, je prins congé de luy. Menant avec moy quelques François466, je m'acheminay à la nation du petum 467, où j'arrivay le 17 dudit mois de Janvier. Ces peuples sement le maïs, appellé par deçà bled de Turquie, & ont leur demeure arrestée comme les autres. Nous fusmes en sept autres villages leurs voisins & alliez, avec lesquels nous contractasmes amitié, & nous promirent de venir un bon nombre à nostre habitation. Ils nous firent fort bonne chère, & nous firent present de chair & poisson pour faire festin, comme est leur coustume, où tous les peuples accouroient de toutes parts pour nous voir, en nous faisant mille demonstrations d'amitié, & nous conduisoient en la plus-part du chemin. Le pays est remply de costaux, & petites campagnes, qui rendent ce terroir agréable. Ils commençoient à bastir deux villages, par où nous passasmes, au milieu des bois, pour la commodité qu'ils trouvent d'y bastir & les enclorre. Ces peuples vivent comme les Attignouaatitans, & mesmes coustumes, & sont proches de la nation neutre, qui est puissante, qui tient une grande estendue de pays, à trois journées d'eux.
Ou plutôt probablement le 4. Ici, comme dans le texte de 1619, il y a erreur quelque part; mais il nous paraît évident qu'il faut faire la correction en cet endroit. Arrivé à Cahiagué le 23 décembre, Champlain se repose quelques jours. Il repart pour aller rejoindre le P. Joseph le 4 janvier; le 5, il est à Carhagouha, où il demeure avec lui quelques jours. Le 15, ils partent ensemble pour aller visiter les Tionnontatés, où ils arrivent le 17. Après s'être rendus chez les Cheveux-Relevés, ils reviennent vers la mi-février.
Après avoir visité ces peuples, nous partismes de 275/931ce lieu, & fusmes à une nation de Sauvages, que nous avons nommez les cheveux relevez468, lesquels furent fort joyeux de nous revoir, avec lesquels nous fismes aussi amitié, & qui pareillement nous promirent de nous venir trouver, & voir à ladite habitation. En cet endroit 469 il m'a semblé à propos de les dépeindre, & faire une description de leurs pays, moeurs, & façons de faire. En premier lieu, ils font la guerre à une autre nation de Sauvages, qui s'appellent Asistagueronon, qui veut dire gens de feu, esloignez d'eux de dix journées. Ce fait, je m'informay fort particulièrement de leur pays, & des nations qui y habitent, quels ils sont, & en quelle quantité. Icelle nation sont en grand nombre, & la plus-part grands guerriers, chasseurs, & pescheurs. Ils ont plusieurs Chefs qui commandent chacun en leur contrée. La plus grand' part sement des bleds d'Inde, & autres. Ce sont chasseurs qui vont par troupes en plusieurs régions & contrées, où ils trafiquent avec d'autres nations esloignées de plus de quatre à cinq cents lieues. Ce sont les plus propres Sauvages en leurs mesnages que j'aye veu, & qui travaillent le plus industrieusement aux façons des nattes, qui sont leurs tapis de Turquie. Les femmes ont le corps couvert, & les hommes descouvert, sans aucune chose, sinon qu'une robbe de fourrure, qu'ils mettent sur leurs corps, qui est en façon de manteau, laquelle ils laissent ordinairement, & principalement en esté. Les femmes 276/932& les filles ne sont non plus émeues de les voir de la façon, que si elles ne voyoient rien, qui sembleroit estrange. Elles vivent fort bien avec leurs maris, & ont ceste coustume que lors qu'elles ont leurs mois, elles se retirent d'avec leurs maris, ou les filles d'avec leurs pères & mères, & autres parents, s'en allans en de certaines maisonnettes, où elles fe retirent pendant que le mal leur tient, sans avoir aucune compagnie d'hommes, lesquels leur font porter des vivres & commoditez jusques à leur retour, & ainsi l'on sçait celles qui les ont, & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens qui font de grands festins, & plus que les autres nations. Ils nous firent fort bonne chère, & nous receurent fort amiablement, & me prièrent fort de les assister contre leurs ennemis, qui sont sur le bord de la mer douce, esloignée de deux cents lieues; à quoy je leur dis que ce seroit pour une autre fois, n'estant accommodé des choses necessaires.
Il y a aussi à deux ou trois journées d'iceux une autre nation de Sauvages, d'un costé tirant au sud, qui font grand nombre de petum, lesquels s'appellent la nation neutre470, qui sont grand nombre de gens de guerre, qui habitent vers le midy de la mer douce, lesquels assistent les Cheveux relevez contre les gens de feu. Mais entre les Yroquois & les nostres, ils ont paix, & demeurent comme neutres. J'avois grand desir de voir ceste nation, mais ils m'en dissuaderent, disans que l'année précédente un des nostres en avoit tué un, estant à la guerre des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez: 277/933nous representans qu'ils sont fort subjects à la vengeance, ne regardans point à ceux qui ont fait le coup, mais le premier qu'ils rencontrent de la nation, ou bien de leurs amis, ils leur font porter la peine, quand ils en peuvent attraper, si auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & avoir donné quelques dons & presens aux parens du defunct; qui m'empescha pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun mal pour cela. Ce qui nous donna sujet & occasion de retourner par le mesme chemin que nous estions venus: & continuant mon voyage, j'allay trouver la nation des Pisierinij 471, qui avoient promis de me mener plus outre en la continuation de mes desseins & descouvertures: mais je fus diverty pour les nouvelles qui survindrent de nostre grand village, & des Algommequins, d'où estoit le Capitaine Yroquet, à sçavoir que ceux de la nation des Attignouantans avoient mis & déposé entre ses mains un prisonnier de nation ennemie, esperant que ledit Capitaine Yroquet deust exercer sur ce prisonnier la vengeance ordinaire entr'eux. Mais au lieu de ce, l'auroit non seulement mis en liberté, ains l'ayant trouvé habile, excellent chasseur, & tenu comme son fils, les Attignouantans seroient entrez en jalousie, & resolus de s'en venger: & de faict avoient disposé un homme pour entreprendre d'aller tuer ce prisonnier, ainsi allié qu'il estoit. Comme il fut exécuté en la presence des principaux de la nation Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de colère, tuèrent sur le champ ce 278/934téméraire entrepreneur meurtrier; duquel meurtre les Attignouantans se trouvans offensez, & comme injuriez en ceste action, voyans un de leurs compagnons mort, prindrent les armes, & se transporterent aux tentes des Algommequins (qui viennent hyverner proche de leurdit village) lesquels offenserent fort ledit Capitaine Yroquet, qui fut blessé de deux coups de flesche; & une autre fois pillèrent quelques cabannes desdits Algommequins, sans qu'ils se peussent mettre en defense, aussi le party n'eust pas esté égal. Neantmoins cela, lesdits Algommequins ne furent pas quittes, car il leur fallut accorder, & contraints pour avoir la paix, de donner ausdits Attignouantans quelques colliers de pourceline, avec cent brasses d'icelle, ce qu'ils estiment de grand valeur entr'eux: & outre ce, nombre de chaudières & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place du mort. Bref ils furent en grande dissention (c'estoit ausdits Algommequins de souffrir patiemment ceste grande furie) & penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en seureté, nonobstant leurs presens, jusques à ce qu'ils se veirent en un autre estat. Ces nouvelles m'affligèrent fort, me representant l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant pour eux, que pour nous, qui estions en leur pays.
Ce fait, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand village, qui me solliciterent fort d'y aller, pour les mettre d'accord, me disans que si je n'y allois, aucuns d'eux ne reviendroient plus vers les François, ayans guerre avec lesdits Algommequins, & nous tenans pour leurs amis. Ce que voyant, je m'acheminay au plustost, & en partant je 279/935visitay les Pisirinis pour sçavoir quand ils seroient prests pour le voyage du nort; que je trouvay rompu pour le sujet de ces querelles & batteries, ainsi que nostre truchement me fit entendre, & que ledit Capitaine Yroquet estoit venu à toutes ces nations pour me trouver, & m'attendre. Il les pria de se trouver à l'habitation des François, en mesme temps que luy, pour voir l'accord qui se feroit entr'eux, & les Atignouaanitans, & qu'ils remissent ledit voyage du nort à une autre fois. Pour cet effect ledit Yroquet avoit donné de la pourceline pour rompre ledit voyage, & nous promirent de se trouver à nostred. habitation au mesme temps qu'eux. Qui fut bien affligé ce fut moy, m'attendant bien de voir en ceste année, ce qu'en plusieurs autres précédentes j'avois recherché avec beaucoup de soing & de labeur. Ces peuples vont négocier avec d'autres qui se tiennent en ces parties Septentrionales, estans une bonne partie de ces nations en lieu fort abondant en chasses, & où il y a quantité de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux: & m'ayans figuré leur forme, j'ay jugé estre des buffles: aussi que la pesche du poisson y est fort abondante. Ils sont 40 jours à faire ce voyage, tant à aller, que retourner.
Je m'acheminay vers nostred. village le 15e jour de Fevrier, menant avec moy six de nos gens, où estans arrivez, les habitans furent fort aises, comme aussi les Algommequins, que j'envoyay visiter par nostre truchement472, pour sçavoir comme le tout s'estoit passé tant d'une part que d'autre, n'y ayant 280/936voulu aller pour ne leur donner ny aux uns ny aux autres aucun soupçon. Deux jours se passèrent pour entendre des uns & des autres comme le tout s'estoit passé: ce fait, les principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec nous, & tous ensemble allasmes vers les Algommequins, où estant en l'une de leurs cabannes, après quelques discours, ils demeurèrent d'accord de tenir, & avoir agréable tout ce que je dirois, comme arbitre sur ce sujet; & ce que je leur proposerois, ils le mettroient en exécution. Colligeant & recherchant la volonté & inclination de l'une & de l'autre partie, & jugeant qu'ils ne demandoient que la paix, je leur representay que le meilleur estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour resister plus facilement à leurs ennemis, & partant je les priay qu'ils ne m'appellassent point pour ce faire, s'ils n'avoient intention de future de poinct en poinct l'advis que je leur donnerois cur ce différend, puis qu'ils m'avoient prié d'en dire mon opinion. Sur quoy ils me dirent derechef, qu'ils n'avoient desiré mon retour à autre fin. Moy d'autre-part jugeant bien que si je ne les mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contents les uns des autres, chacun d'eux pensant avoir le meilleur droict, aussi qu'ils ne fussent allez à leurs cabannes, si je n'eusse esté avec eux, ny mesme vers les François, si je ne m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit tousjours bien traitté, & mal-aisément en pourrois-je trouver un si bon, car c'estoit en luy que 281/937les Algommequins mettoient la faute, disans qu'il n'y avoit que luy de Capitaine qui fist prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirais mon advis, & ce qui m'en sembleroit.
Voyant qu'ils remettoient le tout à ma volonté, comme à leur pere, & me promettans en ce faisant qu'à l'advenir je pourrois disposer d'eux ainsi que bon me sembleroit; je leur fis response que j'estois tres-aise de les voir en une si bonne volonté de suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit que pour le bien et utilité des peuples.
D'autre costé j'estois fort affligé d'avoir entendu d'autres tristes nouvelles, à sçavoir la mort de l'un de leur parents & amis, que nous tenions comme le nostre, & que ceste mort avoit peu causer une grande desolation, dont il ne s'en fust ensuivy que guerre perpetuelles entre les uns et les autres avec plusieurs grand dommages, & alteration de leur amitié, et par consequent les François privez de leur veue & frequentation, & contraints d'aller chercher d'autres nations & ce d'autant que nous nous aimions comme freres, laissant à nostre Dieu le chastiment de ceux qui l'avoient merité.
Je leur remonstray, que ces façons de faire entre deux nations, amis, & freres, comme ils se disoient, estoit indigne entre des hommes raisonnables, ains plustost que c'estoit à faire aux bestes brutes. D'ailleurs, qu'ils estoient assez empeschez à repousser leurs ennemis qui les poursuivoient, les battans le plus souvent, & les prenans prisonniers, jusques dans leurs villages: lesquels voyans une telle division, & 282/938des guerres civiles entr'eux, se resjouiroient & en feroient leur profit, & les pousseroient & encourageroient à faire & exécuter de nouveaux desseins, sur l'esperance qu'ils auroient de voir bien tost leur ruine, du moins s'affoiblir par eux-mesmes, qui seroit le vray & facile moyen pour les vaincre & triompher d'eux, & se rendre les maistres de leurs contrées, n'estans point secourus les uns des autres. Qu'ils ne jugeoient pas le mal qui leur en pouvoit arriver. Que pour la mort d'un homme ils en mettoient dix mille en danger de mourir, & le reste de demeurer en perpétuelle servitude. Qu'à la vérité un homme estoit de grande consequence, mais qu'il falloit regarder comme il avoit esté tué, & considerer que ce n'estoit pas de propos délibéré, ny pour commencer une guerre civile parmy eux; cela estant trop evident que le defunct avoit premièrement orienté en ce que de guet-à-pens il avoit tué le prisonnier dans leurs cabannes, chose trop audacieusement entreprise, encores qu'il fust ennemy.
Ce qui esmeut les Algommequins: car voyans un homme si téméraire d'avoir tué un autre en leur cabane, auquel ils avoient donné la liberté, & le tenoient comme un d'entr'eux, ils furent emportez de la promptitude, & le sang esmeu à quelques-uns plus qu'aux autres se seroient advancez, ne se pouvans contenir, ny commander à leur colère, & auroient tué cet homme dont est question: mais pour cela ils n'en vouloient nullement à toute la nation, & n'avoient dessein plus avant à l'encontre de cet audacieux, & qu'il avoit bien mérité ce qu'il avoit eu, puis qu'il l'avoit luy-mesme recherché.
283/939Et d'ailleurs, qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se sentant frapé de deux coups dedans le ventre, arracha le cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laissé, & luy en donna deux coups, à ce qu'on m'avoit certifié: de façon qu'on ne pouvoit sçavoir au vray si c'estoient Algommequins qui eussent tué. Et pour monstrer aux Attigouantans que les Algommequins n'aimoient pas le prisonnier, & que Yroquet ne luy portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien, ils l'avoient mangé, d'autant qu'il avoit donné des coups de cousteau à son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais plustost de bestes brutes. D'ailleurs, que les Algommequins estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit passé, & que s'ils eussent pensé que telle chose fust arrivée, ils leur eussent donné cet Yroquois en sacrifice. D'autre part, qu'ils avoient recompensé icelle mort, & faute, (si ainsi il la falloit appeller) avec de grands presens, & deux prisonniers, n'ayans sujet à present de se plaindre, & qu'ils devoient se gouverner plus modestement en leurs deportemens envers les Algommequins, qui sont de leurs amis; & que puis qu'ils m'avoient promis toutes choses mises en délibération, je les priois les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit passé entr'eux, sans jamais plus y penser, ny se porter aucune haine & mauvaise volonté, & ce faisant, qu'ils nous obligeroient à les aimer, & les assister, comme l'avois fait par le passé. Et ou ils ne seroient contents de mon advis, je les priois de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils pourroient à nostre habitation, où devant tous les 284/940Capitaines des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amitié, & adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs ennemis, à quoy il falloit penser.
Lors ils dirent qu'ils tiendroient tout ce que je leur avois dit, & fort contents en apparence s'en retournèrent en leurs cabanes, sinon les Algommequins, qui dérogèrent pour faire retraitte en leur village: mais selon mon opinion ils faisoient demonstration de n'estre pas trop contents, d'autant qu'ils disoient entr'eux qu'ils ne viendroient plus hyverner en ces lieux. La mort de ces deux hommes leur ayant par trop cousté473, je m'en retournay chez mon hoste, à qui je donnay le plus de courage qu'il me fut possible, afin de l'esmouvoir à venir à nostre habitation, & d'y amener tous ceux du pays.
Pendant quatre mois que dura l'hyver, j'eus assez de loisir pour considerer leur païs, moeurs, coustumes, & façon de vivre, & la forme de leurs assemblées, & autres choses, que je descriray cy-aprés. Mais auparavant il est necessaire de parler de la scituation du païs 474, & contrées, tant pour ce qui regarde les nations, que pour les distances d'iceux. Quant à l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident, elle contient prés de quatre cents cinquante lieues de long, & deux cents par endroits de largeur du Midy au Septentrion, souz la hauteur de quarante & un degré de latitude, jusques à quarante-huict & quarante-neuf. Ceste terre est comme une isle, que la grande riviere Sainct Laurent enceint, partant 285/941par plusieurs lacs de grande estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs nations, parlans divers langages, qui ont leurs demeures arrestées, les uns475 amateurs du labourage de la terre, & autres qui ne le sont pas, lesquels neantmoins ont diverses façons de vivre, & de moeurs, & les uns meilleurs que les autres. Au costé vers le nort d'icelle grande riviere tirant au surouest environ cent lieues par delà vers les Attigouantans, le pays est partie montagneux, & l'air y est assez tempéré, plus qu'en aucun autre lieu desdites contrées, souz la hauteur de quarante & un degré de latitude. Toutes ces parties & contrées sont abondantes en chasses, comme de cerfs, caribous, eslans, daims, buffles, ours, loups, castors, regnards, fouines, martes, & plusieurs autres especes d'animaux que nous n'avons pas par deçà. La pesche y est abondante en plusieurs sortes & especes de poisson, tant de ceux que nous avons, que d'autres que nous n'avons pas aux costes de France. Pour la chasse des oyseaux, elle y est aussi en quantité, & qui y viennent en leur temps & saison. Le pays est traversé de grand nombre de rivieres, ruisseaux & estangs, qui se deschargent les uns dans les autres & en leur fin aboutissent dedans le fleuve Sainct Laurent, & dans les lacs par où il passe. Le pays est fort plaisant, estant chargé de grandes & hautes forests, remplies de bois de pareilles especes que ceux que nous avons en France. Bien est-il vray qu'en plusieurs endroits il y a quantité de pays deserté, où ils sement des bleds d'Inde: aussi ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, 286/942qui sert pour la nourriture desdits animaux. Le pays du nort de ceste grande riviere n'est si agréable que celuy du midy, souz la hauteur de quarante-sept à quarante-neuf degrez de latitude, remply de forts rochers en quelques endroits, à ce que j'ay peu voir, lesquels sont habitez de Sauvages, qui vivent errans parmy le pays, ne labourans & ne faisans aucune culture, du moins si peu que rien, & sont ambulatoires476, estans ores en un lieu, & tantost en un autre, le pays y estant assez froid & incommode. L'estendue d'icelle terre du nort souz la hauteur de quarante-neuf degrez de latitude de l'Orient à l'Occident, a six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles & grandes rivieres qui viennent de ce costé, & se deschargent dedans ledit fleuve, & d'autres qui (à mon opinion) se deschargent en la mer, par la partie & costé du nort, souz la hauteur de cinquante à cinquante & un degrez de latitude, suivant le rapport & relation que m'en ont fait ceux qui vont négocier, & traitter avec les peuples qui y habitent.477
Quant aux parties qui tirent plus à l'Occident, nous n'en pouvons sçavoir bonnement le trajet, dautant que les peuples n'en ont aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents lieues, ou plus, vers l'Occident, d'où vient ladite grande riviere, qui passe entre autres lieux par un lac qui contient prés de trente journées de leurs canaux, à sçavoir celuy qu'avons nommé la mer douce, eu esgard à 287/943sa grande estendue, ayant quarante journées de canaux478 de Sauvages, avec lesquels nous avons accez, qui ont guerre avec d'autres nations, tirant à l'Occident dudit grand lac, qui est la cause que nous n'en pouvons pas avoir plus ample cognoissance, sinon qu'ils nous ont dit par plusieurs & diverses fois, que quelques prisonniers de ces lieux leur ont rapporté y avoir des peuples semblables à nous en blancheur, ayans veu de leur chevelure, qui est fort blonde. Je ne puis que penser là dessus, sinon que ce soient gens plus civilisez qu'eux. Pour en bien sçavoir la vérité, il faudroit les voir, mais il faut de l'assistance, & n'y a que le temps & le courage de quelques personnes de moyens, qui puissent ou vueillent entreprendre ce dessein.
Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort peuplée, & beaucoup plus que le costé du Nort, de diverses nations, ayans guerre les uns contre les autres. Le pays y est fort agréable, beaucoup plus que le costé du Septentrion, & l'air plus tempéré, y ayant plusieurs especes d'arbres & fruicts qu'il n'y a pas au nort dudit fleuve, aussi n'est-il pas de tant de profit & d'utilité quant aux lieux où se font les traittes de pelleteries. Pour ce qui est des terres du costé de l'Orient, elles sont assez cogneues, d'autant que la grand' mer Oceane borne ces endroits là, à sçavoir les costes de Labrador, Terre-neufve, Cap Breton, l'Acadie, Almouchiquois, comme aussi des peuples qui y habitent, en ayant fait ample description cy-dessus.
288/944La contrée de la nation des Attigouantan est souz la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, & 230 lieues de longitude à l'Occident479. Il y a 18 villages, dont 8 480 sont clos & fermez de pallissades de bois à triple rang, entre-lacez les uns dans les autres, où au dessus y a des galeries qu'ils garnissent de pierres & d'eau, pour ruer & esteindre le feu, que leurs ennemis pourroient appliquer contre. Ce pays est beau & plaisant, la plus-part deserté, ayant la forme & mesme scituation que la Bretagne, estant presque environné & enceint de la mer douce. Ces 18 villages (selon leur dire) sont peuplez de 2000 hommes de guerre, sans en ce comprendre le commun, qui peut faire en nombre 20000. ames481. Leurs cabanes sont en façon de tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres de la longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins, & six de large, laissant par le milieu une allée de dix à douze pieds de large, qui va d'un bout à l'autre. Aux deux costez y a une manière d'establie482, de la hauteur de quatre pieds où ils couchent en esté, pour eviter l'importunité des pulces, dont ils ont grande quantité: & en hyver ils couchent en bas sur des nattes, proches du feu, pour estre plus chaudement. Ils font provision de bois sec, & en emplissent leurs cabanes, pour se chauffer en hyver. Au bout d'icelles cabanes y a 289/945une espace, où ils conservent leurs bleds d'Inde, qu'ils mettent en de grandes tonnes faites d'escorces d'arbres, au milieu de leur logement. Il y a des bois qui sont suspendus, où ils mettent leurs habits, vivres, & autres choses, de peur des souris, qui y sont en grande quantité. En telle cabane y aura 12 feux, qui font 24 mesnages, où il fume à bon escient en hyver, qui fait que plusieurs en reçoivent de grandes incommoditez aux yeux, à quoy ils sont subjects, jusques à en perdre la veue sur la fin de leur aage, n'y ayant fenestre aucune, ny ouverture, que celle qui est au dessus de leurs cabanes, par où la fumée sort. Ils changent quelquefois leur village de dix, vingt, ou trente ans, & le transportent d'une, deux, ou trois lieues, d'autant que leur terre se lasse d'apporter du bled sans estre amendée, & par ainsi vont deserter en autre lieu, & aussi pour avoir le bois plus à commodité, s'ils ne sont contraints par leurs ennemis de desloger, & s'esloigner plus loin, comme ont fait les Antouhonorons de quelque 40 à 50 lieues. Voila la forme de leurs logemens, qui sont separez les uns des autres, comme de trois à quatre pas, pour la crainte du feu, qu'ils appréhendent fort.
Conf. 1619, p. 73. Cette phrase, qui d'abord, en 1619, avait été mal lue par un typographe, est devenue, par une malheureuse suppression, absolument inintelligible. Voici, suivant nous, ce qu'a voulu dire l'auteur: La contrée des Attigouantan, c'est-à-dire, le pays huron, est sous la hauteur de 44 degrés et demi, et a douze ou treize lieues de longitude (longueur) de l'Orient à l'Occident, et dix de latitude (largeur).
Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse entr'eux qui n'en ont pas gousté de meilleure, croyans qu'il ne s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger & vivre ordinaire est le bled d'Inde, & febves du Bresil, qu'ils accommodent en plusieurs façons. Ils en pilent en des mortiers de bois, & le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la fleur par le moyen de certains 290/946vans faits d'escorce d'arbres, & d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font premièrement bouillir un bouillon, comme le bled d'Inde, pour estre plus aisé à battre, & mettent le tout ensemble: quelquefois ils y mettent des blues, ou des framboises seches; autrefois des morceaux de graisse de cerf: puis ayans le tout destrempé avec eau tiède, ils en font des pains en forme de gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire souz les cendres, & estans cuites ils les lavent,& les enveloppent de fueilles de bled d'Inde, qu'ils y attachent, & mettent en l'eau bouillante, mais ce n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre sorte qu'ils appellent migan, à sçavoir, ils prennent le bled d'Inde pilé, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou trois poignées dans un pot de terre plain d'eau, le font bouillir, en le remuant de fois à autre, de peur qu'il ne brusle, ou qu'il ne se prenne au pot; puis mettent en ce pot un peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner goust audit migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante, principalement en hyver, pour ne le sçavoir accommoder, ou pour n'en vouloir prendre la peine. Ils en font de deux especes, & l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de ce poisson, ledit migan ne sent pas mauvais, ains seulement à la venaison. Le tout estant cuit, ils tirent le poisson, & l'escrasent bien menu, ne regardans de si prés à oster les arestes, les escailles, ny les tripailles, comme nous faisons, & mettent le tout ensemble dedans le pot, qui cause le plus souvent 291/947le mauvais goust: puis estant ainsi fait, ils en départent à chacun quelque portion. Ce migan est fort clair, & non de grande substance, comme on peut bien juger. Pour le regard du boire, il n'est point de besoin, estant ledit migan assez clair de soy-mesme. Ils ont une autre sorte de migan, à sçavoir, ils font greller du bled nouveau, premier qu'il soit à maturité, lequel ils conservent, & le font cuire entier avec du poisson, ou de la chair, quand ils en ont une autre façon, ils prennent le bled d'Inde bien sec, le font greller dans les cendres, puis le pilent, & le reduisent en farine, comme l'autre cy-devant, lequel ils conservent pour les voyages qu'ils entreprennent, tant d'une part que d'autre: lequel migan fait de ceste façon est le meilleur, à mon goust. Pour le faire, ils font cuire force viande & poisson, qu'ils découpent par morceaux, puis la mettent dans de grandes chaudières qu'ils emplissent d'eau, la faisant fort bouillir: ce fait, ils recueillent avec une cueillier la graisse de dessus, qui provient de la chair & poisson, puis mettent d'icelle farine grullée dedans, en la mouvant tousjours jusques à ce que ledit migan soit cuit, & rendu espois comme bouillie. Ils en donnent & départent à chacun un plat, avec une cueillerée de ladite graisse: ce qu'ils ont coustume de faire aux festins. Or est-il que ledit bled nouveau grullé, est grandement estimé entr'eux. Ils mangent aussi des febves, qu'ils font bouillir avec le gros de la farine grullée, y meslant un peu de graisse, & poisson. Les chiens sont de requeste en leurs festins, qu'ils font souvent les uns aux autres, principalement durant leurs festins. 292/948l'hyver, qu'ils sont de loisir. Que s'ils vont à la chasse aux cerfs, ou au poisson, ils les reservent pour faire ces festins, ne leur demeurant rien en leurs cabanes que le migan clair pour ordinaire, lequel ressemble à de la branée que l'on donne à manger aux pourceaux. Ils ont une autre manière de manger le bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par espics, & le mettent dans l'eau, souz la bourbe, le laissant deux ou trois mois en cet estat, jusques à ce qu'ils jugent qu'il soit pourry, puis ils l'ostent de là, & le font bouillir avec la viande ou poisson, puis le mangent: aussi le font-ils gruller, & est meilleur en ceste façon que bouilly. Il n'y a rien qui sente si mauvais que ce bled sortant de l'eau tout boueux, & neantmoins les femmes & enfans le succent, comme on fait les cannes de sucre, n'y ayant chose qui leur semble de meilleur goust, ainsi qu'ils le demonstrent. D'ordinaire ils ne font que deux repas le jour.
Ils engraissent aussi des ours, qu'ils gardent deux ou trois ans, pour se festoyer: & ay recognu que s'ils avoient du bestial, ils en seroient curieux, & le conserveroient fort bien, leur ayant monstré la façon de le nourrir, chose qui leur seroit aisée, attendu qu'ils ont de bons pasturages, & en grande quantité, soit pour chevaux, boeufs, vaches, moutons, porcs, & autres especes: à faute dequoy on les juge miserables, comme il y a de l'apparence. Neantmoins avec toutes leurs miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils n'ont autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont plus asseurez que ceux qui sont errans par les forests, comme bestes brutes, aussi mangent-ils force citrouilles, 293/949qu'ils font bouillir, & rostir souz les cendres. Quant à leurs habits, ils sont faits de plusieurs sortes & façons de diverses peaux de bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres qu'ils eschangent pour leur bled d'Inde, farines, pourcelines, & filets à pescher, avec les Algommequins, Piserinis, & autres nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrestées. Ils passent & accommodent assez raisonnablement les peaux, faisans leur brayer d'une peau de cerf moyennement grande, & d'une autre le bas de chausses, ce qui leur va jusques à la ceinture, estant fort plissé. Leurs souliers sont de peaux de cerfs, ours, & castors, dont ils usent en bon nombre. Plus ils ont une robbe de mesme fourrure, en forme de couverte, qu'ils portent à la façon Irlandoise, ou Egyptienne, & des manches qui s'attachent avec un cordon par le derrière. Voila comme ils sont habillez durant l'hyver, ainsi qu'il se voit en la figure D. Quand ils vont par la campagne, ils ceignent leur robbe autour du corps, mais estans à leur village, ils quittent leurs manches, & ne se ceignent point. Les passements de Milan pour enrichir leurs habits sont de colle, & de la raclure desdites peaux, dont ils font des bandes en plusieurs façons, ainsi qu'ils s'advisent, y mettans par endroits des bandes de peinture rouge-brun, parmy celles de colle, qui paroissent tousjours blancheastres, n'y perdant point leurs façons, quelques sales qu'elles puissent estre. Il y en a entre ces nations qui sont bien plus propres à passer les peaux les uns que les autres, & ingénieux pour inventer des compartimens à mettre 294/950dessus leurs habits. Sur tous autres nos Montagnais & Algommequins y prennent plus de peine, lesquels mettent à leurs robbes des bandes de poil de porc-espy, qu'ils teindent en fort belle couleur d'escarlate. Ils tiennent ces bandes bien chères entr'eux, & les détachent pour les faire servir à d'autres robbes, quand ils en veulent changer, plus pour embellir la face, & avoir meilleure grâce. Quand ils se veulent bien parer, ils se peindent le visage de noir & rouge, qu'ils démeslent avec de l'huile, faite de la graine d'herbe au Soleil, ou bien avec de la graisse d'ours ou autres animaux. Comme aussi ils se teindent les cheveux, qu'ils portent les uns longs, les autres courts, les autres d'un costé seulement. Pour les femmes & les filles, elles les portent tousjours d'une mesme façon. Elles sont vestues comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours leurs robbes ceintes, qui leur viennent jusqu'au genouil. Elles ne sont point honteuses de monstrer leur corps, à sçavoir depuis la ceinture en haut, & depuis la moitié des cuisses en bas, ayans tousjours le reste couvert, & sont chargées de quantité de pourceline, tant en colliers, que chaisnes, qu'elles mettent devant leurs robbes, pendant à leurs ceintures, bracelets, & pendans d'oreilles, ayans les cheveux bien peignez, peints, & graissez, & ainsi s'en vont aux dances, ayans un touffeau de leurs cheveux par derrière, qui sont liez de peaux d'anguilles, qu'ils accommodent & font servir de cordon, où quelquefois ils attachent des platines d'un pied en quarré, couvertes de ladite pourceline, qui pend par derrière, & en ceste façon vestues & habillées poupinement, 295/951elles se monstrent volontiers aux dances leurs pères & mères les envoyent, n'espargnans rien pour les embellir & parer, & puis asseurer avoir veu en des dances, telle fille qui avoit plus de douze livres de pourceline sur elle, sans les autres bagatelles dont elles sont chargées & atourées. Cy-contre se voit comme les femmes sont habillées, comme monstre F. & les filles allans à la dance, G. Se voit aussi comme les femmes pilent leur bled d'Inde, lettre H.
Ces peuples sont d'une humeur assez joviale (bien qu'il y en aye beaucoup de complexion triste & saturnienne). Ils sont bien formez & proportionnez de leurs corps, y ayant des hommes forts & robustes. Comme aussi il y a des femmes & des filles fort belles & agréables, tant en la taille, couleur (bien qu'olivastre) qu'aux traits du visage, le tout à proportion, & n'ont point le sein ravalé que fort peu, si elles ne sont vieilles. Il s'en trouve parmy elles de fort puissantes, & de hauteur extraordinaire, ayans presque tout le soing de la maison, & du travail: car elles labourent la terre, sement le bled d'Inde, font la provision de bois pour l'hyver, tillent la chanvre, & la filent, dont du filet ils font les rets à pescher, & prendre le poisson, & autres choses necessaires. Comme aussi de faire la cueillette de leurs bleds, les serrer, accommoder à manger, & dresser leur mesnage. De plus, elles suivent leurs maris de lieu en lieu, aux champs, où elles servent de mulles à porter le bagage.
Quant aux hommes, ils ne font rien qu'aller à la chasse du cerf, & autres animaux, pescher du poisson, 296/952faire des cabannes, & aller à la guerre. Ces choses faites, ils vont aux autres nations, où ils ont de l'accez & cognoissance, pour traitter & faire des eschanges de ce qu'ils ont, avec ce qu'ils n'ont point; & estans de retour, ils ne bougent des festins & dances, qu'ils se font les uns aux autres, & à l'issue se mettent à dormir, qui est le plus beau de leur exercice.
Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand une fille est en l'aage d'onze, douze, treize, quatorze, ou quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs, selon ses bonnes grâces, qui la rechercheront, & la demanderont aux père & mère, bien que souvent elles ne prennent pas leur contentement, fors celles qui sont les plus sages & mieux advisées, qui se souzmettent à leur volonté. Cet amoureux ou serviteur presentera à la fille quelques colliers, chaisnes & bracelets de pourceline. Si la fille a ce serviteur agréable, elle reçoit ce present: ce fait, il viendra coucher avec elle trois ou quatre nuicts sans luy dire mot, où ils recueillent le fruict de leurs affections. Et arrivera le plus souvent qu'après avoir passé huict ou quinze jours ensemble, s'ils ne se peuvent accorder, elle quittera son serviteur, lequel y demeurera engagé pour ses colliers, & autres dons par luy faits. Frustré de son esperance, il en recherchera une autre, & elle aussi un autre serviteur, & continuent ainsi jusques à une bonne rencontre. Il y en a telle qui aura passé ainsi. sa jeunesse avec plusieurs maris, lesquels ne sont pas seuls en la jouyssance de la beste, quelques mariez qu'ils soient: car la nuict venue, les jeunes 297/953femmes courent d'une cabane à une autre, comme font les jeunes hommes de leur costé, qui en prennent par où bon leur semble, toutesfois sans aucune violence, remettant le tout à la volonté de la femme. Le mary fera le semblable à sa voisine, sans que pour cela il y ait aucune jalousie entr'eux, ou peu, & n'en reçoivent aucune infamie, ny injure, la coustume du pays estant telle.
Quand elles ont des enfans, les maris précédents reviennent vers elles, leur remonstrer l'amitié & l'affection qu'ils leur ont portée par le passé, & plus que nul autre, & que l'enfant qui naistra est à luy, & est de son faict. Un autre luy en dira autant; & par ainsi il est au choix & option de la femme de prendre & d'accepter celuy qui luy plaira le plus, ayant en ses amours gaigné beaucoup de pourceline. Elles demeurent avec luy sans plus le quitter, ou si elles le laissent, il faut que ce soit avec un grand sujet, autre que l'impuissance, car il est à l'espreuve: neantmoins estans avec ce mary, elles ne laissent pas de se donner carrière, mais se tiennent & resident tousjours au mesnage, faisans bonne mine: de façon que les enfans qu'ils ont ensemble ne se peuvent asseurer légitimes: aussi ont-ils une coustume, prevoyans ce danger qu'ils ne succedent jamais à leurs biens; mais font leurs héritiers & successeurs les enfans de leurs soeurs, desquels ils sont asseurez d'estre issus & sortis.
Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans, ils les mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & les vestent & enveloppent de fourrures, ou peaux, & les bandent sur ladite planchette: puis 298/954la dressent debout, & y laissent une petite ouverture par où l'enfant fait ses petites affaires. Si c'est une fille, ils mettent une fueille de bled d'Inde entre les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout de ladite fueille dehors, qui est renversée, & par ce moyen l'eau de l'enfant coule par ceste fueille, sans qu'il soit gasté de ses eaues. Ils mettent aussi souz les enfans du duvet fait de certains roseaux, que nous appelions pied de lievre, sur quoy ils sont couchez fort mollement, & le nettoyent du mesme duvet: & pour le parer, ils garnissent lad. planchette de patenostres, & en mettent à son col, si petit qu'il soit. La nuict ils les couchent tout nuds entre les peres & meres, où faut considérer en cela la providence de Dieu, qui les conserve de telle façon, sans estre estouffez, que fort rarement. Ces enfans sont grandement libertins, pour n'avoir esté chastiez, & sont de si perverse nature, qu'ils battent leurs pères & mères, qui est une espece de malédiction que Dieu leur envoye.
Ils n'ont aucunes loix parmy eux, ny chose qui en approche, n'y ayant aucune correction ny reprehension à l'encontre des mal-faicteurs, rendans le mal pour le mal, qui est cause que souvent ils sont en dissentions & en guerres pour leurs différents.
Comme aussi ils ne recognoissent aucune Divinité, & ne croyent en aucun Dieu, ny chose quelconque, vivans comme bestes brutes. Ils ont quelque respect au diable, ou d'un nom semblable, parce que souz ce mot qu'ils prononcent, sont entendues diverses significations, & comprend en soy plusieurs choses: 299/955de façon que mal-aisément peut-on sçavoir & discerner s'ils entendent le diable, ou autre chose: mais ce qui fait croire que c'est le diable, est, que lors qu'ils voyent un homme faire quelque chose extraordinaire, ou est plus habile que le commun, vaillant guerrier, furieux, & hors de soy-mesme, ils l'appellent Oqui, comme si nous disions un grand esprit, ou un grand diable. Il y a de certaines personnes entr'eux qui sont les Oqui, ou Manitous (ainsi appeliez par les Algommequins & Montagnais) lesquels se meslent de guarir les malades, penser les blessez, & prédire les choses futures. Ils persuadent à leurs malades de faire, ou faire faire des festins, en intention d'y participer; & souz esperance d'une prompte guerison, leur font faire plusieurs autres cérémonies, croyans & tenans pour vray tout ce qu'ils leur disent.
Ces peuples ne sont possedez du malin esprit comme d'autres Sauvages plus esloignez qu'eux, qui fait croire qu'ils se reduiroient en la cognoissance de Dieu, si leur pays estoit habité de personnes qui prissent la peine & le soin de les enseigner par bons exemples à bien vivre. Car aujourd'huy ont-ils desir de s'amender, demain ceste volonté leur changera, quand il conviendra supprimer leurs sales coustumes, la dissolution de leurs moeurs, & leurs incivilitez. Maintefois les entretenant483 sur ce qui estoit de nostre croyance, loix & coustumes, ils m'escoutoient avec grande attention en leurs conseils, puis me disoient: Tu dis des choses qui surpassent nostre esprit & nostre entendement, & que ne pouvons comprendre par discours. Mais si tu desires que les 300/956sçachions, il est necessaire d'amener en ce pays femmes & enfans, afin qu'apprenions la façon de vivre que tu meines, comme tu adores ton Dieu, comme tu obéis aux loix de ton Roy, comme tu cultives & ensemences les terres, & nourris les animaux. Car voyans ces choses, nous apprendrons plus en un an, qu'en vingt, jugeans nostre vie miserable au prix de la tienne. Leurs discours me sembloient d'un bon sens naturel, qui demonstre le desir qu'ils ont de cognoistre Dieu484.
Quand ils sont malades, ils envoyent quérir l'Oqui, lequel après s'estre enquis de leur maladie, fait venir grand nombre d'hommes, femmes & filles, avec trois ou quatre vieilles femmes, ainsi qu'il sera ordonné par ledit Oqui, lesquels entrent en leurs cabanes en dançant, ayans chacune une peau d'ours, ou d'autres bestes sur la teste, mais celle d'ours est la plus ordinaire, comme la plus monstrueuse, & y a deux ou trois autres vieilles qui sont proches du patient ou malade, qui l'est souvent par imagination: mais de cette maladie ils sont bien tost guéris, & font des festins aux despens de leurs parents ou amis, qui leur donnent dequoi mettre en leur chaudière, outre les dons & presens qu'ils reçoivent des danceurs & danceuses, comme de la pourceline, & autres bagatelles, ce qui fait qu'ils sont bien tost guéris. Car comme ils voyent ne plus rien esperer, ils se levent, avec ce qu'ils ont peu amasser: mais les autres qui sont fort malades, difficilement se guerissent-ils de tels jeux, dances, & façons de faire. Les vieilles qui sont proches du malade reçoivent les presens, chantans chacune à son tour, puis cessent 301/957de chanter: & lors que tous les presens sont faits, ils commencent à lever leurs voix d'un mesme accord, chantans toutes ensemble, & frapans à mesure avec des bâtons sur des escorces seiches d'arbres; puis toutes les femmes & filles se mettent au bout de la cabanne, comme s'ils vouloient faire l'entrée d'un ballet, les vieilles marchans les premières avec leurs peaux d'ours sur leurs testes. Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont quelque proportion, l'une de quatre pas, & l'autre de douze, comme si on dançoit le trioly de Bretagne, & ont assez bonne grâce. Il s'y entremet souvent avec elles de jeunes hommes, lesquels ayans dancé une heure ou deux, les vieilles prendront le malade, qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra en dance, où estant, il dancera & s'esjouira comme les autres.
Quelquefois le Médecin y acquiert de la réputation, de voir si tost son malade guery & debout: mais ceux qui sont accablez & languissans, meurent plustost que de recevoir guerison. Car ils font un tel bruit & tintamarre depuis le matin, jusques à deux heures de nuict, qu'il est impossible au patient de le supporter, sinon avec beaucoup de peine. Que s'il luy prend envie de faire dancer les femmes & les filles ensemble, il faut que ce soit par l'ordonnance de l'Oqui: car luy & le Manitou, accompagnez de quelques autres, font des singeries & des conjurations, & se tourmentent de telle façon, qu'ils sont le plus souvent hors d'eux-mesmes, comme fols & insensez, jettans le feu par la cabanne d'un costé & d'autre, mangeans des charbons ardans (les ayans 302/958tenus un espace de temps en leurs mains) puis jettent des cendres toutes rouges sur les yeux des spectateurs. L'on diroit les voyant de la sorte, que le diable Oqui, ou Manitou (si ainsi les faut appeller) les possedent, & les font tourmenter de la sorte. Ce bruit & tintamarre ainsi fait, ils se retirent chacun chez soy: mais les femmes de ces possedez & ceux de leurs cabanes sont en grande crainte, qu'ils ne bruslent tout ce qui est dedans, qui fait qu'ils ostent tout ce qui y est. Car lors qu'ils arrivent, ils viennent tout furieux, les yeux estincellans & effroyables, tantost debout, & tantost assis, ainsi que la fantaisie les prend, & empoignans tout ce qu'ils trouvent & rencontrent, le jettent d'un costé & d'autre, puis se couchent & dorment quelque espace de temps, & se reveillans comme en sursault, ils prennent du feu & des pierres, qu'ils jettent de toutes parts, sans aucun égard. Cette furie se passe par le sommeil qui les reprend, puis venans à suer, ils appellent leurs amis pour suer avec eux, croyans estre le vray remede pour recouvrer leur sante. Ils se couvrent de leurs robbes, & de grandes escorces d'arbres, ayans au milieu d'eux quantité de cailloux qu'ils font rougir au feu, chantans tousjours durant qu'ils suent. Et d'autant qu'ils sont fort altérez, ils boivent grande quantité d'eau, qui est l'occasion que de fols ils deviennent sages. Il arrive par rencontre, plustost que par science, que trois ou quatre de ces malades se portent bien, ce qui leur confirme leur fausse croyance d'avoir esté guéris par le moyen de ces cérémonies, sans considerer qu'il en meurt dix autres. 303/959Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, & marchent sur les mains & pieds comme bestes, mais elles ne font tant de mal. Ce que voyant l'Oqui, il commence à chanter, puis faisant quelques mines il la soufflera, luy ordonnant à boire de certaines eaues, & qu'elle face un festin, soit de chair, ou de poisson, qu'il faut trouver. La crierie faite, & le banquet finy, chacun se retire en sa cabane, jusques à une autre fois qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant avec plusieurs autres appellez pour cet effect, tenans en la main une tortue seiche remplie de petits cailloux, qu'ils font sonner aux oreilles du malade, luy ordonnant qu'elle face trois ou quatre festins tout de suitte, une partie de chanterie & dancerie, où toutes les filles se trouvent parées & peintes, avec des mascarades, & gens desguisez. Ainsi assemblez, ils vont chanter prés du lict de la malade, puis se promènent tout le long du village, cependant que le festin s'appreste & se prépare.
Pour ce qui concerne leur mesnage & vivre, chacun vit de ce qu'il peut pescher & recueillir, ayant autant de terre comme il leur est necessaire. Ils la desertent avec grand' peine, pour n'avoir des instrumens propres pour ce faire, puis émondent les arbres de toutes tes branches, qu'ils bruslent au pied d'iceluy, pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre entre les arbres, puis sement leur bled de pas en pas, où ils mettent en chacun endroit environ dix grains, & continuent ainsi jusques à ce qu'ils en ayent assez pour trois ou quatre ans de provision, craignans qu'il ne leur arrive quelque mauvaise année, sterile & infructueuse.
304/960S'il y a quelque fille qui se marie en hyver, chasque femme & fille est tenue de porter à la nouvelle mariée un fardeau de bois pour sa provision (car chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire) d'autant qu'elle ne le pourroit faire seule, & aussi qu'il convient vacquer à d'autres choses qui sont lors de temps & saison.
Pour ce qui est de leur gouvernement, les anciens & principaux s'assemblent en un conseil, où ils décident & proposent tout ce qui est de besoin pour les affaires du village; ce qui se fait par la pluralité des voix, ou du conseil de quelques uns d'entr'eux, qu'ils estiment estre de bon jugement; lequel conseil ainsi donné, est exactement suivy. Ils n'ont point de Chefs particuliers qui commandent absolument, mais bien portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillans, qu'ils nomment Capitaines.
Quant aux chastiemens ils n'en usent point, ains font le tout par prieres des anciens, & à force de harangues & remonstrances, & non autrement. Ils parlent tous en général, & là où il se trouve quelqu'un de l'assemblée qui s'offre de faire quelque chose pour le bien du village, ou aller en quelque part pour le service du commun, si on le juge capable d'exécuter ce qu'il promet, on luy remonstre & persuade par belles paroles qu'il est homme hardy, propre à telles entreprises, & qu'il y acquerra beaucoup de réputation. S'il veut accepter, ou réfuter ceste charge, il luy est permis, mais il s'en trouve peu qui la réfutent.
Quant ils veulent entreprendre des guerres, ou aller au pays de leurs ennemis, deux ou trois des 305/961anciens ou vaillans Capitaines entreprendront ceste conduitte pour ceste fois, & vont aux villages circonvoisins faire entendre leur volonté, en leur donnant des presens, pour les obliger de les accompagner. Puis ils délibèrent le lieu où ils veulent aller, disposant des prisonniers qui seront pris, & autres choses de consideration. S'ils font bien, ils en reçoivent de la louange, s'ils font mal ils en sont blasmez. Ils font des assemblées générales chacun an en une ville qu'ils nomment, où il vient un Ambassadeur de chaque Province, & là font de grands festins & dances durant un mois ou cinq sepmaines, selon qu'ils advisent entr'eux, contractans nouvelle amitié, decidans ce qu'il faut faire pour la conservation de leur pays, & se donnans des presens les uns aux autres. Cela estant fait, chacun se retire en ton quartier.
Quand quelqu'un est décédé, ils enveloppent le corps de fourrures, & le couvrent d'escorces d'arbres fort proprement, puis ils l'eslevent sur quatre pilliers, sur lesquels ils font une cabanne aussi couverte d'escorces d'arbres de la longueur du corps. Ces corps ne sont inhumez en ces lieux que pour un temps, comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du village advisent le lieu où se doivent faire leurs cérémonies, ou pour mieux dire, conseil général, où tous ceux du païs assistent. Cela fait, chacun s'en retourne à son village, prenant tous les ossemens des deffuncts, qu'ils nettoyent & rendent fort nets, & les gardent soigneusement; puis les parens & amis les prennent, avec leurs colliers, fourrures, haches, chaudières, & autres choses de valeur, avec 306/962quantité de vivres qu'ils portent au lieu destiné, où estans tous assemblez, ils mettent ces vivres où ceux de ce village ordonnent, y faisans des festins & dances continuelles l'espace de dix jours que dure la feste, pendant lesquels les autres nations y accourent de toutes parts, pour voir les cérémonies qui s'y font, par le moyen desquelles ils contractent une nouvelle amitié, disans que les os de leurs parents & amis sont pour estre mis tous ensemble, posans une figure, que tout ainsi qu'ils sont assemblez en un mesme lieu, aussi doivent-ils estre unis en amitié & concorde, comme parents & amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os estans ainsi meslez, ils font plusieurs discours sur ce sujet, puis après quelques mines ou façons de faire, ils font une grande fosse, dans laquelle ils les jettent, avec les colliers, chaisnes de pourceline, haches, chaudières, lames d'espées, couteaux, & autres bagatelles, lesquelles ils prisent beaucoup, & couvrans le tout de terre, y mettent plusieurs grosses pièces de bois, avec quantité de piliers à l'entour & une couverture sur iceux. Aucuns d'eux croyent l'immortalité des âmes, disans qu'aprés leur deceds ils vont en un lieu où ils chantent comme les corbeaux.
Reste à déclarer la forme & manière qu'ils usent en leurs pesches. Ils font plusieurs trous en rond sur la glace, & celuy par où ils doivent tirer la seine a environ cinq pieds de long, & trois de large, puis commencent par ceste ouverture à mettre leur filet, lequel ils attachent à une perche de bois de six à sept pieds de long, & la mettent dessouz la glace, & la font courir de trou en trou, où un homme ou 307/963deux mettent les mains par iceux, prenant la perche où est attaché un bout du filet, jusques à ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de cinq à six pieds. Ce fait, ils laissent couler le rets au fonds de l'eau, qui va bas, par le moyen de certaines petites pierres qu'ils attachent au bout, & estans au fonds de l'eau, ils le retirent à force de bras par ses deux bouts, & ainsi amènent le poisson qui se trouve prins dedans.
Après avoir discouru amplement des moeurs, coustumes, gouvernement, & façon de vivre de nos Sauvages, nous reciterons qu'estans assemblez pour venir avec nous, & reconduire à nostre habitation, nous partismes de leur pays le 20e jour de May485, & fusmes 40 jours sur les chemins, où peschasmes grande quantité de poisson de plusieurs especes: comme aussi nous prismes plusieurs sortes d'animaux, & gibbier, qui nous donna un singulier plaisir, outre la commodité que nous en receusmes, & arrivasmes vers nos François 486 sur la fin du mois de Juin, où je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu de France avec deux vaisseaux, qui desesperoit presque de me revoir pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des Sauvages que j'estois mort.
Nous veismes aussi tous les Pères Religieux, qui estoient demeurez à nostre habitation, lesquels furent fort contents de nous revoir, & nous aussi eux: puis je me disposay de partir du Sault Sainct Louis, pour aller à nostre habitation, menant avec moy mon hoste Darontal. Parquoy prenant congé de 308/964tous les Sauvages, & les asseurant de mon affection, je leur dis que je les reverrois quelque jour pour les assister, comme j'avois fait par le passé, & leur apporterois des presens pour les entretenir en amitié les uns avec les autres, les priant d'oublier les querelles qu'ils avoient eues ensemble, lors que je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent faire. Nous partismes le 8e jour de Juillet, & arrivasmes à nostre habitation le 11 dudit mois, où trouvasmes chacun en bon estat, & tous ensemble, avec nos Pères Religieux, rendismes grâces à Dieu, en le remerciant du soin qu'il avoit eu de nous conserver & preserver de tant de périls & dangers où nous nous estions trouvez.
Pendant cecy, je faisois la meilleure chère que je pouvois à mon hoste Darontal, lequel admirant nostre bastiment, comportement, & façon de vivre, me dit en particulier, Qu'il ne mourroit jamais content qu'il ne veist tous ses amis, ou du moins bonne partie, venir faire leur demeure avec nous, afin d'apprendre à servir Dieu, & la façon de nostre vie, qu'il estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur. Que ce qu'il ne pouvoit comprendre par le discours, il l'apprendroit beaucoup mieux & plus facilement par la fréquentation qu'il auroit avec nous 487. Que pour l'advancement de cet oeuvre nous fissions une autre habitation au Sault Sainct Louys, pour leur donner la seureté du passage de la riviere, pour la crainte de leurs ennemis, & qu'aussi tost ils viendroient en nombre à nous pour y vivre comme 309/965frères: ce que je luy promis faire le plustost qu'il me seroit possible. Ainsi après avoir demeuré 4 ou 5 jours ensemble, & luy ayant donné quelques honnestes dons (desquels il se contenta fort) il s'en retourna au Sault Sainct Louys, où ses compagnons l'attendoient488.
Pendant mon sejour à l'habitation, je fis couper du bled commun, à sçavoir du bled François qui y avoit esté semé, lequel estoit très-beau, afin d'en apporter en France, pour tesmoigner que ceste terre est très-bonne & fertile. Aussi y avoit-il du bled d'Inde fort beau, & des entes & arbres que nous y avions porté 489.
L'édition de 1632 retranche encore ici un passage important, où il est question des Pères Récollets: «Nous estans,» dit Champlain, «sur le point de nostre partement, nous laissasmes deux de nos Religieux à nostre habitation, à sçavoir les Pères Jean d'Elbeau & Père Paciffique» (P. Jean d'Olbeau et Frère Pacifique), «fort content de tout le temps qu'ils avoient passé audit lieu, & resoulds d'y attendre le retour du Père Joseph qui les debvoit retourner voir comme il fit l'année suivante.» (1619, p. 107.)
Je m'embarquay en nos barques le 20e jour de Juillet, & arrivay à Tadoussac le 23e jour dudit mois, où le sieur du Pont nous attendoit avec son vaisseau prest & appareillé, dans lequel nous nous embarquasmes, & partismes le troisiesme jour du mois d'Aoust, & eusmes le vent si à propos que nous arrivasmes à Honnefleur le 10 jour de Septembre 1616, où nous rendismes louange & action de grâces à Dieu de nous avoir preservez de tant de périls & hazards où nous avions esté exposez, & de nous avoir ramenez en santé dans nostre patrie. A luy donc soit gloire & honneur à jamais. Ainsi soit-il490.
Conf. 1619, p. 108. Ici se termine le voyage de 1615; l'édition de 1619 renferme en outre le voyage de 1618, que l'édition de 1632 n'a pas cru devoir reproduire soit qu'on ait jugé de peu d'importance les faits qui y sont rapportés, soit qu'on ait trouve difficile de retrancher la part qu'y ont eue les Pères Récollets.
Changement de Viceroy de feu M. le Mareschal de Themines, qui obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la nouvelle France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons à la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux.
CHAPITRE VIII.491
Estant arrivé en France, nous eusmes nouvelles de la détention de Monseigneur le Prince 492, qui me fit juger que nos envieux ne tarderoient gueres à vomir leur poison, & qu'ils feroient ce qu'ils n'avoient osé faire auparavant: car le chef estant malade, les membres ne peuvent estre en santé. Aussi dés lors les affaires changerent de face, & firent naistre un nouveau Vice-roy, par l'entremise d'un certain personnage, lequel s'addresse au Sieur de Beaumont Maistre des Requestes, lequel estoit amy de Monsieur le Mareschal de Themines, qui donne advis de demander la charge de Lieutenant de Roy de la nouvelle France, pendant la détention de mond. Seigneur le Prince: lequel l'obtint de la Royne-mere Régente. Cet entremetteur va trouver Monsieur le Mareschal de Themines, luy fait voir que l'on donnoit un cheval de mille escus à Monseigneur le Prince, & qu'il en pourroit bien avoir un de quatre mil cinq cents livres, par les moyens qu'il luy dira, moyennant 311/967que mond. sieur luy face quelque gratification, & le continue en la charge de faire les affaires de la Compagnie, & pouvoir estre son Secrétaire. Il luy dit qu'en consideration de l'advis qu'il luy avoit fait donner, & aussi pour le soin qu'il avoit des affaires, il le recognoistroit, comme dit est. Cela accordé, ledit Solliciteur dit aux associez, Qu'il avoit appris que Monsieur de Themines avoit l'affaire de Canada, & demandoit cinq cents escus davantage que les mille, d'autant qu'il y en avoit d'autres qui vouloient prendre ce party, & luy offroient, mais qu'il les vouloit préférer. Ces associez adjoustent foy à cecy, jusques à ce que la mesche fust descouverte par l'un des Secrétaires de mond. Sieur de Themines, fasché de ce que ce personnage emportoit ce qui luy devoit estre acquis. En ces entrefaites, on donne advis à Monseigneur le Prince de tout ce qui se passoit, qui donna charge à Monsieur Vignier de mesnager ceste affaire: lequel fait arrest de ce qui estoit deub à mond. Seign. le Prince, & que s'ils payoient à Monsieur de Themines, ils payeroient deux fois. Voila un procez qui s'esmeut au Conseil entre les associez, Monseigneur le Prince, le Sieur de Themines, & le Sieur de Villemenon, comme Intendant de l'Admirauté, qui s'y entremet pour Monseigneur de Montmorency, sur quelque poinct qui dependoit de la charge dudit Sieur, pour le bien de la Société, qui desiroit aussi que les mille escus fussent employez au bien du païs: chose qui eust esté tres-raisonnable. Ils sont tous au Conseil, & de là renvoyez à la Cour de Parlement. Laissons les plaider, pour aller appareiller nos vaisseaux, qui 312/968ne perdoient temps pour aller secourir les hyvernans de l'habitation.
En ce mesme temps remonstrances furent faites à Messieurs les associez du peu de fruict qu'ils avoient fait cognoistre à advancer le progrez de l'habitation, & qu'il n'y avoit chose plus capable de rompre leur societé, s'ils n'y remedioient par quelque augmentation de faire bastir, & envoyer quelques familles pour défricher les terres.
Ils se resolurent donc d'y remédier, & pour cet effect le Sieur de Mons desirant de voir de plus en plus fructifier ce dessein, met la plume à la main, fait quelques articles, par lesquels lad. Compagnie s'obligeoit à l'augmentation des hommes pour la conservation du pays, munitions de guerre, & des vivres necessaires pour deux ans, attendant que la terre peust fructifier.
Ces articles furent mis entre les mains de Monsieur de Marillac, pour estre rapportez au Conseil. Voicy un bel acheminement sans profit: car le tout s'en alla en fumée, par je ne sçay quels accidents, & Dieu ne permit pas que ces articles eussent lieu. Neantmoins Monsieur de Marillac trouva tout cela juste, & s'en resjouit, grandement porté à l'advancement de ceste affaire.
Pendant ces choses, je fus à Honnefleur pour aller au voyage, où estant, un de la compagnie, aussi malicieux, que grand chicaneur, appellé Boyer, comparoissant pour toute icelle Compagnie, me tait signifier un arrest de Messieurs de la Cour de Parlement, par lequel il disoit que je ne pouvois plus prétendre l'honneur de la charge de Lieutenant 313/969de Monseigneur le Prince, attendu que la Cour avoit ordonné que les Seigneurs Prince de Condé, de Montmorency, & de Themines, sans prejudicier à leurs qualitez, ne pourroient recevoir aucuns deniers de ce qu'ils pouvoient prétendre, & defense aux associez de ne rien donner, sur les peines du quadruple. Tout cela ne me touchoit point; car ayant servy comme j'avois fait, ils ne me pouvoient oster ny la charge, ny moins les appointemens, à quoy volontairement ils s'estoient obligez lors que je les associay. Voila la recompense de ces Messieurs les associez, qui se deschargeoient sur ledit Boyer, que ce qu'il avoit fait estoit de son mouvement. Je protestay au contraire, attendant le retour de mon voyage.
Je m'embarquay donc pour le voyage de l'an 1617. où il ne se pana rien de remarquable493. Estant de retour à Paris, je fus trouver mond. sieur de Themines, duquel j'avois eu la commission de son Lieutenant pendant la détention de mond. Seigneur le Prince. Il obtient lettres du Conseil de sa Majesté pour y faire renvoyer l'affaire, qui n'avoit pas esté jugée à son profit. Estant au Conseil, la Compagnie ne demande maintenant que la descharge de ce qu'elle doit payer, & qu'ils ne payent point à deux. Ordonné que l'on donnera l'argent à mond. sieur de Themines. Neantmoins led. sieur Vignier Intendant de Monseig. le Prince, dit que les Associez regardent ce qu'ils font, à ce qu'un jour ils ne payent derechef. Ceste Compagnie se trouve en peine, & eust voulu qu'ils se fussent accordez.
314/970Quoy que c'en soit, ils payent à M. de Themines, en vertu de l'arrest du Conseil. Or c'est à faire à payer encore une autre fois, s'il y eschet (dirent-ils). Au lieu que tous devroient contribuer à ce sainct dessein, on en oste les moyens. Car les associez disent qu'ils ne peuvent faire aucun advancement au pays, si on ne les veut assister, & employer le peu d'argent qu'ils donnent annuellement, ou le donner aux Religieux, pour aider à faire leur Séminaire: lesquels perdirent ceste occasion envers mond. Seigneur le Prince.
Estans pour lors empeschez à des affaires qui leur touchoient d'avantage que celles de cette entreprise, ils ne s'y voulurent employer, disans qu'ils avoient assez d'affaires pour eux en France, sans solliciter pour celles de Canada. Cecy fut froidement sollicité; qui est le moyen de ne rien faire, si Dieu n'eust suscité d'autres voyes.
En ceste mesme année arrive un autre assault des effects du malin esprit. Les envieux croyent qu'ils auroient meilleur marché pendant la détention de Monseigneur le Prince, pour faire rompre sa commission & par consequent celle de Monsieur de Themines; & font tant que Messieurs des Estats de Bretagne tentent la fortune pour la seconde fois, afin de les favoriser, & de coucher en leurs articles celuy de la traitte libre pour la Province de Bretagne. Ils viennent à Paris, presentent leurs cahiers à Messieurs du Conseil; lesquels leur accordent cet article, sans avoir ouy les parties, qui estoient engagées bien avant en ceste affaire. J'en parlay au feu sieur Evesque de Nantes, député pour lors des 315/971Estats, & à Moniteur de Sceaux, qui avoit les régistres des Estats de Bretagne, lequel me disant que c'estoit la vérité, je luy repartis: Monsieur, comment est-il possible que l'on aye octroyé si promptement cet article sans ouyr partie? Il me respondit, L'on ny a pas songé. Je fais aussi tost presenter une requeste à Messieurs du Conseil, qui ordonnèrent des Commissaires pour juger l'affaire. Cependant l'article est sursis, jusques à ce qu'il en aye esté autrement ordonné, & que les parties seroient appellées & ouïes sur ce faict. J'escris aussi tost à nos associez à Rouen, qu'ils eussent à venir promptement, ce qu'ils firent, car la chose leur touchoit de prés. Estans venus, les Commissaires s'assemblent chez Monsieur de Chasteau-neuf. Messieurs les Députez des Estats & moy s'y trouvent avec nos associez, pour décider de ceste affaire. L'on fut long temps à débattre sur ce que les Bretons pretendoient la préférence de ce négoce aux autres subject de ce Royaume, & plusieurs raisons furent agitées d'un costé & d'autre. Je n'y oubliay rien de ce que j'en sçavois, & avois peu apprendre par des Autheurs dignes de foy. Le tout bien consideré, fut dit, que l'article seroit rayé, jusques à ce que plus à plain il en fust ordonné, & cependant defenses faites aux Bretons, de par le Roy, de trafiquer en aucune manière que ce soit de pelleterie, avec les Sauvages, sans le consentement de lad. Société: & tans l'advis que j'en eus, l'affaire eust esté rompue pour lors. Car combien de querelles & procez se fussent-ils émeus tant en la nouvelle France, qu'au Conseil de sa Majesté?
En la mesme année 1618, les Associez craignans 316/972d'estre démis de la traitte de pelleterie, pour ne faire quelque chose de plus que ce qu'ils estoient obligez par leurs articles, comme de passer des hommes par delà pour habiter & défricher les terres; à quoy je les portois le plus qu'il m'estoit possible; & au default des personnes, s'offroient d'en mener, en leur accordant les mesmes privileges qu'ils avoient. Que de moy j'avois à informer sad. Majesté & Monseig. le Prince, du progrés qui se faisoit de temps en temps comme j'avois fait. Que les troubles ordinaires qui avoient esté en France avoient empesché sad. Majesté d'y remédier, & qu'ils eussent à mieux faire. Qu'autrement, ils pourroient estre depossedez de toutes leurs prétentions, qui ne tendoient qu'à leur profit particulier, bien dissemblable aux miennes, qui n'avois autre dessein que de voir le pays habité de gens laborieux, pour défricher les terres, afin de ne point s'assubjectir à porter des vivres annuellement de France, avec beaucoup de despense, & laisser les hommes tomber en de grandes necessitez, pour n'avoir dequoy se nourrir, comme il estoit ja advenu, les vaisseaux ayans retardé prés de deux mois plus que l'ordinaire, & pensa y avoir une émotion & revolte à ce sujet les uns contre les autres.
A tout cecy nosd. Associez disoient, que les affaires de France estoient si muables, qu'ayans fait une grande despense, ils n'avoient lieu de seureté pour eux, ayans veu ce qui s'estoit passé au sujet du Sieur de Mons. Je leur dis, qu'il y avoit bien de la différence de ce temps là à cestuy cy, entant que c'estoit un Gentil-homme qui n'avoit pas assez 317/973d'authorité pour se maintenir en Court contre l'envie dans le Conseil de sa Majesté. Que maintenant ils avoient un Prince pour protecteur, & Viceroy du pays, qui les pouvoit protéger & défendre envers & contre tous, souz le bon plaisir du Roy. Mais j'appercevis bien qu'une plus grande crainte les tenoit; que si le pays s'habitoit leur pouvoir se diminueroit, ne faisans en ces lieux tout ce qu'ils voudroient, & seroient frustrez de la plus grand' partie des pelleteries, qu'ils n'auroient que par les mains des habitans du pays, & peu après seroient chassez par ceux qui les auroient installez avec beaucoup de despense. Considerations pour jamais n'y rien faire, par tous ceux qui auront de semblables desseins; & ainsi souz de beaux prétextes promettent des merveilles pour faire peu d'exécution, & empescher ceux qui eussent eu bonne envie de s'habituer en ces terres, qui volontiers y eussent porté leur bien, & leur vie, s'ils n'en eussent esté empeschez. Et si cela eust réussi, jamais l'Anglois n'y eust esté, comme il a fait, par le moyen des rebelles François.
A force de solliciter lesd. Associez, ils s'assemblerent, & firent un estat du nombre d'hommes & familles qu'ils y devoient envoyer, outre celles qui y estoient: duquel estat j'en pris copie pardevant Notaires, comme il s'ensuit.
Estat des personnes qui doivent estre menées & entretenues en l'habitation de Quebec, pour l'année 1619.
Il y aura 80 personnes, y compris le Chef, trois Peres Recollets, commis, officiers, ouvriers, & laboureurs.
318/974Deux personnes auront un matelas, paillasse, deux couvertes, trois paires de linceulx neufs, deux habits à chacun, six chemises, quatre paires de souliers, & un capot.
Pour les armes, 40 mousquets avec leurs bandolieres, 24 piques, 4 harquebuzes à rouet de 4 à 5 pieds, 1000 livres de poudre fine, 1000 de poudre à canon, 1000 livres de balles pour les pièces, six milliers de plomb, un poinçon de mesche.
Pour les hommes, une douzaine de faux avec leur manche, marteaux, & le reste de l'équipage, 12 faucilles, 24 besches pour labourer, 12 picqs, 4000 livres de fer, 2 barils d'acier, 10 tonneaux de chaulx (l'on n'en avoit encore point trouvé audit pays comme l'on a fait depuis) dix milliers de tuille creuse, ou vingt mille de platte, dix milliers de brique pour faire un four & des cheminées, deux meules de moulin, car il ne s'y en estoit trouvé que depuis trois ans.
Pour le service de la table du Chef, 36 plats, autant d'escuelles & d'assiettes, 6 salieres, 6 aiguieres, 2 bassins, 6 pots de deux pintes chacun, 6 pintes, 6 chopines, 6 demy-septiers, le tout d'estain, deux douzaines de nappes, vingt-quatre douzaines de serviettes.
Pour la cuisine, une douzaine de chaudières de cuivre, 6 paires de chesnets, 6 poisles à frire, 6 grilles.
Sera aussi porté deux taureaux d'un an, des genices, & des brebis ce que l'on pourra: de toutes sortes de graines pour semer.
Il y eust bien fallu plusieurs autres commoditez 319/975qui manquoient en ce mémoire: mais ce n'eust pas esté peu, s'il eust esté accomply comme il estoit.
De plus y avoit: Celuy qui commandera à l'habitation, se chargera des armes & munitions qui y sont, & de celles qui y seront portées, durant qu'il y demeurera.
Et le Commis qui sera à l'habitation pour la traitte des marchandises, se chargera d'icelles, ensemble des meubles & ustensiles qui seront à la compagnie, & de tout il envoyera par les navires un estat, lequel il signera.
Sera aussi porté une douzaine de materas garnis, comme ceux des familles, qui seront mis dans le magazin, pour aider aux malades & blessez.
Il sera besoin aussi que le navire qui pourra estre acheté pour la compagnie, ou frété, aille à Québec, & qu'il soit porté par la charte partie, & selon la facilité qui se trouvera, il faudra aussi faire monter le grand navire de la compagnie.
Fait & arresté par nous souz-signez, & promettons accomplir en ce qui sera possible le contenu cy dessus. En tesmoin dequoy nous avons signé ces presentes. A Paris le 21 Décembre 1619494. Ainsi signé, Pierre, Dagua495, Le Gendre, tant pour luy que pour les Vermulles, Bellois, & M. Dustrelot.
Collationné à l'original en papier. Ce fait rendu par les Notaires souz-signez, l'an 1619, le 11e jour de Janvier. GUERREAU. FOURCY.
Je portay cet estat à Monsieur de Marillac, pour le faire voir à Messieurs du Conseil, qui trouverent 320/976très-bon qu'il s'executast, recognoissans la bonne volonté qu'avoient lesdits Associez de se porter au bien de ceste affaire, & ne voulurent entendre d'autres propositions qui leur estoient faites par ceux de Bretagne, la Rochelle, & Sainct Jean de Lus. Quoy que ce soit, ce fut un bruit & une demonstration de bien augmenter la peuplade, qui ne sortit pourtant à nul effect. L'année s'escoula, & ne se fit rien, non plus que la suivante, que l'on recommença à crier, & se plaindre de ceste Société, qui donnoit des promesses, sans rien effectuer.
Voila comme ceste affaire se pana, & sembloit que tous obstacles se mettoient au devant, pour empescher que ce sainct dessein ne reussist à la gloire de Dieu.
Une partie de cesdits associez estoient de la religion prétendue reformée, qui n'avoient rien moins à coeur que la nostre s'y plantast, bien qu'ils consentoient d'y entretenir des Religieux, parce qu'ils sçavoient que c'estoit la volonté de sa Majesté. Les Catholiques en estoient très-contents, & c'estoit la chambre my-partie: car au commencement on n'y avoit peu faire davantage, & ne se trouvoit des Catholiques qui voulussent tant hazarder, qui fit que l'on receut les prétendus reformez, à la charge neantmoins que l'on n'y feroit nul exercice de leur religion. Ce qui occasionnoit en partie tant de divisions & procez les uns contre les autres, que ce l'un vouloit, l'autre ne le vouloit pas, vivans ainsi avec une telle mesfiance, que chacun avoit son commis, pour avoir égard à tout ce qui se passeroit, qui n'estoit qu'augmentation de despense.
321/977Et de plus, combien ont-ils eu de procez contre les Rochelois, qui n'en vouloient perdre leur part, souz des passe-ports qu'ils obtenoient par surprise, sans rien contribuer? & autres sans commission se mettoient en mer à la desrobée pour aller voler & piller contre les défenses de sadite Majesté, & ne pouvoit-on avoir aucune raison ny justice en l'enclos de leur ville: car quand on alloit pour faire quelque exploict de Justice, le Maire disoit: Je crois ne vous faire pas peu de faveur & de courtoisie, en vous conseillant de ne faire point de bruit, & de vous retirer au plustost. Que si le peuple sçait que veniez en ce lieu, pour exécuter les commandemens de Messieurs du Conseil vous courez fortune d'estre noyez dans le port de la Chaisne, à quoy je ne pourrois remédier.
Si faut-il que je dise encore, que ce qui sembloit n'estre à leur advantage, l'estoit plus qu'ils ne pensoient; d'autant que c'est chose certaine, qu'outre le bien spirituel, le temporel s'accroît infiniment par les peuplades, & plus il y a de gens laborieux, plus de commoditez peut-on esperer, lesquels ayant leur nourriture & logement, se plaisent à faire valloir les commoditez qui y sont, & le débit ne se peut faire que par les vaisseaux qui y vont porter des marchandises qui leur sont necessaires, pour les eschanger en celles du pays: & par ainsi ceux qui ont les commissions de sa Majesté, d'aller seuls trafiquer privativement à tous autres avec les François habituez, pour subvenir à la despense qu'ils pourroient avoir faite à y mener des hommes de toutes conditions, avec ce qui leur seroit necessaire, ils peuvent s'asseurer que pendant le temps de leur 322/978commission les habitans de ces lieux seroient contraints & forcez de porter au magazin des associez ce qu'ils pourroient avoir de pelleterie, qui sont de mauvaise garde pour un long temps, pour les inconveniens qui en peuvent arriver: en les faisant valoir un honneste prix pour recevoir de France beaucoup de choses qui leur seroient necessaires. Que les vouloir contraindre à ne traitter avec les Sauvages, cela leur donneroit tel mescontentement, qu'ils tascheroieht à perdre le tout, plustost que les porter au magazin, comme j'ay veu plusieurs fois. Car à quoy penseroit-on que ces peuples voulurent faire amas de pelleterie que pour leur usage, & traitter le reste pour avoir des commoditez du magazin, dont ils ne se peuvent passer? Au contraire, trafiquant & négociant, en leur laissant la traitte libre, ils prendront courage de travailler, & d'aller en plusieurs contrées faire ce négoce avec les Sauvages, pour trouver quelque advantage en ce commerce.
Les Associez ayans leur arrest en main, font nouveaux équipages, & apprestent leur vaisseau. Je me mets en estat de partir avec ma famille, & leur fais sçavoir, lesquels entrent en doute: neantmoins ils me mandent qu'ils me feront bonne réception, & qu'ils avoient advisé entr'eux que le Sieur du Pont devoit demeurer pour commander à l'habitation sur leurs gens, & moy à m'employer aux descouvertes, comme estant de mon faict, & à quoy je m'estois obligé. C'estoit en un mot, qu'ils pensoient avoir le gouvernement à eux seuls, & faire là comme une Republique à leur fantaisie, & se 323/979servir des Commissions de sa Majesté pour effectuer leurs passions, sans qu'il y eust personne qui les peust controller, pour tousjours tirer le bon bout devers eux, sans y rien adjouster, s'ils n'estoient bien pressez. Ils n'ont plus affaire de personne, & tout ce que j'avois fait pour eux n'entre point en consideration. Je suis honneste homme, mais je ne dépens pas d'eux. Ils ne considerent plus leurs articles, & à quoy ils s'estoient obligez tant envers le Roy, qu'envers Monseigneur le Prince, & moy. Ils n'estiment rien leurs contracts & promesses qu'ils avoient faites souz leur seing, & sont sur le haut du pavé. Je ne sçay pas en fin ce qui en sera, mais je sçay bien qu'ils n'avoient point de raison ny de justice de plaider contre leur seing. Tout cecy s'esmouvoit à la sollicitation de Boyer, qui dans le tracas vivoit des chicaneries qu'il exerçoit: car s'il despensoit un sol, il en comptoit pour le moins quatre à chacun, ainsi que j'ay ouy dire depuis.
Voyant ce qu'ils m'avoient mandé, je leur escrivis, & m'achemine à Rouen avec tout mon équipage 496. Je leur monstre les articles, & comme Lieutenant de Monseigneur le Prince, que j'avois droict de commander en l'habitation, & à tous les hommes qui y seroient, fors & excepté au magazin où estoit leur premier Commis, qui demeuroit pour mon Lieutenant en mon absence. Que pour les descouvertes, ce s'estoit point à eux de me donner la loy: 324/980que je les faisois, quand je voyois l'occurence des temps propres à cet effect, comme j'avois fait par le passé. Que je n'estois pas obligé à plus que ce que les articles portoient, qui ne disoient rien de tout cela. Que pour le Sieur du Pont j'estois son amy, & que son aage me le feroit respecter comme mon père: mais de consentir qu'on luy donnast ce qui m'appartenoit par droict & raison, je ne le soufrirois point. Que les peines, risques, & fortunes de la vie que j'avois couru aux descouvertes des terres & peuples amenez à nostre cognoissance, dont ils en recevoient le bien, m'avoient acquis l'honneur que je possedois. Que le Sieur du Pont & moy ayans vescu par le passé en bonne amitié, je desirois y perseverer. Que je n'entendois point faire le voyage qu'avec la mesme auctorité que j'avois eue auparavant: autrement, que je protestois tous despens, dommages & interests contre eux à cause de mon retardement. Et sur cela, je leur presentay ceste lettre de sa Majesté.
Il est évident que, par cette expression «mon équipage», Champlain veut parler ici du personnel de sa maison; car, après les articles convenus et signés (ci-dessus, p. 322), c'est-à-dire, au printemps de 1619, «il se mit en état départir avec sa famille.» Madame de Champlain serait donc venue au Canada dès 1619, sans les difficultés que soulevèrent les associés. (Voir ci-après, p. 325.)
DE PAR LE ROY.
Chers & bien-aimez, Sur l'advis qui nous a esté donné, qu'il y a eu cy-devant du mauvais ordre en l'establissement des familles & ouvriers que l'on a menez en l'habitation de Quebec, & autres lieux de la Nouvelle France, Nous vous escrivons ceste lettre, pour vous déclarer le desir que nous avons que toutes choses aillent mieux à l'advenir: & vous mander, que nous aurons à plaisir que vous assistiez, autant que vous le pourrez commodément, le sieur de Champlain, 325/981des choses requises & necessaires pour l'execution du commandement qu'il a receu de Nous, de choisir des hommes expérimentez & fidèles pour employer à descouvrir, habiter, défricher, cultiver, & ensemencer les terres, & faire tous les ouvrages qu'il jugera necessaires pour l'establissement des Colonies que nous desirons de planter audit pays, pour le bien de nostre service, & l'utilité de nos Subjects, sans que pour raison desdites descouvertures & habitations, vos Facteurs, Commis, & Entremetteurs au faict: du trafic de la pelleterie, soient troublez ny empeschez en aucune façon & manière que ce soit, durant le temps que nous vous avons accordé. Et à ce ne faites faute. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris le 12e jour de Mars, 1618.
Ainsi signé LOUIS. Et plus bas, POTIER.
Ils ne voulurent rien dire davantage que ce qu'ils m'avoient escrit; ce qui m'occasionna de faire ma protestation, & m'en retournay à Paris. Ils font leur voyage497, & ledit du Pont hyverna ceste année à l'habitation, pendant que je plaide mon droict au Conseil de sa Majesté.
Je presente requeste avec la copie des articles, afin de les faire venir. Nous voila à chicaner, & Boyer qui n'en devoit rien à personne, cecy me donna sujet de suivre le Conseil à Tours, où je fais voir la malice de leur plaidoyé, assez recogneuë d'un chacun. Et après avoir bien débattu, j'obtiens un arrest de Messieurs du conseil, par lequel il estoit 326/982dit que je commanderois tant à Québec, qu'autres lieux de la nouvelle France, & defenses aux Associez de ne me troubler, ny empescher en la fonction de ma charge, à peine de tous despens, dommages & interests, & d'amende arbitraire, & hors de despens: Lequel arrest je leur fais signifier en plaine Bourse de Rouen. Ils s'excusent sur ledit Boyer, & disent qu'ils n'y avoient pas consenty: mais j'estois tres-asseuré du contraire.
En ce temps Monseigneur le Prince estant mis en liberté498, on luy donne mille escus, desquels il en donna cinq cents aux Pères Recollets, pour aider à faire leur Séminaire, qui ne firent pas grand' chose. Estant r'entré en possession de sa commission pour la nouvelle France, Monsieur le Mareschal de Thémines hors de ses prétentions, le Sieur de Villemenon qui dés long temps avoit desir que ceste affaire tombast entre les mains de Monseigneur l'Admiral, pource qu'il croyoit que toutes choses seroient mieux réglées à l'honneur de Dieu, du service du Roy, & bien dudit pays; & qu'ayant l'intendance de l'Admirauté, tout se feroit avec advancement; Il en parle à Monseigneur de Montmorency, qui monstroit le desirer par les ouvertures que led. Sieur de Villemenon luy donna. Mond. Seigneur en parle à Monseigneur le Prince, qui remet ceste affaire au Sieur Vignier, qui fait en sorte qu'il tire de Monseigneur de Montmorency unze mille escus pour ses prétentions, & promet souz le bon plaisir du Roy, luy donner la commission de Vice-roy aud. 327/983pays de la nouvelle France, qui en donne l'intendance à Monsieur Dolu, grand Audiancier de France, pour y apporter quelque bon règlement: lequel s'y employe de toute son affection, bruslant d'ardeur de faire quelque chose à l'advancement de la gloire de Dieu, & du pays, & mettre nostre Société en meilleur estat de bien faire qu'elle n'avoit fait. Je le veis sur ceste affaire, & luy fis cognoistre ce qui en estoit, & luy en donnay des memoires pour s'en instruire.
Mond. Seigneur de Montmorency me continuant en l'honneur de sa Lieutenance en lad. nouvelle France, me commande de faire le voyage, & d'aller à Québec m'y fortifier au mieux qu'il me seroit possible, & luy donner advis de tout ce qui se passeroit, pour y apporter l'ordre requis. Donc je partis de Paris avec ma famille, équipé de tout ce qui m'estoit necessaire. Estant à Honnefleur, il y eut encore quelque brouillerie sur le commandement que je devois avoir audit pays, & ceste compagnie receut un extrême desplaisir de ce changement. J'en escris à Monseigneur, & aud. Sieur Dolu, qui leur mandent que le Roy & Monseigneur entendoient que j'eusse l'entier & absolu commandement en toute l'habitation, & sur tout ce qui y seroit, horsmis pour ce qui estoit du magazin de leurs marchandises, desquelles leurs commis ou facteurs pouvoient disposer. Que sa Majesté avoit promis de nous donner armes & munitions de guerre, pour la defense du fort que je ferois bastir. Et s'ils ne vouloient obeir aux volontez de sa Majesté, & de mond. seigneur que je fisse arrester le vaisseau, 328/984jusques à ce que cela fust exécuté. On en r'escrit au sieur de Brécourt, maistre d'hostel de mond. Seigneur, & Receveur de l'Admirauté, & aux Officiers nos associez, bien faschez de tout cecy, mais en fin ils acquiescerent à la raison. Au mesme temps sa Majesté me fit l'honneur de m'escrire ceste lettre sur mon partement.
CHAMPLAIN, Ayant sceu le commandement que vous aviez receu de mon cousin le Duc de Montmorency, Admiral de France, & mon Vice-roy en la nouvelle France, de vous acheminer audit païs, pour y estre son Lieutenant, & avoir soin de ce qui se presentera pour le bien de mon service, j'ay bien voulu vous escrire ceste lettre, pour vous asseurer que j'auray bien agreables les services que me rendrez en ceste occasion, surtout si vous maintenez led. païs en mon obeissance, faisant vivre les peuples qui y sont, le plus conformément aux loix de mon Royaume, que vous pourrez, & y ayant le soin qui est requis de la Religion Catholique, afin que vous attiriez par ce moyen la bénédiction divine sur vous, qui sera reussir vos entreprises & actions à la gloire de Dieu, que je prie (Champlain) vous avoir en sa saincte & digne garde. Escrit à Paris le 7e jour de May, 1620.
Signé, LOUIS. Et plus bas, BRULART.
SECONDE
PARTIE DES
VOYAGES DU SIEUR
de Champlain.
LIVRE PREMIER.
Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son arrivée à Québec. Prend possession du Pais, au nom de monsieur de Montmorency.
CHAPITRE PREMIER.
'AN 1620, je
retournay avec ma famille à la Nouvelle France, où arrivasmes au mois de
May499. Nous traversasmes plusieurs
Isles, & entr'autres celles aux Oyseaux, où il y en a tel nombre,
qu'on les tue à coups de bastons. Le 24500 nous
passasmes proche Gaspey, entrée du fleuve sainct Laurent.
Juin. Champlain, étant arrivé à la rade de Tadoussac le 7 juillet, après une traversée de deux mois, avait dû partir de Honfleur vers le 8 de mai, comme le prouve du reste la date de la lettre que le roi lui adressa «sur son parlement» (p. 328, 1ère partie). Il devait donc être en vue de Terreneuve vers le 20 de juin; puisque le 24 il n'était qu'à Gaspé.
2/986Le 7 de Juillet nous mouillasmes l'anchre au moulin Baudé, à une lieue du port de Tadoussac, ayant esté deux mois à la traverse de nostre voyage, où un chacun loua Dieu de nous voir à port de salut, & principalement moy, pour le sujet de ma famille, qui avoit beaucoup enduré d'incommoditez en cette fascheuse traverse.
Le lendemain un petit batteau vient à nostre bord, qui nous dit que le vaisseau où estoit le Sieur Deschesnes, party un mois auparavant nous, estoit arrivé, qui fut prés de deux mois à sa traverse 501. Le Sieur Boullé, mon beau frère estoit en ce batteau, qui fut fort estonné de voir sa soeur, & comme elle s'estoit resolue de passer une mer s fascheuse, & fut grandement resjouy, & elle & moy au prealable; lequel nous dit que deux vaisseaux de la Rochelle, l'un du port de 70 tonneaux, l'autre de 45 estoient venus proche de Tadoussac traitter; nonobstant les deffences du Roy, & avoient couru fortune d'estre pris par ledit Deschesnes proche du Bicq, à 15 lieues de Tadoussac, neantmoins se sauverent comme meilleurs voilliers. Ils emportèrent cette année nombre de pelleteries, & avoient donné quantité d'armes à feu, avec poudre, plomb, mesche, aux Sauvages; chose tres-pernicieuse & prejudiciable, d'armer ces infidèles de la façon, qui s'en pourroyent servir contre nous aux occasions. Voila comme tousjours 3/987ces rebelles ne cessent de mal faire, n'ayant encore bien commencé, desobeissant aux commandemens de sa Majesté, qui le défend par ses Commissions, sur peine de la vie. Telles personnes meriteroient d'estre chastiez severement, pour enfraindre les Ordonnances: mais quoy, dit on, sont Rochelois, c'est à dire très mauvais & desobeissans subjects, où il n'y a point de justice: prenez les si pouvez & les chastiez, le Roy vous le permet par les commissions qu'il vous donne. D'avantage ces meschans larrons qui vont en ce païs subornent les sauvages, & leurs tiennent des discours de nostre Religion, très-pernicieux & meschans, pour nous rendre d'autant plus odieux en leur endroit.
Ce vaisseau était la Sallemande. On voit, par une lettre du P. Jamay, qui y était passager, avec Frère Bonaventure, qu'il partit de Honneur le 5 d'avril, et arriva à Tadoussac le 30 mai. «Nous nous divisames en deux bandes,» dit-il, «je partis le premier avec l'un de nos frères appellé F. Bonaventure, dans le premier Navire, qu'on nomme la Sallemande; nous sortismes du Havre de Honfleur le Dimanche de la Passion» (qui, cette année, 1620, tombait le 5 avril), «& arrivâmes le Samedy des Octaves de l'Ascension» (30 mai), «dans le port de Tadoussac.» (Sagard. Hist. du Canada, p. 58.)
Nous apprismes que les sieurs du Pont & Deschesne estoient partis de Québec pour aller à mont ledit fleuve affin de traitter à une isle devant la riviere des Hiroquois, ayant laissé à Tadoussac deux moyennes barques pour nous attendre, & les dépescher promptement, afin de leur porter marchandises, avant que sçavoir de nos nouvelles; ce qui fut fait ce jour mesme, & en envoyerent une devant l'autre, que nous retinsmes pour nous en aller à Québec. Nous sceusmes la mort de frère Pacifique502, bon Religieux, qui estoit très charitable, & celle de la fille 503 de Hébert en travail d'enfant, tout le reste se portoit bien: & pour l'habitation, elle estoit en très mauvais estat, pour avoir diverty 4/988les Ouvriers à un logement que l'on avoit fait aux Pères Recollets, à demy lieue de l'habitation, sur le bord de la riviere sainct Charles504, & deux autres logemens, un pour ledit Hébert à son labourage505, un autre proche de l'habitation pour le Serrurier & Boulenger, qui ne pouvoient estre en l'enclos des logemens. Locquin partit promptement dans une chaloupe chargée de marchandises, pour aller treuver ledit du Pont.
Le Frère Pacifique du Plessis «décéda ledit 23e jour d'Aoust, après avoir receu tous les sacremens en grande devotion, & fut enterré à la Chappelle de Kebec, avec les cérémonies de la S. Eglise.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 55.—Mortuologe des Récollets, 26 d'août. Archives de l'Archevêché de Québec.)
Ce logement des Pères Récollets était précisément à l'endroit où est aujourd'hui l'Hôpital-Général. «Le 7. Septembre,» dit Sagard (Hist. du Canada, p. 56), «l'on commença d'amasser les matériaux, & de joindre la charpenterie de nostre Convent de nostre Dame des Anges, où le Père Dolbeau fist mettre la première pierre le 3 juin 1620.» «A nostre arrivée,» dit le P. Denis Jamay, dans une lettre datée de Québec le 15 août 1620, «nous sceumes que le sieur du Pont Gravé Capitaine pour les Marchands dans l'habitation, avoit commencé à nous faire bastir une maison (laquelle depuis nostre arrivée nous avons fait achever) dont je fus fort resjouy tant pour l'assiette du lieu, que de la beauté du bastiment. Le corps du logis donc est faist de bonne & forte charpente, & entre les grosses pièces une muraille de 8 & 9 pouces jusques à la couverture, sa longueur est de trente-quatre pieds, sa largeur de vingt-deux, il est à double estage: nous divisons le bas en deux: de la moitié nous en faisons nostre Chappelle en attendant mieux: de l'autre une belle grande chambre, qui nous servira de cuisine & où logeront nos gens: au second estage nous avons une belle grande chambre, puis quatre autres petites; dans deux desquelles, que nous avons faict faire tant soit peu plus grandes que les autres, y a des cheminées pour retirer les malades, à ce qu'ils soient seuls: la muraille est faicte de bonne pierre, bon sable & meilleure chaux que celle qui se faict en France, au dessoubs est la cave de vingt pieds en carré, & sept de profond.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 58, 59.)
Quelque respect que nous ayons pour les opinions de M. Ferland, nous ne pouvons admettre que la maison d'Hébert ait été «vers la partie de la rue Saint-Joseph, où elle reçoit les rues Saint-François et Saint-Flavien» (Notes sur les Registres, p. 10). D'abord, l'acte de partage de 1634, sur lequel M. Ferland paraît s'appuyer (Cours d'Hist. P. 190), est fort obscur sur ce point et très-peu concluant; en second lieu, cette première maison était dans le voisinage de celle de Couillard, comme le prouve un acte d'arbitrage de 1639, (Étude de Piraube, Greffe de Québec). Des arbitres, nommés pour faire la visite d'un «estre de maison scituée proche celle de Couillard, de la succession de deffunt [Guill.] Hébert, & contenant trente-huict piedz de long sur dix-neuf de large,» le jugent «inhabitable & non manable... comme fondant en ruyne» depuis longtemps... Or, en 1639, il ne pouvait y avoir, à la haute-ville, que la maison d'Hébert qui fût dans un pareil état de vétusté, puisque les autres maisons durent être construites après 1632. (Relat. 1632.) Cette première maison a dû être vers l'emplacement de l'archevêché; car la part de Guillaume Hébert et de Guillaume Hubou, à qui était remariée la veuve Hébert, était de ce côté. (Archives du Séminaire de Québec, acte de partage 1634, et acte d'échange entre Guill. Hébert et Nicolas Pivert en 1637, passé pardevant Audouart 1641.)
Le 11 je partis de Tadoussac avec ma famille, & les Religieux que nous avions menez, au nombre 5/989de trois 506, mon beau-frère, qui avoit hyverné deux ans & demy, & Guers, arrivasmes à Québec, où estant fusmes à la Chapelle rendre grâces à Dieu de nous voir au lieu ou nous esperions. Le lendemain je fis charger le canon, ce qu'estant fait, après la saincte Messe dite un Père Recollet507 fit un sermon d'Exhortation, où il remonstroit à un chacun le devoir où l'on se devoit mettre pour le service de sa Majesté, & de celuy de mondit seigneur de Montmorency, & que chacun eut à se comporter en l'obeissance de ce que je leur commanderois, suivant les patentes de sa Majesté, données à mondit seigneur le Viceroy, & la Commission à moy donnée de son Lieutenant, lesquelles seroient leuës publiquement en presence de tous, à ce qu'ils n'en pretendissent cause d'ignorance. Après ceste exhortation l'on sortit de la Chappelle, je fis assembler tout le monde, & commanday à Guers Commissionnaire, de faire publique lecture de la Commission de sa Majesté, & de celle de Monseigneur le Viceroy à moy donnée. Ce faict chacun crie Vive le Roy, le Canon fut tiré en signe d'allegresse, & ainsi je pris possession de l'habitation & du Pays au nom de mondit seigneur le Viceroy. Ledit Guers 6/990en fit son procès verbal pour servir en temps & lieu.
Il était venu en effet trois religieux, cette année 1620, le P. Denis Jamay, le P. George le Baillif et le Frère Bonaventure; mais le P. Denis et le Frère Bonaventure étaient arrivés, depuis plus d'un mois, dans le vaisseau du sieur Deschesnes (voir ci-dessus, p. 2); le P. Georges était avec Champlain.—Cette phrase semble donner à entendre que le P. Denis et Frère Bonaventure auraient attendu à Tadoussac que le second vaisseau fût arrivé, pour monter tous ensemble à Québec. Ce qu'il y a du moins de certain, d'après Sagard et le Clercq, c'est que ce fut le P. d'Olbeau qui fit la bénédiction de la première pierre du couvent de Notre-Dame-des-Anges, le 3 juin; d'où l'on peut inférer avec un peu de vraisemblance, que le P. Denis, qui revenait avec la charge de supérieur, n'était pas encore arrivé.
Je resolus d'envoyer ledit Guers avec six hommes aux trois rivieres où estoit le Pont & les Commis de la societé, pour sçavoir ce qui se passeroit par delà, & moy je fus visiter quelques petits jardinages & les bastiments dont on m'avoit parlé; & en effect je treuvay cette habitation si desolée & ruinée qu'elle me faisoit pitié. Il y pleuvoit de toutes parts, l'air entroit par toutes les jointures des planchers, qui s'estoient restressis de temps en temps, le magasin s'en alloit tomber, la court si salle & orde, avec un des logements qui estoit tombé, que tout cela sembloit une pauvre maison abandonnée aux champs où les Soldats avoient passe, & m'estonnois grandement de tout ce mesnage: tout cecy estoit pour me donner de l'exercice à reparer ceste habitation. Et voyant que le plustost qu'on se mettroit à reparer ces choses estoit le meilleur, j'employay les ouvriers pour y travailler, tant en pierre, qu'en bois, & toutes choses furent si bien mesnagées, que tout fut en peu de temps en estat de nous loger, pour le peu d'ouvriers qu'il y avoit, partie desquels commencèrent un Fort508, pour eviter aux dangers qui peuvent advenir, veu que sans cela il n'y a nulle seureté en un pays esloigné presque de tout secours. J'establis ceste demeure en une scituation très bonne, sur une montagne 509 qui commandoit sur 7/991le travers du fleuve sainct Laurent, qui est un des lieux des plus estroits de la riviere510, & tous nos associez n'avoient peu gouster la necessité d'une place forte, pour la conservation du Pays & de leur bien. Ceste maison ainsi bastie ne leur plaisoit point, & pour cela il ne faut pas que je laisse d'effectuer le commandement de Monseigneur le Viceroy, & cecy est le vray moyen de ne point recevoir d'affront, pour un ennemy, qui recognoissant qu'il n'y a que des coups à gaigner, & du temps, & de la despence perdue, se gardera bien de se mettre au risque de perdre ses vaiseaux & ses hommes. C'est pourquoy il n'est pas tousjours à propos de suivre les passions des personnes, qui ne veulent régner que pour un temps, il faut porter sa consideration plus avant.
Le fort Saint-Louis. «Le lieu qui fut choisi, dit M. Ferland, est celui où, pendant près d'un siècle et demi, résidèrent les gouverneurs français du Canada, et d'où les ordres du représentant des rois très-chrétiens étaient portés jusques aux confins du Mexique. Longtemps après la cession du Canada aux Anglais, le drapeau de la Grande-Bretagne a flotté au même endroit, sur la demeure des gouverneurs généraux de l'Amérique Britannique.» (Cours d'Hist. du Canada, I, 191.)
Quelques tours après lesdits du Pont & Deschesnes descendirent des trois rivieres avec leurs barques, & les peleteries qu'ils avoient traittées. Il y en avoit la pluspart à qui ce changement de Viceroy & de l'ordre ne plaisoit pas; ledit du Pont se resolut de repasser en France qui avoit hyverné, & laissa Jean Caumont, dit le Mons, pour commis du magazin & des marchandises pour la traitte. Ledit du Pont s'en alla à Tadoussac511, & nous fit apporter le reste de nos vivres, & mande Roumier sous-commis, qui avoit aussi hyverné, lequel s'en retourna en France, sur ce qu'on ne luy vouloit rehausser ses gages, & moy demeurant visitay les vivres, pour les mesnager jusques à l'arrivée des vaisseaux, faisant tousjours 8/992fortifier & continuer les réparations ja commencées, attendant d'en faire une nouvelle de pierre: car nous avions treuvé de bonnes pierres à chaux, qui estoit une grande commodité. Ils demeurèrent ceste année à hyverner 60 personnes, tant hommes, que femmes, Religieux, & enfans, dont il y avoit dix hommes pour travailler au Séminaire des Religieux & à leurs despens: tout l'Automne & l'hyver fut employé à reparer l'habitation, & les maisons d'auprès, & nous fortifier: chacun se porta très-bien, horsmis un homme qui fut tué par la cheute d'un arbre qui luy tomba sur la teste, & l'escrasa, & ainsi mourut miserablement.
Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France. Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de France apportées au sieur de Champlain.
CHAPITRE II.
Le quinziesme de May512, une barque estant preste l'on la mit à l'eau, qui fut chargée de vivres, pour traitter avec les Sauvages de Tadoussac. Le Mons commis s'embarqua en icelle luy huictiesme, & en son chemin fit rencontre d'une chalouppe, où estoit le Capitaine du May, & Guers, Commissionnaires de monseigneur de Montmorency, avec cinq matelots, trois soldats, & un garçon, qui fut cause que nostre commis retourna sur sa route, & s'en revinrent ensemble à nostre 9/993habitation. Ledit du May fut très-bien receu, venant de la part de mondit seigneur de Montmorency, lequel me dit estre venu devant, en un vaisseau du port d'environ trente cinq tonneaux, avec trente personnes en tout, pour me donner advis de ce qui se passoit en France, & que proche de Tadoussac, il avoit fait rencontre d'un petit vaisseau volleur de Rochelois, de quarante cinq tonneaux, & en avoit approché de si prés, qu'ils s'en tendoient parler, estans l'un & l'autre sous voiles: Mais comme le Rochelois estoit meilleur voilier, il se sauva. Ce fut une belle occasion perdue, par ce que ceux qui estoient dedans avoient traitté nombre de peleteries.
Ledit Guers me donna les lettres qu'il pleut au Roy & à Monseigneur me faire l'honneur de m'escrire, accompagnées de celle de Monsieur de Puisieux, & autres, des sieurs Dolu, de Villemenon & de Caen. Voicy celle du Roy.
Champlain, j'ay veu par vos lettres du 15 du mois d'Aoust, avec quelle affection vous travaillez par delà à vostre establissement, & à ce qui regarde le bien de mon service, dequoy, comme je vous sçay très-bon gré, aussi auray-je à plaisir de le recognoistre à vostre advantage, quand il s'en offrira l'occasion: & ay bien volontiers accordé quelques munitions de guerre, qui m'ont esté demandées, pour vous donner tousjours plus de moyen de subsister, & de continuer en ce bon devoir, ainsi que je me le promets de vostre soing & fidelité. A Paris le 24e 10/994jour de Fevrier 1621, signé LOUIS, et plus bas, Brulart.
En suitte de celle de sa Majesté, j'en receus une autre de Monsieur de Puisieux, Secrétaire de ses commandements, par laquelle entr'autres choses, il me mandoit que le sieur Dolu avoit demandé des armes pour m'envoyer, à laquelle chose on avoit pourveu, & icelles envoyées. Auparavant Monseigneur le Duc de Montmorency m'écrivit la présente.
Monsieur Champlain, pour plusieurs raisons J'ay estimé à propos, d'exclure les anciens Associez de Rouen, & de sainct Malo, pour la traitte de la Nouvelle France, d'y retourner. Et pour vous faire secourir, & pourvoir de ce qui vous y est necessaire, j'ay choisi les sieurs de Caen513 oncle & nepveu, & leurs Associez, l'un est bon Marchand, & l'autre bon Capitaine de mer, comme il vous sçaura bien ayder & faire recognoistre l'authorité du Roy de delà sous mon gouvernement. Je vous recommande de l'assister, & ceux qui iront de sa part, contre tous autres, pour les maintenir en la jouissance des articles que je leur ay accordez. J'ay chargé le sieur Dolu Intendant des affaires du pays, de vous envoyer coppie du traitté par le premier voyage, afin que vous scachiez à quoy ils sont tenus, pour les faire executer, comme je desire leur entretenir ce que je leur ay promis. J'ay eu soing de faire conserver vos 11/995appointements, comme je croy que vous continuerez au desir de bien servir le Roy, ainsi que continue en la bonne volonté, Monsieur Champlain, Vostre plus affectionné & parfait amy, signé, MONTMORANCY, DE PARIS le 2 Fevrier 1621.
Les lettres du sieur Dolu me mandoient que j'eusse à fermer les mains des Commis, & me saisir de toutes les marchandises tant traittées que à traitter, pour les interests que le Roy & mondit Seigneur pretendoient contre ladite Société ancienne, pour ne s'estre acquittée au peuplement comme elle estoit obligée, & que pour le sieur de Caen, bien qu'il fust de la religion contraire, on se promettoit tant de luy, qu'il donnoit esperance de se faire Catholique, & que pour ce qui estoit de l'exercice de sa religion que je luy die qu'il n'en devoit faire ny en terre ny en mer, remettant le reste à ce que j'en pouvois juger. Celle du sieur de Villemenon Intendant de l'admiraulté, ne tendoit qu'à la mesme fin: la lettre dudit sieur de Caen se conformant aussi à la sienne, & qu'il venoit avec deux bons vaisseaux bien armez & munitionnez de toutes les choses necessaires, tant pour luy que pour nostre habitation, avec de bons arrests qu'il esperoit apporter en sa faveur. Davantage ayant fait assembler le sieur de May & Guers commissionnaire, & le père George514, auquel Monseigneur, & les sieurs Dolu, & Villemenon, luy avoient escrit des lettres à mesme fin que celles qu'ils m'escrivoient, m'enchargeant 12/996de ne rien faire sans luy communiquer, & resolu que rien ne se perderoit en quelque façon que ce fut, & qu'il ne falloit innover aucune chose attendant ledit sieur de Caën, qui estoit assez fort, ayant l'arrest en main à son advantage, pour se saisir des vaisseaux & marchandises, & ce pendant je conserverois toutes les pelleteries, jusqu'à ce que l'on vit dequoy les pouvoir prendre & saisir justement.
De plus qu'il falloit considerer les inconveniens qui en pourroient arriver d'autre part, ne voyant aucun pouvoir du Roy, à quoy ledit commis 515vouloit obéir, & non aux advis que nous avions receus de France. Ledit commis fut adverty de ce, par les Matelots du sieur de May, qui faisoient courir un bruit que ledit sieur de Caen, se saisiroit de tout ce qui leur appartenoit, quand il seroit arrivé: ils donnèrent tellement en l'esprit du Commis & de tous, qu'ils deliberoient entr'eux de ne permettre de se saisir de leurs marchandises, jusques à ce que je leur fisse apparoir lettre ou commandement de sa Majesté, ce que je ne pouvois, & tous les hommes qui dependoient des associez & gagez, craignans de perdre leurs gages, comme on leur donnoit à entendre, pretendoient comme les plus forts de l'empescher s'ils eussent peu, quand j'eusse eu la volonté de saisir leurs marchandises. C'est pourquoy pendant qu'une societé, en un païs comme cetuy-cy, tient la bource, elle paye, donne & assiste qui bon luy semble: ceux qui commandent pour sa Majesté sont fort peu obéis n'ayant personne 13/997pour les assister, que sous le bon plaisir de la Compagnie, qui n'a rien tant à contre coeur: que les personnes qui sont mis par le Roy ou les Vice-rois, comme ne dépendant point d'eux, ne desirant que l'on voye & juge de ce qu'ils font, ny de leurs actions & deportemens en telles affaires, veulent tout attirer à eux, ne s'en soucient ce qu'il arrive, pourveu qu'ils y trouvent leur compte. De forts & forteresses, ils n'en veulent que quand la necessité le requiert, mais il n'est plus temps. Quand je leurs parlois de fortifier, c'estoit leur grief, j'avois beau leur remonstrer les inconvenients qui en pourroient arriver, ils estoient sourds: & tout cela n'estoit que la crainte en laquelle ils estoient, que s'il y avoit un fort ils seroient maistrisez, & qu'on leur feroit la loy. Ce pendant ces pensées, ils mettoient tout le pays & nous en proye du Pirate ou ennemy, qui pensant faire du butin n'estant en estat de se deffendre ira tout ravager. J'en escrivois assez à messieurs du Conseil, il falloit y donner ordre, qui jamais n'arrivoit: & si sa Majesté eust seulement donné le commerce libre aux associez avoir leur magazin avec leur commis. Pour le reste des hommes qui devoient estre en la plaine puissance du Lieutenant du Roy audit pays, pour les employer à ce qu'il jugeroit estre necessaire, tant pour le service de sa Majesté, qu'à se fortifier, & défricher la terre, pour ne venir aux famines qui pourroient arriver s'il arrivoit fortune aux vaisseaux. Si cela se pratiquoit, l'on verroit plus d'advencement & de progrez en dix ans, qu'en trente, en la façon que l'on fait: & permettre aussi qu'à ceux qui iroient 14/998pour habiter en desertant les terres, qu'ils pourroient traitter avec les Sauvages de peleteries, & des commoditez que le pays produit: en les livrant au commis à un pris raisonnable, pour donner courage à un chacun d'y habiter, & ne pouvant traitter que ce qui viendroit du pays, sur les peines portées qu'il plairoit à sa Majesté, 11 n'y a point de doute que la Société en eut receu quatre fois plus de bien qu'elle ne pouvoit esperer par autre voye, d'autant qu'il est fort malaisé à des peuples d'un pays de pouvoir empescher de s'accommoder de ce qui croist au lieu: Car dire qu'on ne les pourra contraindre à une certaine quantité pour une necessité: c'est la mer à boire, car ils feront tout le contraire, quand ils deveroient perdre tout ce qu'ils en auroient, plustost qu'on s'en saisit sans leur payer: l'expérience a fait assez cognoistre ces choses. Voila ce que j'avois à vous dire sur ce sujet.
Pour revenir à la suitte du discours, ledit commis & tous les autres ensemble, commencèrent à murmurer: disant, Qu'on leur vouloit faire perdre leurs salaires, & qu'il valloit autant qu'ils perdissent la vie que de les traitter de la façon: ce qui donna suject audit commis de m'en parler de rechef, & me faire ses plaintes, que si j'avois commandement du Roy, qu'il ne falloit que le monstrer pour le contenter, & maintenir chacun en paix. Je luy dis qu'on ne luy feroit point de tort, ny à ses marchandises, & qu'il pouvoit traitter avec autant d'asseurance comme il avoit fait par le passé, il se contenta, & un chacun. Je fis une réprimande aux matelots du sieur de May, qui leur avoient donné cette 15/999crainte, & semé ce bruit, & de plus qu'ils s'asseurassent que je n'innoverois rien que ledit de Caen ne sut arrivé avec arrest de sa Majesté, qui donneroit ordre à toute chose, auquel il faudroit obéir.
D'avantage fut advisé si l'on permettoit516 la traitte au sieur de May, qui avoit apporté des marchandises pour eschanger à des castors avec les sauvages: il fut arresté que pour lever tout ombrage l'on ne le permetteroit point, & aussi qu'ils n'avoient aucun pouvoir de ce faire, les deux societez estant en procez au Conseil de sa Majesté, quand ils partirent de France, & que l'ancienne pouvoit tousjours jouir des privileges que le Roy leur avoit accordez sous l'authorité de monseigneur le Prince, attendant qu'il en fut autrement ordonné: mais que si messieurs du Conseil donnoient un arrest si favorable qu'il confisquast au profit de la Nouvelle Société, que cela ne servoit de rien, puisque le tout luy demeureroit, comme il se promettoit, & que si autrement il avoit permission de traitter comme l'ancienne Société, que l'on verroit la facture des marchandises que l'on avoit envoyées, & que suivant icelles l'on donneroit des castors du magazin pour la valleur des marchandises, suivant la traitte qui se faisoit alors, & par ainsi ladite barque ne perderoit rien de ce qu'elle pouvoit prétendre, pour ne traitter jusques à ce qu'on eust l'arrest du Conseil, que devoit apporter ledit sieur de Caen: Ainsi fut arresté en la presence dudit sieur de May & Guers, faisant pour ladite nouvelle Société.
Ce délibéré, je fais partir le Capitaine du May, 16/1000le 25 de May, pour donner advis audit sieur de Caen de tout ce qui s'estoit passe, de l'Estat en quoy il nous avoit laisse, & m'envoyer des hommes de renfort.
Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France, & de Hallard avec l'equipage du sieur de Caen. L'Autheur fait advertir les sauvages de la venue dudit de Caen. Arrest du Conseil permettant le trafic aux deux Compagnies. De Caen saisit par force le vaisseau du sieur du Pont.
CHAPITRE III.
Le 3 de Juin arriva ledit de May dans une chalouppe luy onziesme, qui me donna advis de l'arrivée du sieur du Pont, en un vaisseau de cent cinquante tonneaux nommé la Salemande, avec soixante cinq hommes d'esquipage, accompagnés de tous les commis de l'ancienne Société, & sçavoir en quoy je le voudrois employer. Voicy qui rejouit grandement les commis de l'ancienne Société, & un chacun des hommes qui dependoient d'eux: c'est un renfort qui leur vient, & si nous les eussions desobligez sans un pouvoir absolu du Roy, ou de monseigneur, par la saisie de leurs marchandises, ils pouvoient nous nuire grandement, car le petit vaisseau dudit du May, qui estoit à Tadoussac pouvoit estre pris, où il n'y avoit que dix-huict hommes, & quelque douze que j'avois à Québec avec moy, lesquels avoient fort peu de vivres qui fut l'occasion que j'en secourus ledit du May.
17/1001Ce qu'ayant entendu, je me délibéré de mettre ledit du May en un petit fort, ja commencé, contre le sentiment dudit commis, avec mon beau-frère Boullé, & huict hommes, & quatre de ceux commencé. des pères Recollets qu'ils me donnèrent: & quatre autres hommes de l'ancienne societé, faisant porter quelques vivres, armes, poudre, plomb, & autres choses necessaires, au mieux qu'il me fut possible, pour la defence de la place: en ceste façon nous pouvions parler à cheval, faisant tousjours continuer le travail du fort pour le mieux mettre en defence.
Pour mon particulier je demeuray en l'habitation, avec trois hommes dudit du May, & quatre autres des pères Recollets, & Guers commissionnaire, & le reste des hommes de l'habitation: le fort asseuroit tout, avec l'ordre que j'avois donné audit Capitaine du May.
Le Lundy 7e jour du mois arriva la barque de nostre habitation, où estoient les commis des anciens associez au nombre de trois, ce que voyant je fais prendre les armes, donnant à chacun son quartier, & semblablement au fort, & fis lever le pont-levis de l'habitation: le père George accompagné de Guers furent sur le bort du rivage, attendant que lesdits commis vinssent à terre, & sçavoir avec quelle ordre ils venoient, quelle commission ils avoient, n'ignorant point ce qui ce passoit en France, sur les advis que nous avions receus. Ils dirent qu'ils n'avoient autre ordre que de leur compagnie, pour estre encore au droict du contract & articles que je leurs avois donnez, sous le bon plaisir de Monseigneur 18/1002le Prince, attendant un arrest de Nosseigneurs du Conseil, qu'ils esperoient avoir favorable contre la nouvelle societé, qui les vouloit demettre de leur societé, devant que leur temps fut fini. De plus qu'ils avoient protesté contre ceux de l'admirauté, qui ne leurs avoient pas voulu donner de congé, & que voyant les dangers evidents où toutes les affaires devoient aller, tant pour les hommes qui estoient icy, comme pour recevoir leurs marchandises, que l'on ne pouvoit prétendre qu'injustement, qu'il s'estoit mis en tout devoir d'obéir au Roy.
Ils dirent tout ce qu'ils voulurent, avec plusieurs autres discours, monstrant avoir un grand desplaisir de se voir receus ainsi extraordinairement, ce qu'ils n'avoient accoustumé.
Ledit père ayant ouy une partie de leurs plaintes, il leur demanda s'ils nous apportoient des vivres pour nous maintenir, ils dirent que ouy, & qu'ils croyoient asseurement estre d'accord avec mondit seigneur, ou qu'ils auroient un arrest favorable: Tous ces discours passez ledit père leur dit, qu'il me venoit treuver pour me donner advis, & sçavoir ce que je voudrois faire, lequel m'ayant rapporté ce qu'ils disoient, nous advisasmes pour le mieux ce qu'il falloit faire.
Il fut conclud en suitte de la première resolution, voyant que ledit sieur de Caen n'estoit encore venu, pour esviter aux dangers qui pouvoient arriver.
Il fut arresté qu'on laisseroit entrer les commis au nombre de cinq, qu'on leur livreroit leurs marchandises, 19/1003pour traitter amont ledit fleuve sainct Laurent, & les assister de ce qu'ils auroient affaire, ce qu'ils acceptèrent.
Ils entrèrent en l'habitation, où particulièrement je leur fis entendre la volonté de sa Majesté, & ce qu'ils avoient commis contre l'intention du Roy, qui me commandoit de maintenir le pays en paix, & sous son obeissance, comme faisoit aussi monseigneur, qui les avoit exclus de la societé par une nouvelle: qu'ils ne dénotent pas venir sans un bon arrest en main de Nosseigneurs du Conseil, & attendant la venue des autres vaisseaux, qui apporteroient tout ordre, on leur livreroit en bref des marchandises pour traittes, ce qu'ils acceptèrent, & leurs furent livrées sans tirer à la rigueur: ils demandèrent des armes, ce que je ne leurs pus accorder, leur disant qu'ils ne devoient pas venir sans cela: ils chargèrent deux barques, & me demandèrent les castors qui estoient en l'habitation: je leur refusay, leurs disant, qu'ils ne pouvoient partir de l'habitation, que nous n'eussions des vivres pour maintenir parmy nous l'authorité du Roy, en cas qu'il arrivast quelque accident audit sieur de Caen, & qu'ayant des peleteries nous aurions des vivres que nous apporteroient les vaisseaux qui estoient à Gaspay. Ils firent tout ce qu'ils peurent pour les avoir, menaçant de faire des protestations, sur ce que je refusois leurs peleteries, & munitions: & de plus que j'eusse à faire sortir ledit Capitaine de May, & ses hommes, du fort & habitation, où je l'avois mis sans commandement du Roy: Je leur dis que sadite 20/1004Majesté me commandoit de maintenir le pays, & conserver la place: que le mandement que j'avois de Monseigneur suffisoit, qui estoit celuy du Roy, & qu'à cela j'obeissois, recevant ledit Capitaine du May pour y avoir toute fiance. Cela seroit bon, dirent ils, s'il avoit apporté un arrest du Conseil, ce qu'il n'avoit fait, en attendant je me maintiendrais au mieux qu'il me seroit possible, & qu'ils fissent telles protestations qu'ils voudroient pour leurs descharges.
Quand il fut question de les faire, je les sceus bien rembarer sur leurs protestations, leur monstrant qu'ils ne sçavoient pas en quelle forme il la falloit faire, ce qui leur fit changer d'advis, craignant de s'engager mal à propos, en chose qui leur eust peu nuire: & ainsi ils s'embarquèrent pour aller aux trois rivieres, & y traitter: qui fut le 9 de Juin.
Ce mesme jour, je fis esquipper la chalouppe dudit Capitaine du May, avec six hommes pour aller à Tadoussac advertir ledit sieur de Caen, qu'aussi tost qu'il seroit arrivé il ne manquast à nous envoyer des hommes pour nous r'enforcer: me persuadant qu'il auroit arrest en sa faveur, comme il m'avoit fait esperer par ses lettres.
Arrivée du sieur du Pont & du Canau d'Halard, & du sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père George à Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Magasin de Québec achevé par l'Autheur. Armes pour le fort de Québec.
CHAPITRE IV.
Le Dimanche 13 Avril517 arriva ledit du Pont, dans une moyenne barque, luy treiziesme avec marchandises de traitte, lequel fut receu comme les précédents, luy ayant fait entendre le commandement que j'avois tant du Roy que de mondit Seigneur, de conserver ceste place, & la maintenir en son obeissance, & tenir toutes choses en paix, faisant recognoistre son authorité: & que attendant nouvelle desdits vaisseaux, qui devoient venir, pour voir & sçavoir particulièrement ce qui se seroit passé au Conseil de sa Majesté, sur les différents qu'ils avoient eus avec mondit Seigneur qui les avoit exclus de la societé, pour y adjoindre la Nouvelle societé. Il me dit qu'il croyoit que tout seroit d'accord, estant sur lesdits termes quand il partit de Honnefleur. Je luy dis que je m'estonnois comme il avoit quitté son vaisseau, puisque sa presence y eust esté bien requise à la venue dudit sieur de Caen: il respondit que pour y estre il n'auroit pas mieux fait, & que l'ordre qu'il avoit laissé à un appellé la Vigne, dudit Honnefleur, qui commandoit en son absence, estoit tel que si l'on 22/1006apportoit un arrest du Conseil en bonne forme, qu'il eust à y subir sans aucune resistance, que s'ils estoient d'accord avec leur societé, qu'il eust à l'assister de tout ce qui seroit en son possible & pouvoir, si autrement qu'il se conservast du mieux qu'il pourroit, suivant l'ordre qu'il luy avoit laissé, & que l'on ne pouvoit rien prétendre, que l'on ne vit l'arrest de Messeigneurs du Conseil: ce qu'attendant je leurs rendisse la justice, laquelle m'avoit esté enchargée: ce que je promis faire. Je luy fis aussi entendre comme j'avois retenu les peleteries qui estoient en ceste habitation, pour subvenir aux necessitez qui pourroient arriver; il me dit que c'estoit bien fait: le lendemain il s'en alla aux trois rivieres, pour traitter avec les sauvages.
Le 15 dudit mois518 arriva un Canau où il y avoit un homme appelé Halard, de l'esquipage dudit sieur de Caen, qui m'apporta une lettre par laquelle il me donnoit advis de son arrivée, & la contrariété du temps qu'il avoit eu au passage, ayant chose importante à me communiquer, de la part de Monseigneur le Viceroy, qui ne pouvoit estre si tost par delà: d'autant qu'il croit avoir affaire avec ledit sieur du Pont, & de plus me prioit d'envoyer une chalouppe advertir les sauvages de sa venue, & du nombre des marchandises qu'il leur apportoit, qu'il m'envoyeroit le sieur de la Ralde, pour communiquer quelques affaires en renvoyant ledit du May: que si je pouvois l'aller treuver que je le fisse, mais alors le temps, & les affaires, ne me le peurent permettre: Car ce n'estoit pas la saison 23/1007de laisser l'habitation ny le fort, veu tant de dangers arrivez à ceux qui ont fait semblables choses.
Le Vendredy 16519, n'ayant point de chalouppe, je délibéré d'envoyer un Canau avec ledit Halard, & un gentilhomme appellé du Vernay520, de l'esquipage dudit du May, avec un autre de l'habitation, advertir les sauvages de la venue dudit sieur de Caen.
Le 17 de Juillet arriva une chaloupe, où estoit Rommier521, l'un des Commis de la nouvelle societé: qui l'an précèdent avoit hyverné en ceste habitation, avec ledit du Pont, lequel m'apporta plusieurs despesches, avec lettres des sieurs Dolu, de Villemenon, & dudit de Caen, lequel surprit quelque lettres, avec coppie de l'arrest en faveur des anciens Associez, que l'on envoyoit audit du Pont, par lesquelles nous vismes, que l'arrest avoit esté signifié audit sieur de Caen, estant en son vaisseau, à la radde de Dieppe: lequel avoit protesté de nullité, & fut ledit arrest publié à son de trompe, dans ladite ville de Dieppe, & autres lieux où besoin a esté.
Après avoir veu & consideré toutes ces choses, avec l'advis de ceux que je trouvay à propos, & voyant que sur le procès advenu entre les deux societés, sa Majesté a ordonné que lesdits articles seroient representez, pour après iceux estant veus & examinés, y estre pourveu, soit par la réunion des deux societés, ou par l'establissement d'une nouvelle, ce pendant permis aux associez des deux 24/1008compagnies, de trafiquer, & faire traitte, pour l'année 1621 seulement, tant par les deux vaisseaux ja partis, que par deux autres à eux appartenans, chargés & prest à partir, sans se donner aucun empeschement, ny user d'aucune violence, à peine de la vie: à la charge qu'ils seront tenus de contribuer pour la presente année, esgalement & par moitié, à l'entretenement des Capitaines, soldats, & des religieux establis & residens en l'habitation: & neantmoins deffences sont faictes ausdits Porée522, & à tous autres, de sortir à l'advenir aucuns vaisseaux des ports & havres de ce Royaume, ny faire embarquement, sans prendre congé dudit sieur Admiral, en la manière accoustumée, à peine de confiscation des vaisseaux & marchandises, & autres plus grandes peines s'il y eschet. Signifié le 26 dudit mois 523. Voila l'arrest du Conseil de sa Majesté. Lesdits articles dudit sieur Dolu, furent confirmez par le Conseil, le 12 de Janvier 1621 hormis quelques uns.
Il fut resolu que ledit père George prendroit la peine d'aller à Tadoussac en diligence, & Guers avec luy, dans la mesme chaloupe, pour treuver ledit de Caen, & apporter le remède requis à toutes ces affaires, sçachant bien que ledit du Pont voudroit jouir du bénéfice dudit arrest, où il y alloit de la vie, à celuy des deux qui useroit de violence: & pour ce qui estoit de la faute qu'ils avoient 25/1009commise, de partir sans congé de l'Admirauté: ledit arrest monstroit qu'on en avoit fait mention, & instance au Conseil, où estoit porté, que si à l'advenir ils partoient sans congé, il y auroit confiscation du vaisseau, & marchandises, avec autres punitions, sans despens, & que chacun partiroit par moitié aux frais de l'habitation, aux hyvernans, & que chacun jouiroit du bénéfice de la traitte à son proffit.
Ledit Père partit ce mesme jour 17 de Juillet, avec plain pouvoir de moy, d'accommoder toutes choses à l'amiable, avec le sieur de Caen, & par mesme moyen le satisfaire des plaintes qu'il faisoit, des Pères Paul524 & Guillaume, qui avoient esté saisis de quelques lettres, usé de paroles & de menaces à son desavantage, taschant le mettre mal avec son esquipage: qu'il les avoit traittez favorablement, selon le rapport qui en fut fait, & ne peut on si bien faire, qu'il ne tombast quelque lettre entre les mains dudit du Pont, & une autre que je receus de leur part, où il me faisoit entendre ce qui s'estoit passé, & que j'eusse à rendre la justice selon la volonté du Roy, & quelqu'autres discours de compliment: je donne les lettres au Père, pour les faire voir au sieur de Caen.
Le P. Paul Huet, venu en Canada dès 1617, était repassé en France avec Champlain en 1618. «On lui avait donné ordre d'y solliciter les pouvoirs et les aumônes nécessaires pour commencer l'établissement d'un couvent régulier à Québec, en titre de séminaire, où les enfants seraient entretenus et instruits.» (Prem. établiss. de la Foy, I, 150.) Il était de retour à Québec, avec le P. Guillaume Poullain, depuis le mois de juin 1619. (Ibid. P. 154.).
Le 24 de Juillet, arriva ledit père George, lequel me dit que ledit sieur de Caen, se vouloit saisir du vaisseau dudit du Pont, en son arrivée: & 26/1010estant sur le point de l'exécuter, comme le confirmoient les lettres dudit sieur de Caen, & qu'il ne passeroit plus outre, attendant ma venue, ce qui m'estonna grandement, considerant ledit arrest, qui defendoit sur peine de la vie, de ne s'inquiéter: Je renvoyay la chaloupe avec ledit Guers, & lettres adressantes audit sieur de Caen, où je luy fis entendre, que pour les incommoditez qu'il y avoit en la chaloupe, que je n'y pouvois aller, & que dans neuf jours au plus tost, je serois audit Tadoussac. Je despesché promptement un canau, & mandé audit du Pont qu'il m'envoyast une de ses barques pour m'en aller à Tadoussac, ce qu'il fit, que dans six jours la barque fut à Québec, & ledit du Pont dedans, pour sçavoir ce qu'il auroit à faire, avec ledit sieur de Caen, estant arrivé à Québec: je m'embarquay à la solicitation dudit Père, n'estant pas mon dessein de partir de l'habitation, & mander seulement ce qui me sembloit, de la volonté qu'il avoit de se saisir dudit vaisseau.
Mais les persuasions avec les raisons que me donnoit ledit Père, m'y firent resoudre, ayant laissé ledit, du May, en ma place pour commander, & enchargé à tous mes compagnons de luy obeir, comme à moy mesme, je m'embarquay 525 le dernier de Juillet; ce mesme jour nous fismes telle diligence, que le lendemain au soir arrivasmes à demie lieue de Tadoussac, prés la poincte aux allouettes, où je fis mouiller l'ancre. Aussi-tost526 ledit sieur de 27/1011Caen me vient trouver, où il me fit entendre ce qui estoit de son dessein: je luy dis que le service du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, m'avoit amené en ce lieu pour luy donner les conseils que je croyois qui luy seroient necessaires, & raisonnables, s'il les vouloit suivre, qui estoient de ne rien altérer au service de sa Majesté, ny de ses arrests; & que l'authorité de Monseigneur demeurast en son entier: il me dit, qu'il n'avoit autre intention.
Le lendemain 3 d'Aoust nous entrasmes audict Port de Tadoussac, où ledit sieur de Caen me receut avec toutes sortes de courtoisies, m'offrant son vaisseau pour m'y retirer, le remerciant de tout mon coeur & le priant me permettre de demeurer en ma barque, pour ne me monstrer passionné à un party, ny à l'autre, puisqu'il estoit question de rendre justice, & voyant qu'il estoit à propos de ne m'en aller que tout ne fut en paix. Il fut question de traitter d'affaire, ledit de Caen fit quelque proposition sur le fait de la peleterie; que l'on ne treuva à propos, & luy en donna-on les raisons: il s'opiniastre & dit avoir des commandements particuliers, je le somme de les monstrer pour y obéir, il m'en fait refus, je luy offre de mettre papiers sur table, & qu'il en fit de mesme, ce qu'il ne voulut, & dit qu'il desiroit avoir le vaisseau dudit du Pont, pour aller à la guerre, contre les ennemis qui estoient en la riviere: je luy remonstre, qu'il regarde de ne contrevenir à l'arrest, je luy dis les raisons qui l'obligoient de s'en distraire: & pour ce qui estoit de chasser les ennemis, il avoit trois vaiseaux, deux entr'autres capables de courir toutes les costes, avec 28/1012cent cinquante hommes, & qu'il avoit plus de force qu'il n'en failloit: il persiste de vouloir avoir ledit vaisseau, je le somme de donner ses advis, il le fait; après avoir fait quelque refus, je luy respons par articles: je luy envoye la response avec les articles, qu'il ne trouve à sa fantaisie.
Il avoit fait faire une protestation audit du Pont, contenant un grand discours, des interests qu'il avoit sur ledit du Pont, & veut avoir son vaisseau: ledit du Pont me presente requeste sur ce que veut faire ledit de Caen contre les arrests du Roy, & prevoyant la ruine manifeste qui pouvoit arriver, de voir un arrest enfraint, bien que ledit sieur de Caen dit, qu'il n'y veut rien attenter au contraire: Le pere527 & ledit sieur de Caen, eurent plusieurs paroles, qui apportoient plustost de l'altération, que la paix, voyant ne pouvoir rien gaigner sur luy, je fais des ouvertures, comme il peut servir le Roy, je m'offre d'aller dans le vaisseau dudit du Pont, courir sur les ennemis, le suivre par tout, non seulement dans des vaisseaux, mais dans des barques, chalouppes, ou canaus, par terre s'il en est besoin. Je luy dis qu'il ne peut refuser l'offre que je luy fais, me donnant de ses hommes, estant en lieu qui despende de ma charge, & luy remonstre qu'en ce faisant, ce sera servir le Roy, & mondit Seigneur, & qu'ainsi il n'usera de violence, & ne contreviendra aux arrests de sa Majesté, & mondit Seigneur y sera servy, & que s'il a des prétentions, il les vuidera en France.
Il n'en veut rien faire, il s'attache à sa charge, & 29/1013aux particuliers commandemens qu'il avoit du Roy, & de mondit Seigneur. Je le prie & conjure derechef, me les monstrer pour y satisfaire: il s'opiniastre plus que jamais; le voyant ainsi resolu, je prens le vaisseau dudit sieur du Pont en ma sauvegarde, & voulant le conserver pour l'authorité du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, devant tout son esquipage, & après qu'il en useroit comme bon luy sembleroit la forme de justice, qu'il falloit que je fisse ainsi.
Ledit sieur de Caen, proteste devant tout son esquipage, de s'aller saisir dudit vaisseau, & qu'il chastiera ceux qui voudront resister, disant qu'il ne recognoissoit de justice en ce lieu.
J'envoye prendre possession dudit vaisseau, & ledit sieur de Caen y envoya un homme, pour faire inventaire de ce qu'il y avoit, & ainsi s'en saisit, comme ayant la force en main: voila comme se passa cette affaire. Or premier que ledit sieur de Caen entrait au vaisseau, dudit du Pont, je leve l'ancré le 12 d'Aoust, & m'en allay passer le Saguenay, pour ne me trouver à la prise que feroit ledit de Caen, lequel le lendemain me vient trouver avec sa chalouppe, pour traicter de l'ordre que nous devions tenir, pour la conservation de ladite habitation: je le priay de me donner quelques Charpentiers pour achever le magazin encommencé, & qu'il n'y avoit aucun lieu où l'on peust mettre aucune chose à couvert; il me dit qu'il avoit affaire de ses hommes, pour accommoder son vaisseau, qu'il vouloit partir promptement, pour 30/1014aller à Gaspey, & autres lieux, courir sur l'ennemy, si lieu avoit, avec sa barque, & qu'il me l'envoyeroit avec le reste des hommes, qui devoient hiverner à l'habitation.
Il me demande le payement des vivres qu'il avoit vendus audit du Pont, pour ceux qui devoient hyverner de leur part à l'habitation, pour le prix de mille Castors, & sept cens pour les marchandises, qui avoient esté estimées en sa barque, suivant la traicte qui se faisoit avecques les Sauvages, d'autant que nous avions interdit ladite traicte, pour les raisons que j'ay dit cy dessus. Aussi tost que ledit sieur de Caen se fut saisi du vaisseau dudit du Pont, il luy remit entre les mains, disant qu'il n'estoit point armé comme il falloit. Ledit père fut à Tadoussac, le 14 dudit mois, luy faire delivrer les Castors, & ainsi nous nous separasmes.
Le lendemain, ledit sieur de Caen envoya faire une protestation par Hébert 528: s'il eust voulu suivre le conseil que je luy voulus donner, il eust fait ses affaires, sans rien altérer, & avec suject de pretendre de grands interests pour le Roy, & Monseigneur, dautant que ledit du Pont n'avoit apporté aucuns vivres pour les hyvernans, & qu'à faute de ce, l'habitation pouvoit estre abandonnée, & le service du Roy, altéré.
C'estoit à moy (à faute que ledit du Pont ne m'eust fourny les commoditez) de les demander audit de Caen, pour conserver la place; & en me les delivrant, avecques hommes pour hyverner, j'estois tenu, par la voye de justice, de renvoyer 31/1015tous ceux de l'ancienne societé, prendre ceux dudit de Caen, & retenir toutes les marchandises, traictées ou à traicter, sans les delivrer qu'à son retour, qu'indubitablement ils luy eussent esté adjugées par voye de justice: Mais au contraire, les vivres que n'avoit ledit du Pont, pour fournir 25 hommes en leur part, ledit sieur de Caen luy vendit les tiens, ce qu'il ne devoit faire, & fut ce qui m'estonnoit, ne pouvant gouster ceste proposition, croyant selon mon opinion, que mille Castors, qu'il tiroit contant, luy estoient plus aseurez en les apportant, que ce qu'il eust peu esperer par justice, de ceux qui estoient entre mes mains, qui néantmoins estoit chose bien asseurée
Ce pendant que l'on s'amusoit à toutes ces contestations, il y avoit un petit vaisseau Rochelois, qui traittoit avec les sauvages, à quelque cinq lieues de Tadoussac, dans une Isle appellée l'Isle verte 529, où ledit sieur de Caen envoya après nostre département: mais c'estoit trop tard, les oyseaux s'en estoient allez un jour ou deux auparavant, & n'y treuvast on que le nid, qui estoit quelque retranchement de pallissade qu'ils avoient fait, pour se garder de surprise, pendant qu'ils traittoient, l'on mit bas les pallissades y mettant le feu.
Le Capitaine le Grand qui y avoit esté, s'en reuint, comme il estoit party. Nous fismes voilles de la pointe aux allouettes le 15 d'Aoust, & arrivasmes à Québec le 17 où estant je donné ordre à faire parachever le magazin, & ledit sieur de Caen 32/1016envoya les armes, que le Roy nous donnoit pour la defence du fort.
S'ensuit les armes qui me furent livrées, par les commis tant du sieur de Caen & Guers, commis de Monseigneur de Montmorency, que par Jean Baptiste Varin, & Halard, le Mercredy 18 d'Aoust 1621.
12 Hallebardes, le manche de bois blanc, peintes de noir. 12 Harquebuses à rouet, de cinq à fix pieds de long. 2 autres à mesche de mesme longueur. 523 livres de bonne mesche. 187 autre de pourrie. 50 Piques communes. 2 Petarts de fonte verte, pesant 44 livres chacun. Une tante de guerre en forme de pavillon. 2 Armets de Gens-d'armes, & une senderiere. 64 Armes de Piquers sans brasards. 2 Barils de plomb en balles à Mousquets pesant 439 livres.
Lesdites armes & munitions cy-dessus ont esté contées & receues à Québec, par monsieur de Champlain Lieutenant général de Monseigneur le Viceroy en la Nouvelle France, present le sieur Jean Baptiste Varin, envoyé exprés en ce lieu par monsieur de Caen, & de moy commissionnaire de mondit seigneur. Fait audit Québec, le susdit jour que dessus. Signé Guers commissionnaire, & au dessous Jean Baptiste Varin.
j'ay soussigné Jaques Hallard, confesse avoir mis entre les mains de monsieur de Champlain Lieutenant de Monseigneur de Montmorency, Viceroy de ces terres, trois cens dix livres de Poudre à canon, en deux Barils, & 2479 livres de plomb, en 33/1017balles à mousquet, en six barils, ne sçachant dire si cesdites munitions sont du Roy ou de monsieur de Caen. A Québec ce jourd'huy dernier jour d'Aoust 1621. Signé Isaac530 Halard.
Je demanday ausdits commis si ledit sieur de Caen ne m'envoyoit point de mousquets, & d'avantage de poudre, & meilleure que celle à canon, pour les mousquets: ils me dirent qu'ils n'avoient receu que les armes qu'ils m'avoient données. Je ne me pouvois imaginer que sadite Majesté n'eust ordonné des armes à feu avec de la poudre, qui sont les choses principales & necessaires, pour la defence d'une place, & se maintenir contre les ennemis: & ainsi fallut s'en passer, à mon grand regret.
Je ne me pouvois imaginer que sa Majesté nous eust envoyé si peu de munitions de guerre, veu les lettres qu'elle m'avoit fait l'honneur de m'escrire, accompagnées de celle de Monsieur de Puisieux, comme j'ay dit cy-devant.
Quelques jours après, ledit sieur de Caen envoya des vivres, pour la nourriture des hommes qui devoient hyverner au nombre de 25, comme j'avois demandé à chacun des deux societés, qui m'avoient esté promis pour la conservation de la place, il n'en vint que 18 de sa part, & trente que laissa l'ancienne societé.
Ledit sieur de Caen ayant mis ordre à ses affaires, partit de Tadoussac le 29e jour d'Aoust.
Et le mardy 7 de Septembre partit aussi ledit 34/1018sieur du Pont, & le père George531, de Québec, qui me promit communiquer audit sieur Dolu, tout ce qui s'estoit passé & fait: ne doutant point, que ce faisant tout iroit à l'amiable, & auroit esté en paix, & que tant de discours inutils qui s'estoient faits & passez par delà, se fussent appaisez; esperant avoir plus de repos à l'advenir: & oster le plus que l'on pourroit les chicaneries. Deux mesnages retournerent. Car depuis deux ans, ils n'avoient pas deserté 35/1019une vergée de terre, ne faisant que se donner du bon temps, à chasser, pescher, dormir, & s'enyvrer avec ceux qui leurs en donnoient le moyen: je fis visiter ce qu'ils avoient fait, où il ne se trouva rien de deserté, sinon quelques arbres couppez, demeurans avec le tronc & leurs racines: c'est pourquoy je les renvoyay comme gens de néant, qui despensoient plus qu'ils ne valloient: c'estoient des familles envoyées, à ce que l'on m'avoit dit, de la part dudit Boyer en ces lieux, au lieu d'y envoyer des gens laborieux & de travail, non des bouchers & faiseurs d'aiguilles, comme estoient ces hommes qui s'en retournèrent, il me sembla bon, pour esviter aux chicaneries, de faire quelques ordonnances, pour tenir chacun en son devoir. Lesquelles je fis publier le 12 de Septembre532.
Le P. George était porteur de la requête suivante:
SCACHENT TOUS QU'IL APPARTIENDRA. Que l'an de grâce 1621, le 18e jour d'Aoust, du Règne de très-haut, tres-puissant & tres-Chrestien Monarque Louys 13e du nom, Roy de France, de Navarre & de la nouvelle France ditte Occidentale, du Gouvernement de haut & puissant Seigneur Messire Henry Duc de Montmorency & de Dampville, Pair & Admiral de France, Gouverneur & Lieutenant général pour le Roy en Languedoc, & Viceroy des pays & terres de la nouvelle France ditte Occidentale, de la Lieutenance de noble homme Samuel de Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine, Lieutenant général esdits pays & terres dudit seigneur Viceroy, que par permission dudit sieur Lieutenant se seroit faicte une assemblée générale de tous les François habitans de ce païs de la nouvelle France, afin d'aviser des moiens les plus propres sur la ruyne & desolation de tout ce païs, & pour chercher les moiens de conserver la Religion Catholique, Apostolique & Romaine en son entier, l'authorité du Roy inviolable & l'obeissance deue audit Seigneur Viceroy, après que par ledit sieur Lieutenant, Religieux & habitans, presence du sieur Baptiste Guers Commissaire dudit seigneur Viceroy, a esté conclud & promis de ne vivre que pour la conservation de ladicte Religion, obeissance inviolable au Roy & conservation de l'autorité dudit Seigneur Viceroy, voyant cependant la prochaine ruine de tout le pays, a esté d'une pareille voix délibéré, que l'on feroit choix d'une personne de l'assemblée pour estre député de la part de tout le général du pays, afin d'aller aux pieds du Roy, faire les très humbles submissions ausquelles la nature christianisme & obligation, rendent tous sujects redevables, & presenter avec toute humilité le Cahier du pays, auquel seront contenus les desordres arrivez en ce pays, & notamment ceste année mil six cens vingt-un. Et aussi qu'iceluy député aille trouver nostre-dit seigneur Viceroy, pour luy communiquer semblablement des mesmes desordres, & le supplier se joindre à leur complainte, pour la demande de l'ordre necessaire à tant de mal-heurs, qui menacent ces terres d'une perte future, & finallement pour qu'iceluy député puisse agir, requérir, convenir, traicter & accorder pour le Général dudit pays, en tout & par tout ce qui sera l'advantage dudit pays. Et pour ce tous d'un pareil consentement & de la mesme voix cognoissant la saincte ardeur à la Religion Chrestienne, le zèle inviolable au service du Roy, & de l'affection passionnée à la conservation de l'autorité dudit seigneur Viceroy, qu'à tousjours constamment & fidellement tesmoigné le Reverend Père Georges le Baillif Religieux de l'ordre des Recollects, joint sa grande probité, doctrine & prudence. Nous l'avons commis, député, & délégué, avec plain pouvoir & charge de faire, agir, representer, requérir, convenir, escrire & accorder, pour & au nom de tous les habitans de ceste terre, suppliant avec toute humilité sa Majesté, son conseil & nostre-dit seigneur Viceroy, d'agréer ceste nostre délégation, conserver & protéger ledit R. Père en ce qu'il ne soit troublé ny molesté de quelque personne que ce soit, ny sous quelque pretexte que ce puisse estre, à ce que paisiblement il puisse faire, agir & poursuivre les affaires du pais, auquel nous donnons de rechef pouvoir de réduire tous les advis à luy donnez par les particuliers en un cahier général, & à iceluy apposer sa signature avec ample déclaration que nous faisons, d'avoir pour aggreable & tenir pour vallable tout ce qui sera par iceluy Reverend Père faist, signé, requis, negotié & accordé pour ce qui concernera ledit pays, & de plus luy donnons pouvoir de nommer & instituer un ou deux Advocats au Conseil de sa Majesté, Cours souveraines & jurisdictions, pour & en son nom & au nostre, escrire, consulter, signer, plaider & requérir de sa Majesté & de son Conseil, tout ce qui concernera les affaires de ceste nouvelle France. Si requérons humblement. tous les Princes, Potentats, Seigneurs, Gouverneurs, Prélats, Justiciers & tous qu'il appartiendra, de donner assistance & faveur audit Reverend Père, & empêcher qu'iceluy allant, venant, ou sejournant en France, ne soit inquiété ou molesté en ceste délégation avec particulière obligation de recognoissance, autant qu'il sera à nous possibles. Donné à Kebec en la nouvelle France sous la signature des principaux habitans, faisans pour le général, lesquels pour autentiquer d'avantage ceste délégation, ont prié le tres-Reverend Père en Dieu Denis Jamet, Commissaire des Religieux, qui sont en ces terres d'apposer son sceau Ecclesiastique ce jour & an que dessus, signé Champlain, Frère Denis Lamet Commissaire, Frère Joseph le Caron, Hébert Procureur du Roy, Gilbert Courseron Lieutenant du Prevost, Boullé, Pierre Reye, le Tardif, I. Le Groux, P. Desportes, Nicolas Greffier de la jurisdiction de Kebec & Greffier de l'assemblée, Guers Commissionné de Monseigneur le Viceroy & present en ceste eslection, & seellée en placard du seel dudit Reverend Père Commissaire.
(Sagard, Hist. du Canada, p. 73 et suiv.)
L'Autheur faict travailler au fort de Quebec. Voye asseurée qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin commis du sieur Dolu. Réunion des deux sociétés.