Barnabé
VII
Braguibus, nouveau Pan, mène le chœur des Nymphes, des Faunes et des Sylvains.
Les Garidel, autrefois, possédaient un troupeau de trois cents chèvres environ, la plus belle cabrade peut-être des Cévennes méridionales; aujourd’hui, leur richesse en bétail avait diminué comme toutes leurs autres richesses, et c’était à peine si, à leur borde de Margal, vingt chèvres aux plantureuses mamelles broutaient parmi les rocailles, sous la conduite d’un bouc magnifiquement encorné.
Cependant ces bêtes, chevrotant vers février, suffisaient à approvisionner la maison de cabris, et je ne fus pas étonné quand Simonnet déposa sur la nappe, tirée comme un linge sur la grave, deux chevreaux rôtis au four et panés. Tous les yeux s’équarquillèrent. Barnabé se frotta les mains bruyamment, et Braguibus eut un sourire discret.
—Moi, dit l’ermite, donnant du fil à son couteau catalan en le passant et le repassant sur la queue de sa fourchette, je ne reculai jamais devant un quartier de cabri. Encore que cette viande ne soit pas des plus rassasiantes, elle est si blanche, si fraîche, qu’on y plante les gencives avec satisfaction. Ça ne résiste pas plus que le poulet de grain ou le caillé. La chose se comprend du reste, ces bêtes, jusqu’à ce jour, n’ont mordu qu’aux mamelles de leurs nourrices, et c’est bien naturel si elles sont tendres comme le lait qu’elles ont tété.
D’un coup de fourchette hardi, il enleva un cuissot entier de chevreau.
—Il paraît, Barnabé, que l’air de Cavimont vous a singulièrement creusé l’estomac, lui dit M. Combal un peu offusqué. Vous ne choisissez pas mal votre morceau.
—Est-ce que par hasard vous avez la goutte aux dents, vous, monsieur le maire? Je vous plains. Pour moi, mes meules sont solides et ne demandent qu’à virer sur le bon froment. Au demeurant, il y aura de la pitance pour la compagnie. Vous, d’abord, vous ne mangez pas gros; le père Garidel n’a pas l’appétit d’un sergent; Braguibus porte en ses intérieurs un estomac de papier mâché; le neveu de M. le curé, c’est un oiseau, pas un homme; quant à nos deux amoureux, ils mordent à l’amour, et je vous réponds que ce pain-là en vaut bien un autre. Ce n’est pas du pain, l’amour, c’est de la fougasse de paradis... Connu!
Il eut un éclat de rire si gras, si rond, qu’une dizaine de Pénitents-Bleus, qui, leur sac encore noué aux reins et leur capuchon renversé sur le dos, dînaient à quelques pas, avec femmes et marmots, tournèrent curieusement leurs têtes vers nous.
—Eh bien! s’écria le Frère, heureux de l’émotion qu’il provoquait, est-ce que ma gaieté vous gêne, vous autres, par exemple? Moi, je ne ressemble pas à Braguibus, lequel est mélancolieux à la mort: je trouve le cabri bon, le vin excellent, la vie meilleure que tout cela, et je ris comme un coffre. D’abord, sachez cela, Pénitents de Bédarieux, la joie est chose divine, et les Apôtres furent bien contents lorsqu’ils virent ressusciter Notre-Seigneur...
Une détonation se fit entendre. Un bouchon, volant à plusieurs mètres au-dessus de nous, tomba juste dans l’assiette de Barnabé.
—Voilà la bière qui m’appelle! dit-il.
Il se leva, saisit son verre, et alla vers le groupe des Pénitents-Bleus. Ceux-ci, qui étaient de bons et joyeux drilles, lui firent un accueil enthousiaste. Tandis qu’une main empressée lui versait de la bière, une autre lui tendait une assiette où se trouvait étalée une tranche de gigot froid.
—Du mouton! s’écria le Frère. Enfin, je vais goûter de la vraie viande!.. Adieu, les amis, ajouta-t-il, nous envoyant une révérence ironique.
Il plia les deux genoux et s’installa.
—Quel homme, ce Barnabé! murmura le père Garidel avec un haussement d’épaules. Encore qu’il soit ermite, il aime mieux la mangeaille que son habit et sa religion.
—Que voulez-vous? intervint Braguibus, ce n’est pas sa faute au Frère de Saint-Michel, s’il a un appétit de loup. Malgré ses dents trop longues, il est bon et serviable tout de même.
—Pour moi, je n’eus jamais à me plaindre de l’ermite, et sa nature franche, délibérée, me rendit son ami depuis bien des années, dit M. Combal.
—Je lui donnerais la moitié de ma personne, moi! s’écria Simonnet tout d’un élan.
—Et l’autre moitié, qu’en ferais-tu? lui demanda finement Braguibus.
—L’autre moitié pour ma Liette, répondit-il.
Le vieux Garidel, comme atteint par ces dernières paroles, ne sut contenir un geste de dépit. Puis, regardant le père de Liette avec des yeux où l’émotion de son cœur venait d’étendre un brouillard:
—Ambroise Combal, lui dit-il, nos jeunes gens s’aiment; en eux, il ne reste plus rien pour nous. Nous pouvons mourir à présent.
Liette et Simonnet courbèrent la tête, comme honteux de leur bonheur.
—Ne soyez pas tristes, mes enfants, intervint M. le maire, dont la voix se mit à trembler. Ce que vous nous faites, au père Garidel et à moi, nous le fîmes nous-mêmes à nos parents, et vos enfants vous le feront un jour. La vie marche de ce pas cruel sur la terre, écrasant tout sur son chemin, les pauvres vieux principalement qui ne sont plus utiles à rien. Dieu a bien fait le partage des joies et des chagrins: d’abord les joies, pour que les lois du mariage, qui sont saintes, s’accomplissent; puis les chagrins, pour nous préparer à quitter ce monde où notre voyage est terminé... Néanmoins cela, je suis content et ne me contriste aucunement au mariage de ma Liette... Ma Liette se marie? Tant mieux! Je demande au ciel de les bénir, elle et son mari, afin qu’il y ait bientôt du bruit chez nous, et que, semblablement à un essaim d’abeilles, j’entende bruire des enfants sur le plancher de la maison.
M. Combal s’arrêta court. En racontant son bonheur, les sanglots lui étaient montés à la gorge et avaient étouffé sa voix. Le vieux Garidel pleurait. Liette cachait sa tête dans son joli tablier de taffetas noir, tandis que Simonnet promenait dans le vide des regards sans pensée, presque éperdus.
Je touchai le coude à Braguibus, tombé dans une contemplation singulière.
—Allons, un coup de fifre! lui dis-je.
Par un geste machinal, il porta l’instrument à ses lèvres, et d’un plein souffle lança aux échos profonds de la Source l’air très alerte de la chanson de Barnabé.
—Eh bien! eh bien! s’écria le Frère, qui reparut incontinent au milieu de nous, et, d’un mouvement brusque, rabattit les doigts à Maniglier. Ce n’est point l’heure des chansons à présent, c’est l’heure des contredanses et des bourrées!... A deux pas d’ici, la prairie est large, et il s’y forme des groupes de filles et de garçons. On n’attend que le musicien pour commencer. Ah! bien oui, chanter, quand l’estomac a sa subsistance! Il faut donner aise aux jambes et laisser la voix en repos. En avant deux, l’ami!
Saisissant Braguibus au bras droit, il l’enleva comme une plume, puis l’entraîna.
Curieux de voir, je me jetai sur leurs talons.
L’eau appelle le gazon. A la naissance de la Source, les herbes commencent, et ce tapis de verdure, d’abord déchiré par les roches saillantes en maints endroits, s’élargit à mesure que les parois du granit s’écartent davantage et finissent par disparaître dans les profondeurs du terrain. A deux cents mètres environ de la fontaine jaillissante, c’est une véritable prairie avec ses marguerites blanches, ses boutons d’or, ses graminées aux lancéoles délicates et menues. M. Étienne Baticol, à qui, sauf l’ermitage, propriété de la commune d’Hérépian, appartient tout entier le monticule de Cavimont, prévoyant la multitude qui, aux approches de la fête, devait fouler ses foins, les avait fait couper huit jours avant Pâques. Les herbages, largement abreuvés, redressaient de nouveau leurs pointes, mais juste assez pour favoriser les glissades des danseurs, trop peu pour embarrasser leurs pieds.
Quand nous arrivâmes à cette esplanade verdoyante, luisante encore sur ses bords du tranchant de la faux, elle était déjà envahie par la foule: partout des jeunes gens et des fillettes devisant, têtes penchées.
Çà et là, des groupes de Pénitents; leurs sacs, fraîchement blanchis et repassés, trop éclatants au soleil, jetaient des notes criardes sur l’émeraude des gazons. Ces religieux de circonstance, dont plusieurs, bien que maçons, ébénistes, journaliers pour la terre, affichaient des panses rebondies, graves comme des chanoines, discutaient avec force gestes quel serait le drapeau qu’on planterait au milieu du bal.
L’année précédente, le drapeau jaune des Pénitents-Bleus ayant obtenu l’honneur de présider aux danses, pourquoi le drapeau écarlate des Pénitents-Blancs ne flotterait-il pas à son tour sur le pré?
Malgré les vociférations, les menaces de quelques Pénitents-Bleus difficiles à réduire, les Pénitents-Blancs l’emportèrent dans le débat, comme c’était justice, et leur couleur victorieuse fut déroulée aux yeux de tous.
Ma surprise fut grande de rencontrer à travers cette foule affairée, turbulente, joyeuse, les ermites de Saint-Pantaléon de Boubals et de Saint-Sauveur de Camplong, que je croyais partis avec le clergé de Bédarieux. Certes, je n’ai rien à dire du frère Gratien, lequel, les mains embarrassées de chapelets et de médailles, cherchait à débiter sa pieuse marchandise parmi les pèlerins; mais peut-être pourrais-je affirmer que la conduite du frère Agricol était moins édifiante. Ainsi, sous mes yeux, je le vis pincer à la taille la même grande et forte fille avec laquelle il polissonnait à la procession.
—Victoire! Victoire! lui disait-il toujours.
Et celle-ci, de se retourner et de rire de ses trente-deux dents.
Le frère Agricol Lambertier allait-il danser avec Victoire? Je pensai bien qu’il n’oserait pas.
Cependant, de toutes parts, on avait aperçu Jean Maniglier, et on l’entourait, on le pressait. Barnabé, serré lui-même de près, joua des bras. Enfin, ayant réussi à repousser le flot, il se hissa sur la pointe des pieds; puis, élevant la voix:
—Les amis, dit-il, Braguibus, qui à lui seul a plus de musique dans la cervelle que tous les musiciens des Cévennes ensemble, a inventé une contredanse nouvelle. Il l’appelle: «La Montagnarde.» Si vous voulez cette contredanse, plus amoureuse que les autres, puisque, au lieu d’embrasser tant seulement une fois sa danseuse, on l’embrasse trois fois: au commencement, au milieu, à la fin, Braguibus vous la jouera de grand cœur. Mais il pose une condition: c’est qu’avant d’engager le pas, chacun laissera tomber deux sous dans son chapeau. Braguibus «n’a pas des chevilles d’or» comme M. Étienne Baticol, et, pour que son fifre chante, il convient premièrement que son estomac soit bien plein. Vous êtes avertis.
—La Montagnarde! la Montagnarde! vociférèrent mille voix.
Barnabé arracha son chapeau à Jean Maniglier, et, tout en accompagnant l’artiste jusque sous le drapeau des Pénitents-Blancs, il quêta dans toutes les directions.
Ce fut une grêle de monnaie.
Au moment où Braguibus, installé sur le gazon, les jambes repliées et le dos appuyé à la hampe du drapeau, portait l’instrument à ses lèvres, Barnabé lui retint le bras, et, s’adressant à la foule:
—Que tout se passe chrétiennement, au moins! s’écria-t-il.
Incontinent, le fifre se donnant carrière, l’énorme branle-bas commença. Ce furent des va-et-vient rapides, des bondissements désordonnés, des bousculements formidables, d’où s’échappaient ensemble des cris de joie et des cris de douleur. Je vis plus d’un couple, pris de vertige, mesurer la profondeur du gazon, puis, se relevant, le front rouge de honte, repartir de plus belle à travers la prairie. L’entrain était admirable, le tournoiement diabolique.
Lorsque Braguibus, par un silence, indiqua le moment venu des embrassements, la débandade devint générale. Tandis que de rares filles, honnêtes et simples, en toute naïveté, acceptaient sur leurs joues enflammées les gros baisers de leurs danseurs, le plus grand nombre de nos Cévenoles, subitement effarouchées, s’enfuirent vers les rocailles où l’ombre tombait épaisse pour s’y blottir et s’y cacher. Heureusement on les rejoignit bien vite, et ce n’est pas un baiser unique qu’elles reçurent, les ingénieuses coquettes, mais deux, mais trois, mais dix, mais autant qu’il en fallut pour dissiper leur épeurement.
A quelques pas de nous, nous aperçûmes, Barnabé et moi, un Pénitent-Blanc qui s’en donnait, sur un frais visage, à cœur et à lèvres déboutonnés. Puis encore devinez qui nous avisâmes, derrière une haie d’épines abornant la salle de bal? M. Anselme Benoît, M. Anselme Benoît, des Aires, avec sa belle femme aux rubans de feu.
—Gardez donc ces caresses pour vos malades, monsieur le médecin! et ne laissez pas tomber vos lunettes, lui cria l’ermite, dont un rire retentissant dilata l’immense bouche à en détacher le menton.
Puis soudain m’interpellant:
—Allons, pétiot, il va nous falloir remonter à Cavimont. Si ce matin nous avons tout dressé sur pied, c’est à nous encore, avant de partir, à mettre de l’ordre dans les deux chapelles et dans l’ermitage. Je pense que M. Michelin va bientôt nommer un Frère, et que la besogne de tout nettoyer par ici ne tombera pas sur mes bras à chaque procession... Braguibus travaillera tranquillement. D’abord j’ai confiance en lui, et je sais bien que j’aurai ma part des sous de son chapeau. Nous sommes associés pour les bals comme pour les chansons...
Nous nous éloignâmes de la prairie, remontant vers Cavimont par le sentier vert de la Source.
Barnabé se parlait à lui-même tout en cheminant:
—Je m’étais promis, en quittant Saint-Michel, se disait-il, de faire une tournée aux environs de Saint-Gervais et de pousser peut-être jusqu’à Murat. Mais ce brigand de Venceslas Labinowski m’empêche, cette année, d’aller à la quête de la saucisse... Aux environs de Pâques, la saucisse est juste à point, dure, fraîche, savoureuse. C’est dommage! on est si généreux pour moi au Pradal, à Douch, à Rosis!... Que faire? Je ne puis pourtant pas laisser mon argent tout seul à Saint-Michel, pour que ce Polonais le découvre et me le vole. Seigneur du ciel! près de huit mille francs de beaux écus blancs, en un gros bas de coton bleu, sous un pavé de l’ermitage... Quand j’aurai dix mille francs, Félibien s’établira... Quel jour!... Je demanderai à Simonnet Garidel son fusil à deux coups et ses pistolets à M. Anselme Benoît; puis, si Venceslas se montre, avant qu’il ait ouvert la bouche pour me crier le mot de tous les voleurs: «De l’argent! de l’argent!» moi, je l’abats comme un gibier...
Je m’arrêtai: j’avais entendu des bruits singuliers dans les roseaux qui, à l’endroit où nous étions parvenus, forment un épais rideau sur le courant de la Source. Le Frère lui-même, étonné et saisi, s’interrompit. Un peu effrayé, je me rapprochai de lui.
Nous attendîmes, œil braqué, oreille au vent.
Soudain deux têtes passèrent au-dessus des flèches des roseaux, puis vivement disparurent, puis se remontrèrent pour s’effacer encore. Je ne pus distinguer aucun visage.
—Viens, fillot, viens, me dit Barnabé à voix basse. Quand les honnêtes gens s’amusent, il ne faut pas les inquiéter... Ça me rappelle le bon temps... Au demeurant, tu verras de quoi il s’agit... Marche doucement.
Quittant le chemin gazonné du bord de l’eau, nous coupâmes à droite par les rochers.
Je me retournai. Quel spectacle! Le frère Agricol Lambertier, les deux bras enlacés à la taille de sa Victoire, dansait sur le gazon, derrière les roseaux, avec une fureur de possédé. Il courait à droite, à gauche, faisant des pas démesurés avec ses pieds pointus tant il s’efforçait de les tendre, mais retenant toujours son fardeau qu’il couvrait de baisers à l’envi. Une fois, il manqua de rouler dans le ruisseau, ayant d’un seul bond arpenté trop de terrain. Une yeuse se trouva là, et, d’une main robuste comme un crochet de fer, il se retint au tronc vigoureusement.
La mythologie m’avait souvent parlé des Nymphes, des Faunes, des Satyres, des Sylvains, sans que j’entendisse ces personnages fabuleux; désormais j’avais compris, et, rougissant jusqu’au blanc des yeux, je m’échappai vers Cavimont.
Pas plus de bruit autour de la chapelle de Notre-Dame qu’autour du sanctuaire de Sainte-Anne-la-Marieuse. Tout se taisait.
Ce silence imposant—il l’est toujours sur les sommets—me permit de discerner des paroles qu’on murmurait en l’intérieur de l’ermitage. J’y courus.
Adon Laborie et Gratien Pastourel, assis sur des escabelles, devisaient paisiblement à mi-voix. Un petit sac de grosse toile, farci d’écus, se tenait debout à la droite du frère Adon, et, devant le frère Gratien, se dressaient des piles de gros sous. Les ermites, tout en échangeant des paroles brèves, grignotaient des restes de victuailles, maigre fruit des quêtes qu’ils avaient dû pratiquer parmi les pèlerins de la Source et des rochers.
Avant que les Frères, préoccupés, se fussent retournés vers moi, Barnabé parut.
—Eh bien! demanda-t-il, frappant sur l’épaule à Laborie, combien de rondelles d’argent, cette année?
—Quatre cent cinquante-trois francs huit sous. Notre-Dame a rendu deux cents francs, Sainte-Anne-la-Marieuse le reste.
Barnabé soupesa le sac.
—Sont-ils heureux, ces curés! articula-t-il l’œil enflammé de convoitise: rien pour les pauvres ermites, tout pour eux...
—Et vous, frère Gratien, avez-vous rempli l’escarcelle?
—J’ai vendu pour cinq francs trois sous de médailles, un franc de plus que l’an passé à pareille époque, répondit l’ermite de Saint-Sauveur.
Il empocha lestement sa monnaie, tandis que le frère Adon, des deux mains serrait le sac aux écus, que Barnabé, bien à regret il faut le reconnaître, avait enfin remis sur la table.
—Allons, bonsoir, Frère, portez-vous bien! murmurèrent à la fois les deux ermites.
Ils détalèrent.
Un peu ahuri, peut-être blessé de voir disparaître si brusquement ses confrères, Barnabé les regarda s’éloigner par la fenêtre ouverte. Une colère sourde, qu’il s’efforçait de contenir, lui crispait les poings.
—Dites-moi donc, les amis, ne put-il s’empêcher de leur crier, au moment où ils atteignaient l’extrémité du plateau, avez-vous peur pour votre butin, par exemple?
L’ermite de Saint-Sauveur seul se retourna.
—Souvenez-vous de Venceslas Labinowski, glapit-il de toutes ses forces. Ce soir, je préviendrai moi-même la gendarmerie de Bédarieux; n’oubliez pas, demain matin, de prévenir celle de Saint-Gervais.
Ils s’enfoncèrent dans une fente du granit.