Souvenirs littéraires... et autres
CHAPITRE XII
Les nègres. — Les homosexuels. — A bientôt !
J’aurais encore beaucoup à dire. Pourquoi faut-il que le papier coûte si cher ?
Il me reste à traiter — c’est bien mon tour — la question des « nègres » sur laquelle Louis Thomas a écrit des choses très justes et Edouard Keyser de malveillantes âneries. L’omniscient Léon Treich a malicieusement insinué que je devais détenir des pièces intéressantes. En effet. Les nègres (je n’englobe pas dans cette dénomination mon vieux Curnonsky, humoriste profond, collabo inappréciable), les nègres, je m’en suis servi, mais j’ai servi aussi de nègre. Maintes fois.
Sur le cas Anatole France, le miséricordieux J.-J. Brousson n’a pas voulu tout raconter. A l’article de l’Eclair (24 novembre 1924) que les lettrés devraient conserver dans leurs archives, des révélations viendront s’ajouter touchant les pièges tendus par « Madame » aux habitués de l’avenue Hoche qu’elle jugeait utile d’évincer ; pourquoi ne pas publier également certains détails montrant l’avarice du Maître ? O le voyage en Italie que fit, sous sa conduite le jeune ménage de Caillavet… il était jeune, alors !
(Pour avoir publié d’indiscrets ragots sur Anatole France en pantoufles, J.-J. Brousson fut traité dans l’Ere Nouvelle, par Pioch, d’écrivain « excrémentiel… d’une infamie assez vile pour faire baver de dégoût les cloportes eux-mêmes ». Mais ce sont les risques du métier. Un autre francophobe, M. René Johannet, s’en est tiré à meilleur compte.)
On m’a demandé des précisions, je les fournirai, sur mon premier mariage, mon premier divorce, mon second mariage, mon second divorce, (à suivre)…
Théodore de Banville, Emile Faguet, Toulet, Rachilde, etc., sans oublier Guillaume Apollinaire qui m’écrivit des lettres précieuses, j’aimerais leur consacrer des pages, et à d’autres hommes, et à d’autres femmes, et à des hommes-femmes. Ces derniers, je ne les raterai pas.
Blessés par la préface de l’Ersatz d’amour, certains d’entre eux m’ont attaqué, (par derrière, of course). Pourquoi ne pas mettre au jour les manigances d’un pianiste en ébullition toujours effervescent comme une bouteille d’eau Perrier, accoutumé à « tripuder » — ô lord Hantayad — sur un instrument qui ne sort ni de la maison Pleyel ni de l’ordinaire. Devrait-il point faire meilleur usage de ses dix doigts ?
Une coquine qui se targue, en sirotant son Cinzano, de préférer, à la musique, les lettres (surtout la dix-septième, je pense), s’est permis d’écrire dans une feuille de chou — ou de rose — confidentielle : « M. Gauthier de (sic) Villars a expérimenté les pipes de touffiane avant d’écrire Lélie fumeuse d’opium ; pourquoi n’aurait-il pas procédé à des expériences lui permettant de documenter son Ersatz d’amour ? J’indique sans le développer, ce thème… »
Tu as raison, gâcheuse. Ce n’est pas ton affaire, le thème ; tu es plutôt fait pour l’inversion. Mais ne me nomme pas Gauthier de Villars, je n’ai aucun besoin de ta particule.
Où irions-nous, si un auteur ne pouvait, sans encourir le soupçon, décrire d’autres mœurs que les siennes propres (entendez « propres » comme il faut) ? André Gide n’aurait pu donner son inoubliable Saül immoraliste entiché d’un harpiste adolescent, ni Binet-Valmer l’émouvant Lucien, son chef-d’œuvre ; ni Rachilde tant de peintures dont Retté déplore « l’amoralité totale » ; ni Birabeau sa Débauche au dénouement paradoxal ; ni « ni notre précieux pasticheur » Abel Hermant, pour parler comme M. Martin du Gard, ses esquisses d’homoérotes anglo-saxons qui eussent séduit Walt Withmann ; ni Fazy la Nouvelle Sodome dont les révélations firent sortir de ses gonds la Sublime Porte ; ni Marcel Proust ses réquisitoires minutieux et compacts ; ni Mme Colette certain personnage de cette Ingénue libertine dont ses biographes, Keller et Gautier aussi vaseux que le Marcel Sauvage, chirurgien des roses et brouteur de chardons, blâment le prétendu « pathos sentimental » ; ni Francis de Miomandre ses Petits messieurs évoluant, poudrerisés, autour de don J’aime ; ni Carco son Jésus-la-Caille qui, habitué des fumeries suspectes, tire sur le Bambou.
Je ne fais que mentionner, faute de place, Anquetil, terriblement documenté ; le sinologue qui se complaît aux chinoiseries invraisemblables de Bijou-de-Ceinture, dont la publication valut au Mercure de France quelques désabonnements pudibonds ; Henry Ner, verbeux ; Henry Marx, crâneur ; le mièvre Essebac (anagramme de Bécasse) et sa cargaison de petits bouquins peureusement antiphysiques ; le docteur ( ?) Agrippa dont la Première Flétrissure, il y a vingt ans, se vendait presque autant que les mornes Lettres d’un Frère à son élève ; enfin Manoel et Bénito, les deux associés sud-américains en train de fabriquer un roman à clef où se retrouveront leurs amis, comme eux « pédérastas ».
En ce qui me concerne, jamais je ne serai la proie de la pieuvre Homosexualité, dont je méprise les… tentacules. Vieux tireur impénitent, pourquoi changerais-je mon fusil de pôle ? La Femme vaut encore mieux que l’Ersatz. Je ne prétends pas qu’elle vaille grand chose.
Nous nous reverrons, gens de bien. Mon prochain volume paraîtra bientôt. Un proverbe qui n’est pas emprunté au bagage psychologico-culinaire de M. Rouff, styliste génevois, assure que « la vengeance et le veau doivent se manger froid ». Ma vengeance ne perdra rien pour attendre.
Les veaux non plus.
FIN