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Oeuvres de Champlain

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LIVRE

TROISIESME

DES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.


Rapport du combat faict entre les François & les Anglais. Des François emmenez, prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle amy des François promet les advertir de toutes les menées des Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient,

208/1192

CHAPITRE PREMIER.

e 20 de May vingt Sauvages forts & robustes venant de Tadoussac pour aller à la guerre aux Yrocois, nous dirent le combat qui avoit esté fait entre les Anglois & les François714, qu'il y avoit eu des nommes tuez, que le sieur de Roquemont avoit esté blessé au pied: que les François avoient esté pris & emmenez à Gaspey, qui depuis les avoient mis tous dans un vaisseau pour s'en retourner en France & retindrent tous les Chefs en leurs vaisseaux & quelques compagnons, ils bruslent une cache de bleds qui estoient aux Pères Jesuites à Gaspey, cela fait s'estoient mis sous un voile 715 pour s'en aller en Angleterre: ils nous dirent aussi que quelques jours après le partement des Anglois vint un vaisseau qui s'estoit sauvé durant le combat auquel ils demandèrent une chalouppe pour nous venir advertir qu'ils avoient des vivres assez, mais qu'ils ne leur voulurent donner: Ils ne me peurent dire le nom du Capitaine qui commandoit dedans, ne me pouvant imaginer pour quel suject ils estoient retournez audit Gaspey, où il pouvoit rencontrer quelques vaisseaux de l'ennemy.

Note 714: (retour)

Le combat avait eu lieu dès le 18 juillet 1628, dix jours seulement après la sommation de Québec. La nouvelle compagnie, dite des Cent-Associés, avait expédié de Dieppe quatre vaisseaux bien fournis de provisions de bouche et de munitions sous la conduite du sieur de Roquemont. Arrivé à Gaspé, il fut informé par les sauvages qu'il y avait à Tadoussac quatre ou cinq grands vaisseaux anglais, qui s'étaient déjà saisis de quelques navires le long des côtes. On dépêcha à Québec le sieur Desdames (ci-dessus, p. 180), auquel on donna pour rendez-vous l'île Saint-Barnabé. La flotte commença à remonter le fleuve avec précaution, lorsqu'on rencontra les vaisseaux ennemis. Le sieur de Roquemont, voyant que la partie n'était pas égale, crut plus prudent de prendre la fuite. Les Anglais le poursuivirent jusqu'au lendemain vers les trois heures de l'après-midi. Le combat dura quatorze ou quinze heures, suivant Sagard, et il fut tiré de part et d'autre plus de douze cents volées de canon. Les Français tirèrent jusqu'au plomb de leurs lignes; mais à la fin l'amiral, criblé de boulets et sérieusement endommagé par deux bordées tirées à fleur d'eau, se vit contraint de parlementer, et demanda composition. Les conditions furent: Qu'il ne serait fait aucun déplaisir aux religieux; que l'honneur des femmes et des filles serait conservé, et que l'on donnerait passage à tous ceux qui devraient retourner en France, Malgré l'acharnement du combat, il n'y eut que deux français de tués, et quelques autres de blessés. (Sagard, Hist. du Canada, p. 945, 949 et suiv.)

Note 715: (retour)

«S'estoient mis sous voile.»

N'ayant encores nouvelles de nos vaisseaux, j'envoyay un Canau pour aller à la chasse aux loups marins vers les isles du Cap de Tourmente, afin d'avoir de l'huile d'iceux pour mesler parmy le 209/1193bray que nous avions amassé pour brayer nostre 1620 barque.

Le 30 du mois partie de nos guerriers revindrent de 716 sans avoir faict aucune exécution, nous apportant nouvelles qu'ils avoient rencontré 2. Canaux des Algommequins, avec un prisonnier Yrocois, qu'ils emmenoient en son païs pour faire la paix, emportant avec eux des presens pour leur donner; que lesdits Yrocois l'Automne passée avoient tué un Algommequin, & pris quelques femmes & enfans qu'ils avoient remené depuis peu ausdits Algommequins, ce qui les avoit occasionnez d'envoyer ces deux Canaux avec ce prisonnier, Se que la nation des Mahigan-Aticois desiroit traitter de paix avec lesdits Yrocois, ayant sceu aussi par quelques Sauvages que des vaisseaux estrangers estoient arrivez aux costes où estoient les Flamens qui desiroient faire une paix generalle de leur costé avec les nations qui avoient guerre entr'eux.

Note 716: (retour)

Le mot manque dans l'original. Ces guerriers, qui vraisemblablement faisaient partie des vingt mentionnés plus haut, revenaient sans doute des Trois-Rivières, comme les autres qui arrivèrent une semaine après, le 6 de juin (ci-dessous).

Le sixiesme de Juin arriverent le reste des guerriers des trois rivieres, qui furent proche du premier village des ennemis, ne voyant & ne pouvant faire plus d'effect que de tuer quelques femmes qui faisoient leurs bleds, ils en tuèrent sept & un homme, en apportant leurs testes, & faisant une prompte retraitte, ils donnèrent l'alarme au village, qui du commencement pensoient qu'ils fussent en plus grand nombre qu'ils-n'estoient pour les venir surprendre.

L'unziesme dudit mois le Canau que j'avois envoyé 210/1194à Tadoussac revint sans avoir aucunes nouvelles de nos vaisseaux, ce qui nous faisoit penser au suject de ce retardement: car nos pois estans faillis, quelque mesnage que l'eusse peu apporter, & nous voyant si necessiteux & desnuez de tout, nous pensasmes à ce que nous aurions à faire du prisonnier soubçonné d'avoir meurdry nos hommes, n'ayant plus rien pour luy donner à cause que nos vaisseaux n'estoient encore venus, & les attendions de jour autre avec l'assemblée des Sauvages, pour parler à eux, & puis faire la justice de ce Sauvage. Mais comme nous prevoyons que la mer n'estoit si libre que nos vaisseaux ne fussent pris ou perdus pour une seconde fois: je fis que l'on retarda le jugement de nostre prisonnier & que venant aux preuves manifestes & le trouvant coulpable il ne falloit point temporiser, mais l'exécuter sur l'heure, si on en venoit là, ce qui estoit trop vray, selon qu'un Sauvage appellé Choumina nous avoit dit, vray & fidelle amy aux François, aussi en avions nous eu quelque tesmoignage. D'ailleurs nous considerions que si l'on venoit à l'exécution estant en la necessité, que cela pour lors nous eust apporté quelque dommage, car comme ces peuples n'ont aucune forme de justice, ils eussent cherché moyen en nos malheurs de nous faire du pis qu'ils eussent peu, & ne nous en pouvant passer, il fallut songer comme l'on le livreroit. Ledit Erouachy me vint treuver, me priant que puis que les vaisseaux n'estoient point venus, & que nous n'avions aucunes commoditez pour vivre que nous eussions à delivrer le prisonnier si long-temps détenu, qui s'en 211/1195alloit mourant de jour en autre: je luy dis que si nous le relaschions que ce ne seroit point à cause de la necessité de vivres, car bien que nos pois manquassent, nous allions chercher des racines dequoy il se fust aussi bien, voire mieux passé que nous, luy qui estoit accoustumé d'avoir de telles necessitez: De plus, que si nous eussions voulu luy faire perdre la vie depuis un an qu'il estoit détenu, que nous l'aurions peu faire, mais que nous ne faisions aucune chose sans bonne & juste information. Il dist qu'il le recognoissoit bien, que toutesfois si on le vouloit delivrer qu'il en respondroit, & s'obligeroit de le representer, estant guery d'un mal de jambe dont il estoit entrepris, & de mal d'estomach, que si on n'y apportoit un prompt remède il mourroit en bref: le luy dis que j'y adviserois dans dix jours, qui estoit pour dilayer, attendant tousjours nos vaisseaux.

J'advisay que s'il estoit question qu'il sortist, que ce seroit à mon grand regret, & d'ailleurs qu'en le delivrant cela nous pourroit en quelque façon estre profitable, & que toutesfois & quantes que nous le desirerions avoir nous le pourrions reprendre, s'il n'abandonnoit tout le païs.

Or comme j'ay dit cy-dessus, entre tous les Sauvages nous n'avions pas cogneu un plus fidelle amy & secourable que Chomina, qui nous advertissoit de toutes les menées qui se passoient parmy les Sauvages, aussi je l'entretenois fort bien le cognoissant vrayement loyal, il estoit, comme j'ay dit cy-dessus, l'accusateur & dénonciateur de nostre meurtrier, soubçonné par ses camarades qui luy portoient 212/1196envie, mais il y en avoit qui le favorisoient, & principalement Erouachy, qui le portoit fort parmy eux.

Je mande Chomina qu'il me vint trouver au Fort, & après luy avoir longuement discouru sur ce subject de la bonne volonté qu'il avoit tousjours eue envers les François, qu'il eust à la continuer, en luy promettant de l'eslire Capitaine à l'arrivée de nos vaisseaux: que tous les chefs feroient estat de sa personne, qu'on le tiendroit comme François parmy nous, qu'il recevroit des gratifications & de beaux presens à l'advenir, luy donnant crédit & honneur entre tous ceux de sa nation, comme aussi de le faire manger à nostre table, honneur que je ne faisois qu'aux Capitaines d'entr'eux, & que pour accroistre son crédit, qu'aucun conseil ny affaire ne se passeroit parmy eux qu'il n'y fust appellé, tenant le premier rang en sa nation: & pour davantage le mettre en réputation & le mettre du tout hors de soupçon de ce qu'on l'accusoit qu'il estoit l'un des tesmoins de nostre meurtrier, qu'il luy vouloit du mal, le menaçant que s'il sortoit une fois de nos mains qu'il se vangeroit de luy. Pour rabatre toutes ces mauvaises volontez, il falloit qu'il creust mon conseil, que s'il avoit bien faict par le passé, il falloit qu'il fist encore mieux à l'advenir: ce qu'il promit faire avec grande demonstration d'allegresse, disant que je m'asseurasse qu'il ne se passeroit rien entre les Sauvages au desadvantage des François qu'il ne nous en donnast advis, qu'il sçavoit bien que la pluspart n'avoient le coeur bon, & qu'Erouachy (duquel nous pensions faire estat) 213/1197estoit un homme cauteleux, fin & menteur, nous donnant de bons discours, accordant facilement ce qu'on luy proposoit, & neantmoins en arrière il faisoit tout le contraire, pariant autrement, que pour luy il n'avoit rien tant en haine que ces coeurs doubles, mais qu'il falloit quelquesfois faire semblant d'adjouster foy en ces discours, & ne faire neantmoins que ce que l'on jugeroit devoir estre fait par apparence. Il dit qu'il aime grandement les François, c'est le moins qu'il peut dire, les effects le feront assez cognoistre. Alors il me dist, le temps & la saison approchera pour ceux qui auront bon coeur envers toy & tes compagnons, si vos vaisseaux ne viennent, tu es asseuré de moy & de mon frere, lesquels ne feront que ce que tu voudras pour t'assister en ce que tu pourrois avoir affaire de nous, je tascheray encore d'attirer avec moy quelques Sauvages de crédit poussez de mesme volonté, il y en a que j'ay commencé à y disposer, cela fait je ne doute plus rien contre mes envieux, desquels je ne me soucie pas beaucoup: ils demeureront tels avec desplaisir, & moy contant de vostre amitié, en vous servant de tout mon coeur. Voila bien dit (luy dis-je) nous sommes délibérez de mettre le prisonnier dehors pour ton respect, & te faire entrer en crédit: par ce moyen tu diras audit Erouachy que tu m'as prié pour le prisonnier afin de le mettre hors, que je t'ay donné bonne esperance, qu'en peu de jours cela se pourra faire, voyant ce qu'il dira & tous les autres Sauvages, que je m'asseure qu'ils le trouveront bon, jugeant bien que si c'estoit toy qui eust accusé le meurtrier que tu ne poursuivrois 214/1198pas sa delivrance, mais plustost sa mort, & leur dire à tous les considerations que nous voulons, en cas qu'il sorte.

Le premier article, Que le prisonnier laisseroit son petit fils chez le Père Joseph Caron Recolet, qu'il nourrissoit, & seroit comme pour ostage & asseurance que le cas arrivant que les François (qui estoient allez aux Hurons) vinssent, & qu'ils n'y peussent retourner ny aller à la nation des Abenaquioicts, où j'avois envoyé descouvrir, les despartir entr'eux jusques à 25 attendant nos vaisseaux.

2. Que si lesdits Abenaquioicts avoient desir de nous donner de leurs bleds d'Inde ou traitter: qu'ils nous fourniroient de 8 Canaux avec quelques Sauvages & des François que nous y envoyerions pour traitter dudit bled d'Inde.

3. Que luy & ledit Erouachy nous respondroient que le prisonnier ne feroit aucun mal à qui que ce fust estant delivré & guary.

4. Que le temps venu de la pesche des anguilles ils nous en feroient fournir raisonnablement par leurs compagnons en payant.

5. Que je desirois qu'il fust recogneu pour Capitaine entre les Sauvages, attendant que nos vaisseaux fussent venus pour en faire les cérémonies & le faire recevoir, & qu'il auroit pour adjoint & pour son conseil après luy Erouachy, Bastisquan chef des trois rivieres, & le Borgne, qui estoit un bon Sauvage & homme d'esprit, avec un autre de nostre cognoissance, pour resoudre & délibérer des affaires entre-eux.

6. Que ledit Erouachy tiendra sa promesse, que 215/1199s'il void celuy qu'il dit qui avoit tué nos hommes, qu'il s'en saisira ou nous le monstrera, s'il vient en ces lieux, pour en faire justice.

Voila les conditions que tu leur diras que je desire, ausquelles je ne voy point de difficulté, & ayant resoult ensemblement, vous me viendrez revoir pour sçavoir ce que l'on fera sur cette affaire, & s'ils seront delibérez d'accorder ce que je te propose. Il me promit d'accomplir le tout, en leur remonstrant combien nous les surpassions en bonté, police, & justice, & comme nous nous comportions en choses criminelles, & ne leur ressemblions, veu qu'aussitost qu'un de leurs hommes avoit esté tué, sans consideration aucune, ils alloient faire mourir le premier de la nation qu'ils rencontroient, fust-ce sa femme ou son enfant: mais parmy nous, au contraire la justice ne s'exerçoit que contre celuy qui avoit tué, & ne le sçachant que par soubçon nous usions de grande patience attendant le temps que nostre Dieu, juste juge (qui ne souffre que les meschans prosperent en leur mal) permet à la fin qu'ils soient descouverts par des tesmoignages bien approuvez & irréprochables, premier que les faire mourir, ou delivrer s'ils n'estoient coulpables, ce que nous faisions avec honneur & louange, & à la honte & infamie de ceux qui l'auroient meschamment accusé, devant souffrir le mesme supplice que le criminel, que nous avions détenu ce prisonnier, & pour le 14 mois, sans luy faire aucun mal que de l'avoir retenu tant de temps, sur ce qu'il m'avoit dit & ouy dire à Martin, Sauvage defunct, & pour le bruict commun qui estoit entre tous les Sauvages, 216/1200qu'il n'estoit pas prisonnier sans sujet, joint le discours que la femme dudit prisonnier avoit fait, & autres tesmoignages de nos gens, mais qu'à l'advenir il falloit se comporter plus sagement en nostre endroit: qu'ils prinsent courage de nous assister en tout ce que nous leur proposions, vivant en paix les vus avec les autres, qu'ils n'avoient point de suject de se plaindre, ne leur ayant jamais m'esfect ains au contraire en leurs extrêmes necessitez plusieurs d'eux seroient morts sans nostre secours, & ont très-mal recogneu les bienfaicts, nous ayant tué quatre hommes depuis que nous estions habituez à Québec. Il s'esmerveilloit comme nous avions tant de patience, veu que nous pouvions perdre leur païs, & les rendre fugitifs en d'autres contrées où ils seroient très-mal au prix du leur, & ainsi sur ce subject nous fismes plusieurs discours.

Chomina s'en alla dire à tous les Sauvages ce que je luy avois dit, Le lendemain il me revint trouver, me disant avoir fait récit à tous ses compagnons en conseil ce que je luy avois proposé, que tous avoient receu une grande resjouyssance, que veritablement cette affaire le mettroit en crédit & hors de toute mesfiance, que dans deux jours ils me viendroient trouver après avoir resolu ce qu'ils auroient à respondre, en confirmant tout ce que nous désirions, avec promesse de nous assister en tout & par tout, quoy que nos vaisseaux ne vinssent, & vivre en bonne intelligence à l'advenir. Ce sont leurs discours ordinaires qu'il faut croire par bénéfice d'inventaire & en tirer ce que l'on peut, comme d'une mauvaise debte, car la moindre mouche qui 217/1201leur passe devant le nez est capable de diminuer beaucoup de ce qu'ils promettent si on leur refuse de quelque chose, principalement quand les demandes sont générales, autrement non.

Au bout de deux jours ledit Chomina, Erouachy, & tous les autres Sauvages me vindrent trouver, Erouachy parlant pour tous, dit ainsi. Il y a long temps que nous avons esté liez d'une estroitte amitié, & notamment depuis prés de 30 ans que vous nous avez assisté en nos guerres & autres necessitez extresmes, sans vous avoir eu que peu de ressentiment, nous jugeans véritablement incapables de vostre affection pour n'avoir fait ce que nous pouvions depuis que les Anglois sont venus en ce lieu, pour moy tu sçais comme estant esloigné je ne pouvois remédier par presence ny conseil, à toutes ces choses passées, & de plus que tout le païs est desnué de Chefs & Capitaines qui sont morts depuis deux ans, & ne restant que des hommes vieux sans commandement, & des jeunes sans esprit & conduite, qui ne jugeant combien vostre bienvueillance nous est necessaire, que sans la continuation d'icelle nous serions miserables, mais comme vostre coeur a tousjours esté entièrement bon nous vous prions le continuer, comme le père à ses enfans. Nous ne recognoissons plus d'anciens amis que toy, qui sçache nos deportemens & gouvernemens trop affectionnez envers nous jusques à present. Il est vray que l'on a tué de vos hommes, mais ce sont des meschans particuliers, & non le général qui en a receu beaucoup de desplaisir, principalement ceux qui ont du jugement, à l'un 218/1202tu luy as pardonné, l'ayant recognu pour meurtrier qui avoit fait le meurtre par le mauvais conseil de certaines personnes qui sont aussi bien morts que luy: l'autre aussi meschant que le premier, qui est celuy que tu soubçonne, & dis en avoir quelque tesmoignage, ce qu'estant vérifié nous ne le desirons maintenir, mais qu'il meure. Il n'a jamais rien confesse, il proteste ne l'avoir fait, & qu'il n'appréhende pas tant la mort de ce qu'on l'accuse, que s'il les avoit faict mourir qu'il le diroit librement plustost que de demeurer dedans une prison, souffrant plus d'ennuis & de tourments en ses maladies que s'il mouroit tout d'un coup. Que tout ce que j'avois dit à Chomina ils le desiroient effectuer & faire pour les François tout ce qu'ils pourroient, & desirant qu'il fust Capitaine, dit qu'il en estoit très-content, comme aussi tous les Sauvages, mais ce qu'il disoit estoit au plus loin de sa pensée, recognoissant asseurément que delivrant le prisonnier à sa requeste & supplication, qu'il falloit qu'il nous eust grandement obligé.

Je luy dis devant tous que les affections de ceux qui promettoient beaucoup ne consistoient pas en paroles & caresses, qui n'estoient que les avant-coureurs des effects en la pluspart du monde tant envers eux qu'envers nous: que pour luy nous l'avions treuvé entre tous les Sauvages de parole effective, il avoit l'esprit, le jugement & la cognoissance très-bonne, sans ingratitude, qui sont les choses autant requises qu'il falloit pour un Chef. Pour le courage il n'en manquoit point, que je le pouvois asseurer que luy & tous ceux qui tiendroient 219/1203son party je les maintiendrois de tout mon pouvoir contre ceux qui luy voudroient faire du desplaisir: que nous avions le naturel si bon que ceux qui nous avoient obligez pour peu que ce fust, nous n'en estions mescognoissans. Tu pourrois estre en peine de sçavoir qui nous a incité à luy vouloir tant de bien-vueillance. Je te diray que quand il a esté question d'envoyer quelque Sauvage & faire diligence nous voyant en peine il n'a attendu que nous luy en parlassions, mais aussi-tost avec son frere il s'est offert de nous servir sans marchander ny esperer de recompense que nostre volonté, & promptement & d'un coeur franc il nous a servis avec fidélité, s'employant & s'offrant à toutes occasions, ce que n'ont fait les autres: en nos necessitez il ne nous a jamais abandonné ny en hyver ny en esté, nous secourant de ce qu'il pouvoit, desirant plustost mourir avec nous que nous abandonner. Quand quelques uns de mes compagnons alloient en sa maison que ne faisoit-il point pour les caresser & traitter humainement: leur donnant souvent ce qu'il gardoit pour luy. Il prenoit compassion de nos necessitez, & ne faisoit pas comme d'autres qui s'en rioient, nous vendant excessivement un peu de poisson ou viande quand on en desiroit avoir, sans autres infinies obligations que nous luy avons pour tant de tesmoignages de sa fidélité: il s'est offert aussi en cas que l'on voulust se battre avec l'Anglois qu'il viendroit avec nous pour y vivre & mourir: & se mettant en devoir luy & son frere, se sont presentés en nostre fort avec leurs armes pour recevoir tel commandement que 220/1204j'eusse desiré, ce que n'a jamais fait autre Sauvage que luy: au contraire comme ils virent les Anglois à Tadoussac, ils les conduirent jusques au Cap de Tourmente, leur enseignant volontairement le chemin, aydant aux Anglois à tuer nostre bestial, & piller les maisons de nos gens comme s'ils eussent esté ennemis: regarde & juge quelle raison nous avons à hayr ceux-là, & vouloir du bien à ces hommes cy.

Il est vray que voilà de puissantes raisons pour l'affectionner, il s'est trouvé des occasions où il a montré quel estoit son coeur, mais pour moy j'estois absent: je ne laisse pourtant d'avoir le mesme desir de servir si l'occasion se presentoit. Pour ceux qui ont conduit les Anglois, ils sont de Tadoussac, meschans Sauvages qui n'ont point d'amitié, estant assez recogneus pour tels, qui parlent de bouche amiablement, mais le coeur n'en vaut rien, & ne font que du mal. Nous sommes tres-aises de ce que Chomina s'est si bien porté en vostre endroit, vous avez raison de l'aymer: neantmoins nous ne laissons tous de vous affectionner aussi bien que luy. Je ne doute point de sa fidélité, il a montré par effect ce qui nous occasionne à te vouloir du bien, en attendant les effects de nos promesses, asseurez-vous que nous les effectuerons, & les vaisseaux venus l'on recevra ledit Chomina pour Capitaine. Tu sçais la façon de faire quand on eslist un Chef, & qu'il change de nom, tu en as faict d'autres, c'est pourquoy tu seras encore cestuy-cy que nous tiendrons pour tel attendant son eslection comme chef, chacun respondant d'une voix, ainsi sera il.

Ce que voyant je dis audit Chomina que quand 221/1205il voudroit qu'il emmenast le prisonnier, & qu'il luy remonstre d'estre sage à l'advenir, que s'il a esté prisonnier tant de temps, que ce sont les discours des Sauvages, & non nous.

Ledit Chomina sortant avec tous les autres Sauvages, le va treuver, luy ayant auparavant donné bonne esperance de sa delivrance qu'il moyennoit, après avoir remonstré plusieurs choses, le prisonnier luy dit, Je sçais bien que les François n'ont point de tort de m'avoir retenu si long-temps, ils avoient juste sujet de le faire, d'autant que les nostres leur avoient donné à entendre que c'estoit moy qui avoit fait le meurtre, quand je seray guary je leur veux tesmoigner qu'un meschant homme ne voudroit faire ce que je feray pour eux.

Ces discours finis ils le prennent & le mettent en une couverte, & l'emportant à quatre, car il ne pouvoit se soustenir sur les jambes estant fort desfait & débile: la vérité est que ces gens qui ont accoustumé une grande liberté, la prison de 14 mois leur est un grief supplice, autant presque que s'ils recevoient la mort tout d'un coup: ce fut où la necessité des vivres nous contraignit, veu que sans ceste extrémité il eut tousjours esté prisonnier: mais quoy, c'estoit chose forcée ou estre tousjours en trances & apprehension avec ces Sauvages qui ne nous eussent voulu secourir en nostre necessité: car nous voyant foibles desnuez d'hommes & de tout secours, ils eussent peu entreprendre sur nous ou sur ceux qui alloient chercher des racines dans les bois, avec beaucoup d'autres considerations qui nous excitoient à cela.




222/1206Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglais.

CHAPITRE II.

Le 25 du mois d'Avril717 Desdames arriva avec la chalouppe de Gaspey, qui dit n'avoir veu aucuns vaisseaux, ny les Sauvages, & n'en avoit sceu aucunes nouvelles, sinon que quelques uns qui venoient du costé d'Acadie, qui dirent y avoir quelques huict vaisseaux Anglois718, partie rodant les costes, autres faisant pesche de poisson: que Juan Chou Capitaine Sauvage des Canadiens leur avoit fait bonne réception selon leur pouvoir, s'offrant que si le sieur du Pont vouloit aller en leur païs, au cas que nos vaisseaux ne vinssent, qu'il ne manqueroit d'aucune chose de leur chasse, ce faisant faire une petite maison en quelque endroit.

Note 717: (retour)

Cette date est évidemment fautive. Desdames ne pouvait pas être si tôt de retour de Gaspé; au reste l'auteur nous dit lui-même (p. 202) que la chaloupe ne partit que le 17 mai. Desdames serait-il arrivé le 25 de mai, c'est-à-dire, au bout de huit jours? Il n'y a guère d'apparence qu'il eût pu faire un pareil voyage en si peu de temps; d'ailleurs, l'auteur donne à entendre plus loin (p. 224) que la chaloupe ne revenait pas assez vite au gré de Du Pont. Elle avait donc dû être un bon mois à ce voyage. D'un autre côté, elle arriva à Québec un vendredi, puisque, le surlendemain dimanche, on lut publiquement les commissions de Champlain et de Pont-Grave (ci-après, p. 227). Il faut donc conclure que Desdames arriva ou le l5 ou le 22 de juin. Or deux raisons nous font croire que ce fut plutôt le 15: d'abord la faute typographique s'explique plus naturellement; ensuite, il paraît évident qu'il s'écoula plusieurs jours entre l'arrivée de la chaloupe et le départ de Boullé avec la barque (voir ci-après, p. 228 et suivantes). Desdames arriva donc de Gaspé vraisemblablement le 15 de juin.

Note 718: (retour)

L'amiral David Kertk, parti de Gravesend le 5 avril 1629 avec six vaisseaux et deux pinasses, avait quitté les côtes d'Angleterre le 20 du même mois, et il devait être dans les environs de Canceau dans la première quinzaine de juin; puisqu'il arriva à Gaspé le 25 de ce mois. (Pièces justificatives, n. V.)

223/1207De plus qu'il prendroit 20 de nos compagnons qui partiroient719 parmy les siens pour y passer l'hyver ou ils n'auroient aucune faim, moyennant deux robbes de castors pour chaque homme: Ce n'estoit pas peu de treuver tant de courtoisie & de retraite asseurée parmy eux, beaucoup mieux qu'avec nos sauvages: ils nous apportèrent un baril & demy de sel, sans ce que ceux de la chalouppe ayderent aux peres religieux, lesquelles choses en ce temps là ils prisoient plus que de l'or. Il nous confirma comme les Anglois avoient bruslé tous les vivres qui restoient aux Pères Jesuistes, qu'ils avoient donné quelques six barils de farine aux Sauvages moitiée guerre moitiée marchandise: qu'ils avoient une grande aversion contre les ennemis, notamment contre les François renégats qui les avoient emmenées: Et tout ce que nous avons sceu des Sauvages, il nous le confirma touchant le combat, sçavoir qu'un petit vaisseau François arrivant sur ceste affaire, ne voulant estre de la partie, se sauva partie à la rame & à la voile, & cogneut-on que c'estoit le Reverend Père Norot720 Jesuiste, qui s'estoit separé depuis long temps d'avec ledit de Roquemont, s'ils eussent eu quelque homme de conduitte & hasardeux, ils eussent entré facillement en la riviere pour venir à Québec nous secourir, ce qui l'occasionna de s'en retourner en France, n'ayant emmené en Angleterre que les Capitaines & Principaux, & le petit Sauvage que l'on remmenoit en son païs: que le général Guer721 avoit esté dix jours à se r'accommoder 224/1208à Gaspey, qu'ils n'avoient bruslé les barques ny chalouppes à l'Isle de Bonaventure, ny autres lieux comme on nous avoit dit: que l'on avoit donné deux vaisseaux pour rapasser les François en France, avec partie des maris, femmes & enfans, qui coururent depuis plusieurs fortunes & dangers, tant aux costes d'Espagne qu'ailleurs722, desquels naufrages ils s'estoient sauvez, fort incommodez de toutes choses: voilà ce que les effects de ceste guerre causerent au commencement en la Nouvelle France aux Anglois, ils faisoient bien d'aller en ces lieux, voyant qu'ils ne pouvoient rien faire en l'isle de Ré, où tout leur avoit mal succedé.

Note 7191: (retour)

Qu'il partiroit, ou distribueroit.

Note 720: (retour)

Noirot. (Voir ci-dessus, p. 208.)

Note 721: (retour)

Guer, pour Kertk.

Note 722: (retour)

Voir Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IX, X.

Entendant de si tristes nouvelles nous voyant comme hors d'esperance de tout secours, nous jugeasmes qu'il n'estoit plus temps de temporiser723, mais bien de remédier de bonne heure à ce que nous pouvions avoir affaire; nostre petite barque estoit toute preste, ledit du Pont s'estoit resolu de s'en aller dedans sans attendre la chalouppe davantage, craignant qu'elle ne tardast trop, & partant trop tard que malaisément l'on trouveroit des vaisseaux aux costes pour estre possible partis, qu'en chemin faisant pour le plus seur, si nos vaisseaux devoient venir, ils les rencontreroient, ou ladite chalouppe qu'ils emmeneroient avec eux. Ledit du Pont avoit eu de la peine à se resoudre à cause de l'incommodité de ses goutes, mais luy ayant bien remonstré qu'il avoit bien quitté sa maison pour s'embarquer en un meschant petit vaisseau, & de 225/1209plus qu'il estoit venu à Gaspey parmy tous les dangers de la guerre aussi malade qu'il estoit: davantage qu'il s'estoit mis dans une chalouppe de Gaspey pour venir à Québec avec de si grandes incommoditez qu'on ne l'auroit creu, si on ne l'avoit veu, que ce n'estoit pas de mesme en ceste occasion plus pressante, d'autant que son âge & la réputation qu'il avoit entre les navigeans de ces costes, estoient cause qu'avec les Capitaines & maistres des vaisseaux desquels il estoit cogneu, plus facilement il treuveroit partage, & pourroit plus asseurément contracter avec lesdits chefs des vaisseaux pour le passage; pour sa personne il n'alloit pas dans une chalouppe comme il estoit venu de Gaspey avec de grandes douleurs & incommoditez, mais en une barque fort gentille & bien accommodée, y ayant sa chambre où il seroit très-bien, & avec des personnes qui l'assisteroient, en luy portant toute sorte de respect, pouvant recouvrir plus de rafraichissement le long des costes, changeant d'un jour à autre de lieu que non pas à Québec où il n'y avoit rien: qu'il se trouvoit fort peu de personnes qui voulussent demeurer à l'habitation sans vivres. Que pour sa personne seule il falloit empescher quelquesfois quatre hommes à l'assister & secourir, lesquels ne pourroient demeurer avec luy, de sorte que force leur seroit de l'abandonner pour aller chercher leur vie de jour à autre: Que de tenter la fortune de repasser en France luy seroit chose meilleure que de souffrir de si grandes necessités, ne pouvant plus rien esperer de Québec, ayant le peu qu'il y avoit esté conservé pour luy seul, ce que je ne pensois 226/1210pas qu'il peut faire, il me dist que pour le voyage qu'il avoit fait de France à Québec, il n'estoit pas à s'en repentir, mais trop tard, je luy dis, Vous sçaviez aussi bien que moy la façon comme l'on nous traitte en ces lieux, où les necessitez ont plus régné que les biens-faits de ceux qui ont cette affaire, vous n'estes point novice en cela, un autre se pourroit excuser, mais vous avez trop d'expérience pour sçavoir & cognoistre ce qui en est: car si à Québec vous aviez les commoditez approchantes de ce qu'il vous faudroit je vous conseillerois d'y demeurer. En fin comme j'ay dit cy-dessus, il se resolut de s'embarquer & laisser le sieur de Marais 724, fils de sa fille en sa place, & emporter avec luy quelque 1000 castors pour subvenir aux frais de la despence, qui furent embarquez. Cela resoulu, le lendemain il me dist si j'aurois agréable qu'il fit lire sa commission que luy avoit donnée le sieur de Caën, afin qu'un chacun sceust la charge qu'il luy avoit donnée en ces lieux, craignant que ledit de Caën ne luy donnast ses gages, lors qu'il luy demanderoit, je luy dis que cela ne m'importoit pas beaucoup, mais qu'il commençoit bien tard, parce que ledit de Caën, outre le droict qui luy pouvoit appartenir, s'attribuoit des honneurs & commandemens qui ne luy appartenoient pas, anticipant sur les charges de Vice-Roy, luy monstrant les principaux points. Pour ce qui touchoit le trafic & commerce de pelleterie il y avoit toute puissance, qu'en cela les articles de sa Majesté nous gouvernoient, à 227/1211quoy il se falloit arrester: En outre j'avois bonne commission en forme, selon la volonté de sa Majesté, & de Monseigneur le Vice-Roy, & celle dudit sieur de Caën ne pouvoit estre de telle consideration.

Note 723: (retour)

Nouvelle preuve que la chaloupe de Desdames n'était arrivée ni le 25 de mai, ni encore moins le 25 avril. (Voir ci-dessus, p. 222.)

Note 724: (retour)

Ce jeune Des Marais était le fils du sieur Des Marais dont il est parlé si souvent dans les relations précédentes. Il était venu avec son grand-père en 1627. (Voir ci-dessus, p. 141.)

Le lendemain 725, qui estoit le Dimanche, au sortir de la saincte Messe je fais assembler tout le peuple, avec la copie de la commission du sieur du Pont, les articles de sa Majesté & la commission de Monseigneur le Vice-Roy, auquel véritablement je fais entendre le pouvoir que pouvoit donner ledit sieur de Caen à ses commis, differens d'avec celuy que j'avois selon les articles de sa Majesté, que je fis lire contenant aucuns poincts de la commission dudit du Pont, & en suitte ma commission, qui estoit fort ample, disant à tous: Je vous fais commandement de par le Roy, & Monseigneur le Vice-Roy, que vous ayez à faire tout ce que vous commandera ledit du Pont, pour ce qui touche le trafic & commerce des marchandises, suivant les articles de sa Majesté que je vous ay fait lire, & du reste de m'obeir en tout & par tout en ce que je commanderay, & où il y aura de l'interest du Roy & de mondit Seigneur, en me reservant dix hommes gagez dudit de Caën, suyvant les articles resolus de toute la societé, desquels ledit de Caen avoit esté porteur, & me les mit en mains, par l'un desquels estoit porté & enchargé me donner dix hommes, avec toutes les commoditez necessaires pour les employer au Fort, ainsi que j'aviserois bon estre. J'ay creu que ledit sieur de Caen ne s'en ressouvenoit plus, car il 228/1212n'y avoit pas d'apparence qu'il eust voulu disputer une chose où luy-mesme avoit signé, & le sieur Dolu, & autres associez. La chose la plus importante estoit de se fortifier le mieux que l'on pourroit pour la conservation du païs, qu'à faute de ce faire c'estoit le laisser en proye à un ennemy qui peut recognoistre nostre foiblesse, sans que ledit du Pont ny autres pussent empescher l'effect du commandement que j'ay, sur peine de desobeissance, & punition corporelle.

Note 725: (retour)

Vraisemblablement le 17 juin, qui était un dimanche. (Voir ci-dessus, note 1 de la page 222.)

Je voy bien (dist le sieur du Pont) que vous protestez ma commission de nullité: Ouy en ce qui heurte l'authorité du Roy & de Monseigneur le Vice-Roy, pour ce qui est de vostre traicté & commerce, suivant les articles de sa Majesté, à quoy il se faut tenir, cela se passa ainsi.

La chalouppe (comme j'ay dit cy-dessus) estoit venue de Gaspey, qui interrompit le dessein dudit du Pont de s'en aller, d'autant que son intention n'estoit qu'au cas qu'il n'y eust aucun vaisseau à Gaspey où il peust s'en retourner, de revenir à Québec sans se mettre en peine de passer plus outre pour chercher passage & aller en France dans les vaisseaux François, qui pouvoient estre à l'isle de S. Jean, du Cap Breton, Canseau, Isles de S. Pierre, Plaisance où autres ports, qui sont à l'isle de Terre-Neufve, où il y en avoit, & sembloit qu'il ne voulust aller à Gaspey que pour establir les François avec les Sauvages & s'en revenir à Québec: les matelots qui ne desiroient plus y retourner 229/1213craignant de mourir de faim, avoient volonté de courir le risque & de chercher passage plustost que de demeurer avec les Sauvages, si ce n'estoit par force: Ce qui me fit luy demander si c'estoit son intention de s'embarquer en la barque, s'il avoit dessein de s'en retourner à Gaspey, il me dit qu'ouy: Alors je luy dis, que pensez-vous qui vous rameine, regardez ce qu'avez à faire, car les matelots ne sont pas délibérez de revenir, & ainsi vous vous trouverez deceu si vous vous attendez à cela, vous voyez que l'on descharge l'habitation de plus d'hommes que l'on peut, ne faisant estat que d'y faire demeurer treize à quatorze personnes, & vous revenant, vous en amènerez une douzaine, ce seroit pour mourir de faim les uns pour l'amour des autres, il n'y a pas beaucoup d'apparence: joint que quelques matelots sont resolus de demeurer avec les Sauvages de par delà, & le reste d'aller chercher passage à quelque prix que ce soit, mesme que ne trouvant vaisseaux ils se veulent bazarder de passer la mer en ceste barque, & si n'avez volonté de passer plus outre, je vous conseille plustost de demeurer icy: car aussi bien vostre voyage seroit inutile, estant contraint de demeurer avec les Sauvages ou courir le hazard avec les matelots.

Ce qu'entendant il desira plustost demeurer, que de se mettre au risque, appréhendant la peine qu'il pensoit avoir en ce voyage pour le mal des goûtes qui le tourmentoient de telle façon, qu'il estoit plus couché que debout, cela resolu il fit descharger de la barque 500 castors, de mil qu'il y avoit fait mettre.

230/1214Je fis d'amples mémoires de tous les deffauts que je recognoissois, avec lettres adressantes à sa Majesté, à Monseigneur le Cardinal, & à Messieurs du Conseil, & aux Associez, mettant le tout entre les mains de mon beau-frère Boullay, lequel j'avois bien instruit de tout ce qui estoit necessaire, luy donnant une commission suivant le pouvoir que j'avois: & luy commanday de s'en aller avec les matelots chercher passage à quelque prix que ce fut, luy donnant charge de laisser à Gaspey avec Juan Chou & ses compagnons Sauvages, tous ceux qui y voudroient demeurer, & ceux qui le voudroient suivre qu'il les emmenast avec luy. J'ordonnay à tous ceux qui devoient s'en retourner, qu'ils allassent dans les bois deux ou trois tours premier que partir pour chercher des racines pour leur provision, attendant qu'ils peussent rencontrer la pesche de molue vers Mantane: Ce qu'ayant fait je les faits tous assembler, voulant sçavoir la volonté des uns & des autres, sçavoir ceux qui desiroient demeurer à Gaspey, & ceux qui vouloient suivre mon beau-frère, il s'en treuva vingt, de trente qu'ils estoient726, qui desirerent demeurer à Gaspey, entr'autres Foucher, Desdames & deux autres Matelots, & le reste desiroit courir risque.

Ayant mis ordre à tout, mon beau-frère partit avec sa barque727 & tout son esquipage, le 26 de Juin, laquelle n'avoit que des racines, si ce n'estoient aucuns qui par leur mesnage avoient quelque 231/1215peu de farine de pois. La barque partie chacun de ceux qui restoient commencèrent à labourer la terre, & y semer des naveaux, pour nous survenir durant l'hyver: en attendant la moisson on estoit tous les tours à la recherche des racines pour vivre, ce qui causoit de grandes fatiques, car on alloit six à sept lieues les chercher, avec une grande peine & patience, sans en treuver en suffisance pour nous nourrir. Les autres faisoient ce qu'ils pouvoient pour prendre du poisson, & faute de filets, lignes & hains, nous ne pouvions faire grande chose: la poudre pour la chasse nous estoit si chère que je desirois mieux pâtir que d'user si peu que nous en avions qui n'estoit pas plus de 30 à 40 livres, & encore très mauvaise.

Note 726: (retour)

Ils étaient trente en comptant Boullé lui-même. (Pièces justificatives, n. III.)

Note 727: (retour)

Cette barque, appelée la Coquine, était de douze ou quatorze tonneaux suivant Sagard (Hist. P. 980), ou seulement de sept à huit, d'après l'auteur lui-même (voir Pièces justificatives, n. II).

Nous attendions de jour en jour les Hurons, & par mesme moyen 20 François qui estoient allez avec eux pour nous soulager de nos pois: ceste surcharge me mettoit bien en peine, n'ayant du tout rien à leur donner s'ils n'apportoient de la farine avec eux, ou que lesdits Hurons ne les remmenassent, ou bien les mettre avec les Sauvages au tour de nous, comme ils nous avoient promis de les prendre, mais comme ils sont d'une humeur assez variable, cela me donnoit du tourment. Chomina nous dit qu'il s'en alloit aux trois rivieres avec tous les sauvages, qui deslogeoient d'auprès de Québec, pour aller au devant des Hurons traiter des farines s'ils en avoient: pour cet effect il demanda quelques cousteaux, & promet en traiter fidellement, nous apportant aussi tost les farines: la creance que nous avions en luy, fit qu'on luy en donna, 232/1216& une arme de picquier qu'il demanda à emprunter pour la guerre, de quoy il ne fut refusé. Son frère Ouagabemat728 s'offrit d'aller à la coste des Etechemins, où estoient les Anglois pour y traiter de la poudre, il demanda qu'on luy donnast un François, lequel demeuroit à deux journées dans les terres de la coste, ce qui luy fut accordé, pour tascher de quelque façon que ce fut à nous maintenir. Pour ce sujet il partit le 8 de Juillet, laissant la grande riviere, & ayant fait quelque chemin par celle qui va ausdits Etechemins, ils treuverent si peu d'eau qu'ils furent contrains de s'en revenir le 11 dudit mois, & par ainsi ce voyage fut rompu.

Le 15 de Juillet arriva l'homme que j'avois envoyay à la decouverte des Sauvages appelle Abenaquioit, qui me fit rapport de tout son voyage suivant le mémoire que je luy avois donné, le nombre des saults qui falloit passer premier que d'y arriver, la difficulté des chemins qui se rencontroient en ce traject de terre, jusqu'à la coste desdits Etechemins, les peuples & nations qui sont en ces contrées, leurs façons de vivres, nous asseurant que tous ces peuples vouloient lier une estroitte amitié avec nous, & prendre de nos hommes avec eux pour les nourrir durant l'hyver, attendant que nous eussions secours de nos vaisseaux: qu'en peu de jours il devoit venir un chef de ces peuples avec quelques Canaux pour confirmer leur amitié, & mesme nous ayder de leurs bleds d'Inde, estant peuples qui ont de grands villages, & à la campagne 233/1217de maisons, ayant nombre de terres défrichées, où ils sement force bleds d'Inde qui recueillent suffisamment pour leur nourriture, & en ayder leurs voisins, quand il manque quelque année qui n'est pas si bonne que d'autre. Il y a de belles campagnes & tort peu de bois ou ils habitent, la pesche du poisson y est abondante de Bars, Saumons, Esturgeons & autres poissons en grande quantité: comme aussi y est très-bonne la chasse des animaux & du gibier, de sorte que quand les eaues sont un peu grandes l'on y peut aller en six jours avec diligence: il y a une riviere729 qui va tomber en ceste coste des Etechemins, en laquelle j'ay esté autrefois du temps du sieur du Mont comme j'allois descouvrir les ports, havres, & rivieres. Ce voyage & descouverte me donna un grand contentement pour l'esperance du fruict qu'un jour nous en pourrions retirer durant nostre necessité, où ces peuples nous pouvoient bien servir. Ce qui est de remarquable, c'est un lieu où l'on ne craint point d'ennemis sur le chemin, qui vous puisse empescher d'aller & venir librement 730.

Note 728: (retour)

Sagard l'appelle Neogabinat, et les Relations des Jésuites Negabamat. Il devint plus tard fervent chrétien, et fut l'un des premiers qui se fixèrent à Sillery.

Note 729: (retour)

Le Kénébec.

Note 730: (retour)

Voici, suivant nous, le sens de cette phrase: Le pays des Abenaquis a cela de remarquable et d'avantageux, que l'on n'a point à craindre, sur le chemin, d'ennemis qui vous puissent empêcher d'aller et venir librement.

Le 17 du mois de Juillet arriverent nos hommes des Hurons en douze Canaux qui n'apportèrent aucunes farines sinon quelques uns qui en avoient, ne la monstroient à la veue, en attendant nostre disette, il falloit qu'ils fissent comme nous, & allassent chercher des racines pour vivre. Je me deliberay les envoyer à l'habitation des Abenaquiois 234/1218pour vivre de leurs bleds d'Inde attendant le printemps, n'ayant plus d'esperance de voir aucuns amis ny ennemis, la saison estant passée selon les apparances humaines.

Le Reverend Père Brebeuf, selon ce que luy avoit mandé le Reverend Père Massé Superieur731, s'en revint des Hurons, leur laissant une extréme tristesse de son départ, luy disant. He quoy nous delaisses-tu! il y a trois ans que tu es en ces lieux pour apprendre nostre langue pour nous enseigner à cognoistre ton Dieu, l'adorer & servir, estant venu pour ce sujet, à ce que tu nous as tesmoigné, & maintenant que tu sçais plus parfaitement nostre langue qu'aucun qui soit jamais venu en ces lieux, tu nous delaisses & si nous ne cognoissons le Dieu que tu adores, nous l'appellerons à tesmoin que ce n'est point nostre faute, mais bien la tienne, de nous laisser de telle façon; il le leur remonstroit que l'obeissance qu'il devoit à ses Supérieurs ne luy permettoient pour le present de demeurer, attendu aussi les affaires qu'il avoit, & qui estoient grandement importantes, mais qu'il les asseuroit, moyennant la grâce de Dieu, de les venir treuver & amener ce qui seroit necessaire pour leur enseigner à cognoistre Dieu, & le servir, & ainsi se départit. En effect ce bon Père avoit un don particulier des langues qu'il apprit & comprit en deux ou trois ans, ce que d'autres ne feroient en vingt: nous fusmes fort aises de le voir, comme estoient aussi les Peres qui se promettoient qu'il leur apporteroit des 235/1219farines des Hurons, qui eust esté fort peu de chose, n'eust esté la valeur de quelque quatre ou cinq sacs, qui, à ce que l'on me dist, pesoyent environ chacun 50 livres.

Note 731: (retour)

Le P. Ennemond Massé était demeuré supérieur depuis le départ du P. Charles Lalemant.

Cette arrivée de Canaux de Sauvages ne nous apporta aucun bénéfice, car ils n'avoient point de farines à traitter qu'environ deux sacs, que les Pères Recolets traitterent, & le sieur du Pont en fit traitter un autre par le Sous-commis: Pour moy il fut hors de ma puissance d'en pouvoir avoir, ny peu, ny prou, & ne m'en fut seulement offert une escuellée, tant de ceux qui en pouvoient avoir, parmy les nostres, que parmy les autres: toutesfois je prenois patience, ayant tousjours bon courage, attendant la récolte des pois, & des grains qui se feroit au desert de la Veufve-Hebert & son gendre, qui avoient quelque six à sept arpens de terres ensemencées, ne pouvant avoir recours ailleurs, & peux dire avec verité que j'ay assisté un chacun de tout ce qui m'estoit possible, ce qui fut neantmoins fort peu recogneu en mon particulier, & ceux qui estoient avec moy au fort, & estant les plus mal pourveus de toutes choses.

Pour ce qui estoit des Reverends Pères Jesuites ils n'avoient que de la terre défrichée & ensemencée pour eux & serviteur au nombre de douze ne nous en pouvant ayder comme je croy qu'ils eussent fort desiré: le lieu où ils sont habituez est très agreable, estant sur le bord de la riviere S. Charles.

Les Pères Recolets avoient beaucoup plus de terres défrichées & ensemencées & n'estoient que quatre, promettant que s'ils en avoient plus que ne 236/1220leur faudroit en 4 à 5 arpens de terre ensemencez de plusieurs sortes de grains, légumes, racines & herbes potagères qu'ils nous en donneroient. L'année précédente chacun avoit il bien conservé ce qu'il avoit qu'il s'estoit fait fort peu de liberalitez, sinon à quelques particuliers de ceux qui estoient logez à l'habitation, & celle comme dit est, des Pères Jesuites qui nous assisterent de quelques naveaux selon leur puissance.

Comme les Hurons se délibèrent de s'en retourner avec si peu de marchandises qu'ils avoient apportées, pensant treuver dequoy traitter, nouvelles nous vindrent de l'arrivée des Anglois par un sauvage appellé la Nasse732, qui avoit sa maison proche des Pères Jesuites, lequel donnoit esperance & toute sa famille de se faire instruire en nostre foy, & mesmes les Pères luy avoient donné de leur terre défrichée pour le gaigner à eux, ce fut luy qui nous donna cet advis, ce qui m'estonna grandement, pource qu'alors je n'attendois ny François ny Anglois qui eussent entrepris ce voyage bien hazardeusement pour estre venu tard, d'autant que si en France ils eussent fait équiper de bonne heure comme en Mars, la moindre barque estoit suffisante de nous secourir & nous oster du danger d'estre pris, apportant farines, poudre, mousquets, avec un peu de mèche: l'ennemy jugeant bien qu'il n'y avoit rien à faire pour eux sinon traitter quelque pelleterie à Tadoussac, & ne pouvant rien faire, à ce que j'ay sceu depuis, s'ils eussent esté contraints 237/1221de retourner sans rien faire de porter tout ce qu'ils avoient au Cap Breton, où ils avoient une habitation d'un Escossois733 qui estoit de la compagnie du Chevallier Alexandre en Angleterre & roder les costes comme ils avoient fait l'année précédente, pour prendre des vaisseaux qui ayderoient à payer les frais de leur embarquement.

Note 732: (retour)

Son nom sauvage était Manitougatche. Il demeura fidèlement attaché aux Français, et fut baptisé quelques années plus tard. (Relat. des Jésuites.)

Note 733: (retour)

Probablement le millor Escossois dont il est parlé ci-après dans la relation du capitaine Daniel. (Conf., State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, 46, 47.)



Le sieur de Champlain ayant eu advis de l'arrivée des Anglais, donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux. Lettre qu'un Gentilhomme Anglais luy apporte, & sa response. Articles de leur composition. Infidelles François prennent des commodités de l'habitation. Anglais s'emparent de Québec.

CHAPITRE III.

Lors que ces nouvelles vinrent j'estois seul au fort, une partie de mes compagnons estoient allez à la pesche, les autres chercher des racines, mon serviteur & les deux petites filles Sauvagesses734 y estoient aussi: sur les dix heures du matin une partie se rendit au fort & à l'habitation, mon serviteur arrivant avec quatre petis sacs de racines, me dit avoir veu lesdits vaisseaux Anglois à une lieue de nostre habitation, derrière le Cap de Levy735: je ne laissay de mettre en ordre si peu 238/1222que nous avions, pour eviter la surprise tant au fort qu'à l'habitation, les pères Jesuistes & Recollets accoururent aussi tost à ces nouvelles pour voir ce que l'on oourroit: je fis assembler ceux que je jugeay à propos pour sçavoir ce que nous aurions à faire en ces extremitez: il fut arresté qu'attendu l'impuissance en laquelle nous estions sans vivres, poudre736, ny mesche, & sans secours, il estoit impossible de nous maintenir, c'est pourquoy qu'il nous falloit chercher une composition la plus avantageuse que nous pourrions, & attendre ce que voudroit dire l'Anglois, resolus neantmoins qu'au cas qu'ils ne nous voulussent faire composition, de faire sentir à la descente, que voulant nous forcer on leur feroit perdre de leurs hommes, en nous ostant l'espoir de composition.

Note 734: (retour)

Des trois petites filles que les sauvages avaient données à l'auteur, celle qu'il avait nommée la Foy s'en était retournée parmi ceux de sa nation. (Sagard, Hist. du Canada, page 1101.)

Note 735: (retour)

La pointe Lévis.

Note 736: (retour)

Il ne restait que trente à quarante livres de poudre, «et encore très-mauvaise.» (Ci-dessus, p. 231).

Sur le flot, l'Anglois envoye une chalouppe ayant un drapeau blanc, signai pour sçavoir s'il auroit asseurance de nous venir treuver, pour nous sommer, & sçavoir la resolution en laquelle nous estions, je fis mettre un autre drapeau au fort, leur asseurant qu'ils pourroient approcher avec toute seureté: Estant arrivez en nostre habitation, un gentil-homme Anglois mit pied à terre, lequel me vint treuver, & courtoisement me donna une lettre de la part des deux frères du Général Guer qui estoient à Tadoussac avec ses vaisseaux, l'un s'appelloit le Capitaine Louis qui venoit pour commander au fort, l'autre le Capitaine Thomas Vice-Admiral de son frère, me mandant ce qui s'ensuit.

239/1223

Monsieur en suite de ce que mon frere vous manda l'année passée que tost ou tard il aurait Québec, n'estant secouru, il nous à chargé de vous asseurer de son amitié, comme nous vous faisons de la nostre, & sçachant très bien les necessitez extrêmes de toutes choses ausquelles vous estes, que vous ayez à luy remettre le fort & l'habitation entre nos mains, vous asseurant toutes sortes de courtoisie pour vous & pour les vostres, comme d'une composition honneste & raisonnable, telle que vous sçauriez desirer, attendant vostre response nous demeurons, Monsieur, vos très affectionnez serviteurs Louis & Thomas Guer. Du bord du Flibot ce 19. de Juillet 1629.

Ceste lettre leue devant le principal Commis & autres des principaux, il fut resolu de leur faire responce, comme il s'ensuit.

Messieurs la verité est que les négligences ou contrarietez du mauvais temps, & les risques de la mer, ont empesché le secours que nous espererions en nos souffrances, y nous ont osté le pouvoir d'empescher vostre dessein, comme avons fait l'année passée, sans vous donner lieu de faire reussir vos prétentions, qui ne feront s'il vous plaist maintenant qu'en effectuant les offres que vous nous faites d'une composition, laquelle on vous fera sçavoir en peu de temps après nous y estre resolus ce qu'attendant il vous plaira ne faire approcher vos vaisseaux à la portée du canon, ny entreprendre de mettre pied à terre que tout ne soit resolu entre nous, qui sera pour demain. Ce qu'attendant je demeureray Messieurs vostre affectionné serviteur, Champlain, ce 19 de Juillet 1629.

Ledit Capitaine Louis Guer renvoya sur le soir sa chalouppe pour avoir ces articles de la composition, avec asseurance de nous donner toutes sortes de courtoisies, lesquelles articles envoyasmes avec le plus d'advantage qu'il nous estoit possible.

240/1224

Articles [qui seront] accordez par le sieur Guer commendant de present aux vaisseaux qui sont proches de Québec, aux sieurs de Champlain & du Pont, le 19 de Juillet 1629.737

Note 737: (retour)

Le titre de cette pièce se lit ainsi dans l'original conservé à Londres (State Paper Office): «Articles demandées estre accordées par le Sr Quirc Commandant de present aus vaisseaux qui sont proches de Quebecq aus Sr de Champlain & dupont le 19 de Juillet 1629.» Dans l'impression de l'édition originale, les mots demandées estre ayant été omis ou retranchés, on fut obligé de pousser entre ligne les deux mots que nous mettons entre crochets dans le texte. Cette correction cependant n'a pas été faite dans tous les exemplaires.

Que le sieur Guer nous fera voir la commission du Roy de la grande Bretagne, en vertu de quoy il se veut saisir de ceste place, si c'est en effect par une guerre légitime 738 que la France aye avec l'Angleterre, & s'il a procuration du sieur Guer son frère Général de la flotte Angloise, pour traiter avec nous, il la monstrera.

Note 738: (retour)

L'original porte: «de guerre légitime.»

Il nous fera donné un vaisseau pour rapasser en France tous nos compagnons, & ceux qui ont esté pris par le sieur Général, allant treuver passage en France, & aussi tous les Religieux, tant les Peres Jesuistes que Recollets, que deux Sauvagesses qui m'ont esté données il y a deux ans par les Sauvages, lesquelles je pourray emmener sans qu'on me les puisse retenir ny donner empeschement en quelque manière que ce soit.

Que l'on nous permettra sortir avec armes & bagages, & toutes sortes d'autres commoditez de meubles que chacun peut avoir, tant Religieux qu'autres, ne permettant qu'il nous soit fait aucun empeschement en quelque manière & façon que ce soit.

241/1225

Que l'on nous donnera des vivres à suffisance pour nous repasser en France, en change 739 de peleteries, sans que par violence ou autre manière que ce soit, on empesche chacun en particulier d'emporter ce peu qui se treuvera740 entre les soldats & compagnons de ces lieux.

Note 739: (retour)

L'original porte: «en eschange.»

Note 740: (retour)

Dans l'original, on lit: «sy peu que l'on en a qui est.»

Que l'on usera envers nous de traitement le plus favorable qu'il se pourra, sans que l'on fasse aucune violence à qui que ce soit, tant aux Religieux & autres de nos compagnons, qu'à ceux qui sont en ces lieux, à ceux qui ont esté pris, entre lesquels est mon beau-frère Boullé, qui estoit pour commander à tous ceux de la barque partie d'icy, pour aller treuver passage pour repasser en France 741.

Note 741: (retour)

Cet article, en particulier, paraît avoir été revu et corrigé par un autre que par Champlain; le voici comme il est dans l'original: «Que l'on uzera de traittement le plus favorable qui se pourra sans que l'on face de viollence à qui que ce soit comme religieux & autres de nos compagnons tant de ceus qui sont en ces lieus que ceus qui ont esté pris entre lesquels est mon beau frère boullay qui estoit pour commander à tous ceus qui de la barque qui estoit partie d'ycy pour aller trouver passage pour repasser en France.

Le vaisseau où nous devrons passer, nous sera remis trois jours après nostre arrivée à Tadoussac entre les mains, & d'icy nous sera donné une barque ou vaisseau742 pour charger nos commoditez, pour aller audit Tadoussac prendre possession du vaisseau que ledit sieur Guer nous donnera, pour repasser en France prés de cent personnes que nous sommes, tant ceux qui ont esté pris, comme ceux qui sont de present en ces lieux.

Note 742: (retour)

«Nous sera donné barque ou vaisseau.»

Ce qu'estant accordé & signé d'une part & d'autre par ledit sieur Guer qui est à Tadoussac Général de l'armée Angloise & son Conseil, nous mettrons le 242/1226fort, l'habitation, & maisons entre les mains dudit sieur Guer, ou autre qui aura pouvoir pour cet effect de luy. Signé, Champlain, & du Pont743.

Note 743: (retour)

«Lepont» dans l'original.

Ces choses ainsi resolues furent envoyées aux vaisseaux, où estoient lesdits Louis & Thomas Guer, qui virent ce que nous demandions, & après les avoir considerez ils se resolurent d'y faire response le plustost qu'ils pourroient, ce qu'ils firent comme il s'ensuit.

Articles accorder aux sieurs de Champlain du Pont.

Pour le fait de la Commission de sa Majesté de la grande Bretagne le Roy mon Maistre, je ne l'ay point icy, mais mon frere la fera voir quand ils feront à Tadoussac.

J'ay tout pouvoir de traiter avec monsieur de Champlain, comme je vous le feray voir.

Pour le fait de donner un vaisseau je ne le puis faire, mais vous vous pouvez asseurer du passage en Angleterre, & d'Angleterre en France, ce qui vous gardera de retomber entre les mains des Anglois, auquel danger pourriez tomber.

Et pour le fait des Sauvagesses, je ne le puis accorder pour raisons que je vous feray sçavoir si j'ay l'honneur de vous voir, que pour le fait de sortir armes & bagages, & peleteries, j'accorde que ces messieurs744 sortiront avec leurs armes, habits & peleteries à eux appartenans, & pour les soldats 243/1227leurs habits chacun avec une robe de castor sans autre chose, & pour le fait des Peres ils se contenteront de leurs robes & livres.

Note 744: (retour)

Suivant le témoignage des copistes auxquels nous avons eu recours, il y a dans l'original: «que les Mres,» c'est-à-dire, «que les Maistres.»

Ce que nous promettons faire ratifier par mon frère Général pour la flotte pour sa Majesté de la grande Bretagne, signé L. Kertk745, & plus bas Thomas Kertk, & plus bas est escrit.

Les susdits articles 746 accordez avec les sieurs de Champlain & du Pont 747, tant par les freres Louis & Thomas Kertk 748, je les accepte & ratifie, & promets qu'ils seront effectuez de point en point, fait à Tadoussac ce 19 d'Aoust, Stil neuf 1629. signé David Kertk, avec un paraphe.

Note 745: (retour)

«Louis Kertk» La copie que nous avons de l'original ne porte point cette signature, mais seulement celle-ci: Tho. Kearke.

Note 746: (retour)

Dans l'original, on lit: «Les suditz six articles.» Et ce qui fait ici le troisième, y est désigné en deux articles séparés.

Note 747: (retour)

«Dupont gravé,» dans l'original.

Note 748: (retour)

L'original porte «Kearke.»

Ayant arresté les articles ils nous r'envoyerent la chalouppe, nous priant de la despescher au plustost, pour sçavoir si nous accepterions leurs articles, à quoy nous advisasmes, nous estant assemblez pour resoudre ce que l'on pourroit faire en ces extremitez, & ne pouvant pas mieux, nous resolusmes de prendre la composition. Le lendemain 20 dudit mois ils firent approcher leurs trois vaisseaux, sçavoir le Flibot de prés de cent tonneaux avec dix canons, & deux pataches du port de quarante tonneaux, chacune six canons, & quelques cent cinquante hommes, ayant mouillez l'ancre devant Québec, je fus treuver le Capitaine Louys, pour sçavoir ce qui l'avoit empesché de ne me permettre 244/1228d'emmener mes deux petites filles Sauvagesses que j'avois depuis deux ans, ausquelles j'avois enseigné tout ce qui estoit de leur créance, & apris à travailler à l'aiguille, tant en linge qu'en tapisserie, en quoy elles travaillent fort proprement, estant au reste fort civilisées & portées d'un desir extresme de venir en France. Je fis tant avec ledit Capitaine Louis que je le relevay des doutes qu'il avoit, me permettant les emmener, ce que sçachant ces filles ils turent fort resjouies.

Je demanday des soldats audit Louis Quer pour empescher que l'on ne ravageast rien en la Chapelle ny chez les Reverends Pères Jesuites, Recollets ny la maison de la veufve Heber & son gendre, ce qu'il fit, comme en quelques autres lieux où il en estoit de besoin, puis il fait descendre à terre environ 150. hommes armez, va prendre possession de l'habitation où estant demanda les clefs au Sous-commis Corneille, & à Olivier qui traittoit avec les Sauvages comme expérimenté aux langues des Montagnais & Algommequins, comme de celle des Hurons, comme fort propre à cela. Il s'acquitta de sa charge en homme de bien, car ledit du Pont, principal Commis, estoit au lict malade des gouttes, & ne pouvoit agir. Louys Quer ayant ces clefs les donne à un François appellé le Baillif natif d'Amiens qu'il avoit pris pour Commis, s'estant volontairement donné aux Anglois pour les servir & ayder à nous ruiner, comme perfide à son Roy & à sa patrie, avec trois autres que j'avois autrefois mené en nos voyages, il y avoit plus de quinze à seize' ans, entre autres l'un appelle Estienne Bruslé, de 245/1229Champigny, truchement des Hurons, le second Nicolas Marsolet de Rouen, truchement des Montaignais, le troisiesme de Paris, appellé Pierre Raye, Charon de son mestier, l'un des plus perfides traistres & meschants qui fust en la bande. Ledit Baillif estoit venu autrefois en ces lieux avec ledit de Caën, qui l'avoit fait un de ses Commis, l'ayant chassé pour estre grandement vicieux. Cestuy-cy entre au magasin, se saisit de tout ce qui estoit dedans, & de trois mille cinq cens à quatre mille castors, qui appartenoient au sieur de Caen, comme de toutes les autres commoditez qui estoient en l'habitation pour servir à icelle.

Louys Quer s'achemine au fort pour en prendre possession, voulant desloger de mon logis, jamais il ne le voulut permettre que je m'en allasse tout à fait hors de Québec, me rendant toutes les sortes de courtoisies qu'il pouvoit s'imaginer. Je luy demanday permission de faire célébrer la saincte Messe, ce qu'il accorda à nos Peres: Je le priay aussi de me donner un certificat de tout ce qui estoit tant au fort qu'à l'habitation, ce qu'il m'accorda avec toute sorte d'affection ainsi qu'il s'ensuit.

J'ay Louys Kertk commandant de present au Fort de Québec en la Nouvelle France pour le Roy de la Grande Bretagne, mon Seigneur & Maistre, certifie à tous ceux qu'il appartiendra, que j'ay trouvé tant au Fort qu'à l'habitation ce qui s'ensuit, 4 espoirs de fonte verte & une moyenne avec leurs boettes, 2. breteuls de fer, de 800 livres chacun, 7 pierriers avec leur boiste double, 45 balles de fer pour les espoirs, & 6 balles pour lesdits breteuls, 40 livres de pouldre à canon, 30 livres de meche, 14 mousquets, un mousquet à Croc, 2 grandes arquebuses à rouet de 6 à 7 pieds, 2 autres à meche de mesme longueur, 10 hallebardes, 12 piques, 5 à 6 milliers de plomb, 50 corcelets sans brasarts, avec leurs bourguinotes, 2 armes de 246/1230gensdarmes à l'espreuve du pistolet, deux petarts de fonte verte, une vieille tente de guerre & plusieurs ustancilles de mesnage & outils des ouvriers qui estoient en cedit lieu de Québec, ou commandait le sieur de Champlain en l'absence de Monsieur le Cardinal de Richelieu pour le service du Roy de France & de Navarre. Faict au Fort de Québec ce 21 de Juillet 1629. signé Louys Kertk 749.

Note 749: (retour)

On peut comparer à ce certificat de Louis Kertk une pièce qui a pour titre Declaration du Sr Champlain soubs serment des armes, munitions & autres utensiles laissées au fort de Kebeck lors de la rendition, qui doyvent selon le Traicté estre restituées (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI). Les deux documents sont d'accord pour le fond; seulement Champlain donne le détail des outils et ustensiles: «Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lbs. une forge de Mareschal avec les appartenances. Toutes sortes de provisions pour la Cuisine. Tous Outils pour un Charpentier. Tous outils de fer propres pour un moulin à vent. Un moulin à bras pour moudre le bled, & une Cloche de fonte.»

Ils se saisirent aussi de plusieurs commoditez appartenant aux Reverends Peres Jesuites & Recollets desquelles choses ne voulurent donner de mémoire, disant, s'il faut rendre (ce que je ne croy pas) il ne perdra rien, cela ne vaut pas la peine de l'escrire ny en faire recherche. Pour les vivres que nous trouvons il ne s'en gastera ny encre ny papier, dont nous n'en tommes pas faschez, vous aymant mieux assister des nostres. Nous vous en remercions bien fort, luy dis-je, il n'y a sinon que vous les faites payer bien chèrement sans pouvoir avoir moyen de les disputer.

Le l'endemain750 il fit planter l'enseigne Angloise sur un des bastions, fist battre la quesse, assembler ses soldats, qu'il met en ordre sur les ramparts, faisant tirer le canon des vaisseaux, & quelques 5 espoirs de fonte qui estoient au fort, & deux petits breteuls qui estoient à l'habitation, & quelques boites de fer, après il fit jouer toute l'escoupeterie 247/1231de ses soldats, le tout en signe de resjouyssance.

Note 750: (retour)

Le 22 de juillet, qui était un dimanche. «Le dimanche matin, dit Sagard, les Anglois poserent les armes d'Angleterre à l'habitation & au fort avec le plus de solemnité qui leur fut possible, ayans au préalable osté celles de France.» (Hist. du Canada, p. 997.)

Le jour suivant il fut à la maison des Peres Jesuites, lesquels luy monstrerent des livres & tableaux & quelques ornements d'Eglise, en luy offrant s'il vouloit quelques-uns de ces livres & tableaux. Il en prit ce qu'il voulut de ceux qui luy semblerent les plus beaux, comme trois à quatre tableaux, le Ministre Anglois eut aussi quelques livres qu'il demanda aux Peres, après veu la maison & tout le desert qui estoit fort beau, il fut veoir les Pères Recollets, de là s'en retourna à l'habitation.

La nuict ensuivant ledit Baillif prit audit Sous-Commis Corneille cent livres en or & argent, avec une tasse d'argent, quelque bas de soye & autres bagatelles qui estoient dans sa caisse, ayant esté aussi soubçonné d'avoir pris dans la Chapelle un Calice d'argent doré valant 100 livres & plus, de laquelle chose l'on fit plainte audit Louys Quer qui en fit quelque perquisition, mais nul n'avoua ce sacrilege detestable devant Dieu & les hommes. Ce Baillif accoustumé à renier & blasphemer le nom de Dieu à tout propos en disoit assez pour se rendre innocent: mais comme il est sans foy ny loy, bien qu'il se dite Catholique comme sont les trois autres, qui ne se soucioient de manger de la chair ny Vendredy ny Samedy pour penser favoriser les Anglois, qui au contraire les en blasmoient, & faisoient plusieurs autres choses licentieuses & blasmables, je luy remonstrois assez les deffauts & les reproches qu'un jour il recevroit, desquelles choses il ne se soucioit pas beaucoup, pour l'esperance qu'il avoit de jamais 248/1232ne retourner en France. Toutes les meschancetez qu'il pouvoit faire aux François il leur faisoit: On recevoit toute sorte de courtoisie des Anglois, mais de ce malheureux tout mal. Je le laisseray pour ce qu'il vaut, attendant qu'un jour Dieu le chastie de ses jurements, blasphemes & impietez.

Depuis que les Anglois eurent pris possession de Québec, les jours me sembloient des mois, ce qui me donna subject de prier ledit Louys Quer me permettre m'en aller à Tadoussac, où j'attendrois le depart des vaisseaux, passant mon temps avec le Général qui y estoit, ce qu'il m'accorda, puis que ma volonté n'estoit de demeurer davantage. J'accommoday ledit Louys Quer de quelques commoditez d'emmeublement pour sa chambre qu'il me demanda: & pour le reste de mes commoditez, je les embarquay avec ledit Thomas Quer dans le Flibot avec mes deux petites Sauvagesses. Dupont demeura avec la pluspart de nos compagnons, comme firent aussi tous les Peres, attendant de s'en retourner au second voyage.

Lesdits Anglois s'estant ainsi saisis du païs, la veufve Hébert & son gendre ne pensant pas moins qu'à s'en retourner, se saisissant de leurs maisons & de leurs terres qui estoient ensemencées, ayant apparence d'une très belle récolte, comme aussi les terres desdits Peres, ce qu'ils ne firent, au contraire luy offrant toute assistance, que s'il vouloit demeurer en sa maison qu'il le pouvoit faire aussi librement comme il avoit fait avec les François, luy permettant de faire cueillette de tous ses grains, en 249/1233disposant comme il adviseroit bon estre, que pour le surplus de ce qui luy resteroit de ses grains, qu'il le pourroit traiter avec les sauvages, & l'année suivante au temps que les vaisseaux retourneroient s'il ne se treuvoit bien, il seroit en son option de demeurer ou s'en retourner, luy faisant valloir chaque castor marchand, quatre livres, qui luy seroient livrés à Londre. Tout cecy luy estoit grand advantage & plus qu'il ne pouvoit esperer: mais comme Louis Quer estoit courtois, tenant tousjours du naturel François, & d'aymer la nation, bien que fils d'un Escossois751 qui s'estoit marié à Dieppe, il desiroit obliger en tant qu'il pouvoit ces familles & autres François à demeurer, aymant mieux leur conversation & entretien que celle des Anglois, à laquelle son humeur monstroit répugner.

Note 751: (retour)

Gervais Kertk. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, n. 15.—Voir Pièces justificatives, n. XVIII.)

Ces pauvres familles voyant la condition qu'on leur offroit de s'en retourner en France, après avoir employé quinze à seize ans de leur travail, pour tascher à s'oster de l'incommodité & necessité qu'ils souffriroient sans doute en France, & estans chargez de femmes & enfans752, ils se verroient contrains de 250/1234mandier leur pain, chose à la vérité bien rude & considerable à ceux qui se mettront en leur place. Ainsi se trouvoient-ils bien empeschez de ce qu'ils devoient faire, d'autant qu'ils se voyoient privez de l'exercice de la Religion, n'y ayant plus de Prestres: ils m'en demanderent mon advis plus par bienseance à mon opinion, que pour volonté qu'ils eussent à suivre ce que je leur eusse conseillé, néantmoins jugeant l'avantage que l'Anglois leur faisoit, & la liberté qu'il leur donnoit de s'en retourner en France, je pensay leur donner un conseil qui ne leur eust point esté ruineux, leur remonstrant que la chose la plus chatouilleuse & de grand poix estoit l'exercice de nostre Religion, qu'ils ne pouvoyent jamais esperer si les Anglois estoient tousjours en ces lieux, & par consequent privé de la Confession & des Saincts Sacrements qui pouvoient mettre leurs âmes en repos pour un jamais, si ils leur estoient administrez, ce qu'ils ne pouvoient esperer si les François ne reprenoient la possession de ces lieux, ce que je me promettois moyennant la grâce de Dieu, que pour cette année si j'estois en leur place je ferois la cueillette de mes grains, & en traitter le plus qu'il me seroit possible avec les Sauvages, & 251/1235les vaisseaux François revenant prendre possession, leur donner sa pelleterie & en tirer l'argent qu'il leur avoit promis, & leur abandonner vos terres, puis vous en revenir en leurs vaisseaux, car il faut avoir plus de soin de l'âme que du corps, & ayant de l'argent en France vous pourrez vous tirer hors des necessitez. Ils me remercièrent du conseil que je leur donnay, qu'ils le suivroient, esperant néantmoins nous revoir la prochaine année avec l'aide de Dieu.

Note 752: (retour)

Que l'on rapproche ce que dit l'auteur en cet endroit, de ce qu'il rapporte ci-dessus, p. 174, 202, 204-6; que l'on veuille bien aussi se rappeler les observations que nous y avons faites sur les familles auxquelles Champlain fait allusion dans ces différents passages, et l'on demeurera convaincu qu'il resta à Québec avec les Anglais beaucoup plus de personnes que ne prétend l'auteur de l'Histoire de la Colonie française en Canada «Il ne resta, dit-il, d'autres français à Québec, que la famille de la veuve Hébert et celle de Couillard son gendre, ainsi que deux individus que les Anglais ramenèrent en Europe l'année suivante.» (Tome I, p. 249.) Le texte de Champlain aurait dû suffire à lui seul pour engager l'auteur dont nous parlons à ne point hasarder un pareil avancé. Ici en particulier, il est fait mention de plusieurs familles «chargées de femmes et enfants»; par conséquent, outre celle de Couillard, il y en avait au moins une autre qui était pareillement chargée d'enfants. Or ce n'était point celle de Madame Hébert. Donc la famille d'Abraham Martin était du nombre de celles auxquelles Champlain conseilla de rester avec les Anglais en attendant mieux. C'est ce que prouvent du reste plusieurs documents, entre autres les Registres de Notre-Dame de Québec. Mais il y a plus: outre ces trois familles, qui renfermaient quinze personnes, il y en avait encore au moins deux autres. D'abord, Pierre Des Portes était à Québec en 1629, puisque sa femme, Françoise Langlois, fut marraine de Louis Couillard le 18 mai de cette même année; et il avait avec lui sa fille Hélène, qu'il maria quelques années plus tard à Guillaume Hébert, et qui était née à Québec (Traict de mariage de Noël Morin & d'Hél. Desportes, greffe de Piraube). Enfin, Nicolas Pivert, revenu en 1628 du cap Tourmente, avec sa femme Marguerite Le Sage et sa petite nièce (ci-dessus, p. 171, note 3), ne pouvaient pas être retournés en France, puisqu'il n'était point venu de vaisseaux. Ces cinq familles réunies, sans compter les domestiques qu'elles pouvaient avoir, faisaient en tout vingt-et-une personnes. Il resta donc avec les Anglais au moins le quart de la population française, et encore faut-il remarquer que c'était la partie stable, et comme le germe fécond des meilleure familles qui se soient développées en Canada.



Combat des François avec les Anglais. L'autheur est pris en combattant. On le fait parler au sieur Emery. Voyage des François à Tadoussac. Le beau-frere de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit regaigner Québec.

CHAPITRE IV.

Le 24 dudit mois753 nous levasmes les ancres & mismes à la voile, ce jour fusmes mouiller l'ancre au bord de l'Est Nordouest de l'isle d'Orléans, le l'endemain mismes sous voile & le travers de la Malle-baye, 25 lieues de Québec l'on aperceut un vaisseau du costé du Nort qui mettoit soubs voille, lequel taschoit d'aller vers l'eau pour gaigner le vent & faire retraitte s'il pouvoit, il fut trouvé appartenir audit sieur de Caën, où son cousin754 Emery commandoit, qui venoit à Québec pour prendre les castors qui y estoient, & traiter quelque marchandise qu'il avoit, & autres commoditez 252/1236à luy appartenant, d'autant que l'Anglois sçavoit qu'il estoit en la riviere, comme il sera dit cy-aprés.

Note 753: (retour)

Le 24 juillet.

Note 754: (retour)

Plus haut, p. 10 et 83, il est appelé son neveu.

Ledit Thomas commanda d'approcher le plus prés que l'on pourroit du vaisseau dudit Emery pour le saluer de quelques canonades755 qui luy furent aussi tost respondus par autres coups de meilleure amonition, s'entretirent quelque temps environ 30 coups, l'un qui fut tiré du vaisseau dudit Emery emporta la teste d'un des bons mariniers dudit Thomas Quer, Emery fist quelque bordées pour tascher de gaigner le vent pour se sauver, mais Thomas desirant en venir aux mains & l'aborder, Thomas me dist; Monsieur vous sçavez l'ordre de la mer, qui ne permet à ceux d'un contraire party estre libre sur le Tillac, c'est pourquoy vous ne treuverez estrange que vous & vos compagnons descendiez sous le Tillac, où estant fist fermer les paneaux & les clouer sur nous, faisant mettre ses matelots & soldats en ordre pour combattre à l'abordage qui fut faite assez mal à propos, entre le mas de Van 756 & le beau Pré dudit vaisseau d'Emery, lequel de ton costé faisoit son devoir de se tenir prest pour fe deffendre à l'abordage: chacun fait ce qu'il peut pour vaincre & terracer son ennemy: ce fut alors qu'on vint aux coups de pierre & balles de canon, & autres choses qu'ils pouvoient attrapper se jettant d'un bord à l'autre, car les uns ny les autres ne 253/1237pouvoient entrer dedans leurs vaisseaux que par le beaupré du vaisseau du dit Thomas Quer, à cause que le vaisseau (comme j'ay dit) avoit abordé debout, & une pate de l'ancre de celuy de Thomas Quer s'estoit attachée & cramponnée au vaisseau d'Emery, ensorte qu'ils ne se pouvoient desaborder: & un homme armé d'un bord à autre pouvoit facillement empescher d'entrer: ce pendant que les gens de Thomas Quer estoient ainsi mal menez, une partie se jetta au fond du vaisseau que ledit Capitaine faisoit monter à coups de plat d'espée, mais c'est une mauvaise chose quand la peur saisit les courages, le Chef mesme ne sçavoit pas bien où il en estoit, car peu l'accompagnoient au combat, il y eust quelque rumeur en ce combat dans le vaisseau d'Emery de Caen, qui par un courage lasche cria assez hautement Cartier, Cartier, ce qui fut entendu par Thomas Quer, qui aussi tost ne voulut perdre temps, & releva cette parolle, leur promettant toute courtoisie, autant dit il, qu'au sieur de Champlain que nous avons icy, & prenez garde de conserver vos vies. Pendant tout ce combat les deux pataches approchoient qui eussent malmené ledit Emery, qui ne pouvoit se desaborder, voyant l'inconvenient qu'il pouvoit encourir, ayant des gens en son bord qui n'avoient envie de bien faire, il demanda à me voir: pendant ce temps le combat cessa d'une part & d'autre, & vint on aussi tost avec une pinse à ouvrir les paneaux, l'on m'enleve promptement pour aller parler audit Emery de Caen: ledit Thomas Quer qui à son visage & 254/1238contenance tesmoignoit n'estre pas bien en seureté de sa personne, & disoit, Asseurez vous (me dit il) que si l'on tire du vaisseau que vous mourrez, dites leur qu'ils se rendent, je leur feray pareil traitement qu'à vostre personne, autrement ils ne peuvent éviter leurs ruyne, si les deux pataches arrivent plustost que la composition soit faite: Je luy dis, Monsieur de me faire mourir en l'estat que je fuis, il vous seroit très facile estant en vostre puissance, vous n'y auriez pas d'honneur, en dérogeant à ce que m'avez promis, & vostre frère le Capitaine Louys Quer aussi, de plus je ne puis commander à ces personnes là, & ne peux empescher qu'ils ne fassent leur devoir, en se maintenant & défendant comme gens de bien, vous les devez louer plustost que les blasmer, vous sçavez qui a un prisonnier l'on luy fait dire ce que l'on veut, & par consequent ledit Emery ne doit s'arrester à ce que je luy pourrois persuader: Je vous prie donc, dit-il, de les asseurer dire aux qu'ils auront toute sorte de bon traitement s'ils se veulent rendre, ce que je fis, parlant audit Emery de Caen qui estoit sur le bord de son vaisseau, lequel demanda de rechef parole dudit Thomas Quer, qui promet leur faire la mesme composition qu'il m'avoit faite: Ils mettent les armes bas, les deux pataches arrivent aussi tost, ausquelles ledit Thomas Quer fait defences d'offencer les nostres, qui sans doute les eussent ruynez, & sans icelles le vaisseau Anglois eust esté enlevé: ledit Emery ayant l'advantage, se rendant maistre du vaisseau Anglois avec le sien, moy & autres François qui estoyent dedans, les Anglois eussent apporté du renfort, & 255/1239 desmeslant les vaisseaux du grapin qui y tenoit, l'on eust peu prendre leurs deux pataches. L'accord fait tant d'un costé que d'autre, Lepinay757 Lieutenant dudit Emery de Caen, entra dans le vaisseau, & après ledit Emery, qui vinrent faire la reverence à Thomas Quer, ledit de Caen me dit, qu'il venoit pour me secourir, que son cousin758 de Caen luy avoit donné lettre pour m'apporter, par laquelle il mandoit qu'il m'envoyoit des vivres pour trois mois, attendant plus grand secours du sieur Chevallier de Rasilly qui devoit arriver en bref, neantmoins il croyoit que la paix estoit faite entre la France & l'Angleterre.

Note 755: (retour)

Ce récit de Champlain, qui était témoin oculaire peut servir à rectifier la déposition que fit, devant le juge Henry Martin, le général David Kertk (Pièces justificatives, n. XVIII), Ce dernier était à Tadoussac pendant que le combat se livrait, vers la Malbaie, entre son frère Thomas et le sieur Émeric de Caen.

Note 756: (retour)

Mât d'avant ou de misaine.

Note 757: (retour)

Jacques Cognard (ou Couillard), sieur de l'Espinay. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI.)

Note 758: (retour)

Conf. ci-dessus, p. 10, 83 et 247.

L'exécution faite, nous nous en allasmes à la rade à Tadoussac treuver le Général Kertk, où ledit Emery auparavant avoit pensé aller, perdre 759 par une disgrace qui luy survint le travers de Tadoussac, comme il sera dit en son lieu, estans arrivez à la rade du moulin Baudé, où estoient encore les Anglois, ledit Général nous fit bonne réception, bien aise de ceste prise: aussi y vismes nous ce bon traistre & rebelle Jacques Michel, qui avoit conduit les Anglois dés la première & seconde fois: il estoit Contre-Admiral de cette flotte, composée de cinq grands vaisseaux de trois à quatre cens tonneaux, tres bien amunitionnez de canons, poudres, balles, & artifices à feu: à la vérité, hors les Officiers, le reste n'estoit pas grande chose, il y avoit en chacun prés de six vingts hommes, aussi j'y vis mon beau-frere 256/1240Boulé, qui avoit esté pris depuis qu'il estoit party de Québec, lequel me fit le discours de ce qui se passa en son voyage depuis son département, qui fut tel qui s'ensuit.

Note 759: (retour)

S'aller perdre.

Il me dit que partant de Québec avec les incommoditez qu'ils avoient receues allant à Gaspey, ils rencontrèrent Emery, estant fort resjouis d'une si heureuse rencontre, il leur donna de quoy se rafraischir luy ayant dit que son cousin de Caen l'envoyoit tant pour quérir les castors, qu'autres commoditez s'il en restoit & apporter au Fort des vivres pour trois mois, attendant le secours de Monsieur de Rasilly qui estoit prest à faire voile, quand il partit de la Rochelle, & que sans l'arrest que Joubert luy fit de la part de la compagnie, il eust arrivé un mois plustost à Québec, & n'avoit peu faire autrement pour le mauvais temps qui l'avoit contrarié à la mer, qui le contraignit relascher à la Rochelle, pour faire quelque radoub en son vaisseau qui estoit du port de 70 tonneaux: croyant que la paix esstoit faite entre l'Angleterre & la France, d'autant qu'il avoit veu quelque lettres entre les mains de monsieur de la Tuillerie à la Rochelle, où on l'asseuroit d'icelle, mesme que l'on ne donnoit plus de congé pour faire la guerre à l'Anglois: joint aussi que le Capitaine Daniel venoit en la Compagnie du sieur Chevallier de Rasilly, Joubert devoit venir devant & quelques deux autres barques, l'une appartenant aux Peres Jesuites, ou estoient les Reverends PP. Allemand & Noyrot760, qui venoient pour secourir leurs Peres à Québec, 257/1241croyant que ces vaisseaux pourroient estre dans la riviere, s'ils avoient vent favorable, ledit Emery de Caen demanda s'il ne sçavoit point qu'il y fut entré des vaisseaux dans la riviere, il luy dit que non, ce qui donna courage audit Emery, pensant arriver des premiers à Québec, pour emporter promptement ses peleteries, & traiter quelque peu de marchandises & vivres qu'il avoit, premier que ledit Daniel & Joubert arrivassent, il prit les cinq cens castors qui estoient en la barque qu'il mit en la sienne.

Note 760: (retour)

Les PP. Charles Lalemant et Philibert Noirot.

Après tous ces discours passez, & que je luy eu representé la necessité en laquelle nous avions esté laissez, il se délibère de monter au plustost: moy fort resjouy desirant estre des premiers à vous donner ce bon advis de ce secours si favorable en une telle necessité, je dis audit Emery qu'il estoit à propos que j'allasse devant avec la chalouppe, pour afin que s'il y avoit du calme, au moins qu'il nous donneroit ce contentement que de nous apporter les nouvelles, que pour cet effect il luy demanda de changer son esquippage de matelots pour faire diligence, d'autant que les siens estoient foibles & débiles, qu'ils ne pourroient nager comme les tiens qui estoient frais, & aussi donner quelque baril de poudre pour nous secourir, ce qu'il refusa, disant, qu'il ne desiroit se defaire de ses hommes ny de sa poudre, leur donnant seulement un peu de biscuit: que pour la petite barque où il estoit allé, il l'avoit laissée à gouverner & commander à Desdames, lequel devoit suivre ledit Emery de Caen: Je partis tout ainsi, avec la chalouppe & mes matelots harassez 258/1242 de necessité & travail: le desir que nous avions de vous donner des nouvelles, nous donnoit de tant plus de courage. Au bout de quatre ou cinq jours après avoir quitté ledit Emery, nous apperceusmes quelque vaisseau vers l'eau, desirant l'aller recognoistre, pensant que ce fut celuy dudit Daniel, selon que l'on nous l'avoit representé, mais comme nous eusmes recogneu que ce n'estoit point luy, ains un vaisseau Anglois, nous resolusmes de gagner la terre, pour nous sauver, le vaisseau Anglois (où estoit ledit Thomas Quer) appercevant que nous faisions retraite nous tire un coup de canon, & aussi tost esquippe une autre chalouppe avec double esquippage, pour lasser les nostres qui faisoient ce qu'ils pouvoient pour se sauver: en ceste occasion l'esquippage frais dudit Emery eust peu servir, nos matelots n'en pouvant plus, pour estre foibles & débiles du travail: nous fusmes attaints par les Anglois qui nous pillèrent & ravagerent tout ce que nous avions, on nous emmene audit Thomas Quer qui nous reçoit assez courtoisement, il me mena à son frère le Général, qui me fait très bonne réception & nous mena à Tadoussac avec luy, le luy fis entendre comme ledit Emery de Caen luy avoit761 dit asseurement que la paix estoit faite, l'ayant sceu de personnes dignes de foy au partir de la Rochelle. A il les articles, me dit le général, Non, Ce sont contes faits à plaisir, il s'informe de l'estat auquel vous estiez à Québec, je luy en disois bien plus qu'il n'y en avoit ce qu'ils pouvoient croire, mais quelques matelots pris luy disoient que 259/1243vous estiez bien mal si n'aviez du secours, les Sauvages qui croyoient qu'à ce changement tout leur seroit donné de la part des Anglois, luy dirent le miserable estat auquel vous estiez réduits. Nous arrivons au moulin Baudé où ils mouillent l'ancre, & aussi tost ils arment le Flibot & deux pataches, pour promptement faire monter à Québec, ils avoient avec eux des hommes Anglois, qui avoient esté l'année précédente au Cap de Tourmente quand il fut bruslé. Les Sauvages de Tadoussac s'offrant de les conduire, leur disant, qu'ils sçavoient mieux le chemin que les François, à la verité qu'ils ne mentent pas, car il n'y a endroits ny roches qu'ils ne cognoissent par expérience, que nous n'avons si exacte, neantmoins ils ne laisserent d'emmener de nos matelots, puisque la fortune leur avoit esté si favorable, leurs affaires ayant esté preveues dés l'Angleterre par le Conseil, que ledit Jacques Michel leur avoit donné, qui ne se pouvant asseurer avoir en leur puissance des matelots qui estoient en la chalouppe qui prirent par cas fortuit: mais l'occasion se presenta de laquelle ils se servirent, pour ayder à conduire leur Flibot & patache. C'est une disgression que je faits sur ce que aucuns ne pensent reparer leur faute, quand les choses ne réussissent à leur souhait, & faut tousjours qu'il y aye un si, ce qui n'estoit point en ceste affaire: sur ce qu'aucuns ont dit, que si l'Anglois n'eust pris la chalouppe il n'eust monté à Québec si promptement qu'ils firent: ce sont contes faits à plaisir à des personnes qui ne sçavent comme ceste affaire s'est passée, & ne sçavent comment 260/1244couvrir leur faute, sinon en blasmant autruy, chose de mauvaise grâce, car ils avoient emmené le Flibot & les deux pataches, avec les hommes qui avoient esté audit Cap de Tourmente, comme j'ay dit cy dessus, à dessein qu'aussi tost arrivez au moulin Baudé de les faire monter à Québec, craignant que si leur eust fallu monter des barques à Tadoussac, que pendant ce travail une moyenne barque eut passé & donné secours à l'habitation, leur dessein par ce moyen rompu: & quand mesme, comme dit est, qu'ils n'eurent eu que des Sauvages du païs pour pilotes, qui eussent aussi bien pilotez comme ils l'avoient fait dés l'année passée audit Cap de Tourmente, avec la plus grande barque que nous eussions à Tadoussac.

Revenons audit Emery, lequel après que Boullé fut party avec sa chalouppe, il leve l'ancre & met sous voiles pour gagner Québec au plustost, sans sçavoir aucunes nouvelles de l'Anglois, celles que luy dirent lesdits Desdames & Foucher, qui estoient en la petite barque de Boullé qu'ils avoient veu un canau, où il y avoit des Sauvages avec de la marchandise Angloise, qu'ils avoient traitez avec eux, c'est ce que dit ledit Desdames, que de cet advis ledit Emery n'en fait conte, neantmoins cela luy devoit faire penser & s'asseurer mieux qu'il ne fit, pour la consideration de son vaisseau, & ne tomber aux accidens comme il fit, car estant sur le travers de Leschemin762 il fut pris d'un temps de brune que l'on voyoit fort peu, il passa devant les Anglois, qui estoient à la Ralde du moullin Baudé, à la 261/1245portée presque du canon, sans estre apperceus d'une part ny d'autre: pensant doubler la pointe aux allouettes, ils eschouent sur l'islet rouge763 comme le travers de Tadoussac où se voyant pensant estre perdus ils font une piperie pour se sauver à terre, voicy que la brune s'abaisse où ils virent les Anglois, font tirer quelques coups de canons, pour leur demander secours, & les aller sauver du naufrage où ils pensoient se voir, ledit Jacques Michel dit au Général, envoyez secourir ce vaisseau qui s'en va perdre, ou pour le moins les hommes, ils tirent leur canon pour vous en advertir, vous en aurez bon marché, le Général n'en voulut rien faire, disant, il les faut laisser, & attendre un peu ils ne nous pourrons fuir, Ils sont bien despourveus de consideration de venir passer à nostre veue, ayant vaisseaux devant & derrière eux: sans la brune il n'eut esté si avant, & ainsi le laissa là, & donna grande faute audit Quer de n'y envoyer des chalouppes aussi tost qu'ils ouyrent tirer leur canon, & n'eurent perdu trois de leurs hommes, comme ils firent depuis en se battant avec ledit Emery, la marée commençant à monter sous le vaisseau fit que peu à peu il vint à flotter sans estre que fort peu endommagé, ils prennent courage & se r'enbarquent, lainent leur piperie, se mettent vers l'eau, vont mouiller l'ancre au prés du Chafaut au Basque, deux lieues de Tadoussac, où ils furent quelque temps: ils virent une chalouppe Angloise qui venoit de Québec, & alloit treuver le Général pour luy porter nouvelle de la prise du fort, sur laquelle 262/1246ledit Emery fit tirer un coup de canon: voulant mouiller l'ancre le pert764 met à la voile, & va mouiller proche de la Malle baye, où il vint quelques canaux de Sauvages qui luy dirent que Québec estoit rendu, ce qu'il ne voulust croire, & pour ce sujet envoya un canau de Sauvages avec deux François pour en sçavoir la vérité, (qui n'estoit que trop vray,) qu'ils eussent à faire le plus de diligence qu'ils pourroient, ils leur falloit faire vingt lieues, & autant pour le retour, c'estoit perdre un grand temps, ayant peu éviter la prise des Anglois. Ces deux hommes promirent faire ce qu'ils pourroient, l'un appellé le Cocq Charpentier, & l'autre Froidemouche, qui avoient esté en la barque de Boullé: ces deux personnages estoient ignorans & mal propres à telles affaires, veu que les plus discrets n'y sont pas trop bons. Ces deux advanturiers se mettent en chemin, vont au Cap de Tourmente, s'amusent à chasser (c'estoit bien le temps) la nuict arrivez à Québec ils ne voyoient point les vaisseaux Anglois, qui estoient desja partis pour retourner à Tadoussac, ils s'approchent des cabanes des sauvages, qui leur dirent que les Anglois estoient au fort & à l'habitation: les vaisseaux partis, & qu'ils estoient dedans. Toutes ces nouvelles suffisoient pour s'en retourner promptement treuver ledit Emery, & quelque diligence qu'ils eussent fait, ils 263/1247eussent treuvé le vaisseau pris des Anglois, mais au contraire ils vont passer contre le fort, entendent les sentinelles de l'ennemy, ils ne se contentent de se retirer, ils vont à la maison de la veufve Hébert ou de son gendre, les voyant leur demandent ce qu'ils estoient venu faire. Nous venons, dirent ils de la part du sieur Emery voir si l'habitation estoit prise: hélas, leur dirent ils, que vous estes simples & peu advisez, ne le voyez vous pas bien, falloit il venir icy pour vous faire prendre, que dira-on, sçachant par les Sauvages que vous estes venus icy, & que je ne le dise, il y va de ma vie & de toute la ruyne de ma famille, il faut que par necessité si je me veux conserver, je dise que vous estes venus pour voir si le sieur de Champlain estoit icy, & comme tout alloit: allons treuver le Capitaine Louis, il est galand homme, il ne vous fera point de tort, ce qu'ils firent, lequel leur usa de quelques paroles & menaces fascheuses, les retenans pour les faire travailler.

Note 762: (retour)

L'Escoumin, ou les Escoumins.

Note 763: (retour)

L'île Rouge.

Note 764: (retour)

Le texte est ici conforme à celui de l'édition originale. Il paraît bien évident que l'imprimeur n'a pas compris le manuscrit de l'auteur. Voici la version qui nous paraît la plus vraisemblable: «Voulant mouiller l'ancre autre part, met à la voile & va mouiller proche de la Malle baye.» Le mot autre était peut-être en abréviation dans la copie. Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver à ce passage un autre sens plus raisonnable. Émeric de Caen était déjà mouillé auprès du Chafaut au Basque; mais il ne pouvait rester là à la vue de l'ennemi, surtout après avoir ainsi salué la chaloupe anglaise: il fallait donc aller mouiller ailleurs.

Cependant la petite barque où estoit Desdames suivoit ledit Emery de Caën, mais ils s'arresterent à une petite riviere pour prendre de l'eau, où ils furent deux jours à cause du mauvais temps. Sortant de là ils furent jusques au Bic, quinze lieues de Tadoussac, sçachant au vray par les Sauvages la prise de Québec, & que ledit de Caen ne pouvoit éviter qu'il ne fust pris pour s'estre trop hasardé, ils ne furent point incrédules, ils se délibérèrent de s'en retourner chercher passage le long des costes, où estant vers Gaspey rencontrèrent Joubert avec sa barque qui nous venoit secourir, mais trop tard, 264/1248& leur dist, qu'il avoit esté poursuivy des Anglois proche de Miscou, il leur dist aussi que le Capitaine Daniel estoit party pour mesme effect, & une autre barque pour les Peres Jesuites, où estoient les Reverends Pères l'Alleman & Norot.

Il s'embarque avec ledit Joubert, & s'en retourne en France sans faire plus grands progrez, sinon que s'aller perdre à la coste de Bretagne prés Benodet proche de Quinpercorentin, qui pensant au commencement que ce fussent quelques pirates, furent détenus jusques à ce qu'ils sceurent la vérité, & là ledit Joubert despendit plus qu'il n'avoit sauvé de son naufrage.

Voicy un defaut en ce voyage, de ne partir suivant l'ordre qui avoit esté donné par les sieurs Directeurs de Paris, de partir de droitte route de Dieppe pour la Nouvelle France. Au lieu de ce faire, les vaisseaux vont attendre le sieur Chevalier de Rasilly, & ainsi laisserent perdre la saison, que s'ils fussent partis au 15 ou à la fin de Mars, & que ledit Capitaine Daniel partant de bonne heure, comme dit est, il fust arrivé à Québec le 20 ou à la fin de May pour le plus tard, prés de deux mois premier que les Anglois, en nous secourant ils eussent jouy des traites, ce qui ne fut effectué pour le retardement.

Les Directeurs de Bordeaux manquèrent aussi, & empescherent les pataches de partir si promptement qu'elles eussent peu faire, & ledit sieur Chevalier de Rasilly n'eust laisse d'aller combattre les Anglois, que si cela eust esté, l'ennemy eust esté vaincu, & l'habitation recouverte. Mais le traitté 265/1249de paix qui se fist entre le Roy de France & le Roy d'Angleterre empescha d'effectuer la commission qu'il avoit, qui fut changée pour le voyage de Maroc où il fut, qui ne servit pas beaucoup, & par ainsi ceste Société receut de grandes pertes en la despense qu'ils firent encore ceste année, pensant que les vaisseaux du Roy devoient faire le voyage, sur les nouvelles certaines que l'on avoit que les Anglois estoient partis de Londres pour aller prendre Québec. Voylà les effects de ces voyages, autant malheureux que mal entrepris.

Retournons à ce que nous fismes estant au moulin Baudé, dans les vaisseaux de Quer, deux ou trois jours après nostre arrivée, qui fut environ le premier d'Aoust, nous entrasmes dans le port de Tadoussac, où aussitost le Général fit charger le Flibot pour faire porter ce qui estoit de commoditez à Québec, fit monter 765 une barque à Tadoussac de quelques 25 tonneaux qu'il avoit portée en fagots, où je vy Estienne Bruslé truchement des Hurons, qui s'estoient mis au service de l'Anglois, & Marsolet, ausquels je fis une remonstrance touchant leur infidélité, tant envers le Roy qu'à leur patrie, ils me dirent qu'ils avoient esté pris par force, c'est ce qui n'est pas croyable, car en ces choses prendre un homme par force ce seroit plustost esperer deservice qu'une fidélité, leur disant, Vous dites qu'il vous ont donné à chacun cent pistoles & quelque pratique, & leur ayant ainsi promis toute fidélité vous demeurez sans religion, 266/1250mangeant chair Vendredy & Samedy, vous licentiant en des desbauches & libertinages desordonnées, souvenez-vous que Dieu vous punira si vous ne vous amendez, il n'y a parent ny amy qui ne vous dise le mesme, ce sont ceux qui accourront plustost à faire faire vostre procez: que si vous sçaviez que ce que vous faites est desagreable à Dieu & au monde, vous auriez horreur de vous mesme, encore vous qui avez esté eslevez petits garçons766 en ces lieux, vendant maintenant ceux qui vous ont mis le pain à la main: pensez vous estre prisez de cette nation? non, asseurez vous, car ils ne s'en servent que pour la necessité, en veillant tousjours sur vos actions, sçachant que quand un autre vous offrira plus d'argent qu'ils ne font, vous les vendriez encore plustost que vostre nation, & ayant cognoissance du païs ils vous chasseront, car on se sert des perfides pour un temps, vous perdez vostre honneur, on vous monstrera au doigt de toutes parts, en quelque lieu que vous soyez: disant, Voilà ceux qui ont trahy leur Roy & vendu leur patrie, & vaudroit mieux pour vous mourir que vivre de la façon au monde, car quelque chose qui arrive vous aurez tousjours yn ver qui vous rongera la conscience, & en suitte plusieurs autres discours à 267/1251ce sujet: Ils me disoient, Nous sçavons très bien que si l'on nous tenoit en France qu'on nous pendroit, nous sommes bien faschez de cela, mais la chose est faite, il faut boire le calice puisque nous y tommes, & nous resoudre de jamais ne retourner en France: l'on ne laissera pas de vivre, ô pauvres excusez, que si on vous attrappe vous qui estes sujets à voyager, vous courez fortune d'estre pris & chastiez.

Note 765: (retour)

C'est-à-dire, assembler les pièces d'une barque qu'il avait apportée en fagots, ou démontée.

Note 766: (retour)

S'il fallait prendre cette expression à la lettre, Marsolet et Brûlé seraient venus en Canada dès 1603; puisque, d'après les Registres de N.-D. de Québec, Marsolet, en 1603, était déjà âgé de seize ans; et Étienne Brûlé paraît avoir été à peu près du même âge. Mais il semble qu'il faut tenir compte de l'indignation que soulevait dans l'esprit de l'auteur la mauvaise conduite de ces deux interprètes; surtout si l'on se rappelle ce qu'il dit ci-dessus, p. 244-5; qu'ils étaient venus avec lui il y avait plus de quinze à seize ans, c'est-à-dire, quelques années avant 1613. En prenant un moyen terme entre ces deux données, qui ne sont évidemment qu'approximatives, on peut affirmer avec assez de vraisemblance, que Marsolet et Brûlé étaient déjà employés, dès l'âge de 18 à 20 ans, dans les voyages de traite et de découverte à l'époque de la fondation de Québec, c'est-à-dire, vers 1608.

Je vis Louis le Sauvage767 que les peres jesuistes avoient tant pris de peine à instruire, & qui commençoit à ce licentier en la vie des Anglois, bien qu'il disoit avoir une grande obligation ausdits Peres de ce qu'il sçavoit, estant en son coeur bon Catholique, & qu'un jour il esperoit le tesmoigner aux François si jamais ils revenoient en ces lieux: les Anglois le r'envoyerent en son païs avec son père qui le vint voir, & ceux de sa nation qui en furent fort resjouis, ausquels il fit de grands discours de ce qu'il avoit veu tant en France qu'en Angleterre, Bruslé truchement fut avec luy aux Hurons.

Note 767: (retour)

Louis Amantacha, surnommé de Sainte-Foi, qu'il ne faut pas confondre avec celui dont il est fait mention ci-dessus, p. 137. Ce dernier, qui était fils de Choumin, était montagnais, et avait été instruit par les Pères Récollets; tandis que celui dont parle ici l'auteur était huron, et avait été, comme le remarque Champlain, instruit par les Pères Jésuites. Le jeune Amantacha fut envoyé en France dès 1626. «Voicy un petit Huron, dit le P. Charles Lalemant (Relat. 1626, p. 9), qui s'en va vous voir. Il est passionné de voir la France. Il nous affectionne grandement, & fait paroistre un grand desir d'estre instruict. Neantmoins le père & le capitaine veulent le revoir l'an prochain, nous asseurant que s'il en est content, il le nous donnera pour quelques années.» Plus tard, en 1633, Amantacha descendit à Québec, et vint voir les Pères Jésuites. Le P. le Jeune l'invita à penser un peu à sa conscience; ce qu'il fit de fort bon coeur, et depuis il ne cessa d'être l'un des meilleurs soutiens des missionnaires. (Relat. des Jés.)



268/1252

Voyage de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites en la Foy.

CHAPITRE V.

Le Général Quer se delibere d'aller voir Québec dans une chalouppe qu'il fait esquipper, & emmena Jacques Michel & quelques autres siens Capitaines de ses vaisseaux, & mon beau-frère: pendant son absence nous passasmes le temps le mieux qu'il nous fut possible, attendant son retour. Pour ce qui estoit des Sauvages les uns monstroient estre resjouis de ce changement, les autres non, selon la diversité des humeurs qui croyent souvent que les choses nouvelles apportent plus grand bien, c'est où maintes fois le monde se trompe: comme ces peuples pensoient recevoir plus de courtoisie de ces nouveaux Etrangers que de nous, ils treuverent en peu de temps toutes autres choses qui ne s'estoient imaginez, nous regrettans.

Le Général fut quelque dix à douze tours à son voyage, à son retour fut salué de quelques canonades, me disant qu'il estoit content de ce qu'il avoit veu, que si cela leur demeuroit ils feroient bien d'autres fruicts que ce qu'on y avoit fait, tant aux peuplades qu'aux bastiments & commerces de ce qui se pourroit faire dans le païs, par le travail & induftrie de ceux que l'on y envoyeroit.

Quelques jours après son arrivée il festoya tous 269/1253ses Capitaines, pour cet effect il fit dresser une tante à terre environnée de verdures, sur la fin du disner il me donna à lire une lettre qui luy avoit esté envoyée de Québec, escrite de Marsolet truchement, (mescognoissant des biens qu'il avoit receus des societez Françoises) ou il y avoit escrit ce qui s'ensuit.

Monsieur, depuis nostre arrivée768 à Québec un canau de Sauvage est descendu des trois rivieres, pour vous donner advis qu'un conseil s'est tenu de tous les Chefs & principaux du païs assemblez pour délibérer, sçavoir si Monsieur de Champlain doit emmener en France les deux petites filles qu'il a, ils ont resolu que puisque les François ne sont plus demeurans en ces lieux, de ne les laisser aller, & vous prient les retenir, & ne leur permettre qu'ils s'en retournent, d'autant que si vous ne l'empeschez le pays se perdra, & est à craindre qu'il n'arrive quelque accident de mort aux hommes qui demeurent en ces lieux, c'est pourquoy que s'il en arrive mal, je me descharge de ce que je dois, vous en ferez selon vostre volonté: mais si me croyez comme vostre serviteur, vous ne permettrez qu'elles passent plus outre, en les r'envoyant icy: c'est tout ce qui s'est passé depuis vostre partement, j'espère m'en retourner à Tadoussac pour avoir l'honneur de prendre congé de vous, comme 270/1254estant, Monsieur, Vostre humble & affectionné serviteur Marsolet.

Note 768: (retour)

Ces mots donneraient à entendre que Marsolet n'était pas monté à Québec en même temps que le général.

Ayant leu ceste lettre, je jugeay aussi tost que le galand avoit inventé ceste malice pour faire retenir ces filles, desquelles il vouloit abuser, comme l'on croyoit & autres mauvais François semblables à luy, l'une de ces filles appellée Esperance, avoit dit quelque jours auparavant, que Marsolet estant au vaisseau l'avoit sollicitée de s'en aller avec luy, luy promettant plusieurs commoditez pour l'attirer, mais que jamais elle n'y avoit voulu condescendre, mesme qu'elle s'en estoit plainte à des sauvages qui luy avoient dit, Sçais tu pas bien qu'il ne vaut rien, & qu'il est en mauvaise réputation avec tous les Sauvages pour estre un menteur, ne l'escoute point, tu es bien, Monsieur de Champlain vous ayme comme ses filles, aussi dirent elles, Nous luy portons de l'affection, ce que n'estant nous n'aurions desir de le suivre en France, qui fut le sujet que j'en parlay au Général.

«Monsieur vous me faites faveur, que vostre courtoisie s'estende à me montrer ceste lettre, que si l'affaire est ainsi qu'il l'escrit, j'aurois tort de vous faire une demande inciville, en vous demandant permission d'emmener ces filles que j'ayme comme si elles estoient miennes, vous me permettrez que je parle pour ces pauvres innocentes qui m'ont esté données par les sauvages assemblez en Conseil, sans que je les aye demandez, mais au contraire comme forcé avec le consentement des filles & des parents, à telle condition 271/1255que j'en disposerois à ma volonté, pour les instruire en nostre Foy, comme si c'estoient mes enfans, ce que j'ay fait depuis deux ans le tout pour l'amour de Dieu, où j'ay eu un grand soing à les entretenir de tout ce qui leur estoit neceaire, les desirant retirer des mains du Diable, où elles retomberont si faut que les reteniez: je vous supplie que vostre charité soit telle envers ces pauvres filles de ne les violenter, & souvenez vous que Dieu ne vous sera point ingrat si vous faites quelque chose pour luy, il a des recompenses grandes, tant pour le Ciel que pour la terre.

Au reste je sçay très asseurément que Marsolet a forgé en son esprit ce qu'il vous mande, n'ayant treuvé autre moyen pour perdre ces filles, & jouir de sa desordonnée volonté s'il peut. Je sçay asseurement que les Sauvages estant au Conseil des trois rivieres, il ne fut parlé aucunement de ces filles, ny de ce que Marsolet vous a escrit, mesme je sçay que lors qu'estiez à Québec vous vous informastes si les Sauvages n'estoient point faschez de ce qu'elles s'en alloient, que Gros Jean de Dieppe qui s'est donné à vous, truchement des Algommequins, vous dit au contraire, qu'ils fussent faschez de ce que je les emmenois, qu'ils en estoient bien contents, que s'il y avoit du danger de les emmener allant dans le pays comme il alloit, il n'y eut pas esté pour beaucoup de choses, & Coullart vous dit aussi, Monsieur nous avons autant d'interest que personne, à cause de ma femme & de mes enfans, que s'il 272/1256y avoit quelque risque je vous le dirois librement, au contraire les Sauvages m'ont dit qu'ils en estoient bien aise, qu'elles estoient bien données, tout cecy est un tesmoignage suffisant, auquel devez adjouster Foy, plus qu'à ce que vous mande Marsolet, qui veut abuser de ces filles, les ayant mesmes sollicitées à s'en aller avec luy, qu'il leur donneroit des presens: l'ayant ainsi dit aux Sauvages, vous vous en pouvez informer s'il vous plaist.» Mais recognoissant que tant plus je luy en parlois, & plus il se roidissoit, je le laissay là sans parler d'advantage, il se leve de table tout fasché comme il sembloit, ce qui ne dura gueres: nous ne laissasmes de passer le temps attendant un jour plu propre à luy en parler, & rechercher les moyens pour l'inciter à penser à cela, j'employay à ma supplication ledit Jacques Michel & Thomas Quer son frère, qui luy en parlèrent, il demeura obstiné, ce que sçachant ces deux pauvres filles, furent si tristes & faschées qu'ils en perdoient le boire & le manger en pleurant amèrement, ce qui me donnoit de la compassion, en me disant, «Est il possible que ce mauvais Capitaine nous vueille empescher d'aller en France avec toy, que nous tenons comme nostre père, & duquel nous avons receu tant de biens faits, jusqu'à oster ce qui estoit pour ta vie, durant les necessitez pour nous le donner, & nous entretenir jusqu'à present d'habits: nous avons un tel desplaisir en nostre coeur que nous ne le pouvons dire, n'y auroit il point moyen de nous cacher dans le vaisseau, ou si nous pouvions te suivre avec un canau nous le ferions, 273/1257te priant de demander encore une fois à ce mauvais homme qu'il nous laisse aller avec toy, ou nous mourrons de desplaisir, plustost que de retourner avec nos Sauvages, & si tu ne peux obtenir que nous allions en France, au moins faits en sorte que nous demeurions avec la femme de Coullart, nous la servirons elle & tous ses enfans de tout nostre pouvoir en ton absence, attendant l'année à venir, & sçachant de tes nouvelles aussi tost nous prendrons un canau pour t'aller treuver à Tadoussac,» ainsi me disoient leurs petits sentiments: Je leur fis faire à chacune un habit de quelques robes de chambre & manteau que j'avois, pour ne les envoyer mal accommodées tant elles me faisoient de compassion.

Je faisois ce qu'il m'estoit possible pour sauver ces deux pauvres ames, je tasche de faire encore un effort, puisqu'il n'y avoit qu'à contenter les Sauvages par present, quand mesme il iroit de beaucoup, je fais dire par Thomas Quer à son frère le Général, qu'il y avoit un moyen de rendre les Sauvages satisfaits en leur faisant un present, & leur dire que puisqu'ils avoient donné ces filles qu'ils dénotent tenir leurs paroles, voyant qu'ils ne le faisoient pas, qu'ils n'auroient sujet de se fier en eux, de ce qu'il leur pourroient dire, que neantmoins il leur faisoit un present de la valleur de Mil livres, en marchandises telles qu'ils voudroient, pour des castors qui estoient à son bord à moy appartenants, dont il m'avoit donné sa promesse payable à Londres, que je la mettrois entre les mains de son frère, & seroit le present tel qu'il voudroit comme venant de sa 274/1258part, il me promit luy dire, comme il fit, mais le Général n'y voulut du tout entendre, ce que sçachant ce fut à moy de prendre patience. Un jour que je le vis en très bonne humeur, & croyant que je pourrois tenter la fortune de luy parler encore une fois, ce que je fis: il me donne quelque esperance sur le retour de Marsolet.

Les vaisseaux revenans de Québec j'appris que ce truchement venoit, je le faits advertir de ce que je desirois faire pour contenter les Sauvages, sçachant que c'estoit le moyen, & qu'en faisant des presents l'on pouvoit emmener ces filles: au contraire ce malheureux ennemy du progrés de Dieu, faisant voir sa meschanceté à descouvert, dit que si on en parloit aux Sauvages qu'ils refuseroient ce present pour cet effect: disant audit Quer que ces filles avoient esté données de la bonne volonté, sans esperance autre que de nostre amitié, ainsi eust esté cognu pour menteur, d'avoir escrit au Général des choses à quoy ils n'avoient jamais pensé au lieu de pallier ceste affaire il luy dit769 que c'estoit mal fait à luy d'empescher ces filles d'estre baptisées, & avoir cognoissance de Dieu, qu'il en respondroit devant la justice divine, qu'il print garde qu'il avoit encore assez de remèdes s'il vouloit persuader au Général de donner quelque present aux Sauvages comme j'offrois; que pour ce qui estoit de sa personne je le recognoistrois en tout ce qu'il me seroit possible, que quelque jour il pourroit avoir affaire de ses amis, estant en l'estat où il estoit, que s'il desiroit retourner en France, je le servirois en tout ce 275/1259qu'il me seroit possible: tout ce qu'il me dit fut, qu'il ne pouvoit rien faire de cela, que s'il arrivoit quelque accident aux Anglois par les Sauvages, ils remettroient toute la faute sur luy, & le voyant ainsi obstiné je le laissay là.

De là il va treuver le Général, luy remonstrant ce que je luy avois dit & offert, & ouy dire que je voulois faire des presens aux Sauvages pour empescher ces filles d'estre retenues, que d'assembler ces peuples esloignez, il n'y avoit nulle apparence, & leur offrir des presents il n'estoit point convenable, d'autant qu'ils croyroient que vous auriez peur de les irriter, & que cela leur donneroit plus d'asseurance d'entreprendre sur ses hommes, qu'il failloit qu'il empeschast que je n'emmenasse ces filles, qu'il luy avoit voué trop de services pour ne luy dire ce qu'il sçavoit pour le bien du pays, & à son advantage, qu'il print garde à ce qu'il feroit, s'en deschargeant, & que s'il arrivoit quelque disgrace pendant son absence, qu'on ne s'en prist pas à luy, & qu'il valloit mieux tenir ces peuples en paix, que d'estre en hasard de tomber en quelques mauvais accidens: Voilà ce qu'il dit avoir representé au Général, lequel se resolut de retenir ces filles, & ne me permettre les emmener.

Thomas Quer me dit y avoir fait ce qu'il avoit peu, le voyant fort esloigné de ce que je pouvois esperer touchant les presens, à quoy il ne vouloit consentir, Marsolet l'en ayant desgousté, ce qu'ayant entendu je n'en parlay plus: mais je ne me peus empescher de parler à Marsolet & luy dire le desplaisir signalé qu'il me faisoit en cette affaire, d'avoir 276/1260innové des choses toutes contraires à la vérité, & fait dire aux Sauvages ce à quoy ils n'avoient jamais pensé, qu'il pouvoit m'obliger en ceste occasion, comme je pourrois faire pour luy en d'autres, estant ainsi cause de la perte de ces filles & de leurs âmes, qu'il en respondroit un jour devant Dieu, qu'il ne permettroit point que tost ou tard il ne receut le chastiment qu'il meritoit, n'ayant eu autre dessein que de jouir de l'une de ces filles, en recherchant les moyens que je ne les emmenasse, il me dit, Monsieur vous en croirez ce qu'il vous plaira, je n'ay dit que la vérité, quand je sers un maistre je luy dois estre fidèle. Vous l'avez fort bien monstré (luy dis-je) en servant l'ennemy, pour deservir le Roy & ceux qui vous ont donné le moyen de vous élever en ces lieux depuis qu'estiez petit garçon 770 jusqu'à present qu'avez grandement décliné.

Note 770: (retour)

Voyez ci-dessus, p. 266.

Ces pauvres filles voyant qu'il n'y avoit plus de remèdes, commencèrent à s'attrister & pleurer amèrement, de sorte que l'une eut la fiévre, & fut long temps qu'elle ne vouloit manger, appellant Marsolet un chien & un traistre, disant ainsi, Comme il a veu que nous n'avons pas voulu condescendre à ces volontez, il nous a donne un tel desplaisir que sans mourir jamais je n'en receus de semblable.

Un soir comme le général donnoit à souper aux Capitaines des vaisseaux, Marsolet estant en la chambre, l'une des deux filles appellée Esperance y vint; qui avoit le coeur fort trisste, & souspiroit, ce qu'entendant 277/1261je luy demanday ce qu'elle avoit, sur ce elle appelle sa compagne nommée Charité, disant, j'ay un tel desplaisir que je n'auray point de repos que se ne descharge mon coeur envers Marsolet, duquel elle s'approche, & l'ayant envisagé, luy dist, Il est impossible que je puisse estre contente que je ne parle à toy: Que veux-tu dire? luy dist-il, Ce n'est point en secret que je veux parler, tous ceux qui entendent nostre langue l'entendront assez, & t'en priseront moins à l'advenir s'ils ont de l'esprit, c'est une chose assez cogneue de tous les Sauvages que tu es un parfaict menteur, qui ne dis jamais ce que l'on te dit, mais tu inventes des mensonges en ton esprit pour te faire croire, & donne à entendre ce que l'on ne t'a pas dit, pense que tu es mal voulu des Sauvages il y a long-temps & comme malicieux tu perseveres en tes menteries, de donner à entendre à ton Capitaine des choses qui n'ont jamais esté dites par les Sauvages, mais meschant tu n'avois garde de dire le subject qui t'a meu à inventer de telles faussetez, c'estoit que je n'ay pas voulu condescendre à tes salles voluptez, me priant d'aller avec toy, que je ne manquerois d'aucune chose, tu m'ouvrirois tes coffres dans lesquels je prendrois ce qui me seroit agréable; ce que je refusay, tu me voulus faire des attouchemens deshonnestes, je rejettay tes effronteries, te disant, que si tu m'importunois davantage je m'en plaindrois: ce que voyant tu me laissas en repos, me disant que j'estois une opiniastre: asseure toy qu'on te fera bien ranger à la raison, tu ne seras pas tousjours comme tu es, car je sçay bien que tu retourneras à 278/1262Québec; je te dis que je ne t'apprehendois en aucune façon, je desire aller en France avec Monsieur de Champlain, qui m'a nourrie & entretenue de toutes commoditez jusques à present, me monstrant à prier Dieu, & beaucoup de choses vertueuses, que je ne me voulois point perdre, que tout le païs avoit consenty, & que ma volonté estoit portée d'aller vivre & mourir en France, & y apprendre à servir Dieu; mais miserable que tu es, au lieu d'avoir compassion de deux pauvres filles, tu te monstre en leur endroit pire qu'un chien, ressouviens toy que bien que je ne fois qu'une fille, je procureray ta mort si je puis, en tant qu'il me sera possible, t'asseurant que si à l'advenir tu m'approches je te donneray d'un cousteau dans le sein, quand je devrois mourir aussi-tost: Ah! perfide tu es cause de ma ruine, te pourray-je bien voir sans plorer, voyant celuy qui a causé mon malheur, un chien a le naturel meilleur que toy, il fuit celuy qui luy donne sa vie, mais toy tu destruis ceux qui t'ont donné la tienne, sans recognoissance de bon naturel envers tes frères que tu as vendus aux Anglois; Pense-tu que c'estoit bien faict pour de l'argent vendre ainsi ta nation? tu ne te contentes pas de cela en nous perdant aussi, & nous empeschant d'apprendre à adorer le Dieu que tu mescrois qui te fera mourir, s'il y a de la justice pour les meschans. Sur cela elle se mit à plorer ne pouvant presque plus parler, Marsolet luy disant, Tu as bien estudié cette leçon: O meschant, dit elle, tu m'as donné assez de sujet de t'en dire davantage si mon coeur te le pouvoit exprimer. Le truchement se retournant à l'autre 279/1263petite fille appellée Charité, luy dist, Et toy ne me diras tu rien? Tout ce que je te sçaurois dire, dit-elle, ma compagne te l'a dit, & moy je te dis davantage, que si je tenois ton coeur j'en mangerois plus facilement & de meilleur courage que des viandes qui sont sur cette table. Chacun estimoit le courage & le discours de ceste fille, qui ne parloit nullement en Sauvagesse.

Ce Marsolet demeura fort estonné de la vérité des discours d'une fille de douze ans, mais tout cela ne peust émouvoir ny attendrir le coeur dudit Général Quer.

Le Capitaine Jacques Michel me dist en secret, qu'au voyage qu'il avoit fait à Québec 771, il avoit resolu de retenir ces filles, & pour trouver une excuse légitime dist à Marsolet qu'il luy escrivist la lettre que j'ay dit cy-dessus, mais estant en Angleterre, & luy ayant dit, il protesta que cela estoit faux, & qu'il n'y avoit jamais pensé, que je pouvois cognoistre son humeur, & qu'il n'estoit point homme à dissimuler & à chercher des inventions pour les faire demeurer, que s'il eust eu la volonté il l'eust faict librement, sans employer personne, & rien autre chose que ce que Marsolet luy en avoit dit, &772 l'avoit fait resoudre à les faire demeurer à Québec.

Note 771: (retour)

C'est-à-dire, «au voyage que le général avait fait à Québec, il avait résolu...»

Note 772: (retour)

Au lieu de cette particule (&), le manuscrit portait probablement ne.

Voilà la conclusion prise que ces filles demeureroient, je ne laissay de faire pour elles tout ce que je peux, & les assister de petites commoditez, leur donnant esperance de nostre retour, qu'elles prinssent 280/1264courage, & qu'elles fussent tousjours sages filles, continuant à dire les prières que je leur avois enseignées: L'une me demanda un chapelet, disant que les Anglois avoient pris le tien, ce que je fis à l'une, & mon beau-frère en donna un à l'autre: car il ne falloit rien donner à l'une que l'autre n'en eust autant pour oster la jalousie qui estoit entre elles, priant Coulart de les mettre avec sa femme tant qu'elles y voudroient estre, jusques à ce qu'ils eussent des vaisseaux François, & qu'il taschast de les conserver, ne leur donnant aucun subject de les perdre, mais qu'il les traittast doucement, que c'estoit une grande charité pour Dieu, qui le recompenseroit: qu'elles luy serviroient en sa maison, en mille petites choses necessaires, que me faisant ce plaisir, où j'aurois moyen de le servir, je le ferois de bon coeur; Asseurez vous, Monsieur, me dist-il, que tant qu'elles auront la volonté de demeurer avec moy, j'en auray du soin comme si c'estoit mes enfans, & disant cela en leur presence, elles luy firent une reverence, & en le remerciant luy dirent, Nous ne t'abandonnerons point non plus que nostre père en l'absence de Monsieur de Champlain: ce qui nous donnera de la consolation, & nous fera patienter, c'est que nous esperons le retour des François, & s'il eust fallu qu'aussi-tost que nous fusmes arrivez à Québec, & eussions773 esté vers les Sauvages nous fussions mortes de desplaisir, & neantmoins nous estions resolues ma compagne & moy d'y demeurer plustost qu'avec les Anglois.

Note 773: (retour)

Nous eussions...

L'on me dist que le Général Quer estant à Québec, 281/1265avoit tancé son frère Louys Quer, de ce qu'il avoit permis de célébrer la saincte Messe, ce qu'il fit deffendre à tous les Peres, & que les Peres Jesuites faisant embarquer leurs coffres pour aller à Tadoussac, il voulut voir ce qui estoit dedans en la presence de son frère, Louys Quer, commandant au fort & habitation, comme le reverend Pere Massé leur monstroit ce qui estoit dedans, ils adviserent quelque chose, qui estoit enveloppé: Il demanda à le voir, le Pere le developpe, c'estoit un Calice, que Louys Quer voulut prendre; Le Père luy disant, Monsieur, ce sont des choses sacrées, ne les profanez pas s'il vous plaist, il se fasche de ces paroles pour avoir sujet de le prendre, Quoy? dist-il Ce qu'il en jurant, profaner, nous n'adjoustons point de foy en vos superstitions, je n'appréhende pas qu'il me fasse mal, ce disant il le prit, disant: Je fais cela pour le discours que vous m'avez fait, & aussi pour oster le subject qui vous fait idolâtrer, comme nous sommes obligez de rabatre, entant que nous pouvons les superstitions, que si vous ne m'eussiez usé de ces termes je vous l'aurois laissé. Quoy que s'en soit, ledit Louys Quer s'estoit tousjours bien comporté jusques à cette heure, ne luy en desplaise774. Ceste action n'estoit bonne ny valable, c'estoit chercher un maigre sujet pour prendre ces deux Calices, pour un homme qui veut vivre en honorable réputation devant les hommes vertueux: cette action ne sera jamais approuvée, & void-on par 282/1266beaucoup d'exemples le chastiment que Dieu a envoyé à ceux qui ont profané les vaisseaux sacrez des Temples.

Note 774: (retour)

Ces derniers mots doivent se rattacher à la phrase suivante: «Ne luy en desplaise, ceste action n'estoit bonne...»



Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes & munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort malheureuse de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer.

CHAPITRE VI.

Le dit Général Quer me demanda le certificat des armes & munitions, & autres commoditez qui estoient tant au fort qu'à l'habitation, que son frère Louis Quer m'avoit donné, auquel il avoit fait une grande reprimende, disant qu'il ne sçavoit ce qu'il avoit fait, sans sçavoir s'il y avoit paix entre la France & l'Angleterre, qu'il respondroit de tout ce qui estoit audit certificat, qu'il ne vouloit point que l'on vit aucune chose signée de sa main, ne sçachant la consequence de cela, & le desplaisir que l'on pouvoit rendre à ses amis, je luy dis Monsieur cela ne vous peut apporter tant de desplaisir que vous le dites, puisque vous avez donné tout pouvoir au Capitaine Louis de traiter avec moy, en vertu des Commissions qu'avez du Roy d'Angleterre, ayant pour agréable tout ce qu'il feroit comme vostre personne, autrement ce seroit le desobliger, en ne tenant sa parole, & vous en desadvouant le pouvoir que luy avez donné: Je ne le desadvoue point (dit-il) pour ce qui est de la composition qu'il vous a faite, je la maintiendray au 283/1267péril de ma vie, mais pour ce qui est du certificat, cela est fait depuis ladite composition, & par consequent il ne vous pouvoit donner le certificat sans charge, ou en composant, pendant que vous estiés encore maistre du fort, & par ainsi je vous prie me le donner. Il y a assez de personnes qui sçavent l'estat de la place, & ce qui y est, estant en Angleterre l'on vous en donnera un s'il est jugé à propos, & toute autre sorte de courtoisie. Voyant qu'il se mettoit en colère, & que je ne le pouvois retenir, je luy donnay le certificat, luy disant qu'il n'estoit point de besoin de se mettre en colère pour si peu de sujet, que véritablement je le desirois avoir pour ma descharge. Vous l'estes (me dit il) assez, l'on sçait bien le miserable estat auquel vous estiez réduits, & le peu de commoditez qui sont en armes & munitions tant au fort qu'à l'habitation.

Deux ou trois tours après ledit Jacques Michel estant saisi d'un grand assoupissement, fut trente cinq heures sans parler, au bout duquel temps il mourut rendant l'âme, laquelle si on peut juger par les oeuvres & actions qu'il a faites, & qu'il fit le jour d'auparavant, & mourant en sa religion prétendue, je ne doute point qu'elle ne soit aux enfers: car le jour précèdent il avoit tellement juré & blasphemé le nom de Dieu que j'en avois horreur, faisant mille sortes d'imprécations contre les bons Pères Jesuistes, & des habitans de S. Malo: disant, Qu'il se rendroit plustost forban qu'il ne leur eust rendu quelque signalé desplaisir, deust il mourir. miserablement. Je ne me peus tenir de luy dire, Bon Dieu! comme pour un reformé vous jurez, 284/1268sçachant si bien reprendre les autres quand ils le font. Il est vray, dit-il, mais je suis tellement outré de passion & de colère contre ces chiens de Malouins Espagnols, qui m'ont rendu de grands desplaisirs, & aussi serois-je content si j'avois frappé ce Jesuiste qui m'a donné un desmenty devant mon Général.

Ce desplaisir qui luy estoit si sensible n'estoit alors pas tant pour les Malouins & le Pere Jesuiste comme pour le sujet des Anglois, desquels il se plaignoit grandement de l'avoir très-mal traitté, & peu recogneu, contre les promesses qu'ils luy avoient faites.

Il se plaignoit aussi de l'arrogance insupportable de son Général, pour un marchand de vin qu'il avoit esté, estant à Bordeaux & à Coignac, & cogneu ignorant à la mer, qui ne sçait que c'est que de naviger, n'ayant jamais faict que ces deux voyages, & veut faire de l'entendu par ses discours pleins de vanité à ceux qui ne le cognoissent pas bien, il trenche du Seigneur, il ne sçait que c'est d'entretenir d'honnestes hommes, il veut que tout luy cede, & ne veut croire aucun conseil, qu'alors qu'il n'en peut plus, comme il fit dés l'année passée, en laquelle sans moy il vouloit quitter le vaisseau de Roquemont, & ne l'eust jamais pris sans l'ordre que je luy donnay, il le vouloit aborder, mais je ne voulus y consentir, luy disant. Si nous l'abordons nous sommes perdus ne vous y frotez pas, je cognois mieux les François en ces choses que vous, qui n'avez que des gens mal faits en vostre vaisseau, hors les Canoniers & Officiers: c'est pourquoy il les faut battre à coups de canons, dont nous avons 285/1269 l'advantage, les contraignant à se rendre, vous conseillant encore une fois que si jamais vous rencontriez des François sur mer de ne les aborder, ils sont plus adroits & courageux que les Anglois, qui remportent à l'abordage. Il creut mon conseil, me remettant tout l'ordre du combat, en quoy il avoit raison; car il y estoit peu expérimenté, comme il est encore, & son frère Thomas Quer, ils prennent des commandemens desquels ils n'en sçavent pas les charges, il leur faudroit estre encore vingt ans pour l'apprendre, & avoir esté élevé & nourry jeune garçon pour sçavoir bien ce qui est necessaire à un Capitaine de mer, autrement ils feront de lourdes fautes, mettant souvent la conduitte entre les mains d'un Maistre ou Pilote ignorant qui sera dans leur vaisseau. Quand il fut arrivé à Londre, il se vantoit que c'estoit luy qui avoit tout faict, plusieurs honnestes hommes qui le cognoissoient bien & moy aussi me disoient, Quer emporte la gloire de ce que vous avez faict: & de faict ils ont usé envers moy d'ingratitude; Car outre mes appointements ils me devoient donner recompense, ce qu'ils n'ont faict: m'ont refusé le commandement de l'un de leurs vaisseaux pour mon fils, je les avois instalé en ceste affaire où ils ne cognoissoient rien, & n'y fussent jamais venus sans moy, ils me traittent mécaniquement en mon vaisseau: & non, comme j'ay appris, allant à la mer, ils m'ont donné un yvrogne qui est fol pour mon Lieutenant, pour prendre garde sur mes actions: Je le veux chasser de mon vaisseau, ou luy feray un mauvais party, c'est un coquin sans courage, s'il se presente quelque occasion de combatre 286/1270je le meneray comme il faut, ils auront encores recours à moy, je le sçay bien, ils n'en sont pas où ils pensent, tout ainsi que j'ay eu moyen de donner l'industrie d'instruire cette affaire, je sçay aussi les moyens de les en faire sortir, & leur apprendre & à d'autres, qu'ils ne doivent jamais mescontenter une personne comme moy: Il y a des Flamans assez & d'autres nations, quand un moyen me faudra, j'en trouveray d'autres, ils ont faict tout à leur plaisir, il faut patienter, il sçait bien que je ressens un grand desplaisir, mais il ne fait pas semblant de le cognoistre, il me fait bon visage, mais il voudroit que je fusse mort, je luy suis maintenant à grand'charge, j'ay laissé ma patrie, comme ils ont fait, pour servir un estranger, jamais je n'auray l'âme bien contente, je seray en horreur à tout le monde, sans esperance de retourner en la France, l'on a fait mon procez, ainsi qu'on m'a dit, mais puis que l'on me traitte de toutes parts comme cela, c'est me mettre au desespoir, & faire plus de mal que jamais je n'ay fait, ne pouvant que perdre la vie une fois, mais je la puis bien faire perdre à beaucoup si l'on me desespere, tous ces discours ne se passoient pas sans jurer.

Je luy donnois courage, en luy disant, Ne vous desesperez point, il y a des remèdes par tout, horsmis à la mort, il y a des personnes qui ont fait des choses plus attroces que ce que vous avez faict, vous avez raison de vous repentir de ce qui s'est passé, & croy tant de vous, que si aviez à recommencer, que vous ne le voudriez entreprendre, ains plustost mourir. Il est vray, me disoit-il: Nostre Roy est 287/1271bon & juste, pardonnant à plusieurs qui ont grandement offensé sa Majesté. Elle peut, luy dis-je, vous donner abolition en vous amendant & recognoissant vos fautes, en le servant fidèlement à l'advenir, vous serez en consideration tant pour vostre courage, que pour l'expérience qu'avez acquise en la mer, l'on a affaire d'hommes du mestier que vous menez, l'on ne vous voudra pas perdre quand l'on remonstrera à sa Majesté le service que vous luy pouvez rendre à la navigation: changez vostre volonté, & vous resoudez de retourner en vostre patrie, pour moy où j'auray moyen de vous y servir je le feray de bon coeur: Il me dit qu'on luy avoit escrit de France qu'il auroit la grâce, s'il s'en vouloit retourner, mais qu'il ne s'y fieroit pas qu'il ne l'eust seellée, & outre que jamais il ne voudroit se tenir à Dieppe, & qu'il iroit en autre ville de France, cela seroit très bien fait, luy dis-je.

Je sçay que la maladie qu'il eust, n'estoit que ce remors de conscience qui le bourreloit, & vouloit tesmoigner aux Anglois qu'il avoit un autre desplaisir, se couvrant du mescontentement qu'il avoit des Malouins, & du Père Jesuiste, & de son fils, dont il se plaignoit grandement, mais la vérité estoit que cet homme estoit fort pensif, triste, & mélancolique, de se voir mesprisé de sa patrie, abhorré du monde, retenu pour un perfide & traistre François, qui meritoit un chastiment rigoureux (& tous ceux qui font le semblable, ne peuvent marcher la teste levée) & monstré au doit d'un chacun, mesme les Anglois entr'eux l'appelloient traistre, disant, Voyez cestuy là qui a vendu sa patrie, 288/1272& autres qui l'ont reniée, pour un peu de mescontentement qu'ils disent avoir eu en France. Il sçavoit tres-asseurement que ces discours se tenoient, aussi est-ce un puissant ennemy, que celuy qui a la conscience chargée de si vilaines, detestables meschantes trahisons: il avoit raison d'avoir l'âme bourrelée, & mourir de desplaisir, plustost que survivre, & fut là le sujet de sa mort, & non ce que Quer & autres disoient, que c'estoit pour n'avoir donné un souflet au Père Jesuiste qui estoit la mesme sagesse & vertu 775, ayant bien tesmoigné aux voyages qu'il a fait dans les terres.

Note 775: (retour)

La sagesse & vertu mesme.

Le Général Quer parlant aux Peres Jesuistes, leur dit, Messieurs vous aviez l'affaire de Canada, pour jouir de ce qu'avoit le sieur de Caen, lequel avez depossedé. Pardonnez moy Monsieur, luy dit le Pere(2), ce n'est que la pure intention de la gloire de Dieu qui nous y a mené, nous exposant à tous dangers & périls pour cet effect, & la conversion des Sauvages de ces lieux: ledit Michel pressant dit, Ouy, ouy, convertir des Sauvages, mais plustost pour convertir des castors, ledit Père respond assez promptement & sans y songer, Cela est faux, l'autre leve la main, en luy disant, Sans le respect du Général je vous donnerois un souflet, de me desmentir, le Pere luy respond, Vous m'excuserez, je n'entend point vous démentir, j'en serois bien fasché, c'est un terme de parler que nous avons en 289/1273nos escoles, quand on propose une question douteuse, ne tenant point cela pour offencer, c'est pourquoy je vous prie me pardonner, & croire que je ne l'ay point dit pour vous donner du desplaisir.

Je laisse à penser si ce sujet estoit capable de le faire mourir, sans autre plus violent desplaisir, comme j'ay dit cy dessus: aussi Dieu l'a puny ne luy faisant la grâce de le recognoistre à l'heure de la mort, qui a couppé la broche à tous ses desseins pernicieux & meschans.

Estant mort il y eut plus de resjouissance entre les Anglois que de regret, neantmoins le Général Quer qui voulut luy tesmoigner la dernière preuve de son amitié qu'il disoit luy avoir porté de son vivant, luy fit faire une châsse où il fut mis, commande à son frère Thomas Quer d'armer quelques 200 hommes, qu'il fait mettre à terre, les met en ordre quatre à quatre, les maistres des vaisseaux prennent la châsse, & la mettent dedans une chalouppe, & arrivez sur le bord du rivage, les officiers des vaisseaux prennent le corps sur leurs espaules, & sur sa châsse avoient mis une espée nue, devant le corps marchoit un homme armé de toutes piéces, avec la rondache & le coustelas, l'autre portoit une demie picque noircie, les soldats s'ouvrirent en deux, par le milieu desquels passa le corps avec tous les Capitaines & autres officiers des vaisseaux, qui l'accompagnoient marchant devant, les soldats qui le suivent comme est la coustume en telles funérailles, il fut porté à la fosse, où estant mis dedans l'on rompit la demie picque en deux, & la mit on dans la fosse, sur laquelle le Ministre fit des 290/1274prières s'agenouillant & te levant plusieurs fois, respondant aux Ministres: leurs prières achevées, l'on couvre le corps de terre, cela fait ils se firent deux escoupetteries de mousquets, des soldats qui estoient rangez au tour de la fosse. Après l'on fut tirer le canon de tous les vaisseaux, jusqu'à quelque 80 à 90 coups: cela fait chacun s'en retourne en son vaisseau, le pavillon du contre-Admiral estoit à demy destendu, jusques à ce qu'il y en eust un autre mis en la place, qui fut un Capitaine Anglois appellé *****776 le dueil n'en dura gueres, au contraire jamais ils ne se resjouirent tant & principalement en son vaisseau où il avoit quelques barils de vin d'Espagne: le voilà payé de tout ce qu'il avoit fait.

Note 776: (retour)

Le nom est laissé en blanc dans l'édition originale.

Tout ce que j'ay veu après sa mort est, l'honneur qu'il ne meritoit pas, ne pouvant esperer, s'il eust vescu, que le chastiment d'un supplice, si sa Majesté ne luy eust donné sa grâce.

Durant le jour que nous fusmes à Tadoussac777, ledit Quer employa ses hommes à couper quantité de mas de sapins, pour batteaux & chalouppes, comme du bois de bouleau pour brusler: ce mesnage estoit tousjours pour payer quelques avaries, & en avoit plus de besoin ceste année là que l'autre, en laquelle il prit 19 vaisseaux François & Basques chargez de molue, & outre ce qu'il traita avec les Sauvages des marchandises qui estoient aux vaisseaux de la nouvelle societé, où commandoit Roquemont, 291/1275y ayant aussi quantité de vivres & autres commoditez propres à une habitation, qu'ils r'apportèrent ceste année à Québec, & outre la quantité des marchandises de rapport, ils pensoient faire meilleure traite qu'ils ne firent: ils ne traitèrent que quelques 5000 castors & quelques 3 à 4 mille qu'ils prirent à l'habitation, & le vaisseau d'Emery de Caen778. Ils n'ont eu autre chose qui est peu pour pouvoir rembourcer les frais de leur embarquement, en rendant ce qu'ils ont pris appartenant à de Caen & à ses associez au fort & à l'habitation de Québec, suyvant le traité de paix entre les deux couronnes de France & d'Angleterre 779.

Note 777: (retour)

Ce passage donne à entendre que les vaisseaux restèrent tout le temps mouillés au moulin Baudé, et que l'on se donna la peine d'aller enterrer Jacques Michel à Tadoussac même.

Note 778: (retour)

D'après les livres de compte de la Compagnie des marchands anglais, ils n'auraient traité que 4540 castors et 432 peaux d'élans; ils n'auraient de même trouvé au magasin que 1713 castors. Voici comment un des associés de la compagnie anglaise concilie cette différence: «Il faut faire attention, dit-il, que les Anglais ne parlent que des castors portés au compte de la Compagnie, tandis que les Français comprennent dans leur calcul toutes les peaux qu'ils avaient lorsque le fort fut rendu, sans distinction de ce qu'ils cachèrent ou retinrent du consentement des Anglais.» (Pièces justif. n. XVII.)

Note 779: (retour)

Il fut réglé par le traité de Suse (24 avril 1,629) que «d'autant qu'il y avoit beaucoup de vaisseaux en mer avec lettres de marque & pouvoir de combattre les ennemis, qui ne pourroient de si tost entendre cette paix, ny recevoir ordre de s'abstenir de toute hostilité, il seroit accordé, que tout ce qui se passeroit l'espace de deux mois aprés cet accord fait, ne derogeroit ny empescheroit cette paix; ny la bonne volonté des deux Couronnes; à la charge toutesfois que ce qui seroit pris dans l'espace de deux mois depuis la signature dudit Traicté, seroit restitué de part & d'autre.» (Mercure français.)

Pendant ce temps que nous estions à Tadoussac, ledit Quer ne voulut permettre que les Catholiques priassent Dieu publiquement à terre, où il avoit mis tous les François, horsmis deux qui estoient Huguenots, de l'esquippage dudit Emery de Caen, qui les faisoient rire pour avoir ceste prééminence par dessus les autres, moy & quelques autres passions le temps avec ledit Général à la chasse du gibier, qui y est en ceste saison abondante, & principalement d'allouettes, pluviers, courlieux, becassines 292/1276desquels il en fut tué plus de 20000. outre la pesche que les Sauvages faisoient du saulmon & truites qu'ils nous apportoient en assez bonne quantité, & de l'éplan que l'on prit en grand nombre avec des filets, & quelques autres poissons, le tout très-excellent, jusqu'à nostre partement.



Partement des Anglais au port de Tadoussac. Général Quer craint l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre. L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du Reverend Père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de l'Autheur à Paris.

CHAPITRE VII.

Ledit Général ayant accommodé le fort & habitation de Québec de tout ce qu'il jugea estre necessaire, il fit donner caraine à ses vaisseaux assez légèrement, nettoyer, gadomer & suiver, ce qu'estant fait, il fit partir une petite barque de 25 à 30 tonneaux, pour s'en aller porter à Québec ce qui restoit, où s'embarquèrent mes deux petites Sauvagesses, nous levons les ancres & mettons sous voiles, ce qui n'estoit pas sans bien appréhender la rencontre du Chevalier de Rasilly, d'autant que nouvelles estoient venues par quelques Sauvages, qui asseuroient avoir veu dix vaisseaux à Gaspey, bien armez qui nous attendoient audit lieu: c'est pourquoy l'on passa fort proche d'Enticosty 14 lieues dudit Gaspey pour n'estre apperceus: toutesfois 293/1277ledit Quer disoit qu'il ne les apprehendoit en aucune façon, & que c'estoit à faire à se bien battre & que si tant estoit que les François eussent le dessus, qu'il mettroit le feu dans leurs vaisseaux, en faisant mourir beaucoup premier qu'en venir là, & quelques autres discours. Nous fusmes contrariez de fort mauvais temps, avec des brunes jusques sur le grand Ban, qui estoit le 16 du mois d'Octobre, nous eusmes la sonde, & le 18 la cognoissance de Sorlingues: pendant la traverse moururent onze hommes de la dysenterie, de l'esquippage de Quer.

Le 20 nous relaschasmes à Plemué780, où nous eusmes nouvelle de la paix 781, ce qui fascha grandement ledit Quer. Le 25, sortismes dudit port, rangeant la coste de deux lieues. Le 27, passasmes devant Douvre, où ledit Quer fit descendre tous nos hommes avec les pères Jesuistes & Recollets, ausquels il donna passage, & à tous ceux qui voulurent aller en France: & moy j'escrivay de ce lieu à Monsieur de Lozon782 que je m'en allois à Londres, treuver Monsieur l'Ambassadeur783, pour luy faire le récit de tout ce qui s'estoit passé en nostre voyage, afin qu'il luy pleust faire expédier quelques lettres de sa Majesté audit sieur Ambassadeur, pour avoir ceste affaire pour recommandée, & y envoyer un homme exprés pour cet effect, chose comme très necessaire & importante pour le bien de la Societé.

Note 781: (retour)

Le traité de Suse avait été conclu le 24 avril 1629, et il venait d'être ratifié, le l6 septembre.

Note 782: (retour)

Jean de Lauson, l'un des principaux associés de la Compagnie de la Nouvelle-France, et le même qui fut plus tard gouverneur du Canada.

Note 783: (retour)

C'était alors M. de Châteauneuf.

294/1278En continuant nous passasmes par les Dunes, où il y avoit nombre de vaisseaux, & une remberge de six à sept cens tonneaux que l'on salua, qui rendit le réciproque de trois coups de canon. Entrant en la riviere fusmes mouiller l'ancré devant Graveline784, où mismes pied à terre laissant les vaisseaux, ledit Quer fréta un batteau pour aller à Londres sur la riviere de la Tamise, auquel lieu arrivasmes le 29 dudit mois.

Note 784: (retour)

Gravesend. Le contexte prouve évidemment que c'est ici une faute typographique. Entrant en la rivière, c'est-à-dire, la Tamise. Il est bon de se rappeler en outre que le général Kertk était parti précisément de Gravesend; il est donc tout naturel que ses vaisseaux soient revenus au port d'où ils avaient fait voile au printemps. (Pièces justificatives, n. V.)

Le l'en demain je fus treuver monsieur l'Ambassadeur, auquel je fis entendre tout le sujet de nostre voyage, ayant esté pris deux mois après la paix, qui estoit le 20 Juillet, faute de vivres & munitions de guerre & de secours, ayant enduré beaucoup de necessitez un an & demy, allant chercher des racines dans les bois pour vivre, bien que je n'eusse retenu que seize personnes au fort & à l'habitation, ayant envoyé la plus grand part de mes compagnons parmy les Sauvages, pour éviter aux grandes famines qui arrivent en ces extremitez.

Ce qu'ayant entendu ledit sieur Ambassadeur, il se délibéra d'en parler au Roy d'Angleterre, qui luy donna toute bonne esperance de rendre la place, comme de toutes les peleteries & marchandises, lesquelles il fit arrester.

Je donnay des mémoires, & le procès verbal de ce qui s'estoit passé en ce voyage, & l'original de la capitulation 785 que j'avois faite avec le Général 295/1279Quer, & une carte 786 du pays pour faire voir aux Anglois les descouvertures & la possession qu'avions prise dudit pays de la Nouvelle France, premier que les Anglois, qui n'y avoient esté que sur nos brisées, s'estans emparez depuis dix à douze ans des lieux les plus signalez, mesme enlevé deux habitations sçavoir celle du Port Royal où estoit Poitrincourt, où ils sont habituez de present, & celle de Pemetegoit appellé autrement Norembeque: le tout saisi & enlevé contre tout droit & raison, molestant les sujets du Roy, leur imposant un tribut sur la pesche du poisson: le tout pour les travailler, & en fin leur faire quitter la pesche, en se rendant maistre de toutes les costes peu à peu. De plus afin d'obliger les sujets de sa Majesté à aller prendre des congez en Angleterre, &787 ont imposé depuis deux ou trois ans des noms en ladite Nouvelle France, comme la Nouvelle Angleterre & Nouvelle Escosse. Ils s'en sont advisez bien tard, ils le devoient faire avec raison, & non pas changer, ce qu'ils ne pourront jamais faire, on ne leur dispute pas les Virgines, ce qu'avec raison l'on pourroit faire, ayant esté les premiers François qui les ont descouvertes il y a plus de quatre vingts ans, par commandement de nos Roys, cela se justifie par la relation des histoires tant Françoises qu'Estrangeres. Mais qui a causé qu'ils s'en sont emparez si facillement? c'est que le Roy n'en avoit fait estat jusqu'à maintenant, que les justes plaintes 296/1280qui luy en ont esté faites, le fait resoudre à recouvrir ce que les Anglois ont anticipé, & le fera toutesfois & quantes que sa Majesté le voudra.

Note 785: (retour)

Voir ci-dessus, p. 240.

Note 786: (retour)

Probablement celle qu'il publia trois ans plus tard (édit. 1632), et que nous produisons dans cette présente édition.

Note 787: (retour)

Au lieu de &, il faut lire ils.

Je fus prés de cinq sepmaines788 proche de mondit sieur l'Ambassadeur, attendant tousjours nouvelles de France, & voyant le peu de diligence que l'on faisoit d'y envoyer, ou me donner advis de ce que l'on desiroit faire, je sceus de mondit sieur s'il n'avoit plus besoin de mon service, que je desirois m'en retourner en France, il me le permit, me donnant lettre pour Monseigneur le Cardinal, m'asseurant que le Roy d'Angleterre & son Conseil luy avoient promis de rendre la place au Roy, il s'y employa fort vertueusement789, esperant faire donner un arrest au Conseil pour la reddition de l'habitation & commoditez qui y avoient esté prîtes.

Note 788: (retour)

Depuis le 30 octobre jusqu'au 30 de novembre.

Note 789: (retour)

M. de Châteauneuf, ambassadeur extraordinaire auprès du roi d'Angleterre, fut remplacé par M. Fontenay-Mareuil, nommé ambassadeur ordinaire, qui arriva à Londres vers le commencement de février 1630. Celui-ci reçut ordre du cardinal de Richelieu de poursuivre activement les négociations entamées par son prédécesseur. Dès le commencement de février, l'ambassade avait déjà présenté cinq mémoires au sujet des affaires du Canada, comme on le voit par l'extrait suivant d'un document conservé au bureau des Papiers d'État en Angleterre (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, n. 50): «Response de Messieurs les Commissaires establis pour les affaires estrangeres, sur cinq mémoires à eux presentés par M. l'Ambassadeur de France le premier de Febvrier 1629» (11 février 1630, style neuf). «Touchant la restitution des places navires & biens qui ont esté pris sur les François en Canada & particulièrement du fort de Québec, S. M. persiste en sa première resolution signifiée audit sieur Ambassadeur par un Mémoire qui luy fut delivré en Latin portant que ledit fort & habitation de Québec qui fut prist par le Capitaine Kirke le 9. (19.) de Juillet, sera restitué en mesme estat qu'il estoit lors de la prise, sans rien abattre des fortifications ou bâtiments, ny en emporter des armes munitions marchandises ou utensiles qui y furent lors trouvées. Et que si aucune chose en avoit esté emportée, elle sera rendue soit en espece ou en valeur, selon la quantité de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par nouvelle examination qui en sera faite sur serment avoir esté trouvé audit lieu. Semblablement les peaus qui ont esté prises & emportées dud. port pour butin & chose de bonne prise, seront restituées selon qu'aussy il peut ou pourra apparoir par le compte exact qui en sera pris là, sur serment qu'elles auront esté prises & emportées dudit lieu. C'est ce que S. M. offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la première déclaration qu'elle en a faite & n'estime pas pouvoir estre pressée à davantage sur ce point là en vertu du dernier Traite.» (Voir de plus. Mémoires du Card. de Richelieu et le Mercure français, t. XV et XVI.)

297/1281Je partis de Londres le 30 790 pour aller à Larie791 treuver passage, comme plus proche de Dieppe, d'où il y a 21 lieues: sur le chemin je rencontray ledit sieur de Caen, qui s'en alloit pour le recouvrement de ses peleteries, auquel succinctement luy fis entendre ce qui s'estoit passé, & en quel estat estoient les affaires: arrivant à Larie je fus quelques jours 792 à attendre le vent pour passer, qui estant devenu bon, je m'embarquay le lendemain & arrivay à Dieppe.

Note 790: (retour)

Le 30 de novembre.

Note 791: (retour)

Ou La Rye, aujourd'hui Rye, dans le comté de Sussex.

Note 792: (retour)

C'est-à-dire, une dizaine de jours, s'il faut en juger par la date du rapport du capitaine Daniel, cité plus loin; à moins que ce rapport n'ait été signé qu'après l'entrevue de celui-ci avec l'auteur.

Le jour en suivant arriva le Capitaine Daniel avec son vaisseau, qui avoit pris une habitation des Anglois, qui s'estoit habitée ceste mesme année à l'isle du Cap Breton par un Escossois appellé Stuart, qui se disoit parent du Roy d'Angleterre. Ledit Daniel me donna quelques lettres tant de Monsieur de Lozon Surintendant des affaires de la Nouvelle France, que de Messieurs les Directeurs, avec une Commission qu'ils m'envoyoient, comme estans pressez du partement de l'embarquement, & ne pouvant si tost avoir celle de sa Majesté, & de Monseigneur le Cardinal pour m'envoyer, à cause de l'absence de sa Majesté, laquelle Commission portoit ce qui s'ensuit.

Les Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France, Au sieur de Champlain l'un des associez en ladite Compagnie, Salut. L'expérience que vous vous estes acquise en la cognoissance du pays, 298/1282& Peuples de la Nouvelle France, pendant le sejour que vous y avez fait, joint la cognoissance particulière que nous avons de vos sens, suffisance, generosité, prudence, zele à la gloire de Dieu, affection & fidelité au service du Roy, nous ayant portez à vous nommer & presenter à sa Majesté, conformément au pouvoir qu'il luy a pleu nous en donner, pour en l'absence de Monseigneur le Cardinal de Richelieu Grand-Maistre Chef & Surintendant général des Mers & Commerce de France: commander en toute l'estendue dudit pays, régir & gouverner tant les Naturels des lieux que les François qui y resident de présent, & s'y habitueront cy aprés: Nous ne pouvons douter que ladite nomination ne soit agrée, neantmoins ayant advis que les vaisseaux que nous vous envoyons, sous les charges & conduictes des sieurs Daniel & Joubert sont prests à faire voile, & craignant que les lettres de provision de sa Majesté ne peuvent estre arrivées à temps pour vous estre envoyées par lesdites flottes, estant d'ailleurs necessaire & très important de n'en point différer le partement. A ces causes Nous par forme de provision seulement, & attendant l'urgente & pressante necessité de la chose, jugeant ne pouvoir faire meilleure eslection que de vostre personne, vous avons commis & député, commettons & deputons par ces presentes, pour jusqu'à ce qu'autrement sous le nom de la Compagnie y ayt esté pourveu, commander pour le service de sa Majesté, en l'absence de Monseigneur le Cardinal, audit pays de la Nouvelle France, Fort & Habitation de Québec, & autres places & forts qui sont & seront cy après construits, ausquels vous establirez tels Capitaines que bon vous semblera: régir & gouverner 299/1283lesdits peuples ainsi que vous jugerez estre à faire & generalement faire en icelle charge tout ce que vous estimerez & trouverrez à la plus grande gloire de Dieu & de cet Estat, & utilité de ladite Compagnie. En foy de quoy avons signé ces presentes: A Paris le 21e jour de Mars 1629. & plus bas signé, De Lozon, Robineau, Alix, Barthélémy Quantin, Bonneau, Quantin, Houel, Haquenier, Castillon.»

Ledit Daniel me fit le récit comme il s'estoit saisi du Fort du Milor Anglois, ainsi qu'il s'ensuit.


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