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Une maison bien tenue : $b Conseils aux jeunes maîtresses de maison

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CHAPITRE VII
Les réceptions.

« Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit », dit Brillat-Savarin.

En ces quelques mots, si heureusement choisis, se résume tout l’art de « recevoir ».

Quels que soient le pays, les usages, les modes, les conditions de temps, de lieu, de fortune même, nous devons à nos hôtes toute la somme de satisfactions que nous sommes en mesure de leur procurer, et, si tel est le devoir d’hospitalité envers l’hôte de passage, combien n’est-il pas plus impérieux envers l’hôte convié !

En l’invitant à venir s’asseoir à votre table, ou partager vos plaisirs, vous êtes en somme engagé d’honneur à le dédommager de la peine qu’il a prise pour se rendre chez vous, de la violence qu’il a faite à ses habitudes, si, casanier de mœurs, il met le « sweet home » au-dessus de tout, ou si, au contraire, lancé dans le tourbillon mondain, il a dû, pour faire honneur à votre invitation, en refuser une autre plus séduisante.

Et puis, un amour-propre, bien placé dans ce cas, commande que l’on reste fidèle aux bonnes traditions de famille, que l’on maintienne cette noble et belle réputation d’avoir « une maison où l’on reçoit bien ».

Enfin, les relations de parenté, d’amitié, d’affaires, de service, profitent largement de ces réunions où chacun apporte sa part de bonne volonté, de bonne humeur et d’agrément.

Nous allons donc traiter ce chapitre intéressant des réceptions ; mais, avant de l’entamer, je dois prier mes lectrices de n’y chercher ni indications de détails, ni recettes, ni menus, ni rien qui procède du convenu, du passager, du fantaisiste de la mode. Les journaux, les manuels, voire même les almanachs ! les renseignent suffisamment sur tous ces points ; nous ne traiterons ici que des principes généraux et de leur application pratique, en laissant de côté tout ce qui est renseignement spécial.

DINERS

Dans le célèbre Livre des Snobs de Thackeray, il y a un chapitre intitulé : The dining snobs.

Ce chapitre est d’un bout à l’autre une amère critique de ces dîners d’apparat où, pour répondre aux habitudes vaniteuses chères à tout vrai Anglais, on se livre à une dépense fort au-dessus de ses moyens, quitte à faire vivre ensuite de privations soi et les siens afin de combler le déficit.

Le charlatanisme d’un décor pompeux qui ne fait illusion à personne, la maladresse des efforts entrepris pour singer les habitudes des gens riches, sont cruellement mis à jour par l’auteur, et non sans raison, nous semble-t-il.

En France, les mœurs, moins fastueuses, ne méritent pas les mêmes reproches, mais, — surtout à Paris, prétendent les mauvaises langues de province, — le côté confortable et gastronomique des repas de gala est parfois un peu trop sacrifié : soit désir de faire de l’effet, « des embarras », disent les grincheux, soit nécessité d’économie, l’on a plus de fleurs que de ragoûts et plus de verres que de vin à y verser ; si la corbeille du milieu est remplie d’orchidées, l’intérieur de la poularde est à peu près vide de truffes ; les services à hors-d’œuvre sont en argent (ou en ruolz) artistement ciselés, mais les tranches de foie gras sont de la taille d’une pièce de deux francs, et si espacées sur le plat que l’on craint de faire un « vide » en se servant, même discrètement.

Certes, la profusion campagnarde, les menus trop chargés, les rôtis trop gros, les parts trop copieuses, sont désagréables à la vue, au goût et à l’estomac, mais, après tout, quand on vous invite à dîner, on vous invite à manger de bonnes choses en quantité suffisante et en bonne compagnie, et ces trois points sont nécessaires, indispensables, à ce bonheur du convié dont Brillat-Savarin déclare ex cathedra que vous êtes chargé par le seul fait de votre invitation.

Conclusion : Si votre fortune vous permet de donner à dîner bien et souvent à vos amis, rien de mieux ! accordez-vous les joies de la belle et large hospitalité.

Si vos moyens sont plus restreints, ne donnez qu’un ou deux, ou trois dîners par saison, mais que chacun d’eux soit parfait en son genre et que l’économie ne porte que sur les choses de vanité, d’ostentation, jamais sur ce qui diminuerait la satisfaction de vos hôtes.

Si, enfin, vous n’avez qu’une modeste aisance, suffisant à assurer seulement le petit bien-être journalier de la famille, renoncez absolument aux « grands dîners ».

Certes, je ne veux pas dire qu’il faut vous refuser l’honnête et vif plaisir de faire asseoir à votre table de bons amis, en petit nombre, à qui vous offrirez de bon cœur et sans arrière-pensée au sujet de la « douloureuse » ce que vous aurez pu trouver de mieux dans les limites de votre budget : du poisson frais avec une sauce irréprochable, un rôti généreux, cuit juste à point, des légumes fins, un entremets délicat assez copieux pour que les gourmandes puissent y revenir, du Barsac authentique, du Bordeaux idem, et un vin de dessert qui n’a pas été pris chez l’épicier.

Tout cela n’est pas bon marché, me dira-t-on, et, avec le prix d’un petit dîner comme celui-là, « en sachant s’y prendre » (oh ! la terrible phrase !), on peut en donner presque un grand, recevoir plus de monde, rendre plus de politesses, etc. Et alors, la maîtresse de maison qui « sait s’y prendre » court les marchés et les boutiques pour avoir la truite saumonée qui n’est pas de la première jeunesse, ni de la seconde ! des riz-de-veau de la veille sur lesquels le boucher fait un petit sacrifice, du faisan de l’avant-veille (on sait bien que le gibier supporte les délais), un entremets économique, des fruits qu’on loue, des pâtisseries idem, du Saint-Émilion à 1 fr. 75 la bouteille et du Champagne — on ne peut se passer de Champagne dans un « grand dîner » — à 2 fr. 50.

On recommande au serveur de ne pas faire les parts trop grosses, de ne pas trop remplir les verres, de ne pas entamer « les secondes bouteilles » ; on frémit quand un convive, par un geste significatif, annonce l’intention de vider l’amphore, ou prend deux parts de volaille au lieu d’une.

Et ce malaise est senti par les conviés et la gaîté semble de commande et l’entrain est factice, et, en sortant, plus d’un invité dira ou pensera, suivant qu’il est seul ou accompagné :

« Ces pauvres X…, ils se sont mis en frais, se sont gênés, et nous ont dérangés pour nous donner un repas détestable ; j’aurais mieux dîné chez moi. »

Nous allons voir comment on peut éviter un si fâcheux résultat pour tant de peines et de frais.

Tout d’abord, il ne faut pas inviter plus de monde qu’il n’en peut tenir à l’aise dans la salle à manger. Le vieil adage : Quand il y en a pour quatre il y en a pour six, n’est pas plus vrai en fait d’espace qu’en fait de bonne chère, et le « on se serre entre amis » n’amène que des désagréments.

Écoutez Boileau :

On s’assied, mais d’abord notre troupe serrée
Tenait à peine autour d’une table carrée,
Où chacun malgré soi, l’un sur l’autre porté,
Faisait un tour à gauche et mangeait de côté.

C’est là le comble de l’inconfortable, assurément. On comptera donc pour chaque convive au moins 60 centimètres, mesure prise au bord de la table, 70 est encore mieux.

Faites deux séries si vous avez plus de monde à recevoir. Je prévois l’objection : c’est doubler les frais. Sans doute, mais, je le répète, mieux vaut cent fois s’abstenir que de mal faire les choses.

Cependant, il y a des cas dans la vie de famille ou dans la vie officielle où l’on est forcé de donner un grand repas. Alors, on s’arrange comme on peut, en lui sacrifiant une grande pièce, chambre ou salon par exemple, mais c’est là une exception et nous n’avons point à nous en occuper. La règle reste immuable : 60 centimètres par convive, et, derrière les chaises, la place de circuler pour le service.

« Le nombre des convives d’un dîner d’agrément, a dit Mme de Genlis, ne doit pas être inférieur à celui des Grâces, ni supérieur à celui des Muses. »

Ce dernier chiffre me semble un peu restreint ; un dîner de dix, douze invités, peut encore être animé et délicat ; néanmoins douze c’est déjà beaucoup, la conversation générale est plus difficile, soit parce que la table est forcément très allongée et éloigne les convives des deux bouts, soit parce qu’il est rare de pouvoir réunir douze personnes également aimables, spirituelles et se convenant de tous points.

Sous le rapport matériel aussi, il y a inconvénient à être trop nombreux, les petits plats fins, joie des dilettanti, sont impossibles, la cuisine est moins soignée, le service plus long ; l’attente, qui enlève tant de saveur à certaines préparations culinaires, de style raffiné, est inévitable. Passé douze, menu, service et conversations sont voués à la banalité.

Pour le dîner « d’agrément » tel que nous le comprenons, il faut bravement viser à la perfection, et ne rien négliger pour y atteindre. Ce n’est pas le nombre des plats, ni leur prix élevé, ni le luxe de la table, qui rempliront ce désideratum, mais le soin le plus éclairé et le plus minutieux apporté à tous les détails.

Le menu ne doit comporter ni trop de mets, ce serait campagnard, ni trop peu, ce serait mesquin. Ces mets seront fins, succulents, mais non d’une recherche allant jusqu’à la bizarrerie. Ce serait mal traiter ses convives que de mettre à l’épreuve leur appétit et leur estomac. Enfin, ils doivent être présentés dans un ordre judicieux, ne point trop se ressembler, se faire valoir les uns les autres, si bien que le repas forme un ensemble harmonieux et varié à la fois.

Exemple : N’ayez point deux entrées de poisson ou entrées et rôtis de viande de boucherie ou deux ragoûts au blanc, etc. Un menu bien compris devra présenter : poisson, viande, volaille ou gibier, suivant la saison.

Comme il y a des robes plus habillées les unes que les autres, de sorte que l’on ne met point la même toilette pour aller au bain et faire des visites, de même il y a des plats plus ou moins haut cotés.

La distinction entre eux est tout arbitraire, je ne chercherai point à l’expliquer, je me borne à la constater.

Les rôtis de viande de boucherie, carré de veau, gigot, même le filet, ne se servent qu’en petits dîners intimes.

Dès qu’il y a un peu de cérémonie, le rôti doit être une volaille ou une pièce de gibier fin.

Le civet, le navarin, l’épaule de mouton, le foie de veau, etc., ne doivent pas figurer dans un dîner prié.

Enfin certains mets tels que les côtelettes grillées, les biftecks, les poissons frits, les huîtres, les œufs sous toutes les formes, sont des plats de déjeuner.

Pour le poisson et les œufs, il y a, bien entendu, une exception à cette règle en faveur des jours maigres. Il me paraît inutile d’entrer ici dans des indications plus détaillées. En consultant ces longues séries de menus que donnent les agendas des grandes maisons de nouveautés, les journaux, etc., mes lectrices se mettront facilement au courant des usages sur ce point. Il est bien entendu, d’ailleurs, que, fidèle au titre de cet article, je ne parle ici que des dîners-réceptions.

Pour suivre le précepte de Brillat-Savarin, et chercher, avant tout, le bonheur de l’hôte convié, il faut établir son menu selon l’âge et les goûts de ses convives. Pour les jeunes, les valides, il faut une chère abondante et généreuse ; — pour les femmes, les gens âgés : les ragoûts fins, les morceaux délicats, les entremets soignés ; — pour un dîner d’hommes : les sauces relevées, le gibier noir, les viandes saignantes, les hors-d’œuvre de haut goût. Si l’on a hommes et femmes, le menu sera mixte pour que chacun y trouve à contenter son penchant.

Que votre menu soit, pour le nombre des plats et leur dimension, proportionné au nombre des convives. Ce précepte semble être tiré des œuvres attribuées à M. de la Palisse ; il n’est pourtant pas si naïf qu’il a l’air de l’être. J’ajouterai pour le compléter que ce n’est pas seulement le nombre des convives qu’il faut considérer, mais leur âge et leurs appétits. Pour des gens jeunes et bien portants, il faut augmenter d’un plat de résistance, au moins, le menu qui aurait suffi à des personnes âgées ou délicates.

Au-dessous de neuf, le menu peut s’établir ainsi : Potage, relevé, une entrée, — rôti et salade — légumes — entremets sucré, dessert.

Au-dessus de ce chiffre, il faut, après le relevé, deux entrées ou bien un grand hors-d’œuvre froid après le rôti.

Dès qu’on dépasse douze, il faut un relevé, quatre entrées, deux grands hors-d’œuvre froids, car il ne suffit pas de faire les plats plus gros parce qu’on est nombreux, il faut aussi qu’il y en ait davantage.

La salade simple ne compte pas comme un plat, mais elle est indispensable pour accompagner le rôti. La salade russe est un hors-d’œuvre froid.

Pour celles de mes lectrices qui ne seraient pas encore initiées au beau langage culinaire, je vais entrer ici dans quelques détails qui leur seront utiles, et les intéresseront, je l’espère.

On appelait autrefois hors-d’œuvre chauds les vol-au-vent, pâtés chauds, timbales, salpicons, etc., tous ces délicieux ragoûts, gloire de la cuisine française, qu’on servait avant les entrées ; et, par antithèse, hors-d’œuvre froids, les langoustes, buissons d’écrevisses, jambons d’York, terrines de foie gras, pâtés fins d’Amiens, de Strasbourg, aspics divers, etc., qui, après le rôti, donnent à l’appétit déjà blasé un dernier coup d’éperon et le conduisent jusqu’aux molles délices de l’entremets sucré et du dessert.

Le relevé est le plat qu’on sert immédiatement après le potage. C’est ou un beau poisson avec sauce chaude ou un hors-d’œuvre chaud, comme il est dit plus haut. En été, le melon est un relevé de rigueur.

Les entrées sont les viandes, les volailles, le poisson, accommodés en ragoût.

Ex. : Filet de bœuf sauce madère, poulet à la reine, filets de sole sauce tartare, etc.

Le rôti est une belle pièce de choix, volaille ou gibier, qui se sert sans « garniture », accompagné d’une sauce, offerte en dehors dans la saucière.

Une salade fine doit toujours l’accompagner.

De nos jours, on a réservé le nom de hors-d’œuvre froids à ces menues gourmandises que l’on offre au début du repas, radis, beurre frais, anchois, saucisson d’Arles ou de Lyon, olives, etc. Ils figuraient sur la table autrefois ; ils sont maintenant présentés sur des plateaux. L’usage en est un peu passé, avec raison à mon avis, pour les dîners de gala.

Au déjeuner, au contraire, ils font très bien et amusent l’appétit en attendant les plats de résistance.

On désigne parfois par le nom de bouts de table (c’est la place qu’ils occupent dans le service à la française) ces mets exquis, triomphe de notre pays : le pâté de foie gras, le buisson d’écrevisses, la langouste, le jambon glacé, le modeste et succulent jambonneau.

L’expression : entremets de légumes n’a pas besoin d’être expliquée, celle d’entremets sucré non plus. Disons seulement à ce propos que l’entremets sucré n’est point une pâtisserie, mais une œuvre complexe où, suivant le cas, les fruits cuits, les gelées, les crèmes, font l’objet de savantes combinaisons. Une tourte aux fruits, un moka, une marquise, sont des entremets sucrés. La pâtisserie y entre sans doute, mais n’y est que l’accessoire.

La brioche, la galette, sans être des entremets sucrés, se servent pour accompagner ceux-ci quand il n’entre point de pâtisserie dans leur composition, comme par exemple le bavarois, les macédoines de fruits, etc.

La bombe glacée servie seule fait partie du dessert ; on doit toujours offrir en sa compagnie de fines pâtisseries sèches, oublies, gauffres roulées, cornets pralinés, etc.

La crème fouettée ne peut être servie au dessert qu’en petit comité ; dès qu’on est un peu en cérémonie, elle est garnie de biscuits ou de meringue et devient entremets sous le nom de vacherin, charlotte russe, etc.

Les crèmes (en petits pots) sont depuis longtemps réservées aux dîners de famille, chez les grands-parents, pour le bonheur des bébés.

Nos aïeules, qui avaient à l’endroit des dîners tout un code de prescriptions auquel on ne pouvait manquer sans forfaire à la bonne réputation de la maison, disaient, entre autres axiomes, « qu’au dessert, quel que fût le nombre des invités, celui des assiettes de friandises devait lui être égal ou supérieur d’une unité, mais toujours impair ».

Avec le service moderne, il serait difficile de suivre à la lettre ce précepte, il faut en retenir ce qu’il a de bon, c’est-à-dire la conviction qu’un dessert mesquin déshonore un beau dîner.

Donc, point de lésinerie sur le dessert, qui est la parure, la fleur du repas.

Ayez de beaux fruits pour les corbeilles, des petits fours et des bonbons fins pour les assiettes. Surtout n’allez pas déparer un bel ensemble par l’introduction de biscuits anglais, de gauffrettes et autres produits économiques.

Il y a des maîtresses de maison qui ont la manie de vouloir « se rattraper ». Pour contenter leur gloriole en offrant quelque timbale ou quelque aspic prétentieux signé d’un nom illustre qu’elles ont payé fort cher, elles rognent ici ou là sur le nombre ou la qualité des plats. Elles croient avoir ébloui leurs hôtes, elles n’ont fait que mettre en évidence une puérile vanité.

Dans une « maison bien tenue » on ne fait point de ces choses-là ; tout est égal, tout est parfait dans son genre. Si leur budget ne leur permet point de consacrer une somme très forte au plaisir de recevoir leurs amis, des maîtres de maison vraiment et noblement hospitaliers répartissent celle dont ils disposent de façon à ce que « tout soit bien ».

J’aime cette vieille locution qui, dans ses trois petits mots, enferme un si grand sens pratique. Il y a encore en France, je suis heureuse de le penser, de nombreux intérieurs où elle est la règle de la famille, où ameublement, table, toilette, service, « tout est bien ».

Et que l’on ne s’imagine pas qu’une grande fortune est nécessaire pour qu’il en soit ainsi ; l’intérieur le plus modeste peut, sous la direction d’une femme intelligente et capable, offrir une somme de raffinement inconnue parfois aux plus riches demeures.

Cette petite digression m’a entraînée un peu loin de la question des menus ; j’y reviens pour quelques détails encore.

Pour les desserts de cérémonie, les fruits secs ne sont point de mise, non plus que certaines compotes, celles de pommes, de pruneaux, etc. ; les confitures même sont réservées pour la table de famille, on les remplace par les fruits en conserves, aussi bons au goût qu’agréables à la vue.

Les fruits frais doivent être d’espèce fine et d’aspect irréprochable.

Il y a des fromages qui ne sont pas « de cérémonie ». Tous ceux à odeur prononcée doivent être bannis, cela se comprend.

Pour la question des vins et liqueurs, je ne puis que répéter ce que j’ai dit à propos de tout le reste, il faut les avoir de première qualité. Je n’entends point par là qu’on soit rigoureusement tenu d’offrir à ses invités des hauts crus à 20 et 50 francs la bouteille ; mais quand on a des fournisseurs sûrs (j’insiste sur ce point, car il en est peu où l’on soit plus exposé à être trompé ou volé), on peut, soit qu’on possède une cave bien montée, soit que faute d’emplacement on doive se fournir au détail, pour les vins d’extra, s’assurer dans les prix raisonnables de vrais bons vins.

J’emprunte à Brillat-Savarin le précepte qui suit quant au choix à faire :

« L’ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.

« L’ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées. »

Après le potage, on servira les vins de Madère, Xérès, Porto, etc. Avec les entrées, les grands vins de Bordeaux blancs et rouges ; ensuite les vins de Bourgogne de hauts crus. Au dessert, les vins sucrés, champagne, etc.

Cette nomenclature ne convient qu’au cas de « grands dîners ».

Il est de mauvais goût d’offrir trop de vins dans un repas d’amis. Une bouteille de vin sec pour le relevé, une bouteille de très bon vin blanc de Bordeaux, une de rouge id., et un vin de dessert suffisent amplement pour un couvert de six à dix personnes… à Paris !

Enfin la sorte des convives doit aussi influer sur le choix. Pour les dames, il faut peu ou point de vins forts ; au dessert des vins sucrés : moscatelle, grenache, malaga, etc.

Pour les messieurs, il faut au contraire appuyer sur les vins secs et généreux.

Comme « ordinaire », pour les carafes, on emploiera vin rouge et vin blanc, beaucoup de personnes ayant l’habitude de cette dernière boisson. La bière et le cidre n’ont pas encore conquis droit de cité sur nos tables pour les repas de cérémonie.

Entre amis, il n’en est pas de même. Je me souviens à ce sujet d’une charmante preuve d’hospitalité. C’était chez un de nos avocats les plus célèbres dont le cœur et le talent sont de niveau, c’est-à-dire très haut placés. Le repas de famille du dimanche soir avait réuni une douzaine d’hôtes autour de la grande table, et, devant chaque place, une élégante petite cruche de cristal laissait voir les teintes pourpres ou ambrées du contenu.

« C’est, me dit notre hôte avec son bon sourire, que je veux que chacun ait sous la main sa boisson préférée : vin blanc ou rouge, bière, cidre, eau pure même, il y en a pour tous les goûts. »

Je conviens que pour un dîner de cérémonie cet éclectisme nuit au décorum, mais, pour les dîners entre amis, n’a-t-il pas un charme tout hospitalier ?

Pour terminer, disons quelques mots du pain. Tout le monde sait qu’il ne figure que sous la forme de petits pains frais à croûte dorée. J’ai souligné petits parce qu’il est ultra-incorrect d’employer un pain de taille moyenne, soit entier, soit coupé en deux.

Il y a de gros mangeurs auxquels ne suffit pas le petit pain placé au début sur l’assiette de chaque convive. Quand ils réclameront un supplément, on leur présentera, sur une assiette, un second pain pareil au premier. On aura donc soin, en faisant la commande au boulanger, de prendre plus de pains qu’il n’y a de convives.

Le café est servi au salon, je l’ai déjà dit ailleurs. Je lisais, il y a quelque temps, que l’on cherchait à faire renaître l’usage campagnard de le servir sur la table du dîner, tout de suite après le dessert. Je ne puis le croire, et j’élève une protestation indignée contre ce retour à la barbarie.

Comment ! quand le repas est fini, vous obligez les convives à rester dans une atmosphère surchargée d’odeurs de victuailles ? Vous retardez l’instant où, délivré de la station sur une chaise encastrée entre deux autres, on va pouvoir respirer, remuer, changer de voisins et de voisines ?… Vous supprimez ce joli petit ménage des plateaux chargés de porcelaines fines, de cristaux étincelants, ce gracieux va-et-vient des jeunes femmes offrant une tasse pleine de l’odorant breuvage, un verre menu où rit la chartreuse d’or, le curaçao couleur de rubis ? Et ces groupes qui se forment, et ces propos gais qui s’échangent, et ces « atomes crochus » qui se rencontrent, et cet aimable frou-frou des atours féminins, des robes soyeuses dont les queues s’étalent !…

« Le plus joli moment du dîner, c’est le café », disait une femme du monde pas gourmande, et très aimable.

Et c’est là ce qu’on voudrait voir disparaître ? Cette idée baroque doit avoir vu le jour dans la cervelle de quelque grincheux peu ami des salons, et désireux d’avancer l’heure du fumoir !

Ah ! ce fumoir ! désespoir des maîtresses de maison ! Il faut bien pourtant qu’elles aient le courage de veiller à ce que rien n’y manque, feu, lumières, cigares des bonnes marques, cigarettes, etc., liqueurs fortes… hélas ! — Hâtons-nous d’ajouter pourtant qu’ici l’hospitalité a des bornes et qu’il appartient au maître de maison, tout en se montrant très large, d’empêcher que séjour et consommations ne prennent des proportions incompatibles avec une maison bien tenue.

....... .......... ...

Dans les précédents chapitres, j’ai traité si longuement, avec tant de détails, la question : service de la table, que, pour éviter des redites fastidieuses, je prie mes lectrices de s’y reporter. Je reconnais cependant que, si correctes que soient les habitudes d’un intérieur, il s’y produit nécessairement en temps de « gala » quelques modifications et… complications. Nous allons donc les passer en revue.

Tout d’abord le dressage du couvert. J’ai déjà vu passer pas mal de coutumes différentes sur ce point comme sur bien d’autres. Je retrouve, dans mes souvenirs d’enfance, des visions de service « à la française ». Tout le dîner sur la table ; au milieu, un grand réchaud argenté de forme oblongue (le seul vide), attendant le rôti. Aux quatre coins, comme quatre forts détachés, des réchauds ronds en argent ou en métal argenté, recouverts de cloches du même métal ; à travers de minuscules lucarnes, au pourtour du réchaud, on voit brûler la flamme pâlote et vacillante de grosses petites bougies de cire, destinées à maintenir une chaleur égale sous les plats qui contiennent les entrées. Devant les maîtres de la maison, aussitôt le potage fini, vient s’étaler une longue planche posée sur quatre pieds tournés, et emmaillotée d’une serviette damassée ; elle supporte un majestueux poisson, bar, mulet, truite ou saumon, dont la robe argentée miroite au reflet des bougies ; autour de lui, ronds de citron, de carotte, petits tas de persil, sont rangés dans un ordre savant, et dans la gueule du monstre est inséré un petit bouquet. Il était d’usage alors, surtout entre amis, de s’extasier sur la beauté du poisson, et c’était là un premier petit triomphe qui chatouillait délicieusement l’orgueil de la maîtresse de maison.

L’art du dressage était fort en honneur ; chaque cloche enlevée sur une entrée devait découvrir un chef-d’œuvre. Le savant édifice des croûtons dorés, le blanc crémeux ou le brun transparent des sauces, les légumes découpés en formes pittoresques, les truffes piquant de-ci, de-là, leur ton noir et velouté, flattaient les yeux avant d’enchanter l’odorat et le goût.

Aux deux bouts de la table se dressait en pyramide orgueilleuse le rouge flamboiement du buisson d’écrevisses, la tour pleine de promesses du pâté de Strasbourg, où encore le jambon glacé plus paré qu’une mariée bretonne, entouré du rempart tremblant des gelées…

Est-ce à tort qu’on a renoncé à ces pompes gourmandes ? Je ne le pense pas.

Les délicats trouvaient que le spectacle prolongé des mets qui vont vous être offerts en dégoûte d’avance, que le plaisir de l’imprévu ajoute beaucoup à celui du bien manger, qu’enfin et surtout l’odeur de ragoûts si divers donne à l’air ambiant ce parfum sui generis qu’on appelle « odeur de restaurant ».

Les gourmets, les amateurs de bonne cuisine, ajoutaient à ces inconvénients sérieux celui de la longue attente que devaient supporter certains plats avant d’être servis.

La dernière entrée, par exemple, à force d’avoir mijoté sur sa bougie, arrivait à l’état de « réchauffé ». Or la plupart des sauces fines perdent une bonne part de leur valeur quand elles restent trop longtemps avant d’être consommées.

Enfin, ce genre de service exigeait un matériel encombrant, coûteux, d’un entretien minutieux, et l’emploi de grandes tables peu faites pour l’exiguïté des appartements modernes.

Les maisons à petites cages, dont Paris fut, hélas ! si richement doté vers le milieu du XIXe siècle, ont plus contribué qu’on ne croit à la décadence des grands dîners et de la grande cuisine.

Au service français, succéda presque sans transition le service dit « à la russe ».

D’un extrême on passait à l’autre ; plus rien que des fleurs, des fruits, des bonbons, des menues friandises sur la table. Les plus nobles pièces, poisson, volaille ou venaison, découpées en petites tranches, étaient servies par derrière, ce qui, prétendaient les mauvaises langues, facilitait les fraudes les plus coupables sur la nature des mets ainsi défigurés… Et quant aux merveilles du dressage, elles avaient sombré dans le naufrage général des bonnes traditions culinaires.

On est revenu de ces excentricités. Le service actuel offre un très heureux mélange des deux systèmes. Je n’entrerai dans aucun détail en ce qui le concerne et me contenterai de quelques données générales en dehors des fluctuations de la mode.

Il faut couvrir d’abord la table d’une sous-nappe en molleton pas trop épais. Cela évite le bruit du choc des assiettes et couverts, et fait ressortir l’effet du linge de table.

Nappe et serviettes doivent être du damassé très blanc, et, si ce n’est neuf, au moins blanchi à neuf, c’est-à-dire apprêté et brillant. Le linge à bandes de couleur est absolument réservé aux déjeuners.

La porcelaine a de nouveau détrôné la faïence dont le long règne a pris fin avec l’abus du bon marché ; néanmoins les très beaux services en faïence, à décor artistique, peuvent encore figurer même sur une table élégante.

Le couvert proprement dit se compose d’une assiette plate, des cuillères, couteau et fourchette, du porte-couteau, de quatre verres, un pour l’ordinaire, un à bordeaux, un à madère, un à champagne.

Sur l’assiette, la serviette cachant le petit pain ; le menu debout sur le porte-menu ou couché sur un verre. Est-il besoin de dire que les pliages de serviette compliqués et prétentieux sont bannis des tables de bon goût ? il en est de simples qui sont fort jolis.

J’ai vu quelquefois placer le service à entremets, couteau et fourchette, devant l’assiette, en haut, mais je n’aime pas cette mode, empruntée à la vie d’hôtel.

Rien ne vaut, selon moi, le joli effet de la belle assiette de dessert en fine porcelaine à bords dorés et découpés, portant les couverts de vermeil ou de belle argenterie que pose adroitement devant vous le serveur.

Les carafes à eau et à vin, les salières, les accessoires divers, sont placés symétriquement à portée de la main des convives.

Sur le milieu de la table, garnie du napperon élégant qu’on appelle aujourd’hui chemin de table, sont placées les pièces montées du dessert, et, au centre, le surtout.

Il y a des modes pour les surtouts comme pour les chapeaux. Une année on les fait hauts, volumineux, on y met des fruits, des fleurs, des plantes vertes ; l’an d’après, tout est à bas, il ne faut plus que des petites rivières de cristal, des statuettes minuscules, des fleurettes en parterre.

Le vrai bon goût ne cherche point à suivre ce vagabondage d’art décoratif. L’appropriation des choses à leur milieu, l’harmonie des lignes et des couleurs, restent la loi suprême de tout décor, loi hors de laquelle il n’est point de succès.

Veut-on des exemples ?

Vous avez à orner une table de dîner pour une dizaine de personnes, dans une salle à manger parisienne, c’est-à-dire dans un local de dimensions un peu restreintes. La table ne sera donc pas très grande, elle sera très couverte par le service : assiettes, verres, couteaux, carafes, etc., lampes ou candélabres pour l’éclairage, etc. L’espace réservé au surtout sera donc peu étendu : en ce cas, une jardinière basse avec une jolie plante ou des fleurs coupées suffira largement. Si vous voulez augmenter la décoration florale sans charger la table, vous pouvez y ajouter quelques « rivières » ou, ce qui vaut mieux, devant la place de chaque dame, un élégant porte-bouquet avec des fleurs fines.

Mais s’il s’agit d’une de ces vastes pièces qu’on trouve encore dans les vieux hôtels de province ou dans les beaux appartements de Paris, un décor bas ferait un effet mesquin, presque piteux, sur une grande table où les couverts sont largement espacés, où les accessoires sont multipliés. Il y faut un surtout ample, garni de plantes riches de tons et de formes, ou de fleurs en branches disposées habilement de façon à remplir sans encombrer.

Le décor est complété par les « bouts de table » en cristal et orfèvrerie ou en belle porcelaine, chargés de beaux fruits ou de fleurs, parfois des deux.

On ne saurait croire quel parti on peut tirer pour un surtout du mélange des fruits et des fleurs. Les pêches, les prunes, le raisin, et, plus tard, les poires d’hiver et les pommes calville fournissent des ensembles merveilleux. Si la corbeille est très grande, on se trouvera bien de faire partir du milieu un motif de fleurs ou de plantes vertes en gerbe. Autour de ce motif central, les fruits sont disposés en couronne rappelant par leur effet les admirables bordures des tapisseries anciennes.

Une table de dîner doit être très éclairée. Elle ne l’est jamais trop. Il n’y faut point de coins sombres, ni de taches lumineuses. Tous les détails du couvert doivent ressortir en pleine lumière et aussi les visages et les toilettes des convives. Pour arriver à ce résultat, une lampe à suspension, si forte qu’on la suppose, sera toujours insuffisante. D’ailleurs, elle expose à ces deux écueils. Si, pour mieux éclairer le couvert, on la tient à une faible hauteur, ses ornements viennent se mêler au motif central du surtout, c’est d’un effet décoratif désastreux. Si, pour éviter cet inconvénient, on laisse la lampe un peu haute, alors c’est sur le couvert un jour crépusculaire, et, sur les figures, des ombres portées qui enlaidissent les jolies femmes et rendent les laides hideuses, ce qui met tout le monde de mauvaise humeur.

Il est bien entendu que je ne parle pas ici des grands appareils à gaz ou à électricité qui font un éclairage a giorno.

Il vaut mieux compter à peu près pour rien la suspension, la tenir un peu haut, éclairer la table avec des bougies. — Quatre candélabres au moins, et, si la table est longue, deux très grosses lampes en bouts de table avec globes opaques — jamais d’abat-jour, fussent-ils des chefs-d’œuvre. C’est une erreur que de faire entrer en ligne de compte les branches à bougies qui entourent la suspension ; sans doute, il faut les allumer pour le décor, mais elles n’ont point de pouvoir éclairant, elles sont trop loin de la table, et (à moins qu’il ne s’agisse d’un appareil de premier ordre) elles ne sont pas assez nombreuses pour fournir un foyer de lumière.

Pour n’avoir pas de surprises désagréables au dernier moment, j’engage les jeunes maîtresses de maison à faire avant le soir du dîner une répétition générale, ou plutôt une épreuve d’éclairage. On pose une nappe sur la table, on y met, à la place qu’ils devront occuper, les appareils d’éclairage, on allume tout, et l’on peut ainsi se rendre compte de ce qu’il est à propos d’ajouter ici ou là. Disons en passant et pour n’y plus revenir que cet essai doit toujours être fait quand, pour la première fois, l’on recevra le soir en cérémonie.

Je reviens à la salle à manger : ce n’est pas seulement la table qui doit être éclairée, mais aussi les desservants, tables de service, etc., car il faut éviter aux domestiques les erreurs, les heurts, les maladresses, suites fatales de l’obscurité.

Cependant cet éclairage doit être modéré ; il suffit d’une lampe de calibre ordinaire, même médiocre, pour chaque table ; elle aura aussi son globe dépoli, les abat-jour en pareil cas ne sont pas corrects. Point de bougies surtout ! pour ce service ; elles font des taches et se renversent facilement.

Il est bien entendu que si la pièce où a lieu le dîner est éclairée partout par la lumière émanant des grands appareils à gaz ou à électricité, ce détail est à supprimer.

Pour en finir avec la question d’éclairage, un tout petit conseil de prudence. Faites allumer le matin toutes vos bougies et laissez-les brûler une minute pour leur « faire le nez », suivant l’expression des domestiques, cela simplifie et rend plus rapide l’allumage au dernier moment, on évite aussi les coulées de cire et les mèches mal tournées.

Que le dîner soit grand ou petit, il faut, pour que le service s’effectue bien et facilement, prendre un certain nombre de précautions.

Tout d’abord, installer dans un coin ou dans l’embrasure d’une fenêtre une table de service, recouverte d’une nappe frangée, sur laquelle seront posés les piles d’assiettes de rechange et tous les accessoires que les domestiques doivent avoir sous la main sans chercher : couteaux, serviettes d’office, tire-bouchons, petits pains, etc.

Sur le desservant se placent les bouteilles de vin fin, et ce qui se sert « en dehors » : citrons, beurre, caviar, petits hors-d’œuvre, fromage, etc.

Il faut tâcher de tout prévoir, même le bris d’un verre, la chute d’un morceau qui fait tache, car rien n’est gauche comme d’avoir à s’agiter, à courir, pour trouver ceci ou cela.

Dirai-je quelques mots du service de la domesticité ? Ici encore, je puis renvoyer aux chapitres précédents.

A rappeler pour mémoire : la nécessité d’avoir des mouvements doux, ni trop vifs ni trop lents, le regard attentif aux besoins des invités et surtout à guetter sur le visage du maître ou de la maîtresse de maison un de ces clins d’œil qui indique un ordre à recevoir ; l’habileté à saisir au passage cet ordre qui ne peut être donné qu’à voix basse ou à peu près, et à l’exécuter tout de suite. La discrétion, le mutisme dans le service, mais aussi la netteté de prononciation en disant à demi-voix le nom des vins offerts ; enfin la correction magistrale dans le « Madame est servie » et dans l’ouverture au large de la porte, pour laisser passer le flot des convives à l’entrée et à la sortie.

Tenue : habit noir, gilet id., lingerie d’un blanc irréprochable et gants de fil blanc en cas de « cérémonie ». Pour les dîners intimes, tant de solennité détonnerait un peu. Une tenue soignée suffit.

Enfin voici pêle-mêle quelques indications de détail nécessaires à connaître pour éviter les « incorrections ».

1o Jamais, sous aucun prétexte, le bouilli ne doit être servi dans un dîner prié, même intime.

2o Même loi pour la soupe au pain. Le potage se compose soit de bouillon avec des petites pâtes, des quenelles, etc., soit de soupes maigres d’une sorte très soignée.

3o Hors de l’intimité, la soupière ne paraît point sur la table.

Aussitôt les convives installés, le domestique place devant eux l’assiette remplie très modérément.

4o Dans l’Ouest, pendant la saison des huîtres, on en sert au commencement du repas, même à dîner, avant le potage. Chaque convive trouve sur son couvert, à la place de la serviette et du petit pain qui sont disposés à côté, une assiette contenant de huit à douze huîtres suivant leur grosseur.

C’est une coutume que j’ai toujours vu paraître très agréable aux dîneurs. On fait passer en même temps des citrons coupés par moitié.

Il va sans dire que la fourchette à huîtres sera jointe au couvert, et, si l’on veut, des petites serviettes frangées pour s’essuyer les doigts sans imprégner la grande serviette d’une mauvaise odeur.

5o Le fromage se sert en dehors, au début du dessert ; on a soin de ne pas le laisser sur la table.

6o Les gros fruits seront coupés en quartiers et le raisin en grapillons de taille raisonnable. C’est le domestique qui se charge de cette opération qu’il fait sur une table de service, après avoir enlevé la corbeille où il prendra la pièce à découper, car il ne serait pas correct qu’il avançât le bras sur la table pour y prendre le fruit à servir. Quand on est en dîner d’amis, ce cérémonial n’est pas de rigueur et la maîtresse de maison se charge de ce petit manège où elle peut mettre beaucoup de bonne grâce.

Disons à ce propos qu’il est un peu ridicule d’apporter au service d’un dîner d’agrément le faste et l’étiquette d’un dîner d’apparat. Il y a des maîtres de maison si guindés, si haut perchés, qu’ils croiraient manquer à leur dignité en découpant un perdreau ou en servant des parts d’entremets. Cela sent le parvenu et glace l’hospitalité. C’est affaire de jugement et de mesure. Les gens bien élevés ne font jamais d’« impairs ».

7o L’usage des bols rince-bouche a depuis si longtemps disparu que je n’en parle que pour mémoire. Il est avantageusement remplacé par le filet d’eau légèrement parfumé que le domestique fait tomber d’une aiguière sur les doigts qu’on lui tend.

8o En été, il faut faire passer de la glace pendant tout le temps du repas. Elle est offerte en petits morceaux dans une jatte de cristal et avec une cuillère ad hoc.

Les boissons « frappées » sont mises dans des cruches d’une forme spéciale avec récipient intérieur pour la glace. Il est souvent bien difficile en province de se procurer de la glace transparente, « propre », pour dire le mot dans toute sa crudité. On recommandera aux domestiques de mettre du soin à ce service, soit en cassant la glace, soit en choisissant les morceaux.

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En thèse générale, les enfants ne doivent pas assister aux dîners de cérémonie. Ils n’y sont nullement à leur place d’ailleurs ; la longueur du repas les énerve, la variété et la profusion des mets les poussent à manger beaucoup plus que de raison ; n’étant point sous la surveillance directe des parents, ils peuvent prendre des libertés dangereuses sur la question des vins et du dessert, enfin les « propos de table » ne sont pas faits pour les jeunes oreilles, même dans les intérieurs les mieux réglés.

Il y a pourtant bien des exceptions à cette règle : les repas de fêtes, de noces, de baptême, ceux donnés pour la venue des parents ou d’amis, réunissent tous les membres de la famille, tous ceux du moins qui ont « l’âge de discrétion ». Les places du bout de la table sont réservées au jeune monde. Il faut tâcher de trouver dans les sœurs aînées, les petites tantes, d’aimables mentors à donner comme voisines aux trop jeunes convives. Surtout, jamais de table d’enfants à côté de la grande, c’est de la plus vulgaire éducation.

Quelques mots ici pour mes lectrices de province. Ils seront inutiles à celles qui, ayant toujours vécu dans ce milieu, en savent les us et coutumes, mais les jeunes Parisiennes ayant épousé de hauts fonctionnaires ou de grands propriétaires me sauront gré si je leur évite quelques-unes de ces écoles petites ou grandes qui ont suffi plus d’une fois pour leur faire perdre les bonnes grâces de toute une « société ».

En province, pour peu que l’on ait une certaine aisance, on vit largement, on mange très bien, toujours plus et souvent mieux qu’à Paris. Les menus doivent y être « corsés » comme nombre, qualité et ampleur des plats. Les petites tranches minces comme des feuilles de papier, les volailles découpées en morceaux mignons, les verres remplis à demi, sont d’un effet déplorable. Il faut plus de vins, de plus de sortes, et en faire passer plus souvent.

Dans ce délicieux petit chef-d’œuvre de Nadaud qui s’appelle Une Idylle, se trouve le récit tragi-comique des mésaventures qu’éprouve un jeune ménage parisien qui a voulu rendre à son tour un grand dîner à des voisins de campagne. Malgré toute la bonne volonté possible et les efforts les plus ingénieux, l’échec est lamentable et tout finit par des chansons satiriques.

Il faut donc se renseigner à fond auprès des bonnes têtes du pays, avant de se lancer dans la composition du menu. Il y a aussi à prendre garde aux goûts particuliers des provinces.

Tel mets, réputé distingué ici, sera presque commun ailleurs.

Quand j’habitais la Savoie, les pâtes alimentaires entraient fréquemment dans la nourriture du peuple ; on eût fait un gros « impair » en offrant à ses invités un potage au vermicelle ou un plat de macaroni. Par contre, dans le Nord, je sais un jeune sous-préfet qui fut disqualifié dans le monde local pour avoir offert de la bière en été dans une petite soirée.

Ne quittons pas la question « Dîners » sans parler des invitations.

Pour un dîner de cérémonie, elles se font huit jours à l’avance par lettre ou carte imprimée. Pour un dîner plus intime, quelques mots sur une carte de visite suffisent.

On doit répondre immédiatement, soit qu’on accepte, soit qu’on refuse, car il faut que les maîtres de maison aient le temps de compléter leur table par de nouvelles invitations ; celles-ci faites in extremis ne peuvent s’adresser qu’à des amis à toute épreuve, à des parents proches, ou à de petits jeunes gens sans conséquence, car, surtout en province où tout se sait, on court risque de blesser ainsi les personnes reléguées au rôle de « bouche-trou ».

En province aussi, il est prudent, pour éviter un échec, de s’assurer à l’avance que, pour telle ou telle date, on pourra compter sur ses invités. En effet, à certaines époques de l’année, le tourbillon des dîners est si intense que des membres d’une même « société » (pour parler le langage courant) ont vingt invitations pour les sept jours de la semaine.

A Paris, il en est de même pour les gens très mondains.

DÉJEUNERS, LUNCHS, ETC.

Le service d’un déjeuner prié est plus simple, moins fastueux que celui d’un dîner. Cela se répartit sur beaucoup de petits détails.

L’absence d’éclairage éloigne une grande source de complications. Une corbeille de fleurs en faïence ou en cristal remplace le surtout. Il est très joli de l’entourer, pour le milieu de table, de quatre assiettes à pied ou coquilles élégantes remplies de beaux fruits de saison.

Le couvert est moins chargé, le linge de fantaisie est permis, la faïence aussi.

J’ai dit plus haut quels sont les plats en usage ; on y fait toujours figurer des œufs : omelettes diverses, œufs brouillés aux champignons, aux pointes d’asperges, aux truffes, etc., et de la viande de boucherie : côtelettes, biftecks, rognons sautés, langue, etc. Au début, jamais de potage, mais des huîtres pendant les mois autorisés. Au dessert, brioche ou galette ou plum-cake, fromage à la crème, tourte aux fruits, etc., plus les assiettes ordinaires de petits fours et bonbons, mais en moins grand nombre qu’au dîner et de sortes plus simples.

Le café et le thé se servent à table ainsi que les liqueurs.

Un ennui des déjeuners, c’est que l’on ne sait que faire de ses hôtes quand ceux-ci ne prennent pas l’initiative du départ. Il est de bon goût, après un petit séjour au salon, de leur rendre la liberté par une phrase bien tournée disant en substance que, malgré le plaisir que l’on aurait à les conserver plus longtemps, on ne veut point se rendre indiscret en empiétant sur la portion de leur temps réservée aux affaires. C’est là le sens général, sinon les paroles.

Le lunch de cérémonie n’a guère sa place que pour les mariages, baptêmes, réunions d’enfants et de jeunes filles.

Le premier de ces cas rentre dans la catégorie des grandes réceptions, et c’est avec le fournisseur attitré qu’on devra s’entendre pour le service, au point de vue du personnel et du matériel et aussi en ce qui concerne le choix et la quantité des rafraîchissements.

On sait que ceux-ci comportent non seulement des pâtisseries, petits fours, plum-cakes, brioches, babas, etc., mais aussi des sandwiches fins au jambon, au foie gras, etc., et même, en certains cas, les aspics, les galantines, etc.

Comme boissons, du thé, du chocolat, du consommé, des vins fins, de la bière même, des vins de dessert et du champagne, enfin glaces et punch.

Mes lectrices, jeunes mamans et jeunes tantes, me sauront gré d’entrer dans quelques détails en ce qui concerne les goûters d’enfants. J’en ai tant donné ! mon expérience me procurera le vif plaisir de leur être utile.

Pour ce petit monde, il y a trois points à considérer tout d’abord : 1o les amuser ; 2o les régaler ; 3o éviter les gros malheurs.

« Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir », dit le proverbe populaire.

Sans le prendre trop à la lettre, ce qui mènerait tout droit à la rusticité, il faut cependant en tirer cette leçon que les raffinements et les élégances de la mode ne sont point à leur place pour une « tablée de marmots ».

On laissera de côté les nappes ouvragées finement, les chemins de table brodés de soie et garnis de dentelles, les serviettes minuscules, bonnes à essuyer le bout des ongles roses d’une main délicate. Il faut prévoir les verres de sirop culbutés, les tasses de chocolat heurtées, les paquets de crème semés çà et là, les gâteaux imprimant en taches grasses leur place où on les a posés. Il faut aussi que les jolies robes des fillettes, les costumes des garçonnets, soient abrités contre leurs maladresses et celles de leurs voisins. Donc, nappes et serviettes de table damassé blanc ou avec bordure de couleur, ce qui est plus gai.

Des fleurs sur la table aux deux bouts, car le milieu doit être réservé pour la pièce d’importance, le grand gâteau ! ou la jatte de crème fouettée, ou le bavarois majestueux dont l’apparition fait ouvrir au large des yeux ravis.

Je ne conseille pas les fruits : les enfants, l’estomac barbouillé de pâtisseries et de crèmes, ne les digèrent pas bien et il peut en résulter d’immédiates et lamentables infortunes. Je ne parle point ici des goûters de campagne où ils sont tout à fait à leur place.

Pour les petits gâteaux qui garniront les assiettes, il faut les choisir faciles à absorber sans dégâts, bannir les éclairs, les bombes à la crème, les tartelettes aux fruits, tout ce qui poisse, coule, tache ; les petites brioches, les plum-cakes, canapés, feuilles de palmier, langues de chat, milanais, macarons, etc., offrent un large choix, et aussi ces délicieuses petites friandises qui font la joie des marmots : noix, champignons meringués, etc.

Les oranges sont toujours les bienvenues et terminent de façon agréable et… hygiénique le festin. En salade bien sucrée, aromatisée de kirsch ou de rhum très étendu d’eau, elles ont un grand succès.

Ne pas abuser des bonbons, se contenter de chocolat praliné, de pastilles au fruit, de grains de café. Les fruits confits sont longs à manger et barbouillent de sucre en sirop les mains et les figures.

Des « cosaques » en masse, au moins deux par invité. Disons à ce propos qu’il faut, dans le calcul des provisions, s’arranger de façon à ce que chaque enfant puisse avoir un gâteau de chaque sorte qui paraîtra sur la table. Il faut compter avec la faiblesse humaine, surtout à un âge où l’éducation et l’usage du monde n’ont pas encore eu le temps d’imposer aux passions leur frein salutaire. Pourquoi courir au-devant de gros chagrins quand il est si facile de les éviter ?

Pour les marmots au-dessous de six ans, faire passer les assiettes de friandises est une opération un peu scabreuse. Sans doute il y a des enfants gentils et discrets par nature, bien stylés par des parents soigneux des choses d’éducation : ceux-là prendront correctement un gâteau ; mais les petits gloutons, les rustres, les enfants gâtés élevés par des parents trop faibles ou incapables, peuvent causer des ennuis de plus d’une sorte ; il vaut donc mieux, en général, servir les petits convives.

Pour la boisson, des sirops coupés d’eau, de l’eau rougie, jamais de vin pur ! même des vins sucrés ou autres.

On ne peut trop s’indigner contre ces maîtresses de maison qui, par vanité ou par ignorance, offrent à des enfants du malaga, du frontignan, du champagne ! C’est une coupable folie ; on expose à de graves atteintes ces petits cerveaux encore faibles, et qui, chez certains sujets, sont fatalement prédisposés à la méningite.

Il y a bien assez de l’animation du jeu, de la réunion nombreuse, du plaisir de gourmandise, pour exciter tout ce jeune monde et le jeter hors de ses gonds.

Un petit conseil d’hygiène pour terminer :

Pendant que les enfants sont réunis dans la salle à manger pour le lunch, il faut aérer la pièce où ils ont joué en ouvrant au large les fenêtres, sauf à les refermer un peu avant la rentrée de la bande joyeuse.

Après le goûter, les jeux tranquilles sont préférables, la digestion est moins troublée et, au moment de leur départ, les enfants, calmés et rafraîchis, peuvent affronter sans danger l’air extérieur.

SOIRÉES PETITES ET GRANDES

Des premières, il n’y a que peu de choses à dire — à rappeler seulement le principe général, de veiller au bien-être et au plaisir de ses invités.

En hiver, que le salon soit d’une température modérée, mais suffisante, car il faut contenter les gens qui ont toujours froid et ceux qui ont toujours trop chaud.

Point de lésinerie sur l’éclairage ; les coins sombres sont la mort de l’animation. Il faut qu’on voie clair partout.

Des sièges commodes, point d’étagères et de tables à bibelots qui se promènent dans le salon. On les pousse dans les coins, ou on les place ailleurs.

Éviter de parquer ses hôtes — les dames par ici, les messieurs par là ; les joueurs seuls doivent avoir leur place réservée, et trouver les tables ouvertes garnies de cartes et de jetons et éclairées chacune par deux flambeaux avec des bougies portant un petit abat-jour.

Si l’on a beaucoup de jeunesse, lui abandonner une pièce où elle puisse jouer aux petits jeux, rire et s’amuser sans être à charge aux gens sérieux.

Servir le thé, soit dans la salle à manger, si la réunion est un peu nombreuse, soit dans un coin du salon sur une table spéciale.

Ce thé sera accompagné de quelques assiettes de petits fours, d’un gros gâteau, brioche, baba, galette ou plum-cake.

Il y a des maîtresses de maison qui, pour éviter l’émiettement et les taches de graisse, font servir ces pâtisseries en petits gâteaux plus faciles à manier sans inconvénient que les parts découpées.

On sert souvent thé ou chocolat suivant le goût des invités.

Le chocolat doit être fait avec beaucoup de soin, un peu crémeux, pas trop, bien sucré et vanillé (pour ceci, il suffit d’employer du chocolat de qualité supérieure). Tout le monde sait qu’avec le thé on offre du sucre, de la crème et du rhum.

Si l’on est un peu plus en cérémonie, à cause du plus grand nombre des invités, on fait passer, une fois avant le thé et une fois après, du sirop, du punch et quelques assiettes de bonbons.

Si l’on se réunit en été, on remplace le thé et le chocolat par des boissons glacées et même de la bière.

Les pâtisseries alors sont toutes du genre « sec ».

Rappelons qu’il ne faut pas laisser, dans les pièces où l’on se tient, de bouquets odorants. Le parfum des fleurs, dans un salon plein de monde, peut causer les plus graves malaises.

En ce qui concerne le service, il faut réduire celui des domestiques aux seules entrées indispensables. Ils apporteront et remporteront les plateaux chargés de verres, la table à thé et ses accessoires, mais ce n’est point à eux qu’est dévolue la mission d’offrir les tasses de thé, les assiettes de bonbons, de gâteaux, etc. ; ce sont les jeunes filles de la maison et leurs amies qui font ce gracieux office.

Cependant, si quelqu’un demande un verre d’eau, c’est à un domestique à l’apporter.

En général, tout ce qui s’offre sur un plateau doit être présenté par les gens de service.

Avec les grandes soirées, nous entrons dans un ordre d’idées beaucoup plus compliqué.

Une grande réception, bal, concert ou représentation théâtrale, exige, pour être réussie, un vaste emplacement, un personnel nombreux et très bien stylé, et une large dépense.

C’est dire que ce genre de réunion ne relève que des grosses fortunes ou du monde officiel.

Une soirée dansante impose moins de frais, moins de bouleversements d’intérieur qu’un vrai bal.

Les invités ne sont pas si nombreux, les toilettes sont un peu plus simples ; l’on peut remplacer, si l’on veut, le souper et même le buffet par un service de plateaux bien organisé, et à minuit ou une heure, une sorte de demi-souper, servi sur une table de la salle à manger très décorée et largement garnie de comestibles et rafraîchissements « ad hoc ». Enfin le cotillon n’est pas indispensable.

Un grand bal est une grande entreprise. En ce qui concerne ses préparatifs, voici quelques indications à suivre pour toute maîtresse de maison qui donne à danser chez elle.

1o Il faut chauffer d’avance le lieu de la réunion, mais éteindre tous les foyers à mesure que les salons commencent à se remplir. Du reste la chaleur qui se dégage d’une réunion nombreuse est telle que celle du feu est presque superflue. Il faut bien se garder d’ailleurs de boucher les cheminées, l’appel d’air qui se fait par leur tirage est indispensable pour éviter l’asphyxie.

2o Il est nécessaire de décirer (pardon du néologisme) la ou les pièces où l’on dansera. Faute de cette précaution, les glissades, les chutes dangereuses même sont à craindre au début de la soirée ; plus tard, la chaleur produite par le frottement des pieds sur le parquet fait fondre la cire au grand détriment des souliers blancs, des bords de robes qui se noircissent et aussi au grand ennui des valseurs dont une sorte de glu entrave les pas.

Il faut enlever les battants des portes de toutes les pièces où se tiendront les invités. On les remplace par des portières artistement drapées.

La question de l’orchestre, de sa place, de sa composition est très importante, car rien ne nuit à l’entrain d’un bal comme une musique trop maigre et que l’on n’entend pas partout.

Pour la centième fois, je répéterai qu’il ne faut pas de mesquinerie quand on veut bien recevoir ; c’est une « radoterie », dirait Mme de Sévigné, mais qu’on me la pardonne, je la trouve à chaque tournant de route, dans le sujet que nous traitons.

Assurez-vous le concours de bons musiciens en nombre suffisant ; installez-les sur une estrade, c’est indispensable pour que le son se propage aisément, et… ne leur demandez pas plus qu’ils ne peuvent donner.

L’humanité, l’équité même, vous imposent le devoir de leur accorder un repos un peu prolongé toutes les heures au moins.

Dans le même ordre d’idées, j’ajouterai qu’une bonne maîtresse de maison doit veiller à ce que ces pauvres artistes, qui ne trouvent que fatigue et épuisement là où tant de leurs semblables s’enivrent de tous les plaisirs, puissent soutenir leurs forces. Ils en font une si grande dépense !

Des boissons, bières, vins, sirops, des pâtisseries et, plus tard, des aliments plus substantiels leur seront portés sur des plateaux par les domestiques à plusieurs reprises. Il ne faut pas trois minutes pour veiller à cela, et elles seront bien employées.

Une grosse affaire : les sièges et leur disposition !

Il va sans dire que tout ce qui est bahut, vitrine, consoles, disparaît pour leur céder la place.

Contre les murs s’alignent les fauteuils, les canapés réservés aux dames mûres, aux mamans, ces pauvres mamans qui y feront sans doute plus d’un petit somme discret avant la fin de l’interminable cotillon !

Autrefois on ne concevait guère un bal sans banquettes. Celles-ci sont réservées maintenant aux fêtes patriotiques, et remplacées avec grand avantage par les « chaises volantes », légères, faciles à manier et permettant de se grouper.

Les sièges « fatiguent » beaucoup dans une réunion dansante, aussi est-il d’une sage prudence de ne pas exposer l’éclat des soieries qui couvrent les meubles fins, la fraîcheur de leur peinture laquée, la finesse de leurs dossiers délicats.

Du reste, en cas de bal, grand ou petit, il faut toujours avoir recours à la location du matériel.

On trouve à Paris et dans toutes les villes un peu importantes des ressources très complètes sous ce rapport, et, en s’adressant à des maisons sûres, il n’y a qu’à établir un traité, à livrer à l’armée des décorateurs, serveurs, etc., les pièces consacrées à la fête, et… à payer la note.

Recommandons à la maîtresse de maison de réunir dans des appartements qu’on fermera à clef, pendant tout le temps que durera la soirée, ses préparatifs et ses suites, les objets de valeur faciles à dérober.

Il y a des bibelots de grand prix qu’il est prudent de soustraire à la brusquerie ou à la convoitise d’un personnel étranger n’offrant que peu de garanties.

S’il y a lieu à démeubler partiellement une ou plusieurs chambres, cette opération doit être faite sous les yeux des maîtres ou au moins de la dame du logis, car, faute de cette surveillance, quelque larcin important, quelque catastrophe mobilière, peuvent se produire, et l’on n’a, en pareil cas, à s’en prendre qu’à soi-même ; on a couru au-devant des malheurs, en écoutant sa négligence ou son apathie.

Il faut aussi s’assurer que rien n’a été omis dans les salons, au vestiaire, à l’office pour le service des invités.

Je rappellerai qu’une chambre quelconque, facile d’accès et indépendante du vestiaire, doit toujours être tenue à la disposition des dames pour y réparer les avaries de leur toilette, y soigner leurs petits malaises, etc. Elles y trouveront une femme de chambre, armée de tout un attirail de couture, une table de toilette bien garnie de savons, eaux de toilette, poudre de riz, etc., et une provision de serviettes fines.

Enfin, car il faut tout prévoir, on veillera à ce que des seaux pleins d’eau soient déposés dans des endroits où ils puissent être facilement pris en cas d’incendie.

Il est presque toujours nécessaire de renouveler l’atmosphère d’une salle de bal après quelques heures d’encombrement, en ouvrant les fenêtres pour y faire entrer l’air extérieur.

Cette opération délicate est, non sans raison, la terreur des mamans qui redoutent l’effet d’un courant d’air glacial sur des épaules et des bras nus en pleine moiteur : aussi doit-elle se faire avec une grande prudence, et les maîtres de la maison doivent y veiller. Il vaut cent fois mieux faire évacuer un coin du salon et ouvrir franchement une fenêtre pour laisser sortir et entrer d’un coup une grande masse d’air, que d’entrebâiller les battants en une fente par où se glisse un filet homicide.

On peut choisir un moment où les invités se pressent au buffet pour se livrer à cette manœuvre.

Je n’entrerai pas ici dans le détail de ce qui concerne les « rafraîchissements », c’est l’affaire du fournisseur qu’on a chargé de ce service.

On lui a dit le nombre de personnes invitées, le nombre probable des acceptants, en faisant la part des empêchements de toute nature qui réduisent toujours la liste d’un quart au moins.

Il y a des devis tout préparés auxquels il suffit de se rapporter. Pour tant de personnes — tant de sandwiches, tant de pains au foie gras, de kilos de petits fours ; de litres de punch, de sirop, de vin blanc, de bouillon, etc., tant de bouteilles de champagne, de glaces, de demi-glaces. En général, et quand on s’est adressé à une bonne maison, ces calculs-là sont faits avec beaucoup de perspicacité.

Il va sans dire que tout le matériel de service, plateaux, verres, coquilles à glace, etc., est fourni par elle.

L’installation du vestiaire est d’une plus grande importance qu’on ne croit.

C’est dans ce lieu que se pressent à l’arrivée et surtout au départ les invités, et, si le personnel n’est pas assez nombreux, si les tables, casiers, etc., ne sont pas bien disposés, il en résulte des attentes interminables, des bousculades, des plaintes et parfois de bien plus graves incidents.

Que de jeunes filles et surtout de jeunes gens, le sang embrasé par l’ardeur de la danse, ont pris, en attendant leurs vêtements de dessus, des angines, pleurésies, rhumatismes articulaires, etc.

Pour résumer ce qui précède, je dirai qu’en fait d’hospitalité il faut aller largement si l’on veut réussir, et surtout ne pas faire de sottes économies quand il s’agit du bien-être de ses invités.

Que l’éclairage soit brillant, les rafraîchissements abondants et fins, les serviteurs nombreux et bien stylés.

Le rôle des maîtres de la maison est d’ailleurs simplifié par la bonne organisation du service. Il reste si lourd d’autre part !

Être sur pied pendant des heures, faire bon accueil aux arrivants, se tirer avec habileté de la si délicate question des places, veiller à ce que les danseurs se montrent secourables envers les danseuses qui restent sur leurs chaises, à ce que les gens graves fassent leur partie de cartes bien tranquillement, à ce que les plateaux soient présentés en temps voulu, à ce que les musiciens ne mettent pas trop d’intervalle entre les danses et ne jouent pas trop longtemps chacune d’elles, à ce que le buffet ne soit pas encombré par les indiscrets et inabordable pour les timides, trouver moyen de dire un mot, une phrase aimable à trois cents personnes et savoir encore satisfaire à ce qu’exige le devoir professionnel envers les « gros bonnets », certes, c’est une tâche singulièrement compliquée !

Il y a des femmes si heureusement douées qu’elles l’accomplissent sans effort, sans inquiétude, presque sans fatigue, et savent y trouver pour les autres et pour elles-mêmes la source d’un sincère et vif plaisir.

Le bal fini, les maîtres de maison ne sont pas encore au bout de leur tâche. La prudence leur commande, avant d’aller prendre le repos dont ils ont si grand besoin, de faire encore une tournée d’inspection générale : la dernière, pour le coup ! Il faut en effet s’assurer que tous les feux sont éteints, toutes les fenêtres fermées, tous les serviteurs étrangers partis. Ceci fait, on fermera à clef toutes les pièces où s’est donnée la fête, et celles surtout où l’on avait tenu les provisions de vins, etc. Ne faut-il pas éviter qu’avant le lever forcément tardif des maîtres, et sous prétexte de « restes », tout cela soit mis au pillage, non sans petites orgies et grosses querelles ?

Il sera sage aussi de présider à l’ouverture des salons où l’on a dansé. Danseurs et danseuses ont pu et dû y perdre bijoux, mouchoirs, éventails, bibelots précieux. Ce n’est qu’après avoir mis en sûreté ces épaves d’une nuit de bal, qu’on livrera l’appartement à ceux qui sont chargés de le remettre en état.

On sait comment se font les cartes d’invitation pour bals et soirées.

Du moment qu’il y a envoi de ce genre, c’est l’indication qu’on sera en cérémonie. Si les mots on dansera sont, soit imprimés, soit ajoutés à la main en bas de la carte, il s’agit d’un vrai bal. La toilette sera donc en conséquence.

C’est pourquoi il est d’usage d’envoyer les invitations de bal quinze jours à l’avance afin qu’on ait le temps de se faire habiller. Pour les grandes soirées, musicales ou autres, huit jours suffisent.

Il serait du dernier ridicule d’envoyer des cartes imprimées pour convier à un « thé » sans prétention.

En pareil cas, un mot sur une carte ou un court billet sont seuls de mise.

Je ne veux pas quitter ce sujet sans dire quelques mots du cotillon.

Oserai-je avouer qu’ainsi que beaucoup de mes contemporains, je déplore un peu son invasion dans nos usages ?

En augmentant le luxe et les frais des bals, il en a diminué la fréquence et la gaîté ; il a substitué à la bonne humeur, à la grâce française, la morgue et l’avidité exotiques, il a fait régner l’or là où le plaisir seul devait commander, enfin il fait naître la triste légion des petites mauvaises passions mondaines, l’envie, la jalousie, la bassesse pour les uns, l’orgueil, le dédain, l’égoïsme pour les autres.

Après ce sévère réquisitoire, je me hâte d’ajouter — pour ne pas me brouiller à mort avec mes jeunes lectrices — que je ne fais ici le procès qu’à ces cotillons fastueux, que la vanité des hôtes érige en distribution « d’argent » déguisée sous la forme de bibelots et de bijoux.

En dehors de ces extravagances de mauvais goût, je conviens volontiers qu’un cotillon bien mené est chose amusante et jolie.

La variété des mouvements, les surprises des figures, le va-et-vient des danseurs et danseuses, le chatoiement des brillants objets passés de main en main, l’apparition des ensembles bien groupés, sont une vraie fête pour les yeux des spectateurs bienveillants et l’occasion d’une joyeuse activité pour les jeunes couples.

Quant à la somme à attribuer au cotillon, il faut la calculer assez largement, et la répartir assez ingénieusement pour ne pas tomber dans les objets vulgaires et par trop économiques.

Mieux vaut donner moins et faire un joli choix.

Est-il nécessaire de rappeler que les objets de cotillon forment un trophée élégant dans un des salons — celui d’entrée de préférence ? Il doit être très éclairé et mis à l’abri des chances de heurt ou d’incendie.


Je n’ai pas à entrer ici dans la mise en train d’une soirée musicale ou théâtrale. Ce sont choses toutes spéciales demandant à être traitées à part et en détail ; ce chapitre déjà bien long, verrait ses bornes reculées indéfiniment, si j’entreprenais cette tâche.

Je préfère le terminer par une causerie avec celles de mes jeunes lectrices qui, si elles m’ont suivie jusqu’ici, m’ont déjà peut-être reproché plus d’une fois de hérisser d’épines le plaisir si charmant de se réunir entre amis.

J’espère me faire pardonner en leur disant comment s’organise une… « sauterie », sans trop de frais et sans mesquinerie.

Ce que j’ai dit plus haut à propos des dîners s’applique aussi à ces soirées musicales ou littéraires, à ces petits bals, où tout est de second, de troisième, de dixième ordre, local, éclairage, consommations, et, hélas ! artistes amateurs ou autres.

Eh ! quoi, va-t-on dire, parce qu’on n’est pas assez riche pour offrir à ses invités des galeries remplies d’arbustes et de statues, des cotillons de plusieurs milliers de francs, des artistes à dix ou vingt louis le cachet, faut-il donc se priver et priver ses amis de quelques heures de plaisir vrai ?

Je serais désolée qu’on interprétât de cette façon ma pensée maîtresse, qui est celle-ci : Pour mener honnêtement la vie du monde, y trouver et y offrir aux autres une part légitime de satisfactions, il ne faut rien tenter qui soit au-dessus de ses forces.

Que de gens, pour avoir méconnu ce précepte de pur bon sens, rencontrent le ridicule ou la gêne, souvent les deux ensemble !

Mais combien le point de vue change si la prudence et la simplicité sont appelées au conseil…

Papa et maman, dans l’un de ces conciliabules du soir où, quand tout leur jeune monde est endormi, ils aiment à passer en revue les choses de la famille, se consultent sur la grosse question de savoir si on donnera décidément une petite fête pour les quinze ans de Lolotte ou les dix-huit ans de Zézette ou quelque motif aussi respectable. Le chapitre budgétaire « divertissements » sera-t-il assez élastique pour permettre un extra ?… Peut-être… En retranchant par-ci, par-là, sur le théâtre, sur les voyages, sur ceci, sur cela.

Une sauterie est décidée.

On n’invitera pas trois cents personnes, ni deux cents, le salon ne le permettrait pas ; mais il faut compter sur les refus, les deuils, les maladies, et majorer presque au double le nombre des invités. Quant à celui des « danseurs », il devra être aussi étendu que possible. Toute bonne maîtresse de maison sait cela.

Point d’orchestre, les mamans et les tantes se relayeront au piano.

Des fleurs et des plantes vertes, juste assez pour mettre une jolie note gaie, beaucoup de bougies, et — dit papa — surtout point de lésinerie sur l’article rafraîchissements ! les jeunes gens qui dansent se fatiguent, ils ont faim et soif et il faut réparer !

Maman promet donc des glaces, du punch, des sirops, du café glacé, des pâtisseries sérieuses, babas, brioches, etc. Elle hasarde timidement la proposition de ne point donner de champagne, mais papa fait remarquer que, n’ayant pas beaucoup de monde, on peut s’offrir le luxe de bien traiter ses invités.

Il y aura donc du champagne vers minuit, mais du bon !… parce que papa a l’honneur de sa maison à garder, et qu’il ne veut point voir servir de la piquette chez lui.

Point de cotillon, c’est trop coûteux, le budget s’y oppose absolument, car, pour donner des « petites horreurs », maman ne veut pas en entendre parler.

Seulement, au dernier tour de valse, pour la promenade finale, chaque danseur pourra offrir à sa « dame » un des jolis bouquets que contiendra le panier fleuri.

« Et, conclut-elle, avec deux ou trois cents francs au plus, nous nous tirerons d’affaire ; les enfants s’amuseront et… on pourra recommencer à Pâques en matinée. »

Et les « enfants » s’amuseront, et les parents aussi, parce qu’ils ne seront pas harassés par le souci d’une dépense exagérée. Mais… ils n’auront pas fait tenir trois cents personnes dans deux pièces où cinquante auraient peine à évoluer à l’aise, ils n’auront point donné un bal, on ne parlera ni de l’orchestre, ni des massifs d’orchidées, ni du brillant cotillon, et ils ne compteront que peu ou pas parmi les gens qui reçoivent.

Que leur importe, s’ils ont le plaisir de s’entendre répéter par de jeunes voix toutes vibrantes, par des voix plus mûres toutes reconnaissantes :

« On s’amuse tant chez vous ! »


Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous votre toit (Brillat-Savarin).

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