Calixte; ou, l'introduction à la vie lyonnaise
PRÉFACE
Voici une véritable apologie de la vie lyonnaise. Un Parisien en est l’auteur. Il la publie aujourd’hui avec la reconnaissance de ses amis.
Il y a un an environ que Philippe Lavrignais nous entretint d’une sorte de Journal de sa vie à Lyon sur lequel il désirait connaître notre sentiment. Il y avait consigné, croyait-il, quelques remarques intéressantes sur les mœurs et coutumes des habitants de notre ville. Il en envisageait même la publication… Nous étions pleins de méfiance. Bien que notre ami eût changé favorablement depuis son établissement à Lyon, nous redoutions encore en lui les incartades d’un esprit naturellement impatient de nos fortes disciplines — de cet esprit parisien qui, depuis des siècles, piétine en caracolant les choses les plus respectables comme un poulain lâché dans un potager. Nous redoutions, sans le lui avouer, que ces prétendues observations sur nos mœurs ne fussent que d’impertinentes plaisanteries, et nous n’acceptâmes de les entendre qu’en nous contraignant tous.
La lecture dura plusieurs heures ; cependant elle nous parut courte. Notre surprise grandissait à chaque page tant ce que nous entendions allait à l’encontre de nos secrètes appréhensions. Point de fantaisie malséante, de charge, de caricature : la vérité, l’humble et profonde vérité exprimée avec je ne sais quelle naïveté sublime. Autour de moi, les visages rassérénés s’épanouissaient, les approbations se multipliaient…
Jamais, nous semblait-il, on n’avait encore tracé de notre haute société une image aussi fidèle, exposé avec autant de clarté les grands principes qui en règlent la conduite et les usages, si nettement expliqué ses contradictions apparentes. « Grâce à vos travaux, lui disions-nous, la vie lyonnaise n’a plus ni difficulté, ni mystère. Elle devient accessible à tous et tous voudront s’y engager tant vous en avez dévoilé les charmes avec art et amour. » Nous lui disions aussi : « Vous n’avez pas craint de vous donner en exemple et, de cela, vous serez loué particulièrement, car c’est ici une ambition qui nous talonne tous. Cette conversion d’un Parisien frondeur à une existence respectueusement soumise aux plus nobles contraintes sera, n’en doutez pas, appréciée comme elle le mérite. Votre œuvre réunit tous les attraits : la vérité et l’édification. »
Notre ami accepta nos louanges avec reconnaissance et modestie. Puis il nous confia que si le souci de la vérité ne l’avait pas quitté au cours de son œuvre, il avait surtout obéi, en l’écrivant, à des considérations d’ordre pratique. Songeant aux nombreux étrangers que les affaires amènent dans notre ville, il avait conçu ce livre comme une sorte de guide-âne à leur usage. Et il espérait que, grâce aux avertissements, conseils et exhortations qu’il y avait enfermés, ceux-ci sauraient s’attirer infailliblement les sympathies de la meilleure société, sans connaître ces amères quarantaines dont il avait tant pâti lui-même et qu’il attribuait à quelques imprudences de conduite et de langage. Nous lui répliquâmes avec conviction que non seulement il instruirait les étrangers mais qu’il aiderait encore beaucoup de Lyonnais à se mieux connaître en leur donnant, par surcroît, quelques raisons de plus de s’estimer…
Nous nous entretenions toujours du talent de notre ami. A vrai dire, si le fond de son œuvre nous avait pleinement satisfaits, il n’en était pas de même de son style tout entaché d’un certain gongorisme fort à la mode. Nous ne lui cachâmes pas que, s’il souhaitait présenter au public un ouvrage vraiment lyonnais, il devait le dépouiller auparavant de ces ornements prétentieux, de ces concettis et de ce bariolage qui font peut-être les délices des snobs et des esthètes mais que réprouve notre goût d’un classicisme un peu ombrageux. Cette observation parut le contrister beaucoup. Il nous avoua d’un ton découragé qu’il doutait de mener à bien ce travail d’écobuage ; et ce fut alors qu’il m’en chargea avec simplicité. Mon amitié pour lui était trop vive pour lui refuser un tel service. Je lui promis d’apporter le plus grand soin à dépouiller son étude de tous agréments frivoles et à ne lui laisser que cette nudité correcte et froide qui convient aux œuvres d’enseignement…
C’est cette seconde version de l’Introduction à la vie lyonnaise, consciencieusement revue, corrigée et approuvée par l’auteur que nous présentons aujourd’hui au public.
J. D.
Lyon, mai 1925.