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A travers la Russie boréale

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CHAPITRE VI

LES PERMIAKS

La Kama.—Perm.—Les Permiaks.—Costumes et habitations de ces indigènes.

Les plaines ensoleillées de Kazan et leur grouillement multicolore de races diverses sont maintenant loin de nous. Nous avons quitté la région asiatique du Volga pour nous diriger vers Tcherdine, point de départ de notre exploration projetée dans le bassin de la Petchora.

De Kazan à Tcherdine c'est une navigation de 1 400 kilomètres, la distance de Paris à Dantzig. On descend le Volga sur une centaine de verstes, et le reste du trajet se fait par son affluent, la Kama, presque aussi important que le fleuve lui-même.

En Russie, les fleuves, comme toutes choses d'ailleurs, sont hors de proportions avec ce que nous sommes habitués à voir. La Kama, par exemple, est d'un tiers plus longue que le Rhin, et de simples rivières telles que ses affluents, la Bielaya et la Viatka, ont un développement de cours dépassant celui de la Loire et de la Seine.

Tour à tour, suivant les saisons, chaussées de glace ou «chemins qui marchent», ces grands cours d'eau sont les principales routes du pays; mais leurs variations rapides du régime en rendent la viabilité précaire. Après la débâcle qui a lieu en mai, la fonte des neiges détermine une inondation considérable; les rivières deviennent des mers d'eau douce. A cette époque le Volga est large d'une vingtaine de kilomètres, puis l'eau baisse rapidement, elle tombe pour ainsi dire, et dès le milieu d'août la navigation devient très difficile. A notre retour de Sibérie, au milieu de septembre, à la suite d'un été particulièrement sec, les vapeurs, même ceux de faible tonnage, ne circulaient sur le Volga et la Kama que très difficilement; partout ailleurs les services étaient interrompus.

Sur la Kama, dont le bassin s'étend très loin dans les régions humides du nord, pareille baisse des eaux est accidentelle, elle est au contraire habituelle sur les autres fleuves de la Russie orientale. Toutes les conditions nécessaires au maintien d'un débit abondant font défaut dans cette région; le sol sablonneux facilite les infiltrations, les pluies sont rares, et sous le soleil ardent de l'été l'évaporation est considérable.

Dans la vallée de la Kama, toujours des paysages boisés avec des fuites d'horizons lointains, bleuis par la masse des arbres. Ce ne sont plus, comme dans nos régions, des paysages limités, donnant la sensation de quelque chose de précis, de borné, ici c'est l'infini. Le sol est plus accidenté qu'aux environs de Kazan, des collines lointaines apparaissent, et la rive droite est formée de terrasses sablonneuses ou argileuses hautes en certains endroits d'une quarantaine de mètres. A la base de ces escarpements sourdent des sources dont le suintement détermine dans l'épaisseur de la masse argileuse la formation de petits canons et de ravins. Ailleurs elles produisent des éboulements. Le lent travail de ces veines d'eau souterraines contribue à élargir le lit de la Kama aux dépens des terres environnantes.

Depuis les temps historiques le cours inférieur de la Kama s'est déplacé de plusieurs kilomètres vers l'ouest. Près du village de Sergievskoé, situé sur la rive gauche de la rivière, et voisin de son embouchure dans le Volga, se trouve, à une distance de 10 kilomètres de la rive actuelle, un hameau appelé Vieille Kama. D'après M. Maltsev, «l'aspect des lieux indique l'emplacement d'un ancien lit de rivière: toute la dépression est occupée par des buissons et des plantes marécageuses; la berge de gauche se prolonge jusqu'à la ville de Spassk, bâtie près des ruines de l'ancienne Bolgar[53]». Certains auteurs arabes rapportent d'ailleurs que la Kama coulait près de Bolgar, qui en est actuellement distant d'une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau. L'étude du terrain confirme les documents historiques, la plaine située au nord des ruines de Bolgar est constituée par des alluvions[54].

[53] Rambaud, le Congrès de Kazan, in Revue scientifique du 3 mai 1879.

[54] Ibid.

Remorqueur sur la Kama.

Sur la Kama la navigation est beaucoup moins active que sur le Volga, bien que ce soit la route principale de Sibérie. Cette immense dépendance de l'empire russe n'a pas encore une grande importance économique. La Sibérie si riche et si fertile dans sa partie méridionale, comme nous l'exposerons plus loin, n'exporte en Europe qu'une très faible partie de ses produits, faute de voies de communication, et la Russie n'expédie au delà de l'Oural qu'une petite quantité de marchandises. Sur la Kama nous croisons seulement quelques vapeurs; fréquemment nous rencontrons d'immenses trains de bois, véritables îles flottantes. Les produits des vastes forêts sont expédiés dans la région des steppes.

Ce pays laisse l'impression d'un désert. De loin en loin, un village de masures noires dominé par le hérissement multicolore d'une église. Avec leurs dômes verts ou leurs cinq clochetons bleus, et leurs murailles blanches, ces églises donnent de la valeur au paysage sans intérêt. Ce sont les points d'orgue du tableau.

Tous les trois ou quatre cents kilomètres, une ville ou plutôt ce qu'on est convenu d'appeler une ville en Russie, Tchistopol, Sarapoul, chef-lieu d'un vaste district habité par les Votiaks, une des peuplades finnoises du groupe permien. Après une navigation de soixante heures nous sommes à Perm, au terme de la première partie du voyage.

Nous voici à l'extrémité orientale de l'Europe, au seuil de l'Asie. Si l'on tient compte de sa position par rapport à l'Oural, Perm est la dernière ville d'Europe; mais, comme le dit très justement M. Cotteau, pour démontrer que la domination de la Russie s'étend à la fois sur l'Europe et l'Asie, le gouvernement impérial n'a tenu aucun compte des limites naturelles acceptées de tout temps par les géographes[55] et a fait passer à l'est de l'Oural, au commencement de la plaine sibérienne, la frontière orientale de la province de Perm.

[55] E. Cotteau, De Paris au Japon à travers la Sibérie. Hachette, 1883.

Marché de Perm.

Très gai l'aspect de la ville, avec la gare monumentale du chemin de fer de l'Oural construite dans un joli style oriental, à côté un superbe palais étale ses colonnades et son fronton, plus loin des églises élèvent leurs dômes pittoresques, tout cela disséminé au milieu de la verdure devant le large fleuve. Derrière cette rangée d'édifices il n'y a qu'un village.

Aujourd'hui, 12 juillet, température étouffante. A une heure de l'après-midi, le thermomètre marque à l'ombre +25° et la pression est seulement de 741. Il y a six semaines, à la fin de mai il gelait la nuit. Ici la température peut descendre à -36° et s'élever à +30°. En 1890, pendant trois mois seulement, en juin, juillet et août, le thermomètre ne s'est point abaissé au-dessous du point de congélation. Le 5 septembre, s'est produite la première gelée.

Le lendemain, départ de Perm. Nous nous embarquons de nouveau sur la Kama à destination de Tcherdine avec le projet de faire en route une escale pour visiter les Permiaks.

Au delà de Perm, paysage très pittoresque. Tantôt les berges s'escarpent en hautes terrasses couronnées de bois, tantôt elles s'abaissent, découvrant de riantes perspectives de champs cultivés et de forêts. Par endroits dans ce cadre de verdure la rivière s'élargit en forme de lac, d'un bord à l'autre la distance est bien d'un kilomètre, et nous sommes ici à plus de 200 lieues de l'embouchure de la Kama!

Le soleil est éclatant, le ciel d'un bleu immaculé; n'importe ce rayonnement de lumière aveuglante, la masse compacte des arbres verts donne au pays un aspect septentrional; si on ne sent pas encore la fraîcheur du nord, on la devine. Le pays est plus joli, plus agréable à l'œil que la vallée du Volga, mais il étonne moins. C'est une contrée comme une autre.

14 juillet.—A sept heures du matin nous débarquons à la station de Pogevo, située à proximité de la région occupée par les Permiaks.

Les Permiaks appartiennent à la grande famille finnoise, et constituent le groupe permien avec les Votiaks de la Kama et les Zyrianes de la Petchora.

Ce seraient, au témoignage des historiens, les plus anciens habitants du nord-est de la Russie[56]. Ils auraient apporté de l'Altaï l'art d'exploiter les mines, et des traces d'excavations que les indigènes attribuent aux Tchoudes légendaires seraient l'œuvre des anciens Permiaks[57]. Mais, comme le fait très justement observer M. Deniker, les anthropologistes n'ont point comparé leurs crânes à ceux des Tchoudes; par suite, la parenté entre les deux peuples n'a pu être établie avec certitude.

[56] Deniker, Esquisse anthropologique des Permiaks (compte rendu de l'ouvrage de M. Maliev, in Archives slaves de biologie. Paris, 1887, t. III, fascicule 3).

[57] Des trous de mines attribués aux Tchoudes se rencontrent dans la vallée supérieure de la Tchoussovaya, autour des sources de la Sosva et sur les bords du Vagran (cercle de Bogoslov). Les traces de ces exploitations ont été trouvées près des gisements actuellement les plus riches. (Aspelin, De la civilisation préhistorique des peuples permiens. Leyde, 1879.)

D'après le dernier recensement (1885), les Permiaks seraient au nombre de 90 000, la plupart établis dans la partie septentrionale du gouvernement de Perm (arrondissements de Solikamsk et de Tcherdine). En dehors de ces circonscriptions, on en trouve une dizaine de mille dans le gouvernement de Viatka (arr. de Slobodsk et de Glasov) et quelques petits clans sporadiques dans l'Oural.

Dans le gouvernement de Perm, un des groupes permiaks les plus compacts occupe la longue vallée de l'Inva, tributaire de droite de la Kama. En poussant dans cette direction nous espérons trouver une population caractéristique.

A Pogevo nous louons une pletionka et maintenant fouette cocher! Malgré l'heure matinale, la chaleur est déjà très forte, pas un souffle d'air et sur la route blanche le soleil tape ferme.

A neuf heures du matin nous voici à Maïlkora (distance: 18 kilomètres, grand village de 5 000 habitants aggloméré autour d'un haut fourneau appartenant au prince Demidov. Nous changeons de voiture et de chevaux, puis repartons aussitôt pour Kouproz. Nouvelle étape de 22 kilomètres, parcourue en 2 heures 15 minutes.

A deux kilomètres au delà de Maïlkora commence la région habitée par les Permiaks. A première vue ces indigènes se distinguent des Russes par la couleur bleue de leur costume. Le bleu est la couleur favorite de ces Finnois. Hommes et femmes portent des vêtements de cette teinte, et leurs ustensiles de ménage sont également presque tous barbouillés de cette couleur. Les Finnois de Finlande, établis dans la Norvège septentrionale, partagent cette prédilection des Permiaks pour le bleu[58].

[58] Friis, En Sommer i Finmarken. Kristiania.

Bien que nous suivions une route fréquentée, tous les indigènes ne parlent pas russe, la plupart des femmes ignorent cette langue. L'assimilation est donc encore loin d'être complète.

Maison et types permiaks.

A signaler chez les Permiaks leurs maisons, très différentes de celles des Russes. Elles sont beaucoup plus hautes que les isbas. Quelques-unes ont deux étages, constructions que l'on ne trouve chez les Russes que dans des villages riches. L'habitation permiake caractéristique, la kirkou, ne comporte qu'un étage, situé à quatre ou cinq mètres au-dessus du sol. On y accède par un perron de deux ou trois marches couvert, puis par un escalier appliqué le long de la façade et également surmonté d'un toit. Au sommet de cet escalier se trouve un carré entouré de bancs, où les indigènes aiment à se reposer. La porte d'entrée conduit dans un couloir sur lequel ouvrent les deux pièces de l'habitation. Par derrière s'étend une cour couverte surmontée d'un grenier.

A midi, nous arrivons à Kouproz littéralement abrutis par l'ardeur du soleil et nous décidons d'attendre la fraîcheur pour nous remettre en route.

Le smotritel (maître de poste), interrogé par Boyanus sur les mœurs des indigènes, affirme avec hauteur qu'«il ne va pas au bois». Traduisez qu'il ne fait plus de sacrifices païens. Mais s'il a renoncé aux faux dieux, sa réponse autorise à croire que d'autres les adorent encore en cachette. Sur ce point, impossible d'avoir une réponse précise du bonhomme. En tous pays, des paysans ne vont pas trahir leurs secrets devant des étrangers.

Dès le XIVe siècle, les Permiaks ont été convertis par saint Stéphane, évêque de la Permie. A cette époque les indigènes manifestaient une hostilité marquée contre les Slaves et repoussaient avec énergie toutes les nouveautés importées dans le pays par les étrangers. «Ils rejetaient particulièrement l'emploi des caractères russes, qui n'avaient servi jusqu'alors qu'à transmettre des ordres tyranniques[59].» Pour vaincre ces répugnances, saint Stéphane créa une liturgie en langue indigène et un alphabet avec des caractères depuis longtemps en usage dans le pays et qui, paraît-il, présentent une grande ressemblance avec les runes scandinaves. D'après certains archéologues russes, cet apôtre aurait composé des livres sacrés à l'aide de ces caractères, mais en dépit des recherches les plus minutieuses on n'a réussi jusqu'ici à découvrir aucun de ces documents.

[59] A. Rambaud, le Congrès de Kazan, in Revue scientifique, 2e série, 8e année, no 46.

Quoique convertis depuis cinq siècles, les Permiaks ont conservé certaines pratiques païennes. L'Église grecque a adopté ces cérémonies en en modifiant simplement le sens. Au lieu d'être organisées en l'honneur des dieux du paganisme finnois, elles sont maintenant consacrées aux saints du paradis orthodoxe. La principale consiste dans le sacrifice de taureaux de trois ans. Elle se célèbre le 30 août, jour des saints Florus et Laurus, devant une ancienne chapelle à eux consacrée et située au village de Bolchaïa-Kotcha (district de Tcherdine). Quelle que soit la distance à laquelle il demeure de ce sanctuaire, le Permiak qui a fait un vœu ne recule jamais devant le voyage. Un de ces Finnois désire-t-il obtenir la guérison d'un malade, écarter quelques malheurs de sa famille, il jure de sacrifier un taureau si son souhait se réalise. La victime doit être âgée de trois ans au moment du sacrifice et ne présenter aucun défaut.

Avant la cérémonie, les pèlerins allument des cierges devant les images sacrées de la chapelle et suspendent, autour du christ de l'iconostase, des rouleaux de toile en guise d'ex-voto. Une fois le signal du sacrifice donné par le carillon de l'oratoire, aidé de ses parents et amis, chacun s'occupe à lier les jambes de son taureau et à le coucher par terre, mais à celui qui a prononcé le vœu incombe l'obligation de frapper la victime. Pour cela les Permiaks se servent d'un mauvais petit couteau, et souvent ce n'est qu'après de longs efforts qu'ils réussissent à immoler l'animal. Le spectacle devient atroce, les malheureuses bêtes blessées se débattent, essaient de se relever, beuglent, aspergent de sang les assistants, et les environs de la chapelle deviennent un champ de carnage immonde.

Les animaux abattus sont immédiatement dépecés. Les têtes sont offertes à la chapelle et entassées par le bedeau dans un petit hangar voisin de l'édicule sacré. Au pope on réserve les filets, aux pauvres on donne la poitrine, et le reste de la viande est incontinent cuit et mangé par les assistants. La cérémonie religieuse se transforme en une ripaille générale et en une beuverie répugnante[60]. Ainsi le christianisme des Permiaks ne diffère guère du paganisme des Tchérémisses. Les croyances des deux peuples sont identiques, l'étiquette seule diffère.

[60] Ces renseignements sur les pratiques païennes des Permiaks sont empruntés à un fort intéressant travail de feu M. Malakhov, publié dans le Bulletin de la Société ouralienne d'amateurs des sciences naturelles, t. II, liv. I. Ekaterinbourg, 1887.

Au témoignage de Maliev, les Permiaks vénèrent encore de petites idoles en métal, représentant des oiseaux, un ours, l'animal sacré des anciens Finnois, et des figurines humaines. A Koudimgkor une femme nous a vendu plusieurs de ces fétiches, pour lesquels elle ne paraissait pas avoir une grande vénération.

A six heures moins un quart, nous quittons Kouproz, en route pour Koudimgkor, situé à 59 kilomètres de là. Maintenant que la chaleur est passée, l'étape est charmante. On traverse de grands bois pleins de fraîcheur et d'aromes balsamiques, puis des prairies et des champs cultivés, gagnés depuis peu aux dépens de la forêt. Des troncs carbonisés indiquent un défrichement récent par le procédé du brûlage commun à tous les Finnois. Au sommet d'un plissement de la plaine se découvre un panorama extraordinaire. Deux lignes d'ondulations molles encadrent une plaine infinie, un horizon de mer derrière lequel le globe du soleil disparaît rouge et net comme en plein océan. Lentement la lumière jaune du couchant blanchit, puis jusqu'à l'aurore une pâle clarté remplit le ciel. Ni jour, ni nuit, cette lueur qui semble tomber d'une lune démesurée. Sous cette lumière mourante les traits du paysage restent précis, les lointains s'agrandissent, la forêt devient toute violette. Au-dessus de la rivière fument des brouillards blancs; la terre semble morte, on a la vision d'un paysage planétaire, d'un monde inanimé, la sensation de quelque chose d'extra-terrestre.

De loin en loin, des hameaux de deux ou trois maisons perdues au milieu des champs. La population est ici plus disséminée que dans les régions de race slave. Les Permiaks recherchent l'isolement, comme tous les Finnois.

A Koudimgkor, déception complète. Les habitants de ce village, que l'on nous avait représentés comme les Permiaks les plus caractérisés, ressemblent à tous ceux rencontrés sur la route. Les femmes portent le sarafane russe et de leur ancien costume n'ont conservé qu'un petit bonnet en étoffe orné de dessins en verroterie. Seuls quelques enfants sont vêtus d'une blouse bleue bordée de petites broderies rouges. Les Permiaks, tout au moins dans la région visitée par nous, semblent avoir perdu l'art de la broderie. En chemin nous n'avons pu acheter que trois ceintures tissées par les indigènes; l'une verte, rehaussée de rouge, est d'un dessin charmant.

Jadis les Permiaks ont été des artistes en orfèvrerie, mais cet art indigène paraît également perdu, et aujourd'hui il est difficile d'en trouver des spécimens. A Koudimgkor nous avons pu cependant acheter une paire de boucles d'oreilles d'un travail très soigné.

Ces indigènes vivent de l'élevage du bétail et d'agriculture. Comme les Finnois de Finlande, ils emploient la faucille pour couper le foin. C'est un des rares instruments qu'ils aient conservé de leurs ancêtres.

Boucle d'oreilles permiake.

A Koudimgkor comme dans tous les autres villages, la population enfantine est très nombreuse. Les Permiaks sont une race très prolifique. D'après Maliev, en deux ans, de 1883 à 1885, leur proportion par rapport aux Russes dans le district de Solykamsk a monté de 48,91 pour 100 à 51,11. L'effectif de chaque famille serait de 6,61, nombre supérieur à celui des Russes habitant dans le voisinage (5,27). Cet accroissement rapide des Permiaks est dû en partie à la liberté laissée aux jeunes filles. Chez ce peuple comme chez les Eskimos du Grönland, les hommes paraissent tenir en médiocre estime la virginité de leurs fiancées. D'après une vieille coutume, au moment de la célébration du mariage, la future épouse, si elle est encore vierge, doit déposer un ruban rouge sur les pages de l'évangile ouvert. Or, dit-on, deux ou trois jeunes filles seulement sur cent sont en droit d'accomplir ce rite. Comme excuse on allègue que les femmes permiakes ne se marient guère avant vingt-cinq ans. Après le mariage elles rachètent, dit-on, leurs erreurs passées par une conduite exemplaire[61].

[61] Deniker, loc. cit.

Les indigènes de Koudimgkor nous affirmèrent qu'un peu plus loin au nord habitaient des Permiaks peu modifiés par l'influence russe. Depuis les plaines du Volga nous connaissions ce racontar. Dans le pays des Tchérémisses, lorsque nous demandions aux indigènes de nous indiquer un village habité par des païens, ils nous parlaient toujours de hameau plus éloigné, et dès que nous arrivions à cet endroit les habitants étaient unanimes à affirmer que nous devions aller plus loin pour trouver des indigènes intéressants. Maintenant l'été avance, il n'y a plus de temps à perdre, et, comme demain un vapeur à destination de Tcherdine passe à Pochevo, nous parcourons en une nuit les vingt-cinq lieues qui nous séparent de la Kama.

Le 16 juillet, à neuf heures du matin, nous nous embarquons de nouveau; le lendemain matin voici enfin Tcherdine, le point de départ de notre exploration projetée dans le bassin de la Petchora. Pour y arriver nous avons dû traverser toute l'Europe de l'ouest à l'est et parcourir 6 000 kilomètres. Nous sommes maintenant plus près des frontières de Chine que de France.

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