Une maison bien tenue : $b Conseils aux jeunes maîtresses de maison
CHAPITRE VIII
Les réceptions à la campagne.
C’est un des grands plaisirs de la vie rurale que de recevoir largement ses amis, mais ce n’est pas une sinécure. Si bien installé que soit le logis, si bien organisé que soit le service, par le fait même de la villégiature, les conditions d’hospitalité sont beaucoup plus compliquées qu’à la ville.
Il ne suffit pas en effet d’offrir à ses hôtes un bon déjeuner, une promenade agréable ; il faut très souvent les loger en les entourant de tout le bien-être possible, et enfin les distraire et les amuser — si on peut ! — tout le long d’une journée et même de plusieurs.
Il y a donc lieu pour la maîtresse de maison à s’occuper : des chambres à donner, des repas petits et grands, des passe-temps à fournir.
Mais, tout d’abord, disons quelques mots des invitations.
Tout le monde sait qu’une invitation vague ne compte pas, ou pour ainsi dire pas. Les gens bien élevés ne la prennent que pour ce qu’elle est, une simple démonstration de politesse qui n’engage à rien. Même en lui supposant une entière sincérité, il serait de mauvais goût d’y répondre ex abrupto, sans avoir annoncé sa venue par un billet ou un télégramme. De plus, comme à moins d’avoir un « vrai château » il est rare qu’on ait plus d’une ou deux chambres d’amis disponibles, il faut pouvoir « sérier » ses réceptions.
Il reste donc bien entendu que toute invitation supposant un séjour prolongé au delà d’une journée à la campagne doit être faite pour une date fixe et acceptée de même.
Ceci posé, voyons quel est le rôle de la maîtresse de maison.
Il faut, en premier lieu, traiter avec la cuisinière la question des menus, toujours difficiles à établir à la campagne. Le boucher ne « tue » pas tous les jours, on ne trouve de charcuterie fine qu’en ville, et si la basse-cour ne peut fournir de volailles, ce qui arrive souvent quand on n’a pas une grande exploitation agricole, on est obligé d’en chercher dans les fermes ; — rude tâche ! — On s’efforcera donc d’assurer le ravitaillement de la famille en retenant d’avance les œufs, le beurre, le lait, etc. ; et, si l’on a un potager, on vérifiera ce que le jardinier peut promettre en fait de fruits et de légumes fins pour un certain laps de temps. Il est de bon goût que le premier repas, le repas de bienvenue, soit plus recherché que les suivants ; c’est dire aux nouveaux hôtes : « J’ai plaisir à vous voir et je tue le veau gras pour vous mieux traiter. »
L’installation des chambres à coucher demande beaucoup de soins. Il faut les aérer longuement ; elles ont dû être nettoyées à fond dès l’arrivée de la famille à sa maison des champs et entretenues dans un état de propreté qui ne nécessite qu’un coup de balai, un époussetage. Les lits seront faits et garnis de couvre-pieds piqués en toute saison, car il y a des personnes très frileuses pour leur coucher. Le linge de toilette comprendra des serviettes-éponges et des serviettes en toile œil-de-perdrix, deux par personne ; mais je trouve plus hospitalière la coutume d’en mettre une pile de six sur la table de toilette ; il ne faut pas exposer ses hôtes au petit ennui de réclamer un supplément de linge à l’occasion d’un accident ou d’une maladresse. Un flacon d’eau de Cologne ou de lavande, un pain de savon dans l’enveloppe de papier fin attestant qu’il est neuf, de l’eau très claire dans le pot à eau et dans le broc, un tapis en linoléum ou une natte ; une glace bien placée pour s’y voir, voilà pour le coin destiné aux ablutions ; on y ajoute un seau émaillé assorti au broc et un séchoir pour les serviettes.
Dans le bureau ou le secrétaire ou la papeterie posée sur une table, on mettra quelques cahiers de papier à lettres non chiffré, des enveloppes assorties, un petit bâton de cire, un crayon, un porte-plumes, des plumes et… de l’encre dans l’encrier, plus une boîte à timbres-poste. Pousser les prévenances jusqu’à la remplir de timbres serait d’une hospitalité plus fastueuse que délicate. Une pelote avec des épingles, un verre d’eau dont le sucrier sera rempli de sucre en morceaux… corrects, un bougeoir élégant, si l’on veut, mais surtout pratique, sa bougie, son éteignoir, un porte-allumettes garni, un porte-montre, complètent les accessoires.
L’hiver ou même la saison fraîche complique les soins à donner pour assurer le bien-être de ses hôtes. Il faut aux lits couverture de laine et édredon en plus de la couverture de coton et du couvre-pieds piqué. Du feu pour le matin et le soir, et même un panier de bois ou un seau de houille (suivant le système de chauffage) pour l’entretenir. Pelles, pincettes, soufflet, irréprochables, pare-étincelles devant la cheminée et une boule d’eau chaude dans les lits.
Si la table à toilette n’a pas d’appareil à eau chaude, le domestique devra monter le matin une bouillotte pleine et la poser devant le feu.
Cette question du service des hôtes est sans grande difficulté dans une maison où les serviteurs sont sérieux et bien dressés, mais la maîtresse de maison ne doit pas la négliger.
Que mes lectrices me permettent de leur citer à ce sujet un touchant souvenir personnel. Pendant de longues années, ma bien regrettée amie Mme R. des G., personne d’un mérite et d’une culture d’esprit hors ligne, a reçu tous les étés dans son petit manoir à V… les amis les plus chers, de simples connaissances même, et le souvenir de son hospitalité rayonne encore chez tous ceux qui en ont goûté l’ineffable douceur.
Or, elle était paralysée des jambes, et même la parole lui était difficile. Eh bien, de ce fauteuil au premier étage qu’elle quittait si rarement, elle dirigeait sa maison et prévoyait jusque dans les plus petits détails ce qui pouvait plaire à ses hôtes. Vous trouviez sous la main des livres selon vos goûts, sur la cheminée le portrait-carte de vos enfants, dans les flacons de la toilette ou du verre d’eau le parfum ou la liqueur préférés, et chez les serviteurs les attentions les plus soutenues.
Je dois convenir qu’ils étaient fidèles et dévoués à leur maîtresse ; mais si une femme âgée, infirme, impuissante à se mouvoir, obtenait de tels résultats, à bien plus forte raison une maîtresse de maison entendue et agissante peut-elle y arriver.
Pour peu que la station du chemin de fer soit un peu éloignée du logis, et s’il ne s’agit pas de jeunes gens, pour qui faire la route à pied ou en bicyclette est un plaisir, il faut faire prendre les hôtes attendus à la gare, par sa voiture, si l’on en possède une, par un locatis quelconque, dans le cas contraire.
Autant que possible, un des membres de la famille, au moins, doit toujours être à l’arrivée du train pour souhaiter la bienvenue aux arrivants. S’il y a des jeunes filles, les jeunes filles de la maison iront au-devant d’elles.
Aussitôt arrivés, les hôtes sont conduits près de la maîtresse de maison, qui leur adresse quelques paroles de bon accueil, et leur offre des rafraîchissements, bière, vin blanc, cidre mousseux, et, si l’on veut raffiner et faire plaisir aux dames, ce qu’il faut pour faire un soda : eau de Seltz, sucre en poudre, essence de citron ou sirop de groseilles en été ; en hiver, eau chaude et rhum pour les grogs, et en tout temps une assiettée de biscuits anglais fins.
Cette petite cérémonie ne doit pas se prolonger, car souvent, après un voyage, on a besoin de se reposer, de se rafraîchir l’épiderme brûlé par la poussière et le soleil.
On mène donc les hôtes dans leur chambre et on les y laisse après leur avoir dit l’heure des repas et la signification des coups de cloche.
Assurer à ses hôtes toute liberté, voilà, en six mots, le premier article du code des réceptions à la campagne en cas de séjour d’une certaine durée.
Il ne faut pas, si l’on veut se séparer contents les uns des autres, avoir fait peser sur eux le poids de son ennui et de son désœuvrement.
Il ne faut pas infliger à ses visiteurs dans toute son inexorable rigueur « le tour du propriétaire », leur faire compter ses pêches et leur expliquer « le pincement du bourgeon anticipé », à moins que cela ne les intéresse très réellement, ce qui est possible, — tout arrive !
Il ne faut pas non plus que le visiteur, ne sachant que faire de lui, impose à ses hôtes la tâche perpétuelle de distraire son oisiveté, les oblige à jouer au whist toute une après-midi, les force à renoncer à leurs habitudes actives s’il a des goûts sédentaires, ou les entraîne à sa suite dans de perpétuelles excursions, s’il aime à déambuler.
En somme, là comme en toutes choses, une sage modération est indispensable au bonheur commun et chacun doit y mettre du sien pour entretenir la bonne harmonie.
« Enfin ! les voilà partis ! ce n’est pas trop tôt ! » Quels sont les maîtres de maison, même parmi les plus hospitaliers, qui n’ont pas, plus d’une fois, pensé ou prononcé cette exclamation après le départ de quelque ménage grincheux, tracassier, maniaque ou seulement écervelé ou indiscret ?
Combien, au contraire, sont plus touchants cet échange de paroles affectueuses, ces serrements de main énergiques, ces regards mouillés de quelque larme fugitive, ces regrets pour les bons instants passés ensemble, ces promesses pour l’an prochain, ces gros bouquets, ces bourriches gonflées qui emporteront avec eux, pour quelques jours encore, un souvenir matériel du séjour heureux, château ou manoir.
Et, tandis que ceux qui restent rappelleront bien souvent dans les causeries d’hiver les épisodes de ce temps où l’on avait été si contents, ceux qui partent ont fait provision de santé, de gaîté, de forces nouvelles, pour reprendre la tâche quotidienne.
Dans tout ce qui précède, j’ai supposé que l’hospitalité était offerte dans une maison bien installée, bien montée en fait de service et dont les maîtres jouissent de cet honnête revenu qualifié d’« une certaine aisance ».
Ces trois mots font beaucoup pour l’agrément et la facilité des réceptions campagnardes. Là où les chambres d’amis sont toujours prêtes à quelques détails près, le service et la table organisés largement, la tâche est moins lourde pour la maîtresse de maison. Ceci est le fait des personnes qui sont « chez elles », soit que la maison leur appartienne, soit que, louée à bail durable, elle ait été aménagée dans les conditions de confortable nécessaires à un séjour prolongé.
C’est tout différent lorsqu’il s’agit d’une installation temporaire, aux bains de mer, par exemple. En ces petites villas où l’espace a été chichement mesuré, on est souvent les uns sur les autres, le mobilier, juste suffisant, ne permet point d’extras et la somme de fatigue à supporter par la maîtresse de maison est doublée. Il lui faut courir à la ville prochaine pour s’assurer des lits volants qu’on ajoute aux chambres de jeunes gens, literie, couvertures, table de toilette, etc.
Aussi est-il plus discret aux invités de se loger à l’hôtel tout simplement. Ils trouvent dans la réunion aux repas de famille tous les plaisirs de l’hospitalité amicale sans imposer de lourdes charges à leurs amis.
Dans les familles où les hommes sont chasseurs, le temps de la chasse, même lorsqu’il ne s’agit pas de grandes réunions cynégétiques, est un peu redouté des maîtresses de maison. Ce n’est pas seulement les messieurs qu’il faut héberger, c’est aussi leurs compagnons à quatre pattes ; la soupe des chiens n’est pas bagatelle négligeable ! il en faut plus d’une écuelle, et aussi de la paille fraîche pour leur coucher.
Le lever matinal, la « croûte à casser », avec l’accompagnement obligé de café, de cognac, de rhum, mettent le service en branle dès le matin ; aussi les soirées prolongées ne sont-elles pas un plaisir pour tout le monde. Les vrais chasseurs, qui ont fait kilomètres sur kilomètres de marche dans les terres grasses des champs, le sol inégal des bruyères, l’enchevêtrement des taillis, tombent de fatigue et de sommeil. En pareil cas, une maîtresse de maison vraiment hospitalière ne les oblige pas à faire leur partie dans les petits jeux qui les font bâiller et le whist où ils s’endorment. On garde cette ressource pour les jours où le mauvais temps retient les Nemrods au logis.
Ah ! les jours de pluie ! Que faire de ses hôtes quand il pleut trois jours de suite ? Si la demeure est vaste, avec de grandes pièces, une bibliothèque bien meublée de livres amusants et intéressants, un hall garni de jeux divers : toupie hollandaise, billard anglais, trictrac, etc., et que les invités soient gens d’esprit et de ressources, on n’est pas encore trop à plaindre, et même la vie sédentaire repose des excursions et des sports de plein air ; mais il y a des gens si lourds, si ennuyeux, si apathiques, si vides de cervelle et d’esprit, qu’on ne sait comment les occuper. Le whist, le boston, les patiences, les dominos, les dames, les journaux de modes (il est bon d’en avoir des collections anciennes à la campagne), sont une ressource pour bien des femmes ; les ouvrages d’agrément et même le travail pour les pauvres à de petits objets faciles, chaussons, brassières, etc., au crochet ou au tricot, peuvent remplir une heure ou deux ; c’est autant de pris sur l’ennemi. Enfin, pour la jeunesse, le délicieux plaisir des charades en costume, des saynètes improvisées, est tout indiqué. Les artistes musiciens ou peintres ne sont point à plaindre : ils portent avec eux une source intarissable de passe-temps des plus agréables pour eux et pour autrui. Ah ! les bonnes après-midi qu’on passe ainsi groupés autour du piano pour déchiffrer une partition ou répéter les duos, trios, quatuors, chœurs même, qu’on redira ensuite devant un cercle d’amateurs, ou bien à préparer un salut en musique qui fera l’orgueil et la joie du curé de la paroisse et grossira le produit de la quête pour les pauvres !
On ne pense pas à la pluie qui noie les pelouses, change les routes en torrents, ni à la revanche que l’on comptait prendre sur de terribles adversaires qui vous ont battu au tennis et au croquet… C’est dans une sphère plus élevée que plane l’esprit et que se meut l’imagination.
Ceci m’amène naturellement aux jeux de plein air si utiles, si hygiéniques, si agréables à la campagne.
L’humble ménage ouvrier, si intéressant, qui, à force de travail et de sage économie, a pu se donner le bonheur d’une maisonnette, avec son jardin de vingt mètres carrés dans la banlieue de Paris, y installe une balançoire, un jeu de quilles et un jeu de tonneau. Le châtelain qui offre à ses visiteurs la promenade dans les serres, un lac avec des bateaux, théâtre de salon, billard, lawn-tennis, tir, etc., n’est certes pas plus complètement heureux.
Dans toute bonne maison, à la campagne, il faut réserver dans le jardin un emplacement pour les jeux de plein air, ombragé autant que possible, et avec un sol plan et sablé. S’il y a des enfants, un portique de gymnastique où s’accroche une balançoire est une source de grand plaisir.
Je ne citerai ici que le nom de quelques jeux, les détails à ce sujet sortiraient des limites de cet article : Lawn-tennis, croquet, jeu de boules, jeu de quilles, jeu de tonneau, tir à l’arc, jeu de fléchette, jeu de volant, de bagues ; il y en a d’autres encore.
La maîtresse de maison doit veiller : 1o à ce que le matériel des jeux soit toujours en bon état ; 2o à ce qu’il reste au complet. Jamais on n’arrivera à ce résultat si l’on n’exige pas que tous les soirs les jeux soient rentrés dans une resserre ou une armoire spéciale. Il faut faire compter les boules, les quilles, les cerceaux et maillets du croquet, les raquettes et balles du tennis, etc., c’est un pli à faire prendre. Il suffit, quand il est bien pris, de s’assurer de temps en temps qu’on s’y conforme.
Les réunions priées en « matinée » sont presque toujours jolies et amusantes à la campagne. Tout s’y prête : le charme des jardins et parcs, la joyeuse liberté du plein air, la variété des jeux et des divertissements et aussi l’éclat des toilettes fraîches et gaies pour les jeunes filles et les jeunes gens.
Les fêtes de soir sont essentiellement un plaisir de ville ; les trajets en voiture dans l’obscurité sont toujours désagréables et parfois dangereux. Les chemins vicinaux ne sont point encore éclairés au gaz ni à l’électricité, et, par une nuit sans lune et un ciel couvert, les lanternes ne sont que d’un secours très mince.
Que les invitations soient donc faites pour deux heures de l’après-midi, trois au plus tard, afin qu’on ait le temps de s’ébattre et de danser à loisir.
Je n’entrerai point dans le détail des amusements d’une fête de campagne, cela nous conduirait trop loin et serait d’ailleurs presque inutile, car je suis convaincue que l’imagination de mes jeunes lectrices, aidée, pour beaucoup d’elles, par les leçons d’une agréable expérience, leur fournira en foule des idées aussi ingénieuses que pratiques.
Depuis le simple goûter dont La Fontaine nous donne le menu dans Philémon et Baucis,
jusqu’à la grande réception du château avec bal champêtre aux lanternes chinoises, feu d’artifice, souper, etc., il y a cent façons de traiter ses invités. Tout dépend de la dépense qu’on peut faire et du train qu’on veut mener.
Pour une simple après-midi de famille et de bon voisinage, un joli goûter servi dehors est bien suffisant. On se sert de tables sans prétention, qu’on rallonge, s’il y a lieu, en les mettant bout à bout ; sur la nappe, à bordure de couleur ou frangée, viennent s’aligner les assiettes avec couvert de dessert, des verres à bière et à vin. Le menu comprend des jattes de crème fouettée ou de fromage à la crème fin, des gâteaux solides, galette, brioche, kugelhof, plum-cake, gâteau breton, etc., des petites pâtisseries sèches, biscuits genre anglais, grissinis, gauffres flamandes, etc., point de bonbons ni de gâteaux d’entremets, mais des fruits tant qu’on veut… et qu’on peut, surtout des fraises, des cerises, pêches, abricots, prunes, du raisin suivant la saison et toujours en abondance.
Pour boisson, de la bière, du cidre mousseux, du vin blanc, du vin rouge, et, si l’on est un peu en cérémonie, des vins sucrés, frontignan, muscatelle, banyuls, etc.
On peut corser ce menu champêtre en y ajoutant des sandwiches au jambon ou quelqu’un de ces nobles pâtés en terrine dont la réussite est une tradition de famille dans les bonnes maisons.
En ce cas le goûter tourne au lunch solide et demande qu’on y fasse entrer des petits pains et des vins rouges, bordeaux ou bourgogne.
Pour les réunions d’enfants, des fruits, de la crème fraîche, des tartines de beurre fin, un gros gâteau et quelques menues friandises, biscuits ou petits fours.
Il est de rigueur d’offrir aux visiteurs, qui souvent ont fait une longue course à pied, des boissons fraîches et des gâteaux ou biscuits ; aussi une bonne maîtresse de maison doit-elle prendre soin de tenir toujours au courant sa provision en ce genre.
Enfin, et pour terminer, rappelons la part des humbles : l’enfant qui est venu faire « une petite commission », le facteur altéré par les marches dans la poussière, le pêcheur qui vient de loin vous apporter son panier de poisson, doivent trouver à la cuisine la tartine de beurre qui apaise leur faim, le verre de cidre ou de bière qui étanche leur soif, et, si c’est en hiver, le bol de soupe chaude qui réconforte ; n’est-ce pas bien juste que, de tant de satisfactions que donne la vie à la campagne, on fasse « la part à Dieu » ?
Les « parties de campagne », visites en bande joyeuse à des endroits célèbres, vieux châteaux, ruines, lacs, points de vue, etc., avec déjeuner ou lunch, sont un des plus grands plaisirs de l’hospitalité des champs, mais elles demandent pas mal de préparatifs qui doivent être tous terminés dès la veille au soir, car très souvent l’excursion exige un départ matinal. J’en excepte, bien entendu, les choses qui ne peuvent être faites qu’au dernier moment, comme les plats d’œufs, le café, etc.
Il y a plusieurs manières de s’arranger pour ces repas d’aventure. Tout dépend de l’endroit où l’on pourra les prendre. S’il y a dans le pays, à proximité, quelque auberge propre et gaie, tenue par une hôtesse avenante et bien outillée, on n’a besoin d’emporter que viandes froides, pâtés ou volailles rôties, des gâteaux et des fruits pour le dessert, puisqu’on trouvera linge de table, assiettes, verres, etc., et qu’il sera facile de faire ajouter sur place au menu une soupe au lait, une omelette et des pommes de terre sautées.
Pour la boisson, on est toujours obligé d’en prendre une bonne partie à l’auberge, cidre ou vin ordinaire ; c’est chose due à l’aubergiste, qui ne se « rattrape » guère que là-dessus ; mais il est facile d’emporter quelques bouteilles de sorte plus fine.
Quand il s’agit d’un repas sur l’herbe, comme on disait au temps jadis, la chose est infiniment plus compliquée.
Je sais qu’on trouve maintenant tout un matériel de campagne très perfectionné pour ce genre de plaisir. Tente, pliants, paniers de service contenant tout ce qui est nécessaire ou même utile en fait de linge, de vaisselle, d’accessoires de table, etc. ; paniers outillés pour le transport des mets et pouvant contenir sans les endommager les aspics et les chauds-froids les plus savants ; mais descendons de ces hauteurs réservées au high-life, et occupons-nous tout simplement de la bonne partie de campagne de famille, moins fastueuse sans doute, mais tout aussi amusante.
Pour peu qu’on aime à les renouveler souvent, ces parties, il y faut aussi un matériel spécial, car il n’est pas d’une sage administration d’exposer aux hasards de la vie nomade l’argenterie, le linge fin, les services de faïence, qui seront dépareillés en cas d’accidents ; d’ailleurs ceux-ci sont en général encombrants et lourds, et, quand il faut tout emporter, on se trouve bien de réduire au minimum la dimension des colis.
Supposons que l’excursion aura pour but un site pittoresque, soit au bord de la mer, soit ailleurs, et que la course sera assez longue pour qu’on doive partir vers sept heures et ne rentrer qu’un peu tard dans la soirée. Il y aura donc lieu pour la maîtresse de maison de se préoccuper :
1o Du premier déjeuner ;
2o Du second ;
3o D’un goûter vers cinq ou six heures ;
4o De ces petites grignoteries qu’enfants, jeunes gens et même grandes personnes aiment à trouver pour soutenir les forces un peu ébranlées par le lever matinal.
Pour le premier déjeuner, il faut que la cuisinière se lève avant le jour si l’on veut avoir thé, café, chocolat ; mais très souvent, en pareil cas, on simplifie pour ne pas éterniser le service et retarder le départ et on se contente d’une tasse de café, d’un bol de lait ou de bouillon. Le tout très chaud ; il n’est pas prudent de se mettre en voiture après avoir pris du lait frais, par exemple.
Pour le second déjeuner, sont à recommander les omelettes froides, les œufs durs, les boîtes de sardines, les volailles rôties, les pâtés en terrine ou en croûte, le veau ou le bœuf en gelée, enfin la charcuterie fine, mortadelle, saucissons divers, jambons, jambonneau, etc. Le choix est large.
Pour le dessert, des gâteaux solides : plum-cakes, quatre-quarts, gâteau breton, etc., des fruits, qu’il faut toujours emporter, car c’est une illusion des citadins que de croire qu’on trouve des fruits de table à la campagne. Sauf dans quelques provinces où la douceur du climat et les coutumes héréditaires poussent les habitants à cultiver les arbres à fruits, l’insouciance des paysans sous ce rapport est chose lamentable, et le sol français pourrait fournir à l’étranger, en fruits de table, trois fois plus qu’il ne fait. Combien j’admire ce pasteur suisse (j’ai oublié son nom) qui, pendant la saison, avait toujours quelques greffons en poche, et, lorsqu’il voyait dans les bois un sauvageon de belle venue, le greffait incontinent. « Quelque voyageur passant par ici plus tard sera bien heureux de se rafraîchir avec un bon fruit », disait-il.
Mais revenons à notre affaire. Il faut donc emporter ses fruits ; je recommande de prendre la très légère peine d’envelopper les pêches, les abricots, dans des feuilles de vigne et dans du papier ; sans cette précaution ils arriveraient en pitoyable état et meurtris par les secousses du voyage.
Pour les fraises, mes lectrices me sauront gré de leur indiquer le moyen d’en faire un dessert délicieux ; on les épluche et on les met dans un récipient de porcelaine ou de cristal, tel qu’un légumier, par exemple ; on les sucre abondamment, on y ajoute du rhum ou du kirsch, on met le couvercle, qu’il faut assujettir avec une ficelle, puis on a soin de placer le tout d’aplomb dans la caisse ou le panier à provisions, car le jus qui s’en dégage pourrait couler et faire des malheurs.
Pour le goûter du soir, les restes, qu’on a dû correctement dresser, peuvent servir à faire des pains fourrés très appréciés. Enfin, pour les « en-cas », on aura réservé un panier pas trop grand et qui contiendra des fruits et des gâteaux, brioches, madeleines, soit en tranches, soit entiers. Les envelopper dans du papier ne suffit pas, car à l’usage ce papier se graisse, se déchire, et les pâtisseries ne sont plus protégées. En garnissant la corbeille d’une petite serviette, on évite ce grave inconvénient.
Il faut calculer largement pour le pain et en emporter de deux sortes : du pain ordinaire qui servira aux gros mangeurs et au cocher, et des petits pains, ad libitum, mais toujours en prévision de deux bons repas au moins ! car on ne sait pas si un accident ou un malentendu ne vous retiendra pas beaucoup plus longtemps en route qu’on n’y comptait. Les bouteilles de vin ou autres seront munies de leurs coiffes de paille, et parmi elles une bouteille de bon café noir en bouteille, sans chicorée.
A emporter, dans des boîtes de fer-blanc, du sucre en morceaux et du sel, et, si l’on veut, dans un petit pot de grès, le beurre bien frais, couvert d’un linge mouillé en plusieurs doubles et ficelé autour du pot.
La caisse de vaisselle, qui sera faite la veille, contiendra : des assiettes, une par personne et six en plus, des verres, des couteaux et fourchettes, des cuillers, grandes et petites, en ruolz, ou mieux en métal anglais beaucoup plus léger, enfin un tire-bouchon ; le tout enveloppé largement de papier. Pour le linge, il ne faut pas d’économie mal entendue, une serviette pour chaque personne, une petite nappe, trois serviettes d’office et six torchons, car il faut pouvoir essuyer la vaisselle plus d’une fois, puisque l’on n’a pas de quoi la changer. Enfin, il est indispensable d’emporter un bassin de fer-blanc ou d’émaillé et un petit broc qui puisse servir à puiser de l’eau. Il est presque partout facile de trouver sous l’ombrage, auprès de quelque source fraîche et limpide ou d’un petit torrent jaseur, un bon emplacement pour y installer le couvert, mais au bord de la mer l’eau douce est chose rare. Si l’on doit déjeuner sur la grève ou dans les rochers, on devra faire sa provision d’eau au village le plus proche. Je recommande à mes jeunes lectrices chargées du déballage de mettre de côté, à mesure qu’on les enlève, tous les papiers qui ont servi pour le premier transport et seront nécessaires pour le second ; on les réunit dans un des paniers.
Les viandes rôties ont dû être entourées : 1o de grandes feuilles de vigne ; 2o de papier ; 3o d’un torchon épais plié en double. Faute de ces soins, le jus et la graisse s’insinuent traîtreusement un peu partout. Les pâtisseries seront aussi mises dans plusieurs papiers. Pour les grands gâteaux plats, si l’on veut qu’ils conservent bonne apparence pour figurer sur la table, il sera prudent de les laisser sur leur plateau de cuisson.
Enfin, comme dernier conseil, j’engagerai les personnes qui ont la passion — je la comprends et je la partage, oh ! combien ! — de garnir les mets et le couvert de verdures et de fleurs, à se montrer très prudentes. Il y a dans les prairies beaucoup d’espèces de plantes si vénéneuses qu’un peu de leur suc suffit pour causer de graves accidents. Je citerai entre autres cet exemple que tout le monde connaît : la grande ciguë, dont les feuilles ressemblent tant à celles du persil.
Il est d’usage de nourrir le ou les cochers, et, comme ils ont bon appétit, il est à propos de prendre pour eux de la viande froide ou de la charcuterie moins fine que pour les maîtres. On leur donne aussi ceux des restes qui ne valent pas la peine d’être emportés pour le lunch, et on y ajoute un verre ou une bouteille de vin suivant les cas. Ces petites largesses profitent à tout le monde, « au bourgeois » tout le premier, parce qu’il se fait ainsi la réputation « d’être du bon monde qu’on aime bien servir ».
Un dernier mot : il peut au cours d’une excursion longue et mouvementée se produire plus d’un accident grand ou petit, chute, contusions, piqûres venimeuses, syncopes, etc. Il est donc non seulement prudent, mais nécessaire, d’emporter toute une pharmacie de campagne.
Elle devra comprendre :
Un petit flacon d’un spiritueux énergique, élixir de chartreuse, alcool de menthe ou eau de mélisse des Carmes ;
Un petit flacon de sirop d’éther ;
Un petit flacon d’arnica ou de thymol ;
Un petit flacon d’acide phénique concentré ; celui-ci contenu dans un étui, car son odeur se répand avec une facilité déplorable ;
Quelques sinapismes Rigollot ;
Une ou deux bandes très longues, roulées serrées ;
Une petite provision de charpie, ou mieux de ouate hydrophile dans un carton ou un sac ;
De l’amadou ;
Du collodion en feuilles ;
Un grain d’émétique ;
Un morceau de flanelle pour frictions.
Enfin, dans le sac, le sac par excellence, qu’emporte la mère de famille et qui la suit partout :
Un bon couteau de poche ;
Une trousse bien garnie de mercerie ;
Fil blanc et noir, aiguilles, épingles, ciseaux, passe-lacets, boutons, agrafes, tresse de coton, ruban de fil, etc. ;
Une boîte d’allumettes-bougies, ou tout simplement d’allumettes suédoises ;
Un peloton de ficelle ;
Un gobelet d’argent ;
Un coco ou un verre dans son étui ;
Un carnet avec un crayon ;
Une petite brosse ;
Un flacon de sels ;
Un étui de fer-blanc (les boîtes de cacao sont parfaites pour cet usage) qui contiendra quelques morceaux de sucre et une toute petite fiole de rhum ;
Trois vieux mouchoirs ;
Enfin une bougie, car un accident de voiture peut arriver et vous retenir la nuit dans un endroit désert.
« A quoi bon tant d’embarras, diront les gens simplistes, pour parer à des événements qui ne se produiront sans doute pas ? »
A cela je réponds qu’ils peuvent se produire et que la question « d’embarras » n’en est pas une, car le sac et la boîte à pharmacie une fois faits resteront tels indéfiniment. Les prendre et y jeter un coup d’œil pour s’assurer qu’ils sont au complet n’est pas une affaire, et rien n’est de trop pour une femme de cœur quand il s’agit de bien remplir ce rôle de Providence visible qui lui a été dévolu ici-bas.