Oeuvres de Champlain
Un canau arriva de la riviere des Yrocois, ce mesme jour, qui nous dit que cinq Flamands avoient esté tuez par les sauvages Yrocois, qui par cy devant avoient esté leurs amis, qui ont maintenant guerre avec les Mahiganathicoit649, où sont les Flamands au 40e degré, costes attenantes à celle des Virgines où l'Anglois habite.
Le 25e jour d'Aoust ledit Emery partit de Québec. Et ledit du Pont se délibéra de repasser en France, bien que ledit sieur de Caen 650 lui mandoit que cela seroit en son option de demeurer s'il vouloit, & s'estant resolu de s'en retourner, Cornaille de Vendremur d'Envers651 demeura en sa place, pour avoir soing de la traitté & des marchandises du magazin, avec un jeune homme appellé Olivier le Tardif de Honnefleur, sous-commis 130/1114qui servoit de truchement. Tous nos vivres estans desembarquez je les fis visiter, le nombre qu'il y avoit estoit peu, qui estoit pour tomber en des inconvenients d'une mauvaise attente, comme j'ay dit cy dessus, si Dieu ne nous aydoit par le prompt retour des vaisseaux.
Le 15 de Septembre j'envoyay le bestial au Cap de Tourmente, d'où il y a sept lieues652. Et le 21 je fis porter des vivres & commoditez, pour six hommes, une femme & une petite fille.
Le 24 s'en revindrent tous les ouvriers dudit Cap, qui avoient parachevé le logement tant pour les hommes que pour le bestial, lesquels hommes j'employay à aller couper nombre de pièces de bois pour sier en hyver & faire la charpente necessaire à faire les logements.
Le 24 du mois d'Octobre je fus audit Cap de Tourmente, & delà pensois aller aux Isles, qui sont le travers pour recognoistre quelques particularitez, mais le vent de Nordest s'esleva si fort que nous pensasmes périr, toutes nos commoditez furent perdues, nostre chalouppe grandement offencée, qui nous contraignit de relacher & retourner à Québec.
Le 30 dudit mois s'esleva un si grand coup de vent, de Nordest, que la mer croissant extraordinairement, nous brisa une de nos barques sans y pouvoir remédier, laquelle estoit toute pourrie au fond pour estre trop vieille, Dieu permettant ce mal-heur pour un autre plus grand bien.
131/1115Le mois de Novembre est fort variable en ces lieux, tantost il y neige, pleut & gele, avec quelques coups de vents advancoureurs de l'hyver, neantmoins je ne laissay durant ce temps, de faire amaner quantité de pièces de bois pour employer les charpentiers & sieux d'ais pendant l'hyver, qui nous surprit plustost qu'à l'accoustumée, qui fut le 22 dudit mois, la grande riviere commença à charier de petites glaces. Le 7 de Décembre mourut de la jaulnisse un des ouvriers des Peres, qui estoit assez aagé.
Le 17 dudit mois le reverend père l'Allemand baptisa un petit sauvage653, qui n'avoit que dix à douze jours, par la permission de son père appellé Caquémisticq, le lendemain fut enterré au cemetiere de l'habitation 654.
D'après Sagard, c'était une petite fille. On envoya quérir le P. Joseph pour baptiser l'enfant, qui était «assez foible & fluette, ce que sçachant il y accourut promptement pensant la baptizer, mais l'ayant trouvé assez forte en différa le baptesme avec consentement de la mère, jusques à l'arrivée du Père Charles Lallemant qu'il fut quérir en nostre Convent, luy référant ceste honneur, en recognoissance de la peine qu'ils avoient prise de nous venir seconder à rendre les Sauvages enfans de Dieu. Ce que le R. P. Lallemant luy accorda & retournèrent de compagnie à la cabane de l'accouchée, où ils trouverent le mary arrivé de son voyage... Ce pauvre sauvage se monstra très content de voir sa femme heureusement accouchée & en bonne santé, marry seulement de voir son enfant malade & en danger de mort. Ils eurent ensemble quelque discours, sçavoir s'ils le feroient baptizer ou non, il disoit pour lui qu'il en avoit prie le P. Joseph, & sa femme plus attachée à ses superstitions, vacillant tousjours, n'advouoit point qu'elle y eust consenty, & taschoit de l'en divertir, disans pour ses raisons que cette eau du Baptesme feroit mourir son enfant, comme elle avoit fait plusieurs autres. En ces entrefaites arriverent les PP. Joseph le Caron & Lallemant, lesquels cognoissans ce petit différent survenu entre le mary & la femme touchant le Baptesme de leur petite fille, les eurent bien tost vaincus de raisons, & fait consentir de rechef qu'elle seroit baptizée, ce qui fut fait par le R. P. Lallemant, à la prière du P. Joseph. L'on ne luy imposa point de nom pour estre proche de sa fin, car elle mourut le soir mesme de sa naissance, non en Payenne, mais en Chrestienne, qui luy donne le juste titre d'enfant de Dieu, & cohéritière de sa gloire.» (Hist. du Canada, p. 585, 586.)
«Le Père Joseph leur demanda le corps de la deffuncte qu'ils avoient enveloppé à leur mode, pour la mettre en terre saincte au Cimetière proche Kebec... A ceste cérémonie se trouverent deux de nos religieux, sçavoir le P. Joseph, & le F. Charles, le P. Lallement, & le F. François Jesuite avec plusieurs François de l'habitation, qui tous ensemblement se transporterent à la cabane de la deffuncte, qu'ils prirent & la portèrent solemnellement en la Chappelle de Kebec chantans le Psaulme ordonné aux enfans, puis le R. P. Lallement ayant dit la saincte Messe on fust l'enterrer au cimetière avec un assez beau convoy pour le pays, car le père de l'enfant marchoit tout le beau premier couvert d'une peau d'Eslan toute neuve enrichie de matachias & bigarures, & avec luy marchoit le sieur Hébert & les autres François en suitte, selon l'ordre qui leur estoit ordonné, non si gravement mais moins modestement que ce Sauvage pere, qui tenoit mine de quelque signalé Prélat.» (Ibid. P. 587, 588.)
132/1116Le 25 de Janvier, Hébert fit une cheute qui luy occasionna la mort655: c'a esté le premier chef de famille resident au païs, qui vivoit de ce qu'il cultivoit.
«Dieu voulant, dit Sagard, retirer à foy ce bon personnage & le recompenser des travaux qu'il avoit souffert pour Jesus-Christ, luy envoya une maladie, de laquelle il mourut 5 ou 6 sepmaines après le baptesme de ceste petite fille de Kakemistic. Mais auparavant que de rendre son âme entre les mains de son Créateur, il se mist en l'estat qu'il desiroit mourir, receut tous ses Sacremens de nostre P. Joseph le Caron, & disposa de ses affaires au grand contentement de tous les siens. Après quoy il fist approcher de son lict, sa femme & ses enfans ausquels il fist une briefve exhortation de la vanité de cette vie, des tresors du Ciel & du mérite que l'on acquiert devant Dieu en travaillant pour le salut du prochain. Je meurs contant, leur disoit-il, puis qu'il a pleu à nostre Seigneur me faire la grâce de voir mourir devant moy des Sauvages convertis. J'ay passé les mers pour les venir secourir plustost que pour aucun autre interest particulier, & mourrois volontiers pour leur conversion, si tel estoit le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie de les aymer comme je les ay aymez, & de les assister selon vostre pouvoir. Dieu vous en sçaura gré & vous en recompensera en Paradis: ils sont créatures raisonnables comme nous & peuvent aymer un mesme Dieu que nous s'ils en avoient la cognoissance à laquelle je vous supplie de leur ayder par vos bons exemples & vos prières. Je vous exhorte aussi à la paix & à l'amour maternel & filial, que vous devez respectivement les uns aux autres, car en cela vous accomplirez la Loy de Dieu fondée en charité, cette vie est de peu de durée, & celle à venir est pour l'éternité, se suis prest d'aller devant mon Dieu, qui est mon juge, auquel il faut que je rende compte de toute ma vie passée, priez le pour moy, afin que je puisse trouver grâce devant sa face, & que je sois un jour du nombre de tes esleus; puis levant sa main il leur donna à tous sa bénédiction, & rendit son âme entre les bras de son Créateur, le 25e jour de Janvier 1627, jour de la Conversion sainct Paul, & fut enterré au Cimetière de nostre Convent au pied de la grand Croix, comme il avoit demandé estant chez nous, deux ou trois jours avant que tomber malade, comme si Dieu luy eut donné quelque sentiment de sa mort prochaine.» (Hist. du Canada, p. 590, 591.) Suivant le P. le Clercq, le corps d'Hébert fut relevé en 1678, par les soins du Révérend P. Valenrin le Roux, alors Commissaire et Supérieur des Récollets de Québec, et «transporté solemnellement dans la cave de la Chapelle de l'Eglise» du nouveau couvent qu'on venait de bâtir. «Madame Couillard, fille du sieur Hébert, qui vivoit encore alors, s'y fit transporter, & voulut estre presente à cette translation.» (Prem. établiss. de la Foy, 1, 375.)
Le 22 de Mars, les sauvages me donnèrent deux eslans male & femelle, le malle mourut pour avoir trop couru & travaillé, estant poursuivy des sauvages, lesquels nous firent part de quelque chair d'eslan: l'hyver que j'y passay fut un des plus longs 133/1117que j'aye veu en ce lieu, qui fut depuis le 21 de Novembre jusqu'à la fin d'Avril, il y avoit sur la terre quatre pieds & demy de neiges, & à Miscou huict, qui est dans le golphe sainct Laurent, à 155 lieues de Québec, où ledit de la Ralde avoit laisse quelques François hyverner, pour traitter quelque reste de marchandises qui luy restoient, & qu'il ne voulut rapporter en France: ils faillirent tous à mourir du mal de terre, j'envoyay visiter ceux qui estoient au Cap de Tourmente, lesquels s'estoient fort bien portez, mais avoient un peu mal mesnagé leurs vivres, & leurs en fallut donner d'autres, aux despens des hyvernans de l'habitation, qui n'avoient pas assez de farines que quelques galettes, qui suppléerent au deffaut: sans cela nous eussions esté très mal, comme de toutes autres choses, pour n'avoir pourvue en France de bonne heure aux commoditez necessaires pour l'habitation.
Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois. L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres.
CHAPITRE III.
Pendant l'hyver quelques uns de nos sauvages furent aux habitations des Flamands, lesquels les sauvages dudit pays solliciterent les nostres de faire la guerre aux Yrocois, qui leurs avoient tué vingt quatre sauvages & cinq Flamands qui ne leurs avoient voulu donner partage, pour aller faire la guerre à une nation appellée les Loups ausquels 134/1118lesdits Yrocois vouloient du mal, & pour engager nos sauvages à ceste guerre, qui avoient la paix avec lesdits Yrocois, ils leurs donnèrent des presens de colliers de pourcelaine, pour faire donner à quelques Chefs, comme au reconcilié & autres, afin de rompre cette paix. Ces Messagers estans de retour donnèrent les colliers aux Chefs, qui les ayant receuz délibérèrent de s'assembler bon nombre, avec les Algommequins & autres nations, & s'en aller treuver les Flamands & sauvages pour faire une grande assemblée ruiner les villages Yrocois, avec lesquels au precedent ils avoient paix, n'estans qu'à deux journées d'eux, & douze de Québec. Il y avoit plusieurs de nos sauvages qui ne vouloient point ceste guerre, ains la continuation de la paix avec les Yrocois, & ce qui fut cause d'un grand trouble entre ces peuples, desquelles nouvelles je n'avois encore rien sceu que par un Capitaine sauvage des nostres, appelle Mahigan Aticq, qui ne voulut consentir à ceste guerre, que premier il n'eust eu mon advis, ce que je luy promis: il me discourut fort particulièrement de toute ceste affaire, jugeant où cela pouvoit aller, car l'importance n'estoit pas seulement de ruiner les Yrocois comme ennemis des Flamands, mais le tout tiroit à plus grande consequence, que je passeray sous silence.
Je dis audit Mahigan Aticq que je luy sçavois bon gré de m'avoir donné cet advis, mais que je treuvois fort mauvais, comme ledit reconcilié & autres avoient pris ces presens, & délibéré ceste guerre sans m'en advertir, veu que c'estoit moy qui m'estois entremeslé de faire la paix pour eux avec 135/1119lesdits Yrocois, considerant le bien qui leur en arrivoit de voyager librement amont la grande riviere, & dans les autres lieux, autrement n'estant qu'en peur de jour en jour, de se voir massacrer & pris prisonniers, eux, leurs femmes & enfans, comme ils avoient esté par le passé: la où recommençant ceste guerre, c'estoit rentrer de fiévre en chault mal, & que pour moy je ne pouvois consentir à une meschanceté: qu'eux & moy leur avions donné parole de ne leurs faire aucune guerre, sans qu'au préalable ils ne nous en eussent donné suject, & que pour ceux qui entreprenoient ceste affaire, touchant la guerre sans nous en communiquer, je ne les tenois point pour mes amis, mais ennemis, & que s'ils faisoient cela sans quelque suject, je ne les voulois point voir à Québec, que néanmoins où je treuverois lesdits Yrocois je les assisterois comme amis, contre les sauvages proche des Flamands, qui estoient ennemis comme leurs ayant fait la guerre, estant allé autre fois aux Mahiganaticois, qui sont ceux de ceste mesme nation qui nous avoient tué malheureusement de nos hommes, que pour le reconcilié s'il avoit pris ces presens, que je ne le voulois plus voir ny tenir pour mon amy, s'il ne les renvoyoit, n'aller en guerre s'il les retenoit, que c'estoit estre de mauvaise foy, que promettre une chose pour en faire une autre, & que se laisser corrompre pour des presens, & je ne pouvois que penser de telles personnes, & que si on leurs en donnoit pour faire quelque meschanceté contre nous, ils le feroient. Et entre autres discours tendant à cet effect, il me dit que j'avois raison, & qu'il falloit 136/1120aller en diligence aux trois Rivieres, au Conseil qui se devoit delibérer, & que mesme il y en avoit quelque nombre qui vouloient aller faire une course au pays desdits Yrocois pour en attraper quelques-uns, premier qu'aller vers les Flamans, si je n'y allois ou envoyois, & me pria instamment d'y envoyer puis que ma commodité ne le pouvoit permettre d'y aller; d'autant, me dit-il, qu'ils ne me voudroient pas croire de ce que je pourrois leur dire de sa part: mais y envoyant ils verront la vérité, & ce que tu desires. Sur ce je me délibère d'y envoyer Boullé mon beau frere avec un truchement, le lendemain le reconcilié me vint treuver, qui avoit ouy quelque vent que je sçavois quelque chose de cette affaire, je luy fis fort froide réception, & ne me peus empescher de luy tesmoigner le desplaisir que j'en avois: il me dit qu'il ne sçavoit rien de cette affaire, mais jugeant que j'estois bien certain de tout ce qui se passoit, il s'en alla doucement s'embarquer en un Canau, va au trois Rivieres premier que mon beau-frère & ledit Mahigan aticq y fussent, où il tesmoigna n'avoir agréable cette guerre, & se montera aussi contraire comme il y avoit esté porté, mais quelques Algommequins estoient partis pour aller en leur pays, & de là à la guerre sans nostre sceu, qui occasionna du malheur tant pour nos Sauvages que pour nous, comme il sera dit cy-aprés.
Le 9 dudit mois de May j'envoyay mon beau-frere pour aller à cette assemblée 30 lieues de Québec amont ledit fleuve, où ils s'assemblerent tous pour prendre la resolution: la moitié desiroit la 137/1121 continuation de la guerre, autres de la paix: il fut en fin resolu de ne rien faire jusques à ce que tous les vaisseaux fussent arrivez, & que les Sauvages d'autres nations seroient assemblés, ce qui occasionna mon beau-frère de revenir le 21 dudit mois, & me dit ce qui avoit esté resolu. Le Pere Joseph Recolet baptisa un petit Sauvage de l'aage de 18 à 20 ans, qui fut nommé Louys656, au nom du Roy, le 23 de May. Quelque temps après il s'en retourna avec les Sauvages, comme fit un autre 657 qui avoit esté instruit en France, qui sçavoit bien lire, escrire, & passablement parler latin.
Ce jeune sauvage était Néogaouachit, fils aîné de Choumin, surnommé le Cadet. Il fut baptisé dans la chapelle de la cour à Notre-Dame-des-Anges, le jour de la Pentecôte, qui tombait cette année le 23 mai, et fut tenu sur les fonts par Champlain lui-même et par Madame Hébert. Pour quelque raison de prudence, l'auteur ne permit pas que le baptême eût lieu à l'église paroissiale. Après la cérémonie, on donna un grand festin à tous les sauvages, et Champlain voulut que son filleul vînt à l'habitation dîner à sa propre table. (Sagard, Hist. du Canada, pp. 541-563.)
Le 7 de juin arriva un Canau où il y avoit deux François qui m'apportoient lettres des sieurs de la Ralde & d'Emery de Caen, qui estoient arrivez à Tadoussac le dernier de May 1627.
Le 9 dudit mois de juin arriva ledit Emery, lequel ayant deschargé & pris ce qui luy estoit necessaire pour sa retraitte, il s'en alla au trois Rivieres, & après luy avoir dit ce qui s'estoit passé de cette affaire touchant cette guerre, & l'utilité que la paix nous apporteroit de ce costé-là si on pouvoit la continuer: mais comme Emery fut arrivé où estoient les Sauvages, il ne sceut tant faire, ny tous lesdits Sauvages, qui estoient là, que neuf ou dix jeunes hommes écervelez n'entreprinsent d'aller 138/1122à la guerre, ce qu'ils firent sans qu'on les peust empescher, pour le peu d'obeissance qu'ils portent à leurs chefs, ils furent par la riviere des Yrocois, arrivant au lacq de Champlain, où ils rencontrerent un Canau dans lequel estoit trois Yrocois, qui sous feinte d'estre encore amis, les prirent, un se sauva, & amenèrent les deux aux trois rivieres, de là ils retournèrent devant la riviere des Yrocois, où se devoit faire la traitte, & là commencèrent à mal traitter ces deux prisonniers en leur donnant plusieurs coups de bâtons & arrachant à l'un les ongles des mains, & se delibérant les faire mourir, les faisant promener de Cabanne en Cabanne, & contraignant de chanter comme est leur coustume, voila ce qui fut cause de l'esperance rompue de cette paix par accident. Cependant ledit sieur Emery faisoit ce qu'il pouvoit en suitte de l'advis que je luy avois donné de maintenir cette paix avec les Yrocois, leur remonstrant le peu de foy & de parole, & ne pouvant rien faire avec eux, il m'escrivit une lettre, me faisant entendre toutes les nouvelles: que ma presence y eust esté fort requise, ce qui fut cause qu'aussitost je m'embarquay dans un Canau avec Mahigan aticq qui fut le quatorziesme de Juillet, où arrivant au lieu où estoient lesdits prisonniers, je sceu que le mesme jour le Reconcilié avoit coupé les cordes desquelles ils estoient liez, ne desirant pas qu'il mourussent que premièrement ils ne m'eussent veu, & tenu conseil sur ce qu'ils devoient faire. Après avoir sceu toutes ces nouvelles dudit Emery, je fus à terre voir nos Sauvages & lesdits prisonniers qui se disoient frères, 139/1123l'un aagé de vingt huict ans, beau Sauvage, & très-bien proportionné, & l'autre de dix-sept, qui me donnèrent de la compassion de les voir, & bien aise de ce qu'ils avoient esté delivrez des tourments qu'on leur vouloit faire souffrir.
Le conseil fut assemblé sur ce que je leurs dy qu'ils avoient fait une grande faute de permettre à ces Sauvages d'avoir esté à la guerre, & grande lascheté à ceux qui y avoient esté d'avoir eu si peu de courage que les prendre sous ombre d'amitié, & les ayant si mal traittez comme ils avoient fait, & qu'asseurément cela leur pourroit estre vendu fort cher si l'on n'y trouvoit quelque remède, que les ennemis ne pourroient plus avoir subject de se fier en leurs paroles, que cecy estoit la deuxiesme mechanceté qu'ils leurs avoient faicte, & l'autre estoit qu'allant traitter de paix avec lesdits Yrocois, qui les avoient bien receus, cependant en s'en retournant ils avoient assommé un des leurs, & que leur bonté leur avoit pardonné.
Estans tous assemblez je leur donnay à entendre qu'ils considerassent combien de bien ils recevoient de la paix au prix de la guerre, qui n'apporte que plusieurs malheurs, qu'ils sçavoient comme ils en avoient esté par le passe: que pour nous cela nous importoit fort peu: mais que la compaission que nous avions de leur misere nous obligeoit, les aymant comme frères, de les assister de nostre bon conseil, de nos forces contre leurs ennemis quand ils voudroient leur faire la guerre mal à propos, laquelle ils n'avoient encore commencée si ce n'estoit les subjects qu'ils leurs en avoient donné, dont ils 140/1124pourroient en avoir du ressentiment si nous ne taschions d'y apporter le remède, & aussi qu'ils sçavoient bien que la guerre estant, toute la riviere leur seroit interdite & n'y pourroient chasser ny pescher librement sans courir de grands dangers, crainte & apprehension, & eux principalement qui n'avoient point de demeure arrestée, vivans errans par petites troupes escartées, dont ils se rendent autant plus foibles, & que s'ils estoient tous assemblez en un lieu comme font leurs ennemis, & que c'est ce qui les rend forts. De plus qu'ils considerassent combien ils pourroient endurer de necessitez pour ce subject: Ainsi se tindrent plusieurs autres discours, que pour moy recognoissant l'utilité de la continuation de cette paix il eust esté à propos de bien traitter les deux prisonniers, les renvoyer sans aucun mal, & donner quelque presens aux chefs de leurs villages pour payer la faute qu'ils avoient commises en la prise de ces deux prisonniers, suivant leurs coustumes, & remonstrant aussi qu'ils n'avoient pas esté pris du consentement des Capitaines ny des Anciens, mais de jeunes fols, & inconsiderez qui avoient fait cela, dont tous en avoient conceu un grand desplaisir.
La pluspart, & tous d'un consentement, après que chaque Capitaine eut fait sa harangue, ils se resolurent de renvoyer l'un des prisonniers avec le Reconcilié qui s'y offrit, & deux autres Sauvages, accompagnez de presens pour donner aux Capitaines des villages ou ils alloient mener le prisonnier, laissant l'autre en ostage jusques à leur retour: & pour faire plus valoir leur Ambassade, ils nous 141/1125demandèrent un François avec eux: le leur dis que s'il y en avoit quelques-uns qui y voulussent aller, que pour moy j'en estois comptant: il s'en treuva deux ou trois moyennant qu'on leur donnast quelque gracieuseté pour leur peine, & la risque qu'ils pouvoient courir en ce voyage, l'un d'eux appellé Pierre Magnan, qui avec la volonté qu'il avoit, & la commodité qu'on luy promit, il se delibere de faire le voyage avec le Reconcilié, deux Sauvages & l'Yrocois, lesquels s'accommodèrent des choses les plus necessaires, & partirent le 24 dudit mois, & moy le mesme jour m'en retournay à Quebec, où j'arrivay le lendemain, y trouvant ledit du Pont, qui estoit arrivé le 17 lequel me dist que ledit sieur de Caen voyant qu'il ne s'estoit point embarqué en la Flecque, vaisseau qui venoit pour la pesche de Baleine, qu'il luy avoit escrit & prie que s'il treuvoit moyen de passer en quelque vaisseau pour s'en venir hyverner en ce lieu qu'il luy feroit un singulier plaisir, pour avoir l'administration des choses qui dependoient de son service.
Ce que voyant, tout incommodé qu'il estoit, pour l'instante prière qu'il luy en avoit faicte, il s'estoit embarqué en un vaisseau de Honnefleur pour venir à Gaspay & de là prit une double chalouppe avec six à sept Matelots & son petit fils pour s'en venir à Québec, où en chemin il avoit receu de grandes incommoditez de ses gouttes, ce qui en effect estonna un chacun, & mesme ledit de la Ralde, à ce qu'il me dist, qu'il n'eust jamais creu que ledit du Pont eust voulu se mettre en un tel risque ayant l'incommodité qu'il avoit.
142/1126Ledit Emery me manda que depuis mon département frère Gervais658 Recolet avoit baptisé un Sauvage appelle Tregatin659, lequel estant proche de la mort le voulut estre, & le demanda trois fois, ne voulant adjouter foy aux superstitions des Sauvages, promettant que si Dieu luy redonnoit la santé il se feroit instruire aussitost après son baptesme, il recouvra la santé, mais il n'a pas suivy ce qu'il avoit promis, le tout à sa plus grande condemnation, si Dieu ne l'assiste.
Mort & assassinat de Pierre Magnan, François, du chef des Sauvages appelle Réconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour d'Emery de Caen & du Père l'Allemand à Québec. Necessitez en la Nouvelle France.
CHAPITRE IV.
Le 25 d'Aoust un Sauvage nous apporta la nouvelle de la mort de Pierre Magnan, & du Reconcilié, & des autres deux Sauvages, qui nous dit qu'un Algommequin qui s'estoit sauvé dudit village des Yrocois leur avoit fait entendre au vray comme les ennemis les avoient traittez cruellement. Comme nos Ambassadeurs furent arrivez audit village des Yrocois ils furent bien receus, l'on les mena pour tenir conseil sur le subject de leur Ambassade: A mesme temps les villages 143/1127 circonvoisins en furent advertis, & là les chefs se treuverent pour le traitté de paix: & par malheur pour les nostres, c'est que les Algommequins (comme j'ay dit cy-devant) avoient esté à la guerre contre les Yrocois, & en avoient tué cinq, qui fut le subject que des Sauvages appellez Ouentouoronons660 d'autre nation, amis desdits Yrocois, vindrent en diligence pour se venger sur ceux qui estoient alliez, & les tuèrent à coups de haches sans que lesdits Yrocois les peuvent empescher, leur disant, Pendant que vous venez pour moyenner la paix, vos compagnons tuent & assomment les nostres, ainsi perdirent la vie malheureusement. Pour le Reconcilié il meritoit bien cette mort, pour avoir massacré deux de nos hommes aussi malheureusement au Cap de Tourmente661, & ledit Magnan natif d'un lieu proche de Lisieux, avoit tué un autre Magnan. à coups de bastons, dont il fut en peine, & avoit esté contraint de se retirer en la nouvelle France. Voilà comme Dieu chastie quelque fois les hommes qui pensent esviter sa justice par une voye & sont attrapez par une autre. Ces nouvelles nous apporterent un grand desplaisir, tant pour nous voir hors d'esperance de cette paix, qui nous pouvoit apporter de la commodité pour avoir les passages plus libres à nos Sauvages, de pouvoir chasser & pescher. De plus qu'ayant fait mourir un de nos hommes de cette façon, cela alloit à telle consequence que si nous ne nous en ressentions il falloit estre tenus de tous les peuples hommes sans courage, & estre aux 144/1128risques de recevoir souvent tels affronts si nous ne mettions peine de nous en ressentir.
Ces nouvelles arrivées de la mort des Ambassadeurs parmy nos Sauvages, de rage & de desplaisir qu'ils eurent ils662 prindrent ce jeune garçon Yrocois qu'ils avoient retenu pour ostage, ils luy arrachent les ongles, le bruslent à petit feu avec des tisons, luy faisant souffrir plusieurs tourments, & ainsi mal traitté en firent un present à d'autres Sauvages pour l'achever de le faire mourir, & les obliger de les assister en leur guerre contre lesdits Yrocois, lesquels Sauvages prirent le garçon, le lièrent à un poteau le bruslant peu à peu. Comme il estoit en ces douleurs extrêmes ils luy coupèrent les mains, les bras, luy levant les espaules, & estant encore vif luy donnèrent tant de coups de cousteaux, qu'il mourut ainsi cruellement, & chacun en emporta sa pièce qu'ils mangèrent.
Ledit Emery ayant faict la traitte, qui fut l'une des bonnes (qui se fust faicte il y avoit long temps) s'en retourna à Québec le dernier de Septembre de là à Tadoussac porter les pelteries.
Le 2 d'Octobre deux autres barques partirent pour s'en aller audit Tadoussac, en l'une desquelles repassa le Reverend père l'Allemand lequel s'en retournoit fort affligé de ce que leur vaisseau n'estoit venu 663 leur apporter les commoditez qui leurs estoient necessaires pour la nourriture de vingt sept 145/1129à vingt huict personnes qui estoient au pays, cela leur faisoit perdre beaucoup de temps, ne pensant à autre chose sinon que les vaisseaux où devoit venir le Père Noyrot (qui s'estoit équipée à Honnefleur) fut perdu & pris par les Anglois, qui fut le subject que nous ne receusmes aucunes lettres de celles qu'il nous apportoit, ne sçachant comme toutes les affaires s'estoient passées en France, que ce que me mandoit ledit sieur de Caen qui estoit peu de chose, & ainsi pour n'avoir des vivres & commoditez, ledit Père l'Allemand fut contrainct de faire passer tous ses ouvriers & autres, horsmis les Pères Massé, Dénoue 664, un frère, & cinq autres personnes pour n'abandonner leur maison, lesquels il accommoda au mieux qu'il peut, traittant quelques dix baricques de galette du magazin, au prix des Sauvages, à sept castors pour bariques de galette que ledit Pere avoit recouvert des uns & des autres à un escu comptant pour Castor, & ainsi achetoit chèrement ce que la necessité leur contraignoit, sans trouver aucune courtoisie. Ledit de la Ralde qui estoit venu pour lors à Québec rapportant n'avoir eu aucun ordre en France de les assister ny mesme de rapasser aucun religieux: Tout cecy ne monstroit que l'animosité qu'il avoit envers lesdits Peres & le sieur de Caen665 qui avoit eu quelque chose à demesler avec ledit Pere Noyrot qui l'avoit desobligé, à ce qu'il me mandoit, mais tous les Pères qui estoient par delà n'en devoient pâtir, 146/1130n'estant cause de ce qui s'estoit passée en France. Ils commençoient à se bien establir, & avoient fort advancé, tant en leurs bastiments qu'à deserter les terres: ce neantmoins ledit de la Ralde ne laissa de recevoir ledit Père l'Allemand en son vaisseau & luy faire bonne chère, car à la verité la courtoisie, l'honnesteté, la bonne mine & conversation dudit Pere l'obligeoit trop à luy rendre toute sorte de bon traittement qu'il treuva en sa personne: dans la mesme barque s'en alla ledit Destouches, qui fut le 2 de Septembre.
Le P. Noirot avait disposé un navire muni de toutes les choses nécessaires; mais les sieurs de Caen et de la Ralde en prirent ombrage, et d'ailleurs, ayant eu avis que les Pères avaient formé quelques plaintes sur leur conduite, ils firent si bien qu'on arrêta ce qui était pour le compte des Jésuites. (Prem, établiss. de la Foy, I, 371.)
Nous eusmes nouvelles par la dernière barque qui apportoit le reste de nos commoditez que ledit de la Ralde estoit party dans la Catherine le septiesme Septembre, & avoit laissé ledit Emery de Caen dans la Flecque jusques au 5 d'Octobre pour la pesche de la Baleine, & voir ce qui reussiroit de cette entreprise. L'on avoit envoyé quelque genisse666 d'un an dans le vaisseau qui venoit à Tadoussac pour faire pesche de Baleine, & en fut porté par les barques 16 & quelque 7 ou 8 qui moururent par la mer, à ce que l'on nous dit.
Voila tout ce qui se pana jusques au departement des vaisseaux: Nous demeurasmes cinquante cinq personnes, tant hommes que femmes & enfans, sans comprendre les habitans du pays, assez mal accommodez de toutes les choses necessaires pour le maintien d'une habitation, dont je m'estonnois fort comme l'on nous laissoit en des necessitez si grandes, & en attribuoit on les défauts à la prise d'un petit vaisseau par les Anglois qui venoient de 147/1131Bisquaye, comme ledit sieur de Caen me le mandoit, je ne sçay d'où en venoit la faute, plusieurs discours se disoient sur ce subject, quoy que s'en soit il nous fallust passer par de là, il n'y avoit point de remède.
De ces cinquante cinq personnes il n'y avoit que dix-huict ouvriers, & en falloit plus de la moitié pour accommoder l'habitation du Cap de Tourmente, faucher & faner le foing pour le bestial pendant l'esté & l'Automne. Le parachevement de l'habitation de Québec demeure à parfaire, l'on me devoit donner dix hommes pour travailler au fort de sa Majesté, bien que ledit sieur de Caen & tous ses associez l'eussent souscript, & sa Majesté & le Viceroy le desirassent, neantmoins l'on ne le veut permettre, & empesche on tant que l'on peut. On veut que tous les hommes travaillent à l'habitation, il n'y a remède, pourveu que la traitte se face c'est assez, il n'y a personne qui osast entreprendre de nous enlever, c'est en cecy où j'avois beaucoup de peine à faire gouster les raisons pourquoy le fort nous estoit necessaire, tant pour la conservation de leur bien, que celles des habitans du païs: c'est ce qui donnoit du mescontentement à toutes les societés: neantmoins considerant l'importance & la necessité d'avoir u lieu de conserve, je ne laissois de faire ce qu'il m'estoit possible de temps à autre.
Voyant les ordres & commandemens données au contraire de la volonté de mondit seigneur le Vice-roy, je jugeay bien deslors que la plus grande part des associez ne s'en soucioient beaucoup; 148/1132pourveu qu'on leur donnast d'interest les quarante pour cent: j'en avois dit mon sentiment audit de la Ralde, lequel ne me donnoit beaucoup de contentement, d'autant qu'il avoit prescript ce qu'il devoit faire, c'est en un mot que ceux qui gouvernent la bource font & defont comme ils veulent.
Un des deplaisirs que je recognu en ceste affaire estoit fâché que je faisois construire un fort au dessus de l'habitation pour la conservation d'icelle, du païs & des habitans, & cela déplût audit de Caen comme il me fit assez cognoistre par sa lettre, que d'y employer de ses hommes il n'y estoit pas obligé, aussi il ne s'en soucioit pourveu que sa Majesté en fit la despense, en y envoyant des ouvriers pour cet effect: à tout cela je ne peus rien faire pour lors, sinon d'en escrire à mondit seigneur le Viceroy, & luy donner advis de tout ce qui se passoit en ceste affaire, afin qu'il y apportast l'ordre qu'il jugeroit necessaire, & moy de ne laisser, en tant que je pouvois, d'employer quelques hommes au fort, & le reste à travailler à l'habitation.
Guerre déclarée, par les Yrocois. Assemblée des sauvages. Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur veut venger ce meurtre.
CHAPITRE V.
Le 20 de Septembre les Sauvages nous dirent que nombre d'Yrocois s'acheminoient pour nous venir faire la guerre, à eux & à nous: nous leurs dismes que nous en estions très aises, mais que nous ne les croyons667, & qu'ils n'avoient que la hardiesse d'assommer des gens endormis sans se deffendre.
Les communes des sauvages, de cinquante à soixante lieues de Québec, s'asemblent tous en ce dit lieu au mois de Septembre & Octobre, pour faire la pesche d'anguilles, qui est en abondance en ce temps là, lesquels ils font boucaner, & les reservent pour en manger jusques au mois de Janvier, que les neiges sont hautes, pour aller à la chasse de l'eslan, dequoy ils vivent jusqu'au Printemps.
Le 3 d'Octobre668 je partis de Québec, pour aller au Cap de Tourmente, voir l'avancement qu'avoient fait nos ouvriers, & en ramener une partie: deux hommes s'en retournèrent par terre, conduire quelque bestial que l'on amenoit dudit Cap de Tourmente à Québec. Après avoir mis ordre en ce lieu, je m'en retournay le 6 dudit mois, où estant 150/1134arrivé j'appris que quelques sauvages avoient assassiné ces deux hommes endormis, qui conduisoient le bestial, à demie lieue de nostre habitation 669. Cecy m'affligea grandement: on fut quérir les corps qu'ils avoient traisnez au bas de l'eau afin que la mer les emmenast, estant apportez on les visita, ils avoient la teste escrasée de coups de haches, & plusieurs autres d'espée & cousteaux dans le corps.
Le meurtre paraît avoir été commis à la Canardière quelque part vers l'embouchure du ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers (aujourd'hui rivière Chalifour ou rivière des Fous). Le meurtrier était Mahican-atic-ouche, et les deux victimes, Henry, domestique de Madame Hébert, et un autre français appelé Dumoulin. Ces derniers avaient dû partir du cap Tourmente, vraisemblablement le mardi, de bonne heure le matin, afin de pouvoir passer facilement les rivières de la côte pendant que la marée était basse. Arrivés à la Canardière, ils trouvèrent la rivière Saint-Charles encore trop pleine pour pouvoir traverser le soir même; car la marée ne commença à baisser que vers les trois heures de l'après-midi. N'ayant pu ouvrir la porte de la cabane de M. Giffard, ils se résignèrent à coucher sous un arbre, enveloppés de leurs couvertures. C'est là que, pendant la nuit, Mahican-atic-ouche, croyant donner la mort au boulanger et au serviteur de M. Giffard auxquels il en voulait, massacra par méprise l'un de ses meilleurs amis, Henry, et un français qui ne lui avait fait aucun mal. (Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IV.)
Nous advisasmes qu'il estoit à propos de conduire ceste affaire meurement, & descouvrir les meurtriers au plustost pour les chasser, & voir comme nous procederions envers ces canailles, qui n'ont point de justice parmy eux: car de nous venger sur beaucoup qui n'en seroient coulpables, il n'y avoit pas aussi de raison, ce seroit déclarer une guerre ouverte, & perdre pour un temps le païs, jusqu'à ce que l'on eust exterminé ceste race, par mesme moyen perdre les traittes du pays, ou pour le moins les bien altérer, aussi que nous estions en un miserable estat, faute de munitions pour guerroyer, & plusieurs autres inconveniens furent considerez, qui pourroient arriver si l'on faisoit les choses trop precipitement. Nous deliberasmes de 151/1135faire assembler tous les capitaines des sauvages leur conter l'affaire, & leurs faire voir les corps meurtris des defuncts, ce qui fut exécuté.
Le lendemain 670 tous les chefs vinrent à nostre habitation, où nous leurs fismes plusieurs remonstrances du bien qu'ils recevoient annuellement de l'habitation nous, que contre tout droit & raison ils faisoient des actes abominables & detestables, de traistres & meschans meurtres, & que si nous avions l'ame aussi diabolique qu'eux, que pour ces deux hommes l'on en feroit mourir cinquante des leurs, & les exterminerions tous: qu'on leurs avoit pardonné n meurtre de deux autres hommes 671, mais que pour cetuy-cy nous voulions avoir les meurtriers, pour en faire la justice, qu'ils nous les declarassent & missent entre les mains, s'ils vouloient que nous vecussions en paix, nous n'en voulions qu'à ceux qui avoient assassiné nos hommes que nous leurs fismes voir.
Au commencement ils vouloient dire que c'estoit des Yrocois, mais comme il n'y avoit nulle apparence, nous leurs fismes cognoistre le contraire, & que ce meurtre ne venoit que de leurs gens, en fin ils le confesserent, mais ils dirent qu'ils ne sçavoient pas celuy qui avoit fait ce coup.
Nos gens soubçonnoient entr'autres un certain sauvage que nous leurs dismes, & qu'ils le fissent venir, ce qu'ils promirent faire. Le lendemain ils l'amenèrent, & fut interrogé sur quelques discours de menace, qu'il avoit fait à quelques-uns de nos 152/1136ce qu'il nia, & que jamais il n'avoit pensé à une si signalée malice, que de vouloir tuer des François qu'il aymoit comme luy mesme. De plus qu'il avoit sa femme & plusieurs enfans qui l'auroient empesché de faire ce meurtre, quand il auroit eu le dessein. Je luy fis dire que le meurtrier du précèdent avoit bien femme & enfans, & qu'il ne laissa neantmoins d'en assassiner deux des nostres, outre que l'on le cherissoit plus qu'aucun des sauvages de son temps, & par consequent que ses excuses qu'il alleguoit ne pouvoient pas estre suffisantes pour se descharger du soubçon que l'on avoit sur luy: quoy que s'en soit plusieurs discours se passerent entre eux & nous, & nous resolumes d'arrester cettuy-cy, attendant qu'il nous donnast trois jeunes garçons des principaux d'entr'eux, l'un des montagnes 672, le second des trois rivieres, & le troisiesme le fils du soubçonné, jusqu'à ce qu'ils nous livrassent le meurtrier qui avoit fait le coup: ils nous demandèrent terme de trois jours, tant pour délibérer sur cette affaire, que pour essayer de pouvoir descouvrir le meurtrier, ce que nous leurs accordasmes.
Ils s'en retournèrent en leurs Cabannes, & alors nous avions à nous tenir sur nos gardes, tant au fort qu'à l'habitation, donnant advis aux peres jesuistes & au Cap de Tourmente que chacun eust à se bien garder, & ne permettre qu'aucun sauvage les accostast sans estre les plus forts: toutes choses estant bien disposées nostre Sauvage que nous avions retenu attendant son fils en sa place & les autres.
153/1137Le troisiesme jour ils ne faillirent à venir, amenant quant & eux les trois jeunes garçons de l'aage de douze à dix huict ans nous disant qu'ils avoient fait grande recherche & perquisition pour sçavoir ceux qui avoient tué nos hommes, & qu'ils ne l'avoient peu sçavoir, qu'ils feroient en sorte qu'en peu de temps ils nous en donneroient advis, & qu'ils estoient très desplaisans du malheur qui nous estoit arrivé, que pour eux ils estoient tous innocens, & que comme tels, ne se sentoient coulpables. Ils amenèrent ces trois jeunes garçons, le fils de nostre prisonnier, & un de Tadoussac, & l'autre de Mahigan aticq qui demeuroient proche de nostre habitation, & deschargerent ceux des trois Rivieres, disant que ce ne pouvoit avoir esté aucun d'iceux qui eust fait ce meurtre, d'autant qu'ils n'estoient que deux cabannes, que la nuict que nos gens furent tuez ils estoient tous à leurs maisons, au reste ils nous prièrent que nous vescussions en paix, attendant que les meurtriers fussent descouverts, estant plus que raisonnable qu'ils mourussent, & que nous eussions à bien conserver ces Sauvages qu'ils nous laissoient, le père que nous tenions prisonnier dit à son fils, prens garde à vivre en paix avec les François, asseure toy qu'en peu de temps je te delivreray & sçauray celuy qui a fait ce coup, & le plus grand desplaisir que j'ay eu c'est que les François ont eu soubçon sur moy, & les autres Sauvages asseurerent aussi les deux autres, & qu'en peu de jours l'on sçauroit ceux qui avoient fait ce meschant acte.
Nous dismes à tous ces Capitaines que le peu 154/1138 d'asseurance qu'il y avoit pour nos hommes d'aller seuls dans les bois & y dormir ayant parmy eux de si meschans traistres qu'à l'advenir jusqu'à ce qu'on eust descouvert les meurtriers & fait justice d'eux, j'enchargerois à tous nos hommes de n'aller plus sans armes & que s'il y avoit aucun d'eux qui les approchast sans leur consentement qu'ils les tireroyent comme ennemis, & qu'ils eussent à se donner de garde, & advertir tous leurs compagnons, d'autant qu'ils ne cognoissoient les meschans qui estoient parmy eux, nous avions à nous donner de garde, mais qu'eux n'avoient nul subject d'entrer en deffiance de nous. Ils nous dirent que nous avions raison de ne faillir à tuer s'il s'en rencontroit aucun qui ne voulussent se retirer quand on leur diroit, que pour le moins l'on cognoistroit quels ils seroient, & que pour les jeunes garçons qu'ils nous laissoient, on leur fist bon traittement, que cependant de leur part ils feroyent toute diligence de descouvrir les assassinateurs, & ainsi se separerent chacun de leurs costez pour aller au lieu où pendant l'hyver ils pourroient treuver de la chasse pour subvenir à leurs necessitez.
Sur la fin de Janvier quelques trente Sauvages tant hommes que femmes & enfans pressez de la faim, pour y avoir fort peu de neiges pour prendre de l'eslan & autres animaux, se resolurent de se retirer vers nous pour en leurs extrêmes necessitez estre secourus de quelques vivres, qu'à ce deffaut ils estoient morts: je leur fis encore cognoistre combien le meurtre en la mort de nos hommes estoit detestable, & la punition que justement devoit 155/1139mériter celuy qui avoit assassiné nos hommes, & que pour ce meschant ils pouvoient tous pâtir & mourir de faim sans le secours de nostre habitation, la bonté des François, dont ils ne recevoient que toutes sortes de bien-faits. Cette trouppe affamée voulant tesmoigner le ressentiment qu'ils avoient en la mort de nos gens, & comme ne trempant aucunement en cette perfidie, desirant se joindre avec nous d'une amitié plus estroitte que jamais ils n'avoient faict, & oster toute sorte de deffiance que pouvions avoir d'eux, ils se resolurent de nous donner trois filles de l'aage de unze à douze & quinze ans, pour en disposer ainsi qu'aviserions bon estre, & les faire instruire & tenir comme ceux de nostre nation, & les marier si bon nous sembloit.
Le deuxiesme de Janvier mil six cens vingt huict estant passez la riviere, qui charioit un nombre de glaces, tant pour avoir dequoy assouvir la faim qui les pressoit, comme pour faire present de ces filles, demandèrent à s'assembler & tenir conseil avec nous, où ils nous firent entendre tout ce que dessus, ayant amené les trois filles avec eux.
Après nous avoir fait un long discours de l'estroite amitié qu'ils vouloient avoir avec nous, & s'y joindre & habiter & deserter des terres proches du fort, recognoissant qu'ils seroient mieux qu'en lieu qu'ils eussent peu esperer: & pour asseurance de tout ce qu'ils disoient, ils ne pouvoient faire offre de chose qu'ils eussent plus chère que ces trois jeunes filles qu'ils nous prioient de prendre, 156/1140lesquelles estoient très-contentes de demeurer avec nous673.
L'un des motifs qui engageaient les sauvages à faire ce présent extraordinaire de trois de leurs filles, était bien celui que donne ici l'auteur; mais il y en avait un autre que sa modestie lui a fait omettre, et que nous devons savoir gré à Sagard de nous avoir. fait connaître, «Avant que les Montagnais partissent pour les bois & la chasse, ils voulurent recognoistre le sieur de Champlain de quelques presents, & adviserent entr'eux quelle chose luy seroit la plus agréable, car ils tenoient fort chers les plaisirs & l'assistance qu'ils en avoient receus. Ils envoyerent Mecabau, autrement Martin par les François, au P. Joseph pour en avoir son advis, auquel il dit, mon fils, il me souvient qu'autrefois Monsieur de Champlain a eu desir d'avoir de nos filles pour mener en France & les faire instruire en la loy de Dieu & aux bonnes moeurs; s'il vouloit à present, nous luy en donnerions quelqu'unes, n'en serois-tu pas bien content? A quoy luy repondit le P. Joseph, que ouy, & qu'il luy en falloit parler; ce que les Sauvages firent de si bonne grâce, que le sieur de Champlain voulant estre utile à quelque âme, en accepta trois, lesquelles il nomma, l'une la Foy, la seconde l'esperance, & la troisiesme la Charité... Plusieurs croyoient que les Sauvages n'avoient donné ces filles au sieur de Champlain que pour s'en descharger, à cause du manquement de vivres; mais ils se trompoient, car Choumin mesme à qui elles estoient parentes, desiroit fort de les voir passer en France, non pour s'en descharger, mais pour obliger les François & en particulier le sieur de Champlain». (Sagard, Hist. du Canada, p. 912-14.)
Après que j'eus ouy tous leurs discours je jugeay que pour plus grande seureté de ceux qui demeuroient audit païs, que pour plus estroitte amitié qu'il n'estoit point hors de propos d'accepter cet offre, & de prendre ces filles, ce que jamais ils n'avoient offert, quelque present qu'on leur eust voulu donner pour avoir une fille, & que mesme le Chirurgien quelque temps auparavant desirant en avoir une jeune pour la faire instruire & se marier avec elle, ne peust avec tous les Sauvages avoir le crédit d'en avoir une, quelques offres qu'il fist, bien que tout ce qu'il faisoit n'estoit que pour la gloire de Dieu, & le zèle qu'il avoit audit pays de retirer une âme des enfers: à la vérité je m'estonnois fort des offres qu'ils nous faisoient, ce que jamais, comme j'ay dit cy-dessus, l'on n'avoit peu obtenir.
Sur ce jugeant qu'il n'estoit nullement à propos de laisser aller les offres, & qu'ils nous pressoient, je 157/1141demanday audit du Pont son advis, comme principal commis, & d'autant que les vivres qui estoient pour traitter, comme pois, febves & bled d'Inde, dont il y en avoit suffisamment & en quantité, desquelles choses l'on les nourriroit, car de ceux qui estoient pour les hyvernans il n'y en avoit que fort peu, & ne pouvoit on leur en donner sans oster la pitance. Ledit du Pont dit que pour luy il ne se mesloit de ces choses, bien qu'il recognoissoit cette affaire estre très-bonne, mais que pour les vouloir prendre & nourrir, qu'il ne le desiroit que s'ils le vouloient, qu'ils attendissent le retour des vaisseaux: mais comme en un si long-temps qu'il y avoit jusques à leur arrivée, & que la fantaisie se peut changer, principalement entre lesdits Sauvages, je creus que nous perdrions ce que peut estre nous aurions mesprisé, cela aussi donneroit encore subject ausdits Sauvages de nous vouloir plus de mal, n'en vouloir pas seulement aux meurtriers, mais encore à ceux qui n'en sont coulpables: & de plus que l'on dist aux Sauvages, qu'il n'y avoit que des pois, & que peut estre ils ne pourroient s'accommoder pour le present. A cela elles dirent qu'elles seroient très-contentes & qu'on les prist, quoy que les Commis ne les voulussent recevoir.
Je me resolus de les prendre toutes trois, les accommodant des choses necessaires, les retenant en nostre habitation. Ainsi les Sauvages furent tres-aises, & moy aussi, tant pour le bien du pays comme pour l'esperance que je voyois que c'estoient trois âmes gaignées à Dieu, que tout ce qu'il y avoit à faire en cela estoit d'avoir le soing & prendre garde 158/1142que quelques Sauvages ne les enlevassent, comme quelques uns avoient commencé, ausquelles choses je remediay au mieux qu'il me fut possible674.
«Tout son dessein en ce bon oeuvre, ajoute Sagard, estoit de gaigner ces trois âmes à Dieu, & les rendre capables de quelque chose de bon, en quoy je peux dire qu'il a grandement mérité, & qu'il se trouvera peu d'hommes capables de vivre parmy les Sauvages comme luy, car outre qu'il souffre bien la disette, & n'est point délicat en son vivre, il n'a jamais esté soupçonné d'aucune deshonnesteté pendant tant d'années qu'il a demeuré parmy ces peuples Barbares; c'est pourquoy ces filles l'honoroient comme leur père, & luy les gouvernoit comme ses filles.» (Hist. du Canada, p. 914.)
Toutesfois cet offre fut à la charge qu'ils ne pourroient prétendre aucun subject d'empescher que ne fissions recherche & justice du meurtrier s'il estoit descouvert, ains au contraire ils nous dirent que s'ils le sçavoient qu'ils l'accuseroient, comme un perfide & desloyal, & asseurément qu'en peu de jours cela seroit descouvert, en ayant entendu quelque chose de celuy que nous soubçonnons un Sauvage appellé Martin 675 des François, qui avoit donné une de ses trois filles tomba malade, & se voyant à l'extrémité demanda le Baptesme, ce qu'entendant le Père Joseph Coron 676, il s'achemine à sa cabanne, il fait entendre le sujet & la consequence de ce qu'il demandoit, & qu'en telle chose il n'y avoit pas à rire. Car ce n'estoit assez d'estre baptisé mais falloit qu'il promit que si Dieu luy rendoit sa santé, de ne retourner plus à faire la vie sauvage & brutalle qu'il avoit menée par le passé, ains vivre en bon Chrestien & se faire instruire ce qu'il promit. Ce que voyant ledit Père Joseph, faisant oeuvre de charité & d'hospitalité il le fait porter en sa maison, le traitte, l'accommode de tout 159/1143ce qu'il peut & croit estre necessaire à sa santé, recognoissant (selon son jugement) qu'il ne devoit point reschapper qu'il ne mourust en un jour ou deux au plus tard, il le baptisa le 6 Avril, ce qu'ayant esté fait, il semble se treuver au bout de 4 ou 5 jours mieux qu'il n'avoit fait: & entendant que quelques sauvages estoient venus en ces cabannes, dont il y en avoit un qui le disoit de leurs Pilottouas, soit que ledit Martin, creust avoir plustost du soulagement de son mal, par le moyen de ce nouveau médecin ou autrement: il desire s'en retourner en sa cabanne où il s'y fait porter: il demande à estre pensé, & médeciné par son médecin, pour recouvrir entièrement sa santé.
Le Pilotoua se met en devoir d'user envers le malade de ses remèdes accoustumés, & chantèrent tant aux aureilles du malade avec un tel bruit & tintamarre, que tout cela estoit plus capable d'avancer ses jours que le guérir, car comment pouvoit il recevoir allégement en ce tintamarre, que le plus sain en eust eu la teste rompue, il usa de tous ses plus subtils medicaments qu'il peust, lesquels ne luy servirent de rien, & cependant ledit Martin ne se resouvenant plus du sainct Baptesme & de ce qu'il avoit promis, retourne en la créance de ses superstitions passées, il y eut de nos gens qui luy firent quelques remonstrances sur le peu d'esprit qu'il avoit, & le mal qu'il faisoit de la perdition de son âme, qui pâtiroit plus aux enfers pour avoir abusé de ce sainct Sacrement que s'il n'eust esté baptisé, il n'en fait nul estat, disant, qu'il n'adjoustoit point de foy en tout ce qu'on luy avoit 160/1144fait, sans faire davantage de réplique, ainsi demeura en son mal, qui alla en augmentant jusques à la mort, sans qu'il peust treuver de remède pour l'empescher, & mourut le dix-huictiesme dudit mois 677: les jugemens de cette mort furent divers, d'autant que beaucoup croyoient, que peut-estre premier que de rendre le dernier souspir de la vie il auroit eu un repentir, & Dieu luy auroit pardonné: C'est pour revenir à ce que nous enseigne nostre Seigneur, Ne jugez point, de peur que ne soyez jugez. Neantmoins il y avoit bien dequoy craindre en la vie qu'il a menée jusques à la fin, que cette âme ne soit perdue.
Le 18 avril 1628. D'après Sagard, il serait mort dans de bonnes dispositions, et n'aurait consenti à se faire mideciner que par complaisance. «Il fut enterré au cimetière de ceux de sa nation, proche le jardin qu'on appelle du Père Denys, pour le contentement de ses parens, qui autrement n'eussent point vescu en paix.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. XXXVII.)
De puis 22 ans qu'on est allé pour habiter & défricher à Québec 678, suivant l'intention de sa Majesté, les societés n'avoient fait deserter un arpent & demy de terre: par ainsi ostoient toute esperance pendant leur temps, de voir le boeuf sous le joug pour labourer, jusqu'à ce qu'un habitant679 du païs recherchast les moyens de relever de peine les hommes qui travailloient ordinairement à bras, 161/1145pour labourer la terre, laquelle fut entamée avec le Soc & les boeufs, le 27 d'Avril 1628, qui montre le chemin à tous ceux qui auront la volonté & le courage d'aller habiter, que la mesme facilité se peut esperer en ces lieux comme en nostre France, il l'on en veut prendre la peine & le soing.
Il n'y avait alors que Guillaume Couillard, qu'on pût appeler habitant proprement dit, parce qu'il était le seul qui fût établi sur une terre.. Cette terre avait été concédée à son beau-père Louis Hébert dès le 4 février 1623, par le duc de Montmorency, concession qui fut ratifiée par le duc de Ventadour le 28 février 1626. Après la mort d'Hébert, Couillard resta sur la terre avec sa belle-mère et son jeune beau-frère Guillaume Hébert; le partage n'eut lieu qu'en 1634, à l'occasion du mariage de ce dernier avec Heleine des Portes. Son contrat de mariage et les arrangements de famille laissèrent à Couillard les trois quarts de l'héritage, et, quelques années plus tard, il rentra par une échange en possession de la part échue à son beau-père Guillaume Hubou. (Archives du Sémin. de Québec.)
Sur la fin dudit mois, il y eust quelques Sauvages qui nous apportèrent nouvelles de la mort de Mahigan Athic, par mesme moyen nous voulurent persuader qu'à cent cinquante lieues amont le fleuve S. Laurent, estoient descendus certains Sauvages Algommequins qui avoient massacré nos hommes, s'estans retirez secrettement sans estre apperceus, mais comme ces discours estoient esloignez de la raison sans apparence, nous ny adjoustasmes foy, disant que le Sauvage que nous tenions pour suspect, estoit devenu insensé courant par les bois comme desesperé, ne sçachant ce qu'il estoit devenu.
Le 10 de May un canau arriva de Tadoussac, où estoit la Fouriere capitaine des Sauvages dudit lieu, avec celuy que nous soubçonnions avoir faict le meurtre, lequel n'estoit en tel estat qu'on nous l'avoit representé, qui venoit pour se justifier, sur l'asseurance que luy avoit donné ledit la Fouriere, moyennant quelque present qu'il avoit receu, de retirer son fils d'entre nos mains.
Estant en terre il envoya sçavoir si j'aurois agréable qu'il nous vint voir, je le fais venir avec le meurtrier soupçonné, où ledit la Fouriere fit quelque discours sur l'affection que de tous temps il nous avoit portée, que jamais il ne receut tel desplaisir 162/1146que quand on luy dit de la façon que nos hommes avoient esté tuez, croyant que c'estoient des Yrocois & non d'autres, mais que depuis peu il avoit sceu par un jeune homme de nation Yrocoise & elevé parmy eux, & les Algommequins d'où il venoit mescontant pour l'avoir mal traité qu'il avoit rapporté que trois d'icelle nation estoient venus de plus de cent cinquante lieues tuer de nos gens, chose très certaine, avec autre discours sans raison: Et que les prestres qui prioient Dieu avec cérémonie qu'ils faisoient, estoit le sujet que beaucoup de leurs compagnons mouroient, ce qui n'avoit esté auparavant, avec autres paroles perdues, discours de quelques reformez qui leurs avoient mis cela en la fantaisie, comme de beaucoup d'autres choses de nostre croyance.
Je luy fis response de poinct en poinct à toutes tes raisons foibles & débiles, que pour l'amitié & affection, il ne pouvoit aller au contraire qu'on ne luy en eust tesmoigné d'année à autre, & sauvé la vie à plus de cent de ses compagnons, qui fussent morts de faim, sans ce secours qu'ils avoient receus de nous en ces extrêmes necessités, au contraire nous n'avions pas sujet de nous louer d'eux, comme ils avoient de nous, ayant par cy-devant tué de nos hommes, qu'on avoit pardonné au meurtrier, outre plusieurs autres desplaisirs, pensant que le temps le rendroit plus sage, mais que je n'estois plus resolu de temporiser ny souffrir qu'ils nous bravassent en tenant les bras croisez sans ressentiment, d'avoir encore depuis peu assassiné deux de nos hommes estans endormis, que le rapport qui avoit esté fait 163/1147par ce jeune homme des Algommequins qui avoient tué les nostres, ausquels on n'avoit jamais mesfait estoit chose controuvée, que quand il y auroit quelque vérité, qu'ils eussent passé par plusieurs endrois sur leurs chemins où il y avoit des nostres, qu'ils eussent peu tuer sans prendre la peine de passer parmy eux, & non courir la risque d'estre descouverts pour aller en un lieu du tout esloigné de chemin ny sentier, en lieu où ces hommes ne faisoient que reposer icelle nuict pour le matin s'en revenir avec le bestial.
De plus que la nuict qu'ils furent massacrez, il y avoit des canaux proche d'eux, qui faisoient la pesche de l'anguille, tant de sujects estoient suffisans de tuer les premiers, sans se mettre en toutes ces peines, & de passer encore une riviere pour venir à l'effect de ceste exécution, avec d'autres raisons si apparentes qu'il n'y pouvoit respondre: De plus que tous les Capitaines Sauvages qui estoient icy concluerent que le meurtre avoit esté par un des leurs, après avoir visité les corps & les coups qu'ils avoient, promettant faire ce qu'ils pourroient pour descouvrir les meurtriers, & nous les livrer ou en donner advis, estant raisonnable que ceux qui avoient fait le coup mourussent: que nous vouloir persuader par des raisons sans apparence, luy qui ne sçavoit comme la chose s'estoit passée ny estant, qu'il n'avoit nulle raison de vouloir pallier & couvrir ce meurtre.
Luy remonstrant que s'il ne sçavoit autre chose pour m'obtenir le droit qu'il pretendoit, qu'il avoit pris de la peine en vain, aussi que nous estions fort 164/1148contans de ce qu'il avoit amené avec luy le soubçonné qui avoit fait le meurtre, outre le légitime sujet que nous avions eu de demander son fils en ostage. Nous avions des Sauvages qui durant l'hyver nous avoient asseuré qu'il n'y en avoit point d'autre qui eut fait l'assassinat que luy: pour cet effect nous le voulions retenir prisonnier, jusqu'à ce que les informations fussent bien averées, que s'il meritoit la mort il devoit mourir, sinon il seroit libre & ne devoit craindre s'il n'avoit fait le coup, ce pendant il seroit traitté comme son fils, lequel je mis en liberté avec un autre, reservant le plus jeune des trois pour luy tenir compagnie: qui fut estonné ce fut le galand & ledit la Fouriere, à qui l'on fist gouster les raisons qu'il ne sçavoit que de la bouche du meurtrier, qui fut contrainct de se taire, ne sçachant autre chose que ce que luy avoit dit ce jeune Sauvage Yrocois, qui accusoit les Algommequins, où à propos entrèrent deux d'icelle nation, auquel l'on dit ce que ledit la Fouriere avoit dit, qui deffendirent leur nation, & n'avoir jamais fait une telle perfidie, n'y mesme songé, que ce qu'il disoit estoit si esloigné de la raison, que tels discours donnoient plustost sujet de risée que d'y adjouster foy: qu'il sçavoit très-bien que nous n'avions ny n'aurions jamais la croyance de ce faulx bruit. De plus que le Sauvage qu'ils allegoient leur avoir apporté ces nouvelles estoit un enfant, auquel l'on ne pouvoit adjouster foy, estant imposteur, menteur, resentant tousjours la nation d'où il estoit.
Tous ces discours finis, l'on arresta prisonnier 165/1149nostre homme, r'envoya-on son fils & le jeune Sauvage que nous avoit donné feu Mahigan Atic.
Ce jour partit quelques jeunes hommes pour aller à la guerre aux Yrocois, conduits par un vieil homme peu expérimenté, qui fit croire qu'il ne feroit pas beaucoup d'expédition.
Ledit la Fouriere voyant que son voyage ne luy avoit de rien servy, qu'à nous avoir mis l'oyseau au piège, il s'en alla nous recommandant de traitter doucement le prisonnier, attendant sçavoir plus grande vérité. Quelques jours après le départ dudit la Fouriere, le frère du Reconcilié qui fut tué aux Yrocois, avec nostre homme tua à Tadoussac l'imposteur d'Yrocois qui avoit accusé les Algommequins d'avoir fait ce meurtre, pour s'estre resouvenu que ce jeune homme estoit de nation Yrocoise, qui avoit fait mourir son frère, allant pour traitter de paix & d'amitié, & ainsi se vengent ces brutales gens, sur ceux qui n'en sont causes.
Nos jeunes guerriers revinrent comme ils avoient esté, sans avoir fait mal à personne, c'est ce que l'on esperoit de ceste troupe volage, qui ne s'engagea pas si avant dans le pays des ennemis, qu'ils ne peussent bien faire leur retraitte sans appercevoir ny estre apperceus de l'ennemy.
Le 14 dudit mois arriva à Québec 7 canaux de Tadoussac, où il y avoit vingt & un Sauvages robustes & dispos, qui s'en alloient à la guerre, pour essayer s'ils seroient quelque chose plus que les autres, ils se promettoient d'aller proche des villages des ennemis & y faire quelque effect, en un mois qu'ils devoient estre à ceste guerre.
166/1150Le 18 dudit mois 680 revint ledit la Fouriere, pour traitter quelques vivres & du petun: lequel à son retour ne se mit pas beaucoup en peine pour le prisonnier, comme il avoit fait auparavant. Il nous dit qu'il n'avoit encore receu nouvelle d'aucuns vaisseaux qui fussent arrivez à la coste, qui nous mettoit en peine, d'autant que tous nos vivres estoient faillis, horsmis 4 à 5 poinçons de gallettes assez mauvaises, qui estoit peu, & des pois & febves à quoy nous estions réduits sans autres commoditez, voilà la peine en laquelle on estoit tous les ans, sans juger les inconvenients qui en peuvent arriver, je l'ay assez representé cy dessus en plusieurs endroits, des accidents qui en sont arrivez à ce deffaut, de jour en jour nous attendions nouvelles, ne sçachant que penser attendu la disette que l'on pouvoit avoir en laquelle nous estions, & que nous devions avoir des vaisseaux au plus tart à la fin de May pour nous secourir, imaginant que quelque changement d'affaire en ceste societé seroit arrivé, ou contrariété de mauvais temps.
Le 29 dudit mois de Juin arriverent quelque canaux dudit Tadoussac, pour avoir des pois, où ils perdirent leur temps, n'en ayant pas pour nous en suffisance, si les vaisseaux ne nous secouroient, voyant le retardement, le temps qui se passoit, ne pouvant avoir lieu d'aller à Gaspey, 130 lieues à val de Québec, pour recouvrir quelques commodités des navires qui pourroient estre à la coste, & treuver passage pour partie des personnes qui estoient 167/1151trop, pour le peu de commoditez qui nous restoient: Tout cecy nous fit délibérer de remédier à ce qui nous seroit le plus necessaire, pour n'avoir barque à Québec. Ledit de la Ralde les ayant laissées à Tadoussac au lieu d'en envoyer une pour subvenir aux inconveniens qui pourroient arriver. De plus que l'habitation estoit sans aucun matelot, ny homme qui peust sçavoir ce que c'estoit de les accommoder & conduire: de bray, voiles & cordages nous n'en avions point, & peu d'autres choses qui manquoient pour telles affaires, ainsi estions denuez de toutes commoditez, comme si l'on nous eut abandonnez, car la condition des vivres que l'on nous avoit laissé avec le peu de toutes choses nous le fit cognoistre, c'est assez que la peleterie soit conservée, l'utilité demeure aux associez & à nous le mal: c'est comme sa Majesté est servie, aux desordres qui se commettoient en ces affaires, & l'ennemy qui faisoit profit de nostre desordre & nous succomber si l'on n'y prenoit garde: il ne manque point de François perfides, indignes du nom, qui vont treuver l'Anglois ou Flamand, leur dire l'estat auquel l'on estoit: qui pouvoient s'emparer de ces lieux, n'estans accommodez des choses necessaires pour se deffendre & s'opposer à leurs violences.
Ce pendant il nous faut adviser de quel bois l'on fera flèche, pour nous garantir des inconveniens qui pouvoient arriver, nous treuvasmes à propos de mettre tous nos hommes à chercher du bray dans les bois, & sapinieres, suffisamment pour brayer une barque & chalouppe pour envoyer à Tadoussac, 168/1152accommoder la plus commode, & l'amener à Québec, pour plus facillement & commodément mettre les personnes que nous voulions renvoyer à Gaspey, pour treuver passage aux vaisseaux qui estoient aux costes pour s'en retourner en France. La diligence d'un chacun fut telle, qu'en moins de cinq à six jours nous en eusmes suffisamment, delà fusmes au Cap de Tourmente tuer un boeuf, pour en avoir le suiv, pour mesler avec le bray, l'on fit faire aussitost de l'estouppe de vieux cordage, ramassant toutes choses au moins mal que l'on pouvoit pour nous accommoder, & au nombre de ceux qui devoient retourner, l'on mettoit deux familles qui n'avoient poulce de terre pour se pouvoir nourrir, estans entretenus des vivres du magazin, car tout cela ne nous servoit de rien, qu'à manger nos vivres dix personnes qu'ils estoient en ces deux familles, horsmis les deux hommes qui pourroient estre employez, l'un boulanger, & l'autre qui servoit de matelot.
Or comme toutes choses furent prestes il ne failloit plus treuver qu'un homme qui fut entendu à calfeultrer la barque, & l'accommoder de ce qui luy estoit necessaire, nous nous adressasmes à un habitant du pays, qui se nourrit de ce qu'il a defriché au pays, appellé Couillart bon matelot, charpentier, & calfeultreur, qui ne pouvoit estre sujet qu'à la necessité, auquel nous mettions toute nostre asseurance qu'il nous secoureroit de son travail & industrie, d'autant que depuis quinze ans681 169/1153qu'il avoit esté au service de la compagnie, il s'estoit tousjours monstré courageux en toutes choses qu'il faisoit, qu'il avoit gaigné l'amitié d'un chacun, faisant ce que l'on pouvoit pour luy, & de moy je ne m'y suis pas espargné682 en tout ce qu'il avoit à faire. En fin je luy dis qu'il estoit necessaire, n'ayant personne en nostre habitation, qu'il allast à Tadoussac accommoder ceste barque, il chercha toutes les excuses qu'il peust pour s'en exempter, assez mal à propos & sans raison, qui me. fit luy tenir quelques propos fascheux. Bref pour toute conclusion dit qu'il avoit peur des Sauvages qu'ils ne l'assommassent: pour le relever de ceste apprehension, je luy fis offre de luy donner une chalouppe bien esquippée d'hommes & d'armes, & envoyer mon beau-frère pour l'asseurer, tout cela ne servit de rien, sinon que pour accommoder deux chalouppes qui estoient en nostre habitation, qu'il le feroit volontiers, mais d'y aller il craignoit sa peau, & ne vouloit abandonner sa femme 683, pour la conserver, je luy dis vous l'avez tant de fois laissée seule avec sa mère par le passé, allez luy dis-je alors, vous perdez toutes les conditions que l'on pouvoit esperer d'un homme de bien, si ce n'estoit pour peu je vous fairois mettre prisonnier, pour la desobeissance que vous faite en une necessité, vous deservez le Roy en tout cecy, néantmoins on advisera à ce que l'on aura à faire. Le sieur du Pont & moy advisasmes que se servir d'un 170/1154homme par force l'on en auroit jamais bonne issue, & falloit s'en passer, & qu'il nous calfeultrast deux chalouppes, n'en pouvant tirer autre service.
Le 9. de Juillet deux de nos hommes vindrent à pied du Cap de Tourmente, apporter nouvelle de l'arrivée de six vaisseaux à Tadoussac selon le rapport d'un sauvage684, lequel ce mesme jour nous confirma son dire, qu'un homme de Dieppe nommé le Capitaine Michel commandoit dedans, venant de la part du sieur de Caen685: ce discours nous fit penser que ce pouvoit estre celuy avec lequel ledit de Caen avoit part en son vaisseau, qui venoit ordinairement à Gaspey faire pescherie de molue, ces nouvelles aucunement nous resjouirent: d'autre part considerant qu'il y avoit six vaisseaux, chose extraordinaire en ces voyages pour la traitte, que ce Capitaine Michel commandoit à ceste flotte, il n'y avoit pas d'apparence n'estant homme propre à telle conduitte, qui nous fit croire qu'il y avoit plus ou moins en l'affaire, un changement extraordinaire. De plus que le Sauvage estant interrogé particulièrement se treuvoit en plusieurs dire, entr'autre chose nous dit qu'ils avoient pris un Basque qui traittoit à l'Isle Percée, traittant ses marchandises aux Sauvages dudit Tadoussac: desirant en avoir une plus ample vérité, nous resolumes de sçavoir d'un jeune homme truchement de 171/1155nation grecque, s'il pourroit se deguiser en Sauvage & aller en un canau recognoistre quels vaisseaux ce pouvoient estre, en luy donnant deux Sauvages avec luy, ausquels avions de la créance & fidélité, qui nous promettoient servir en ceste affaire en les gratifiant de quelque honnesteté, ledit Grec se resolut de s'embarquer, l'ayant accommodé de ce qu'il luy estoit necessaire il partit686.
«Ce sauvage était Napagabiscou, surnommé Trecatin ou Trigatin. Il partit en toute hâte de Tadoussac avec un autre sauvage, en même temps que la barque envoyée pour détruire l'habitation du cap Tourmente. Il y arriva avant la barque; et donna avis au sieur Faucher de tout ce qu'il avait vu. Celui-ci dépêcha deux de ses hommes pour porter ces nouvelles à Québec. Les deux hommes montèrent à pied, comme le dit ici l'auteur, et Trigatin dut continuer en canot, et arriver aussi vite que les deux messagers.
«Le Pere Joseph, ajoute Sagard, se trouva lors fort à propos à Kebec, prest d'aller administrer les Sacrements aux François du Cap de tourmente, où nous avions estably une Chapelle, laquelle les Anglais ont depuis bruslée avec la maison des Marchands, & esgaré tous nos ornemens servans à dire la saincte Messe.» Il partit, accompagné d'un Frère, avec les messagers envoyés par Champlain. (Hist. du Canada, p. 917.)
Ce pendant j'estois en meffiance, craignant ce que souvent j'avois appréhendé, & les advis que plusieurs fois j'avois donné, sçavoir que ce ne fussent ennemis, qui me fit mettre ordre tant à l'habitation qu'au fort, pour nous mettre en l'estat de recevoir l'ennemy si tel estoit.
Voilà qu'une heure après le partement dudit Grec il s'en revient avec deux canaux qui se sauvoient à nostre habitation, en l'un desquels estoit Foucher687 qui estoit demeurant audit Cap de Tourmente, pour avoir esgard aux hommes qui y estoient habitez, lequel nous dit qu'il s'estoit sauvé des mains des Anglois qui l'avoient pris prisonnier, & trois de ses hommes, une femme & une petite fille 688 qu'ils avoient amené à bort d'une barque 172/1156qui estoit mouillée à l'ancre le travers dudit Cap de Tourmente, ayant tué en partie ce qu'ils voulurent du bestial, & fait brusler le reste dans leurs estables, où ils l'enfermèrent 689, comme aussi deux petites maisons où se retiroit ledit Foucher & ses hommes, après avoir ravagé tout ce qu'ils peurent jusqu'à des béguins de la petite fille: Cette tuerie de bestial faite, ils s'en retournèrent promptement & se r'embarquerent, mais ce n'estoit pas sans crainte qu'ils avoient qu'on ne les poursuivast, ce que asseurement eust esté fait si nous eussions eu certains advis de leur arrivée par les sauvages, qui le sçavoient tous bien, comme perfides & traistres qu'ils sont, celerent cette meschante nouvelle, au contraire ils faisoient courrir le bruit que c'estoient des nostres & de nos amis, que nous ne nous devions mettre en peine. Cette barque estoit arrivée une heure ou deux devant le jour, & mouillerent l'ancre comme dit est, & aussitost mirent quinze à seize soldats dans une chaloupe, mettant pied à terre venant le long du bois, pensant surprendre nos gens couchés: mais comme ils arriverent proche de l'habitation ils virent ledit Foucher, qui leurs demanda d'où ils estoient, qu'ils eussent à s'arrester, un des siens s'avançant à ceste troupe en laquelle d'abort ne paroissoit que François, qui l'année d'auparavant estoient venus avec ledit sieur 173/1157de la Ralde, dire, nous sommes de vos amis, ne nous cognoissez vous pas, nous estions l'année passée icy, nous venons de la part de Monseigneur le Cardinal, & de Roquemont690, allant à Québec leur porter des nouvelles, & en passant avions desir de vous voir. A ces douces paroles & honnestetés ils se saluerent les uns & les autres, pensant que tout ce qu'ils disoient estoit vérité, mais ils furent bien estonnez qu'estans environnez quatre personnes qu'ils estoient, qu'ils furent saisis & pris comme j'ay dit cy dessus, car les traistres Sauvages leurs avoient rapporté l'estat en quoy nous estions.
«Ayans à peine advancé 4 ou 5 lieues dans le fleuve, ils apperceurent deux canots de Sauvages venir droit à eux, avec une diligence incroyable, qui leur crioient du plus loing, à terre, à terre, sauvez-vous, sauvez-vous, car les Anglois sont arrivez à Tadoussac, & ont envoyé ce matin fourager, & brusler le Cap de tourmente. Ce fut une alarme bien chaudement donnée, & augmenta à la veue du sieur Foucher couché tout de son long à demy mort dans le canot, du mauvais traittement des Anglois, duquel ils sceurent au vray le succés de leur malheureuse perte.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 918.)
D'après Sagard, il y avait au cap Tourmente quarante à cinquante pièces de bétail. Les envoyés de Kertke «tuèrent quelques vaches pour leur barque, mirent le feu partout, & consommerent jusques aux fondemens de la maison, une seule vache exceptée, qui se sauva dans les bois, & six autres que les Sauvages avoient attrappé pour leur part du debris. (Hist. du Canada, p. 919.)
Il y avait déjà plus d'un an que le cardinal de Richelieu avait supprimé la compagnie des sieurs de Caen, et avait formé, de concert avec le sieur Claude de Roquemont et plusieurs autres, la Compagnie de la Nouvelle-France, ou compagnie des Cent-Associés. (Le Mercure Français, t. xiv, part. 2, p. 232 et suiv.)
Estant trop acertené de l'ennemy je fais employer tout le monde à faire quelque retranchement au tour de l'habitation, au fort des barricades sur les ramparts qui n'estoient parachevez, n'y ayant rien fait depuis le partement des vaisseaux, pour le peu d'ouvriers que nous avions, qui avoient esté assez empeschés tout l'Hyver à faire du bois pour le chauffage, toutes ces choses se faisant en diligence, je disposay les hommes aux lieux que je jugeay estre à propos, afin que chacun cogneut son quartier, & y accourust selon la necessité du temps.
Le lendemain 10 du mois 691 sur les trois heures après midy apperceusmes une chalouppe, qui tesmoignoit à voir la manoeuvre qu'ils faisoient, qu'ils desiroient aller dans la riviere sainct Charles pour faire descente ou mettre le feu dans les maisons des 174/1158Peres, ou bien ils ne sçavoient pas bien prendre la route pour venir droit à nostre habitation, jugeant aussi que ceste chalouppe ne pouvoit faire grand eschet, s'il n'en venoit d'autres, & que venir à l'estourdie de la façon il n'y avoit point d'apparence: car ils pouvoient se promettre d'y demeurer la plus grand part, qu'il falloit que quelque autre sujet les amenait, qui fit que neantmoins je ne voulus négliger ce qui estoit à faire, envoyant quelques Arquebusiers par dedans les bois, recognoistre où ils mettoient pied à terre, là les attendre de pied ferme à leur descente pour les empescher & desfaire s'il y avoit moyen: comme ils approchoient de la terre nos gens cogneurent les nostres692, qui estoient dedans avec une femme & la petite fille qui les asseura, se monstrant quelques uns leurs disant qu'ils allassent descendre à l'habitation, ce qu'ils firent, recogneusmes que c'estoient des Basques prisonniers des Anglois, qui l'avoient envoyée pour rapporter nos gens, & une lettre de la part du Général, l'un des Basques que je fis venir qui avoit la lettre, me dit, Monsieur le commandement forcé que nous avons du Général Anglois qui est à la radde de Tadoussac, nous a contrainct de venir en ce lieu vous donner ceste lettre de sa part, laquelle verrez s'il vous plaist, vous prie de nous pardonner & excuser puisque la contraincte nous y a obligé. Je pris la lettre & fis entrer les Basques qui estoient au nombre de six, ausquels je fis faire bonne chère, 175/1159attendant qu'on les eust depesché, il estoit assez tard, qui fit qu'ils ne s'en retournèrent que le lendemain matin.
Ledit sieur du Pont & moy & quelques autres des principaux de nostre habitation, que je fis assembler pour faire la lecture, pour adviser à ce que nous respondrions, voicy la teneur cy dessous.
Messieurs je vous advise comme j'ay obtenu Commission du Roy de la grande Bretagne, mon tres-honoré Seigneur & Maistre, de prendre possession de ces païs sçavoir Canadas & l'Acadie, & pour cet effect nous sommes partis dix huict navires, dont chacun a pris sa route selon l'ordre de sa Majesté, pour moy je me suis desja saisy de la maison de Miscou, & de toutes les pinaces & chalouppes de cette coste, comme aussi de celles d'icy de Tadoussac où je suis à present à l'ancre, vous serez aussi advertis comme entre les navires que j'ay pris il y en a un appartenant à la Nouvelle Compagnie, qui vous venoit treuver avec vivres & rafraischissements, & quelque marchandise pour la traitte, dans lequel commandoit un nommé Norot: le sieur de la Tour693 estoit aussi dedans, qui vous venoit treuver, lequel j'ay abordé de mon navire: je m'estois préparé pour vous aller treuver, mais j'ay treuvé meilleur seulement d'envoyer une patache & deux chalouppes, pour destruire & se saisir du bestial qui est au Cap de Tourmente, car je sçay que quand 176/1160vous serez incommodé de vivres, j'obtiendray plus facillement ce que je desire, qui est d'avoir l'habitation: & pour empescher que nul navire ne vienne je resous de demeurer icy, jusqu'à ce que la saison soit passée, afin que nul navire ne vienne pour vous avictuailler: c'est pourquoy voyez ce que desirez faire, si me desirez rendre l'habitation ou non, car Dieu aydant tost ou tard il faut que je l'aye, je desirerois pour vous que ce fut plustost de courtoisie que de force, à celle fin d'esviter le sang qui pourra estre respandu des deux costez, & la rendant de courtoisie vous vous pouvez asseurer de toute sorte de contentement, tant pour vos personnes que pour vos biens, lesquels sur la foy que je prétend en Paradis je conserveray comme les miens propres, sans qu'il vous en soit diminué la moindre partie du monde. Ces Basques que je vous envoye sont des hommes des navires que j'ay pris, lesquels vous pourront dire comme les affaires de la France & l'Angleterre vont, & mesme comme toutes les affaires se panent en France touchant la compagnie nouvelle de ces pays, mandez-moy ce que desirés faire, & si desirés traitter avec moy pour cette affaire, envoyés moy un homme pour cet effect, lequel je vous asseure de chérir comme moy-mesme avec toute sorte de contentement, & d'octroyer toutes demandes raisonnables que desirerés, vous resoudant à me rendre l'habitation. Attendant vostre responce & vous resoudant ce faire ce que dessus je demeureray, Messieurs, & plus bas vostre affectionné serviteur
177/1161DAVID QUER694, Du bord de la Vicaille ce 18 Juillet 1628. Stille vieux, ce 8 de Juillet stille nouveau. Et desseus la missive estoit escrit, à Monsieur Monsieur de Champlain, commendant à Québec.
La lecture faite nous concluasmes sur son discours que s'il avoit envie de nous voir de plus prés il devoit s'acheminer, & non menacer de si loing, qui nous fit resoudre à luy faire cette responce telle qu'il s'ensuit.
Monsieur, nous ne doutons point des commissions qu'avez obtenues du Roy de la grande Bretagne, les grands Princes font tousjours eslection des braves & généreux courages, au nombre desquels il a esleu vostre personne pour s'acquiter de la charge en laquelle il vous a commise pour exécuter ses commandemens, nous faisant cette faveur que nous les particulariser, entre autre celle de la prise de Norot & du sieur de la Tour qui apportoit nos commoditez, la vérité que plus il y a de vivres en une place de guerre, mieux elle se maintient contre les orages du temps, mais aussi ne laisse de se maintenir avec la médiocrité quand l'ordre y est maintenue. C'est pourquoy ayant encore des grains, bleds d'Inde, pois, febves, sans ce que le pays fournist, dont les soldats de ce lieu se passent aussi bien que s'ils avoient les meilleures farines du monde, & sçachant très-bien que rendre un fort & 178/1162habitation en l'estat que nous sommes maintenant, nous ne serions pas dignes de paroistre hommes devant nostre Roy, que nous ne fussions reprehensibles, & mériter un chastiment rigoureux devant Dieu & les hommes, la mort combattant nous sera honorable, c'est pourquoy que je sçay que vous estimerez plus nostre courage en attendant de pied ferme vostre personne avec vos forces, que si laschement nous abandonnions une chose qui nous est si chère, sans premier voir l'essay de vos canons, approches, retranchement & batterie, contre une place que je m'asseure que la voyant & recognoissant vous ne la jugerez de si facile accez comme l'on vous auroit peu donner à entendre, ny des personnes lasches de courage à la maintenir, qui ont esprouvé en plusieurs lieux les hazards de la fortune, que si elle vous est favorable vous aurez plus de sujet en nous vainquant, de nous departir les offres de vostre courtoisie, que si nous vous rendions possesseurs d'une chose qui nous est si recommandée par toute sorte de devoir que l'on sçauroit s'imaginer. Pour ce qui est de l'exécution du Cap de Tourmente, bruslement du bestial, c'est une petite chaumière, avec quatre à cinq personnes qui estoient pour la garde d'iceluy, qui ont esté pris sans verd695 par le moyen des Sauvages, ce sont bestes mortes, qui ne diminuent en rien de ce qui est de nostre vie, que si vous fussiez venu un jour plus tard il n'y avoit rien à faire pour vous, 179/1163que nous attendons d'heure à autre pour vous recevoir, & empescher si nous pouvons les pretentions qu'avez eu sur ces lieux, hors desquels je demeureray Monsieur, & plus bas Vostre affectionné serviteur CHAMPLAIN, & dessus, A Monsieur Monsieur le Général QUER, des vaisseaux Anglois.
La responce faite je la donnay aux Basques qui s'en retournèrent & envoyay une chalouppe au Cap de Tourmente pour veoir le débris des Anglois, & s'il n'y avoit point quelque bestial qui se seroit sauvé, il estoit resté quelques six vaches que les Sauvages tuèrent, & une qui fut sauvée qui s'estoit enfuye dans les bois, qui fut ramenée.
Les Basques arrivans à Tadoussac donnèrent ma lettre au général Quer que nous attendions de jour en jour. Après s'estre informé des Basques il fit assembler tous ceux de ses vaisseaux, & notamment les Chefs ausquels il leut la lettre, ce qu'ayant fait ils délibérèrent ne perdre temps voyant n'y avoir rien à faire, croyans que nous fussions mieux pourveus de vivres & munitions de guerre que nous n'estions, chaque homme estans réduit à sept onces de pois par jour, n'y ayant pour lors que 50 livres de poudre à canon, peu de mèche & de toutes autres commoditez, que s'ils eussent suivy leur pointe malaisément pouvions nous resister, attendu la misere en laquelle nous estions, car en ces occasions bonne mine n'est pas défendue: Cependant nous faisions bon guet, tenant tousjours mes compagnons en devoir. Ledit Quer n'attendoit plus nos vaisseaux, 180/1164croyant qu'ils fussent péris ou pris des ennemis, se délibéra de brusler toutes nos barques qui estoient à Tadoussac, ce qu'ils firent, horsmis la plus grande qu'ils emmenèrent, levent les ancres, & mettent sous voiles pour aller chercher des vaisseaux le long des costes pour payer les frais de leur embarquement.
Quelques tours après arriva une chalouppe où il y avoit dix Matelots, & un jeune homme appelle Desdames pour leur commander, qui venoit nous apporter nouvelle de l'arrivée du sieur de Roquemont à Gaspey, qui estoit général des vaisseaux François, & nous apportoit toutes commoditez necessaires, & quantité d'ouvriers & familles qui venoient pour habiter & défricher les terres, y bastir & faire les logemens necessaires, luy demandant s'il n'avoit point de lettres dudit sieur de Roquemont, il me dit que non, & qu'il estoit party si à la haste qu'il n'avoit pas eu le loisir de mettre la main à la plume. Je m'estonnay de ce qu'en un temps soupçonneux il ne m'escrivoit comme les affaires s'estoient passées en France touchant la Nouvelle societé qui avoit deposé ledit sieur de Caen de ses prétentions, sur ce qu'il ne s'estoit pas acquitté de ce qu'il avoit promis à sa Majesté, seulement le Reverend Père l'Allemand m'escrivoit un mot de lettre par lequel il me faisoit entendre qu'ils nous verroient en bref s'ils n'estoient empeschez par de plus grandes forces des Anglois que les leurs. Depuis j'eus cognoissance d'une commission que m'envoyoit sa Majesté, de la teneur qui suit.
LOUYS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A nostre cher & bien aimé le sieur de Champlain, commendant en la Nouvelle France, en l'absence de nostre très-cher & bien-aimé cousin le Cardinal de Richelieu, grand Maistre, Chef, Sur-intendant général de la navigation & commerce de France, Salut. Comme nous estimons estre obligez de veiller à la conservation de nos subjets, & que par nostre soin rien ne deperisse de ce qui leur peut appartenir, particulièrement en leur absence, & que nous voulons estre bien & deuement informez de l'estat véritable du pays de la Nouvelle France sur l'establissement que nous avons faict depuis quelque temps d'une nouvelle Compagnie pour le commerce de ces lieux, A CES CAUSES, A plain confiant de vostre soin & fidélité nous vous avons commis & député, Commettons & députons par ces presentes, signées de nostre main: Pour incontinent après l'arrivée du premier vaisseau de ladite Nouvelle Compagnie faire inventaire en la presence des Commis de Guillaume de Caen, cy-devant adjudicataire de la traitte dudit pays de toutes les pelleteries si aucune y a, à luy appartenantes & à ses associez esdits lieux: Ensemble de toutes les munitions de guerre, marchandises, victuailles meubles, ustancilles, barques, canaux, agrez, & apparaux avec tous les bestiaux & toutes autres choses generallement quelconque estant esdits lieux appartenantes audits de Caen & ses associez, desquelles choses prisée & estimation sera 182/1166faite en vostre présence par gens à ce cognoissans, que nommerez d'office, au cas que les commis dudit de Caen sur ce interpellez n'en conviennent dresser procez verbal & arpentage de toutes les terres labourables & jardinages estant en valeur esdits lieux, depuis quel temps elles ont esté défrichées, combien de familles ledit Caen a faict passer en ladite Nouvelle France conformément aux articles que nous luy avons cy-devant accordez, & faire description & figure du fort de Québec & de toutes les habitations & bastimens, tant prétendus par ledit de Caen, que autres, desquels prisée & estimation sera faicte par gens ce cognoissans, & en presence, comme dit est, & de tout ce que dessus dresser procez verbal, pour iceluy veu & rapporté en nostre Conseil estre pourveu sur les prétentions dudit de Caen & ses associez ainsi qu'il appartiendra par raison. De ce faire vous donnons pouvoir, authorité, commission & mandement special, & de passer outre nonobstant oppositions ou appellations quelconques faites ou à faire, recusations, prise à partie pour lesquelles ne voulons estre différé. CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR. Donné à Partenay le 27e jour d'Avril 1628. & de nostre Regne le 18. signé LOUYS, & plus bas par le Roy, Potier, avec le grand sceau.
Après que Desdame m'eut dit ce qu'il sçavoit il me donna à entendre qu'il avoit veu cinq ou six vaisseaux Anglois & nostre barque, estant contraint pour n'estre apperceue d'eschouer aussi-tost, ils firent 183/1167passer leur chalouppe par dessus une chauffée de caillous, les ennemis estans passez ils remirent leur batteau à l'eau pour parfaire leur voyage, ayant eu charge dudit sieur de Roquemont qu'estant à l'Isle Sainct Barnabé d'envoyer un canau à Québec pour sçavoir l'estat auquel nous estions, s'il estoit vray que les Anglois nous eussent tous pris & tuez, comme les Sauvages leurs avoient donné à entendre, & luy devoit demeurer à ladite Isle, distante de Tadoussac de 18 lieues, attendant le canau: Que ledit sieur de Roquemont venant à la veue de l'Isle il feroit de certains feux dans ses vaisseaux qui seroient faits semblablement sur terre pour signal qu'ils ne seroient point ennemis: que l'on avoit aussi deschargé nombre de farines à Gaspey pour estre plus légers & moins embarrassez à combattre les Anglois, qu'ils iroient chercher jusques à Tadoussac696: que le lendemain ils entendirent plusieurs coups de canon, qui leur fit croire que les vaisseaux Anglois avoient fait rencontre des nostres. Je luy dis qu'ayant entendu ces coups, ils devoient retourner pour sçavoir à qui demeureroit la victoire pour en estre certain, il dit qu'il n'avoit aucun ordre de ce faire: cependant ces unze hommes estoient autant de bouches augmentées pour manger nos pois, desquels nous nous fussions bien passez, mais il n'y avoit remède, je leur fis la mesme part qu'à ceux de l'habitation.
184/1168Défauts observez par L'Autheur au voyage du sieur de Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire la guerre aux Yrocois.
CHAPITRE VI.
Voicy quelques defauts qui se commirent en ce voyage, d'autant que ledit sieur de Roquemont devoit considerer, que l'embarquement n'estoit faict à autre dessein que pour aller secourir le fort & habitation qui manquoient de toutes commoditez, tant pour l'entretien de la vie, comme de munitions pour la deffende, qu'en allant chercher l'ennemy pour le combattre (arrivant faute de luy) il ne se perdoit pas seul, mais il laissoit tout le pays en ruyne, & prés de cent hommes, femmes & enfans mourir de faim, qui seroient contraints d'abandonner le fort & l'habitation au premier ennemy, faute d'estre secourus, comme l'expérience l'a fait voir.
Ledit de Roquemont estant à Gaspey, ayans appris que l'Anglois avoit monté la riviere, plus fort que luy en vaisseaux & munitions, les devoit éviter le plus qu'il pourroit & pour ceste occasion assembler son Conseil, afin de sçavoir des plus expérimentez s'il y avoit en ces costes quelque port où l'on peust se mettre en seureté, & le faire; où l'ennemy ne le peust endommager: car bien que le Capitaine I. Michel qui estoit avec l'Anglois 185/1169cogneut quelques ports autour de Gaspey & isle de Bonnaventure, il n'eut peu nuire aux nostres, qui sçavoient assez de retraites en ces costes, plus que ledit Michel, mais le trop de courage fit hasarder le combat.
Or les vaisseaux dudit de Roquemont estant en bon port très seur, l'on devoit envoyer une chalouppe bien equippée pour decouvrir & voir la contenance de l'ennemy, & quelle exécution il pouvoit avoir fait à Québec, & attendre que les vaisseaux des ennemis fussent partis pour s'en retourner, aussi tost aller donner advis aux nostres: lesquels asseurez que l'Anglois seroit passe, eussent sorty du port, pour mettre à la voile, monter la riviere, & donner secours au fort & habitation, ce qui eust esté facile.
Ou bien puisque ledit sieur de Roquemont estoit délibéré d'aller attaquer l'ennemy697, prendre le petit Flibot de quelques 80 à 100 tonneaux, avantageux de voiles, le charger de farines, poudres, huilles, & vinaigre, y mettant les Religieux, femmes, & enfans, & à la faveur du combat, il pouvoit se sauver, monter la riviere & nous donner secours. De dire que dira-on si je ne voy l'ennemy? je dis qu'en pareilles ou semblables affaires c'est estre prudent, qu'il vaut mieux faire une honorable retraitte, qu'attendre une mauvaise issue. Le mérite d'un bon Capitaine n'est pas seulement au courage, mais il doit estre accompagné de prudence, qui est 186/1170ce qui les fait estimer, comme estant suivy de ruses, stratagesmes, & d'inventions: plusieurs avec peu ont beaucoup fait, & se sont rendus glorieux & redoutables.
D'après Sagard, M. de Roquemont n'aurait pas recherché le combat. «Le 18e jour de Juillet, dit-il, le sieur de Rocmont, Admiral des François, ayant eu le vent de l'approche des Anglois, prit les brunes pour eviter le combat, auquel neantmoins il fut engagé par la diligence des ennemis.» (Hist. du Canada, p. 939.) Voir ci-dessus, p. 180.
Cependant que nous attendions des nouvelles de ce combat avec grande impatience, nous mangions nos pois par compte, ce qui diminuoit beaucoup de nos forces, la pluspart de nos hommes devenant foibles & débiles, & nous voyant dénués de toutes choses, jusques au tel qui nous manquoit, je me deliberay de faire des mortiers de bois où l'on piloit des pois qui se reduisoient en farines, lesquels nous profitoient mieux qu'auparavant, mais à cause de ce travail on estoit long temps en cet estat, je pensay que faire un moulin à bras ce seroit chose encore plus aisée & profitable, mais comme nous n'avions pas de meulle, qui estoit le principal instrument, je m'informay à nostre serrurier s'il pourroit treuver de la pierre propre à en faire une, il me donna de l'esperance, & pour ce subject alla chercher de la pierre, & en ayant treuvé il les taille, un Menuisier entreprend de les monter. De sorte que cette necessité nous fit treuver ce qu'en vingt ans l'on avoit creu estre comme impossible.
Ce moulin s'acheve avec diligence, où chacun portoit sa semenée de pois que l'on mouloit & en recevoit on de bonne farine, qui augmentoit nostre bouillie, & nous fit un très-grand bien, qui nous remit un peu mieux que nous n'estions auparavant.
La pesche de l'anguille vint qui nous ayda beaucoup, mais les Sauvages habiles à ceste pesche ne nous en donnèrent que fort peu, les nous vendant 187/1171bien chères, chacun donnans leurs habits & commoditez pour le poisson, il en fut traitté quelque 1200 du magasin pour des Castors neufs, n'en voulant point d'autres, dix anguillles pour Castor, lesquelles furent départies à un chacun, mais c'estoit peu de chose.
Nous esperions que le Champ de Heber & son gendre, nous pourroient soulager de quelque grains à la cueillette: dequoy il nous donnoient bonne esperance, mais quand ce vint à les recueillir il se trouva qu'ils ne nous pouvoient assister que d'une petite esculée d'orge, pois & bleds d'Inde par sepmaine, pesant environ 9 onces & demie, qui estoit fort peu de chose à tant de personnes, ainsi nous fallut passer la misere du temps. Les Pères Jesuites avoient un moulin à bras où les mesnages alloient moudre leurs grains le plus souvent. Heber 698 ne faisoit rien que nous ne recogneussions la quantité qu'il en mouloit afin de ne donner sujet de plainte qu'il eust faict meilleure chère que nous, ce que je ne faisois pas semblant de veoir, bien que je pâtissois assez, mais c'est la coustume qu'en telles necessitez chacun tasche de faire magasin à part, sans en rien dire: je m'estois fié à eux de faire la levée de leurs bleds, ce qu'autre que moy n'eust pas permis en telles necessitez, car en leur donnant leur part comme aux autres on en estoit quitte, & le surplus leur estoit payé, c'est dequoy il avoit peur.
Il est vray que ledit sieur de Caen avoit envoyé des meules à Tadoussac, mais par la négligence de ceux qu'il envoyoit au pays peu affectionnez, aymerent 188/1172mieux les laisser en ce lieu que les porter à Québec, sçachant bien qu'on ne les pouvoit enlever que par leur moyen, c'estoit à ce que l'on dit699, qu'il y en avoit en la Nouvelle France, mais il eust autant vallu qu'elles eussent esté à Dieppe qu'audit Tadoussac, où depuis les Anglois les ont rompues en plusieurs pièces.
Voyant le soulagement que nous recevions de ce moulin à bras, je me deliberay d'en faire faire un à eau, & pendant l'hyver employer quelques Charpentiers à apprester le bois qui seroit necessaire pour cet effect, comme pour le logement à le mettre à couvert, & au Printemps faire tailler les meules, & ainsi accommoder un chacun de ceux qui auroient des grains à faire moudre, & ne retomber plus aux peines où l'on avoit esté par le passé, qu'à ce deffaut ceux qui auroient volonté de defricher qu'ils le fissent pendant que commodément ils feroient moudre leurs grains.
Tout l'hyver nos hommes furent assez fatiguez à couper du bois, & le traîner sur la neige de plus de 2000 pas pour le chaufage, c'estoit un mal necessaire pour un plus grand bien: quelques Sauvages nous ayderent de quelques Elans, bien que peu pour tant de personnes, & celuy qui nous assista s'appelloit Chomina qui veut dire le raisin, très-bon Sauvage & secourable. J'envoyay quelques-uns de nos gens à la chasse essayer s'ils pourroient imiter les Sauvages en la prise de quelques bestes, mais ils ne furent si honnestes que ces peuples, car ayant pris un Elan tres-puissant ils s'amuserent 189/1173à le devorer comme loups ravissants, sans nous en faire part, que d'environ 20 livres, ce qui me fit à leur retour user de reproches de leur gloutonnerie, sur ce que je n'avois pas un morceau de vivres que je ne leurs en fisse part: mais comme ils estoient gens sans honneur & civilité, aussi s'estoient ils gouvernez de mesme, & depuis je ne les y envoyay plus, les occupant à autres choses. La longueur de l'hyver nous donnoit assez souvent à penser aux inconveniens qui pouvoient arriver, comme une seconde prise de nos vaisseaux, & les moyens que nous pouvions avoir pour subvenir à nos necessitez, qui estoient plus grandes qu'elles n'avoient jamais esté, dautant que toutes nos légumes nous defailloient en May, quelque mesnages que j'eusse fait, qui estoit le temps que nous attendions nouvelles, ou bien pour le plus tard à la fin de May, & estoit meilleur pâtir doucement, que manger tout en un coup, puis mourir de faim: c'est ce que je remonstrois à tous nos gens, qu'ils prinssent patience attendant nostre secours.
Je pris resolution que si nous n'avions des vaisseaux à la fin de juin, & que l'Anglois vint comme il s'estoit promis, nous voyant du tout hors d'esperance de secours, de rechercher la meilleure composition que je pourrois, d'autant qu'ils nous eussent fait faveur de nous rapasser & avoir compassion de nos miseres, car autrement nous ne pouvions subsister.
La seconde resolution estoit en cas que n'eussions aucuns vaisseaux, de faire accommoder une 190/1174petite barque du port de sept à huict tonneaux, qui estoit restée à Québec parce qu'elle ne valloit rien qu'à brûler. Ceste necessité nous sit resoudre à luy donner un radoub pour s'en pouvoir servir, comme je fis y commencer le premier de Mars, & dans icelle barque y mettre le plus de monde que l'on pourroit, y mettant quelque pelleterie & aller à Gaspey, Miscou & autres lieux vers le Nort, pour trouver passage dans des vaisseaux qui viennent faire pesche de poisson, & payer leur passage en pelleterie, & ainsi la barque pourroit faire deux voyages partant d'heure, ce qui devoit estre pour le premier voyage le 10 de Juillet, & ainsi descharger l'habitation d'un nombres d'hommes, & en retenir suivant la quantité des grains que l'on eust peu recueillir tant au desert d'Hébert comme celuy des peres qui devoient estre ensemencez au printemps, qui avoyent reservé des grains & légumes pour cet effet. Mais tout le mal que je prevoyois en ceste affaire estoit de pouvoir vivre attendant le mois d'Aoust, pour faire la cueillette des grains: car il falloit avoir de quoy passer trois à quatre mois, ou mourir: nostre recours, bien que miserable, estoit d'aller chercher des herbes & racines, & vaquer à la pesche de poisson, attendant le temps de nous voir plus à nostre aise, & s'il eust esté impossible de redonner le radoub à la barque, comme l'on pensoit au commencement c'estoit d'emmener avec moy, 50 à 60 personnes, & m'en aller à la guerre avec les Sauvages qui nous eussent guidés aux Yrocois, & forcer l'un de leurs villages, ou mourir en la peine pour avoir des bleds, & là nous 191/1175y fortifier en y passant le reste de l'Esté, de l'Automne, & l'Hyver plustost que mourir de faim les uns pour les autres à l'habitation, où nous eussions attendu nouvelle au printemps de ceux de Québec par le moyen des Sauvages, & me promettoient que si tant estoit que Dieu nous favorisast du bon heur de la victoire, que ce seroit le chemin de faire une paix générale, & tenir le païs & les rivieres libres. Voilà les resolutions que j'avois prises, si Dieu ne nous assistoit de secours plus favorable.
Le 19 du mois d'Avril arriva un Sauvage appellé Erouachy700, homme de commandement, il y avoit près de deux ans qu'il estoit party de Québec lors que nos hommes surent massacrés, lequel nous avoit asseuré qu'à son retour (qui ne devoit estre que de 7 à 8 mois) il nous sçauroit à dire au vray le meurtrier de ces pauvres gens, mais comme il avoit halené ceux qui excusoient celuy que nous tenions prisonnier, frappé du mesme coin, il nous voulut imprimer la mesme marque, se voyant vaincu de quelque particularités de la vérité & de la raison qu'on avoit de le retenir, jusques à ce que l'on eust fait une plus particulière recherche, il dit qu'il falloit attendre que tous les Sauvages fussent assemblés, s'asseurant tellement que celuy qui avoit fait le coup viendroit, & nous le livreroit, si n'estoit qu'il fust adverty, qu'en ce cas il ne le pourroit faire, neantmoins que si nous l'aymions bien, qu'on le laisseroit sortir; recognoissant ses raisons foibles, je 192/1176luy dis qu'il y avoit bien peu d'apparence qu'un homme coulpable voyant un autre retenu en sa place se vint jetter entre nos mains pour estre justifié, pouvant esviter une si mauvaise rencontre: de plus la grande perquisition que l'on avoit fait depuis deux ans qui luy auroit donné plus de suject de s'esloigner, que d'approcher, neantmoins s'il le faisoit, nous estions resolus de delivrer le prisonnier, & les accusateurs comme faux tesmoins seroient recognus pour très-pernicieux & meschants à la louange & gloire de l'accusé. De plus qu'auparavant de venir à l'exécution nous attendrions le retour de nos vaisseaux, & que tous les Sauvages fusent assemblez, ce qu'estant nous parlerions plus clairement à toutes les nations qui jugeroient de la façon que nous nous gouvernions en telles affaires, & s'en trouvant un autre coulpable, comme je luy avois dit, il seroit libre. Voyla qui sera bien, dit il, & pour s'insinuer en nostre amitié, craignant que les discours qu'il nous avoit tenus nous en fissent refroidir, il dit qu'il nous vouloit donner advis que nous eussions à nous donner de garde des Sauvages de Tadoussac qui estoient meschans traistres, ce que nous sçavions bien desja, nous l'ayant assez tesmoigné à la venue de l'Anglois, que si mes compagnons alloient à la chasse ou pesche de poisson pour coucher hors l'habitation, qu'il ne leur conseilloit qu'au préalable il ne donnast un de ses compagnons pour les assister, desirant vivre en paix avec nous, & que le desplaisir qu'il avoit de voir perdre le pays, luy faisoit tenir ces discours.
Erouachy, ou Esrouachit, d'après Sagard, est le même que La Forière (Hist. du Canada, p. 698). Il semble en effet que l'auteur parle ici du même sauvage qui s'était donné tant de mouvement lors du meurtre des deux français dont il est parlé plus haut, page 161 et suivantes; seulement, il n'y avait guères qu'un an qu'il avait quitté Québec.
193/1177Il nous fit entendre au vray la mort des Sauvages & du François appellé le Magnan, qui estoient allez aux Yrocois, pour traicter de paix, ne l'ayant sceu asseurément comme il nous le conta, l'ayant appris des Yrocois du mesme village, qui avoient esté pris prisonniers par une nation appellée Mayganathicoise (qui veut dire nation des loups) qui avoient guerre depuis deux ans avec les Yrocois à deux journées de leur village, & trois à quatre des Flamans, qui sont habitués au 40e degré, à la coste tirant aux Virginies, les prisonniers furent bruslez. Voicy le récit de toute l'affaire.
Un Algommequin de l'Isle qui est à 180 lieues de Québec, fut cause de la mort des Sauvages du François, lequel sçachant qu'un Sauvage appellé Cherououny 701, qui estoit en grande reputation, devoit faire ceste ambassade, luy voulant mal & luy portant une haine particulière, s'en alla aux Yrocois, où il avoit quelques parens: leur donne advis comme amateur de leur conservation, ne desirant point de troubles parmy les nations: & que si ledit Ambassadeur venoit pour moyenner la paix, ils n'eussent à adjouster foy en luy, pour ce que le voyage qu'il entreprenoit n'estoit que pour recognoistre leur pays, & sous ombre de paix & d'amitié les trahir, n'ayant autre dessein que de les faire mourir après qu'il auroit recogneu particulièrement leurs forces. Que c'estoit luy seul qui estoit cause de tant de divisions parmy les nations, mesme qu'il y avoit plus de dix ans qu'il avoit tué deux François, ce qui luy estant pardonné on n'osoit le 194/1178faire mourir. Les Yrocois luy prestent L'oreille trop légèrement, luy promettent que venant il ne s'en retourneroit pas comme il estoit venu. De là il s'en retourne aussi-tost vers les Algommequins, disant qu'il avoit esté poursuivy des ennemis, qu'ils l'avoient pensé assommer. Ceste nation se laisse aller à ses discours, & croit ce qu'il disoit, jusques à ce que la vérité eust esté recognue. Peu de temps après le galant voyant qu'il ne faisoit pas bon pour luy, il esquive & se va ranger du costé des Yrocois pour mettre la vie en seureté.
Ces entremetteurs de la paix s'en allèrent aux premiers villages des Yrocois, qui sçachant leur venue font mettre une chaudière pleine d'eau sur le feu en l'une de leurs maisons, où ils firent entrer nos Sauvages avec le François, à l'abord ils leur montrent bon visage les prient de s'asseoir auprès du feu, leur demandent s'ils n'avoient point de faim, ils dirent que ouy, & qu'ils avoient assez cheminé ceste journée sans manger: alors ils dirent à Cherououny ouy il est bien raisonnable qu'on t'appreste dequoy festiner pour le travail que tu as pris: l'un de ces Yrocois s'addressant audit Cherououny, tirant un cousteau luy coupe de la chair de de ses bras, la met en ceste chaudière, luy commande de chanter, ce qu'il fait, il luy donne ainsi sa chair demy crue, qu'il mange, on luy demande s'il en veut davantage, dit qu'il n'en a pas assez, & ainsi luy en coupent des morceaux des cuisses & autres parties du corps, jusques à ce qu'il eust dit en avoir assez: & ainsi ce pauvre miserable finit inhumainement & barbarement ses tours, le François fut bruslé 195/1179avec des tisons & flambeaux d'escorce de bouleau, où ils luy firent ressentir des douleurs intolerables premier que mourir. Au troisiesme qui s'en vouloit fuir, ils luy donnèrent un coup de hache, & luy firent passer les douleurs en un instant. Le quatriesme estoit de nation Yrocoise qui avoit esté pris petit garçon par nos Sauvages, & eslevé parmy eux fut lié, les uns estoient d'advis qu'on le fit mourir, d'autant que si on luy donnoit liberté il s'en retourneroit: en fin ils se resolurent de le garder esperant que le temps luy feroit perdre le souvenir & l'amitié qu'il avoit de nos Sauvages de Québec, le tenant comme prisonnier: Voila comme ces pauvres miserables finirent leur vie.
Il semble en cecy que Dieu, juste juge, voyant qu'on n'avoit fait le chastiment deu à ce Cherououny, à cause de deux François qu'il avoit tuez au Cap de Tourmente allant à la chasse702, luy ayant pardonné ceste faute il fut puny par la cruauté que luy firent souffrir les Yrocois, & ledit Magnan de Tougne en Normandie qui avoit aussi tué un homme à coups de bastons, pourquoy il estoit en fuitte, & fut puny de mesme par le tourment du feu.
Neantmoins nous avions un légitime suject de nous ressentir de telles cruautés barbares, exercées en nostre endroit, & en la personne dudit Magnan, & pource que si nous ne l'eussions fait, jamais l'on n'eust acquis honneur ny gloire parmy les peuples, qui nous eussent mesprisez comme toutes les autres nations, prenant cette audace à l'advenir de nous avoir à desdain & lasches de courage: car j'ay recognu 196/1180en ces nations, que si vous n'avez du ressentiment des offences qu'ils vous font, & que leurs preferiés les biens & traittes aux vies des hommes ans vous en soucier, ils viendront un jour à entreprendre à vous couper la gorge, s'ils peuvent, par surprises comme est leur coustume.
Ce Sauvage Erouachy nous dit qu'il avoit passé quelque mois parmy une nation de Sauvages qui sont comme au midy de nostre habitation environ de 7 à 8 tournées, appellés Obenaquiouoit703, qui cultivent les terres, lesquels desiroient faire une estroitte amitié avec nous, nous priant de les secourir contre les Yrocois, perverse & meschante nation entre toutes celles qui estoient dans ce païs, croyans que comme interessés de la mort de nostre François, nous aurions agréable ceste guerre légitime, en destruisant ces peuples, & serions que le pays & les rivieres seroient libres aux commerces: Les nations du païs sçachant nostre resolution par ledit Erouachy, leur feroit sçavoir qu'ils donneroient ordre à ce qu'ils auroient à faire pour le sujet de ceste guerre, soit que nous y fussions ou que nous n'y fussions pas.
Je consideray que ceste légation nous pouvoit estre profitable en nos extrêmes necessitez, qu'il nous en falloit tirer advantage, ce qui me fit resoudre d'envoyer un homme tant pour recognoistre ces peuples, que la facilité ou difficulté qu'il y auroit pour y parvenir, & le nombre des terres qu'ils cultivoient, n'estant qu'à 8 tournées de nostre habitation: 197/1181que ceste nation nous pourroit soulager, tant de leurs grains comme prendre partie de mes compagnons pour hiverner avec eux, par ce moyen nous soulager, au cas que quelque accident fut arrivé à nos vaisseaux, soit par naufrage ou par combat sur la mer, ce que j'apprehendois grandement, les attendant à la fin de May au plus tard, pour estant secourus, oster toutes les prétentions que les Anglois avoient de se saisir de tous ces lieux ils s'estoient promis de faire, cela leur estant fort facile, n'ayant dequoy se substanter, ny monitions suffisantes pour se défendre & sans aucun secours. Voila comme l'on nous avoit laissez despourveus de toutes commoditez, & abandonnez aux premiers pirates ou ennemis, sans pouvoir resister.
Cela arresté, je dis audit Erouachy que pour ceste année je ne pouvois assister ces peuples en leurs guerres, attendu la perte, des vaisseaux qu'avions faite avec l'Anglois, qui nous avoient grandement incommodez des choses qui nous eussent esté necessaires en ceste guerre, que neantmoins arrivant nos vaisseaux, & y ayant des hommes assez, je ne laisserois d'y faire tout mon pouvoir de les assister dés l'année mesme, & quoy qu'il arrivast, l'autre ensuivant je les secourerois de cent hommes, si je pouvois les accommoder des choses qui leur seroient necessaires. Sur ce je luy fis veoir des moyens & inventions pour promptement enlever la forteresse des ennemis: dont il fut tres-aise de les voir & les considera avec attention. De plus, que pour asseurer davantage les peuples j'y voulois envoye un homme avec quelque present pour estre tesmoin 198/1182oculaire de tout ce que je luy disois, & pour plus grande asseurance je m'offrois à leur envoyer de mes compagnons pour hyverner en leur pays, & au printemps se treuver au rendez-vous de la riviere des Yrocois, comme à toutes les nations leurs amis, qui les voudroient assister, aussi que si quelque année leur succedoit mal en la cueille de leurs grains, venant vers nous nous les secourerions des nostres, comme nous esperions d'eux au semblable en les satisfaisant; le tout pour tenir à l'advenir une ferme amitié les uns avec les autres, & quoy que se fusse, si nos vaisseaux ne venoient nous ne laisserions pas d'aller à la guerre, y menant cinquante hommes avec moy, jugeant qu'il valloit mieux faire & exécuter ce dessein, pour descharger l'habitation que mourir de necessité les uns pour les autres, attendant secours de France, & ainsi j'allois cherchant des remèdes au mieux qu'il m'estoit possible. Tout ce discours pleut audit Erouachy, qui tesmoigna en estre grandement satisfaict, comme chose qui le mettoit en crédit avec ces nations.
Ce qu'estant treuvé bon d'un chacun, j'eus desir d'envoyer mon beau frère Boulay en ceste descouverture, d'autant qu'il estoit question que celuy qui iroit fust homme de jugement, & s'accommodast aux humeurs de ces peuples, où tout le monde n'est pas propre, & recognoistre exactement le chemin que l'on feroit avec les autheurs704 des lieux, & plusieurs particularitez qui se rencontrent & qui sont necessaires, à sçavoir à ceux qui vont descouvrir. Mais d'autre part la necessité & confiance que 199/1183j'avois de luy, si l'Anglois venoit, fist que je ne luy peus permettre ce qu'il desiroit, ce qui me fit resoudre d'y envoyer un autre auquel je promis quelque gratification pour la peine qu'il auroit en ce voyage, luy donnant des presens pour les Sauvages, de nostre part, comme est la coustume en telles affaires, & furent aussi faits des presens aux Sauvages qui luy servoient de guides & truchement, & pour ce faict il partit le 16 de May 1629705.
Cedit jour j'envoyay un Canau avec deux François & un Sauvage qui avoit esté baptisé par le Père Joseph Caron Recollet, fils de Chomina706, bon Sauvage aux François, mais le fils retourna comme auparavant avec les Sauvages, & par ainsi son fruict fut comme inutile; il y a bien à considerer premier que d'en venir au baptesme, & il y a en cecy des personnes trop faciles pour ces choses, qui sont si chatouilleuses: mais le bon Père fut emporté de zèle. Je les envoyay à Tadoussac pour attendre nos vaisseaux, & pour aussi-tost nous en venir donner advis, comme aussi si c'estoient nos ennemis, leur donnant charge d'attendre jusques au dixiesme de Juin pour commencer à donner l'ordre à nos affaires. Je leur avois donné lettres signées de moy & du sieur du Pont addressantes au premier vaisseau qu'ils pourroient descouvrir, sujet de sa Majesté, qui auroit voulu tenter le hazard de venir à la desrobée traitter avec les Sauvages contre les deffenses de sa Majesté, comme ordinairement il y en 200/1184va tous les ans, par laquelle nous leur mandions, que s'ils nous vouloient traitter des vivres au prix des Sauvages, on leur donneroit de la pelleterie de plus grande valeur pour eux, promettant prendre toutes leurs marchandises au mesme prix desdits Sauvages, & pour le plaisir qu'ils nous feroient en ceste extrême necessité, nous tascherions les gratifier envers Messieurs les associez si leurs vaisseaux venoient. Ou venant pour le plus tard au dixiesme de Juillet, qu'en repassant partie de nos compagnons en France, on leur promettoit de payer leur passage, & de plus la traitte libre en la riviere, & ainsi nous ne laissions passer aucune occasion qui nous venoit en l'esprit pour remédier en toutes choses, craignant une plus rude secousse que l'année d'auparavant si nos vaisseaux ne venoyent point. Je fus visiter le Père Joseph de la Roche, très-bon Religieux, pour sçavoir si nous pourrions esperer du secours de leurs grains, s'ils en avoient de trop, & que n'en eussions de France: Il me dist que pour ce qui estoit de luy il le feroit & y consentiroit, qu'il en falloit donner advis au Père Joseph Caron Gardien, & qu'il luy en parleroit.
La crainte que nous avions qu'il ne fust arrivé quelque accident à nos vaisseaux, nous faisoit rechercher tous moyens de remédier à la famine extrême qui se preparoit, voyant estre bien avant en May, & n'avoir aucunes nouvelles, ce qui donnoit de l'apprehension à la pluspart des nostres, qu'ayant passé de grandes disettes avec sept onces de farine de pois par jour, qui estoit peu pour nous maintenir, venant à n'avoir rien du tout ce seroit bien pis, ne 201/1185nous restant des poix que pour la fin de May. Tout cela me donnoit bien à penser, bien que je donnasse le plus de courage qu'il m'estoit possible à un chacun considerant que prest de 100 personnes malaisément pourroient ils subsister sans en mourir beaucoup, si Dieu n'avoit pitié de nous: divers jugemens se faisoient sur le retardement des vaisseaux707 pour soulager un chacun en leur donnant de bonnes esperances, afin de ne perdre le temps. Nous deliberasmes d'équiper une chalouppe de six Matelots & Desdames commis de la nouvelle societé pour y commander, auquel donnions procuration & lettres, avec un mémoire bien ample de ce qu'il devoit faire pour aller à Gaspey: Les lettres s'adressoient au premier Capitaine des vaisseaux qu'il treuveroit audit lieu ou autres ports & rades des costes, par lesquelles nous leur demandions secours & assistance de leurs vivres, passages, & autres commoditez selon leur pouvoir, & pour les interests qu'ils pourroient prétendre du retardement de leur pesche, que nous tiendrions pour fait tout ce que ledit Desdames feroit suivant la procuration qu'il avoit, & au cas qu'il ne nous arrivast aucun vaisseau au dixiesme de Juillet, n'en pouvant plus esperer en ce temps, comme estant hors de saison, n'estant la coustume de commencer alors un voyage pour y arriver si tard. La chose estant délibérée, ledit Desdames me donna advis qu'un bruit couroit entre ceux qu'il emmenoit, que rencontrant quelque vaisseau ils ne reviendroient, & que de retourner seul il n'y avoit nulle apparence, & 202/1186que j'eusse à y remédier avant que cela arrivast. Ce que sçachant, j'en desiray sçavoir la vérité, ce que je ne peus, me contentant leur dire que telles personnes ne meritoient que la corde, qui tenoient ces discours: car mettant en effect leur pernicieuse volonté, ils ne consideroient la suitte ny la consequence, ne desirant qu'ils fissent le voyage puis qu'il falloit pâtir & endurer, ce seroit tous ensemble se mettre en peine, bien faschez de se veoir frustrez de leur esperance, neantmoins pour remédier à cela je changeay l'équipage, y mettant la moitié des anciens hyvernants qui avoient leurs femmes à l'habitation708, avec l'autre de Matelots, retenant le reste pour servir en temps & lieu: je les fis apprester de tout ce qui leur estoit necessaire, ayant donné les despesches audit Desdames, & le mémoire pour sa conduitte, soit que par cas fortuit il rencontrast nos vaisseaux ou ceux des ennemis, & de plus le chargeasmes que s'il ne trouvoit aucuns vaisseaux sujects du Roy, il iroit trouver un Sauvage de crédit & amy des François, le prier de nostre part de vouloir recevoir de nos compagnons avec luy pour hyverner, si aucuns vaiseaux ne venoient, & qu'on luy donneroit le printemps venu, une barique de galette & deux robes de castor pour chaque homme. Ils partirent le 17 dudit mois de May. Ces choses expédiées je fis faire diligence de faire faire le radoub à nostre barque, envoyant chercher 203/1187du bray de toutes parts pour la brayer, car c'estoit ce qui nous mettoit le plus en peine, comme chose très-longue à amasser dans des bois, nous esperions avec cette petite barque mettre quelque 30 personnes pour aller à Gaspey ou autres lieux pour y treuver des vaisseaux, & avoir moyen d'aller en France, suivant la charge qu'avions donné audit Desdames, & n'en trouvant aucun, laisser, comme dit est, partie de nos hommes avec ledit Juan Chou Capitaine Sauvage, & s'ils treuvoient du sel en ces lieux-là faire pesche de molue au lieu de Gaspey ou Isle de Bonaventure, que dans la barque il resteroit quelque 6 à 7 personnes qui nous apporteroient ce qu'ils auroient pesché de poisson, qui eust peu se monter à quelque quatre milliers, & ainsi nous ayder au mieux qu'il nous eust esté possible.
C'est-à-dire, que la moitié de l'équipage était des anciens hivernants qui avaient leurs femmes à l'habitation. Or, comme nous le verrons ci-après p. 205, 206, il y avait à l'habitation cinq femmes: celle de Hubou, celle de Couillard, celle de Martin, celle de Des Portes et celle de Pivert. Comme Couillard et Martin avaient chacun plusieurs enfants, il est probable que l'auteur choisit les trois autres, Guillaume Hubou, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert.
La deploration la plus sensible en ces lieux en ce temps de disette estoit de voir quelques pauvres mesnages chargez d'enfans qui crioyent à la faim après leurs père & mère, qui ne pouvoient fournir à leur chercher des racines, car malaisément chacun en pouvoit-il treuver pour manger à demy leur saoul dans l'espaisseur des bois, à quatre & cinq lieues de l'habitation, avec l'incommodité des Mousquites, & quelquesfois estre harassez & molestez du mauvais temps. Les societez ne leur ayant en ces pays voulu donner moyen de cultiver des terres, ostant par ce moyen tout sujet d'habiter le pais, néantmoins on faisoit entendre qu'il y avoit nombres de familles, il estoit vray qu'estant comme inutiles ils ne servoient que de nombre, incommodant plus 204/1188qu'elles n'apportoient de commoditez, car l'on voyoit clairement qu'avenant quelque necessité ou changement d'affaire, il eust fallu qu'elles eussent retourné en France pour n'avoir de la terre défrichée depuis 15 à 20 ans qu'elles y avoient esté menées de l'ancienne societé709: il n'y avoit eu que celle de feu Hébert qui s'y est maintenue 710, mais ce n'a pas esté sans y avoir de la peine, après avoir un peu de terre défrichée, le contraignant & obligeant à beaucoup de choses qui n'estoient licites pour les grains qu'il levoit chaque année, l'obligeant de ne les pouvoir vendre ny traitter à d'autres qu'à ceux de ladite societé pour certaine somme. Ce n'estoit le moyen de donner de l'affection d'aller peupler un païs, qui ne peut jouyr du bénéfice du pays à sa volonté, au moins leur devoient-ils faire valoir les castors à un prix raisonnable, & leur lainer faire de leurs grains ce qu'ils eussent desiré. Tout cecy ne se faisoit à dessein que de tenir tousjours le pays necessiteux, & oster le courage à chacun d'y aller habiter pour avoir la domination entière, sans que l'on s'y peust accroistre. Ce qui leur desplaisoit grandement c'estoit de ce qu'ils voyoient que si je faisois construire un fort, n'y voulant contribuer de leur volonté, & blasmant une telle chose, bien que 205/1186ce fust pour la conservation de leurs biens & sauvegarde de tout le païs, comme il se recogneut à la venue de l'Anglois, que sans cela dés ce temps-là nous eussions tombé entre leurs mains.
En 1629, il y avait environ quinze ans que la société de Rouen avait obtenu son privilège. De ce texte, on peut donc conclure que Maître Abraham Martin, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert étaient venus se fixer à Québec dès les années 1614 ou 1615, c'est-à-dire, dans les premières années de l'ancienne société. On sait que Louis Hébert arriva en 1617. Ces quatre anciens habitants de Québec vinrent ici mariés; puisque leurs actes de mariage ne se trouvent pas dans les registres de N.-D. de Québec.
Qui s'y est maintenue sur une terre. De ce passage, on n'est pas en droit de conclure que ces familles étaient repassées en France, puisque l'auteur fait ici remarquer que, si elles n'étaient pas plus avancées que le premier jour, depuis quinze à vingt ans qu'elles étaient dans le pays, c'était par suite de la contrainte où les tenait la compagnie des marchands.
Les commis du sieur de Caen virent bien combien cela estoit necessaire, quoy qu'ils ne le pouvoient confesser auparavant, encores qu'ils le sceussent bien en leurs ames: mais ils estoient si complaisans qu'ils vouloient agréer à ceux qui avoient la bource. Davantage s'il y eust fallu des hommes en la place des femmes & enfans, il eust esté necessaire de leur donner des gages outre la nourriture, ce qui estoit espargné par ce mesnage, & autant de profit aux societez, pour le peu d'ouvriers qui estoient à entretenir: car d'environ 55 à 60 personnes qui estoient pour la Société il n'y en avoit pas plus de 18 pour travailler aux choses necessaires, tant du fort de l'habitation qu'au Cap de Tourmente, où la pluspart des ouvriers estoient empeschez à faucher le foin, le serrer, faner, & faire les réparations des maisons. Cela n'estoit pas pour faire grand ouvrage en toutes ces choses au bout de l'année quand nous eussions eu les vivres & autres commoditez à commandement: car tout le reste des hommes & autres personnes consistoit en trois femmes, l'une desquelles711 le sieur de Caën avoit amenée pour 206/1190avoir soin du bestial, qui estoit le plus necessaire, deux autres femmes 712 chargées de huict enfans, quatre Père Recolets713, tous les autres officiers ou volontaires n'estoient pas gens de travail.
Probablement la femme de Nicolas Pivert, Marguerite Le Sage, qui, comme nous l'avons remarqué ci-dessus (p. 171, note 3), avait été employée avec son mari à l'habitation du cap Tourmente, Elle avait avec elle une petite nièce (ibid.); mais il ne paraît pas qu'elle ait eu d'enfants (Registres de N.-D. de Québec; greffe de Piraube, Donation entre Pivert et sa femme), et c'est sans doute pour cette raison même qu'elle pouvait s'occuper du soin du bétail. Les deux autres femmes, mentionnées ici avec la femme de Pivert, parce qu'elles n'étaient pas chargées d'enfants comme les deux dont il est parlé plus bas, étaient vraisemblablement la veuve Hébert et la femme de Pierre Des Portes. La veuve Hébert venait de se remarier à Guillaume Hubou, et n'avait plus d'enfants en bas âge; car Guillaume Hébert, le dernier de la famille, avait alors une douzaine d'années. Françoise Langlois, épouse du sieur Des Portes, avait une fille nommée Hélène, qui devait avoir au moins six à sept ans, puisque cinq ans après elle se mariait avec Guillaume Hébert. Dans son contrat de mariage avec Noël Morin son second mari, Hélène Des Portes est dite native de Québec. On voit en effet que Pierre Des Portes était déjà dans le pays avec sa famille dès 1621, puisqu'il signa comme «français habitant la Nouvelle-France» la requête qui fut alors présentée au roi. (Sagard, Hist. du Canada, p. 77.)
Ces deux femmes chargées de huit enfants, étaient celle de Couillard et celle d'Abraham Martin dit l'Escossois, qui pouvaient en avoir quatre chacune. Quant à la femme d'Abraham, Marguerite Langlois, elle en avait certainement quatre: Anne, Eustache, Marguerite et Hélène; celle de Couillard, Guillemette Hébert, en avait probablement quatre aussi, quoique le Registre des Baptêmes n'en mentionne que deux, Louise et Louis; mais les intervalles qui séparent la naissance des enfants de Couillard permettent de croire qu'il avait à cette époque deux autres enfants qui seraient morts depuis en bas âge.