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Un printemps en Bosnie

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CHAPITRE II

De Brood à Sérajewo. — Voyageurs et incidents de route.

La locomotive franchit lentement, avec la gravité qui sied quand on passe d’un monde dans un autre, le pont jeté sur la Save entre les deux villages de Brood. Le fleuve, en effet, séparait jadis non seulement deux contrées, deux États, mais deux systèmes tout à fait différents, deux mondes, comme je disais : le monde chrétien et le monde musulman.

Le Brood hongrois est un gros bourg d’aspect aisé, avec des maisons assez solidement bâties, qui ne diffèrent pas très sensiblement des constructions que l’on trouve dans les provinces du Nord de la France. L’agglomération de ces maisons est entourée, et au besoin pourrait être défendue par une enceinte fortifiée qui date du prince Eugène, le grand organisateur de la frontière militaire, le conquérant de Belgrade, qu’il prit trois fois. Cette muraille bastionnée, couverte d’un épais gazon, a été assez bien entretenue depuis un siècle et demi pour offrir aujourd’hui encore un aspect militaire respectable. Peut-être ces remparts tiendraient-ils médiocrement contre les canons Krupp ; mais, tels qu’ils sont, ils prêteraient un abri suffisant à une garnison bien commandée et brave, comme le sont les troupes autrichiennes, pour retenir pendant un temps voulu une armée de siège assez nombreuse. Si l’annexion de la Bosnie est proclamée, la frontière autrichienne étant reportée à quatre cents kilomètres plus loin, la forteresse de Brood sera sans doute déclassée et ses vieux remparts tomberont.

Au bout du pont de bois, solidement étayé, s’élève le Brood turc ou bosniaque. Ce n’est plus un bourg, mais un village ; à la place de maisons, on ne voit que des cahutes, des cabanes, qu’un coup de vent emporterait si elles n’étaient calées par de grosses pierres ; d’autres maisons semblent bâties sur pilotis ; tout cela donne l’idée d’une misère profonde. Heureusement, la verdure qui règne tout autour réjouit la vue, et l’aspect du premier minaret, qui dresse sa flèche aiguë entourée du balcon de fer du muezzin, évoque toutes les splendeurs et toutes les curiosités de l’Orient, dont voici la première étape.

La gare de Brood bosniaque est neuve, comme toute cette ligne de la Bosna, qui date de six ans à peine. L’occupation militaire se montre partout ; le chef de gare est un lieutenant ; il a revêtu, nous saurons tout à l’heure pourquoi, son uniforme de parade ; le sous-chef est un sous-lieutenant ; le préposé aux bagages est un sergent-fourrier à la mine fleurie et au ventre bedonnant sous sa tunique ; c’est un sous-officier qui, au guichet, reçoit votre argent et vous remet le ticket, de même qu’un caporal, décoré de la médaille de bravoure, fait les fonctions de chef de train.

Le convoi ne part que dans une demi-heure ; on a le temps de prendre le café dans une auberge qu’un pont en bois relie à la gare. Une petite terrasse s’étend, selon la mode autrichienne, devant la salle commune de l’auberge, qui s’intitule pompeusement Hôtel de l’Empereur d’Autriche. Une société militaire assez nombreuse est assise autour de deux tables, savourant le frühstück, l’appétit aiguisé par l’air frais du matin. L’un des convives porte le pantalon gris à large ganse d’or, et sur le col de sa tunique bleu-de-ciel sont brodées les trois étoiles d’or indiquant le grade de feldzeugmeister, ou général de cavalerie, la plus haute dignité militaire après le maréchalat. La physionomie du général est énergique, mais elle n’est pas précisément martiale ; elle indique plutôt la rondeur et l’entrain. Une barbe en collier de couleur grisonnante donnerait presque à cette physionomie un caractère bourgeois, mais l’œil droit est couvert d’un bandeau, ou plutôt d’une sorte de visière destinée à le protéger de tout contact et de tout frottement. En buvant son thé, le général cause avec animation et sur un ton de parfaite camaraderie avec les officiers qui l’entourent. Deux de ces messieurs, à la figure bien martiale, ceux-là, un lieutenant de hussards et un sous-lieutenant d’infanterie, portent en bandoulière l’écharpe jaune et noire qui fait reconnaître les aides de camp de service. Tous deux sont attachés à la personne du général, qui n’est autre — je ne tarde pas à l’apprendre — que le baron Appel, gouverneur général de la Bosnie et de l’Herzégovine, commandant des troupes du 15e corps, qui forme la garnison des territoires occupés.

Le général Appel vient de faire les honneurs de son gouvernement à l’inspecteur général de l’armée autrichienne, l’archiduc Albert, le fils du redoutable adversaire de Napoléon Ier, du vainqueur d’Aspern, l’archiduc Charles. En présence de certaines surprises menaçantes que les événements d’Orient peuvent ménager à l’Autriche, l’archiduc Albert avait cru devoir se rendre compte par lui-même si la défense des territoires occupés était suffisamment organisée pour parer à toutes les éventualités. L’archiduc, qui pendant les journées de mars 1848 commandait déjà la garnison de Vienne, est âgé de soixante-dix ans, et sa santé laisse parfois à désirer. Néanmoins, il avait tenu à entreprendre cette tournée et à l’exécuter d’une façon complète, ne négligeant aucun détail, ne se faisant grâce ni d’une redoute, ni d’un blockhaus, visitant même les postes de la gendarmerie indigène établis au faîte des montagnes les plus élevées de l’Herzégovine, dans des aires d’aigles qui semblent inaccessibles. Ce voyage avait duré cinq semaines sous l’œil vigilant et parfois inquiet du médecin de Son Altesse, un chirurgien de régiment qui ne quittait pas son client d’une semelle, surveillant le menu, réglant, sans trouver de résistance, les heures de repas et de sommeil, dosant la nourriture et les boissons, enlevant le verre des mains de l’archiduc lorsqu’il craignait un léger excès ou une simple contravention à la diète sévère qu’il avait prescrite.

Le général Appel avait accompagné son chef par monts et par vaux, et il avait recueilli partout les compliments que méritaient pleinement le zèle et l’activité par lui déployés depuis les débuts de son commandement, afin de mettre la Bosnie et l’Herzégovine en état de défense, ainsi que sa sollicitude paternelle pour le bien-être des soldats, qu’il n’est pas toujours facile d’assurer dans ces contrées à demi sauvages.

Comme tout a une fin, l’archiduc Albert était retourné au château de Reichenberg en Styrie, sa résidence d’été, et le général Appel, après l’avoir reconduit jusqu’à Sissek, en Esclavonie, se disposait à regagner ses pénates, c’est-à-dire le Konak, ou palais gouvernemental de Sérajewo.

Le train était assez long ; il y avait foule aux guichets, foule bariolée de Turcs et de Serbes en costume national mêlés aux uniformes, et le sergent préposé aux bagages était débordé. L’aspect de la locomotive et des wagons est tout à fait différent des nôtres. La machine est de petite dimension, svelte de construction, la cheminée élancée, une très grosse lanterne placée à l’avant. Ces machines ont été construites spécialement d’après un système inventé par un ingénieur suisse, et exécutées pour le compte de l’administration militaire autrichienne, par une fabrique de Bohême. L’avantage du système est de permettre à la locomotive de grimper allégrement les pentes les plus raides et de décrire gracieusement et avec toute la facilité voulue les courbes les plus capricieuses. Les wagons, proportionnés à la largeur des rails sur lesquels ils circulent, sont nécessairement étroits ; les voyageurs à embonpoint n’y sont pas à leur aise. Depuis un ou deux ans, on a ajouté aux trois classes normales une quatrième classe à prix considérablement réduits. Ces fourgons, munis de lucarnes grillées, et sans banquettes, ont valu à la compagnie des recettes considérables. Beaucoup d’indigènes, qui auparavant circulaient à pied ou sur leurs petits chevaux quand ils se rendaient de leur village à une localité peu éloignée, se sont laissé séduire par l’extrême modicité du prix de ces quatrièmes. Aujourd’hui ils ménagent leurs jambes (je ne dis pas leurs chaussures, car beaucoup n’en ont pas), laissent la monture à l’écurie et s’étendent philosophiquement sur le plancher des wagons.

Mais des gens que leur situation de fortune ne condamne pas cependant à voyager dans ces véhicules rudimentaires en usent par esprit d’économie. J’ai vu une famille de spagnioles (descendants des juifs chassés d’Espagne et réfugiés en Turquie) empilée dans un de ces fourgons de quatrième. Les femmes étaient vêtues d’étoffes brodées d’un grand prix, et portaient autour du cou ou comme garniture de leur coiffe des colliers de cinquante à soixante ducats ou demi-livres turques (12 fr. 50) avec de larges pièces autrichiennes de cent vingt francs en guise de croix.

Outre les voitures réglementaires, on a attelé à notre train une petite voiture-salon et un break avec verandah, deux véritables joujoux destinés au général et à sa suite. Un instant, je me demande si je ne dois pas présenter sans retard, en profitant de l’occasion, les lettres de recommandation dont je suis porteur pour le gouverneur. J’eus tort d’hésiter, car la suite me prouva que j’aurais été bien accueilli ; mais, d’autre part, je ne regrette pas d’avoir laissé dormir les lettres dans leurs enveloppes jusqu’à Sérajewo, puisque mon incognito m’a permis des « études de mœurs » pendant une partie de la route. Les premières sont vides, les secondes sont occupées à peine par quelques officiers ; mais tandis que les indigènes s’empilent dans les quatrièmes, voici dans un coupé de troisième une société qui vaut peut-être qu’on s’occupe d’elle.

C’est d’abord une dame toute jeune, toute blonde et toute mignonne, très délicate et fort langoureuse ; on devine à la voir qu’elle sort à peine de maladie. Elle a l’air encore souffrant, mais cela ne lui messied point. Voici sept ans qu’elle est au « pays béni des prunes », et depuis trois ans elle est mariée au gérant d’un mess d’officiers. Le casino est situé tout à fait là-bas, sur la hauteur, dans une contrée isolée où le chemin de fer ne pénètre pas, et qui communique deux fois par semaine avec le monde par une carriole de la poste militaire. La jeune femme déclare qu’elle se trouve heureuse dans cette solitude, peuplée de gentils et galants officiers, et quand elle va à Pesth pour voir ses parents, elle se sent tout à fait dépaysée. C’est une Bosniaque de sentiment et de conviction.

Celui qui a pris place en face d’elle se présente immédiatement et raconte avec volubilité qu’il est employé au cadastre. Jusqu’à ce jour, il a opéré dans le nord de la vaste monarchie autrichienne, en Bohême et en Galicie ; il vient en droite ligne de Kremsier, la petite ville épiscopale, fameuse par la réunion du Reichsrath de 1849, qui y fut exilé après la crise, pour être dissous bientôt après. Plus récemment Kremsier avait attiré une foule de curieux, désireux de contempler les traits du tzar, qui s’y est rencontré avec l’empereur François-Joseph. Mais ces curieux, à ce que raconte notre nouveau compagnon de voyage, en furent pour leurs frais, ce qui n’est pas peu dire, car le plus petit trou fut loué à des prix extravagants. Notre docteur ès géométrie officielle nous apprend, non sans une grimace de satisfaction, qu’un fabricant de Brunn lui a payé 35 florins pour l’abandon de ses deux chambres pendant quarante-huit heures. Ce fut de l’argent perdu, car le tzar ne daigna pas se montrer hors du palais, gardé par un triple cordon de troupes, tandis que François-Joseph circulait librement dans la petite cité.

Notre employé voit son déplacement en rose ; il est de galante humeur et ne cesse de répéter à sa voisine qu’il n’aurait jamais supposé qu’il y eût dans la « sauvage Bosnie » d’aussi aimables petites femmes ; et comme la blonde se récrie par modestie ou simplement par politesse, il me prend à témoin, il prend à témoin un jeune maréchal des logis attaché à l’état-major du général Appel et un feldwebel barbu et hâbleur qui fait office de vaguemestre. Le fourgon de la poste est placé à côté de notre wagon, et le sergent-vaguemestre fait tout le temps la navette entre son fourgon et notre coupé. Le maréchal des logis a été de ce long voyage d’inspection de l’archiduc Albert ; il déballe avec componction une bouteille de Bordeaux qui provient, dit-il, de la cave de son Altesse. Le vin doit être excellent, l’archiduc a les moyens de s’offrir les crus de choix ; il est en effet un des principaux propriétaires fonciers et un des industriels les plus importants de l’Autriche. Ses domaines ont l’étendue d’une province, et l’on compte ses fabriques par douzaines… et pourtant il fait à l’occasion son métier de soldat comme s’il avait de l’avancement à espérer.

Le train a continué à rouler et à grimper à travers un paysage pittoresque qui, au grand étonnement du voyageur nouveau, évoque l’aspect de la Suisse et du Tyrol. La Bosna aux eaux vertes qui s’écoulent en tumulte sur un lit de grosses pierres, parfois larges comme des dalles, ressemble tout à fait à un torrent des montagnes grossi par les pluies du printemps. Une jolie rivière, cette Bosna dont nous irons plus tard visiter les sources à une quinzaine de kilomètres de Sérajewo, mais capricieuse en diable, véritable enfant terrible, toujours prête à inonder ses rives et à ravager tout ce qui est à sa portée. L’endiguer est un rude travail, et la navigation même la plus élémentaire y est absolument impossible ! Quant à son cours, il semblerait que l’expression de méandre a été inventée exprès pour le définir. Cependant, c’est le cours capricieux de cette rivière qui a servi de fil d’Ariane aux ingénieurs militaires, lorsqu’il fallut établir une ligne de communication directe entre la frontière autrichienne et Sérajewo, afin d’assurer le ravitaillement du corps d’occupation. Il n’y avait alors, au mois d’août 1878, ni railways, ni routes carrossables. Voyageurs et marchandises circulaient à dos de cheval, et comme le cheval bosniaque est capable de passer par les sentiers les plus étroits, et de franchir les passes les plus abruptes avec la sûreté d’un gentleman marchant sur le parquet ciré d’un salon ; comme nul ne se plaignait lorsque la poste mettait autant de jours à transporter une lettre de Sérajewo à Agram qu’il faut d’heures aujourd’hui, tout était pour le mieux dans le meilleur des vilayets.

Mais quand l’armée autrichienne prit possession du pays en vertu du mandat délivré par le congrès de Berlin, il fallut avant tout faire vivre cette armée, évacuer ses blessés et assurer le transport des munitions. Une route était indispensable ; la nécessité inspire des idées fécondes. Le génie militaire trouva qu’il n’en serait ni plus ni moins si, au lieu d’une simple chaussée, il créait un chemin de fer. Il ne pouvait être question de tunnels et de travaux d’art ; on prit le chemin le plus long, mais le plus facile, en suivant le cours de la Bosna et en contournant les montagnes au moyen de chemins en serpente.

Il y avait au deuxième régiment de pionniers un chef de bataillon, M. Tomascheck, qui venait précisément de remettre en état une ligne de chemin de fer, située dans le nord de la Bosnie, entre Banjaluka et Doberlin. Cette ligne, longue de quatre-vingts à cent kilomètres, faisait partie du réseau des « chemins de fer de la Turquie d’Europe », construits par le baron de Hirsch. Ce tronçon était d’un rapport nul et ne deviendrait lucratif que le jour où le projet grandiose de la ligne directe de Vienne-Banjaluka-Constantinople serait réalisé. Mais ce plan venait de sombrer dans les brouillards financiers qui enveloppent l’empire turc, et le tronçon Banjaluka-Livno restait sans emploi. Aussi, lorsque l’insurrection bosniaque éclata en 1875, le baron de Hirsch s’empressa d’évacuer le personnel sur Constantinople et de suspendre l’exploitation, à cause, disait-il, du manque de sécurité. Le commandant Tomascheck eut bientôt fait de remettre la ligne en état ; l’activité et le zèle qu’il avait déployés le désignèrent aussi pour établir la construction de la ligne Brood-Sérajewo. La manière d’opérer fut simple : on construisit la route le long de la Bosna (sauf quelques lacets qui dérobent pendant plusieurs instants la vue de cette rivière), et sur la route on posa les rails. De petites locomotives de vingt à vingt-cinq chevaux seulement furent expédiées de Bohême, et la remorque des wagons de marchandises, des fourgons, des véhicules de toute espèce s’opéra tant bien que mal, — mais, en tout cas, cent fois mieux qu’avec les anciens sentiers turcs, où les voitures du train et même les charrettes de paysans réquisitionnées ne pouvaient pas avancer. On se battait encore sur les hauteurs qui couronnent la station de Doboy, lorsque la première locomotive s’arrêta devant la gare très provisoire de cette localité, qui est la première halte importante de la ligne.

Doboy est construit en amphithéâtre ; les maisons, assez convenables d’aspect, sont entourées de jardins qui paraissent bien soignés. Sur une éminence à peu de distance de la ville, un monument en forme de croix a été élevé par le général Szapary aux officiers et soldats sous ses ordres qui ont succombé dans les divers combats livrés à Doboy et dans les environs, depuis le 4 août jusqu’au 17 octobre 1878. Ces braves ont bien mérité l’hommage qui rappelle au voyageur leur mort héroïque ; ils ont opposé pendant six semaines un rempart de feu aux Bosniaques, qui, à dix reprises, ont tenté de s’emparer de la position et de couper ainsi la ligne d’étapes de l’armée autrichienne. Aujourd’hui, il n’y a aucune trace de ces luttes désespérées. Une tranquillité biblique règne dans toute cette contrée ; le bourgmestre, un Turc à turban blanc, est venu à la gare pour exprimer au général Appel tout son dévouement et ses sentiments de respectueuse fidélité, le tout avec force salamaleks.

Le général reçoit ces hommages avec un sourire cordial qui ne manque pas de finesse, et il répond quelques mots, en frappant amicalement sur l’épaule du bourgmestre, qui paraît très flatté de cette familiarité. Le groupe a attiré quelques spectateurs, des paysans vêtus d’amples vêtements blancs, les pieds entièrement nus, la robe relevée sur les hanches ; quelques femmes se sont jointes à leurs maris et à leurs frères ; leur costume — il s’agit naturellement des chrétiennes — ne diffère pas beaucoup de celui des hommes, et les extrémités ne sont pas dissimulées davantage. Le soleil a hâlé les pieds et les jambes, qui ont une belle teinte d’ocre. Parmi ces spectatrices, il en est une qui peut à peine se traîner ; elle s’appuie sur une sorte de béquille, ses habits tombent en lambeaux, mais l’œil est vif et la physionomie a de l’expression. Le chef de gare, un officier hongrois vêtu d’un dolman, coiffé d’un Kalpack (sorte de bonnet comme en portaient autrefois les hussards) surmonté d’une plume de coq, le sabre à poignée d’ivoire au côté, affirme que cette vénérable matrone est âgée de cent cinq ans. Dans les montagnes de Bosnie, ces cas de longévité ne seraient pas très rares, surtout parmi le sexe « faible ».

A partir de Doboy, la pente s’accentue, la locomotive grimpe hardiment comme si elle voulait gagner un diplôme du club alpin. Quand la montée est trop raide, une serpentine gracieusement tracée tourne la difficulté ; le train, évoluant sur lui-même comme un serpent qui cherche à mordre sa queue, rappelle au Parisien l’aimable et amusant chemin de fer de Sceaux. Au milieu de ces montagnes, l’œil se repose avec complaisance sur quelques champs assez bien cultivés, sur des prairies où paissent des bœufs et des vaches qui ne pourraient, il est vrai, figurer avec honneur dans un concours d’animaux gras. C’est à la négligence des propriétaires qu’il faut attribuer cette dégénérescence des bestiaux ; les pauvres bêtes n’ont, en hiver, qu’une nourriture très insuffisante et manquent totalement d’écuries. Il est même étonnant que ces bœufs et ces vaches si étiques résistent à ce régime par trop primitif. Le proverbe « fort comme un bœuf » trouve donc sa justification, malgré la maigreur.

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