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Une maison bien tenue : $b Conseils aux jeunes maîtresses de maison

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CHAPITRE X
L’armoire au linge.

Il y a quelque temps, je lisais dans un journal féminin, — mais pas féministe, — un article où l’on traitait la question qui va nous occuper. On y indiquait comment il faut s’y prendre pour ranger en bon ordre tout le linge de corps, et même le linge de maison ! dans une armoire à glace.

Je fus d’abord, je l’avoue, profondément stupéfiée puis, à la réflexion, je pensai que les armoires à glace étaient sans doute, maintenant, de dimensions grandioses, tandis que, d’autre part, la provision de linge à l’usage d’une famille moderne devait être réduite au strict nécessaire, à ce nécessaire très strict, dont parlaient nos grand’mères en ces termes un peu gaulois :

« Une chemise au dos, une sur la planche et une à la lessive. »

Je me dis aussi que, par le temps de machines à coudre où nous vivons, rien n’est plus aisé, si la blanchisseuse fait faux bond, que de se précipiter chez le marchand de lingerie le plus voisin, voire même de téléphoner : « Envoyez-moi ceci, cela, et cette autre chose. »

Je supposai encore qu’il ne s’agissait point d’une famille de huit à dix personnes, qu’enfin le linge de « Monsieur », celui de la cuisine et de la domesticité, n’étaient point compris dans le total.

Mais, avec toutes ces concessions, — faire tenir draps, nappes, serviettes, taies d’oreiller, chemises, pantalons, etc., etc., etc., dans une armoire à glace…???

Je me suis souvenue alors — avec plaisir — d’avoir bien des fois constaté à Paris, dans les vestibules, dans les antichambres, la présence de ces belles armoires bretonnes ou normandes, dont les riches tons de chêne ou de noyer réjouissent l’œil. Elles sont vastes, solides, bien aménagées, et, dans leurs flancs spacieux, tout le linge d’un ménage parisien — ou de grande ville — peut tenir sous bonne clé. Les armoires à glace sont alors réservées pour l’usage personnel de Madame.

Celles de mes lectrices qui ont conservé peu ou beaucoup des traditions d’autrefois, celles aussi qui habitent la campagne ou la province me suivront peut-être avec intérêt dans mes explorations à travers cette partie du domaine familial si essentiellement dévolue à la maîtresse d’une « maison bien tenue » : la lingerie.

S’y rattachent le soin de la conservation du linge, des vêtements, fourrures, etc.

Là encore je n’abuserai point, j’userai à peine des recettes spéciales. Ce sont plutôt les principes généraux que je m’efforcerai de dégager et d’établir.


Avant d’avoir du linge à ranger il faut l’acheter, tout fait, ou le faire confectionner. Jadis, ce dernier point tenait une large place dans la vie des bourgeoises, même les plus aisées. Écoutez Molière :

Leurs ménages étaient leurs doctes entretiens
Et leurs livres : un dé, du fil, et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.

Aujourd’hui les travaux féminins ont pris une autre direction. Les femmes que leur fortune met au-dessus de la nécessité d’un travail visant à l’économie occupent leurs loisirs au logis, si elles sont laborieuses, par des ouvrages d’agrément où elles savent mettre beaucoup d’habileté, de goût artistique et même d’imagination créatrice.

Qu’on le prenne tout fait, qu’on le fasse faire chez des spécialistes, couvents, ouvroirs, etc., ou qu’on se décide à le faire coudre chez soi, la loi d’une sage économie s’impose toujours dans les mêmes termes : il faut choisir de bonne étoffe, en employer une quantité suffisante pour que les objets confectionnés ne soient ni trop courts ni trop étroits et la travailler avec de bon fil.

C’est une absurde économie que d’acheter « de la confection » ou des étoffes à bon marché. La façon est la même que pour des matériaux solides et l’usage est dix fois moindre. Il faut donc renouveler plus souvent et le déboursé s’augmente de façon désastreuse.

Je voudrais faire pénétrer dans l’esprit des jeunes femmes chargées de la direction d’une famille cette vérité, bien simple et trop méconnue en général :

« Quand on achète à bon marché, on n’en a jamais que pour son argent. »

Le marchand ne peut pas fournir à bon marché, de bonne marchandise. Il a dû lui-même, pour se la procurer, y mettre un prix élevé ; alors, pourquoi voulez-vous qu’il ne rentre pas dans ses débours, auxquels s’ajoutent les frais généraux, si lourds aujourd’hui pour le commerce ?

Je vais au-devant des objections :

Voyez, va-t-on me dire, telle et telle grande maison ; elles se contentent d’un petit bénéfice et vendent à prix modéré.

Ces maisons-là, je l’affirme, ne font point de réclame sur les affaires sérieuses, qui sont le fait d’une clientèle sérieuse, et les prix, quand il s’agit de ces très belles qualités qu’ils appellent extra, s’égalisent partout.

Mais, ajoutera-t-on, il y a d’autre part des fournisseurs en vogue qui vendent dix pour cent, cinquante pour cent plus cher qu’ailleurs tel objet qui n’en vaut pas mieux.

Cette majoration dans les prix que l’on trouve surtout à Paris, où se crée la renommée, n’est en somme qu’une prime accordée par l’orgueil du client. On veut pouvoir se vanter d’être fourni par X… ou Z… C’est un luxe : on le paie. « On paie tous les luxes. » Cet axiome économique se vérifie sans cesse et partout.

Remarquez d’ailleurs que les maisons dont on vient de parler ont presque toujours à cœur de justifier leur haute réputation en ne livrant que des produits irréprochables.

Enfin, une dernière objection :

Il y a de vraies occasions, des départs, des décès, des faillites, des liquidations…

Assurément, mais, d’une part, il faut s’y connaître très bien pour tirer un profit réel de ces tristes occurrences, de l’autre, elles ne sont jamais qu’une exception, et vous ne pouvez compter qu’il s’en présentera une juste au moment où vous aurez besoin de renouveler votre stock.

Pour résumer ce qui précède, je dirai : Fournissez-vous de linge en quantité raisonnable, en qualité solide et résistante (on peut y arriver même dans les sortes fines) et sacrifiez, s’il y a lieu, du côté des garnitures et fanfreluches pour avoir le fond beau et bon.


On a tout dit sur l’abus des grandes provisions de linge, sur la place démesurée qu’elles occupent, l’entretien qu’elles exigent, le capital qu’elles immobilisent, etc. Il y a, je ne saurais le nier, un fond de justesse dans ces critiques, surtout en ce qui concerne le linge de corps proprement dit. Ce ne sont pas seulement les modes qui changent, ce sont aussi les tailles. Telle jeune femme, mince et fluette à l’époque de son mariage, sera, dix ans plus tard, une grosse boulotte qui ne pourra plus entrer, sans les faire craquer, dans les jolies fantaisies de son trousseau et sera obligée de renouveler tout son linge personnel, laissant inemployées les douzaines de chemises et de pantalons dont le ruban n’aura pas même été dénoué.

Pour le linge de maison, cet inconvénient n’est pas à redouter. Les reproches d’occuper trop de place et d’être un capital mort sont plus justifiés, encore faut-il remarquer qu’ils n’ont vraiment leur raison d’être que pour la vie à la ville, où l’on peut faire blanchir hors de chez soi tous les huit jours, tous les quinze jours au plus.

A la campagne, on n’a pas cette ressource ; il faut, de toute nécessité, faire de grandes lessives, et, comme c’est une opération qui pour être menée à bonne fin demande plusieurs jours, un surcroît de personnel à nourrir et, autant que faire se peut, un beau temps, on ne peut la recommencer souvent. Il y a des familles rurales qui, s’obstinant à conserver les vieilles traditions — et y trouvant même la source d’un orgueil mal placé ! — ne font la lessive qu’une fois l’an, pour les grosses pièces.

C’est là un système tout à fait contraire à l’hygiène du logis et même à celle du linge, s’il est permis de parler ainsi. Dans cet énorme entassement d’étoffes plus ou moins souillées, il se produit des fermentations désastreuses. Je sais que l’on fait tous les quinze jours un « bouillage » pour tout ce qui exige un lavage prompt ; mais ceci n’est que demi-remède au mal.

Faire la lessive tous les trimestres est plus pratique ; seulement, remarquons qu’en hiver, avec le froid, la brièveté des jours, le séchage n’en finit plus, surtout pour les grandes pièces. On est donc forcé de garder les draps, rideaux, couvertures, etc., pour les lessives de printemps et d’été, ce qui oblige à en posséder un stock très considérable, surtout si la maison compte beaucoup de lits… et nous voilà revenues, quoi qu’on en ait, aux armoires remplies de linge.

Il n’y a donc pas lieu à donner ici des chiffres comme base pour l’achat du linge. Chaque famille se comporte suivant les nécessités de sa situation et aussi l’étendue des ressources qu’elle possède pour y faire face.

Je ne puis cependant laisser passer sans le mentionner le reproche fait aux Parisiennes, — et que j’ai vu bien souvent applicable aux provinciales ! — de sacrifier aux dépenses de luxe, de toilette et de plaisir, tout ou partie du confortable de la maison et de condamner elles et les leurs à une lamentable pénurie en fait de linge.

Je voudrais croire qu’il n’est pas fondé, car c’est chose honteuse que de placer le désir de paraître et la satisfaction des goûts les plus frivoles au-dessus de la santé, du bien-être et de la dignité de toute une famille. De la santé, car l’hygiène exige que le linge où l’on couche et celui que l’on porte soient fréquemment renouvelés ; — de la dignité, car un intérieur où l’on voit aux fenêtres des rideaux gris et enfumés, sur la table une nappe marbrée de taches multicolores, dans les lits des taies d’oreiller graisseuses, — où le chef de famille laisse voir cols et manchettes d’une propreté très douteuse, où les enfants, sous des robes à effet, ont du linge en guenilles, cet intérieur-là est « déclassé ». Il n’inspire que le dégoût et l’indignation contre la maîtresse du logis, que ce soit à sa négligence ou à son incapacité qu’est dû un tel désordre ou, ce qui est bien pis, à son amour pour la parure, amour égoïste et ruineux.

Je voudrais, je l’avoue, voir les familles modernes revenir un peu aux usages du temps jadis sous ce rapport, et, quand il s’agit de composer un trousseau, diminuer le nombre des colifichets et des atours, pour augmenter celui des paires de draps et des services de table.

Tout le monde sait que, de même qu’il y a des robes de grande toilette, de demi-toilette et de « tous les jours », il convient d’avoir, pour le linge de table et celui du coucher, des séries très fines, fines et ordinaires. Ce serait un affreux gaspillage que de faire servir constamment les beaux services en toile damassée, les draps et taies d’oreillers en toile très fine ornés de broderies et de dentelles.

J’ai déjà dit à plusieurs reprises que je m’adresse ici aux intérieurs simplement aisés. Le luxe fastueux des grandes fortunes n’y est point de mise, et la continuité d’un ordre sagement établi est bien préférable à des hauts et des bas qui sont toujours un peu de la bohème, dorée ou non.

Les parents qui marient leurs filles doivent donc, à mon avis, prévoir pour elles ce train-train de « tous les jours » dont, après tout, la très grande partie de la vie est faite et largement garnir les planches de l’armoire au linge réservées au service quotidien. La jeune fiancée elle-même a tout à gagner à se montrer dès cet instant une ménagère précoce et sérieuse et à laisser supprimer sans nulle protestation quelque élégant chiffon qui ne durera que « l’espace d’un matin ! »

Linge de lit, de table, de service, linge d’office, depuis la serpillière indispensable aux grossières besognes des nettoyages jusqu’aux fins torchons réservés (comme le dit leur étiquette brodée en rouge) aux cristaux et aux meubles, tabliers de cuisine en grosse toile, écrue ou bleue, tabliers de valet de chambre, de femme de chambre, serviettes d’office, essuie-mains, etc., etc., il faut avoir de toutes ces choses et les renouveler assez souvent pour que la domesticité, prise de court, ne se serve pas de chiffons sordides, ou, — ce qui arrive trop fréquemment, ne remplace pas par des serviettes de table les torchons qui lui font défaut.

« Les serviettes de table et de toilette ne doivent servir qu’à la table et à la toilette », c’est là un axiome dont les bonnes maîtresses de maison sont pénétrées et elles exercent une surveillance active, sévère même, pour empêcher toute infraction à la loi, sur ce point.

Il faut, au commencement de chaque semaine, distribuer le linge propre qui sera nécessaire pour la maison, tant pour l’usage des maîtres que pour celui des domestiques et tenir en lieu sûr la clé de l’armoire au linge ; c’est le seul moyen d’éviter, ou de diminuer, les larcins et le désordre.

Je vais peut-être soulever bien des récriminations si j’affirme — audacieusement ! — qu’une maîtresse de maison soucieuse de l’intérêt de la famille doit compter le linge donné au blanchissage, à sa sortie et à sa rentrée, et l’examiner avant son rangement définitif. Dans ma jeunesse, — elle est lointaine, je l’avoue, — cela se faisait dans la plupart des intérieurs, même riches. Le linge d’une « bonne maison » était chose précieuse et coûteuse. Les procédés mécaniques, beaucoup moins perfectionnés qu’ils ne le sont à présent, ne permettaient pas la fabrication à bon marché. Le fil moins étiré, le travail de tissage plus serré, donnaient des toiles de lin, de chanvre, de coton, infiniment plus résistantes ; il y avait donc honneur et profit à avoir de beau linge et à le soigner, car on ne le renouvelait pas sans dépenser beaucoup d’argent pour l’acheter et beaucoup de temps pour le mettre en œuvre.

« Nous avons changé tout cela » et le souci du linge ne prend plus une si grande place, surtout dans les villes, où le blanchissage est meurtrier.

N’importe ! dussé-je me poser en sœur cadette de Cassandre, l’infortunée prêtresse dont les Troyens rejetaient si dédaigneusement les conseils, je dirai aux jeunes maîtresses de maison : « Mes amies, n’abandonnez pas à une femme de chambre insouciante ou incapable la direction de votre linge. Ayez le courage de le faire compter devant vous, c’est ainsi que vous pourrez découvrir les sévices dont il est victime : brûlures, taches d’encre, emploi illégitime, etc.

Comptez-le aussi quand il revient du blanchissage ; assurez-vous qu’on n’a pas changé vos belles chemises, vos jolis pantalons, contre quelque guenille à bon marché, que vos paires de draps, vos services de table, ne sont pas dépareillés, que le linge de votre mari est au complet.

Faites examiner devant vous, — examinez vous-mêmes, ce qui vaut encore mieux — l’état du linge rendu, les boutons à remettre, les dentelles à recoudre, les reprises à faire, les poignets à changer, etc.

Quand on reçoit le linge sans qu’il soit repassé, cette révision est facile : on a, près de soi, deux paniers réservés à cet usage, l’un contient le linge bon à repasser, l’autre le linge à réparer ; mais à la ville et dans la plupart des intérieurs, soit que la place manque pour les grands repassages, soit qu’on préfère ne pas en prendre l’embarras chez soi, on reçoit de la blanchisseuse le linge tout repassé et l’examen oblige à le déplier légèrement, ce qui est cause que l’on s’abstient, en quoi l’on a tort, car dans une « maison bien tenue » on ne doit pas voir une pièce de bon linge trouée, s’il se peut.

Il n’y a que deux moyens de faire disparaître les trous : des reprises, ou des pièces…

Les familles qui n’ont que de modestes ressources sont bien forcées d’avoir recours à ces louables mais fâcheux expédients.

Je ne puis qu’admirer le patient labeur d’une bonne mère cherchant à prolonger l’existence d’effets que son budget ne lui permet pas de remplacer ; mais je conviens que, pour peu qu’il règne une certaine aisance chez eux, les gens bien élevés ne se servent point de linge rapiécé, draps, taies d’oreillers, nappes ou linge de corps. Les reprises, très fines, faites avec habileté, sont seules admissibles ; du reste, le linge au XXe siècle, est, en général, si peu solide, qu’il supporterait mal les réparations. Ce qu’il faut toujours surveiller de près et réparer aussitôt qu’ils se produisent, c’est ce qu’en style de ménagère on appelle des clairs, c’est-à-dire les endroits où le fil aminci rend le tissu mou et lâche. En reprisant les clairs à temps, on recule indéfiniment l’apparition des trous.

Voici le linge repassé, bien séché, bien plié ; — l’art du pliage est une partie importante de celui du repassage ; ce n’est pas ici la place d’en donner les règles ; nous rappellerons seulement ici cette loi essentielle que les pièces de linge appartenant à la même série doivent présenter, une fois pliées, les mêmes dimensions, exactement, ceci est indispensable à l’ordre et à la solidité des piles. C’est par piles, en effet, que se case le linge sur les planches des armoires ; les planches devront être disposées de façon à faciliter le rangement et le maniement des pièces.

Je prends comme type une de ces vastes armoires dont j’ai parlé plus haut. On réservera dans le bas deux ou trois planches, dans toute leur largeur, pour les draps. Ils y seront mis par paire, les deux draps formant la paire (portant la même marque et le même numéro d’ordre) pliés séparément d’abord, puis réunis l’un dans l’autre de manière à ne présenter qu’un seul pli.

Toutes les paires de la même série forment une pile, où ces plis sont tous du même côté. Sans cette précaution, la pile présenterait un aspect de désordre désagréable à l’œil.

Pour me faire mieux comprendre, je comparerai la paire pliée en double à un volume relié. Tous les dos sont mis les uns sur les autres, toutes les tranches par conséquent se trouveront tournées vers le fond de l’armoire, ce qui protège les ourlets contre la poussière.

Ajoutons que cette observation s’applique à tous les objets de linge, qu’il s’agisse de draps, nappes, serviettes, torchons, mouchoirs ou chemises. Quand on forme la pile, le pli que j’ai appelé dos doit se trouver sur le côté du devant et la tranche sur celui de derrière.

Il est d’une bonne pratique d’entourer d’une légère enveloppe blanche les belles pièces qui servent rarement. On évite ainsi la désagréable surprise de trouver, au moment où l’on va s’en servir, ces longues traces jaunes que prennent les plis à la longue. Il y a des pays où cette précaution s’impose pour tout le linge, sans exception, la fumée grasse des usines, les menues parcelles de charbon dont l’air est chargé, pénétrant dans les endroits les mieux clos.

Dans les armoires à linge, les planches principales, larges et profondes, sont forcément séparées les unes des autres par une hauteur considérable, disposition qui ferait perdre beaucoup de place si l’on ne remédiait à ces inconvénients par ce que j’appellerai des demi-planches, c’est-à-dire une planche large de 20 à 25 centimètres qui fait étagère entre les deux planches principales. On y range les piles de taies d’oreiller, de serviettes de toilette, etc., réservant la grande planche pour les services de table.

La même disposition est à recommander pour l’armoire de « Monsieur ». On y met en bel ordre, sous les yeux et sous la main, les mouchoirs de poche, les paires de chaussettes, etc., tout le menu fretin qui ferait désordre au milieu des grosses pièces.

Le linge d’office doit avoir sa planche à part, ou, mieux, sa petite armoire spéciale.

Un mot, en terminant, sur le linge de « ces messieurs ». C’est un de leurs principaux luxes. Ils n’ont point la ressource, lorsqu’ils veulent « se faire beaux », des velours, des satins, des dentelles, des broderies ; une coupe élégante pour le vêtement, un choix heureux pour la cravate et le gilet, et surtout du linge irréprochable, voilà leurs plus grands atours. Aussi, comme ils sont reconnaissants à la dame du logis, femme, mère, sœur ou fille, quand leur armoire est toujours bien garnie et bien rangée !

Je vais, à leur intention, donner quelques petits détails sur ce sujet important. Mes lectrices savent, mais je le leur rappellerai, que le linge empesé craint beaucoup l’humidité, qui le rend mou et flasque. Il faut donc que les chemises, faux-cols, manchettes, soient tenus dans un endroit très sec ; les chemises, à plat, — plastron contre plastron. Cette précaution si simple empêche les devants de se défraîchir. Sur la pile, une grosse mousseline, étendue pour la défendre contre poussière et fumée. Les faux-cols et les manchettes seront arrondis au repassage, tandis qu’ils sont encore chauds, ce qui leur évite la brisure du glaçage quand on les met et les aide à conserver l’aspect de neuf. On les range dans un carton juste assez large et assez haut pour qu’ils gardent leur forme. Les boîtes où ils sont quand on les achète doivent être conservées pour cet usage.

Ne pas mélanger les cols et manchettes ayant déjà été blanchis avec ceux qui n’ont pas encore servi. Il y a des cas où « Monsieur » aime à se parer de linge tout à fait neuf.

Il faut inspecter très souvent les tiroirs et armoires dudit « Monsieur », parce qu’il a la fâcheuse habitude de déplier pièce sur pièce jusqu’à ce qu’il ait trouvé celle qui lui agrée, ou de rejeter dans l’armoire ses cols et manchettes sales, ou de mettre en tapon le caleçon auquel manque un bouton.

Récriminer et geindre est parfaitement inutile ; on l’assomme, on ne le corrige pas ; il est cent fois plus simple… et plus dans l’ordre, de remédier au mal.

Ranger à part, dans de petits cartons, les cravates blanches, les mouchoirs fins, tout le petit bagage des jours de gala — officiel ou autres — et veiller à ce que pour les mêmes occasions il y ait toujours un fonds de linge très soigné et prêt à servir.

Tenir au complet la provision de mouchoirs de poche. Nos messieurs en perdent, en salissent, en gaspillent beaucoup, il faut les renouveler souvent et ne pas attendre les reproches de négligence, il est si facile d’aller au-devant d’eux.

C’est par ces menues attentions, répétées chaque jour, que se créent, s’entretiennent et s’accroissent, dans un jeune ménage, ces douces habitudes de confiante et affectueuse estime, lien si fort, si durable et si cher au cœur !

Avant de quitter l’armoire au linge, il est à propos de rappeler que tout n’est pas neuf, dans ce qui la garnit.

Un rangement bien compris réserve à chaque catégorie, non seulement comme sorte, mais aussi comme âge, une place distincte, et l’on doit adopter un pliage différent pour les serviettes, les torchons, les mouchoirs même, qui appartiennent à la série du vieux linge, faute de quoi, et pour peu qu’ils aient conservé un peu de tournure, on les confond avec les pièces en bon état, et gare aux surprises du dépliage !

Il faut du vieux linge dans une maison, et cela est si vrai que les mères prévoyantes ajoutent toujours au trousseau d’une jeune mariée un petit ballot discret contenant vieux draps, vieilles serviettes, vieux mouchoirs.

Les vieux draps servent d’alèzes en cas de maladie, les vieilles serviettes et les mouchoirs, en cas de pansements grands ou petits et aussi pour nettoyer les bibelots fins, les bijoux, etc.

Les vieilles chemises, les vieilles flanelles, sont bien utiles dans les cas où il est nécessaire de changer un malade sans lui donner de secousses, parce qu’on ne craint pas de les déchirer, de les couper, de les brûler avec des médicaments corrosifs.

Tout ce vieux linge doit avoir passé à la grande lessive. Un savonnage le nettoie mal, le fait jaunir et lui fait prendre mauvaise odeur.

Quand il est bien sec, on l’enferme dans un sac de coutil, solide, épais, bien clos.

Un petit sac de même sorte contiendra les bandes roulées, toutes prêtes à être employées en cas de fracture, de foulure, etc. On fait provision de ces bandes lorsqu’on répare des draps fatigués en exécutant le travail que l’on appelle « changement de lé » et qui consiste à rassembler les lisières du bord par un surjet qui deviendra la couture du milieu du drap, tandis que l’ancien milieu, élimé et souvent troué, est enlevé sur toute la longueur du drap et sur une largeur qui varie suivant l’étendue des dommages. Un ourlet remplace alors la lisière disparue.

Les petits draps ne se prêtent pas à cette opération qui les rendrait par trop étroits, mais les draps de grands lits, ainsi traités, peuvent encore faire bon service pour les lits d’une personne.


Si, pendant le cours journalier de l’existence, il est à désirer que linge, vêtements, tout ce qui, dans ce genre, sert dans la maison et aux divers membres de la famille, soit, grâce aux soins qu’y apporte la maîtresse du logis, tenu en ordre et en bon état, il est des époques où il faut procéder à une inspection générale des armoires, des tiroirs, des malles, cartons, boîtes, etc., de tout ce qui contient un objet susceptible de détérioration, par le fait de la poussière, de l’humidité, des mites et des souris.

C’est surtout aux changements de saison que cette lourde besogne, comparable aux inventaires qui se font chez les commerçants, est indispensable.

On choisit, pour la faire, un jour bien ensoleillé, afin de pouvoir tenir les fenêtres ouvertes, car il faut aérer largement le contenu et le contenant des armoires.

Commençons par le rangement de printemps, le plus important de tous.

On fait réunir toutes les fourrures, tous les pardessus et robes d’hiver, les tricots de laine, châles, pèlerines, fichus, etc. On les fait battre avec une vergette d’osier, on fait vider les poches, on tâte les doublures pour s’assurer qu’il ne s’est rien glissé entre elles et le dessus, et quand tout est aussi propre que possible, on procède aux soins qui ont pour but de le défendre contre les ennemis qu’attire la chaleur.

Pour les fourrures, il y a deux systèmes : je les expose sans prendre nettement parti entre eux.

1o Celui de l’air libre qui consiste à pendre les objets à des portemanteaux, dans une armoire bien fermée, mais sans nulle protection. Il oblige, si on ne veut pas leur faire courir de grands risques, à visiter très souvent les fourrures, à les secouer, à les battre. Cela se pratique chez les fourreurs, qui ont des gens spécialement préposés à ce service, mais est fort compliqué dans une maison particulière.

2o La seconde méthode quand elle est strictement appliquée donne de bons résultats, mais la moindre fente dans les enveloppes peut laisser passer l’ennemi, aussi ténu qu’implacable, qui portera la dévastation partout où il se logera.

On peigne, très doucement, avec un démêloir de grosseur moyenne, la fourrure en suivant le sens du poil. Si, pendant cette opération, il se détache des bouquets de poils, c’est que les mites ont déjà commencé leur œuvre néfaste.

Il faut alors frotter la fourrure avec un tampon imbibé de naphtaline, d’éosine, de pétrole même si l’on n’a rien de mieux sous la main, enfin, d’une essence de ce genre. On frotte la peau sur tout l’envers, et, à l’endroit, à la naissance du poil.

Si le peignage n’a rien révélé de fâcheux, on peut procéder à la mise en boîte.

Pour un manchon, on insère au milieu une boule de naphtol (préférable au camphre qui s’évapore à la longue), puis on l’enveloppe dans un morceau d’étoffe blanche, fraîchement lessivé, sans trous, ni fentes. Il faut que le morceau soit assez grand pour enfermer hermétiquement le manchon. On place celui-ci dans son carton qu’on a soigneusement épousseté, on ajoute encore une boule de naphtol, on met le couvercle et l’on finit le calfeutrage en collant une large bande de papier fort sur le bord du couvercle à l’endroit où il s’applique sur le carton.

Quand tous les manchons sont ainsi préparés, on les range sur une planche d’armoire ou de cabinet noir, dans un endroit sec et à l’abri du soleil ; au nord, si c’est possible.

Pour les boas, pèlerines, etc., on prend les mêmes précautions que celles énumérées ci-dessus : peignage, enveloppes, boules de naphtol, fermeture des caisses et cartons par des bandes de papier collé sur toutes les fentes qui pourraient laisser entrer l’air du dehors. Ils resteront ainsi jusqu’à l’entrée de l’hiver prochain.

Pour les vêtements, il est très bon d’installer des penderies à l’ombre et au sec dans des armoires ou placards fermés par des portes à coulisses. Une tringle de fer, assez forte pour tenir bon, malgré le poids qu’elle aura à soutenir, supporte les porte-manteaux mobiles auxquels sont accrochés les vêtements. Le modèle classique, à double crochet, est le plus pratique. Le crochet d’en haut s’accroche à la tringle ; à celui d’en bas on accroche la ceinture des jupes ; les corsages sont portés par les bras du porte-manteau, bien étendus aux épaules pour éviter les faux plis qui se forment.

Même observation pour les vêtements d’homme.

Les robes de grande toilette ont la queue retroussée et rattachée par des épingles (ou mieux des cordons) à l’endroit où est la ceinture. Ces robes, comme les manteaux très riches, en velours, en satin, etc., doivent être protégées par des sacs, amples, longs et légers, qui les couvrent en entier. Si l’on ne veut pas faire les frais d’enveloppes de percaline, les anciens grands rideaux de mousseline brochée sont parfaits pour cet usage.

Les manteaux, jaquettes, costumes, etc., de tous les jours, sont pendus, comme j’ai dit plus haut, et si, faute d’espace, on ne peut avoir plusieurs armoires à sa disposition, rangés dans des caisses avec l’accompagnement obligé des boules de naphtol.

Le pliage des vêtements pour cette sorte de rangement est chose fort importante, car ils restent six mois au moins sans qu’on y touche.

Il est à peu près impossible d’entrer ici dans des détails à ce sujet. Disons, de façon générale, qu’il faut autant qu’on le peut éviter les faux plis, et placer au fond des caisses les vêtements très lourds ou déjà défraîchis, gardant le dessus pour les pièces fines.

La lingerie d’hiver, caleçons, pantalons, camisoles, etc., en finette ou en molleton, etc., est lessivée, pliée, enveloppée dans une vieille nappe d’abord, puis mise dans une seconde enveloppe (emploi des vieux rideaux de cretonne), en un petit ballot cousu qu’on range sur les planches en haut des penderies. Les bas de laine, gilets de tricot, gants et manchettes, etc., sont mis de même en ballots avec des boules de naphtol.

Il faut bien se convaincre que tout objet de laine qu’on laisse l’été sans le porter devient un nid à mites qui suffit pour infester toute une maison, et que rien n’est superflu dans les soins que l’on prend pour combattre cet infime et désastreux ennemi.

Les rangements d’été, moins considérables, consistent surtout à mettre en lieu sûr les vêtements de printemps qui ne serviront pas pendant la grande chaleur.

On peut aussi profiter de la longueur des jours, et du soleil, propice à ce genre de besogne, pour faire prendre l’air au linge contenu dans les armoires, défaire les paquets, s’assurer que rien n’est taché, chiffonné, mal en ordre ; vérifier le compte des services de table, des paires de draps, taies d’oreiller, etc., voir ce qui est à mettre en service, ou à en retirer pour en faire du vieux linge.

L’automne ramène une série de rangements analogues à ceux du printemps. Il s’agit on effet de caser, soit dans des caisses, soit en ballots, les effets d’été pour leur sommeil d’hiver. Tout ce qui peut se laver, jupes, blouses, jupons, a dû passer au blanchissage, car il ne faut point enfermer la saleté, comme disent les bonnes gens. Mais, une fois les pièces bien sèches (ceci est de toute rigueur), il ne faut pas les empeser ni les repasser, car l’empois s’altère parfois pendant l’hiver et abîme les étoffes.

Les robes de lainage fin, de soie légère, etc…, vont remplacer, sur les porte-manteaux des armoires, les robes d’hiver qui vont revoir le jour.

Il n’y a point de rangements d’hiver, à proprement parler. Tout a dû être fait en ce genre pendant l’automne.

Ces divers bouleversements laissent toujours après eux un stock plus ou moins considérable d’objets usés ou simplement trop démodés pour que même une femme raisonnable puisse continuer à s’en servir sans paraître ridicule ou mécontenter son mari.

A Paris et dans les grandes villes, on a peu d’espace et on diminue forcément la provision des reliquats, mais en province ! à la campagne ! quelles réserves s’entassent !

C’est, disons-le, presque toujours à très bonne intention.

C’est par économie… pour faire resservir plus tard des pièces démodées qui reprendront une nouvelle jeunesse en changeant de forme et de destination. C’est pour fournir aux jeunes mamans le moyen de compléter le trousseau ou le linge de leurs bébés sans bourse délier… c’est pour se créer un fonds à mettre en œuvre quand on aura des enfants pauvres à habiller, etc… Et les caisses s’emplissent de vieilleries, et les galetas s’emplissent de caisses, et les vêtements s’emplissent de… mites et un beau jour tout est à jeter sans miséricorde.

Engageons donc tout d’abord les maîtresses de maison sages à ne conserver que ce qui peut être réellement utile et à donner, pendant que cela peut faire encore un peu de service, les vêtements masculins et féminins qui ne sont plus portables par les membres de la famille.

Les pauvres ne manquent pas, certes ! mais encore faut-il distribuer intelligemment ses largesses. Il y a des miséreux, et beaucoup, c’est triste à dire, qui ne voient dans ce qu’on leur a donné qu’un objet d’échange, et cèdent à vil prix ce qui devait défendre du froid le vieillard ou l’enfant que l’on a voulu secourir.

D’ailleurs, dans la garde-robe des gens du monde, il n’est guère d’effets qui puissent faire de l’usage pour les pauvres proprement dits… les étoffes sont trop fines, la façon, les garnitures trop élégantes.

On trouve un très bon emploi de la démise dans les œuvres de secours aux Pauvres honteux bien discrètement dirigées le plus souvent par les membres de l’Assistance par le Travail, de l’Hospitalité de nuit ; et enfin pour tout ce qui ne serait pas « offrable » ailleurs, chez les petites sœurs des pauvres qui savent tirer parti de tout, même des plus petits bouts de rubans.

L’envoi n’est pas compliqué. Il suffit de faire un ballot portant l’adresse de l’Œuvre à laquelle on le destine… franco, cela va sans dire…

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