Du Diable à Dieu : $b Histoire d'une conversion
PRÉFACE
Dans la tempête d’impiété qui sévit sur la France et quand les malfaiteurs qui la gouvernent s’efforcent de détruire dans l’âme du peuple jusqu’au dernier vestige du sentiment religieux, nous avons du moins une consolation, c’est le retour pur et simple à la vérité chrétienne d’hommes d’élite, d’esprits très remarquables à divers titres, les uns par la force de la pensée, les autres par les dons de l’imagination. Les futurs historiens de notre littérature à la fin du XIXe siècle seront forcés de reconnaître, par exemple, que Brunetière, le grand critique, le puissant dialecticien, que Bourget, le pénétrant romancier, l’excellent peintre de la société moderne, que Huysmans, le rare et précieux artiste en style, que Verlaine, le poète délicieusement naïf, malgré ses égarements, furent des catholiques — et des catholiques qui, tous, sont revenus à la foi après l’avoir longtemps oubliée ou perdue.
C’est encore un intellectuel, un poète — car Adolphe Retté est un poète à qui ses sensations et ses rêves ont souvent inspiré de beaux et nobles vers — oui, c’est un vrai poète qui nous raconte l’histoire de sa conversion dans le petit livre que voici. Tous ses lecteurs partageront, je crois, l’émotion profonde qu’il m’a donnée.
Certes, il revient de loin, le malheureux poète, et il a longtemps erré dans les plus mauvais chemins de la pensée avant de tomber, brisé de douleur et de lassitude, au pied de la Croix qu’il embrasse aujourd’hui éperdument, comme un naufragé étreint une épave.
Les convertis que j’ai nommés tout à l’heure ont pu, pendant bien des années, passer avec indifférence devant cette divine Croix. Quelques-uns — et j’en suis, mea culpa — déplorent amèrement la sotte légèreté et la dangereuse audace avec lesquelles ils ont quelquefois parlé des choses saintes, et il est plus d’une page dans leurs anciens écrits dont ils rougissent et qu’ils condamnent. Mais ici, la faute — ou plutôt le malheur — fut pire.
Elevé sans foi, Adolphe Retté, ayant atteint l’âge d’homme, devint un athée, un matérialiste militant. Compagnon des ennemis de la religion, il a même participé à leur œuvre détestable. Comment donc en est-il arrivé à l’horreur de son passé, à l’impérieux besoin de croire en Dieu et d’obéir à ses commandements et à ceux de son Eglise ? Vous l’apprendrez par sa très humble et très courageuse confession.
Lisez ! Suivez avec lui le douloureux itinéraire qui l’a conduit du faux au vrai, du péché à l’état de grâce, du blasphème à la prière et — comme il le dit si fortement — du diable à Dieu ! Descendez dans l’abîme de cette âme au désespoir, de ce cœur déchiré. Ecoutez le tragique dialogue entre le bien et le mal, assistez à la lutte furieuse entre la lumière et les ténèbres, entre le désir de la mort, du suicide, du néant, et l’effort vers la vie éternelle !
Plus d’une fois, vous songerez avec épouvante : « Cet infortuné va succomber !… Il est perdu !… »
Non pas. Rappelez-vous le démoniaque du pays des Géranésiens, qui vivait dans les sépulcres et que nul ne pouvait dompter. De même qu’il délivra ce possédé, Notre-Seigneur va chasser de cette conscience à la torture tous les démons, celui de l’orgueil, celui de l’impureté, celui de la haine. Poursuivez la lecture de ces pages vibrantes de sincérité, palpitantes de repentir, brûlantes de foi, d’espérance et d’amour.
Voyez ! Le blasphémateur d’hier est maintenant en adoration devant son crucifix et prie la Vierge Marie avec la candeur d’un enfant. N’y a-t-il pas là manifestement une preuve extraordinaire, osons le dire, une preuve surnaturelle de l’infinie miséricorde et de la toute puissante grâce de Dieu ?
Parce qu’il m’a crié au secours dans sa détresse morale, parce que je l’ai envoyé tout naturellement vers l’excellent et saint prêtre qui a tracé le signe du pardon sur son front humblement incliné et qui, pareil à Jésus calmant les flots, a fait descendre la paix dans son âme orageuse, Adolphe Retté a souhaité quelques lignes de moi au début de ce livre qui n’a pourtant besoin d’aucune recommandation. Il conquerra tous les cœurs vraiment chrétiens, vraiment charitables ; ils voudront, j’en suis certain, le faire connaître et répandre la bienfaisante atmosphère qui s’en dégage.
Quant à moi, il me laisse la plus douce des certitudes, celle qu’une âme est sauvée, et la bonne joie de savoir que la religion persécutée compte désormais un défenseur de plus dans la personne de ce bon poète, fortifié par la pénitence et la prière et prêt à mettre au service de sa foi tout son courage et tout son talent.
François Coppée.
15 avril 1907.