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Oeuvres de Champlain

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AU ROY.

IRE,

Vostre Majesté peut avoir assez de cognoissance des descouvertures, faites pour son service de la nouvelle France (dicte Canada) par les escripts que certains Capitaines & Pilotes en ont fait, des voyages & descouvertures, qui y ont esté faites, depuis quatre vingts ans, mais ils n'ont rien rendu de si recommandable en vostre Royaume, ny si profitable pour le service de vostre Majesté & de ses subjects; comme peuvent estre les cartes des costes, havres, rivieres, & de la situation des lieux lesquelles seront representées par ce petit traicté, que je prens la hardiesse d'adresser à vostre Majesté, intitulé Journalier des voyages & descouvertures que j'ay faites avec le sieur de Mons, vostre Lieutenant, en la nouvelle France: & me voyant poussé d'une juste recognoissance de l'honneur que j'ay reçeu depuis dix ans, des commandements, tant de vostre Majesté, Sire, que du feu Roy, Henry le Grand, d'heureuse mémoire, qui me commanda de faire les recherches & descouvertures les plus exactes qu'il me seroit possible: Ce que j'ay fait avec les augmentations, representées par les cartes, contenues en ce petit livre, auquel il se trouvera uneiv/136 remarque particulière des perils, qu'on pourrait encourir s'ils n'estoyent evitez: ce que les subjects de vostre Majesté, qu'il luy plaira employer cy aprés, pour la conservation desdictes descouvertures pourront eviter selon la cognoissance que leur en donneront les cartes contenues en ce traicté, qui servira d'exemplaire en vostre Royaume, pour servir à vostre Majesté, à l'augmentation de sa gloire, au bien de ses subjects, & à l'honneur du service tres-humble que doit à l'heureux accroissement de vos jours.

SIRE.

Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject.

CHAMPLAIN.

v/137



A LA ROYNE REGENTE
MERE DU ROY.

ADAME,

Entre tous les arts les plus utiles & excellens, celuy de naviguer m'a tousjours semblé tenir le premier lieu: Car d'autant plus qu'il est hazardeux & accompagné de mille périls & naufrages, d'autant plus aussi est-il estimé & relevé par dessus tous, n'estant aucunement convenable à ceux qui manquent de courage & asseurance. Par cet art nous avons la cognoissance de diverses terres, régions, & Royaumes. Par iceluy nous attirons & apportons en nos terres toutes sortes de richesses, par iceluy l'idolâtrie du Paganisme est renversé, & le Christianisme annoncé par tous les endroits de la terre. C'est cet art qui m'a dés mon bas aage attiré à l'aimer, & qui m'a provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes impetueuses de l'Océan, & qui m'a fait naviger & costoyer une partie des terres de l'Amérique & principalement de la Nouvelle France, où j'ay tousjours en desir d'y faire fleurir le Lys avec l'unique Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce que je croy à present faire avec l'aide de Dieu, estant assisté de la faveur de vostre Majesté, laquelle je supplie tres-humblement de continuer à nous maintenir, afin que tout reussisse à l'honneur
vi/138 de Dieu, au bien de la France & splendeur de vostre Regne, pour la grandeur & prosperité duquel, je prierai Dieu, de vous assister tousjours de mille benedictions & demeureray.

MADAME,

Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject.

CHAMPLAIN.



vii/139

AUX FRANÇOIS, SUR LES
voyages du sieur de Champlain.

STANCES.

La France estant un jour à bon droit irritée

De voir des estrangers l'audace tant vantée,

Voulans comme ranger la mer à leur merci,

Et rendre injustement Neptune tributaire

Estant commun à tous; ardente de cholere

Appella ses enfans, & les tançoit ainsi.

2

Enfans, mon cher soucy, le doux soin de mon ame,

Quoy? l'honneur qui espoint d'une si douce flamme,

Ne touche point vos coeurs? Si l'honneur de mon nom

Rend le vostre pareil d'éternelle memoire,

Si le bruit de mon los redonde à vostre gloire,

Chers enfans, pouvés vous trahir vostre renom?

3

Je voy de l'estranger l'insolente arrogance,

Entreprenant par trop, prendre la jouissance

De ce grand Océan, qui languit aprés vous,

Et pourquoy le desir d'une belle entreprise

Vos coeurs comme autresfois n'espoinçonne & n'attise?

Tousjours un brave coeur de l'honneur est jaloux.

4

Apprenés qu'on a veu les Françoises armées

De leur nombre couvrir les pleines Idumées,

L'Afrique quelquefois a veu vos devanciers,

L'Europe en a tremblé, & la fertile Asie

En a esté souvent d'effroy toute saisie,

Ces peuples sont tesmoins de leurs actes guerriers.

5

viii/140

Ainsi moy vostre mere en armes si féconde

J'ay fait trembler soubs moy les trois parts de ce monde.

La quarte seulement mes armes n'a gousté.

C'est ce monde nouveau dont l'Espagne rostie.

Jalouse de mon los, seule se glorifie,

Mon nom plus que le sien y doit estre planté.

6

Peut estre direz vous que mon ventre vous donne

Ce que pour estre bien, Nature vous ordonne,

Que vous avez le Ciel clément & gracieux,

Que de chercher ailleurs se rendre à la fortune,

Et plus se confier à une traistre Neptune,

Ce seroit s'hazarder sans espoir d'avoir mieux.

7

Si les autres avoyent leurs terres cultivées,

De fleuves & ruisseaux plaisamment abbreuvées

Et que l'air y fut doux: sans doute ils n'auroyent pas

Dans ce pays lointain porté leur renommée

Que foible on la verroit dans leurs murs enfermée

Mais pour vaincre la faim, on ne craint le trespas.

8

Il est vray chers enfans, mais ne faites vous compte

De l'honneur, qui le temps & sa force surmonte?

Qui seul peut faire vivre en immortalité?

Ha! je sçay que luy seul vous plaist pour recompense,

Allés donc courageux, ne souffrez, ceste offense,

De souffrir tels affrons, ce ferait lascheté.

9

Je n'en sentirois pas la passion si forte,

Si nature n'ouvroit à ce dessein la porte,

Car puis qu'elle a voulu me bagner les costés

De deux si larges mers: c'est pour vous faire entendre

Que guerriers il vous faut mes limites estendre

Et rendre des deux parts les peuples surmontés.

10

ix/141

C'est trop, c'est trop long temps se priver de l'usage,

D'un bien que par le Ciel vous eustes en partage,

Allés donc courageux, faites bruire mon los,

Que mes armes par vous en ce lieu soyent portées

Rendés par la vertu les peines surmontées

L'honneur est tant plus grand que moindre est le repos.

11

Ainsi parla la France: & les uns approuverent

Son discours, par les cris qu'au Ciel ils eslevèrent,

D'autres faisoient semblant de louer son dessein,

Mais nul ne s'efforçait de la rendre contente,

Quand Champlain luy donna le fruit de son attente.

Un coeur fort généreux ne peut rien faire en vain.

12

Ce dessein qui portait tant de peines diverses,

De dangers, de travaux, d'espines de traversés,

Luy servit pour monstrer qu'une entière vertu

Peut rompre tous efforts par sa perseverance

Emporter, vaincre tout: un coeur plein de vaillance

Se monstre tant plus grande plus il est combattu.

13

François, chers compagnons, qu'un beau desir de gloire

Espoinçonnant vos coeurs, rende vostre mémoire

Illustrée à jamais; venez braves guerriers,

Non non ce ne sont point des esperances vaines.

Champlain a surmonté les dangers & les peines:

Venés pour recueillir mille & mille lauriers.

14

HENRY mon grand Henry à qui la destinée

Impiteuse a trop tost la carrière bornée,

Si le Ciel t'eust laissé plus long temps icy bas,

Tu nous eusses assemblé la France avec la Chine:

Tu ne méritais moins que la ronde machine,

Et l'eussions veu courber sous l'effort de ton bras.

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x/142

Et toy sacré fleuron, digne fils d'un tel Prince,

Qui luit comme un soleil aux yeux de ta Province,

Le Ciel qui te reserve à un si haut dessein,

Face un jour qu'arrivant l'effect de mon envie,

Je verse en t'y servant & le sang, & la vie,

Je ne quiers autre honneur si tel est mon destin.

16

Tes armes ô mon Roy, ô mon grand Alexandre!

Iront de tes vertus un bon odeur espandre

Au couchant & levant. Champlain tout glorieux

D'un desir si hautain ayant l'ame eschauffée

Aux fins de l'Océan plantera ton trophée,

La grandeur d'un tel Roy doit voler jusqu'aux Cieux.


L'ANGE Paris.



xi/143

A MONSIEUR DE CHAMPLAIN
Sur son livre & ses cartes marines.

ODE.

Que desire tu voir encore

Curieuse témérité:

Tu cognois l'un & l'autre More,

En ton cours est-il limité?

En quelle coste reculée

N'es-tu pas sans frayeur allée?

Et ne sers tu pas de raison?

Que l'ame est un feu qui nous pousse,

Qui nous agite et se courouce

D'estre en ce corps comme en prison?

Tu ne trouves rien d'impossible,

Et mesme le chemin des Cieux

À peine reste inaccessible

A ton courage ambitieux.

Encore un fugitif Dédale,

Esbranlant son aisle inégale

Eut l'audace d'en approcher,

Et ce guerrier qui de la nue

Vid la jeune Andromede nue

Preste à mourir sur le rocher.

Que n'ay je leur aisle asseurée,

Ou celle du vent plus léger,

Ou celles des fils de Borée

Ou l'Hippogriphe de Roger.

Que ne puis-je par characteres

Parfums & magiques mysteres

Courir l'un & l'autre Element.

Et quand je voudrais l'entreprendre

Aussi-tost qu'un daimon me rendre

Au bout du monde en un moment.

xii/144

Non point qu'alors je me promette

D'aller au sejour eslevé

Qu'avec une longue lunette

On a dans la lune trouvé;

Ny d'apprendre si les lumières

D'esclairer au ciel coustumieres,

Et qui sont nos biens & nos maux,

D'humides vapeurs sont nourries,

Comme icy bas dans les prairies

D'herbe on nourit les animaux.

Mais pour aller en asseurance

Visiter ces peuples tous nuds

Que la bien heureuse ignorance

En long repos a maintenus.

Telle estoit la gent fortunée

Au monde la première née,

Quand le miel en ruisseaux fondoit

Au sein de la terre fleurie

Et telle se voit l'Hetrurie

Lors que Saturne y commandoit.

Quels honneurs & quelles louanges

Champlain ne doit point esperer,

Qui de ces grands pays estranges

Nous a sçeu le plan figurer

Ayant neuf fois tenu la sonde

Et porté dans ce nouveau monde

Son courage aveugle aux dangers,

Sans craindre des vents les haleines

Ny les monstrueuses Baleines

Le butin des Basques légers.

Esprit plus grand que la fortune

Patient & laborieux.

Tousjours soit propice Neptune

A tes voyages glorieux.

Puisses tu d'aage en aage vivre,

Par l'heureux effort de ton livre:

Et que la mesme éternité

Donne tes chartes renommées

D'huile de cèdre perfumées

En garde à l'immortalité.


Motin.

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SOMMAIRES DES CHAPITRES

LIVRE PREMIER

Auquel sont descrites les descouvertures de la coste d'Acadie & de la Floride.

L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à recercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont point réussi. Resolution des François à cet effect. Entreprise du sieur de Mons. Sa commission, & revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons. Chap. I.

Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton, de la Heve: Du port au Mouton: Du port du cap Negre: Du cap & Baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle longue: De la baye saincte Marie: Du port saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de ceste coste. Chap. II.

Description du port Royal & des particularitez d'iceluy. De l'isle haute. Du port aux Misnes. De la grande baye Françoise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux Misnes jusques à icelle. De l'isle appellée par les Sauvages Methane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste. Chap. III.

Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrestée, que l'isle de saincte Croix, la fortifie & y fait des logemens. Retour des vaisseaux en France, & de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à quelques affaires. Chap. IV.

De la coste, peuples & rivieres de Norembeque, & de tout ce qui s'est passé durant les descouvertures d'icelle. Chap. V.

Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes Sauvages passent le temps durant l'hyver: & tout ce qui se passe en l'habitation durant l'hyvernement. Chap. VI.

Descouvertures de la coste des Almouchiquois, jusques au 42e degré de latitude: & des particularités de ce voyage. Chap. VII.

Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce que nous y avons remarqué de particulier. Chap. VIII.

Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois. Chap. IX.

L'habitation qui estoit en l'isle de saincte Croix transportée au port Royal, & pourquoy. Chap. X.

Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusques à ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partit du port Royal pour retourner en France. Chap. XI.

Partement du Port Royal, pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrousser chemin. Chap. XII.

Le sieur de Poitrincourt part du port Royal, pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vit, & ce qui y arriva jusques à Malebarre. Chap. XIII.

Continuation des susdites descouvertures, & ce qui y fut remarqué de singulier. Chap. XIV.

L'incommodité du temps, ne permettant pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation: & ce qui nous arriva jusques à icelle. Chap. XV.

xiv/146Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement. Chap. XVI.

Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous tes gens. Chap. XVII.


LIVRE SECOND

Auquel sont descrits les voyages faits au grand fleuve sainct Laurens, far le sieur de Champlain.

Resolution du sieur de Mons, pour faire les descouvertures par dedans les terres: sa commission & enfrainte d'icelle, par des Basques, qui desarmerent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accord qu'ils firent après entre eux. Chap. I.

De la riviere de Saguenay, & des Sauvages, qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orléans, & de tout ce que nous y avons remarqué de singulier. Chap. II.

Arrivée à Québec, où nous fismes nos logemens. Sa situation. Conspiration contre le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire. Chap. III.

Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement, & du lieu où sejourna Jaques Quartier en l'an 1535. Chap. IV.

Semences & vignes plantées à Québec. Commencement de l'yver & des glaces. Extresme necessité de certains sauvages. Chap. V.

Maladie de la terre à Québec. Le suject de l'hyvernement. Description dudit lieu. Arrivée du sieur de Marais, gendre de Pont-gravé, audit Québec Chap. VI.

Partement de Québec jusques à l'isle saincte Esloy, & de la rencontre que j'y fis des sauvages Algoumequins, & Ochatequins. Chap. VII.

Retour à Québec: & depuis continuation avec les sauvages jusques au saut de la riviere des Yroquois. Chap. VIII.

Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Yroquois. Chap. IX.

Retour de la Bataille & ce qui se passa par le chemin. Chap. X.

Retour en France & ce qui se passa jusques au rembarquement. Chap. XI.


SECOND VOYAGE DU SIEUR de Champlain.

Partement de France pour retourner en la nouvelle France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation. Chap. I.

Partement de Québec pour aller assister nos sauvages alliez à la guerre contre les Yroquois leurs ennemis & tout ce qui se passa jusques à nostre retour en l'habitation. Chap. II.

Retour en France. Rencontre d'une Baleine & de la façon qu'on les prent Chap. III.

xv/147

LE TROISIESME VOYAGE DU sieur de Champlain en l'année 1611.

Partement de France pour retourner en la Nouvelle France. Les dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation. Chap. I.

Descente à Quebec pour faire raccommoder la barque. Partement dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages & recognoistre un lieu propre pour une habitation. Chap. II.

Deux cens sauvages rameinent le François qu'on leur avoit baillé, & remmenèrent leur sauvage qui estoit retourné de France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. III.

Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de Mons & ses associés les sieurs Colier & le gendre de Rouen. Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la nouvelle France. Chap. IV.

Intelligence des deux cartes Geografiques de la nouvelle France.

xvi/148Plus est adjouté le voyage à la petite carte du destroit qu'ont trouvé les Anglois au dessus de Labrador depuis le 53e degré de latitude, jusques au 63e qu'ils ont descouvert en ceste presente année 1612. pour trouver un passage d'aller à la Chine par le Nort, s'il leur est possible: & ont hyverné au lieu où est ceste marque, Q. Ce ne fut pas sans avoir beaucoup enduré de froidures, & furent contraincts de retourner en Angleterre: ayans laissé leur chef dans les terres du Nort, & depuis six mois, trois autres vaisseaux sont partis pour pénétrer plus avant, s'ils peuvent, & par mesmes moyens voir s'ils trouveront les hommes qui ont esté delaissez audict pays.


EXTRAIT DU PRIVILEGE.

ar lettres patentes du Roy données à Paris, le 9 de janvier, 1613. & de nostre règne le 3, par le Roy en son conseil PERREAU: & scellées en cire jaune sur simple queue, il est permis à JEAN BERJON, Imprimeur & Libraire en ceste ville de Paris, imprimer ou faire imprimer par qui bon luy semblera un livre intitulé. Les Voyages de Samuel de Champlain Xainctongeois, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine, etc. pour le temps & terme de six ans entiers & consecutifs à commencer du jour que ledit livre aura esté achevé d'imprimer, jusques audit temps de six ans. Estant semblablement fait deffenses par les mesmes lettres, à tous Imprimeurs, marchans Libraires, & autres quelconques, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre ou distribuer ledit livre durant ledit temps, sans l'exprès contentement dudit BERJON, ou de celuy à qui il en aura donné permission, sur peine de confiscation desdicts livres la part qu'ils seront trouvez, & d'amende arbitraire, comme plus à plein est déclaré esdictes lettres.




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LES VOYAGES

DU SIEUR DE CHAMPLAIN
XAINTONGEOIS, CAPITAINE
ordinaire pour le Roy,
en la marine.

OU JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és descouvertures de la nouvelle France: tant en la description des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs declinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des peuples, leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer: enrichi de quantité de figures.

Ensemble deux cartes géographiques: la première servant à la navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien, avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la Chine.



LIVRE PREMIER



2/150

L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à rechercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont pas reussy. Resolution des François à cet effect. Entreprise du sieur de Mons: sa commission, revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons pour continuer son entreprise.

CHAPITRE I.

elon la diversité des humeurs les inclinations sont différentes: & chacun en sa vacation a une fin particuliere. Les uns tirent au proffit, les autres à la gloire, & aucuns au bien public. Le plus grand est au commerce, & principalement celuy qui se faict sur la mer. De là vient le grand soulagement du peuple, l'opulence & l'ornement des republiques. C'est ce qui a eslevé l'ancienne Rome à la Seigneurie & domination de tout le monde. Les Vénitiens à une grandeur esgale à celle des puissans Roys. De tout temps il a fait foisonner en richesses les villes maritimes, dont Alexandrie & Tyr sont si célèbres: & une infinité d'autres, lesquelles remplissent le profond des terres aprés que les nations estrangeres leur ont envoyé ce qu'elles ont de beau & de singulier. C'est pourquoy plusieurs Princes se sont efforcez de trouver par le Nort, le chemin de la Chine, afin de faciliter le commerce avec les Orientaux, esperans que ceste route seroit plus brieve & moins perilleuse.

En l'an 1496, le Roy d'Angleterre commit à ceste recherche Jean Chabot1 & Sebastien son fils. Environ le mesme temps Dom Emanuel Roy de Portugal y envoya Gaspar Cortereal, qui retourna sans avoir trouvé ce qu'il pretendoit: & l'année d'après reprenant les mesmes erres, ils mourut en l'entreprise, comme fit Michel son frère qui la continuoit obstinément. Es années 1534. & 1535, Jacques Quartier 2 eut pareille commission du 3/151Roy François I, mais il fut arresté en sa course. Six ans après le sieur de Roberval l'ayant renouvelée, envoya Jean Alfonce Xaintongeois plus au Nort le long de la coste de Labrador, qui en revint aussi sçavant que les autres. Es années 1576, 1577 & 1578 Messire Martin Forbicher3 Anglois fit trois voyages suivant les costes du Nort. Sept ans après Hunfrey Gilbert 4 aussi Anglois partit avec cinq navires, & s'en alla perdre sur l'isle de Sable, où demeurèrent trois de ses vaisseaux. En la mesme année 5, & és deux suivantes Jean Davis Anglois fit trois voyages pour mesme subject, & pénétra soubs les 72 degrez, & ne passa pas un destroit qui est appelé aujourdhui de son nom. Et depuis luy le Capitaine Georges en fit aussi un en l'an 1590, qui fut contraint à cause des glaces, de retourner sans avoir rien descouvert. Quant aux Holandois ils n'en ont pas eu plus certaine cognoissance à la nouvelle Zemble.

Note 1: (retour)

La commission fut donnée nommément à Jean Cabot et à ses fils Louis, Sébastien et Sanche, et à leurs héritiers et ayans cause: «Dilectis nobis Ioanni Caboto, civi Venetiarum, Ludovico, Sebastiano & Sancio filiis dicti Ioannis, & eorum ac cujuslibet eorum haeredibus ac deputatis...» (Mémoires des Commissaires, t. II, p. 409). Cette commission est datée du 5 mars de la onzième année du règne de Henri VII. Or Henri fut couronné le 30 octobre 1485. La commission est donc du 5 mars 1496, suivant le style nouveau, et 1495 suivant l'ancien style, Pâques tombant cette année le 1er avril.

Note 2: (retour)

L'auteur, dans la relation de son voyage de 1603, écrit Jacques Cartier. Il semble que, dans celle-ci, il ait adopté l'orthographe de Lescarbot; cependant le capitaine malouin signait Cartier, comme en font foi les registres de Saint-Malo.

Note 3: (retour)

Sir Martin Frobisher, natif de Doncaster, dans le comté d'York. On peut voir la relation de ses voyages dans Hakluyt, tome III, et la traduction française dans les Voyages au Nord.

Note 4: (retour)

Sir Humphrey Gilbert obtint une commission de la reine d'Angleterre, dès l'année 1578. Mais le premier voyage qu'il entreprit cette année manqua complètement, tant par la désertion d'un grand nombre de ses associés, que par suite d'une violente tempête, qui le força de retourner en Angleterre. En vertu de la même commission, il réalisa enfin, cinq ans plus tard (1583), un voyage aux côtes de l'Amérique, où il périt lui et tous ses compagnons.

Note 5: (retour)

Le premier voyage de Davis eut lieu en 1585.

Tant de navigations & descouvertures vainement entreprises avec beaucoup de travaux & despences, ont fait resoudre noz François en ces dernières années, à essayer de faire une demeure arrestée és terres que nous disons la Nouvelle France, esperans parvenir plus facilement à la perfection de ceste entreprise, 4/152la Navigation commençeant en la terre d'outre l'Océan, le long de laquelle se fait la recherche du passage desiré: Ce qui avoit meu le Marquis de la Roche en l'an 1598,6 de prendre commission du Roy pour habiter ladite terre. A cet effect il deschargea des hommes & munitions en l'Isle de Sable: mais les conditions qui luy avoient esté accordées par sa Majesté lui ayant esté déniées, il fut contraint de quitter son entreprise, & laisser là ses gens. Un an aprez le Capitaine Chauvin en prit une autre pour y conduire d'autres hommes: & peu aprez estant aussi revocquée7, il ne poursuit pas davantage.

Aprez ceux cy8, nonobstant toutes ces variations & incertitudes, le sieur de Mons voulut tenter une chose desesperée: & en demanda commission à sa Majesté: recognoissant que ce qui avoit ruiné les entreprinses précédentes, estait faute d'avoir assisté les entrepreneurs, qui, en un an, ny 5/153deux, n'ont peu recognoistre les terres & les peuples qui y sont: ny trouver des ports propres à une habitation. Il proposa à sa Majesté un moyen pour supporter ces frais sans rien tirer des deniers Royaux, asçavoir, de lui octroyer privativement à tous autres la traitte de peleterie d'icelle terre. Ce que luy ayant esté accordé, il se mit en grande & excessive despence: & mena avec luy bon nombre d'hommes de diverses conditions: & y fit bastir des logemens necessaires pour ses gens: laquelle despence il continua trois années consecutives, aprez lesquelles, par l'envie & importunité de certains marchans Basques & Bretons, ce qui luy avoit esté octroyé, fut revocqué par le Conseil, au grand prejudice d'iceluy sieur de Mons: lequel par telle revocation fut contraint d'abbandonner tout, avec perte de ses travaux & de tous les utensilles dont il avoit garny son habitation.

Note 6: (retour)

«Lescarbot et Champlain,» dit M. Ferland, en parlant de l'entreprise du marquis de la Roche (Cours d'Histoire du Canada, I, p. 60), «tenaient leurs renseignements du sieur de Poutrincourt. Nous préférons suivre Bergeron, qui écrivait vers le même temps, parce que la vérité de son récit est confirmée par une notice sur le marquis de La Roche, insérée dans la Biographie Générale des Hommes Illustres de la Bretagne.» Voici ce que dit Bergeron à ce sujet: «Le Marquis de la Roche donc étant allé, suivant sa première commission» (1578), «dés le temps de Henri III, en l'ile de Sable, & voulant découvrir davantage, il fut rejeté par la violence du vent en moins de douze jours jusqu'en Bretagne, où il fut retenu prisonnier cinq ans» (ou plus de sept, suivant M. Pol de Courcy) «par le duc de Mercoeur. Cependant les gens qu'il avoit laissé en l'île de Sable, ne vécurent tout ce temps-là que de pèche, & de quelques vaches & autres bêtes provenant de celles que dés l'an 1518 le baron de Lery y avoit laissées. Enfin le marquis étant délivré de prison, comme il eut conté au Roy son adventure, le pilote Chef-d'hotel eut commandement allant aux terres neuves, de recueillir ces pauvres gens; ce qu'il fit, & n'en trouva que douze de reste, qu'il ramena en France. Mais le Marquis aiant obtenu sa seconde commission» (1598) «ne peut continuer ces voyages, prévenu de mort bientôt après.» (Traité de la Navigation, ch. XX.)

Note 7: (retour)

Suivant l'édition de 1632, le sieur Chauvin fit de suite un second voyage, «qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure longtemps sans estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.» (Première partie, ch, VI.)

Note 8: (retour)

En 1603, après la mort du commandeur de Chastes.

Mais comme il eut fait raport au Roy de la fertilité de la terre; & moy du moyen de trouver le passage de la Chine9, sans les incommoditez des glaces du Nort, ny les ardeurs de la Zone torride, soubs laquelle nos mariniers passent deux fois en allant & deux fois en retournant, avec des travaux & périls incroyables, sa Majesté commanda 10 au sieur de Mons de faire nouvel équipage & renvoyer des hommes pour continuer ce qu'il avoit commencé. Il le fit. Et pour l'incertitude de sa commission il changea de lieu, afin d'oster aux envieux 6/154l'ombrage qu'il leur avoit apporté; meu aussi de l'esperance d'avoir plus d'utilité au dedans des terres où les peuples sont civilisez, & est plus facile de planter la foy Chrestienne & establir un ordre comme il est necessaire pour la conservation d'un païs, que le long des rives de la mer, où habitent ordinairement les sauvages: & ainsi faire que le Roy en puisse tirer un proffit inestimable: Car il est aisé à croire que les peuples de l'Europe rechercheront plustost cette facilité que non pas les humeurs envieuses & farouches qui suivent les costes & les barbares.

Note 9: (retour)

L'auteur, à cette époque, n'avait encore «sur la fin de la grande riviere de Canada» que les renseignements qu'il avait pu obtenir de quelques sauvages.

Note 10: (retour)

Il s'agit ici de la commission de 1608.




Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton; De la Héve; Du port au Mouton; Du port du Cap Negre: Du cap & baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle Longue: De la baye saincte Marie: Du port de saincte Marguerite: & de toutes les choses remarcables qui sont le long de cette coste.

CHAPITRE II.

Le sieur de Mons, en vertu de sa commission 11, ayant par tous les ports & havres de ce Royaume fait publier les defences de la traitte de pelleterie à luy accordée par sa Majesté, 7/155amassa environ 120 artisans, qu'il fit embarquer 12 en deux vaisseaux: l'un du port de 120 tonneaux, dans lequel commandoit le sieur de Pont-gravé: & l'autre de 150, où il se mit avec plusieurs gentilshommes.

Note 11: (retour)

Cette première commission de M. de Mons est du 8 novembre 1603. Elle est citée par Lescarbot, liv. IV, ch. I.

Note 12: (retour)

Lescarbot donne, sur cet embarquement, quelques détails de plus: «Le sieur de Monts,» dit-il, liv. IV, ch. II, «fit équipper deux navires, l'un souz la conduite du Capitaine Timothée du Havre de Grâce, l'autre du Capitaine Morel de Honfleur. Dans le premier il se mit avec bon nombre de gens de qualité tant gentils-hommes qu'autres... Et le sieur de Poutrincourt s'embarqua avec ledit sieur de Monts, & quant & lui fit porter quantité d'armes & munitions de guerre.»

Le septiesme d'Avril mil six cens quatre, nous partismes du Havre de grace, & Pont-gravé le 10, qui avoit le rendes-vous à Canceau13 20 lieues du cap Breton 14. Mais comme nous fusmes en pleine mer le sieur de Mons changea d'advis & prit sa route vers le port au Mouton, à cause qu'il est plus au midy, & aussi plus commode pour aborder, que non pas Canceau.

Note 13: (retour)

Ce mot, que les Anglois écrivent Canso, est d'origine sauvage, suivant Lescarbot.

Note 14: (retour)

Il s'agit ici du cap qui a donné son nom à l'île du Cap-Breton, «En cette terre,» dit Thévet (Grand Insulaire), «il y a une province nommée Campestre de Berge, qui tire au Sud-Est: en ceste province gist à l'est le cap ou promontoire de Lorraine, ainsi par nous nommé; & autres lui ont donné le nom de Cap des Bretons, à cause que c'est là que les Bretons, Biscains & Normands vont & costoyent allans en terre-neuve pour pescher des moluës.»

Le premier de May nous eusmes cognoissance de l'isle de Sable, où nous courusmes risque d'estre perduz par la faute de nos pilotes qui s'estoient trompez en l'estime qu'ils firent plus de l'avant que nous n'estions de 40 lieues.

Ceste isle est esloignée de la terre du cap Breton de 30 lieues, nort & su, & contient environ 15 lieues. Il y a un petit lac. L'isle est fort sablonneuse & ny a point de bois de haute futaie, se ne sont que taillis & herbages que pasturent des boeufz & des vaches que les Portugais y portèrent il y a plus de 60 ans, qui servirent beaucoup aux gens du Marquis de la Roche: qui en plusieurs années qu'ils y sejournerent prirent grande quantité de fort beaux renards noirs, dont ils conserverent bien soigneusesment les peaux. Il y a force loups 8/156marins de la peau desquels ils s'abillerent ayans tout discipé leurs vestemens. Par ordonnance de la Cour de Parlement de Rouan il y fut envoié un vaisseau pour les requérir: les conducteurs firent la pèche de mollues en lieu proche de ceste isle qui est toute batturiere és environs.

Le 8 du mesme mois nous eusmes cognoissance du Cap de la Héve, à l'est duquel il y a une Baye15 où sont plusieurs Isles couvertes de sapins; & à la grande terre de chesnes, ormeaux & bouleaux. Il est joignant la coste d'Accadie par les 44 degrez & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de declinaison de la guide-aimant, distant à l'est nordest du Cap Breton 85 lieues, dont nous parlerons cy aprez.

Note 15: (retour)

Cette baie est formée par l'embouchure de la rivière de La Hève.

Le 12 de May nous entrasmes dans un autre port, à 5 lieues du cap de la Héve, où nous primes un vaisseau qui faisoit traitte de peleterie contre les defences du Roy. Le chef s'appeloit Rossignol,16 dont le nom en demeura au port, qui est par les 44 degrez & un quart de latitude.

Note 16: (retour)

Le port Rossignol porte aujourd'hui le nom de Liverpool.

Le 13 de May nous arrivasmes à un très-beau port, où il y a deux petites rivieres, appelé le port au Mouton 17, qui est à sept lieues de celuy du Rossignol. Le terroir est fort pierreux, rempli de taillis & bruyères. Il y a grand nombre de lappins, & quantité de gibier à cause des estangs qui y sont. Aussi tost que nous fusmes desembarquez, chacun commença à 9/157faire des cabannes selon sa fantaisie, sur une pointe à l'entrée du port auprès de deux estangs d'eau douce. Le sieur de Mons en mesme temps depescha une chalouppe, dans laquelle il envoya avec des lettres un des nostres, guidé d'aucuns sauvages, le long de la coste d'Accadie, chercher Pont-gravé, qui avoit une partie des commoditez necessaires pour nostre hyvernement. Il le trouva à la Baye de Toutes-isles fort en peine de nous (car il ne sçavoit point qu'on eut changé d'advis) & luy presenta ses lettres. Incontinent qu'il les eut leuës, il s'en retourna vers son navire à Canceau, où il saisit quelques vaisseaux Basques qui faisoyent traitte de pelleterie, nonobstant les defences de sa Majesté; & en envoya les chefs au sieur de Mons: Lequel ce pendant me donna la charge d'aller recognoistre la coste, & les ports propres pour la seureté de nostre vaisseau.

Note 17: (retour)

Lequel ils appelèrent ainsi, dit Lescarbot, «à l'occasion d'un mouton qui s'étant noyé revint à bord, & fut mangé de bonne guerre.» Il n'est qu'à trois petites lieues du port du Rossignol.

156b

Port de la Haie

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Le lieu où les vaisseaux mouillent l'ancre.

B Une petite riviere (1) qui asseche de basse mer.

C Les lieux où les sauvages cabannent(2).

D Une basse à l'entrée du port (3).

E Une petite isle couverte de bois.

F Le Cap de la Héve (4).

G Une baye où il y a quantité d'isles couvertes de bois.

H Une riviere qui va dans les terres 6 ou 7, lieues, avec peu d'eau.

I Un estang proche de la mer.

(1) La petite rivière de Chachippé, ou simplement La Petite-Rivière. Quelques auteurs ont étendu ce nom au port lui-même, et, d'après une lettre du P. Biard, La Hève aurait encore été appelé port Saint-Jean.—(2) Cette lettre C manque dans la carte; mais le dessin des cabanes y supplée.—(3) La lettre D manque; mais la basse est suffisamment reconnaissable.—(4) Cette lettre, dont le graveur a fait un E, doit être à la pointe de l'île la plus avancée du côté du large, au moins suivant la tradition; mais, comme l'auteur place le port de la Hève à l'entrée de la Petite-Rivière, il semble que ce qu'il appelle cap La Hève est la pointe la plus rapprochée de l'entrée de ce port.

156c

Port du Rossignol

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Riviere qui va 25 lieues dans les terres.

B Le lieu où ancrent les vaisseaux.

C Place à la grande terre où les sauvages font leur logement.

D La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre en attendant la marée.

E L'endroit où les sauvages cabannent dans l'isle.

F Achenal qui asseche de basse mer.

G La coste de la grande terre.

Ce qui est piquoté démontre les basses.

Desirant accomplir sa volonté je partis du port au Mouton le 19 de May, dans une barque de huict tonneaux, accompaigné du sieur Raleau son Secrétaire, & de dix hommes. Allant le long de la coste nous abordâmes à un port très-bon pour les vaisseaux, où il y a au fonds une petite riviere qui entre assez avant dans les terres, que j'ay appelé le port du cap Negre, à cause d'un rocher qui de loing en a la semblance, lequel est eslevé sur l'eau proche d'un cap où nous passames le mesme jour, qui en est à quatre lieues, & à dix du port au Mouton. Ce cap est fort dangereux à raison des rochers qui jettent à la mer. Les costes que je vis jusques là sont fort basses couvertes de pareil bois qu'au cap de la Héve, & les isles toutes remplies de gibier. 10/158Tirant plus outre nous fusmes passer la nuict à la Baye de Sable 18, où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre sans aucune crainte de danger.

Le lendemain nous allâmes au cap de Sable, qui est aussi fort dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent presque une lieue à la mer. Il est à deux lieues de la baye de Sable, où nous passames la nuict précédente. De là nous fusmes en l'isle aux Cormorans 19, qui en est à une lieue, ainsi appelée à cause du nombre infini qu'il y a de ces oyseaux, où nous primes plein une barrique de leurs oeufs. Et de ceste isle nous fismes l'ouest environ six lieues travarsant une baye 20 qui fuit au Nort deux ou trois lieues: puis rencontrasmes plusieurs isles21 qui jettent 2 ou trois lieues à la mer, lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la pluspart fort dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à cause des grandes marées, & des rochers qui sont à fleur d'eau. Ces isles sont remplies de pins, sapins, boulleaux & de trembles, un peu plus outre, il y en a encore quatre. En l'une nous vismes si grande quantité d'oiseaux appelez tangueux22, que nous les tuyons aisement à coups de baston. En une autre nous trouvâmes le rivage tout couvert de loups marins, desquels nous primes autant que bon nous sembla. Aux deux autres il y a 11/159une telle abondance d'oiseaux de différentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer si l'on ne l'avoit veu, comme Cormorans, Canards de trois sortes, Oyees, Marmettes Outardes, Perroquets de mer, Beccacines, Vaultours, & autres Oyseaux de proye: Mauves, Allouettes de mer de deux ou trois especes; Hérons, Goillans, Courlieux, Pyes de mer, Plongeons, Huats23, Appoils24, Corbeaux, Grues, & autres sortes que je ne cognois point, lesquels y font leurs nyds. Nous les avons nommées, isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de latitude, distantes de la terre ferme ou Cap de Sable de quatre à cinq lieues. Après y avoir passé quelque temps au plaisir de la chasse (& non pas sans prendre force gibier) nous abordâmes à un cap qu'avons nommé le port Fourchu 25; d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups marins cinq à six lieues. Ce port est fort bon pour les vaisseaux en son entrée: mais au fonds il asseche presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, toute environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez aggreable. La pesche de morues y est bonne auprès du port. Partant de là nous fismes le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour les vaisseaux, sinon quantité d'ances ou playes tresbelles, dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois y sont tres-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sappins. Ceste coste est fort seine, sans isles, rochers ne basses: de 12/160sorte que selon nostre jugement les vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste, nous fusmes à une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui git nort nordest, & sur surouest, laquelle faict passage pour aller dedans la grande baye Françoise 26, ainsi nommée par le sieur de Mons.

Note 18: (retour)

Aujourd'hui baie de Barrington.

Note 19: (retour)

Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de Shag Island.

Note 20: (retour)

Cette baie est appelée un peu plus loin la baie Courante, et ce que l'auteur dit ici, en parlant des îles de Tousquet, nous donne la raison qui a fait donner ce nom à la baie: c'est qu'elle est «dangereuse aux grands vaisseaux à cause des grandes marées,» et de la violence des courants. Elle porte aujourd'hui le nom de baie de Townsend.

Note 21: (retour)

Les îles de Tousquet.

Note 22: (retour)

De là le nom d'île aux Tangueux que lui donne l'auteur dans la carte de 1632.

Note 23: (retour)

Pour Huars, Huards.

Note 24: (retour)

Suivant Vieillot, Apoa est une espèce de canard.

Note 25: (retour)

Le cap Fourchu.

Note 26: (retour)

Aujourd'hui la baie de Fundy. Cette baie paraît avoir porté le nom de Norembègue, comme nous verrons plus loin, p. 31 note 4. «On ne peut deviner,» dit M. Ferland (Cours d'Histoire, I, p. 65, note 2) «pourquoi les Anglais l'ont nommée baie de Fundy. Auraient-ils traduit par Bay of Fundy les mots que portent d''anciennes cartes: Fond de la Baie?»

Ceste isle est de six lieues de long: & a en quelques endroicts prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement. Elle est remplie de quantité de bois, comme pins & boulleaux. Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux: & n'y a point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle quelques petites retraites pour des chalouppes, & trois ou quatre islets de rochers, où les sauvages prennent force loups marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit passage de l'isle, qui est tort dangereux pour les vaisseaux s'ils vouloyent se mettre au hasard de le passer.

Du passage de l'isle Longue fismes le nordest deux lieues, puis trouvâmes une ance où les vaisseaux peuvent ancrer en seureté, laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent tresbonne, selon le raport du mineur maistre Simon, qui estoit avec moy. A quelques lieues plus outre est aussi une petite riviere, nommée du Boulay, où la mer monte demy lieue dans les 13/161terres à l'entrée de laquelle il y peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle, il y a un port bon pour les vaisseaux où nous trouvâmes une mine de fer que nostre mineur jugea rendre cinquante pour cent27. Tirant trois lieux plus outre au nordest, nous vismes une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a une riviere environnée de belles & aggreables prairies. Le terroir d'allentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus avant il y a encore une autre riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour duquel y a nombre de prez & de bonnes terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantité de beaux arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Cette baye peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds quelque six lieues. Toute la coste des mines est terre assez haute, decouppée par caps, qui paroissent ronds, advançans un peu à la mer. De l'autre costé de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes, où il y a un fort bon port, & en son entrée un banc par où il faut passer, qui a de basse mer brasse & demye d'eau, & l'ayant passé on en trouve trois & bon fonds. Entre les deux pointes du port il y a un islet de caillons qui couvre de plaine mer. Ce lieu va demye lieue dans les terres. La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moulles coques & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu. 14/162J'ay nommé ce port, le port saincte Marguerite 28. Toute ceste coste du suest est terre beaucoups plus basse que celle des mines qui ne sont qu'à une lieue & demye de la coste du port de saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce lieu, & la trouvé par les 45 degrez & demy, & un peu plus de latitude29, & 17 degrez 16 minuttes de declinaison de la guide-aymant.

Note 27: (retour)

«Il y a de la mine de fer & d'argent,» dit Lescarbot; «mais elle n'est point abondante, selon l'épreuve qu'on en a fait par delà & en France.» (Liv. IV, ch. III.)

Note 28: (retour)

Dans sa carte de 1632, l'auteur indique le port de Sainte-Marguerite à peu près en face du Petit-Passage de l'île Longue. Il lui donna ce nom parce qu'il y entra probablement le 10 de juin, jour de la fête de sainte Marguerite.

Note 29: (retour)

Le fond de la baie Sainte-Marie n'est guère au-delà de 44° et demi, même suivant la grande carte de l'auteur.

Après avoir recogneu le plus particulierement qu'il me fut possible les costes ports & havres, je m'en retourné au passage de l'isle Longue sans passer plus outre, d'où je revins par le dehors de toutes les isles, pour remarquer s'il y avoit point quelques dangers vers l'eau: mais nous n'en trouvâmes point, sinon aucuns rochers qui sont à prés de demye lieue des isles aux loups marins, que l'on peut esviter facilement: d'autant que la mer brise par dessus. Continuant nostre voyage, nous fusmes surpris d'un grand coup de vent qui nous contraignit d'eschouer nostre barque à la coste, où nous courusmes risque de la perdre: ce qui nous eut mis en une extresme peine. La tourmente estant cessée nous nous remismes en la mer: & le lendemain 30 nous arrivasmes au port du Mouton, où le sieur de 15/163Mons nous attendoit de jour en jour ne sachant que penser de nostre sejour, sinon qu'il nous fust arrivé quelque fortune. Je lui fis relation de tout nostre voyage & où nos vaisseaux pouvoyent aller en seureté. Cependant je consideré fort particulièrement ce lieu, lequel est par les 44 degrez de latitude.

Note 30: (retour)

C'était vers la mi-juin. «En ce port,» dit Lescarbot, «ilz

attendirent un mois.» Or on était arrivé au port au Mouton le 13 de mai. «Tandis,» ajoute-t-il, «on envoya Champlein avec une chaloupe plus avant chercher un lieu propre pour la retraite, & tant demeura en cette expédition, que sur la délibération du retour, on le pensa abandonner.» (Liv. IV, ch. II.)

162b

Port au mouton.

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Les lieux où posent les vaisseaux.

B Le lieu où nous fismes nos logemens.

C Un estang.

D Une isle à l'entrée du port, couverte de bois.

E Une rivière qui est assez basse d'eau.

F Un estang(l).

G Ruisseau assez grand qui vient de l'estang f.

H 6 Petites isles qui sont dans le port.

L Campagne où il n'y a que des taillis & bruyères fort petites(2).

M La coste du costé de la mer.

(1) Dans la carte la lettre F est remplacée par f.—(2) La lettre L manque dans la carte; mais le dessin y supplée, l'auteur y ayant représenté des roseaux.

Le lendemain le sieur de Mons fit lever les ancres pour aller à la baye saincte Marie, lieu qu'avions recogneu propre pour nostre vaisseau, attendant que nous en eussions trouvé un autre plus commode pour nostre demeure. Rengeant la coste nous passames proche du cap de Sable & des isles aux loups marins, où le sieur de Mons se délibéra d'aller dans une chalouppe voir quelques isles dont nous luy avions faict récit, & du nombre infini d'oiseaux qu'il y avoit. Il s'y mit donc accompagné du sieur de Poitrincourt & de plusieurs autres gentilshommes en intention d'aller en l'isle aux Tangueux, où nous avions auparavant tué quantité de ces oyseaux à coups de baston. Estant un peu loing de nostre navire il fut hors de nostre puissance de la gaigner, & encore moins nostre vaisseau: car la marée estoit si forte que nous fusmes contrains de relascher en un petit islet, pour y passer celle nuict, auquel y avoit grand nombre de Gibier. J'y tué quelques oyseaux de riviere, qui nous servirent bien: d'autant que nous n'avions pris qu'un peu de biscuit, croyans retourner ce mesme jour. Le lendemain nous fusmes au cap Fourchu, distant de là, demye lieue. Rengeant la coste nous fusmes trouver nostre vaisseau qui estoit en la baye saincte Marie. Nos gens furent fort en peine de nous l'espace de deux jours, craignant qu'il nous fust arrivé quelque 16/164malheur: mais quand ils nous virent en lieu de seureté, cela leur donna beaucoup de resjouissance.

Deux ou trois jours 31 après nostre arrivée, un de nos prestres, appelle mesire Aubry 32, de la ville de Paris, s'esgara si bien dans un bois en allant chercher son espée laquelle il y avoit oublyée, qu'il ne peut retrouver le vaisseau: & fut 17 jours 33 ainsi sans aucune chose pour se substanter que quelques herbes seures & aigrettes comme de l'oseille, & des petits fruits de peu de substance, gros comme groiselles, qui viennent rempant sur la terre. Estant au bout de son rollet, sans esperance de nous revoir jamais, foible & débile, il se trouva du costé de la baye Françoise, ainsi nommée par le sieur de Mons, proche de l'isle Longue, où il n'en pouvoit plus, quand l'une de nos chalouppes allant à la pesche du poisson 34, l'advisa, qui ne pouvant appeller leur faisoit signe avec une gaule au bout de laquelle il avoit mis son chappeau, qu'on l'allast requérir: ce qu'ils firent aussi tost & l'ammenerent. Le sieur de Mons l'avoit faict chercher, tant par les siens que des sauvages du païs, qui coururent tout 17/165le bois & n'en apportèrent aucunes nouvelles. Le tenant pour mort, on le voit revenir dans la chalouppe au grand contentement d'un chacun: Et fut un long temps à se remettre en son premier estat.

Note 31: (retour)

Lescarbot dit:«Après avoir sejourné douze ou treze jours.» Mais, si Messire Nicolas Aubry se perdit pendant qu'on était à la baie Sainte-Marie, et que M. de Monts le fit chercher lui-même, comme le dit l'auteur quelques lignes plus loin, ce ne pouvait être que deux ou trois jours après l'arrivée en cette baie; puisque M. de Monts en partit le l6 de juin, avec la barque (voir ci-après, p. 17), et qu'on ne dut pas y arriver avant le 12 ou le 13, suivant Lescarbot lui-même.

Note 32: (retour)

Nicolas Aubry, «jeune homme d'Église, parisien de bonne famille,» à qui il avait pris envie de faire le voyage avec le sieur de Mons, «& ce, dit-on, contre le gré de ses parents, lesquels envoyèrent exprés à Honfleur pour le divertir & r'amener à Paris.» (Lescarbot, liv. IV, ch. II, et IV.)

Note 33: (retour)

Seize jours, suivant Lescarbot, liv. IV, ch. III.

Note 34: (retour)

Suivant Lescarbot, «comme on étoit après déserter l'ile» (de Sainte-Croix), «Champdoré fut renvoyé à la baie Sainte-Marie avec un maître de mines qu'on y avoit mené pour tirer de la mine d'argent & de fer: ce qu'ilz firent... là où après quelque sejour, allans pécher, ledit Aubri les apperceut...» (Liv. IV, ch. IV.)




Description du Port Royal & des particularités, d'iceluy. De l'isle Haute. Du port aux mines. De la grande baye Françoise. De la riviere S. Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux mines jusques à icelle. De l'isle appelée par les sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de S. Croix: & autres choses remarquables d'icelle coste.

CHAPITRE III.

A quelques jours de là le sieur de Mons se délibéra d'aller descouvrir les costes de la baye Françoise: & pour cet effect partit du vaisseau le 16 de May 35 & passâmes par le destroit de l'isle Longue. N'ayant trouvé en la baye S. Marie aucun lieu pour nous fortiffier qu'avec beaucoup de temps, cela nous fit resoudre de voir si à l'autre il n'y en auroit point de plus propre. Mettant le cap au nordest 6 lieux, il y a une ance où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à 4, 5, 6, & 7. brasses d'eau. Le fonds est Sable. Ce lieu n'est que comme une rade. Continuant au mesme vent deux lieux, nous entrasmes en l'un des beaux ports que j'eusse veu en toutes ces costes, où il 18/166pourroit deux mille vaisseaux en seureté. L'entrée est large de huict cens pas: puis on entre dedans un port qui a deux lieux de long & une lieue de large, que j'ay nommé 36 port Royal, où dessendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande, tirant à l'est, appellée la riviere de l'Equille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un Esplan, qui s'y pesche en quantité, comme aussi on fait du Harang, & plusieurs autres sortes de poisson qui y sont en abondance en leurs saisons. Ceste riviere a prés d'un quart de lieue de large en son entrée, où il y a une isle37, laquelle peut contenir demye lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches, boulleaux, trambles, & quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit nombre. Il y a deux entrées en ladite riviere l'une du costé du nort38: l'autre au su de l'isle 39. Celle du nort est la meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry de l'isle à 5, 6, 7, 8 & 9 brasses d'eau; mais il faut se donner garde de quelques basses qui sont tenant à l'isle, & à la grand terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal.

Note 35: (retour)

On devait être au mois de juin, comme le prouve du reste le nom de Saint-Jean donné à la rivière Ouigoudi. (Voir plus loin, p. 23.)

Note 36: (retour)

«Ledit port pour sa beauté,» dit Lescarbot, «fut appelé LE PORT ROYAL, non par le choix de Champlein, comme il se vante en la relation de ses voyages, mais par le sieur de Monts, Lieutenant du Roy.» (Liv. IV, ch. III.)—N'en déplaise à Lescarbot, le témoignage de Champlain, qui était du voyage, vaut, pour le moins, autant que le sien. Il y a plus: Champlain, dans son édition de 1632, a conservé ce passage tel qu'il était, malgré la remarque de Lescarbot. Du reste, notre auteur ne manque jamais de rendre justice aux autres en pareille matière: c'est ainsi, par exemple, qu'il fait remarquer à plusieurs reprises que la baie Française a reçu son nom de M. de Monts. (Voir ci-dessus, pp. 12 et 16.)

Note 37: (retour)

Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de Biencourville. Elle a été appelée plus tard l'île aux Chèvres.

Note 38: (retour)

La Bonne-Passe.

Note 39: (retour)

La Passe-aux-Fous.

167b

Port-Royal

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu de l'habitation.

B Jardin du sieur de Champlain.

C Allée au travers les bois que fit faire le sieur de Poitrincourt.

D Isle à l'entrée de la riviere de l'Equille (1).

E Entrée du port Royal.

F Basses qui assechent de basse mer.

G Riviere sainct Antoine (2).

H Lieu du labourage où on seme le blé.

I Moulin que fit faire le sieur de Poitrincourt.

L Prairies qui sont innondées des eaux aux grandes marées.

M Riviere de l'Equille.

N La coste de la mer du port Royal.

O Costes de montaignes.

P Isle proche de la riviere sainct Antoine.

Q (3) Ruisseau de la Roche (4).

R Autre Ruisseau.

S Riviere du moulin.

T Petit lac.

V Le lieu où les sauvages peschent le harang en la saison.

X Ruisseau de la truitiere.

Y Allée que fit faire le sieur de Champlain.

(l) Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de Biencourville.—(2) Lescarbot l'appelle rivière Hébert.—(3) q, dans la carte.—(4) Ou rivière de l'Orignac, d'après la carte de Lescarbot.

19/167

Nous fusmes quelques 14 ou 15 lieux où la mer monte, & ne va pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter basteaux: En ce lieu elle contient 60 pas de large, & environ brasse & demye d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes, fresnes & autres bois. De l'entrée de la riviere jusques au lieu où nous fusmes y a nombre de preries, mais elles sont innondées aux grandes marées, y ayant quantité de petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où des chalouppes & batteaux peuvent aller de pleine mer. Ce lieu estoit le plus propre & plaisant pour habiter que nous eussions veu. Dedans le port y a une autre isle40, distante de la première prés de deux lieues, où il y a une autre petite riviere 41 qui va assez avant dans les terres, que nous avons nommée la riviere sainct Antoine. Son entrée est distante du fonds de la baye saincte Marie de quelque quatre lieux, par le travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere ce n'est qu'un ruisseau remply de rochers, où on ne peut monter en aucune façon que ce soit pour le peu d'eau: & a esté nommée, le ruisseau de la roche. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez de latitude 42 & 17 degrez 8 minuttes de declinaison de la guide-ayment.

Note 40: (retour)

Ile d'Hébert. Le sieur Bellin l'appelle île d'Imbert, et les Anglais en ont fait Bear Island.

Note 41: (retour)

Cette rivière, appelée ici Saint-Antoine, a pris le nom d'Hébert dès le temps même de l'auteur, comme l'attestent les cartes de Lescarbot. Mais ce dernier nom a eu le même sort que celui de l'île qui est à son embouchure, et les Anglais l'appellent aujourd'hui Bear River.

Note 42: (retour)

Cette première habitation, qui était au nord du port Royal, à peu près en face du Port-Royal établi plus tard par M. d'Aulnay de Charnisé, était à 44° et trois quarts de latitude. Comme on le voit, c'est ce dernier Port-Royal qui a pris le nom d'Annapolis, et non pas le premier.

Après avoir recogneu ce port, nous en partismes pour aller plus 20/168avant dans la baye Françoise, & voir si nous ne trouverions point la mine de cuivre qui avoit esté descouverte l'année précédente 43. Mettant le cap au nordest huict ou dix lieux rengeant la coste du port Royal, nous traversames une partie de la baye comme de quelque cinq ou six lieues; jusques à un lieu qu'avons nommé le cap des deux bayes 44: & passames par une isle45 qui en est à une lieue, laquelle contient autant de circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut: toute entourée de gros rochers, hors-mis en un endroit qui est en talus, au pied duquel y a un estang d'eau sallée, qui vient par dessoubs une poincte de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de l'isle est plat, couvert d'arbres avec une fort belle source d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là nous fusmes à un port 46 qui en est à une lieue & demye, où jugeâmes qu'estoit la mine de cuivre qu'un nommé Prevert de sainct Maslo avoit descouverte par le moyen des sauvages du païs. Ce port est soubs les 45 degrez deux tiers de latitude, lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer & recognoistre une batture de Sable qui est à l'entrée, laquelle va rengeant un canal suivant l'autre costé de terre ferme: puis on entre dans une baye qui contient prés d'une lieue de long, & demye de large. En quelques endroits le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.

Note 43: (retour)

Voir la relation de 1603, chapitres X et XII.

Note 44: (retour)

Ce cap s'appelait encore ainsi à l'époque où le sieur Denis publia sa Description des Côtes de l'Amérique, en 1672. Aujourd'hui il est connu sous le nom de cap Chignectou.

Note 45: (retour)

L'île Haute.

Note 46: (retour)

Ce havre, que l'auteur appelle plus loin le port aux Mines, porte aujourd'hui le nom de Havre à l'Avocat. Il est à 45° 25' de latitude.

168b

Port des Mines

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu où les vaisseaux peuvent eschouer.

B Une petite rivière.

C Une langue de terre qui est de Sable.

D Une pointe de gros cailloux qui est comme une moule.

E Le lieu où est la mine de cuivre qui couvre de mer deux fois le jour.

F Une isle qui est derrière le cap des mines.

G La rade où les vaisseaux posent l'ancre attendant la marée.

I Lachenal.

H L'isle haute qui est à une lieue & demye du Port aux mines.

L Le Petit Ruisseau.

M Costeau de montaignes le long de la coste du cap aux mines.

21/169La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Nous y mismes pied à terre pour voir si nous verrions les mines que Preverd nous avoit dit. Et ayant faict environ un quart de lieue le long de certaines montagnes, nous ne trouvasmes aucune d'icelles, ny ne recognusmes nulle apparence de la description du port selon qu'il nous l'avoit figuré: Aussi n'y avoit il pas esté: mais bien deux ou trois des siens guidés de quelques sauvages, partie par terre & partie par de petites rivieres, qu'il attendit dans sa chalouppe en la baie sainct Laurens47, à l'entrée d'une petite riviere: lesquels à leur retour luy apportèrent plusieurs petits morceaux de cuivre, qu'il nous monstra au retour de son voyage. Toutesfois nous trouvasmes en ce port deux mines de cuivre non en nature, mais par apparence, selon le rapport du mineur qui les jugea estre tresbonnes.

Note 47: (retour)

La plupart des géographes anciens faisaient une distinction entre baie Saint-Laurent et golfe Saint-Laurent. La baie Saint-Laurent comprenait toute la partie méridionale du golfe, depuis le cap des Rosiers jusqu'au port de Canseau, avec les îles du Prince-Edouard, du Cap-Breton, de La Madeleine et autres. (Voir Denis, vol. I, chapitres VII et VIII.)

Le fonds de la baye Françoise que nous traversames entre quinze lieux dans les terres. Tout le païs que nous avons veu depuis le petit partage de l'isle Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, où il n'y a aucun endroit où les vaisseaux se puissent mettre en seureté, sinon le port Royal. Le païs est remply de quantité de pins & boulleaux, & à mon advis n'est pas trop bon.

Le 20 de May48 nous partismes du port aux mines pour chercher un lieu propre à faire une demeure arrestée afin de ne perdre 22/170point de temps: pour puis après y revenir veoir si nous pourrions descouvrir la mine de cuivre franc que les gens de Preverd avoient trouvée par le moyen des sauvages. Nous fismes l'ouest deux lieux jusques au cap des deux bayes: puis le nort cinq ou six lieux: & traversames l'autre baye49, où nous jugions estre ceste mine de cuivre, dont nous avons desja parlé: d'autant qu'il y a deux rivieres: l'une venant de devers le cap Breton: & l'autre du costé de Gaspé ou de Tregatté, proche de la grande riviere de sainct Laurens. Faisant l'ouest quelques six lieues nous fusmes à une petite riviere, à l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui advance à la mer: & un peu dans les terres une montaigne qui a la forme d'un chappeau de Cardinal. En ce lieu nous trouvasmes une mine de fer. Il n'y a ancrage que pour des chalouppes. A quatre lieux à l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui avance un peu vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort dangereuses. Proche de la pointe nous vismes une ance qui a environ demye lieue de circuit, en laquelle trouvasmes une autre mine de fer, qui est aussi tresbonne. A quatre lieux encore plus de l'advant y a une belle baye qui entre dans les terres, où au fonds y a trois isles & un rocher: dont deux sont à une lieue du cap tirant à l'ouest: & l'autre est à l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes qu'eussions encore veues, que nommasmes la riviere S. Jean: pource que ce fut ce jour là que nous y arrivasmes: & des 23/171sauvages elle est appelée Ouygoudy. Ceste riviere est dangereuse si on ne recognoist bien certaines pointes & rochers qui sont des deux costez. Elle est estroicte en son entrée, puis vient à s'eslargir: & ayant doublé une pointe elle estrecit de rechef, & fait comme un saut entre deux grands rochers, où l'eau y court d'une si grande vitesse, que y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit on plus. Mais attendant le pleine mer, l'on peut passer fort aisement ce destroict: & lors elle s'eslargit comme d'une lieue par aucuns endroicts, où il y a trois isles. Nous ne la recogneusmes pas plus avant: Toutesfois Ralleau Secrétaire du sieur de Mons y fut quelque temps après trouver un sauvage appellé Secondon50 chef de ladicte riviere, lequel nous raporta qu'elle estoit belle, grande & spacieuse: y ayant quantité de preries & beaux bois, comme chesnes, hestres, noyers & lambruches de vignes sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques à Tadoussac, qui est dans la grande riviere de sainct Laurens: & ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere sainct Jean jusques à Tadoussac y a 65 lieues 51. A l'entrée d'icelle, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers 52, y a une mine de fer.

Note 49: (retour)

Beau-Bassin, aujourd'hui la baie de Chignectou ou Chiganectou. D'après Laët, elle s'est appelée aussi baie de Germes.

Note 50: (retour)

Lescarbot l'appelle Chkoudun.

Note 51: (retour)

Si l'auteur veut indiquer la distance qu'il peut y avoir depuis l'endroit où l'on quitte la rivière Saint-Jean, jusqu'à Tadoussac, ce chiffre est beaucoup trop fort. Si, au contraire, il parle de la distance qu'il y a de l'embouchure de cette rivière jusqu'au même lieu, le chiffre est trop faible; car, de l'embouchure de la rivière Saint-Jean à Tadoussac, il y a, en ligne droite, à peu près cent lieues.

Note 52: (retour)

L'embouchure de la rivière Saint-Jean est par les 45° et un tiers.

171b

R. St. Jean

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Trois isles qui sont par delà le saut.

B Montaignes qui paraissent par dessus les terres deux lieues au su de

la riviere.

C Le saut de la riviere.

D Basses quand la mer est perdue, où vaisseaux peuvent eschouer.

E Cabanne où se fortifient les sauvages.

F (1) Une pointe de cailloux, où y a une croix.

G Une isle qui est à l'entrée de la riviere.

H Petit ruisseau qui vient d'un petit estang.

I Bras de mer qui asseche de basse mer.

L Deux petits islets de rocher.

M Un petit estang.

N Deux Ruisseaux.

O Basses fort dangereuses le long de la coste qui assechent de basse mer.

P Chemin par où les sauvages portent leurs canaux quand ils veulent passer le sault.

Q Le lieu où peuvent mouiller l'ancre où la riviere a grand cours.

(1) De cette lettre le graveur a fait un P.

De la riviere sainct Jean nous fusmes à quatre isles, en l'une desquelles nous mismes pied à terre, & y trouvasmes grande 24/172quantité d'oiseaux appellez Margos, dont nous prismes force petits, qui sont aussi bons que pigeonneaux. Le sieur de Poitrincourt s'y pensa esgarer: Mais en fin il revint à nostre barque comme nous l'allions cerchant autour de isle, qui est esloignée de la terre ferme trois lieues. Plus à l'ouest y a d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui s'appelle des sauvages Manthane53, au su de laquelle il y a entre les isles plusieurs ports bons pour les vaisseaux. Des isles aux Margos nous fusmes à une riviere en la grande terre, qui s'appelle la riviere des Estechemins54, nation de sauvages ainsi nommée en leur païs: & passames par si grande quantité d'isles, que n'en avons peu sçavoir le nombre, assez belles; contenant les unes deux lieues les autres trois, les autres plus ou moins. Toutes ces isles sont en un cu de sac 55, qui contient à mon jugement plus de quinze lieux de circuit: y ayant plusieurs endrois bons pour y mettre tel nombre de vaisseaux que l'on voudra, lesquels en leur saison sont abondans en poisson, comme mollues, saulmons, bars, harangs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest trois lieux par les isles, nous entrasmes dans une riviere qui a presque demye lieue de large en son entrée, où ayans faict une lieue ou deux, nous y trouvasmes deux isles: l'une fort petite proche de la terre de l'ouest: & l'autre au milieu, qui peut avoir huict ou neuf cens pas de circuit, eslevée de tous costez de trois à quatre toises de rochers, 25/173fors un petit endroict d'une poincte de Sable & terre grasse, laquelle peut servir à faire briques, & autres choses necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour mettre des vaisseaux de quatre vingt à cent tonneaux: mais il asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, boulleaux, esrables & chesnes. De soy elle est en fort bonne situation, & n'y a qu'un costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé à fortifier, les costes de la terre ferme en estans des deux costez esloignées de quelques neuf cens à mille pas. Il y a des vaisseaux qui ne pourroyent passer sur la riviere qu'à la mercy du canon d'icelle Qui est le lieu que nous jugeâmes le meilleur: tant pour la situation, bon pays, que pour la communication que nous prétendions avec les sauvages de ces costes & du dedans des terres, estans au millieu d'eux: Lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer à l'advenir du service: & les réduire à la foy Chrestienne. Ce lieu est nommé par le sieur de Mons l'isle saincte Croix56. Passant plus outre on voit une grande baye en laquelle y a deux isles: l'une haute & l'autre platte: & trois rivieres, deux médiocres, dont l'une tire vers l'Orient & l'autre au nord: & la troisiesme grande, qui va vers l'Occident.

Note 53: (retour)

Menane. L'auteur corrige la faute lui-même un peu plus loin, p. 46, de même que dans l'édition de 1632.

Note 54: (retour)

La rivière Scoudic, ou de Sainte-Croix.

Note 55: (retour)

La baie de Passamaquoddi.

Note 56: (retour)

«Et d'autant qu'à deux lieues au dessus il y a des ruisseaux qui viennent comme en croix se décharger dans ce large bras de mer, cette ile de la retraite des François fut appellée SAINTE CROIX.» (Lescarbot, liv. IV, ch. IV.) «L'île de Sainte-Croix, ou l'île Neutre (Neutral Island), dit Williamson, est située dans la rivière (Scoudic, ou Sainte-Croix) en face de la ligne de division entre Calais et Robbinstown, où elle fait angle avec le bord de l'eau. Elle contient douze ou quinze acres, et est droit au milieu de la rivière Scoudic, quoique le passage des vaisseaux soit d'ordinaire du côté de l'est... C'est ici que De Monts, en 1604, érigea un fort, et passa l'hiver; c'est ici que les Commissaires nommés en vertu du traité de 1783, trouvèrent, en 1798, les restes d'une fortification très-ancienne, et décidèrent ensuite que cette rivière était vraiment celle de Sainte-Croix.» (History of Maine, Introduction.)

26/174C'est celle des Etechemins, dequoy nous avons parlé cy dessus. Allans dedans icelle deux lieux il y a un sault d'eau, où les sauvages portent leurs cannaux par terre quelque 500 pas, puis rentrent dedans icelle, d'où en après en traversant un peu de terre on va dans la riviere de Norembegue57 & de sainct Jean, en ce lieu du sault que les vaisseaux ne peuvent passer à cause que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que quatre à cinq pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de harangs & bars que l'on y en pourroit charger des vaisseaux. Le terroir est des plus beaux, & y a quinze ou vingt arpens de terre deffrichée, où le sieur de Mons fit semer du froment, qui y vint fort beau. Les sauvages s'y retirent quelquesfois cinq ou six sepmaines durant la pesche. Tout le reste du païs sont forests fort espoisses. Si les terres estoient deffrichées les grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minuttes de declinaison de la guide-ayment.

Note 57: (retour)

La rivière de Pénobscot.

174b

Isle de saincte Croix.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le plan de l'habitation.

B Jardinages.

C Petit islet servant de platte forme à mettre le canon.

D Platte forme où on mettoit du canon.

E Le cimetière.

F La chappelle.

G Basses de rochers autour de l'isle saincte Croix.

H Un petit islet.

I Le lieu où le sieur de Mons avoit fait commencer un moulin à eau.

L Place où l'on faisoit le charbon.

M Jardinages à la grande terre de l'Ouest.

N Autres jardinages à la grande terre de l'Est.

O Grande montaigne fort haute dans la terre.

P Riviere des Etechemins passant au tour de l'isle saincte Croix.




Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrestée que l'isle de S. Croix, la fortifie & y faict des logements. Retour des vaisseaux en France & de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à quelques affaires.

CHAPITRE IV.

N'ayant trouvé lieu plus propre que ceste Isle, nous commençâmes à faire une barricade sur un petit islet un peu 27/175separé de l'isle, qui servoit de platte-forme pour mettre nostre canon. Chacun s'y employa si vertueusement qu'en peu de temps elle fut rendue en defence, bien que les mousquittes (qui sont petites mouches) nous apportassent beaucoup d'incommodité au travail: car il y eust plusieurs de nos gens qui eurent le visage si enflé par leur piqueure qu'ils ne pouvoient presque voir. La barricade estant achevée, le sieur de Mons envoya sa barque pour advertir le reste de nos gens qui estoient avec nostre vaisseau en la baye saincte Marie, qu'ils vinssent à saincte Croix. Ce qui fut promptement fait: Et en les attendant nous passames le temps assez joyeusement.

Quelques jours après nos vaisseaux estans arrivez, & ayant mouillé l'ancre, un chacun descendit à terre: puis sans perdre temps le sieur de Mons commança à employer les ouvriers à bastir des maisons pour nostre demeure, & me permit de faire l'ordonnance de nostre logement. Aprez que le sieur de Mons eut prins la place du Magazin qui contient neuf thoises de long, trois de large & douze pieds de haut, il print le plan de son logis, qu'il fit promptement bastir par de bons ouvriers, puis après donna à chacun sa place: & aussi tost on commença à s'assembler cinq à cinq & six à six, selon que l'on desiroit. Alors tous se mirent à deffricher l'isle, aller au bois, charpenter, porter de la terre & autres choses necessaires pour les bastimens.

Cependant que nous bastissions nos logis, le sieur de Mons depescha le Capitaine Fouques dans le vaisseau de Rossignol, 28/176pour aller trouver Pontgravé à Canceau, afin d'avoir ce qui restoit des commoditez pour nostre habitation.

Quelque temps après qu'il fut parti, il arriva une petite barque du port de huict tonneaux, où estoit du Glas de Honfleur pilotte du vaisseau de Pontgravé, qui amena avec luy les Maistres des navires Basques qui avoient esté prins par ledit Pont en faisant la traicte de peleterie, comme nous avons dit. Le sieur de Mons les receut humainement & les renvoya par ledit du Glas au Pont avec commission de luy dire qu'il emmenast à la Rochelle les vaisseaux qu'il avoit prins, afin que justice en fut faicte. Cependant on travailloit fort & ferme aux logemens: les charpentiers au magazin & logis du sieur de Mons, & tous les autres chacun au sien; comme moy au mien, que je fis avec l'aide de quelques serviteurs que le sieur d'Orville & moy avions; qui fut incontinent achevé: où depuis le sieur de Mons se logea attendant que le sien le fut. L'on fit aussi un four, & un moulin à bras pour moudre nos bleds, qui donna beaucoup de peine & travail à la pluspart, pour estre chose pénible. L'on fit après quelques jardinages, tant à la grand terre que dedans l'isle, où on sema plusieurs sortes de graines, qui y vindrent fort bien, horsmis en l'isle; d'autant que ce n'estoit que Sable qui brusloit tout, lors que le soleil donnoit, encore qu'on prist beaucoup de peine à les arrouser.

176b

Habitation de l'isle S. Croix

A Logis du sieur de Mons.

B Maison publique où l'on passait le temps durant la pluie.

C Le magasin.

D Logement des suisses.

E La forge.

F Logement des charpentiers.

G Le puis.

H Le four où l'on faisoit le pain.

I La cuisine.

L Jardinages.

M Autres jardins.

N La place où au milieu y a un arbre.

O Palissade.

P Logis des sieurs d'Orville, Champlain & Chandoré.

Q Logis du sieur Boulay, & autres artisans.

R Logis où logeoient les sieurs de Geneston, Sourin & autres artisans.

T Logis des sieurs de Beaumont, la Motte Bourioli & Fougeray.

V Logement de nostre curé.

X Autres jardinages.

Y La riviere qui entoure l'isle.

Quelques jours après le sieur de Mons se délibéra de sçavoir où estoit la mine de cuivre franc qu'avions tant cherchée: Et pour cest effect: m'envoya avec un sauvage appellé Messamouet, qui 29/177disoit en sçavoir bien le lieu. Je party dans une petite barque du port de cinq à six tonneaux, & neuf matelots avec moy. A quelque huict lieues de l'isle, tirant à la riviere S. Jean, en trouvasmes une de cuivre, qui n'estoit pas pur, neantmoins bonne selon le rapport du mineur, lequel disoit que l'on en pourroit tirer 18 pour cent. Plus outre nous en trouvasmes d'autres moindres que ceste cy. Quand nous fusmes au lieu où nous prétendions que fut celle que nous cherchions le sauvage ne la peut trouver: de sorte qu'il fallut nous en revenir, laissant ceste recerche pour une autre fois.

Comme je fus de retour de ce voyage, le sieur de Mons resolut de renvoyer ses vaisseaux en France, & aussi le sieur de Poitrincourt qui n'y estoit venu que pour son plaisir, & pour recognoistre de païs & les lieux propres pour y habiter, selon le desir qu'il en avoit: c'est pourquoy il demanda au sieur de Mons le port Royal, qu'il luy donna suivant le pouvoir & commission qu'il avoit du Roy. Il renvoya aussi Ralleau son Secrétaire pour mettre ordre à quelques affaires touchant le voyage; lesquels partirent de l'isle S. Croix le dernier jour d'Aoust audict an 1604.




De la coste, peuples & riviere de Norembeque, & de tout ce qui s'est passé durant les descouvertures d'icelle.

CHAPITRE V.

Aprés le partement des vaisseaux, le sieur de Mons se délibéra d'envoyer descouvrir le long de la coste de Norembegue, pour ne perdre temps: & me commit ceste charge, que j'eus fort aggreable.

30/178Et pour ce faire je partis de S. Croix le 2 de Septembre avec une pattache de 17 à 18 tonneaux, douze matelots, & deux sauvages pour nous servir de guides aux lieux de leur cognoissance. Ce jour nous trouvasmes les vaisseaux où estoit le sieur de Poitrincourt, qui estoient ancrés à l'amboucheure de la riviere sainte Croix, à cause du mauvais temps duquel lieu ne pusmes partir que le 5 dudict mois: & estans deux ou trois lieux vers l'eau la brume s'esleva si forte que nous perdimes aussi tost leurs vaisseaux de veue. Continuant nostre route le long des costes nous fismes ce jour là quelque 25 lieux: & passames par grande quantité d'isles, bancs, battures & rochers qui jettent plus de quatre lieux à la mer par endroicts. Nous avons nommé les isles, les isles rangées, la plus part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres meschants bois. Parmy ces isles y a force beaux & bons ports, mais malaggreables pour y demeurer. Ce mesme jour nous passames aussi proche d'une isle qui contient environ 4 ou cinq lieux de long, auprès laquelle nous nous cuidames perdre sur un petit rocher à fleur d'eau, qui fit une ouverture à nostre barque proche de la quille. De ceste isle jusques au nord de la terre ferme 58 il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute couppée par endroicts, qui paroissent, estant en la mer, comme sept ou huit montagnes rangées les unes proches des autres. Le sommet de la plus part d'icelles est desgarny d'arbres; parce que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins & boulleaux.

Note 58: (retour)

Lisez: «De ceste isle jusques au nord à la terre ferme.» Cet étroit passage porte encore aujourd'hui, comme l'île, le nom de Monts-Déserts (Mount Desert narrows).

31/179Je l'ay nommée l'isle des Monts-deserts59. La hauteur est par les 44 degrez & demy de latitude.

Note 59: (retour)

Suivant le P. Biard (Relation de la Nouvelle France, ch. XXIII), les sauvages appelaient cette île Pemetiq, c'est-à-dire, d'après M. l'abbé Maurault, celle qui est à la tête.

Le lendemain 6 du mois fismes deux lieux: & aperçeumes une fumée dedans une ance qui estoit au pied des montaignes cy dessus: & vismes deux canaux conduits par des sauvages, qui nous vindrent recognoistre à la portée du mousquet. J'envoyé les deux nostres dans un canau pour les asseurer de nostre amitié. La crainte qu'ils eurent de nous les fit retourner. Le lendemain matin ils revindrent au bort de nostre barque, & parlementerent avec nos sauvages. Je leur fis donner du biscuit, petum, & quelques autres petites bagatelles. Ces sauvages estoient venus à la chasse des Castors & à la pesches du poisson, duquel ils nous donnèrent. Ayant fait alliance avec eux, ils nous guidèrent en leur riviere de Peimtegoüet60 ainsi d'eux appelée, où il nous dirent qu'estoit leur Capitaine nommé Bessabez 61 chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que plusieurs pilottes & Historiens appellent Norembegue 62: & 32/180que la plus part ont escript estre grande & spacieuse, avec quantité d'isles: & son entrée par la hauteur de 43° & 43° & demy: & d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler à personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peuplée de sauvages adroits & habilles, ayans du fil de cotton. Je m'asseure que la pluspart de ceux qui en font mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à gens qui n'en sçavoyent pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont peu en avoir veu l'embouchure, à cause qu'en effet il y a quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de latitude en son entrée, comme ils disent: Mais qu'aucun y ait jamais entré il n'y a point d'apparence: car ils l'eussent descripte d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de gens de ceste doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay reconeu & veu depuis le commencement jusques où j'ay esté.

Note 60: (retour)

Ce mot, tel que l'écrit ici Champlain, semble venir de Pemetigouek (ceux de Pemetiq). Cependant, suivant M. l'abbé Maurault, Pentagouet n'est autre chose que Pontegouit, qui signifie endroit d'une, rivière où il y a des rapides. Les Anglais ont toujours de préférence désigné cette rivière sous le nom de Pénobscot (Penabobsket, là où la terre est couverte de pierre. Hist. des Abenaquis, p. 5).

Note 61: (retour)

Le P. Biard dit qu'il était sagamo de Kadesquit. (Relation de la Nouvelle France, ch. XXXIV.)

Note 62: (retour)

Malgré le respect que nous avons pour Champlain et pour un grand nombre d'auteurs qui semblent avoir adopté son opinion, nous osons croire que la grande rivière de Norembegue n'est autre chose que la baie Française, aujourd'hui la baie de Fundy. Pour ne point parler de Thévet ni de Belleforest, qui sont fort peu explicites sur ce point, qu'il nous suffise de citer le témoignage de Jean Alphonse, dont l'exactitude est étonnante pour l'époque où il vivait: «Je dictz que le cap de sainct Jehan, dict Cap à Breton, & le cap de la Franciscane, sont nordest & surouest, & prennent un quart de l'est & ouest, & y a en la route cent quarente lieues, & icy faict ung cap appellé le cap de Norembegue... Ladicte coste est toute sableuse, terre basse, sans nulle montaigne. Au delà du cap de Norembegue, descend la riviere dudict Norembegue, environ vingt & cinq lieues du cap» (c'est précisément la largeur de l'Acadie). «La dicte riviere est large de plus de quarente lieues de latitude en son entrée, & va ceste largeur au dedans bien trente ou quarente lieues...» Il est évident que Jean Alphonse décrit ici la côte sud-est de l'Acadie (qu'il appelle Franciscane), le cap de Sable et la baie de Fundy, qui a réellement une embouchure de près de quarante lieues si l'on compte depuis le cap de Sable ou Norembègue jusques vers la sortie du Pénobscot.

Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de la terre ferme 10 ou 12 lieues qui sont par la hauteur de 44 degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de la guide-ayment. L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure, tirant à l'est: & l'autre est une terre basse appelée des sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle, 33/181distantes l'un de l'autre neuf ou dix lieues. Et presque au milieu à la mer y a une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste raison j'ay nommée l'isle haute. Tout autour il y en a un nombre infini de plusieurs grandeurs & largeurs: mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne: comme aussi la chasse du gibier. A quelques deux ou trois lieues de la poincte de Bedabedec, rengeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui paroissent à la mer en beau temps 12 à 15 lieues. Venant au su de l'isle haute, en la rengeant comme d'un quart de lieue où il y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap à l'ouest jusques à ce que l'on ouvre toutes les montaignes qui sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf decouppées de l'isle des Monts-deserts & celle de Bedabedec, l'on sera le travers de la riviere de Norembegue: & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les plus hautes montaignes dudict Bedabedec: & ne verrez aucunes isles devant vous: & pouvez entrer seurement y ayant assez d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles & rochers à l'est & ouest de vous. Il faut les esviter la sonde en la main pour plus grande seureté: Et croy à ce que j'en ay peu juger, que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par autre endroict, sinon avec des petits vaisseaux ou chalouppes: Car comme j'ay dit cy-dessus la quantité des isles, rochers, basses, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte que c'est chose estrange à voir.

34/182Or pour revenir à la continuation de nostre routte: Entrant dans la riviere il y a de belles isles, qui sont fort aggreables, avec de belles prairies. Nous fusmes jusques à un lieu où les sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy quart de lieue de large: Et à quelques deux cens pas de la terre de l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est dangereux. De là à l'isle haute y a quinze lieues. Et depuis ce lieu estroict, (qui est la moindre largeur que nous eussions trouvée,) après avoir faict quelque 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite riviere, où auprès il fallut mouiller l'ancre: d'autant que devant nous y vismes quantité de rochers qui descouvrent de basse mer: & aussi que quand eussions voulu passer, plus avant nous n'eussions pas peu faire demye lieue: à cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 à 8 pieds, que je vis allant dedans un canau avec les sauvages que nous avions: & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau: Mais passé le sault, qui a quelques deux cens pas de large, la riviere est belle, & continue jusques au lieu où nous avions mouillé l'ancre. Je mis pied à terre pour veoir le païs: & allant à la chasse je le trouvé fort plaisant & aggreable en ce que j'y fis de chemin. Il semble que les chesnes qui y sont ayent esté plantez par plaisir. J'y vis peu de sapins, mais bien quelques pins à un costé de la riviere: Tous chesnes à l'autre: & quelques bois taillis qui s'estendent fort avant dans les terres. Et diray que depuis l'entrée où nous fusmes, qui sont environ 25 lieux, nous ne vismes aucune ville ny village, ny apparence d'y en avoir eu: mais bien une ou deux 35/183cabannes de sauvages où il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites de mesme façon que celles des Souriquois couvertes d'escorce d'arbres: Et à ce qu'avons peu juger il y a peu de sauvages en icelle riviere qu'on appele aussi Etechemins. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques mois en esté durant la pesche du poisson & chasse du gibier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de retraicte arrestée à ce que j'ay recogneu & apris d'eux: car ils yvernent tantost en un lieu & tantost à un autre, où ils voient que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour subvenir aux disettes qui sont grandes quelquesfois.

Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que nous avons costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus dictes, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part il ne peut y en avoir qui entrent avant dans les terres: d'autant que la grande riviere saint Laurens costoye la coste d'Accadie & de Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre de 45 lieues, ou 60 au plus large, comme il se pourra veoir par ma carte Géographique.

Or je laisseray ce discours pour retourner aux sauvages qui m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue, lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir aussi le leur, nommé Cabahis, & lui donner advis de nostre arrivée.

36/184Le 16 du mois il vint à nous quelque trente sauvages sur l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de guide. Vint aussi ledict Bessabez nous trouver ce mesme jour avec six canaux. Aussi tost que les sauvages qui estoient à terre le virent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer & sauter, jusques à ce qu'il eut mis pied à terre: puis après s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume lors qu'ils veulent faire quelque harangue ou festin. Cabahis l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses compagnons, qui se retirent apart, & se rejouirent fort de nous veoir: d'autant que c'estoit la première fois qu'ils avoient veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre avec deux de mes compagnons & deux de nos sauvages, qui nous servoient de truchement: & donné charge à ceux de nostre barque d'approcher prés des sauvages, & tenir leurs armes prestes pour faire leur devoir s'ils aperçevoient quelque esmotion de ces peuples contre nous. Bessabez nous voyant à terre nous fit asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons, comme ils font ordinairement auparavant que faire leurs discours. Ils nous firent present de venaison & de gibier.

Je dy à nostre truchement, qu'il dist à nos sauvages qu'ils fissent entendre à Bessabez, Cabahis & à leurs compagnons, que le sieur de Mons m'avoit envoyé par devers eux pour les voir & leur pays aussi: & qu'il vouloit les tenir en amitié, & les mettre d'accord avec les Souriquois & Canadiens leurs ennemis: Et d'avantage qu'il desiroit habiter leur terre, & leur montrer à la cultiver, afin qu'ils ne trainassent plus une vie si 37/185miserable qu'ils faisoient, & quelques autres propos à ce subjet. Ce que nos sauvages leur firent entendre, dont ils demonstrerent estre fort contens, disant qu'il ne leur pouvoit arriver plus grand bien que d'avoir nostre amitié: & desiroyent que l'on habitast leur terre, & vivre en paix avec leur ennemis: afin qu'à l'advenir ils allassent à la chasse aux Castors plus qu'ils n'avoient jamais faict, pour nous en faire part, en les accommodant de choses necessaires pour leur usage. Apres qu'il eut achevé sa harangue, je leur fis present de haches, patinostres, bonnets, cousteaux & autres petites jolivetés: aprez nous nous separasmes les uns des autres. Tout le reste de ce jour, & la nuict suivante, ils ne firent que dancer, chanter & faire bonne chère, attendans le jour auquel nous trectasmes quelque nombre de Castors: & aprez chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son costé, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples.

Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez & 25. minuttes de latitude: Ce faict nous partismes pour aller à une autre riviere appelée Quinibequy, distante de ce lieu de trente cinq lieux, & prés de 20 de Bedabedec63. Ceste nation de 38/186sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins64, aussi bien que ceux de Norembegue.

Note 63: (retour)

Quoique cette phrase donne à entendre que Champlain quitte la rivière de Pénobscot, ce jour-là même, 17 de septembre, il est certain que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Rendu au point où il prend hauteur, c'est-à-dire, à vingt-cinq ou trente lieues de l'embouchure de cette rivière, suivant son calcul; ayant bien constaté qu'il n'y avait pas même de trace d'aucune ville ou habitation considérable, l'auteur considère l'exploration de cette rivière comme finie, et part pour venir rejoindre la barque, qui était à l'ancré à une quinzaine de lieues de l'embouchure, et continuer ensuite le voyage de découverte. La preuve qu'il ne part pas directement pour le Kénébec, c'est que, trois jours après, le 20 du mois, on en est encore à ranger la côte de l'ouest, et à passer les montagnes de Bedabedec, ou hauteurs de Pénobscot, où l'on mouille l'ancre, pour reconnaître, le même jour, l'entrée de la rivière.

Note 64: (retour)

C'est sans doute cette phrase qui a fait dire au P. F. Martin (Appendice de sa trad. du P. Bressani) que Champlain donne au Kénébec le nom de rivière des Etchemins. Cependant notre auteur, comme on le voit, dit seulement que les sauvages du Kénébec étaient des Etchemins, comme ceux de Pentagouet ou Pénobscot. Et ici Champlain est d'accord avec le P. Biard, qui, dans le dénombrement approximatif qu'il fait des nations sauvages dont il avait connaissance, assigne aux Eteminquois ou Etchemins toute la côte comprise entre le pays des Souriquois et Chouacouet, «J'ay trouvé, dit-il, par la relation des Sauvages mesmes, que dans l'enclos de la grande riviere, dés les terres neuves jusques à Chouacoët, on ne sauroit trouver plus de neuf à dix milles ames... Tous les Souriquois 3000 ou 3500. Les Eteminquois jusques à Pentegoët, 2500; dés Pentegoët jusques à Kinibequi, & de Kinibequi jusques à Chouacoët, 3000.» (Relat. de la Nouv. Fr., ch. VI.) Lescarbot prétend, il est vrai, que «depuis Kinibeki, jusques à Malebarre, & plus outre, ilz s'appellent Armouchiquois» (liv. IV, ch. VII); mais les témoignages de Champlain et du P. Biard semblent avoir plus de poids, puisque ces auteurs ont visité eux-mêmes les lieux et les nations dont ils parlent.

Le 18 du mois nous passames prés d'une petite riviere où estoit Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque quelque douze lieues: Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de Norembegue, il me dit qu'elle passé le sault dont j'ay faict cy dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle on entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de S. Croix, d'où ils vont quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des Etechemins. Plus au lac descent une autre riviere par où ils vont quelques jours, en après entrent en un autre lac, & passent par le millieu, puis estans parvenus au bout, ils font encore quelque chemin par terre, après entrent dans une autre petite riviere 65 qui vient se descharger à une lieue de Québec, qui est sur le grand fleuve S. Laurens. Tous ces peuples de Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux de castors & autres fourrures, comme les sauvages Cannadiens & Souriquois: & ont mesme façon de vivre.

Note 65: (retour)

Comme on le voit, c'est précisément parce que les Etchemins suivaient cette rivière pour venir à Québec, qu'on l'a appelée rivière des Etchemins.

39/187Le 20 du mois rangeasmes la coste de l'ouest, & passâmes les montaignes de Bedabedec, où nous mouillasmes l'ancre: Et le mesme jour recogneusmes l'entrée de la riviere, où il peut aborder de grands vaisseaux: mais dedans il y a quelques battures qu'il faut esviter la sonde en la main. Nos sauvages nous quittèrent, d'autant qu'ils ne vollurent venir à Quinibequy: parceque les sauvages du lieu leur sont grands ennemis 66. Nous fismes quelque 8 lieux rangeant la coste de l'ouest jusques à une isle distante de Quinibequy 10 lieux, où fusmes contraincts de relascher pour le mauvais temps & vent contraire. En une partye du chemin que nous fimes nous passames par une quantité d'isles & brisans qui jettent à la mer quelques lieues fort dangereux. Et voyant que le mauvais temps nous contrarioit si fort, nous ne passâmes pas plus outre que trois ou 4 lieues. Toutes ces isles & terres sont remplies de quantité de pareil bois que j'ay dit cy dessus aux autres costes. Et considerant le peu de vivres que nous avions, nous resolusmes de retourner à nostre habitation, attendans l'année suivante où nous esperions y revenir pour recognoistre plus amplement. Nous y rabroussames donc chemin le 23 Septembre & arrivasmes en nostre habitation le 2 Octobre ensuivant.

Note 66: (retour)

C'est peut-être cette circonstance qui a fait croire à Lescarbot que le territoire des Almouchiquois s'étendait jusqu'au Kénébec.

Voila au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes, peuples que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal aggreable en yver que celuy de nostre habitation, dont nous fusmes bien desceus.




40/188

Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes sauvages passent le temps durant l'yver. Et tout ce qui se passa en l'habitation pendant l'hyvernement.

CHAPITRE VI.

Comme nous arrivasmes à l'isle S. Croix chacun achevoit de se loger. L'yver nous surprit plustost que n'esperions, & nous empescha de faire beaucoup de choses que nous nous estions proposées. Neantmoins le sieur de Mons ne laissa de faire faire des jardinages dans l'isle. Beaucoup commancerent à deffricher chacun le sien; & moy aussi le mien, qui estoit assez grand, où je semay quantité de graines, comme firent, aussi ceux qui en avoient, qui vindrent assez bien. Mais comme l'isle n'estoit que Sable tout y brusloit presque lors que le soleil y donnoit: & n'avions point d'eau pour les arrouser, sinon de celle de pluye, qui n'estoit pas souvent.

Le sieur de Mons fit aussi deffricher à la grande terre pour y faire des jardinages, & aux saults il fit labourer à trois lieues de nostre habitation, & y fit semer du bled qui y vint tresbeau & à maturité. Autour de nostre habitation il y a de basse mer quantité de coquillages, comme coques, moulles, ourcins & bregaux, qui faisoyent grand bien à chacun.

Les neges commencèrent le 6 du mois d'Octobre. Le 3 de Décembre nous vismes passer des glasses qui venoyent de quelque riviere qui estoit gellée. Les froidures furent aspres & plus 41/189excessives qu'en France, & beaucoup plus de durée: & n'y pleust presque point cest yver. Je croy que cela provient des vents du nord & norouest, qui passent par dessus de hautes montaignes qui sont tousjours couvertes de neges, que nous eusmes de trois à quatre pieds de haut, jusques à la fin du mois d'Avril; & aussi qu'elle se concerve beaucoup plus qu'elle ne feroit si le païs estoit labouré.

Durant l'yver il se mit une certaine maladie entre plusieurs de nos gens, appelée mal de la terre, autrement Scurbut, à ce que j'ay ouy dire depuis à des hommes doctes. Il s'engendroit en la bouche de ceux qui l'avoient de gros morceaux de chair superflue & baveuse (qui causoit une grande putréfaction) laquelle surmontoit tellement, qu'ils ne pouvoient presque prendre aucune chose, sinon que bien liquide. Les dents ne leur tenoient presque point, & les pouvoit on arracher avec les doits sans leur faire douleur. L'on leur coupoit souvent la superfluité de cette chair, qui leur faisoit jetter force sang par la bouche. Apres il leur prenoit une grande douleur de bras & de jambes, lesquelles leur demeurèrent grosses & fort dures, toutes tachetés comme de morsures de puces, & ne peuvoient marcher à cause de la contraction des nerfs: de sorte qu'ils demeuroient presque sans force, & sentoient des douleurs intolérables. Ils avoient aussi douleur de reins, d'estomach & de ventre; une thoux fort mauvaise, & courte haleine: bref ils estoient en tel estat, que la pluspart des malades ne pouvoient se lever ny remuer, & mesme ne les pouvoit on tenir debout, 42/190qu'ils ne tombassent en syncope: de façon que de 79 que nous estions, il en moururent 35 & plus de 20. qui en furent bien prés: La plus part de ceux qui resterent sains, se plaignoient de quelques petites douleurs & courte haleine. Nous ne pusmes trouver aucun remède pour la curation de ces maladies. L'on en fit ouverture de plusieurs pour recognoistre la cause de leur maladie.

L'on trouva à beaucoup les parties intérieures gastées, comme le poulmon, qui estoit tellement altéré, qu'il ne s'y pouvoit recognoistre aucune humeur radicalle: la ratte cereuse & enflée: le foye fort legueux & tachetté, n'ayant sa couleur naturelle: la vaine cave, ascendante & descendante remplye de gros sang agulé & noir: le fiel gasté: Toutesfois il se trouva quantité d'artères, tant dans le ventre moyen qu'inférieur, d'assez bonne disposition. L'on donna à quelques uns des coups de rasoüer dessus les cuisses à l'endroit des taches pourprées qu'ils avoient, d'où il sortoit un sang caille fort noir. C'est ce que l'on a peu recognoistre aux corps infectés de ceste maladie.

Nos chirurgiens ne peurent si bien faire pour eux mesmes qu'ils n'y soient demeurez comme les autres. Ceux qui y resterent malades furent guéris au printemps, lequel commence en ces pays là est en May67. Cela nous fit croire que le changement de saison leur rendit plustost la santé que les remèdes qu'on leur avoit ordonnés.

Note 67: (retour)

Pour ne pas nous exposer à faire dire à Champlain ce qu'il ne voulait pas dire, nous laissons subsister ici une faute évidente, mais dont on peut, ce semble, deviner la cause. L'auteur, encore sous l'impression fâcheuse de ce malheureux hiver passé à l'île de Sainte-Croix, aura mis d'abord dans son manuscrit que le printemps n'y commençait qu'en mai; réflexion faite, il se sera aperçu que ce n'était pas rendre justice à la Nouvelle-France, que de la juger sur un fait qui pouvait être exceptionnel, et il aura mis, que le printemps est en mai; enfin le typographe, pour contenter l'auteur, aura jugé à propos de mettre les deux.

43/191Durant cet yver nos boissons gelèrent toutes, horsmis le vin d'Espagne. On donnoit le cidre à la livre. La cause de ceste parte fut qu'il n'y avoit point de caves au magazin: & que l'air qui entroit par des fentes y estoit plus aspre que celuy de dehors. Nous estions contraints d'user de tresmauvaises eaux, & boire de la nege fondue, pour n'avoir ny fontaines ny ruisseaux: car il n'estoit pas possible d'aller en la grand terre, à cause des grandes glaces que le flus & reflus charioit, qui est de trois brasses de basse & haute mer. Le travail du moulin à bras estoit fort pénible: d'autant que la plus part estans mal couchez, avec l'incommodité du chauffage que nous ne pouvions avoir à cause des glaces, n'avoient quasi point de force, & aussi qu'on ne mangeoit que chair salée & légumes durant l'yver, qui engendrent de mauvais sang: ce qui à mon opinion causoit en partie ces facheuses maladies. Tout cela donna du mescontentement au sieur de Mons & autres de l'habitation.

Il estoit mal-aisé de recognoistre ce pays sans y avoir yverné, car y arrivant en été tout y est fort aggreable, à cause des bois, beaux pays & bonnes pescheries de poisson de plusieurs sortes que nous y trouvasmes. Il y a six mois d'yver en ce pays.

Les sauvages qui y habitent sont en petite quantité. Durant l'yver au fort de neges ils vont chasser aux eslans & autres bestes: de quoy ils vivent la pluspart du temps. Et si les neges ne sont grandes ils ne font guerres bien leur proffit: d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort.

44/192Lors qu'ils ne vont à la chasse ils vivent d'un coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'yver de bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessous des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent de certaines raquettes, deux fois aussi grandes que celles de pardeçà, qu'ils s'attachent soubs les pieds, & vont ainsi sur la neige sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant trouvée ils la suivent jusques à ce qu'ils apercoivent la beste: & lors ils tirent dessus avec leur arcs, ou la tuent à coups d'espées emmanchées au bout d'une demye pique, ce qui se fait fort aisement; d'autant que ces animaux ne peuvent aller sur les neges sans enfoncer dedans: Et lors les femmes & enfans y viennent, & là cabannent & se donnent curée: Apres ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres, & passent ainsi l'yver. Au mois de Mars ensuivant il vint quelques sauvages qui nous firent part de leur chasse en leur donnant du pain & autres choses en eschange. Voila la façon de vivre en yver de ces gens là, qui me semble estre bien miserable.

Nous attendions nos vaisseaux à la fin d'Avril lequel estant passé chacun commença à avoir mauvaise opinion, craignant qu'il ne leur fust arrivé quelque fortune, qui fut occasion que le 15 de May le sieur de Mons délibéra de faire accommoder une barque du port de 15 tonneaux, & un autre de 7 afin de nous en aller à 45/193la fin du mois de Juin à Gaspé, chercher des vaisseaux pour retourner en France, si cependant les nostres ne venoient: mais Dieu nous assista mieux que nous n'esperions: car le 15 de Juin ensuivant estans en garde environ sur les onze heures du soir, le Pont Capitaine de l'un des vaisseaux du sieur de Mons arriva dans une chalouppe, lequel nous dit que son navire estoit ancré à six lieues de nostre habitation, & fut le bien venu au contentement d'un chacun.

Le lendemain le vaisseau arriva 68, & vint mouiller l'ancre proche de nostre habitation. Le pont nous fit entendre qu'il venoit après luy un vaisseau de S. Maslo, appelé le S. Estienne, pour nous apporter des vivres & commoditez.

Note 68: (retour)

«Avec une compagnie de quelques quarante hommes,» dit Lescarbot, liv. IV, ch. VIII, «& canonnades ne manquèrent à l'abord, selon la coutume, ni l'éclat des trompetes.»

Le 17 du mois le sieur de Mons se délibéra d'aller chercher un lieu plus propre pour habiter & de meilleure température que la nostre: Pour cest effect il fit équiper la barque dedans laquelle il avoit pensé aller à Gaspé.




Descouvertures de la coste des Almouchiquois jusques au 42e degré de latitude: & des particularités de ce voyage.

CHAPITRE VII.

Le 18 du mois de Juin 1605, le sieur de Mons partit de l'isle saincte Croix avec quelques gentilshommes, vingt matelots & un 46/194sauvage nommé Panounias 69 & sa femme, qu'il ne voulut laisser, que menasmes avec nous pour nous guider au pays des Almouchiquois, en esperance de recognoistre & entendre plus particulierement par leur moyen ce qui en estoit de ce pays: d'autant qu'elle en estoit native.

Note 69: (retour)

Lescarbot l'appelle Panmiac.

Et rangeant la coste entre Menane, qui est une isle à trois lieues de la grande terre, nous vinsmes aux isles rangées par le dehors, où mouillasmes l'ancre en l'une d'icelles, où il y avoit une grande multitude de corneilles, dont nos gens prindrent en quantité; & l'avons nommée l'isle aux corneilles. De là fusmes à l'isle des Monts deserts qui est à l'entrée de la riviere de Norembegue, comme j'ay dit cy dessus, & fismes cinq ou six lieues parmy plusieurs isles, où il vint à nous trois sauvages dans un canau de la poincte de Bedabedec où estoit leur Capitaine; & après leur avoir tenu quelques discours ils s'en retournèrent le mesme jour.

Le vendredy premier de Juillet nous partismes d'une des isles qui est à l'amboucheure de la riviere, où il y a un port assez bon pour des vaisseaux de cent & cent cinquante tonneaux. Ce jour fismes quelques 25 lieues entre la pointe de Bedabedec & quantité d'isles & rochers, que nous recogneusmes jusques à la riviere de Quinibequy, où à l'ouvert d'icelle il y a une isle assez haute, qu'avons nommée la tortue, & entre icelle & la grand terre quelques rochers esparts, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la tortue & la riviere sont su suest & nort norouest. Comme l'on y entre, il y a deux moyenes isles, qui sont 47/195l'entrée, l'une d'un costé & l'autre de l'autre, & à quelques 300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'ancre à 300 pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Estans en ce lieu nous fusmes surprins de brumes qui nous firent resoudre d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere & les sauvages qui y habitent; & partismes pour cet effect le 5 du mois. Ayans fait quelques lieues nostre barque pença se perdre sur un rocher que nous frayames en passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient venus à la chasse aux oiseaux, qui la pluspart muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostames ces sauvages par le moyen du nostre, qui les fut trouver avec sa femme, qui leur fit entendre le subject de nostre venue. Nous fismes amitié avec eux & les sauvages d'icelle riviere70, qui nous servirent de guide: Et allant plus avant pour veoir leur Capitaine appelé Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 à 8 lieux, nous passames par quelques isles, destroits & ruisseaux, qui s'espandent le long de la riviere, où vismes de belles prairies: & costoyant une isle qui a quelque quatre lieux de long 71 ils nous menèrent où estoit leur chef, avec 25 ou 30 sauvages, lequel aussitost que nous eusmes mouillé l'ancre vint à nous dedans un canau un peu separé de dix autres, où estoient ceux qui l'accompaignoient: 48/196Aprochant prés de nostre barque, il fit une harangue, où il faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous veoir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance & faire paix avec leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit à deux autres Capitaines sauvages qui estoient dedans les terres, l'un appelé Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de Quinibequy. Le sieur de Mons leur fit donner des gallettes & des poix, dont ils furent fort contens. Le lendemain ils nous guidèrent en dessendant la riviere par un autre chemin que n'estions venus 72, pour aller à un lac: & partant par des isles, ils laisserent chacun une flèche proche d'un cap par où tous les sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoyent il leur arriveroit du malheur, à ce que leur persuade le Diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres. Par de là ce cap nous passames un sault d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficulté, car bien qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans nos voilles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusme nous passer de la façon, & fusmes contraints d'attacher à terre une haussiere à des arbres, & y tirer tous: ainsi nous fismes tant à force de bras avec l'aide du vent qui nous favorisoit que le passames. Les sauvages qui estoient avec nous portèrent leurs canaux par terre ne les pouvant passer à la rame. Apres avoir franchi ce sault nous vismes de belles prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant 49/197avec la marée nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous la trouvasmes contraire, & après l'avoir passé elle descendoit comme auparavant, qui nous donna grand contentement. Poursuivant nostre routte nous vinsmes au lac73, qui a trois à quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descent deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, & l'autre du norouest, par où devoient venir Marchim & Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour & voyant qu'ils ne venoient point, nous resolusmes d'employer le temps: Nous levasmes donc l'ancre, & vint avec nous deux sauvages de ce lac pour nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'ancre à l'amboucheure de la riviere, où nous peschasmes quantité de plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos sauvages allèrent à la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin par où nous descendismes ladicte riviere est beaucoup plus seur & meilleur que celuy par où nous avions esté. L'isle de la tortue qui est devant l'entrée de lad. riviere, est par la hauteur de 44 degrez de latitude & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la guide-aymant. L'on va par ceste riviere au travers des terres jusques à Québec quelque 50 lieues sans passer qu'un trajet de terre de deux lieues: puis on entre dedans une autre petite riviere 74 qui vient descendre dedans le grand fleuve S. Laurens. Ceste riviere de Quinibequy est fort dangereuse pour les vaisseaux à demye lieue au dedans, pour le peu d'eau, 50/198grandes marées, rochers & basses qu'il y a, tant dehors que dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit bien recogneu. Si peu de pays que j'ay veu le long des rivages est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts. Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les autres rivieres cy dessus dictes. Les peuples vivent comme ceux de nostre habitation, & nous dirent, que les sauvages qui semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, & qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes pour la guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre. Voila ce que j'ay peu aprendre de ce lieu, lequel je croy n'estre meilleur que les autres.

Note 70: (retour)

Ici, Champlain n'est pas précisément, dans la rivière de Kénébec, dont le capitaine était Sasinou, mais dans celle de Chipscot (Sheepscott), où était le capitaine de ces sauvages, Manthoumermer.

Note 71: (retour)

L'île de Jérémysquam, qui sépare la baie de Monsouic, ou Monseag, du chenal de la rivière de Chipscot.

Note 72: (retour)

Ce passage est une nouvelle preuve que Champlain, en montant, était passé par le côté oriental de l'île de Jérémysquam, et, par conséquent, dans la rivière de Chipscot: car les sauvages, qui connaissaient bien les lieux, durent conduire les français par le plus court chemin pour aller au lac ou à la baie de Merry-Meeting.

Note 73: (retour)

Ce lac, appelé la baie de Merry-Meeting, est formé par la jonction des eaux du Kénébec, au nord, et de la rivière de Sagadahok ou Amouchcoghin, dont on a fait Androscoggin.

Note 74: (retour)

La rivière Chaudière.

198a

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