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Contes Français

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...Quelle horreur!... Un quartier plein de bohémiens,

de saltimbanques! Qui sait si l'on n'a pas volé

l'enfant?... Ah! le commissaire était déjà prévenu... Mais

[20]
conçoit-on cela? Cette sainte-nitouche!... Des rendez-vous

avec un amant, un homme de son pays!... Un espion

prussien, pour sûr!...»


Son fils! Perdu! M. Godefroy entend l'orage de l'apoplexie

gronder dans ses oreilles. Il bondit sur l'Allemande,

[25]
l'empoigne par le bras, la secoue avec fureur.


«Où l'avez-vous perdu de vue, misérable?... Dites la

vérité, ou je vous écrase!... Où çà? Où çà?...»


Mais la malheureuse fille ne sait que pleurer et crier

grâce. Voyons, du calme!... Son fils! son fils à lui, perdu,

[30]
volé? Ce n'est pas possible! On va le lui retrouver, le

lui rendre tout de suite. Il peut jeter l'or à poignées,

mettre toute la police en l'air. Ah! pas un instant à perdre,

«Charles, qu'on ne dételle pas... Vous autres, gardez-moi

cette coquine... Je vais à la Préfecture.»


Et M. Godefroy, le coeur battant à se rompre, les cheveux

soulevés d'épouvante, s'élance de nouveau dans

[5]
son coupé, qui repart d'un trot enragé. Quelle ironie!

La voiture est pleine de jouets étincelants, où chaque bec

de gaz, chaque boutique illuminée, allume au passage cent

paillettes de feu. C'est aujourd'hui, la fête des enfants, ne

l'oublions pas, la fête du nouveau-né divin, que sont venus

[10]
adorer les mages et les bergers conduits par une étoile.


«Mon Raoul!... mon fils!... Où est mon fils?...»

se répète le père crispé par l'angoisse en déchirant ses

ongles au cuir des coussins. A quoi lui servent maintenant

ses titres, ses honneurs, ses millions, à l'homme

[15]
riche, au gros personnage? Il n'a plus qu'une idée, fixée

comme un clou de feu, là, entre ses deux sourcils, dans

son cerveau douloureux et brûlant: «Mon enfant, où est

mon enfant?...»


Voici la Préfecture de police. Mais il n'y a plus

[20]
personne; les bureaux sont désertés depuis longtemps.


«Je suis M. Godefroy, député de l'Eure... Mon fils est

perdu dans Paris; un enfant de quatre ans... Je veux

absolument voir M. le préfet.»


Et un louis dans la main du concierge.


[25]
Le bonhomme, un vétéran à moustaches grises, moins

pour la pièce d'or que par compassion pour ce pauvre

père, le conduit aux appartements privés du préfet, l'aide

à forcer les consignes. Enfin, M. Godefroy est introduit

devant l'homme en qui repose à présent toute son espérance,

[30]
un beau fonctionnaire, en tenue de soirée,--il allait

sortir,--l'air réservé, un peu prétentieux, le monocle à

l'oeil.


M. Godefroy, les jambes cassées par l'émotion, tombe

dans un fauteuil, fond en larmes, et raconte son malheur,

en phrases bredouillées, coupées de sanglots.


Le préfet--il est père de famille, lui aussi,--a le coeur

[5]
tout remué; mais, par profession, il dissimule son accès de

sensibilité, se donne de l'importance.


«Et vous dites, monsieur le député, que l'enfant a dû

se perdre vers quatre heures?


--Oui, monsieur le préfet.


[10]
--A la nuit tombante... Diable!... Et il n'est pas

avancé pour son âge; il parle mal, ignore son adresse, ne

sait pas prononcer son nom de famille?


--Oui!... Hélas! Oui!...


--Du côté de la porte d'Asnières?... Quartier suspect

[15]
...Mais remettez-vous... Nous avons par là un commissaire

de police très intelligent... Je vais téléphoner.»

L'infortuné père reste seul pendant cinq minutes. Quelle

atroce migraine! quels battements de coeur fous! Puis

brusquement, le préfet reparaît, le sourire aux lèvres, un

[20]
contentement dans le regard: «Retrouvé!»


Oh! le cri de joie furieuse de M. Godefroy! Comme il

se jette sur les mains du préfet, les serre à les broyer!

«Et il faut convenir, monsieur le député, que nous

avons de la chance... Un petit blond, n'est-ce pas? un

[25]
peu pâle?... Costume de velours bleu?... Chapeau de

feutre à plume blanche?...


--Oui, parfaitement... C'est lui! c'est mon petit

Raoul!


--Eh bien, il est chez un pauvre diable qui loge de ce

[30]
côté-là; et qui est venu tout à l'heure faire sa déclaration

au commissariat... Voici l'adresse par écrit: Pierron, rue

des Cailloux, à Levallois-Perret. Avec une bonne voiture,


vous pourrez revoir votre fils avant une heure. Par

exemple, ajoute le fonctionnaire, vous n'allez pas retrouver

votre enfant dans un milieu bien aristocratique,

dans la «haute,» comme disent nos agents. L'homme

[5]
qui l'a recueilli est tout simplement un marchand des

quatre saisons... Mais qu'importe! n'est-ce pas?...


Ah, oui, qu'importe! M. Godefroy remercie le préfet

avec effusion, descend l'escalier quatre à quatre, remonte

en coupé, et, dans ce moment, je vous en réponds, si le

[10]
marchand des quatre saisons était là, il lui sauterait au

cou. Oui, M. Godefroy, directeur du Comptoir général de

crédit, député, officier de la Légion d'honneur, etc., etc.,

accolerait ce plébéien! Mais, dites-moi donc, est-ce que,

par hasard, il y aurait autre chose, dans ce richard, que

[15]
la frénésie de l'or et des vanités? A partir de cette minute,

il reconnaît seulement à quel point il aime son enfant.

Fouette, cocher! Celui que tu emportes, dans un coupé,

par cette froide nuit de Noël, ne songe plus à entasser

pour son fils millions sur millions, à le faire éduquer comme

[20]
un Fils de France, à le lancer dans le monde; et pas de

danger, désormais, qu'on le laisse aux mains des mercenaires!

A l'avenir, M. Godefroy sera capable de négliger

ses propres affaires et celles de la France--qui ne s'en

portera pas plus mal--pour s'occuper un peu plus sérieusement

[25]
de son petit Raoul. Il fera venir des Andelys la

soeur de son père, la vieille tante restée à moitié paysanne,

dont il avait la sottise de rougir. Elle scandalisera la

valetaille par son accent normand et ses bonnets de

linge. Mais elle veillera sur son petit-neveu, la bonne

[30]
femme. Fouette, fouette, cocher! Ce patron, toujours si

pressé, que tu as conduit à tant de rendez-vous intéressés,

à tant de réunions de gens cupides, est, ce soir, encore


plus impatient d'arriver, et il a un autre souci que de

gagner de l'argent. C'est la première fois de sa vie qu'il

va embrasser son enfant pour de bon. Fouette donc,

cocher! Plus vite! Plus vite!


[5]
Cependant, par la nuit froide et claire, le coupé rapide

a de nouveau traversé Paris, dévoré l'interminable boulevard

Malesherbes; et, le rempart franchi, après les maisons

monumentales et les élégants hôtels, tout de suite voici

la solitude sinistre, les ruelles sombres de la banlieue. On

[10]
s'arrête, et M. Godefroy, à la clarté des lanternes éclatantes

de sa voiture, voit une basse et sordide baraque de

plâtras, un bouge. C'est bien le numéro, c'est là que loge

ce Pierron. Aussitôt la porte s'ouvre, et un homme parait,

un grand gaillard, une tête bien française, à moustaches

[15]
rousses. C'est un manchot, et la manche gauche de son

tricot de laine est pliée en deux sous l'aisselle. Il regarde

l'élégant coupé, le bourgeois en belle pelisse, et dit

gaiement:


«Alors, monsieur, c'est vous qui êtes le papa?... Ayez

[20]
pas peur... Il n'est rien arrivé au gosse.»


Et, s'effaçant pour permettre au visiteur d'entrer, il

ajoute, en mettant un doigt sur sa bouche: «Chut! il fait

dodo.»


III


Un bouge, en vérité! A la lueur d'une petite lampe à

[25]
pétrole qui éclaire très mal et qui sent très mauvais, M.

Godefroy distingue une commode à laquelle manque un

tiroir, quelques chaises éclopées, une table ronde où flânent

un litre à moitié vide, trois verres, du veau froid dans

une assiette, et, sur le plâtre nu de la muraille, deux

[30]
chromos: l'Exposition de 89 à vol d'oiseau, avec la tour


Eiffel en bleu de perruquier, et le portrait du général

Boulanger, jeune et joli comme un sous-lieutenant. Excusez

cette dernière faiblesse chez l'habitant de ce pauvre

logis: elle a été partagée par presque toute la France.

[5]
Mais le manchot a pris la lampe et, marchant sur la

pointe du pied, éclaire un coin de chambre, où; sur un lit

assez propre, deux petits garçons sont profondément endormis.

Dans le plus jeune des enfants, que l'autre enveloppe

d'un bras protecteur et serre contre son épaule,

[10]
M. Godefroy reconnaît son fils.


«Les deux mômes mouraient de sommeil, dit Pierron,

en essayant d'adoucir sa voix rude. Comme je ne savais

pas quand on viendrait réclamer le petit aristo, je leur

ai donné mon «pieu,» et, dès qu'ils ont tapé de l'oeil, j'ai

[15]
été faire ma déclaration au commissaire... D'ordinaire,

Zidore a son petit lit dans la soupente; mais je me suis dit:

Ils seront mieux là. Je veillerai, voilà tout. Je serai

plus tôt levé demain, pour aller aux Halles.»


Mais M. Godefroy écoute à peine. Dans un trouble

[20]
tout nouveau pour lui, il considère les deux enfants

endormis. Ils sont dans un méchant lit de fer, sur une

couverture grise de caserne ou d'hôpital. Pourtant quel

groupe touchant et gracieux! Et comme Raoul, qui a

gardé son joli costume de velours, et qui reste blotti avec

[25]
une confiance peureuse dans les bras de son camarade en

blouse, semble faible et délicat! Le père, un instant privé

de son fils, envie presque le teint brun et l'énergique visage

du petit faubourien.


«C'est votre fils? demande-t-il au manchot.


[30]
--Non, monsieur, répond l'homme. Je suis garçon et

je ne me marierai sans doute pas, rapport à mon accident

...oh! bête comme tout! un camion qui m'a passé sur le


bras... Mais voilà. Il y a deux ans, une voisine, une

pauvre fille plantée là par un coquin avec un enfant sur

les bras, est morte à la peine. Elle travaillait dans les

couronnes de perles, pour les cimetières. On n'y gagne

[5]
pas sa vie, à ce métier-là. Elle a élevé son petit jusqu'à

l'âge de cinq ans, et puis, ç'a été pour elle, à son tour,

que les voisines ont acheté des couronnes. Alors je me

suis chargé du gosse. Oh! je n'ai pas eu grand mérite, et

j'ai été bien vite récompensé. A sept ans, c'est déjà un

[10]
petit homme, et il se rend utile. Le dimanche et le jeudi,

et aussi les autres jours, après l'école, il est avec moi,

tient les balances, m'aide à pousser ma charrette, ce qui

ne m'est pas trop commode, avec mon aileron... Dire

qu'autrefois j'étais un bon ajusteur, à dix francs par

[15]
jour!... Allez! Zidore est joliment débrouillard. C'est

lui qui a ramassé le petit bourgeois.


--Comment? s'écrie M. Godefroy. C'est cet enfant?...


--Un petit homme, que je vous dis. Il sortait de la

classe, quand il a rencontré l'autre qui allait tout droit.

[20]
devant lui, sur le trottoir, en pleurant comme une fontaine.

Il lui a parlé comme à un copain, l'a consolé, rassuré

du mieux qu'il a pu. Seulement, on ne comprend

pas bien ce qu'il raconte, votre bonhomme. Des mots

d'anglais, des mots d'allemand; mais pas moyen de lui

[25]
tirer son nom et son adresse... Zidore me l'a amené;

je n'étais pas loin de là, à vendre mes salades. Alors les

commères nous ont entourés, en coassant comme des grenouilles:

«Faut le mener chez le commissaire.» Mais

Zidore a protesté. «Ça fera peur au môme,» qu'il disait.

[30]
Car il est comme tous les Parisiens: il n'aime pas les

sergots. Et puis votre gamin ne voulait plus le quitter.

Ma foi, tant pis! j'ai raté ma vente, et je suis rentré ici


avec les mioches. Ils ont mangé un morceau ensemble,

comme une paire d'amis, et puis, au dodo!... Sont-ils

gentils tout de même, hein?»


C'est étrange, ce qui se passe dans l'âme de M. Godefroy.

[5]
Tout à l'heure, dans sa voiture, il se proposait bien,

sans doute, de donner à celui qui avait recueilli son fils

une belle récompense, une poignée de cet or si facilement

gagné en présence des encriers siphoïdes. Mais on vient

de lever devant l'homme un coin du rideau qui cache la

[10]
vie des pauvres, si vaillants dans leur misère, si

charitables entre eux. Le courage de cette fille-mère se tuant

de travail pour son enfant, la générosité de cet infirme

adoptant un orphelin, et surtout l'intelligente bonté de ce

gamin de la rue, de ce petit homme secourable pour un

[15]
plus petit, le recueillant, se faisant tout de suite son ami

et son frère aîné, et lui épargnant, par un instinct délicat,

le grossier contact de la police, tout cela émeut M. Godefroy

et lui donne à réfléchir. Non, il ne se contentera pas

d'ouvrir son portefeuille. Il veut faire mieux et plus pour

[20]
Zidore et pour Pierron le manchot, assurer leur avenir,

les suivre de sa bienveillance. Ah! si les peu sentimentaux

personnages qui viennent constamment parler d'affaires

à M. le directeur du Comptoir général de crédit

pouvaient lire en ce moment dans son esprit, ils seraient

[25]
profondément étonnés; et pourtant M. le directeur vient

de faire la meilleure affaire de sa vie: il vient de se découvrir

un coeur de brave homme. Oui, monsieur le directeur,

vous comptiez offrir une gratification à ces pauvres

gens, et voilà que ce sont eux qui vous font un magnifique

[30]
cadeau, celui, d'un sentiment, et du plus doux, du plus

noble de tous, la pitié. Car M. Godefroy songe, à présent,

--et il s'en souviendra,--qu'il y a d'autres estropiés que


Pierron, l'ancien ajusteur devenu marchand de verdure,

d'autres orphelins que le petit Zidore. Bien plus, il se

demande, avec une inquiétude profonde, si l'argent ne

doit vraiment servir qu'à engendrer l'argent, et si l'on n'a

[5]
pas mieux à faire, entre ses repas, que de vendre en hausse

des valeurs achetées en baisse et d'obtenir des places pour

ses électeurs.


Telle est sa rêverie devant le groupe des deux enfants

qui dorment. Enfin il se détourne, regarde en face le

[10]
marchand des quatre saisons; il est charmé par l'expression

loyale de ce visage de guerrier gaulois, aux yeux

clairs, aux moustaches ardentes.


«Mon ami, dit M. Godefroy, vous venez de me rendre,

vous et votre fils adoptif, un de ces services! ...Bientôt,

[15]
vous aurez la preuve que je ne suis pas un ingrat. Mais,

dès aujourd'hui... Je vois bien que vous n'êtes pas à

l'aise et je veux vous laisser un premier souvenir.»


Mais de son unique main le manchot arrête le bras de

M. Godefroy, qui plonge déjà sous le revers de la

[20]
redingote, du côté des bank-notes.


«Non, monsieur, non! N'importe qui aurait agi comme

nous... Je n'accepterai rien, soit dit sans vous offenser

...On ne roule pas sur l'or, c'est vrai, mais, excusez la

fierté, on a été soldat,--j'ai ma médaille du Tonkin, là,

[25]
dans le tiroir,--et on ne veut manger que le pain qu'on

gagne.


--Soit, reprend le financier. Mais, voyons, un brave

homme comme vous, un ancien militaire... Vous me

paraissez capable de mieux faire que de pousser une charrette

[30]
à bras... On s'occupera de vous, soyez tranquille.»


Mais l'estropié se contente de répondre froidement, avec

un sourire triste qui révèle bien des déceptions, tout un


passé de découragement: «Enfin, si monsieur veut bien

songer à moi!...»


Quelle surprise pour les loups-cerviers de la Bourse et

les intrigants du Palais-Bourbon s'ils pouvaient savoir!

[5]
Voilà que M. Godefroy est désolé, à présent, de la méfiance

de ce pauvre diable. Attendez un peu! Il saura

bien lui apprendre à ne pas douter de sa reconnaissance.

Il y a de bonnes places de surveillants et de garçons de

caisse, au Comptoir. Qu'est-ce que vous direz, monsieur

[10]
le sceptique, quand vous aurez un bel habit de drap gris-bleu,

avec votre médaille du Tonkin à côté de la plaque

d'argent? Et ce sera fait dès demain, n'ayez pas peur!

Et c'est vous qui serez bien attrapé, ah! ah! ...


«Et Zidore? s'écrie M. Godefroy avec plus de chaleur

[15]
que s'il s'agissait de faire un bon coup sur les valeurs à

turban. Vous permettrez bien que je m'occupe un peu de

Zidore?...


--Ah! pour ça, oui! répond joyeusement Pierron.

Souvent, quand je songe que le pauvre petit n'a que moi

[20]
au monde, je me dis: «Quel dommage!...» Car il est plein

de moyens. Les maîtres sont enchantés de lui, à l'école

primaire.»


Mais Pierron s'interrompt brusquement, et, dans son

regard de franchise, M. Godefroy lit encore, et très clairement,

[25]
cette arrière-pensée: «C'est trop beau, tout ça...

Le bourgeois nous oubliera, une fois le dos tourné.»


«Maintenant, dit le manchot, je crois que nous n'avons

plus qu'à transporter votre gamin dans la voiture; car

vous devez bien vous dire qu'il sera mieux chez vous qu'ici

[30]
...Oh! vous n'avez qu'à le prendre dans vos bras; il ne

se réveillera même pas... On dort si bien à cet âge-là

...Seulement il faudrait d'abord lui remettre ses souliers.»


Et, suivant le regard du marchand des quatre saisons,

M. Godefroy aperçoit devant le foyer, où se meurt un

petit feu de coke, deux paires de chaussures enfantines:

les fines bottines de Raoul et les souliers à clous de Zidore;

[5]
et chacune des paires de chaussures contient un pantin de

deux sous et un cornet de bonbons de chez l'épicier.


«Ne faites pas attention, monsieur, murmure alors

Pierron d'une voix presque honteuse. C'est Zidore, avant

de se jeter sur le lit, qui a mis là ses souliers et ceux de

[10]
votre fils... A la laïque, on a beau leur dire que c'est de

la blague, les enfants croient encore à la Noël... Alors,

moi, en revenant de chez le commissaire, comme je ne

savais pas, après tout, si votre gamin ne passerait pas la

nuit dans ma turne, j'ai acheté ces bêtises-là... vous

[15]
comprenez... pour que les gosses... à leur réveil...»


Ah! c'est à présent que les bras leur tomberaient, aux

députés qui ont vu si souvent M. Godefroy voter pour la

libre pensée;--au fond, il s'en moquait pas mal, mais la

réélection!--C'est à présent qu'ils jetteraient leur langue

[20]
au chat, tous les messieurs durs et secs qui siégeaient avec

M. Godefroy autour des tables vertes et qui l'admiraient

comme un maître pour sa sécheresse et pour sa dureté.

Est-ce que, par hasard, ce serait aujourd'hui la fin du

monde?... M. Godefroy a les yeux pleins de larmes!


[25]
Tout à coup, il s'élance hors de la baraque, y rentre au

bout d'une minute, les bras chargés du superbe cheval

mécanique, de la grosse boite de soldats de plomb, des

autres jouets magnifiques achetés par lui dans l'après-midi

et restés dans sa voiture; et, devant Pierron stupéfait,

[30]
il dépose son fardeau doré et verni auprès des petits

souliers. Puis, saisissant la main du manchot dans les

siennes, et d'une voix que l'émotion fait trembler:


«Mon ami, mon cher ami, dit-il au marchand des quatre

saisons, voici les cadeaux que Noël apportait à mon petit

Raoul. Je veux qu'il les trouve ici, en se réveillant, et

qu'il les partage avec Zidore, qui sera désormais son

[5]
camarade... Maintenant, vous me croyez, n'est-ce pas?

...Je me charge de vous et du gamin...et je reste

encore votre obligé; car vous ne m'avez pas seulement

aidé à retrouver mon fils perdu; vous m'avez aussi rappelé

qu'il y avait des pauvres gens, à moi, mauvais

[10]
riche qui vivais sans y songer. Mais, je le jure par ces

deux enfants endormis, je ne l'oublierai plus, désormais!»

...Tel est le miracle, messieurs et mesdames, accompli

le 24 décembre dernier, à Paris, en plein égoïsme moderne.

Il est très invraisemblable, j'en conviens; et, en dépit des

[15]
anciens votes anticléricaux de M. Godefroy et de l'éducation

purement laïque reçue par Zidore à l'école primaire,

je suis bien forcé d'attribuer cet événement merveilleux

à la grâce de l'Enfant divin, venu au monde, il y a près

de dix-neuf cents ans, pour ordonner aux hommes de

[20]
s'aimer les uns les autres.


GAUTIER


LA MILLE ET DEUXIÈME NUIT


IL y avait une fois dans la ville du Caire un jeune homme

nommé Mahmoud-Ben-Ahmed, qui demeurait sur la place

de l'Esbekick.


Son père et sa mère étaient morts depuis quelques années

[5]
en lui laissant une fortune médiocre, mais suffisante pour

qu'il pût vivre sans avoir recours au travail de ses mains:

d'autres auraient essayé de charger un vaisseau de

marchandises ou de joindre quelques chameaux chargés

d'étoffes précieuses à la caravane qui va de Bagdad à

[10]
la Mecque; mais Mahmoud-Ben-Ahmed préférait vivre.

tranquille, et ses plaisirs consistaient à fumer du tombeki

dans son narguilhé, en prenant des sorbets et en mangeant

des confitures sèches de Damas.


Quoiqu'il fût bien fait de sa personne, de visage régulier

[15]
et de mine agréable, il ne cherchait pas les aventures, et

avait répondu plusieurs fois aux personnes qui le pressaient

de se marier et lui proposaient des partis riches et convenables,

qu'il n'était pas encore temps et qu'il ne se

sentait nullement d'humeur à prendre femme.


[20]
Mahmoud-Ben-Ahmed avait reçu une bonne éducation:

il lisait couramment dans les livres les plus anciens,

possédait une belle écriture, savait par coeur les versets du

Coran, les remarques des commentateurs, et eût récité

sans se tromper d'un vers les Moallakats des fameux

[25]
poètes affichés aux portes des mosquées; il était un peu


poète lui-même et composait volontiers des vers assonants

et rimés, qu'il déclamait sur des airs de sa façon avec

beaucoup de grâce et de charme.


A force de fumer son narguilhé et de rêver à la fraîcheur

[5]
du soir sur les dalles de marbre de sa terrasse, la tête de

Mahmoud-Ben-Ahmed s'était un peu exaltée: il avait

formé le projet d'être l'amant d'une péri ou tout au moins

d'une princesse du sang royal. Voilà le motif secret qui

lui faisait recevoir avec tant d'indifférence les propositions

[10]
de mariage et refuser les offres des marchands

d'esclaves. La seule compagnie qu'il pût supporter était

celle de son cousin Abdul-Malek, jeune homme doux et

timide qui semblait partager la modestie de ses goûts.


Un jour, Mahmoud-Ben-Ahmed se rendait au bazar pour

[15]
acheter quelques flacons d'atar-gull et autres drogueries

de Constantinople, dont il avait besoin. Il rencontra,

dans une rue fort étroite, une litière fermée par des rideaux

de velours incarnadin, portée par deux mules blanches et

précédée de zebeks et de chiaoux richement costumés. Il

[20]
se rangea contre le mur pour laisser passer le cortège;

mais il ne put le faire si précipitamment qu'il n'eût le

temps de voir, par l'interstice des courtines, qu'une folle

bouffée d'air souleva, une fort belle dame assise sur des

coussins de brocart d'or. La dame, se fiant sur l'épaisseur

[25]
des rideaux et se croyant à l'abri de tout regard téméraire,

avait relevé son voile à cause de la chaleur. Ce ne fut

qu'un éclair; cependant cela suffit pour faire tourner la

tête du pauvre Mahmoud-Ben-Ahmed: la dame avait le

teint d'une blancheur éblouissante, des sourcils que l'on

[30]
eût pu croire tracés au pinceau, une bouche de grenade

qui en s'entr'ouvrant laissait voir une double file de perles

d'Orient plus fines et plus limpides que celles qui forment


les bracelets et le collier de la sultane favorite, un air

agréable et fier, et dans toute sa personne je ne sais quoi

de noble et de royal.


Mahmoud-Ben-Ahmed, comme ébloui de tant de

[5]
perfections, resta longtemps immobile à la même place, et,

oubliant qu'il était sorti pour faire des emplettes, il retourna

chez lui les mains vides, emportant dans son coeur

la radieuse vision.


Toute la nuit il ne songea qu'à la belle inconnue, et dès

[10]
qu'il fut levé il se mit à composer en son honneur une

longue pièce de poésie, où les comparaisons les plus fleuries

et les plus galantes étaient prodiguées.


Ne sachant que faire, sa pièce achevée et transcrite sur

une belle feuille de papyrus avec de belles majuscules en

[15]
encre rouge et des fleurons dorés, il la mit dans sa manche

et sortit pour montrer ce morceau à son ami Abdul, pour

lequel il n'avait aucune pensée secrète.


En se rendant à la maison d'Abdul, il passa devant le

bazar et entra dans la boutique du marchand de parfums

[20]
pour prendre les flacons d'atar-gull. Il y trouva une belle

dame enveloppée d'un long voile blanc qui ne laissait

découvert que l'oeil gauche. Mahmoud-Ben-Ahmed, sur

ce seul oeil gauche, reconnut incontinent la belle dame du

palanquin. Son émotion fut si forte, qu'il fut obligé de

[25]
s'adosser à la muraille.


La dame au voile blanc s'aperçut du trouble de

Mahmoud-Ben-Ahmed, et lui demanda obligeamment ce qu'il

avait et si, par hasard, il se trouvait incommodé.


Le marchand, la dame et Mahmoud-Ben-Ahmed passèrent

[30]
dans l'arrière-boutique. Un petit nègre apporta

sur un plateau un verre d'eau de neige, dont

Mahmoud-Ben-Ahmed but quelques gorgées.


«Pourquoi donc ma vue vous a-t-elle causé une si vive

impression?» dit la dame d'un ton de voix fort doux et où

perçait un intérêt assez tendre.


Mahmoud-Ben-Ahmed lui raconta comment il l'avait

[5]
vue près de la mosquée du sultan Hassan à l'instant où les

rideaux de sa litière s'étaient un peu écartés, et que depuis

cet instant il se mourait d'amour pour elle.


«Vraiment, dit la dame, votre passion est née si subitement

que cela? je ne croyais pas que l'amour vînt si vite.

[10]
Je suis effectivement la femme que vous avez rencontrée

hier; je me rendais au bain dans ma litière, et comme la

chaleur était étouffante, j'avais relevé mon voile. Mais

vous m'avez mal vue, et je ne suis pas si belle que vous le

dites.»


[15]
En disant ces mots, elle écarta son voile et découvrit un

visage radieux de beauté, et si parfait, que l'envie n'aurait

pu y trouver le moindre défaut.


Vous pouvez juger quels furent les transports de

Mahmoud-Ben-Ahmed à une telle faveur; il se répandit en

[20]
compliments qui avaient le mérite, bien rare pour des

compliments, d'être parfaitement sincères et de n'avoir

rien d'exagéré. Comme il parlait avec beaucoup de feu

et de véhémence, le papier sur lequel ses vers étaient

transcrits s'échappa de sa manche et roula sur le plancher.

[25]
«Quel est ce papier? dit la dame, l'écriture m'en paraît

fort belle et annonce une main exercée.


--C'est, répondit le jeune homme en rougissant beaucoup,

une pièce de vers que j'ai composée cette nuit, ne

pouvant dormir. J'ai tâché d'y célébrer vos perfections;

[30]
mais la copie est bien loin de l'original, et mes vers n'ont

point les brillants qu'il faut pour célébrer ceux de vos

Yeux.»


La jeune dame lut ces vers attentivement, et dit en les

mettant dans sa ceinture:


«Quoiqu'ils contiennent beaucoup de flatteries, ils ne

sont vraiment pas mal tournés.»


[5]
Puis elle ajusta son voile et sortit de la boutique en

laissant tomber avec un accent qui pénétra le coeur de

Mahmoud-Ben-Ahmed:


«Je viens quelquefois, au retour du bain, acheter des

essences et des boites de parfumerie chez Bedredin.»


[10]
Le marchand félicita Mahmoud-Ben-Ahmed de sa

bonne fortune, et, l'emmenant tout au fond de sa boutique,

il lui dit bien bas à l'oreille:


«Cette jeune dame n'est autre que la princesse Ayesha,

fille du calife.»


[15]
Mahmoud-Ben-Ahmed rentra chez lui tout étourdi de

son bonheur et n'osant y croire. Cependant, quelque

modeste qu'il fût, il ne pouvait se dissimuler que la princesse

Ayesha ne l'eût regardé d'un oeil favorable. Le

hasard, ce grand entremetteur, avait été au delà de ses

[20]
plus audacieuses espérances. Combien il se félicita alors

de ne pas avoir cédé aux suggestions de ses amis qui

l'engageaient à prendre femme, et aux portraits séduisants

que lui faisaient les vieilles des jeunes filles à marier qui

ont toujours, comme chacun le sait, des yeux de gazelle,

[25]
une figure de pleine lune, des cheveux plus longs que la

queue d'Al Borack, la jument du Prophète, une bouche

de jaspe rouge, avec une haleine d'ambre gris, et mille

autres perfections qui tombent avec le haïck et le voile

nuptial: comme il fut heureux de se sentir dégagé de tout

[30]
lien vulgaire, et libre de s'abandonner tout entier à sa

nouvelle passion!


Il eut beau s'agiter et se tourner sur son divan, il ne


put s'endormir; l'image de la princesse Ayesha, étincelante

comme un oiseau de flamme sur un fond de soleil

couchant, passait et repassait devant ses yeux. Ne pouvant

trouver de repos, il monta dans un de ses cabinets de

[5]
bois de cèdre merveilleusement découpé que l'on applique,

dans les villes d'Orient, aux murailles extérieures des

maisons, afin d'y profiter de la fraîcheur et du courant

d'air qu'une rue ne peut manquer de former; le sommeil

ne lui vint pas encore, car le sommeil est comme le bonheur,

[10]
il fuit quand on le cherche; et, pour calmer ses esprits

par le spectacle d'une nuit sereine, il se rendit avec

son narguilhé sur la plus haute terrasse de son habitation.


L'air frais de la nuit, la beauté du ciel plus pailleté d'or

qu'une robe de péri et dans lequel la lune faisait voir ses

[15]
joues d'argent, comme une sultane pâle d'amour qui se

penche aux treillis de son kiosque, firent du bien à

Mahmoud-Ben-Ahmed, car il était poète, et ne pouvait rester

insensible au magnifique spectacle qui s'offrait à sa vue.


De cette hauteur, la ville du Caire se déployait devant

[20]
lui comme un de ces plans en relief où les giaours retracent

leurs villes fortes. Les terrasses ornées de pots de plantes

grasses, et bariolées de tapis; les places où miroitait l'eau

du Nil, car on était à l'époque de l'inondation; les jardins

d'où jaillissaient des groupes de palmiers, des touffes de

[25]
caroubiers ou de nopals; les iles de maisons coupées de

rues étroites; les coupoles d'étain des mosquées; les minarets

frêles et découpés à jour comme un hochet d'ivoire;

les angles obscurs ou lumineux des palais formaient un

coup d'oeil arrangé à souhait pour le plaisir des yeux.

[30]
Tout au fond, les sables cendrés de la plaine confondaient

leurs teintes avec les couleurs laiteuses du firmament, et

les trois pyramides de Giseh, vaguement ébauchées par


un rayon bleuâtre, dessinaient au bord de l'horizon leur

gigantesque triangle de pierre.


Assis sur une pile de carreaux et le corps enveloppé par

les circonvolutions élastiques du tuyau de son narguilhé,

[5]
Mahmoud-Ben-Ahmed tâchait de démêler dans la transparente

obscurité la forme lointaine du palais où dormait

la belle Ayesha. Un silence profond régnait sur ce tableau

qu'on aurait pu croire peint, car aucun souffle,

aucun murmure n'y révélaient la présence d'un être

[10]
vivant: le seul bruit appréciable était celui que faisait la

fumée du narguilhé de Mahmoud-Ben-Ahmed en traversant

la boule de cristal de roche remplie d'eau destinée à

refroidir ses blanches bouffées. Tout d'un coup, un cri

aigu éclata au milieu de ce calme, un cri de détresse suprême,

[15]
comme doit en pousser, au bord de la source, l'antilope

qui sent se poser sur son cou la griffe d'un lion, ou

s'engloutir sa tête dans la gueule d'un crocodile.

Mahmoud-Ben-Ahmed, effrayé par ce cri d'agonie et de

désespoir, se leva d'un seul bond et posa instinctivement la

[20]
main sur le pommeau de son yatagan dont il fit jouer la

lame pour s'assurer qu'elle ne tenait pas au fourreau;

puis il se pencha du côté d'où le bruit avait semblé

partir.


Il démêla fort loin dans l'ombre un groupe étrange, mystérieux,

[25]
composé d'une figure blanche poursuivie par une

meute de figures noires, bizarres et monstrueuses, aux

gestes frénétiques, aux allures désordonnées. L'ombre

blanche semblait voltiger sur la cime des maisons, et

l'intervalle qui la séparait de ses persécuteurs était si peu

[30]
considérable, qu'il était à craindre qu'elle ne fût bientôt

prise si sa course se prolongeait, et qu'aucun événement

ne vint à son secours. Mahmoud-Ben-Ahmed crut d'abord


que c'était une péri ayant aux trousses un essaim de

goules mâchant de la chair de mort dans leurs incisives

démesurées, ou de djinns aux ailes flasques, membraneuses,

armées d'ongles comme celles des chauves-souris, et,

[5]
tirant de sa poche son comboloio de graines d'aloès jaspées,

il se mit à réciter, comme préservatif, les quatre-vingt-dix-neuf noms

d'Allah. Il n'était pas au vingtième, qu'il

s'arrêta. Ce n'était pas une péri, un être surnaturel qui

fuyait ainsi en sautant d'une terrasse à l'autre et en

[10]
franchissant les rues de quatre ou cinq pieds de large qui

coupent le bloc compacte des villes orientales, mais bien

une femme; les djinns n'étaient que des zebecks, des chiaoux

et des eunuques acharnés à sa poursuite.


Deux ou trois terrasses et une rue séparaient encore la

[15]
fugitive de la plate-forme où se tenait Mahmoud-Ben-Ahmed,

mais ses forces semblaient la trahir; elle retourna

convulsivement la tête sur l'épaule, et, comme un cheval

épuisé dont l'éperon ouvre le flanc, voyant si près d'elle

le groupe hideux qui la poursuivait, elle mit la rue entre

[20]
elle et ses ennemis d'un bond désespéré.

Elle frôla dans son élan Mahmoud-Ben-Ahmed qu'elle

n'aperçut pas, car la lune s'était voilée, et courut à l'extrémité

de la terrasse qui donnait de ce côté-là sur une

seconde rue plus large que la première. Désespérant de

[25]
la pouvoir sauter, elle eut l'air de chercher des yeux

quelque coin où se blottir, et, avisant un grand vase de marbre,

elle se cacha dedans comme le génie qui rentre dans la

coupe d'un lis.


La troupe furibonde envahit la terrasse avec l'impétuosité

[30]
d'un vol de démons. Leurs faces cuivrées ou noires à

longues moustaches, ou hideusement imberbes, leurs yeux

étincelants, leurs mains crispées agitant des damas et des


kandjars, la fureur empreinte sur leurs physionomies basses

et féroces, causèrent un mouvement d'effroi à Mahmoud-Ben-Ahmed,

quoiqu'il fût brave de sa personne et habile

au maniement des armes. Ils parcoururent de l'oeil la

[5]
terrasse vide, et n'y voyant pas la fugitive, ils pensèrent

sans doute qu'elle avait franchi la seconde rue, et ils

continuèrent leur poursuite sans faire autrement attention à

Mahmoud-Ben-Ahmed.


Quand le cliquetis de leurs armes et le bruit de leurs

[10]
babouches sur les dalles des terrasses se fut éteint dans

l'éloignement, la fugitive commença à lever par-dessus les

bords du vase sa jolie tête pâle, et promena autour d'elle

des regards d'antilope effrayée, puis elle sortit ses épaules

et se mit debout, charmant pistil de cette grande fleur de

[15]
marbre; n'apercevant plus que Mahmoud-Ben-Ahmed qui

lui souriait et lui faisait signe qu'elle n'avait rien à craindre,

elle s'élança hors du vase et vint vers le jeune homme

avec une attitude humble et des bras suppliants.


«Par grâce, par pitié, seigneur, sauvez-moi, cachez-moi

[20]
dans le coin le plus obscur de votre maison, dérobez-moi

à ces démons qui me poursuivent.»


Mahmoud-Ben-Ahmed la prit par la main, la conduisit

à l'escalier de la terrasse dont il ferma la trappe avec soin,

et la mena dans sa chambre. Quand il eut allumé la

[25]
lampe, il vit que la fugitive était jeune, il l'avait déjà

deviné au timbre argentin de sa voix, et fort jolie, ce qui

ne l'étonna pas; car à la lueur des étoiles, il avait distingué

sa taille élégante. Elle paraissait avoir quinze ans tout
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