Souvenirs littéraires... et autres
CHAPITRE II
Les deux Willy. Octopodes autobiographiques. Mon ancêtre le Maréchal de Villars.
Le kaiser Guillaume II est né en 1859. Moi aussi.
Il a quitté sa patrie pour vivre à l’étranger. Moi aussi.
Il signe toute sa correspondance « Willy ». Moi aussi.
Mais là s’arrête la ressemblance.
Tandis que le Hohenzollern s’enorgueillit d’aïeux importants, ma naissance est modeste et mes vœux sont ceux « d’un simple bachelier » (ès-lettres).
Pourtant, à la suite d’un journal facétieux, quelques gazettes m’attribuèrent une origine illustre, il y a plus d’un quart de siècle. Le même jour, je reçus une couple de lettres envoyées l’une par un quotidien de Paris, l’autre par une revue littéraire éditée en province, toutes deux me demandant de leur expédier mon autobiographie. La publication départementale spécifiait que ce portrait devait être rédigé en vers.
Docile, je lui adressai ces renseignements que, plus tard, Alcanter de Brahm fit applaudir au Banquet des « Lettres et des Arts » présidé par Leconte, non le charmant académicien, mais Sébastien-Charles Leconte, poète somptueux et magistrat à ses moments perdus.
N’étant pas ministre, ni même sénateur, non plus que préfet, bien que j’aime le travail fait, j’ai fort peu de temps pour la flemme.
Au rebours du roi d’Yvetot, je dors fort peu, quoique sans gloire et, couché tard dans la nuit noire, le matin je me lève tôt.
D’une œuvre, une autre me repose : dans les tiroirs les plus divers j’enfourne des chansons (en vers), sans parler des romans (en prose).
C’est gai, ça l’est depuis quinze ans et, comme le vieux, je persiste. N’empêche que je serais triste, quelquefois, si j’avais le temps.
Si j’en avais le temps encore, je regarderais couler l’eau, tandis que le tremblant bouleau s’éclaire de lune ou d’aurore.
… Et dans un rêve, je me vois près de Claudine aux yeux magiques, oubliant toutes les musiques pour écouter rire sa voix. »
Quelques jours plus tard, le canard de sous-préfecture me retournait mes octopodes accompagnés de ce mot : « Mille regrets, mon cher confrère, mais nous ne pouvons publier de la prose. »
Cette expérience m’ayant dégoûté, je n’opposai qu’un froid silence à la demande du journal parisien, si bien que, vexé de mon abstention, il bouffonna : « Notre enquête démocratique ne pouvait qu’être méprisée par ce confrère de haut lignage, descendant du maréchal de Villars, le vainqueur de Malplaquet ».
Cette « victoire » de Malplaquet me surprit… On s’instruit à tout âge !
Au vrai, mon origine est infiniment plus humble. Le premier Villars de ma famille qui ait marqué était un berger, un « heureux petit berger » comme chantait dans Mireille Mlle Auguez, avant d’épouser Henri Lavedan. Au commencement du règne de Louis XVI, il gardait ses troupeaux dans le village montagneux de Champsaur (rien de commun avec Félicien).
Un brave curé de campagne, desservant de Saint-Bonnet, frappé de la précoce intelligence du gamin, lui enseigna les éléments de la botanique et puis l’envoya au lycée de Grenoble (à ses frais, s. v. p.). Là, le jeune Villars, travailleur infatigable, conquit à la pointe de la plume grades et parchemins, passa brillamment tous ses examens, devint médecin, ouvrit un cours de botanique où les étudiants venaient de tous les coins de la France, créa un Jardin des plantes, écrivit des volumes appréciés du monde savant, acquit de la notoriété, puis de la gloire, et mourut en 1831 à Strasbourg, doyen de la Faculté des Sciences.
Petite anecdote pour terminer : Au temps où il était médecin-chef à l’hôpital de Grenoble, il s’arrêta près du lit dans lequel on venait de coucher un soldat blessé qui ne donnait plus signe de vie.
— Rien à faire pour celui-là, soupira le frère Johannès, directeur de la salle ; un confesseur suffira.
— Non, non, voyons-le tout de même, insista Villars.
Il examina le pauvre diable longuement, minutieusement ; puis conclut : « Portez-le tout de suite à la salle d’opérations ».
Six semaines après, complètement guéri, le soldat rejoignait les armées victorieuses du général Bonaparte. C’était un brave. Il se nommait Bernadotte et régna sous le nom de Charles XIV.
Je suis certain que si le souverain actuel de la Suède vient à connaître cette histoire, il ne manquera pas d’envoyer une pension au descendant de Dominique Villars qui écrit ces lignes.
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