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au plus. Son extrême pâleur faisait ressortir ses grands
[30]
yeux noirs en amande, dont les coins se prolongeaient
jusqu'aux tempes; son nez mince et délicat donnait beaucoup
de noblesse à son profil, qui aurait pu faire envie
aux plus belles filles de Chio ou de Chypre, et rivaliser
avec la beauté de marbre des idoles adorées par les vieux
païens grecs. Son cou était charmant et d'une blancheur
parfaite; seulement, sur sa nuque, on voyait une légère
[5]
raie de pourpre mince comme un cheveu ou comme le
plus délié fil de soie, quelques petites gouttelettes de sang
sortaient de cette ligne rouge. Ses vêtements étaient
simples et se composaient d'une veste passementée de
soie, de pantalons de mousseline et d'une ceinture bariolée;
[10]
sa poitrine se levait et s'abaissait sous sa tunique de gaze
rayée, car elle était encore hors d'haleine et à peine remise
de son effroi.
Lorsqu'elle fut un peu reposée et rassurée, elle s'agenouilla
devant Mahmoud-Ben-Ahmed et lui raconta son
[15]
histoire en fort bons termes: «J'étais esclave dans le
sérail du riche Abu-Becker, et j'ai commis la faute de
remettre à la sultane favorite un sélam ou lettre de fleurs
envoyée par un jeune émir de la plus belle mine avec qui
elle entretenait un commerce amoureux. Abu-Becker,
[20]
ayant surpris le sélam, est entré dans une fureur horrible,
a fait enfermer sa sultane favorite dans un sac de cuir avec
deux chats, l'a fait jeter à l'eau et m'a condamnée à avoir
la tête tranchée. Le Kislar-agassi fut chargé de cette
exécution; mais, profitant de l'effroi et du désordre qu'avait
[25]
causé dans le sérail le châtiment terrible infligé à la pauvre
Nourmahal, et trouvant ouverte la trappe de la terrasse,
je me sauvai. Ma fuite fut aperçue, et bientôt les eunuques
noirs, les zebecs et les Albanais au service de mon
maître se mirent à ma poursuite. L'un d'eux, Mesrour,
[30]
dont j'ai toujours repoussé les prétentions, m'a talonné de
si près avec son damas brandi, qu'il a bien manqué de
m'atteindre; une fois même j'ai senti le fil de son sabre
effleurer ma peau, et c'est alors que j'ai poussé ce cri
terrible que vous avez dû entendre, car je vous avoue que
j'ai cru que ma dernière heure était arrivée; mais Dieu
est Dieu et Mahomet est son prophète; l'ange Asraël
[5]
n'était pas encore prêt à m'emporter vers le pont d'Alsirat.
Maintenant je n'ai plus d'espoir qu'en vous. Abu-Becker
est puissant, il me fera chercher, et s'il peut me reprendre,
Mesrour aurait cette fois la main plus sûre, et son damas
ne se contenterait pas de m'effleurer le cou, dit-elle en
[10]
souriant, et en passant la main sur l'imperceptible raie
rose tracée par le sabre du zebec. Acceptez-moi pour
votre esclave, je vous consacrerai une vie que je vous dois.
Vous trouverez toujours mon épaule pour appuyer votre
coude, et ma chevelure pour essuyer la poudre de vos
[15]
sandales.»
Mahmoud-Ben-Ahmed était fort compatissant de sa
nature, comme tous les gens qui ont étudié les lettres et
la poésie. Leila, tel était le nom de l'esclave fugitive,
s'exprimait en termes choisis; elle était jeune, belle, et
[20]
n'eût-elle été rien de tout cela, l'humanité eût défendu de
la renvoyer. Mahmoud-Ben-Ahmed montra à la jeune
esclave un tapis de Perse, des carreaux de soie dans l'angle
de la chambre, et sur le rebord de l'estrade une petite collation
de dattes, de cédrats confits et de conserves de roses
[25]
de Constantinople, à laquelle, distrait par ses pensées, il
n'avait pas touché lui-même, et de plus, deux pots à rafraîchir
l'eau, en terre poreuse de Thèbes, posés dans des
soucoupes de porcelaine de Japon et couverts d'une
transpiration perlée. Ayant ainsi provisoirement installé
[30]
Leila, il remonta sur sa terrasse pour achever son narguilhé
et trouver la dernière assonance du ghazel qu'il composait
en l'honneur de la princesse Ayesha, ghazel où les lis d'Iran,
les fleurs du Gulistan, les étoiles et toutes les constellations
célestes se disputaient pour entrer.
Le lendemain, Mahmoud-Ben-Ahmed, dès que le jour
parut, fit cette réflexion qu'il n'avait pas de sachet de
[5]
benjoin, qu'il manquait de civette, et que la bourse de
soie brochée d'or et constellée de paillettes, où il serrait
son latakié, était éraillée et demandait à être remplacée
par une autre plus riche et de meilleur goût. Ayant à
peine pris le temps de faire ses ablutions et de réciter sa
[10]
prière en se tournant du côté de l'orient, il sortit de sa
maison après avoir recopié sa poésie et l'avoir mise dans
sa manche comme la première fois, non pas dans l'intention
de la montrer à son ami Abdul, mais pour la remettre
à la princesse Ayesha en personne, dans le cas où il la
[15]
rencontrerait au bazar, dans la boutique de Bedredin.
Le muezzin, perché sur le balcon du minaret, annonçait
seulement la cinquième heure; il n'y avait dans les rues
que les fellahs, poussant devant eux leurs ânes chargés de
pastèques, de régimes de dattes, de poules liées par les
[20]
pattes, et de moitiés de moutons qu'ils portaient au marché.
Il fut dans le quartier où était situé le palais d'Ayesha,
mais il ne vit rien que des murailles crénelées et blanchies
à la chaux. Rien ne paraissait aux trois ou quatre petites
fenêtres obstruées de treillis de bois à mailles étroites, qui
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permettaient aux gens de la maison de voir ce qui se
passait dans la rue, mais ne laissaient aucun espoir aux
regards indiscrets et aux curieux du dehors. Les palais
orientaux, à l'envers des palais du Franquistan, réservent
leurs magnificences pour l'intérieur et tournent, pour ainsi
[30]
dire, le dos au passant. Mahmoud-Ben-Ahmed ne retira
donc pas grand fruit de ses investigations. Il vit entrer
et sortir deux ou trois esclaves noirs, richement habillés,
et dont la mine insolente et fière prouvait la conscience
d'appartenir à une maison considérable et à une personne
de la plus haute qualité. Notre amoureux, en regardant
ces épaisses murailles, fit de vains efforts pour découvrir
[5]
de quel côté se trouvaient les appartements d'Ayesha. Il
ne put y parvenir: la grande porte, formée par un arc
découpé en coeur, était murée au fond, ne donnait accès
dans la cour que par une porte latérale, et ne permettait
pas au regard d'y pénétrer. Mahmoud-Ben-Ahmed fut
[10]
obligé de se retirer sans avoir fait aucune découverte;
l'heure s'avançait et il aurait pu être remarqué. Il se
rendit donc chez Bedredin, auquel il fit, pour se le rendre
favorable, des emplettes assez considérables d'objets dont
il n'avait aucun besoin. Il s'assit dans la boutique,
[15]
questionna le marchand, s'enquit de son commerce, s'il
s'était heureusement défait des soieries et des tapis apportés
par la dernière caravane d'Alep, si ses vaisseaux
étaient arrivés au port sans avaries; bref, il fit toutes les
lâchetés habituelles aux amoureux; il espérait toujours
[20]
voir paraître Ayesha; mais il fut trompé dans son attente:
elle ne vint pas ce jour-là. Il s'en retourna chez lui, le
coeur gros, l'appelant déjà cruelle et perfide, comme si
effectivement elle lui eût promis de se trouver chez Bedredin
et qu'elle lui eût manqué de parole.
[25]
En rentrant dans sa chambre, il mit ses babouches dans
la niche de marbre sculpté, creusée à côté de la porte pour
cet usage; il ôta le caftan d'étoffe précieuse qu'il avait
endossé dans l'idée rehausser sa bonne mine et de
paraître avec tous ses avantages aux yeux d'Ayesha, et
[30]
s'étendit sur son divan dans un affaissement voisin du
désespoir. Il lui semblait que tout était perdu, que le
monde allait finir, et il se plaignait amèrement de la
fatalité; le tout, pour ne pas avoir rencontré, ainsi qu'il
l'espérait, une femme qu'il ne connaissait pas deux jours
auparavant.
Comme il avait fermé les yeux de son corps pour mieux
[5]
voir le rêve de son âme, il sentit un vent léger lui rafraîchir
le front; il souleva ses paupières, et vit, assise à côté de
lui, par terre, Leila qui agitait un de ces petits pavillons
d'écorce de palmier, qui servent, en Orient, d'éventail et
de chasse-mouche. Il l'avait complètement oubliée.
[10]
«Qu'avez-vous, mon cher seigneur? dit-elle d'une voix
perlée et mélodieuse comme de la musique. Vous ne
paraissez pas jouir de votre tranquillité d'esprit; quelque
souci vous tourmente. S'il était au pouvoir de votre
esclave de dissiper ce nuage de tristesse qui voile votre
[15]
front, elle s'estimerait la plus heureuse femme du monde,
et ne porterait pas envie à la sultane Ayesha elle-même,
quelque belle et quelque riche qu'elle soit.»
Ce nom fit tressaillir Mahmoud-Ben-Ahmed sur son
divan, comme un malade dont on touche la plaie par
[20]
hasard; il se souleva un peu et jeta un regard inquisiteur
sur Leila, dont la physionomie était la plus calme du
monde et n'exprimait rien autre chose qu'une tendre
sollicitude. Il rougit cependant comme s'il avait été
surpris dans le secret de sa passion. Leila, sans faire
[25]
attention à cette rougeur délatrice et significative,
continua à offrir ses consolations à son nouveau maître:
«Que puis-je faire pour éloigner de votre esprit les
sombres idées qui l'obsèdent? un peu de musique dissiperait
peut-être cette mélancolie. Une vieille esclave qui
[30]
avait été odalisque de l'ancien sultan m'a appris les secrets
de la composition; je puis improviser des vers et m'accompagner
de la guzla!»
En disant ces mots, elle détacha du mur la guzla au
ventre de citronnier, côtelé d'ivoire, au manche incrusté
de nacre, de burgau et d'ébène, et joua d'abord avec une
rare perfection la tarabuca et quelques autres airs arabes.
[5]
La justesse de la voix et la douceur de la musique eussent,
en toute autre occasion, réjoui Mahmoud-Ben-Ahmed,
qui était fort sensible aux agréments des vers et
de l'harmonie; mais il avait le cerveau et le coeur si
préoccupés de la dame qu'il avait vue chez Bedredin, qu'il ne
[10]
fit aucune attention aux chansons de Leila.
Le lendemain, plus heureux que la veille, il rencontra
Ayesha dans la boutique de Bedredin. Vous décrire sa
joie serait une entreprise impossible; ceux qui ont été
amoureux peuvent seuls la comprendre. Il resta un
[15]
moment sans voix, sans haleine, un nuage dans les yeux.
Ayesha, qui vit son émotion, lui en sut gré et lui adressa
la parole avec beaucoup d'affabilité; car rien ne flatte les
personnes de haute naissance comme le trouble qu'elles
inspirent. Mahmoud-Ben-Ahmed, revenu à lui, fit tous
[20]
ses efforts pour être agréable, et comme il était jeune, de
belle apparence, qu'il avait étudié la poésie et s'exprimait
dans les termes les plus élégants, il crut s'apercevoir qu'il
ne déplaisait point, et il s'enhardit à demander un rendez-vous
à la princesse dans un lieu plus propice et plus sûr
[25]
que la boutique de Bedredin.
«Je sais, lui dit-il, que je suis tout au plus bon pour être
la poussière de votre chemin, que la distance de vous à
moi ne pourrait être parcourue en mille ans par un cheval
de la race du prophète toujours lancé au galop; mais
[30]
l'amour rend audacieux, et la chenille éprise de la rose ne
saurait s'empêcher d'avouer son amour.»
Ayesha écouta tout cela sans le moindre signe de
courroux, et, fixant sur Mahmoud-Ben-Ahmed des yeux
chargés de langueur, elle lui dit:
«Trouvez-vous demain à l'heure de la prière dans la
mosquée du sultan Hassan, sous la troisième lampe; vous
[5]
y rencontrerez un esclave noir vêtu de damas jaune. Il
marchera devant vous, et vous le suivrez.»
Cela dit, elle ramena son voile sur sa figure et sortit.
Notre amoureux n'eut garde de manquer au rendez-vous:
il se planta sous la troisième lampe, n'osant s'en
[10]
écarter de peur de ne pas être trouvé par l'esclave noir,
qui n'était pas encore à son poste. Il est vrai que
Mahmoud-Ben-Ahmed avait devancé de deux heures le moment
indiqué. Enfin, il vit paraître le nègre vêtu de damas jaune;
il vint droit au pilier contre lequel Mahmoud-Ben-Ahmed
[15]
se tenait debout. L'esclave l'ayant regardé attentivement,
lui fit un signe imperceptible pour l'engager à le suivre.
Ils sortirent tous deux de la mosquée. Le noir marchait
d'un pas rapide, fit faire à Mahmoud-Ben-Ahmed une
infinité de détours à travers l'écheveau embrouillé et
[20]
compliqué des rues du Caire. Notre jeune homme une
fois voulut adresser la parole à son guide; mais celui-ci,
ouvrant sa large bouche meublée de dents aiguës et
blanches, lui fit voir que sa langue avait été coupée
jusqu'aux racines. Ainsi il lui eût été difficile de
[25]
commettre des indiscrétions.
Enfin ils arrivèrent dans un endroit de la ville tout à
fait désert et que Mahmoud-Ben-Ahmed ne connaissait
pas, quoiqu'il fût natif du Caire et qu'il crût en connaître
tous les quartiers: le muet s'arrêta devant un mur blanchi
[30]
à la chaux, où il n'y avait pas apparence de porte. Il
compta six pas à partir de l'angle du mur, et chercha avec
beaucoup d'attention un ressort sans doute caché dans
l'interstice des pierres. L'ayant trouvé, il pressa la détente,
une colonne tourna sur elle-même, et laissa voir un passage
sombre, étroit, où le muet s'engagea, suivi de
Mahmoud-Ben-Ahmed. Ils descendirent d'abord plus de cent
[5]
marches, et suivirent ensuite un corridor obscur d'une
longueur interminable. Mahmoud-Ben-Ahmed, en tâtant
les murs, reconnut qu'ils étaient de roche vive, sculptés
d'hiéroglyphes en creux et comprit qu'il était dans les
couloirs souterrains d'une ancienne nécropole égyptienne
[10]
dont on avait profité pour établir cette issue secrète. Au
bout du corridor, dans un grand éloignement, scintillaient
quelques lueurs de jour bleuâtre. Ce jour passait à travers
des dentelles d'une sculpture évidée faisant partie de la
salle où le corridor aboutissait. Le muet poussa un autre
[15]
ressort, et Mahmoud-Ben-Ahmed se trouva dans une
salle dallée de marbre blanc, avec un bassin et un jet
d'eau au milieu, des colonnes d'albâtre, des murs revêtus
de mosaïques de verre, de sentences du Coran entremêlées
de fleurs et d'ornements, et couverte par une voûte
[20]
sculptée, fouillée, travaillée comme l'intérieur d'une ruche
ou d'une grotte à stalactites, d'énormes pivoines écarlates
posées dans d'énormes vases mauresques de porcelaine
blanche et bleue complétaient la décoration. Sur une
estrade garnie de coussins, espèce d'alcôve pratiquée dans
[25]
l'épaisseur du mur, était assise la princesse Ayesha, sans
voile, radieuse, et surpassant en beauté les houris du
quatrième ciel.
«Eh bien! Mahmoud-Ben-Ahmed, avez-vous fait d'autres
vers en mon honneur?» lui dit-elle du ton le plus
[30]
gracieux en lui faisant signe de s'asseoir.
Mahmoud-Ben-Ahmed se jeta aux genoux d'Ayesha et
tira son papyrus de sa manche, et lui récita son ghazel
du ton le plus passionné; c'était vraiment un remarquable
morceau de poésie. Pendant qu'il lisait, les joues de la
princesse s'éclairaient et se coloraient comme une lampe
d'albâtre que l'on vient d'allumer. Ses yeux étoilaient et
[5]
lançaient des rayons d'une clarté extraordinaire, son corps
devenait comme transparent, sur ses épaules frémissantes
s'ébauchaient vaguement des ailes de papillon.
Malheureusement Mahmoud-Ben-Ahmed, trop occupé de la
lecture de sa pièce de vers, ne leva pas les yeux et ne
[10]
s'aperçut pas de la métamorphose qui s'était opérée.
Quand il eut achevé, il n'avait plus devant lui que la
princesse Ayesha qui le regardait en souriant d'un air
ironique.
Comme tous les poètes, trop occupés de leurs propres
[15]
créations, Mahmoud-Ben-Ahmed avait oublié que les
plus beaux vers ne valent pas une parole sincère, un regard
illuminé par la clarté de l'amour.--Les péris sont comme
les femmes, il faut les deviner et les prendre juste au
moment où elles vont remonter aux cieux pour n'en plus
[20]
descendre.--L'occasion doit être saisie par la boucle
de cheveux qui lui pend sur le front, et les esprits de
l'air par leurs ailes. C'est ainsi qu'on peut s'en rendre
maître.
«Vraiment, Mahmoud-Ben-Ahmed, vous avez un talent
[25]
de poète des plus rares, et vos vers méritent d'être affichés
à la porte des mosquées, écrits en lettres d'or, à côté des
plus célèbres productions de Ferdoussi, de Saadi et d'Ibnn-Ben-Omaz.
C'est dommage qu'absorbé par la perfection
de vos rimes allitérées, vous ne m'avez pas regardée tout
[30]
à l'heure, vous auriez vu... ce que vous ne reverrez
peut-être jamais plus. Votre voeu le plus cher s'est accompli
devant vous sans que vous vous en soyez aperçu.
Adieu, Mahmoud-Ben-Ahmed, qui ne vouliez aimer
qu'une péri.»
Là-dessus Ayesha se leva d'un air tout à fait majestueux,
souleva une portière de brocart d'or et disparut.
[5]
Le muet vint reprendre Mahmoud-Ben-Ahmed, et le
reconduisit par le même chemin jusqu'à l'endroit où il
l'avait pris. Mahmoud-Ben-Ahmed, affligé et surpris
d'avoir été ainsi congédié, ne savait que penser et se
perdait dans ses réflexions, sans pouvoir trouver de motif à
[10]
la brusque sortie de la princesse: il finit par l'attribuer à un
caprice de femme qui changerait à la première occasion;
mais il eut beau aller chez Bedredin acheter du benjoin et
des peaux de civette, il ne rencontra plus la princesse
Ayesha; il fit un nombre infini de stations près du troisième
[15]
pilier de la mosquée du sultan Hassan, il ne vit plus
reparaître le noir vêtu de damas jaune, ce qui le jeta dans une
noire et profonde mélancolie.
Leila s'ingéniait à mille inventions pour le distraire:
elle lui jouait de la guzla; elle lui récitait des histoires
[20]
merveilleuses; ornait sa chambre de bouquets dont les
couleurs étaient si bien mariées et diversifiées, que la vue
en était aussi réjouie que l'odorat; quelquefois même elle
dansait devant lui avec autant de souplesse et de grâce
que l'almée la plus habile; tout autre que Mahmoud-Ben-Ahmed
[25]
eût été touché de tant de prévenances et d'attentions;
mais il avait la tête ailleurs, et le désir de retrouver
Ayesha ne lui laissait aucun repos. Il avait été bien
souvent errer à l'entour du palais de la princesse; mais il
n'avait jamais pu l'apercevoir; rien ne se montrait derrière
[30]
les treillis exactement fermés; le palais était comme
un tombeau.
Son ami Abdul-Maleck, alarmé de son état, venait le
visiter souvent et ne pouvait s'empêcher de remarquer
les grâces et la beauté de Leila, qui égalaient pour le
moins celles de la princesse Ayesha, si même elles ne les
dépassaient, et s'étonnait de l'aveuglement de
[5]
Mahmoud-Ben-Ahmed; et s'il n'eût craint de violer les saintes lois
de l'amitié, il eût pris volontiers la jeune esclave pour
femme. Cependant, sans rien perdre de sa beauté, Leila
devenait chaque jour plus pâle; ses grands yeux s'alanguissaient;
les rougeurs de l'aurore faisaient place sur ses
[10]
joues aux pâleurs du clair de lune. Un jour
Mahmoud-Ben-Ahmed s'aperçut qu'elle avait pleuré, et lui en
demanda la cause:
«O mon cher seigneur, je n'oserais jamais vous la dire:
moi, pauvre esclave recueillie par pitié, je vous aime; mais
[15]
que suis-je à vos yeux? je sais que vous avez formé le voeu
de n'aimer qu'une péri ou qu'une sultane: d'autres se
contenteraient d'être aimés sincèrement par un coeur
jeune et pur et ne s'inquiéteraient pas de la fille du calife
ou de la reine des génies: regardez-moi, j'ai eu quinze
[20]
ans hier, je suis peut-être aussi belle que cette Ayesha
dont vous parlez tout haut en rêvant; il est vrai qu'on ne
voit pas briller sur mon front l'escarboucle magique, ou
l'aigrette de plume de héron; je ne marche pas accompagnée
de soldats aux mousquets incrustés d'argent et de
[25]
corail. Mais cependant je sais chanter, improviser sur la
guzla, je danse comme Emineh elle-même, je suis pour
vous comme une soeur dévouée, que faut-il donc pour
toucher votre coeur?»
Mahmoud-Ben-Ahmed, en entendant ainsi parler Leila,
[30]
sentait son coeur se troubler; cependant il ne disait rien
et semblait en proie à une profonde méditation. Deux
résolutions contraires se disputaient son âme: d'une part,
il lui en coûtait de renoncer à son rêve favori; de l'autre,
il se disait qu'il serait bien fou de s'attacher à une femme
qui s'était jouée de lui et l'avait quitté avec des paroles
railleuses, lorsqu'il avait dans sa maison, en jeunesse et
[5]
en beauté, au moins l'équivalent de ce qu'il perdait.
Leila, comme attendant son arrêt, se tenait agenouillée,
et deux larmes coulaient silencieusement sur la figure pâle
de la pauvre enfant.
«Ah! pourquoi le sabre de Mesrour n'a-t-il pas achevé
[10]
ce qu'il avait commencé!» dit-elle en portant la main à
son cou frêle et blanc.
Touché de cet accent de douleur, Mahmoud-Ben-Ahmed
releva la jeune esclave et déposa un baiser sur son
front.
[15]
Leila redressa la tête comme une colombe caressée, et,
se posant devant Mahmoud-Ben-Ahmed, lui prit les
mains, et lui dit:
«Regardez-moi bien attentivement; ne trouvez-vous
pas que je ressemble fort à quelqu'un de votre
[20]
connaissance?»
Mahmoud-Ben-Ahmed ne put retenir un cri de surprise:
«C'est la même figure, les mêmes yeux, tous les traits
en un mot de la princesse Ayesha. Comment se fait-il
que je n'aie pas remarqué cette ressemblance plus
[25]
tôt?
--Vous n'aviez jusqu'à présent laissé tomber sur votre
pauvre esclave qu'un regard fort distrait, répondit Leila
d'un ton de douce raillerie.
--La princesse Ayesha elle-même n'enverrait maintenant
[30]
son noir à la robe de damas jaune, avec le sélam
d'amour, que je refuserais de le suivre.
--Bien vrai? dit Leila d'une voix plus mélodieuse que
celle de Bulbul faisant ses aveux à la rose bien-aimée.
Cependant, il ne faudrait pas trop mépriser cette pauvre
Ayesha, qui me ressemble tant.»
Pour toute réponse, M~oud-Ben-Ahmed pressa la
[5]
jeune esclave sur son coeur. Mais quel fut son étonnement
lorsqu'il vit la figure de Leila s'illuminer, l'escarboucle
magique s'allumer sur son front, et des ailes, semées
d'yeux de paon, se développer sur ses charmantes épaules!
Leila était une péri!
[10]
«Je ne suis, mon cher Mahmoud-Ben-Ahmed, ni la
princesse Ayesha, ni Leila l'esclave. Mon véritable nom
est Boudroulboudour. Je suis péri du premier ordre,
comme vous pouvez le voir par mon escarboucle et par
mes ailes. Un soir, passant dans l'air à côté de votre
[15]
terrasse, je vous entendis émettre le voeu d'être aimé d'une
péri. Cette ambition me plut; les mortels ignorants,
grossiers et perdus dans les plaisirs terrestres, ne songent
pas à de si rares voluptés. J'ai voulu vous éprouver, et
j'ai pris le déguisement d'Ayesha et de Leila pour voir si
[20]
vous sauriez me reconnaître et m'aimer sous cette
enveloppe humaine. Votre coeur a été plus clairvoyant que
votre esprit, et vous avez eu plus de bonté que d'orgueil.
Le dévouement de l'esclave vous l'a fait préférer à la
sultane; c'était là que je vous attendais. Un moment
[25]
séduite par la beauté de vos vers, j'ai été sur le point de
me trahir; mais j'avais peur que vous ne fussiez qu'un
poète amoureux seulement de votre imagination et de vos
rimes, et je me suis retirée, affectant un dédain superbe.
Vous avez voulu épouser Leila l'esclave, Boudroulboudour
[20]
la péri se charge de la remplacer. Je serai Leila pour tous,
et péri pour vous seul; car je veux votre bonheur, et le
monde ne vous pardonnerait pas de jouir d'une félicité
supérieure à la sienne. Toute fée que je sois, c'est tout au
plus si je pourrais vous défendre contre l'envie et la
méchanceté des hommes.»
Ces conditions furent acceptées avec transport par
[5]
Mahmoud-Ben-Ahmed, et les noces furent faites comme
s'il eût épousé réellement la petite Leila.
BALZAC
UN DRAME AU BORD DE LA MER
A Madame la Princesse Caroline Gallitzin de Genthod
née Comtesse Walewska
Hommage et souvenir de l'auteur
née Comtesse Walewska
Hommage et souvenir de l'auteur
Les jeunes gens ont presque tous un compas avec lequel
ils se plaisent à mesurer l'avenir; quand leur volonté
s'accorde avec la hardiesse de l'angle qu'ils ouvrent, le
monde est à eux. Mais ce phénomène de la vie morale
[5]
n'a lieu qu'à un certain âge. Cet âge, qui, pour tous les
hommes, se trouve entre vingt-deux et vingt-huit ans, est
celui des grandes pensées, l'âge des conceptions premières,
parce qu'il est l'âge des immenses désirs, l'âge où l'on ne
doute de rien: qui dit doute, dit impuissance. Après cet
[10]
âge rapide comme une semaison, vient celui de l'exécution.
Il est en quelque sorte deux jeunesses, la jeunesse
durant laquelle on croit, la jeunesse pendant laquelle
on agit; souvent elles se confondent chez les hommes
que la nature a favorisés, et qui sont, comme César,
[15]
Newton et Bonaparte, les plus grands parmi les grands
hommes.
Je mesurais ce qu'une pensée veut de temps pour se
développer; et, mon compas à la main, debout sur un
rocher, à cent toises au-dessus de l'Océan, dont les lames
[20]
se jouaient dans les brisants, j'arpentais mon avenir en le
meublant d'ouvrages, comme un ingénieur qui, sur un
terrain vide, trace des forteresses et des palais. La mer
était belle, je venais de m'habiller après avoir nagé.
J'attendais Pauline, mon ange gardien, qui se baignait dans
une cuve granit pleine d'un sable fin, la plus coquette
baignoire que la nature ait dessinée pour ses fées marines.
[5]
Nous étions à l'extrémité du Croisic, une mignonne
presqu'île de la Bretagne; nous étions loin du port, dans un
endroit que le fisc a jugé tellement inabordable, que le
douanier n'y passe presque jamais. Nager dans les airs
après avoir nagé dans la mer! ah! qui n'aurait nagé dans
[10]
l'avenir? Pourquoi pensais-je? pourquoi vient un mal?
qui le sait? Les idées vous tombent au coeur ou à la tête
sans vous consulter. Nulle courtisane ne fut plus fantasque
ni plus impérieuse que ne l'est la conception pour les
artistes; il faut la prendre comme la fortune, à pleins
[15]
cheveux, quand elle vient. Grimpé sur ma pensée comme
Astolphe sur son hippogriffe, je chevauchais donc à travers
le monde, en y disposant de tout à mon gré. Quand
je voulus chercher autour de moi quelque présage pour
les audacieuses constructions que ma folle imagination me
[20]
conseillait d'entreprendre, un joli cri, le cri d'une femme
qui sort d'un bain, ranimée, joyeuse, domina le murmure
des franges incessamment mobiles que dessinaient le flux
et le reflux sur les découpures de la côte. En entendant
cette note jaillie de l'âme, je crus avoir vu dans les
[25]
rochers le pied d'un ange qui, déployant ses ailes, s'était
écrié:--Tu réussiras! Je descendis, radieux, léger; je
descendis en bondissant comme un caillou jeté sur une
pente rapide. Quand elle me vit, elle me dit:--Qu'as-tu?
Je ne répondis pas, mes yeux se mouillèrent. La
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veille, Pauline avait compris mes douleurs, comme elle
comprenait en ce moment mes joies, avec la sensibilité
magique d'une harpe qui obéit aux variations de
l'atmosphère. La vie humaine a de beaux moments! Nous
allâmes en silence le long des grèves. Le ciel était sans
nuages, la mer était sans rides; d'autres n'y eussent vu
que deux steppes bleus l'un sur l'autre; mais nous, nous
[5]
qui nous entendions sans avoir besoin de la parole, nous
qui pouvions faire jouer entre ces deux langes de l'infini
les illusions avec lesquelles on se repaît au jeune âge, nous
nous serrions la main au moindre changement que présentaient,
soit la nappe d'eau, soit les nappes de l'air, car
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nous prenions ces légers phénomènes pour des traductions
matérielles de notre double pensée. Qui n'a pas savouré
dans les plaisirs ce moment de joie illimitée où l'âme semble
s'être débarrassée des liens de la chair, et se trouver
comme rendue au monde d'où elle vient? Le plaisir n'est
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pas notre seul guide en ces régions. N'est-il pas des heures
où les sentiments s'enlacent d'eux-mêmes et s'y élancent,
comme souvent deux enfants se prennent par la main et se
mettent à courir sans savoir pourquoi? Nous allions ainsi.
Au moment où les toits de la ville apparurent à l'horizon
[20]
en y traçant une ligne grisâtre, nous rencontrâmes
un pauvre pêcheur qui retournait au Croisic; ses pieds
étaient nus, son pantalon de toile était déchiqueté par le
bas, troué, mal raccommodé: puis, il avait une chemise
de toile à voile, de mauvaises bretelles en lisière, et pour
[25]
veste un haillon. Cette misère nous fit mal, comme si
c'eût été quelque dissonance au milieu de nos harmonies.
Nous nous regardâmes pour nous plaindre l'un à l'autre
de ne pas avoir en ce moment le pouvoir de puiser dans les
trésors d'Aboul-Casem. Nous aperçûmes un superbe
[30]
homard et une araignée de mer accrochés à une cordelette
que le pêcheur balançait dans sa main droite, tandis
que de l'autre il maintenait ses agrès et ses engins. Nous
l'accostâmes, dans l'intention de lui acheter sa pêche, idée
qui nous vint à tous deux et qui s'exprima dans un sourire
auquel je répondis par une légère pression du bras que je
tenais et que je ramenai près de mon coeur. C'est de ces
[5]
riens dont plus tard le souvenir fait des poèmes, quand
auprès du feu nous nous rappelons l'heure où ce rien nous
a émus, le lieu où ce fut, et ce mirage dont les effets n'ont
pas encore été constatés, mais qui s'exerce souvent sur les
objets qui nous entourent dans les moments où la vie est
[10]
légère et où nos coeurs sont pleins. Les sites les plus
beaux ne sont que ce que nous les faisons. Quel homme
un peu poète n'a dans ses souvenirs un quartier de roche
qui tient plus de place que n'en ont pris les plus célèbres
aspects de pays cherchés à grands frais! Près de ce
[15]
rocher, de tumultueuses pensées; là, toute une vie employée;
là, des craintes dissipées; là, des rayons d'espérance
sont descendus dans l'âme. En ce moment, le soleil,
sympathisant avec ces pensées d'amour ou d'avenir, a
jeté sur les flancs fauves de cette roche une lueur ardente;
[20]
quelques fleurs des montagnes attiraient l'attention; le
calme et le silence grandissaient cette anfractuosité sombre
en réalité, colorée par le rêveur; alors elle était belle
avec ses maigres végétations, ses camomilles chaudes, ses
cheveux de Vénus aux feuilles veloutées. Fête prolongée,
[25]
décorations magnifiques, heureuse exaltation des forces
humaines! Une fois déjà le lac de Bienne, vu de l'île
Saint-Pierre, m'avait ainsi parlé; le rocher du Croisic
sera peut-être la dernière de ces joies. Mais alors, que
deviendra Pauline?
[30]
--Vous avez fait une belle pêche ce matin, mon brave
homme? dis-je au pêcheur.
--Oui, monsieur, répondit-il en s'arrêtant et en nous
montrant la figure bistrée des gens qui restent pendant
des heures entières exposés à la réverbération du soleil
sur l'eau.
Ce visage annonçait une longue résignation, la patience
[5]
du pêcheur et ses moeurs douces. Cet homme avait une
voix sans rudesse, des lèvres bonnes, nulle ambition, je ne
sais quoi de grêle, de chétif. Toute autre physionomie
nous aurait déplu.
--Où allez-vous vendre ça?
[10]
--A la ville.
--Combien vous payera-t-on le homard?
--Quinze sous.
--L'araignée?
--Vingt sous.
[15]
--Pourquoi tant de différence entre le homard et
l'araignée?
--Monsieur, l'araignée (il la nommait
iraigne
) est bien
plus délicate! puis, elle est maligne comme un smge, et se
laisse rarement prendre.
[20]
--Voulez-vous nous donner le tout pour cent sous? dit
Pauline.
L'homme resta pétrifié.
--Vous ne l'aurez pas! dis-je en riant, j'en donne dix
francs. Il faut savoir payer les émotions ce qu'elles valent.
[25]
--Eh bien, répondit-elle, je l'aurai! j'en donne dix
francs deux sous.
--Dix sous.
--Douze francs.
--Quinze francs.
[30]
-Quinze francs cinquante centimes, dit-elle.
--Cent francs.
--Cent cinquante.
Je m'inclinai. Nous n'étions pas en ce moment assez
riches pour pousser plus haut cette enchère. Notre pauvre
pêcheur ne savait pas s'il devait se fâcher d'une mystification
ou se livrer à la joie; nous le tirâmes de peine en lui
[5]
donnant le nom de notre hôtesse, et en lui recommandant
de porter chez elle le homard et l'araignée.
--Gagnez-vous votre vie? lui demandai-je, pour savoir
à quelle cause devait être attribué son dénûment.
--Avec bien de la peine et en souffrant bien des misères,
[10]
me dit-il. La pêche au bord de la mer, quand on n'a ni
barque ni filets, et qu'on ne peut la faire qu'aux engins ou
à la ligne, est un chanceux métier. Voyez-vous, il faut y
attendre le poisson ou le coquillage, tandis que les grands
pêcheurs vont le chercher en pleine mer. Il est si difficile
[15]
de gagner sa vie ainsi, que je suis le seul qui pêche à
la côte. Je passe des journées entières sans rien rapporter.
Pour attraper quelque chose, il faut qu'une iraigne
se soit oubliée à dormir comme celle-ci, ou qu'un homard
soit assez étourdi pour rester dans les rochers. Quelquefois
[20]
il y vient des lubines après la haute mer, alors je les
empoigne.
--Enfin, l'un portant l'autre, que gagnez-vous par jour?
--Onze à douze sous. Je m'en tirerais, si j'étais seul,
mais j'ai mon père à nourrir, et le bonhomme ne peut pas
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m'aider, il est aveugle.
A cette phrase, prononcée simplement, nous nous regardâmes,
Pauline et moi, sans mot dire.
--Vous avez une femme ou quelque bonne amie?
Il nous jeta l'un des plus déplorables regards que j'aie
[30]
vus, en répondant:--Si j'avais une femme, il faudrait
donc abandonner mon père; je ne pourrais pas le nourrir
et nourrir encore une femme et des enfants.
~-Eh bien! mon pauvre garçon, comment ne cherchez-vous
pas à gagner davantage en portant du sel sur le port
ou en travaillant aux marais salants?
--Ah! monsieur, je ne ferais pas ce métier pendant
[5]
trois mois. Je ne suis pas assez fort, et si je mourais, mon
père serait à la mendicité. Il me fallait un métier qui ne
voulût qu'un peu d'adresse et beaucoup de patience.
--Eh comment deux personnes peuvent-elles vivre
avec douze sous par jour?
[10]
--Oh! monsieur, nous mangeons des galettes de sarrasin
et des bernicles que je détache des rochers.
~ Quel âge avez-vous donc?
~ Trente-sept ans.
~ Êtes-vous sorti d'ici?
[15]
~ Je suis allé une fois à Guérande pour tirer à la milice,
et suis allé à Savenay pour me faire voir à des messieurs
qui m'ont mesuré. Si j'avais eu un pouce de plus, j'étais
soldat. Je serais crevé à la première fatigue, et mon
pauvre père demanderait aujourd'hui la charité.
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J'avais bien pensé des drames; Pauline était habituée à
de grandes émotions, près d'un homme souffrant comme
je le suis; eh bien! jamais, ni l'un ni l'autre, nous n'avions
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