← Retour

Du Diable à Dieu : $b Histoire d'une conversion

16px
100%

DEUXIÈME PARTIE

Agnus Dei qui tollis peccata mundi, parce nobis, Domine

Ora pro nobis Sancta Dei Genitrix ut digni efficiamur promissionibus Christi

Sacrificium Deo spiritus contribulatus : cor contritum et humiliatum Deus non despicies.

PSAUME 50.

VI

Combien le séjour à Paris me fut pénible. Depuis douze années que je vivais à la campagne ou dans les bois, j’avais perdu l’habitude de la grand’ville ordurière et bruyante. Tout m’en était odieux : le tintamarre des camions et des tombereaux, les cris de canard qu’on égorge des automobiles, les cloches des tramways. Je haïssais les trop hautes maisons à la façade fuligineuse. Je grognais contre les passants à l’allure hâtive, aux traits contractés par des désirs de lucre ou des pensées de sale godaille. J’étouffais dans l’atmosphère malpropre qui stagne parmi les rues comme sur les boulevards. Le soir j’étais au supplice à cause de ces lampes électriques dont la morne clarté brûle les yeux.

J’avais, dira-t-on, pour compensation, la facilité de fréquenter mes confrères. Or leurs propos, qui ne m’avaient jamais beaucoup intéressé, ne parvenaient plus du tout à me retenir. C’est en vain que je me battais les flancs pour me suggérer que la littérature restait ma préoccupation principale. Au fond, je sentais bien que ce n’était pas vrai et que j’aurais donné toutes les « causeries d’art » du monde pour ouïr encore le vent chuchoter dans les pins et les bouleaux.

En somme, je ne réussissais plus à me distraire de la révolution qui s’opérait en moi sous l’influence de la Grâce. Et pourtant cette préoccupation constante me mettait parfois en colère. Las d’entendre ma conscience me répéter : « Il faut aller à l’Eglise ou tu périras, » je m’écriais à part moi : — Mais c’est un véritable supplice. Est-ce que cette voix ne va pas se taire à la fin… Et j’essayais de lui imposer silence.

Lorsque j’inventais quelque ruse pour l’étouffer, ne fût-ce qu’une demi-journée, je ne m’en trouvais que plus malheureux. Afin de réagir, je m’acoquinais dans les endroits où se réunissent maints poètes. Là, je montrais une gaîté fébrile. Je multipliais les propos sceptiques ou graveleux ; je déclamais éperdument des vers. On applaudissait, on louait ma verve, on riait de mes plaisanteries.

Moi, cependant, je m’en allais bientôt, en haussant les épaules. Dès que je me retrouvais seul, la chape de plomb de la mélancolie retombait sur moi plus lourde que jamais. L’envie de me suicider me taraudait l’âme. Et je ne pouvais que me dire : — C’est de ma faute. Pourquoi est-ce que je continue à mener cette existence absurde au lieu d’obéir à la voix — certainement divine — qui me sollicite d’une façon si impérieuse ?

Alors, j’allais me réfugier dans un de ces jardins publics qui réconfortent, un peu, par leurs parterres et leurs massifs, les pauvres sylvains exilés à Paris. Là, du moins, je voyais des arbres et le tumulte de la ville s’atténuait. Je me rappelle, entre autres, un banc du Jardin des Plantes où je me suis assis bien souvent. C’est près de la maison des pachydermes, sous un splendide catalpa. Que de fois je m’y suis attardé ! Comme j’y ai rêvé, médité, scruté ma tristesse…

Je récapitulais tout ce qui s’était passé en moi depuis que le Bon Dieu me faisait signe de venir à Lui. Au plus propre de mon être, je retrouvais vivaces les impressions ressenties naguère dans la forêt. Je constatais que mes erreurs passées finissaient de s’en aller en poussière ; et je m’en sentais tout joyeux. A ces moments, une grande paix entrait en moi ; je pensais à Dieu d’une façon très douce et je me mettais à prier : — Seigneur, disais-je, vous voyez que je ne vous abandonne pas. J’entends toujours chanter dans mon âme votre parole adorable. Je sais que vous êtes le Verbe et que vous avez habité parmi nous pour nous racheter du péché. Ayez pitié de moi. Il me semble que j’avance si lentement dans vos voies…

On comprend que si je m’exprimais de la sorte c’est parce que je ne pouvais pas distinguer à quel point l’aide qui m’était fournie d’En-Haut était puissante et combien, au contraire, la Grâce m’entraînait rapidement vers Dieu en me maintenant dans la foi et en écartant de moi les conseils sinistres de l’esprit de suicide. Il eût fallu un prêtre pour m’éclairer. Mais voilà, rien qu’à l’idée de gagner le plus prochain confessionnal, je me sentais pris d’une véritable panique et je remettais à plus tard cette démarche que je devinais pourtant être indispensable.

Néanmoins je sortais consolé de ces heures d’appel à la Providence divine. Je me trouvais mieux assuré pour combattre les ennuis qui m’assiégeaient.

J’en subissais de plusieurs sortes et de très durs.

D’abord la dame aux yeux noirs, que j’avais emmenée à Paris, redoublait de mensonges et d’incohérences.

Elle me narrait les bourdes les plus formidables pour aller jouer et boire en compagnie de donzelles mal peignées. Elle dilapidait nos maigres ressources. Lorsque je rentrais dans la noire chambre d’hôtel où nous campions, elle me faisait des scènes de jalousie très âcre et — je puis le dire — injustifiées ; sur quoi, je me mettais en fureur. Nous nous insultions à outrance. Puis, hélas, le dénouement coutumier se produisait : nous finissions par nous rapprocher. Nous nous prodiguions de furieuses caresses… Elle en demeurait affermie dans la certitude de l’empire qu’elle exerçait sur mes sens, moi, plus triste et plus écœuré que jamais — et néanmoins trop lâche pour rompre.

D’autre part, je hantais les milieux radicaux car depuis l’arrivée au pouvoir de Clemenceau, il était question, vu mes services passés, de me gratifier d’une sinécure quelconque.

Certes, c’était sans enthousiasme que je m’apprêtais à servir un régime qui, comme je l’ai raconté, me répugnait depuis pas mal de temps. Mais je me disais : — Après tout, ils sont légion ceux qui servent le Bloc tout en le méprisant et parce qu’il faut vivre. Un de plus ou un de moins, cela n’a guère d’importance… Raisonnement dont j’ai honte aujourd’hui et qu’heureusement je n’ai pas appliqué jusqu’au bout.

Où l’hypocrisie de la radicaille me devint tout à fait intolérable, ce fut un soir où j’assistai à un conciliabule présidé par un politicien qui, dans ses articles et ses discours, faisait parade de son libéralisme et de sa tolérance. Or il s’agissait de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Voici comment il s’exprima répondant à certains qui se plaignaient qu’on mît trop de formes et trop de lenteur à spolier le clergé séculier et à empêcher le culte : — Laissez-nous faire, dit-il, en esquissant un sourire chafouin, nous étranglerons les prêtres en douceur sans cesser de parler de liberté et, bien mieux, en leur donnant l’apparence des premiers torts devant le pays.

Peut-être trouva-t-il qu’il avait parlé un peu trop franchement car il ajouta :

— Cela, entre nous, n’est-ce pas ?

Tous les assistants, charmés de cette bonne nouvelle protestèrent de leur discrétion — sauf moi, qui gardai le silence. Nous avons vu, depuis, comment le plan exposé ce jour-là, fut, en effet, mis en œuvre.

Je sortis de cette sentine dégoûté. Je crachai sur le seuil et je me jurai de ne plus rien avoir de commun avec ces tartufes de démocratie. Car, je dois l’avouer, au détriment de ma perspicacité, j’avais pris presque au sérieux jusqu’alors, et malgré tant d’indices révélateurs, la feinte bonne foi du Gouvernement dans l’affaire de la Séparation.

Je m’écartai donc, une fois pour toutes, de cette politique de Mandrins cauteleux et je retournai à mes préoccupations.

Que d’heures lugubres je passai alors à errer dans Paris en ressassant mes chagrins et mes incertitudes. Tout m’ennuyait : les tableaux du Louvre où je me réfugiais de temps à autre, la lecture des papiers publics, les colloques avec mes confrères et même la poésie. Il m’arrivait bien d’esquisser quelques strophes ; mais je ne les terminais pas ; je déchirais le papier où je les avais jetées et j’en restais là, en me disant : — A quoi bon !

Je ne pouvais plus penser qu’à Dieu. Je me tournais vers Lui ; je lui demandais de réveiller mon âme engourdie et de m’assister dans mes peines. Et notre bon Père qui est dans les cieux ne me faisait pas défaut. Non seulement Il me consolait mais encore Il ancrait de plus en plus en moi la certitude de sa toute-puissance. Je l’atteste : dès cette époque et jusqu’à l’heure où j’écris ces lignes, jamais un doute à cet égard ne m’effleura l’esprit.

Cependant, quoique favorisé de la sorte et en ayant presque conscience, je ne me décidais pas à faire la démarche qui eût amené ma conversion définitive. Le Mauvais, qui se voyait menacé de perdre une âme naguère vouée à ses maléfices, m’écartait des églises. J’éprouvais une vague frayeur à la seule pensée d’entrer dans quelqu’une. Et cette répugnance se traduisait par un scrupule bizarre.

M’agenouiller sous ces voûtes imprégnées de prières, me disais-je, moi qui me suis rendu coupable de tant de blasphèmes, de vilenies et de malpropres luxures, ce serait commettre une sorte de sacrilège. Jamais je n’oserai.

Une après-midi, pourtant, après avoir erré, peut-être une heure, sur le parvis de Notre-Dame et dans le square qui verdoie derrière le chevet de la basilique, je pris mon parti ; je franchis le seuil et je suivis le bas-côté qui longe le petit bras de la Seine.

L’église était presque déserte. Deux ou trois femmes priaient devant la statue de la Sainte Vierge qu’on voit à droite de la grille du chœur, quand on fait face au grand autel. Je m’arrêtai pour les regarder et leur ferveur me toucha. Je pensai : — Que je voudrais faire comme elles !

Je fus, alors, sur le point de tomber à genoux. Quelqu’un parlait en moi qui me disait : — Va, humilie-toi ; ne crains rien : tu seras exaucé.

Mais, aussitôt, j’entendis ce ricanement aigre, qui m’avait poursuivi si souvent, et la voix de l’Autre proféra ces mots issus des caves les plus ténébreuses de mon âme : — Allons, ne fais pas l’idiot. Si cela t’amuse de croire en Dieu, tu peux te donner ce divertissement sans qu’il soit nécessaire, pour cela, de t’aplatir devant cette image.

— Oh ! c’est trop fort, tout de même, m’écriai-je, misérable que je suis, vais-je blasphémer dans cette église ? Mieux vaut en sortir tout de suite.

Je m’enfuis. Mais, comme j’avais déjà la main sur la poignée de la porte, une force irrésistible me retint. Je dus me retourner. Et m’inclinant vers l’autel, je dis : — Mon Dieu, ayez pitié de moi. Quoique je sois un très sale pécheur, venez à mon secours.

Dehors, je me sentis un peu rasseréné, car c’est un fait sur lequel je ne saurais trop insister : toutes les fois que j’implorais de la sorte le Seigneur, je me sentais soulagé ; et cela d’une façon immédiate. Avant de prier, j’avais le cœur broyé dans un étau. Dès que j’avais crié à l’aide vers le bon Maître, mon pauvre cœur martyrisé se dilatait ; et je sentais descendre en moi un rayon de la lumière divine qui m’avait éclairé durant mes courses à travers la forêt.

Vous le savez, ô Charité ineffable, j’étais — et j’espère encore être pareil à l’humble publicain dont vous avez dit, dans votre Evangile, que : « Se tenant à l’écart, il n’osait même pas lever les yeux vers le ciel. Mais il se frappait la poitrine et disait : — Mon Dieu, sois-moi propice à moi qui suis un pécheur[7] ! »

[7] Ev. sec. Lucam, XVIII, 13. Et publicanus, a longe stans nolebat nec oculos ad cœlum levare ; sed percutiebat pectus suum, dicens : Deus, propitius esto mihi peccatori.

O Providence adorable, que vous me fûtes propice, en effet, et comme vous n’avez cessé de me combler de vos grâces, malgré mon indignité !…

Le lendemain de ce jour, il me vint à l’esprit de me confier enfin à quelqu’un qui saurait m’entendre. Je pensai tout de suite à François Coppée avec qui j’étais en relations amicales depuis une quinzaine d’années et dont j’avais eu lieu d’éprouver la grande bonté. Je le connaissais pour un catholique convaincu : j’étais donc sûr de trouver des encouragements auprès de lui.

Je l’allai voir et j’en fus reçu à merveille. Mais retenu par je ne sais quelle fausse honte, je ne pus me résoudre à lui confier entièrement l’état de mon âme. Toutefois, je lui dis combien j’étais triste, dégoûté de ma vie sans but et assoiffé de conquérir la paix morale.

Coppée sut me réconforter. Il fut, très simplement, le grand frère indulgent et pitoyable que j’étais accoutumé de connaître en lui. Comme, tout ému, je lui serrais les mains en le remerciant, il me dit : — Pour nous autres catholiques c’est un devoir d’assister qui fait appel à nous. En ce qui vous concerne, je le remplis avec d’autant plus de plaisir que je sais qu’il n’y a point de perversité innée dans vos écarts et dans vos erreurs. Cependant, si vous pouviez croire, vous verriez qu’au-dessus de notre littérature, il y a quelque chose de bien autrement sublime : un Dieu qui nous soutient dans nos tribulations.

Ah ! j’aurais dû lui répondre : — Mais je crois… Ce Dieu dont vous me parlez, je le prie ; et je ne demande qu’à mieux le servir.

Je me tus : l’absurde bâillon que je maintenais sur ma bouche, dès qu’il s’agissait de choses religieuses, ne se desserra point.

Pourtant, à peine deux heures après avoir quitté Coppée, je lui écrivis une longue lettre — qu’il doit avoir conservée, — où je lui peignais mon trouble et où je lui laissais entrevoir que je n’étais pas aussi loin de la foi qu’il avait pu le supposer.

C’est la seule fois, durant toute cette période, où je me sois un peu ouvert à autrui. Il fallut la détresse d’âme qui résulta des dernières convulsions du vieil homme en moi pour que je me confiasse à un autre de mes amis catholiques de qui je parlerai bientôt.

Sur ces entrefaites, je tombai malade. Paris ne me valait décidément rien : j’y dépérissais à vue d’œil tant par la nostalgie de la forêt que par mes soucis matériels. Ceux-ci s’accroissaient du fait que je m’abstenais rigoureusement de donner aucun article aux journaux anti-catholiques où j’avais écrit jusqu’alors.

Le physique fléchit donc après le moral. Je souffris de violents élancements au cœur accompagnés de crises de suffocation, à la suite desquelles je vomissais le sang. — Je précise ces maux, parce que, comme on le verra, j’en fus délivré, d’un seul coup, par une faveur du Bon Dieu, le jour même où je fis le pas décisif pour entrer dans l’Eglise.

D’après l’avis d’un médecin, je quittai Paris et je m’installai dans une petite localité de la banlieue où il me fut possible de respirer un air plus pur. Ce n’était pas tout à fait la vraie campagne. Néanmoins j’y trouvai un peu de calme, du silence et quelques arbres.

Je passais mes journées couché sur la pelouse d’un petit jardin où fleurissaient des géraniums et des roses. Un doux peuplier murmurant agitait son feuillage au-dessus de ma tête. L’admirable été de 1906 m’imprégnait d’azur, de lumière et de tiédeur. Trop faible pour travailler, épuisé par les insomnies et par le sang perdu, je restais là, dans l’herbe, du matin au soir. J’étais si absorbé en moi-même que je ne donnais plus guère d’attention aux extravagances de ma déplorable maîtresse.

J’avais l’intuition que les douleurs corporelles qui m’accablaient m’étaient bonnes et qu’elles achevaient de me purifier de mes ordures passées.

Puis je prenais de plus en plus en grippe les mobiles qui m’avaient déterminé jusqu’au jour où la Grâce me toucha. Illusions politiques, orgueil littéraire, passions sensuelles m’apparaissaient comme des corbeaux dont les croassements se taisaient depuis que s’élevait quotidiennement en moi le cantique merveilleux de la prière.

— Ah ! me disais-je, songe à toutes les années que tu vécus en proie à ces prestiges inanes. Et qui sait ? Si le bon Dieu ne t’avait pas frappé justement, et moins encore que tu ne le mérites, tu aurais peut-être regagné les chemins de la perdition.

Raisonnant de la sorte, j’aurais chu dans la misanthropie si je ne m’étais représenté que des souffrances sans nombre compensent les aberrations et les péchés où s’égarent les hommes.

Ayant vérifié sur moi-même à quel point toute jouissance mauvaise, toute malice contre Dieu se paient par des tourments physiques et moraux, je m’écriais : — Mon Dieu, qu’est-ce que ce monde, sinon une jungle où des bêtes de cruauté et de ruse s’entredéchirent, où le mal régnerait seul si vous ne nous rameniez à vous par la douleur ?

Et je concluais — surtout aux heures où la maladie m’éprouvait davantage — par la récitation des strophes splendides de Baudelaire :

Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés.
Je sais que vous gardez une place au poète
Dans les rangs bienheureux des saintes légions,
Et que vous l’invitez à l’éternelle fête
Des Trônes, des Vertus, des Dominations.
Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu’il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers…

Et j’ajoutais : — Soyez béni, mon Dieu, de m’avoir révélé ma faiblesse par les maux que vous daignez m’infliger. Soyez béni d’avoir brisé mon orgueil en me montrant le néant des illusions où je me complaisais. Soyez béni, d’avoir comblé, par la grâce de votre tendresse insigne, l’espace effrayant qui nous sépare, nous pauvres humains accroupis dans la fange de nos vices, du ciel radieux où vous régnez dans votre gloire.

Telles furent ma prière et mes méditations pendant les mois de juillet et d’août.

Elles ne suffirent pourtant pas à me garder d’un suprême retour de l’ancien esprit d’impiété.

Tant que j’avais été très malade, je n’avais eu à subir aucune attaque de ce genre. Il semblait que le Bon Dieu voulût épargner ma faiblesse. Mais à peine je commençais à me remettre et à reprendre la plume que je commis une faute grave.

Une revue m’avait demandé un article de littérature, me laissant le choix du sujet. Ayant été payé d’avance, je tenais à m’acquitter, le plus tôt possible, de l’engagement que j’avais pris. Je cherchais un thème à développer lorsqu’un fragment des Foules de Lourdes de Huysmans, publié par un autre périodique, me tomba sous les yeux.

A cette lecture, ce fut en moi comme une éruption de blasphèmes. Il me vint aussitôt à l’idée de le critiquer, avec virulence, non pas tant au point de vue de l’art que pour dauber sur le sentiment religieux qui s’en dégageait.

Ici, je dois retourner en arrière. Quand parut le livre de la conversion d’Huysmans : En route (en 1896), j’étais tout à fait en proie au délire socialiste et révolutionnaire. Néanmoins cet exposé si intense et si émouvant des vicissitudes d’une âme qui revient à Dieu m’avait profondément remué. Pendant plusieurs jours, je n’avais cessé d’y penser. Puis, réagissant, avec une sorte de fureur, contre l’impression salutaire que j’avais reçue, j’avais publié un éreintement farouche du volume. Et, depuis, quand parurent La Cathédrale et Sainte Lydwine, j’avais récidivé.

Mais ce qui était explicable — et même, en un certain sens, excusable, — à l’époque où le matérialisme militant suintait de mon âme, le devenait beaucoup moins maintenant que je m’étais promis de ne plus attaquer ni directement ni indirectement le catholicisme.

Quoi qu’il en soit, il fit soudain nuit dans mon âme. Je passai trois jours à écrire un article sarcastique où la conversion d’Huysmans était raillée à outrance et où, hélas, la Sainte Vierge était insultée.

L’article fini et envoyé, ce fut comme si un voile se déchirait en moi. Je vis clairement mon péché, je me fis horreur et j’éprouvai un violent remords.

A coup sûr, j’aurais dû empêcher la publication de cet article dont je me repentais déjà de tout mon cœur. Je n’en fis rien, me donnant pour prétexte — peu valable — que puisqu’il m’avait été réglé d’avance, je n’avais pas le droit de le retirer.

On verra comment, peu après, la mémoire de cette mauvaise action, où se condensaient mes suprêmes révoltes contre l’Eglise, me tortura.

Le Bon Dieu ne m’en punit point tout de suite. En effet la santé me revenait de jour en jour. Je souffrais encore du cœur ; mais c’était supportable et, d’autre part, je me retrouvais en possession de toute ma vigueur cérébrale.

Peut-être dus-je cette grâce au fait que navré d’avoir — presque involontairement, j’y insiste — bafoué l’hyperdulie d’Huysmans, je redoublai de prières. Je me rendais compte, de plus en plus, que Dieu ne laisserait pas la foi à l’état de « pierre d’attente » dans mon âme. Je lui disais : — Vous m’avez appris par votre adorable insistance à me solliciter, malgré mes rechutes et mes hésitations, que vous aviez un dessein sur moi. Faites du pauvre Retté selon votre vouloir : il vous aime et il vous craint. Il ne demande qu’à se soumettre.

Pénétré de ces bonnes pensées, je résolus de retourner dans la forêt. Ce fut une intuition toute puissante. Certes, j’étais heureux d’aller revoir mes frères les arbres, mais, surtout, je sentais, et cela de la façon la plus nette, que sous leurs ombrages, il se passerait quelque chose de décisif pour moi.

Je partis donc pour Arbonne. Enfin, enfin, j’étais presque arrivé au moment où, par l’intercession de la Sainte Vierge, la Grâce divine allait me jeter dans les bras de l’Eglise !…

Chargement de la publicité...