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Une maison bien tenue : $b Conseils aux jeunes maîtresses de maison

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CHAPITRE VI
Les déménagements.

Nos aïeux, dont les lourds et encombrants mobiliers, les énormes stocks de linge, les bibliothèques garnies de redoutables in-folio, exigeaient des mœurs sédentaires, mettaient les déménagements parmi les fléaux qui assiègent l’humanité.

« Trois déménagements valent un incendie », disait un vieux proverbe.

Nous n’en sommes plus là, tant s’en faut. Les voitures capitonnées reçoivent dans leurs flancs hospitaliers nos frêles chaises dorées, nos fauteuils Louis XV, nos petits bahuts coquets, nos petites tables à étagères compliquées, nos armoires à glace à galeries ajourées, etc., etc., sans leur infliger trop d’avaries.

D’autre part, la vie errante que nous ont créée les chemins de fer, les billets de parcours, la villégiature, les villes d’eaux, les grandes plages, les « petits trous pas chers », ont habitué les familles à transporter fréquemment leurs personnes et leurs pénates d’un endroit à un autre.

Sous ce rapport, entre une maîtresse de maison de l’an 1900 et sa grand’mère, il y a plusieurs siècles de différence.

Il est peu de personnes qui n’aient eu ou ne doivent avoir à déménager peu ou prou, ne fût-ce que pour aller aux bains de mer.

Les fonctionnaires, si haut placés qu’ils soient, sont toujours à la veille d’un déménagement, les familles d’officiers de l’armée ou de la marine sont dans le même cas ; je pense donc être utile, et peut-être agréable à mes lectrices, en traitant avec elles ce sujet, dont on ne parle guère dans les manuels d’économie domestique, et qui cependant a une sérieuse importance dans la vie d’une maîtresse de maison.


Il y a des déménagements grands, moyens et petits. Les uns ne réclament qu’un ou deux jours de préparatifs, les autres des semaines.

En vertu de l’axiome : Qui peut le plus peut le moins, commençons vaillamment par le grand déménagement ; les autres, dans le détail, participeront toujours un peu de celui-là.

« Un grand déménagement ! » Par ces trois mots redoutables, je désigne ce bouleversement total de l’existence qui envoie d’un bout à l’autre de la France, ou seulement d’une résidence à une autre, toute une famille et tout ce qu’elle possède de mobilier et d’effets.

Cette sorte de déménagement implique forcément la nécessité de ne laisser derrière soi que les quatre murs, d’arriver dans un logis qui n’a à vous offrir également que les quatre murs, et, entre les deux, la privation d’une foule d’objets de confort et d’agrément.

Un grand déménagement demande au moins trois semaines de préparation, six même, dans le cas où les maître et maîtresse de la maison s’en occuperaient eux-mêmes.

Ici j’entends déjà s’élever un concert de protestations : « Est-ce qu’on s’occupe soi-même, autrement que par une surveillance générale, de ces choses-là ! Il y a des gens dont c’est le métier ; on s’adresse à eux : s’ils font mal leur besogne, c’est leur affaire, puisqu’ils répondent de la casse, etc., etc. »

Distinguons : si la valeur de votre mobilier, de vos bibelots, de vos livres, est considérable ; d’une autre part, si vos revenus sont tels que vous n’ayez pas à vous préoccuper d’un lourd surcroît de dépenses, alors, en effet, vous pourrez vous donner le luxe d’un emballage fait par les maîtres de l’art, et leur confier vos trésors les yeux fermés, ou tout ou moins demi-clos ; mais si, et c’est le cas le plus répandu, vous n’avez à votre service que les employés des entreprises de déménagement, même des meilleures, vous avez à craindre des catastrophes.

Ces gens toujours pressés, toujours harcelés par les patrons pour faire vite et libérer ainsi le plus promptement possible un coûteux matériel, négligent forcément cette foule de petites précautions nécessaires à la sécurité des choses délicates. Ceux d’entre eux qui sont très habiles et ont une longue expérience arrivent souvent, presque toujours même, je le reconnais, à un résultat à peu près satisfaisant.

Avec eux la « part du feu » est minime et le déballage sans angoisses ; mais les autres ! les apprentis, les novices, les lourdauds, les imbéciles, les maladroits, les « sans-gêne » et les « sans-souci », les indifférents, les brutes ?… Et il y en a beaucoup de cette sorte, beaucoup plus que des autres, et c’est à ceux-là que sont dus les désastres : les tableaux crevés, les glaces brisées, les beaux services dépareillés, les pendules détraquées, les potiches fendues, les reliures élégantes rayées et froissées.

Quant à la fameuse clause de la responsabilité et du remplacement, n’est-ce pas une dérision quand il s’agit d’objets précieux par leur rareté même ?

Nous remplacera-t-on un plat de Moutiers, une fontaine de vieux Rouen, une porcelaine de Chine de la Compagnie des Indes ?… En faire payer la valeur pécuniaire ne compensera jamais la perte subie.

Les vrais amateurs savent ce que la complète intégrité d’une pièce ajoute à son mérite, et quel crève-cœur c’est de voir anéantir un objet longtemps choyé et admiré.

Tout le monde n’est pas collectionneur, mais, dans une bonne maison, il y a toujours un fonds considérable de cristaux, porcelaines, faïences, pour les divers usages de la table, de la toilette, de l’agrément. Généralement, ils sont par séries, par « services », c’est le terme commercial. Quel ennui si l’emballage défectueux fait briser les pièces, dépareiller des services anciens dont on ne trouve plus les modèles dans l’industrie, et force à l’achat de tout un coûteux ensemble !

Ces graves désagréments, ces pertes sérieuses, peuvent être évités en tout ou partie, quand la maîtresse de maison a le courage et le savoir-faire d’emballer elle-même, oui, elle-même ! — que mes lectrices ne se récrient pas trop — les objets précieux et les services fins.

Mais quel moment, quand on décloue les dessus de caisse, que celui où les planches, levées lentement, à petites secousses, laissent voir l’intérieur, où l’on plonge une main inquiète dans la couche de varech ! où l’oreille guette avec angoisse le fatal cliquetis des morceaux brisés, où les yeux dévorent les profondeurs traîtresses qui cachent peut-être de si sombres mystères ! Mais aussi quelle joie, quel triomphe, quand le papier, déroulé avec soin, dévoile les lignes pures d’une statuette, le brillant émail d’une faïence, les arabesques dorées d’une fine porcelaine ! Et quand tous ces trésors se rangent sur la table en un délicieux pêle-mêle, que, papiers et varech rejetés dans la caisse vide, on s’écrie gaîment : « A une autre ! » comme on est payé de ses peines !

Mais on pense de quels soins, de quels travaux s’acquiert ce bonheur ; je vais tenter d’en donner l’idée avec une minutieuse exactitude qui permettra aux jeunes maîtresses de faire, ou de faire faire par quelque serviteur intelligent et adroit, les emballages les plus compliqués en apparence. Avant d’entrer dans le détail cependant, il convient d’indiquer l’ordre des opérations.

La première chose à faire est de se renseigner sur les conditions de transport comme prix, durée et garanties ; les renseignements pris sont consignés sur un carnet spécial, qui deviendra le « livre du déménagement », où viendront se classer, par la suite, toutes les indications relatives à ce sujet. On fait marché avec un entrepreneur de transports ; ce marché doit être conclu par traité, sur papier timbré de préférence, si l’entreprise est considérable. La responsabilité des risques y est nettement établie, ainsi que l’époque du paiement, le délai maximum et les conditions de transport. Beaucoup de personnes, croyant s’éviter des ennuis — au-devant desquels elles courent — font un marché à forfait, livrent sans aucun contrôle leur maison ouverte, leur mobilier, leurs objets précieux, leur vaisselle, cristaux, linge, etc., aux déménageurs. La fameuse phrase : « Ces gens-là ont l’habitude de leur métier, et d’ailleurs l’entrepreneur répond de la casse », sert d’excuse pour leur négligence, leur paresse ou leur incapacité.

Agir ainsi, c’est ouvrir la porte toute grande au cortège des fléaux accompagnant un déménagement mal compris : détériorations, pertes, larcins, etc. Si l’on a l’intention bien arrêtée de faire ou de faire faire sous ses ordres l’emballage des objets fins, il faut s’entendre, sur ce point, avec l’entrepreneur du déménagement, car il vous déclarera péremptoirement qu’il n’est pas responsable des emballages faits par d’autres personnes que ses agents, ce qui est d’ailleurs de toute justice. La réponse est facile : « Je vous livrerai les caisses fermées, clouées et numérotées ; je n’aurai à réclamer de vous que livraison dans l’état où vous les avez reçues. »

Il faut aussi qu’il y ait entente préalable sur les voies et moyens employés pour le transport des meubles.

Il peut se faire de plusieurs façons.

1o Par wagons, en vrac. Ce moyen n’est applicable qu’au gros mobilier de cuisine, aux caisses clouées, à tout ce qui ne craint ni heurts ni intempéries.

2o Par wagons, en caisses. C’est coûteux et long et compliqué, car il faut ajouter aux frais des caisses et de l’emballage les transports du domicile à la gare et de la gare au domicile, puis le déballage des caisses, et, si l’on n’a pas d’emplacement pour les ranger, leur démolition.

3o En wagons, avec emballage pour chaque meuble, méthode coûteuse à l’excès et pas très sûre, surtout pour les sièges fins.

4o Par voitures capitonnées ou à peu près.

Ceci est presque la perfection. On prend vos meubles chez vous, et on vous les remet en place chez vous, à l’arrivée.

Ils font le trajet dans un vaste récipient fermé et plombé, où ils sont si ingénieusement serrés, pressés, entre-croisés, qu’ils ne peuvent faire un faux mouvement.

Ce système a de plus le très grand avantage de permettre le placement immédiat de cette multitude d’objets que comporte la tenue d’un ménage et aussi d’une foule de petits ballots, petites caisses, petits paquets qu’on insère partout où se trouve un vide à combler.

Enfin il offre toute sécurité contre le vol, au moins pendant le voyage, puisque la voiture, une fois pleine, est plombée, fermée, scellée, pour ne s’ouvrir que devant vous, à la porte du nouveau domicile.

L’échange du traité en double expédition fait, le jour pris, vous n’avez plus qu’à vous préparer à recevoir les déménageurs.

Cette préparation consiste à tenir prêts malles, caisses, paquets, ballots, etc., et aussi à réunir dans une pièce exclusivement affectée à cet usage tout ce qu’on emportera avec soi, enfin à tenir à la disposition des hommes de peine de vieux tapis, des housses, de vieux rideaux, de vieux draps même, tout ce qui peut servir à préserver les meubles fins de tout contact entre eux.

Enfin, il faut discerner entre ce qu’on emportera avec soi et ce qui sera confié aux voitures de déménagement. Celles-ci vont partout maintenant, jusque dans les localités les plus reculées, puisqu’il suffit, là où le chemin de fer cesse, de les poser sur leurs roues qu’on emporte avec elles.

Il ne faut donc prendre, si l’on veut éviter d’une part l’encombrement qui complique une situation déjà compliquée, et de l’autre les frais très lourds de transport en grande vitesse, que des effets personnels, un peu de linge et les objets précieux, tels que argenterie, bijoux, papiers de famille, etc. On choisit une armoire où l’on dépose sous bonne clé ce qui doit être compris dans cette catégorie et l’on n’y revient plus sans besoin.


Avant de commencer le grand travail de l’emballage, il faut se procurer en quantité suffisante des caisses, du foin ou du varech.

J’ai toujours préféré le varech au foin pour nombre de raisons. D’abord il emballe mieux, étant plus élastique, fait moins de poussière, et enfin a le grand avantage de pouvoir être conservé en sacs ou de remplir des matelas de dessous pour lits de domestiques, lits d’enfants, etc.

J’ai entendu vanter la combinaison qui consiste à défaire les matelas et à employer leur laine pour remplir les caisses de faïences.

C’est là un détestable système. D’abord la laine emballe très mal, parce qu’elle se tasse et laisse des vides ; ensuite elle est d’un maniement désagréable ; puis on a besoin promptement de ses matelas en arrivant, si l’on ne veut pas voir le séjour à l’hôtel se prolonger outre mesure, au grand détriment de la bourse et du confortable ; enfin les matelas sont précieux, indispensables même pour préserver les glaces et les meubles fins dans les voitures de déménagement.

Le foin coûte cher et ne peut servir à quoi que ce soit après le déballage.

On trouve des caisses très commodes chez les épiciers ; celles à chocolat, à savon, à bougies, à conserves, sont tout particulièrement recommandables parce qu’elles sont propres, solides et point trop volumineuses.

Les grandes caisses ont de graves inconvénients. L’emballage y est beaucoup plus difficile et moins sûr que dans les caisses moyennes, et s’il s’agit de livres, elles ont un poids exorbitant qui expose les ouvriers déménageurs à des accidents.

Si l’on n’a pu se procurer les caisses avec leurs couvercles ou dessus, il faut, avant de commencer l’emballage, faire ajuster les planches pour ces dessus, car il est nécessaire, pour éviter les malheurs, de pouvoir fermer une caisse aussitôt qu’elle est remplie.

On marque caisses et dessus d’un chiffre un peu grand, peint à l’ocre rouge.

Pour les ballots de linge, les vieux rideaux peuvent servir, mais ils offrent peu de résistance et sont d’ailleurs bien mieux employés à couvrir les glaces et tableaux.

On trouve partout des serpillières ou de la très grosse toile à des prix très modérés qui permettent un emballage solide.

Pour les bas, les chiffons, le vieux linge, etc., tout ce qui ne vaut pas la peine d’être mis dans les malles ou dans les ballots, on peut se servir de sacs improvisés, confectionnés avec de la grosse toile à torchons. Onze mètres de toile sont coupés en six morceaux, qui, pliés en deux et cousus en surjet lâche sur leur lisière, donnent six bons sacs, et par la suite, décousus et coupés, une douzaine de torchons neufs.

On réunit dans une remise, sous un hangar, enfin dans un endroit bien couvert et bien clos, tout son matériel de déménagement, on fait débarrasser de tous meubles, sauf une table, une pièce un peu grande qui n’ait rien à craindre comme ornements de la poussière et des chocs ; on enlève toutes les tentures, rideaux, etc. ; c’est là que les uns après les autres viendront se remplir les caisses, malles, paniers, ballots.

On y entasse une provision de varech, une autre de vieux papiers, les journaux, brochures, etc. ; on met sa plus vieille robe, un grand tablier de valet de chambre, on s’arme de beaucoup de courage et de patience, enfin l’on consigne sa porte, — vaine précaution si l’on a beaucoup de bons amis ! J’ai tenu salon dans deux pièces où il n’y avait plus de chaises ; on s’asseyait sur les caisses et les ballots. Ceci n’est que pour les derniers jours, car jusqu’à la venue des voitures, le salon au moins doit rester habitable, et aussi « le cabinet de Monsieur », sanctuaire qu’on n’envahit qu’à la dernière extrémité.

Nous voici en face de la plus grosse affaire en fait d’emballage : une caisse d’objets fragiles, porcelaines, cristaux, etc.

Posons d’abord quelques lois fondamentales dont l’observation rigoureuse pourra seule éviter les désastres.

1o Tout ce qu’on emballe a dû être nettoyé scrupuleusement avant l’emballage ;

2o Il ne faut pas réunir dans la même caisse des pièces lourdes et des pièces délicates, par exemple un service de faïence et des cristaux mousseline ;

3o Il faut éviter à tout prix les vides, même insignifiants ; les vides facilitent le tassement, et le tassement est le père des catastrophes ;

4o Il faut envelopper de papier toutes les pièces, fût-ce un coquetier ; le papier emballe par lui-même et prévient les contacts ;

5o Quand on fait entrer une pièce dans une autre, il faut toujours garnir la première de varech et de papier ;

6o Les très petits objets qu’on veut insérer dans les plus grands doivent aussi être entortillés soigneusement pour ne pas balloter ;

7o Les caisses doivent être remplies jusqu’au bord, à un ou deux centimètres près, car il faut laisser la place d’une couche de varech qui empêchera le contact du dessus ;

8o Il est toujours bon de ne pas faire de mélanges trop disparates dans les caisses ; ainsi on réunira à part, autant que faire se peut, les bronzes, les marbres, les faïences, etc. ;

9o Toutes les caisses grandes ou petites, les paniers, les ballots, doivent être marqués très visiblement d’une lettre et d’un numéro ; la lettre est l’initiale du nom de la famille ; le numéro sera reporté au carnet de déménagement, avec la mention brève de ce que contient le colis qu’il désigne.

Pour cette opération, un mélange un peu épais d’eau gommée et d’ocre rouge vaut mieux que la peinture à l’huile, qui tache le linge.

Vous voici donc agenouillée sur un vieux coussin contre la paroi la plus large de votre caisse, si elle est à base rectangulaire. A votre droite est un haut tas de varech ; près de vous, sur une table, sont réunies les pièces que vous avez à emballer. Une aide les enveloppe de papier avant de vous les tendre.

Les vieux journaux sont très bons pour cet usage ; si l’on n’en a pas assez chez soi, chose rare, on s’en procure chez les marchands de chiffons.

Supposons, pour ne pas nous agiter dans le vague, qu’il s’agit d’un service de table en porcelaine fine à mettre en caisse ; par la diversité des pièces qui le composent, il pourra servir de type général.

Sur le fond de la caisse, vous étendez une couche de varech épaisse de 5 à 6 centimètres environ et bien égale. Elle va supporter vos premières assises composées des pièces les plus lourdes.

Ici, n’ayant pas le secours d’une figure pour m’aider, je prie mes lectrices de m’accorder beaucoup d’attention.

Supposons que le rectangle du fond de la caisse est numéroté ainsi : AB, CD pour les deux lignes parallèles les plus longues, AC et BD désignant les plus courtes.

Le long de la ligne AC vont se ranger les douzaines d’assiettes, posées sur tranche bien d’aplomb, de manière à ce que la ligne du milieu soit toujours dans le même axe. Ceci est indispensable, et, pour y parvenir, il faut maintenir et ramener avec la main les assiettes, qui ont toujours une tendance à s’écarter ou à fléchir. On les place par quatre ou cinq à la fois, et il faut arriver à la paroi opposée avec sa pile couchée bien droite, formant cylindre, et aussi près que possible de la planche pour la dernière assiette.

On insère dans l’étroit espace resté libre du varech, qu’on tasse pour caler. Il en faut assez pour qu’il n’y ait pas de jeu, mais pas trop pour ne pas faire craquer la pile.

A côté de celle-ci viennent s’en ranger d’autres, jusqu’à épuisement. Il va sans dire qu’on ne met ensemble que des assiettes de même calibre et de même sorte. Si une pile n’est pas assez longue pour atteindre la paroi opposée, on remplit le vide avec un ou plusieurs objets un peu gros, sucrier, pot à lait, etc., entortillés de varech suffisamment et disposés de manière à empêcher l’écroulement de la pile restée en suspens.

Les plats sont chose gênante à caser. Il faut bien se garder de placer l’un devant l’autre un plat rond et un plat ovale, et ceux-ci tiennent beaucoup de place.

Pour les grands plats, le meilleur système est de les appliquer le dessus contre la paroi de la caisse sans autre protection que leur enveloppe de papier. Ils font ainsi une sorte de muraille soutenue par les autres pièces, et ne courent pas le risque d’être fendus par les secousses du transport, parce qu’ils sont appuyés également sur toute leur circonférence.

Les compotiers de dessert, coupes, assiettes à pied, etc., sont mis en place d’après le même procédé, c’est-à-dire couchés dans l’emballage, rentrant les uns dans les autres, mais avec les centres sur la même ligne.

De plus, pour tout objet ayant la forme « coupe », qu’il s’agisse d’un verre à pied ou d’une coupe à fruits, il faut entourer le pied d’une jarretière, ou plutôt d’un bandeau fait avec du varech roulé dans du papier.

S’il y a des anses ou des ornements très en saillie, on prendra pour ceux-là la même précaution.

Tout ce qui a forme de jatte peut contenir de petits objets, coquetiers, salières, tous enveloppés largement de papier comme j’ai dit plus haut.

Pour les pièces à couvercles, telles que soupières, légumiers, etc., on retourne le couvercle, le bouton en dedans après l’avoir enveloppé.

Ces grosses pièces, très encombrantes, sont difficiles à caser et font le désespoir des emballeurs. Sous leurs flancs s’ouvrent des gouffres qu’il faut remplir avec toutes sortes de petites pièces de détail, enveloppées de papier et entortillées de varech : les bols, tasses à thé, à café ordinaires, etc., trouvent là une place tout indiquée.

Pour les services à thé et à café très fins, il est préférable d’avoir une caisse spéciale, car il est très fâcheux d’exposer à être dépareillés des ensembles de grande valeur.

A mesure que la caisse se remplit, on prodigue les poignées de varech ; il ne faut pas y mettre d’économie !

On insère la main pour chercher et découvrir les vides, on comble ici, on débourre là, on tâte pour s’assurer que rien ne cloche, ne touche, ne remue.

Enfin, on étend le dernier matelas de varech, on pose sur la caisse les planches qui serviront à la couvrir, on les cloue, après avoir pris soin de les marquer comme il a été dit plus haut, et l’on passe à une autre.

Celle-ci sera dévolue aux cristaux.

La tâche est moins fatigante que la précédente, mais bien délicate aussi. Nous y appliquerons toutes les indications déjà données et qu’il est superflu de répéter : mise des pièces lourdes, carafes, cruches, jattes, etc., au fond, emballage des pieds de verres, etc.

Il faut, en préparant la couche du fond, la monter de façon à ce que sa surface, bien et dûment garnie de varech, présente un matelas aussi plan que possible.

Sur ce matelas on range, couchés, les verres de même calibre, en alternant pied à tête, et en réservant les plus petits pour le dessus.

La caisse des cristaux demande un emballage plus élastique, moins tassé que celui des faïences ; les pièces n’étant pas lourdes sont moins sujettes à se verser les unes sur les autres pendant les transports.

Il est bien entendu qu’il ne faut laisser entrer dans la caisse aucun objet dur ou pesant.

Les bronzes demandent un emballage très soigné, car ils sont sujets à bien des avaries. Le moindre contact avec un objet aigu ou rugueux les raie, la moindre pesée sur eux les gauchit ou plus souvent les brise net. Enfin, leur poids, très considérable par rapport à leur volume, les pousse à des trajets dans l’emballage, fort dommageables à eux-mêmes et à leurs voisins.

Ils doivent donc, d’une part, être emballés très serrés, de l’autre, comme je l’ai dit plus haut, on ne peut les traiter qu’avec de grandes précautions.

A mon avis, il vaut mieux ne faire de caisses mélangées que pour les petits bronzes ; pour ceux d’une certaine importance comme les lustres, les statuettes, les pendules, si l’on ne craint pas la dépense, on a recours à l’emballage à coussinets, c’est-à-dire que la pièce placée dans une caisse construite pour elle y est maintenue sans aucun emballage, par un système de taquets, de coins, de chevilles, qui lui interdisent tout mouvement.

C’est la perfection, évidemment, quand la chose est faite par un bon spécialiste ; mais, parmi mes lectrices, il en est certainement qui habitent des châteaux à la campagne, loin des grands centres, ou bien des petites villes où les ouvriers fins sont introuvables. Je vais donc leur indiquer des manières de s’y prendre, qui, au moins, auront l’avantage d’être applicables en tous pays et en tous lieux.

Voici, à emballer, un lustre, des torchères ou appliques, un bronze, la Diane de Gabies, si vous voulez, et une pendule. A tout seigneur tout honneur ; commençons par le lustre.

Il est certainement démontable, tous les lustres se démontent.

Les bobèches à pendeloques ont trouvé place dans la caisse aux cristaux, les bobèches de cuivre sont enfilées dans un cordon et mises de côté.

On dévisse les branches, la tige, les ornements. A mesure que cette opération s’accomplit, Madame ou Monsieur qui y préside fait mettre dans un petit sac les écrous, vis, chevilles, etc.

Quand ils sont tous réunis, on lie le sac pour bien fermer et on l’attache à la tige ; chaque pièce du lustre est alors enveloppée, d’abord de papier fin — les patrons de journaux de modes sont très bons en pareil cas, — puis de papier plus fort ; on fait enfin l’emballage en caisse avec les précautions indiquées plus haut pour les faïences.

Passons à la statuette.

On l’enveloppe d’abord de papier fin. Ensuite on l’emmaillotte de vieux linge, en entourant les jambes, les bras, la tête. Quand elle est couverte partout, qu’on ne voit plus du tout le bronze, on la couche sur un épais matelas de varech, placé sur une feuille de fort papier d’emballage ; on la recouvre de varech, on plie le papier comme pour un paquet bien serré, on ficelle, et on met en sûreté le précieux colis.

Le procédé est le même pour les pendules, seulement il faut enlever doucement le balancier. On l’enveloppe de papier, en le maintenant par une lame de carton pour lui éviter d’être faussé, on lie à ce petit paquet la clé attachée avec une ficelle, et on place le tout contre le dessous du socle. Si la pendule a des détails fragiles ou très en saillie, il faut les protéger avec des coussinets de papier froissé, insérés partout où il y a un vide. On termine l’emballage comme il a été dit pour la statuette. Les déménageurs placent ce genre de paquets dans le bas des bahuts en les entourant de couvertures.

Les coupes de marbre, les grosses potiches, les grandes lampes, les bustes, rentrent dans cette série d’objets à emporter hors caisse.

On peut résumer leur emballage en ces deux points : défendre leur surface contre les contacts dangereux, les préserver par une couche protectrice suffisamment épaisse des accidents, des chutes et des heurts.

Pour les bibelots de prix, s’ils sont de très grande valeur, un emballage spécial est tout indiqué ; s’ils sont de valeur moyenne, tout ce qui a été dit pour l’emballage des porcelaines et cristaux leur est applicable.

J’y ajouterai cependant quelques réflexions supplémentaires.

Beaucoup de ces pièces, dont l’antiquité est le principal mérite, sont fendues et d’un émail friable, il leur faut donc plus de soins qu’aux pièces modernes plus résistantes.

Le papier d’emballage sera plus fin et même recouvert d’un second.

En pratiquant le tassement nécessaire, on ira d’une main ménagère de ses efforts ; enfin on fera la couche de varech plus épaisse et plus moelleuse, sans oublier cependant qu’un emballage trop souple expose les pièces à se fendre.


C’est « Monsieur » qui se réserve d’ordinaire la lourde tâche d’emballer sa bibliothèque, ses gravures, ses collections de bibelots curieux : médailles, miniatures, armes, etc.

Mais, comme bien souvent il est trop occupé par le service qu’il va prendre, par des voyages, des affaires, des tracas de toutes sortes, c’est sur « Madame » que retombe presque tout entier le soin de ces précieux trésors. Nous allons donc bravement nous supposer devant quelques milliers de volumes, plus le contenu d’un certain nombre de vitrines et de cartons et un amoncellement d’objets de toutes tailles et de toutes formes détachés des murs.

Commençons par eux, pour déblayer. Les bibelots de prix ont presque tous leur écrin, leur étui ou leur carton. On enveloppera ceux-ci de papier, chacun séparément. On réunit dans les coffrets, les boîtes, en un mot tout ce qui est « contenant », tous les petits objets enveloppés de papier fin, chacun séparément aussi.

Disons une fois pour toutes et pour n’y plus revenir que cette condition d’envelopper de papier fin chaque objet est la première nécessité de tout emballage bien fait. Elle évite les rayures, les cassures, les ballotages et le glissement dans les coins.

On suivra encore la loi qui défend de mettre ensemble, dans la même boîte, des objets lourds et des objets menus ou fragiles.

Les boîtes remplies, on les bourre de papier chiffonné pour immobiliser leur contenu, on les enveloppe largement pour qu’elles ne risquent pas de s’ouvrir.

Les cristaux, les biscuits, les porcelaines, les terres cuites de trop petites dimensions ou de sortes trop fines pour avoir pu trouver place dans les grandes caisses, sont emballés dans des boîtes à couvercle avec les mêmes soins généraux pris pour les pièces considérables : protection des anses et des ornements, bourrelets autour des pieds et des cols. Les bijoux anciens, montres, boucles, objets de curiosité, enveloppés de papier fin, sont mis entre des couches d’ouate dans des boîtes fermées.

Les armes ont presque toujours une caisse qui leur est attribuée, avec des aménagements particuliers. Elles y sont d’ailleurs généralement renfermées par leur propriétaire.

Toutes ces boîtes, écrins, étuis, etc., seront mis dans un ou plusieurs coffres de dimensions moyennes, établis solidement et fermant par de bonnes serrures. Il y a des personnes qui préfèrent voir leurs objets précieux casés, soit en boîtes, soit simplement emballés, dans les tiroirs des bahuts, armoires, etc.

Cette combinaison a de graves inconvénients. D’abord elle surcharge les meubles, et elle augmente la difficulté de leur maniement ; ensuite, et, c’est là son plus sérieux défaut, elle permet les larcins de toutes sortes, car, lorsque l’on dégarnit la voiture de son contenu, le déménageur, pressé d’en finir, tend toutes les boîtes et paquets à toutes les mains qui se présentent, et dans le nombre il peut y en avoir beaucoup d’infidèles ou de négligentes.

Un coffre est plus commode à surveiller et on peut le faire transporter immédiatement dans la pièce où l’on garde sous clé les caisses contenant les objets de prix.

Voici donc tous les bibelots partis et en sûreté. Avant de passer aux livres, occupons-nous des cartons de dessins, gravures, etc.

Les déménageurs ne manquent pas de vous dire : « Donnez-moi ça, madame ; tout comme ça est, c’est bien bon ! je le caserai derrière les bahuts, il ne lui arrivera rien ! »

Non assurément, si ce n’est « rien » que des plis, des déchirures, des froissements, des coulées de poussière, des promenades d’insectes, etc.

Les cartons de gravures, dessins, aquarelles, cartes géographiques, en un mot tout ce qui contient de grandes feuilles, doivent être visités avec soin pour s’assurer que tout y est en bon état et bien à plat, sans plis ni rides, puis enveloppés dans un papier brun assez fort et ficelés en croix avec une cordelette. Si les parois du carton sont flexibles, il faut l’insérer entre deux planchettes pour l’empêcher de faire « ventre ».

Je ne parlerai point des tableaux, qui sont confiés généralement aux soins du déménageur et se transportent comme les glaces entre matelas et couvertures.

D’ailleurs, les tableaux de prix ont toujours leur caisse propre, et une fois en caisse ils ne risquent rien.

Les livres ! Le plus long, le plus minutieux, le plus fatigant des emballages. Il offre cependant une compensation ; avec lui on ne craint pas la « casse », ce qui ne veut pas dire qu’on n’ait pas de précautions à prendre.

On fait apporter sur une table ou par terre les livres à emballer, ceux dont les reliures sont fines, bien enveloppés de papier.

Il est bon de ne point mélanger les livres rares ou précieux avec le reste de la bibliothèque. On les traite un peu en joyaux et on les installe dans des caisses moins grandes et plus soignées.

Pour bien faire une caisse de livres, il ne faut pas, comme on pourrait le croire, procéder par couches horizontales d’un volume d’épaisseur, mais bien par piles du même calibre de bas en haut. Pour dresser ces piles on posera alternativement les volumes, dos sur tranche. En effet, si on mettait tous les dos du même côté, leur épaisseur forcément plus considérable que celle de la tranche ferait la pile plus haute dans un sens que dans l’autre.

Pour remplir les intervalles qui existent parfois entre les piles, on insère des volumes brochés, qui servent de matelas, mais en faisant cette opération, on a soin de conduire le volume avec la main posée sur les plats jusqu’à ce qu’il soit bien en place, car on risque fort de retrousser et de froisser des pages.

La caisse de livres, quand celle est bien faite, ne doit présenter aucun vide, grand ou petit.

On rabat sur le dessus les feuilles de papier dont on l’a garnie, car jamais les livres ne doivent être en contact avec le bois des parois, et on la termine comme toutes les autres, par un couvercle de planches.


On a maintenant beaucoup moins de linge qu’autrefois, et il est beaucoup plus fin, ce qui simplifie son transport ; aussi a-t-on adopté pour cet usage de grands paniers solides et bien clos, faciles à remplir et à vider.

Cependant, si la famille est très nombreuse en maîtres et serviteurs, il y a forcément de grands approvisionnements en linge de table et de maison, rideaux, couvertures, etc. Toutes ces pièces doivent être mises en ballots, car les paniers ordinaires ne seraient pas assez résistants, et ces ballots sont d’ailleurs fort utiles pour caler les meubles dans la voiture.

La confection d’un ballot de linge n’est pas chose aussi facile qu’on le croirait tout d’abord. Il ne suffit pas en effet de poser l’une à côté de l’autre des piles de pièces qui laissent entre elles des crevasses, font effondrer le ballot quand on l’ouvre et, pendant le trajet, prennent de mauvais plis.

Un ballot de linge bien fait doit présenter un bloc rectangulaire très compact et assez solide pour ne subir aucune déformation même par les bousculades les plus vigoureuses.

Voici comment on arrive à ce résultat.

On a fait apporter d’avance tout le linge qui doit y entrer, repassé et plié, cela va sans dire.

On a fait étendre sur une table une serpillière assez grande pour envelopper tout le ballot. Sur cette serpillière, on place un vieux drap plié en deux, on le pose bien au milieu. Sur le milieu encore de ce drap, on étend un torchon de dimensions moyennes, 80 × 90 centimètres ; c’est lui qui va nous donner la base de notre édifice.

Si le ballot ne doit contenir que des draps, la tâche est fort simplifiée, car il suffit de les poser bien carrément l’un sur l’autre, en ayant soin de mettre le pli tantôt à droite, tantôt à gauche. Sans cette précaution, tous les gros plis étant du même côté, le ballot s’affaisserait du côté opposé.

S’il s’agit de serviettes, torchons, etc., c’est beaucoup plus compliqué.

Vous prenez comme base du ballot une paire de draps que l’on a pliée de façon à ce que ses dimensions répondent à la longueur d’une serviette par exemple, dans un sens, sur une largeur des deux tiers dans l’autre.

Sur ce rectangle on bâtit alors son bloc de linge en entre-croisant les pièces. Serviettes, torchons, tabliers, restent pliés dans le sens long, mais sont posés de manière à ce que deux couches successives soient en travers l’une de l’autre.

Me suis-je bien fait comprendre ?

Désignons notre rectangle de base par les chiffres ABCD ; — AB en haut.

Dans la couche 1 les pièces iront d’A à B, de C à D.

Dans la couche 2, leur plus long pli ira d’A à C, de B à D, et ainsi de suite alternativement jusqu’à ce que le bloc de linge ait atteint 60 à 80 centimètres de hauteur.

Pendant cette opération, on a eu le plus grand soin de maintenir les parois extérieures bien carrées, de sorte que le rectangle du dessus soit absolument égal à celui du dessous.

Il ne reste plus qu’à étendre un second torchon par dessus le bloc, à ramener les côtés du drap d’enveloppe, à les épingler en formant des plis réguliers comme ceux d’un paquet bien fait. On rabat alors la serpillière, et on la coud solidement en une ligne droite sur le dessus du paquet.

Il faut, pour cette opération, qui importe beaucoup à la solidité du ballot, avoir serré bien également la serpillière ; il est bon même de l’épingler avant de la coudre.

La première épingle doit être posée au milieu, les autres se suivre de part et d’autre de ce milieu ; faute de cette précaution, on s’expose à voir un ballot déjeté d’un côté. Enfin, en cousant, il faut bien prendre garde que l’aiguille ne pénètre pas jusqu’au linge de l’intérieur.

La couture finie, on parachève le ballot en lui faisant des « oreilles », opération qui réclame une poigne masculine, ou du moins telle.

Il faut se mettre à deux pour bien faire une oreille de ballot. L’un tire le coin de la serpillière, l’autre avec une cordelette la serre, l’étrangle aussi près que possible de la pile de linge, et noue d’un nœud solide.

Cette opération, répétée aux huit coins bien carrément (ceci est de rigueur), vous donne un ballot qui peut braver toutes les aventures et fait le bonheur des hommes d’équipe et des déménageurs, parce qu’il est facile à saisir par les « oreilles » et ne se verse pas dans tous les sens comme fait le ballot simplement cordé.

Nous voici arrivés aux malles.

Peu de personnes savent faire une malle vite et bien. C’est un art qui a ses principes ; les voici à la file.

1o Les objets lourds, livres, coffrets, bibelots, chaussures, doivent toujours occuper le fond de la caisse.

2o Il ne faut jamais mettre, à même le linge et les effets, des objets fragiles, sous prétexte qu’ils sont protégés par les plis d’étoffe. Le mouvement de transport tasse le linge, et flacons, porcelaines, etc., se promènent au grand détriment de ce qui les entoure.

3o L’emballage doit toujours procéder du plus lourd et du moins fragile au plus léger. En effet, les malles ayant un dessus, on est presque sûr d’éviter le renversement.

4o On ne doit jamais mettre ensemble du linge propre et du linge sale ; le linge sale doit avoir un sac épais en coutil qui lui est réservé rigoureusement.

5o Le « tassement » étant l’ennemi juré de tous les emballages, une malle ne doit jamais présenter de vide. Si pour une raison ou une autre, soit à l’aller, soit au retour, elle ne pouvait être remplie, il faut combler les intervalles avec du papier chiffonné, du varech, des menus copeaux d’emballage enveloppés dans des serviettes, en un mot pouvoir dire comme Macbeth :

There is the full !

Les valises, sacs de nuit, etc., doivent être réservés à vide pour le dernier moment. Les objets oubliés ou forcément gardés jusque-là y trouveront place.

La batterie de cuisine, c’est-à-dire tous les ustensiles qui ne rentrent pas dans la série des cristaux et faïences, ne demande point d’emballage particulier.

Elle fait partie de cette foule d’objets que comporte la tenue d’un ménage, et dont les hommes chargés de caser le mobilier dans la grande voiture trouvent la place un peu partout : dans les bas d’armoires, entre les pieds des chaises, etc. Les très petits ustensiles, couteaux, cuillères, aiguilles à larder, roulettes, etc., doivent être réunis en un seul paquet solidement ficelé ; autrement ils courent grand risque de s’égarer.

L’emballage des plantes vertes, palmiers, dracenas, etc., est assez difficile.

Quand ils peuvent être installés dans la voiture même, il n’y a rien de mieux.

Quand, faute de place, on doit les envoyer par wagon, on charge un jardinier de les arranger ; si on n’a pas de jardinier, on s’y prend ainsi pour l’emballage :

On garnit de papier fort le fond d’un panier de saule assez grand pour que les racines ne soient pas froissées, on enlève la plante avec sa motte — ceci est indispensable — du vase qui la contient, on la place bien d’aplomb dans le panier.

Quand les feuilles peuvent être ramenées le long du tronc, toujours vers le haut, on les lie sans serrer, puis on abrite sous une sorte de hutte bâtie avec des tiges de saule plantées sur le tour du panier et liées en haut.

S’il fait très froid on couvre d’une serpillière.

En ce qui concerne le transport des colis précieux, les opinions sont très partagées et je ne saurais prendre un parti.

Faut-il les laisser dans la grande voiture, faut-il les emporter avec soi ?

Les risques selon moi sont égaux de part et d’autre, et je me demande s’il n’est pas plus dangereux de les traîner dans les hôtels que de les laisser sous la protection des scellés plombés ?

Je n’ai point à m’occuper du transport de la cave. Les vins fins sont emportés en caisses ou en paniers, les bouteilles vides sont l’affaire des déménageurs. Souvent, pour ne pas s’encombrer, on préfère les vendre sur place ; il en est de même des provisions de bois, de charbon, de pommes de terre, etc.

Mais ces provisions trouvent un excellent emploi chez les voisins pauvres ou les institutions charitables. Il faut penser à prévenir à l’avance ceux qui doivent profiter de ces largesses, car à peine les maîtres ont-ils quitté la maison qu’elle est livrée à une horde de pilleurs d’épaves.

C’est une rude besogne que celle des derniers jours. Du moment où la colossale masse de la voiture s’est arrêtée devant votre porte, vous n’avez plus une minute de répit. Il faudrait être partout à la fois, répondre à vingt personnes en même temps.

On se partage, quand on peut, les divers postes. « Monsieur » ne quitte pas la voiture, gouffre béant où viennent s’entasser tous les meubles, et en même temps surveille les amateurs, habitués du pavé, prêts à profiter d’un moment d’inadvertance pour enlever meubles ou colis. J’ai vu un jeune ménage perdre ainsi un merveilleux paravent, présent de noce, peint de la main des fées ; il n’est pas encore consolé !

« Madame » dirige les hommes pour l’enlèvement des meubles, le choix de ce qui doit être mis dans la voiture, etc.

C’est là qu’il faut déployer une vigilance et une fermeté de général en chef, car, sous prétexte d’aider, parents et domestiques font tourner la tête aux malheureux déménageurs : « Emportez ceci ! Non ! cela d’abord ! Montez ! Descendez ! On a oublié ce paquet ! On a laissé cette malle ! » etc. Il ne faut pas une médiocre habileté pour réduire à un silence relatif toutes ces bonnes volontés tapageuses.

Les bébés sont en pareil cas toujours mis à l’abri dans quelque maison amie. Au-dessus de dix ans, petit garçon ou petite fille, bien dressés, intelligents, actifs et adroits, peuvent être d’un grand secours à « maman » pour les commissions, l’aide de détail, et même un peu de surveillance.

Sur le carnet de déménagement ont dû être inscrits le nombre des ballots, celui des malles, valises, paniers, etc., en un mot tous les renseignements concernant cette grandiose et difficile opération ; heures des trains, adresses d’hôtels, de fournisseurs, de serviteurs, etc., y doivent également trouver place, comme aussi le compte des dépenses pour les quelques jours que dure le bouleversement.


Le déballage des caisses n’est pas une opération indifférente qu’on puisse faire à la hâte, sans précautions. Il peut s’y produire au moins autant de malheurs que dans l’emballage, le transport, la confusion des matériaux, l’envahissement de toutes les places disponibles par les pièces déballées offrant de nombreuses causes d’accidents.

Pour déballer une caisse de vaisselle, cristaux, etc., on commence par écarter très doucement la première couche de varech, qui, si la caisse a été bien faite, ne doit rien contenir de fragile. Néanmoins la main doit tâtonner partout et chercher si elle ne rencontre rien de résistant.

On jette à côté de soi ce varech, auquel viendra s’ajouter en montagne tout celui de la caisse. A mesure qu’un objet paraît, après avoir enlevé le papier qui l’enveloppe, on le pose sur une table ; le papier va de son côté former une autre montagne.

On déballe par couches horizontales. Il est imprudent de creuser des trous qui peuvent compromettre l’équilibre du reste de l’emballage.

Quand tout le contenu de la caisse en a ainsi été tiré, on s’assure, en les maniant avec précaution, que dans le varech et le papier il n’est resté aucun petit objet, puis on les fait emporter avant de commencer un second déballage.

Quand on a suivi la méthode qui consiste à ne confier aux déménageurs que des caisses clouées, on a le grand avantage de pouvoir prendre son temps pour les défaire, et pouvoir ainsi faire mettre immédiatement dans les bahuts et armoires les services de table tout essuyés et à la place qu’ils devront occuper.

Il est bon de ne pas avoir trop d’aides dans ce travail, une personne intelligente et capable suffit bien ; deux au plus.

Souvent, dans le désir d’aller plus vite, les aides emportent trop de pièces diverses d’un coup ou des piles d’assiettes trop considérables ; c’est là un procédé dangereux, il faut le proscrire avec sévérité.

Le déballage d’une caisse de livres se fait de la même façon. On range les livres à mesure qu’on les retire sur une table ou sur un tapis par terre.

On évitera pour les livres reliés de faire des piles que le moindre choc ébranle et fait crouler, au grand dommage des reliures ; on range les livres sur la tranche, le dos en haut, les uns à côté des autres, et, pour empêcher la série de verser, on met à plat trois ou quatre volumes en la commençant.

Le déballage des bronzes demande une minutieuse attention pour ne rien forcer, et surtout ne rien perdre des petites pièces, bobèches, vis, ornements, etc.

Il est bon même d’avoir sous la main une petite boîte pour y poser tous ces détails à mesure qu’ils se présentent.

Le premier balayage et le nettoyage des pièces où l’on a déballé doit être fait sous la surveillance de la maîtresse de maison, dont l’œil vigilant seul sait chercher et trouver, au milieu de ce terrible fatras, les objets égarés ou laissés de côté.

Est-il besoin d’ajouter que le linge et les vêtements ne doivent être tirés des caisses et des ballots que lorsque tout dans le logis est à peu près propre ?

Mais si on en a besoin tout de suite ? va-t-on me dire.

A cela je réponds que les malles que l’on a emportées avec soi ont dû être « composées » de façon à fournir le nécessaire pour quinze jours au moins, et qu’en ce qui touche le linge de maison, draps, serviettes, nappes, torchons, tabliers, il faut avoir fait un ballot d’arrivée comprenant tout ce qui, en ce genre, sera indispensable à la famille dès le premier jour et pour une semaine au moins.

Grâce au chiffre, il sera facile de faire transporter ce ballot dans un endroit où on puisse l’ouvrir sans inconvénient.

Les mêmes soins de surveillance qu’au départ s’imposent à l’arrivée, si l’on veut éviter les vols et les erreurs dans le transport des meubles et colis ; il faut presque une personne dans chaque pièce, car les déménageurs ahuris ne savent où donner de la tête en pareil cas.


Je n’ai que quelques mots à dire du déménagement à Paris pour Paris. Si par certains côtés, surveillance, précaution, etc., il rentre dans le cadre de cette étude, par d’autres, il lui échappe complètement, car il est soumis à des nécessités d’ordre spécial.

La première est la célérité, et l’on est bien forcé d’en passer par toutes les exigences des déménageurs et de leur laisser emporter les objets quand et comme ils veulent.

Il n’y a pas lieu à emballage en caisse, sauf pour ce qui est très précieux ; point de ballots non plus, puisque le va-et-vient des paniers qu’on emporte pleins et qu’on rapporte vides suffit à tout. Le déménageur fournit tout le matériel d’emballage et en débarrasse l’appartement. Beaucoup de choses d’ailleurs peuvent être portées à bras et mises en place immédiatement. Assurément les risques sont nombreux, mais il est bien difficile de les diminuer, car la direction des mouvements appartient au chef déménageur.


Comme type de petit déménagement nous prendrons celui où on quitte sa « maison de ville » pour sa « maison des champs » ; l’installation aux bains de mer, dans une maison meublée, n’en différant que par des points de détail sans importance. On n’a guère à transporter que ses effets personnels et ceux de toute la famille, et parfois une provision de linge de table et de maison.

En effet, on trouve vaisselle et batterie de cuisine sur place, et généralement le mobilier, literie, etc.

Quelques jours avant celui fixé pour la venue de la famille, la maîtresse de la maison ira s’assurer du bon état de la demeure et de ce qu’elle contient, faire ouvrir les fenêtres, laver les planchers, ramoner les cheminées, ventiler, épousseter, assainir par tous les moyens possibles l’habitation que de longs mois d’hiver ont pu rendre humide ou insalubre.

Si l’on est au printemps, il faut allumer un grand feu clair dans les cheminées, avoir soin de le surveiller, crainte d’incendie.

Il faut assurer pour le jour de l’arrivée en masse un approvisionnement aussi complet qu’il se pourra : bois de chauffage, fagots, charbon de terre — si l’on a un fourneau économique, — charbon de bois pour le potager, pommes de terre, etc., et retenir d’avance, dans une ferme du voisinage, beurre, lait, œufs.

Avant de quitter la maison, on constate de visu que tous les feux sont éteints, les fenêtres fermées, et que l’on n’a enfermé aucun animal domestique, chien ou chat, dans l’intérieur.

Revenue chez elle, la maîtresse de maison — dans la semaine qui précède le départ définitif — procède à un rangement complet de ses armoires, prend toutes les mesures nécessaires pour sauver des mites les fourrures et les objets de laine, préserver de la poussière les chapeaux, les vêtements, etc., enfin ne rien laisser traîner en son absence.

Quand toute cette besogne, fatigante et minutieuse, il faut l’avouer, est terminée, on peut s’occuper des caisses et paquets.

On a inscrit à l’avance, sur un carnet, tout ce qui doit y entrer, non pêle-mêle, mais sous diverses rubriques, une par page de carnet, pour plus de netteté.

— Linge de table et de maison, draps, couvertures.

— Pour Monsieur, linge, vêtements, chaussures.

— Pour Madame, idem, idem.

— Pour les enfants, idem, idem.

— Livres, cahiers, musique, album, accessoires pour travaux d’art.

— Pharmacie, suit le détail.

— Provisions, idem.

— Ustensiles de cuisine.

— Vaisselle, lampes, bougeoirs, etc.

Le jour consacré à l’emballage, on ferme sa porte, autant que possible, on fait choix d’une pièce vaste, salle à manger ou vestibule, on fait étendre par terre de vieux tapis et apporter les malles, caisses, récipients, qu’on va utiliser.

Je prie mes lectrices de se reporter à ce qui précède pour la question d’emballage ; seulement, pour ce genre de voyage, qui s’effectue en général vite et facilement, les paniers peuvent très bien remplacer les caisses, trop lourdes généralement. Il en existe de toutes sortes, depuis le beau panier à linge en aloès jusqu’au rustique panier à vins.


Après avoir parlé longuement de tout ce qu’on emporte, il nous faut, avant de quitter le sujet, parler aussi de ce qu’on laisse.

Quand on déménage en grand et pour tout à fait, on ne laisse que de la poussière, des bouts de bois, des bouts de chiffons, des bouts de papiers, des cartons défoncés, etc.

Il est de tradition, sinon écrite dans le bail, du moins adoptée en tous pays, que le local doit être remis au propriétaire dans un état de propreté complète.

Comme on ne peut surveiller par soi-même les opérations nécessaires pour arriver à ce résultat, on en charge une personne de confiance, homme ou femme de journée, et l’on prie quelque ami dévoué habitant le pays de s’assurer que les choses ont été bien faites et de régler la dépense.

Quand on s’absente pour un temps restreint, en voyage ou en villégiature, la question est beaucoup plus compliquée, car il faut pourvoir à la sécurité et à la conservation de ce que contient le logis.

Parlons d’abord de ces « biens de fortune » pour lesquels un si petit volume représente une si grosse valeur.

Les opinions sont très partagées sur ce sujet. Les uns laissent tout chez eux : titres, papiers de famille, diamants, bijoux, argenterie ; d’autres emportent tout avec eux-mêmes.

Je sais des jeunes femmes qui, en voyage, sont constellées de diamants, sous prétexte qu’il est plus sûr de les promener ainsi que de les exposer au risque d’être cambriolés.

D’autres encore portent dans un sac ou dans une valise tous ou presque tous leurs objets précieux, mais gare aux distractions ou aux pick-pocket !

Une vieille demoiselle sauva ainsi toute sa petite fortune, il y a une quarantaine d’années.

Un chaud dimanche de juin, au soir, un bec de gaz mit le feu à un étalage de lingerie dans les magasins du Grand-Condé, au coin de la rue de Seine et de l’École-de-Médecine. En quelques minutes tout flambait ! Il n’y avait à cette époque-là ni les avertisseurs électriques ni les pompes à vapeur. Le service d’eau de la ville, imparfaitement organisé, fonctionnait mal, les secours furent très longs à se produire efficacement ; en moins d’une demi-heure, les bâtiments ne formaient plus qu’une masse de feu, et la chaleur était si terrible que, dans les deux rues, les maisons d’en face commencèrent à brûler.

Beaucoup de leurs habitants, passant leur journée à la campagne, avaient commis l’insigne imprudence de laisser leurs croisées ouvertes ; les flammèches, les morceaux d’étoffes embrasées emportées par le vent, entrèrent par là, et plus d’une famille revenant chez elle après une bonne journée de plaisir dut, le désespoir au cœur, s’arrêter devant le terrible spectacle d’un incendie impossible à braver.

La demoiselle en question avait, dit-on, l’innocente manie de ne jamais faire une absence un peu prolongée sans porter sur elle, dans de vastes poches cachées sous ses jupes, ses titres de rentes, ses petits bijoux et souvenirs précieux. Elle n’eut à déplorer que la perte de son mobilier, couverte en partie par les assurances.

Je ne la cite point d’ailleurs comme un exemple à suivre.

Il y a maintenant à Paris et dans toutes les grandes villes des maisons de banque où on peut en toute sécurité déposer ses valeurs, même artistiques. Pour une somme relativement minime, on loue à tant par mois des coffres-forts de toutes dimensions, où tout ce que l’on possède de précieux peut reposer à l’abri du feu, des voleurs et de l’eau. C’est une si grande sécurité qu’il n’y a point à hésiter, selon moi.

Il va sans dire que le chef de la famille, ou sa femme à son défaut, doivent présider eux-mêmes à la mise en place. Ce n’est pas là un genre de mission qu’on puisse confier à des tiers.

Si, dans l’endroit qu’on habite et que l’on va quitter momentanément, il ne se trouve pas de facilités de ce genre, on peut avoir recours à des parents ou amis sédentaires qui consentent à se charger de vos trésors.

Je ne saurais trop insister sur ce point, que, quel que soit le degré d’intimité ou de parenté qui vous lie à la personne qui veut bien recevoir un tel dépôt, il est de son intérêt comme du vôtre que toutes précautions soient prises pour mettre à couvert les responsabilités.

Notre intérieur a bien des fois rendu ce genre de service ; j’ai toujours exigé que titres et papiers de famille me fussent remis enveloppés d’une toile cousue, scellée du cachet du dépositaire, et les bijoux et argenterie dans une boîte en bois entourée d’une cordelette scellée de même. Il n’y a pas là un témoignage de défiance outrageante pour l’un ou pour l’autre, mais un acte de haute prudence, propre à conserver les liens d’amitié dans toute leur intégrité.

Telle est en effet l’incertitude des choses humaines qu’on ne peut répondre de sa santé, de sa vie, de celle de ses proches. Et puis une espièglerie d’enfant, une curiosité de serviteur, un malentendu d’employé, ne peuvent-ils pas amener les plus déplorables complications ?

« J’ai reçu un paquet scellé, je vous le rends avec les sceaux intacts », voilà en quelques mots le code du déposant et du dépositaire.

Quand on doit être hors de chez soi pendant un assez long temps, il est nécessaire de prendre toute une série de précautions pour défendre son mobilier et ses effets contre la poussière.

Il va sans dire que la première est un nettoyage complet. Quand il est terminé, on couvre les meubles de leurs housses, les lustres, appliques, candélabres, de leurs enveloppes en gaze imperméable, on range dans une armoire tous les bibelots qui garnissent les tables, consoles, etc., les albums, les collections de gravures. On jette sur les meubles fins qui n’ont pas de housses spéciales de vieux rideaux ou des voiles de percale ad hoc ; on voile de même les bustes, les statuettes, les potiches et les objets trop volumineux pour être mis dans les armoires.

Il y a des intérieurs où l’on enlève les rideaux, portières, tentures en soie brochée, en étoffes précieuses, et après les avoir bien secoués, passés à la brosse douce et étirés, on les met en ballots.

Cette pratique, qui a l’inconvénient de défaire des drapages parfois fort compliqués, ne me paraît pas utile dans un appartement où, les volets et les châssis de fenêtres fermant bien, on n’a pas à craindre l’invasion du soleil et de la poussière.

Dans le cabinet de travail, tous les paquets, livres, etc., devront être remis dans les cartons et les bibliothèques.

Dans les chambres à coucher, les lits défaits à fond, les couvertures repliées, tout le linge de couchage, de toilette, mis en paquets pour le blanchisseur, les eaux de toilette vidées, les placards mis en ordre et fermés à clé.

Dans la salle à manger et la cuisine, mêmes précautions en ce qui concerne le linge de table et d’office.

Il y a de plus à s’assurer que, dans les armoires, il ne reste ni viandes, ni graisses, ni fromage, ni fruits, ni substance d’aucune sorte susceptible de s’altérer et d’empester à fond tout un buffet.

Une maîtresse de maison entendue qui prévoit un départ s’arrange de façon à avoir un approvisionnement très restreint. Quant aux menus restes, réunis dans un panier, ils font la joie de quelque pauvre ménage des clients de la famille. Rappelons qu’il faut avoir grand soin de ne pas enfermer par mégarde quelque animal domestique, voué ainsi par l’incurie de ses maîtres à succomber dans les tortures de la rage ou à périr d’asphyxie au fond d’un tiroir.

Enfin il faut faire la visite du fourneau de la cuisine pour vérifier s’il est complètement éteint, inspecter le compteur à gaz et tous les robinets des becs — ceci est très important, — car un seul robinet laissé ouvert peut amener une terrible explosion ou au moins causer de graves dommages aux dorures, aux tableaux, aux tentures, sans compter la note de la compagnie du gaz ! (Voir Le Tour du Monde en quatre-vingts jours.)

Toutes les clés doivent être réunies dans une boîte ou un tiroir sous une seule qu’emporte le maître de la maison.

« Monsieur » reste le dernier à bord, comme un capitaine de vaisseau ; il sort après un dernier coup d’œil jeté dans toutes les pièces. — Tout est clos, silencieux, obscur, — on n’a rien oublié, ni malle, ni valise, ni colis « à la main ». Maîtres, enfants, serviteurs, sont sur le palier ou dans la cour, la clé grince dans la serrure, un, deux tours d’une main ferme. All is right ! On peut partir ! Ouf !

Il y a là de quoi perdre la tête, vont dire mes lectrices. Il est au-dessus des forces humaines de penser à tant de choses, toutes à la fois, pour ainsi dire. Le don d’ubiquité ne suffirait pas pour mener à bien une telle entreprise. Il faudrait être à quatre, six, dix endroits en même temps !

D’abord, répondrai-je, on peut être aidée par son mari, par ses enfants, s’ils ont l’âge de raison, par des parents, des serviteurs, quoique le proverbe : « Ne t’attends qu’à toi seul » ait plus que jamais sa raison d’être en pareil cas. Ensuite on échelonne les besognes. Les arrangements de mobilier, certaines fermetures d’armoires, peuvent être faits quelques jours à l’avance.

Enfin, pour le jour du départ, on simplifie l’existence autant que possible en faisant peu ou point de cuisine. Dès la veille, on a fait préparer des pièces de résistance, rôti, volailles, pâtés, terrines de viandes en gelées, etc., dont les reliefs seront fort utiles pour l’arrivée à la campagne.

Dans les villes, on trouve en cinq minutes les éléments d’un ou plusieurs repas chez le marchand de comestibles. Enfin, c’est, par-dessus tout, affaire d’entraînement.

Une maîtresse de maison active et entendue a une telle habitude de direction pratique que, sous son coup d’œil et son coup de main, les choses semblent se faire d’elles-mêmes.

Qu’on me permette une comparaison :

Voici une très bonne musicienne : on lui apporte un morceau de musique de chant savant et compliqué.

Elle se met au piano, elle lit à première vue et ensemble : 1o la ligne du chant ; 2o la ligne des paroles ; 3o le dessus de l’accompagnement ; 4o la basse ; ces deux lignes-ci, comprenant parfois des accords de trois ou quatre notes. Pendant qu’elle lit, sa main droite et sa main gauche vont, comme d’instinct, chercher les touches qui répondent à sa lecture, chaque doigt se lève ou s’abaisse à son rang et en passant par des difficultés spéciales, quant au doigté, et ce prodigieux travail mental et physique s’accomplit avec une aisance apparente, réelle même si l’artiste est très forte.

A le bien analyser, à se rendre compte des efforts multiples, simultanés et variés qu’il réclame, il semble lui aussi au-dessus des forces humaines, et cependant que de personnes s’y livrent journellement ! Il en est de même de certains jours de labeur pour les maîtresses de maison. Elles cumulent tous les emplois, se montrent partout à la fois, savent tout voir, tout entendre, tout vérifier, n’oublient rien, ne négligent rien, et sont payées de leurs peines par le bon ordre du petit univers soumis à leurs lois.

Faut-il les plaindre ? Non ! vraiment non !

C’est une grande joie que de se sentir capable de beaucoup faire pour le bonheur des siens, et de se rendre le témoignage qu’on a donné de soi, de ses forces vives, tout ce qu’on pouvait donner… Mais j’en conviens, c’est au prix de beaucoup de fatigues, et quand tout son monde est couché, que la maison est tranquille et silencieuse, il est bien excusable de se laisser tomber dans un fauteuil en s’écriant : « Quelle journée ! Je n’en puis plus ! »

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