Du Diable à Dieu : $b Histoire d'une conversion
XIII
Pendant les trois semaines que je demeurai à Paris après ma première communion, la règle d’existence que je m’étais tracée dès mon retour continua. Je rendais de fréquentes visites à l’abbé M… et je mettais de mon mieux en pratique les avis pleins de sagesse qu’il me prodiguait. Fortifié par ses conseils, j’éprouvais une grande satisfaction à les suivre. Obéir m’était devenu facile à moi le révolté de naguère. Puis je goûtais intensément la sérénité joyeuse qui, pour la première fois de ma vie, me comblait l’âme.
Je faisais un retour sur mes angoisses passées et je me disais : — Si tous ceux qui errent irrésolus, désorbités, bourrelés d’incertitudes pouvaient savoir la paix intérieure qu’on acquiert quand on se réfugie dans les bras charitables de l’Eglise. S’ils rompaient les mailles du filet d’orgueil qui les enlace, ils connaîtraient la joie de s’humilier devant le Crucifix rédempteur…
Je m’approchais souvent de la Sainte-Table ; chaque communion me rendait l’âme encore plus tranquille et plus pénétrée de la miséricorde divine. Enfin, m’étant logé près de Notre-Dame, je ne manquais pas d’aller y entendre, tous les matins, la messe de sept heures.
Il faisait encore presque nuit lorsque j’entrais dans la basilique ; il y régnait une obscurité que coupaient faiblement la clarté mince de quelques cierges votifs et la lueur tremblante de la lampe qui veille devant le Saint-Sacrement. La messe était dite par un vieux prêtre dans la chapelle où l’on voit le tombeau de Monseigneur Darboy surmonté d’une statue de Saint-Georges terrassant le Démon. Je me plaçais contre un pilier qui fait face à l’autel et je m’unissais, de tout mon cœur, au Saint-Sacrifice. Que c’était bon de prier dans cette ombre recueillie. Que les entretiens avec Dieu y étaient féconds en grâces sanctifiantes.
Dans le grand silence de la cathédrale, presque déserte à cette heure, c’est à peine si l’on entendait parfois un pas résonner sur les dalles et tinter les sonneries liturgiques. Puis tout se taisait : il n’y avait plus que la voix grave de l’officiant et le cliquetis des chapelets égrenés par quelques servantes du quartier venues pour demander à Dieu de les assister dans leur labeur.
J’ai connu là des ravissements si adorables, je m’y suis senti tellement détaché de moi-même, tellement transporté aux sommets de la foi que le souvenir de ces messes matinales ne cesse de m’illuminer la mémoire…
Dès que l’Ite missa est s’était envolé, alouette de la Grâce, vers le ciel, j’allais m’agenouiller devant la statue de la Sainte-Vierge dont j’ai parlé plus haut. Je récitais une dizaine puis je causais paisiblement avec la Bonne Dame. Elle est si tendrement accueillante cette douce Reine des Anges. Quand on souffre du corps ou de l’esprit, il est si consolant de poser son front fiévreux sur ses genoux et de l’implorer pour qu’elle vous soulage. Alors, on sent ses mains radieuses vous caresser l’âme et on l’entend qui vous dit tout bas : — Pourquoi t’affliger ? Est-ce que je ne suis pas là pour t’enlever tes peines ?…
Mais ce n’était pas seulement afin de la solliciter que je m’attardais de la sorte auprès d’Elle. C’était surtout pour l’exalter, pour répéter, avec une entière ferveur, ses litanies, pour respirer le parfum spirituel qui s’en dégage. Tandis que je murmurais ses louanges, il s’ébauchait en moi des strophes à sa gloire. Sorti de l’église, je les notais aussitôt ; et mon bon ange aidant je les fixerai, quelque jour, dans un poème…
Mes journées, je les passais soit au Parc Montsouris, soit au Jardin des Plantes, soit dans ce petit square qui fait la proue de navire au bas du Pont-Neuf. Tout en admirant les splendeurs défaillantes de l’automne, tout en regardant mes frères les arbres semer autour d’eux des feuilles d’or, je méditais l’Evangile et l’Imitation de Jésus-Christ. C’étaient mes seules lectures avec celle de mon paroissien. Car on ne saurait se figurer à quel point les choses littéraires m’étaient devenues lointaines.
L’Evangile, c’est la nourriture essentielle du chrétien, celle dont on ne saurait trop se sustenter. Je l’avais si bien compris que depuis lors, je n’ai guère manqué d’en relire quotidiennement deux ou trois chapitres.
L’Imitation, c’est une essence de prières. On pourrait la comparer aussi à un outil indispensable pour sarcler le champ de notre âme lorsque les faux jardiniers qui s’appellent Orgueil et Luxure tentent d’y cultiver de mauvaises herbes où d’y faire prospérer des floraisons vénéneuses. Et puis quel étonnant, quel perspicace psychologue que l’auteur inconnu de ce petit livre qu’on n’a qu’à ouvrir presque au hasard, lorsqu’on ne voit pas très clair en soi, pour y trouver le conseil nécessaire.
— Dans l’Imitation, me disait l’abbé M… on sent passer le souffle du Saint-Esprit…
Pendant que je m’occupais de la sorte, l’idée me vint d’écrire l’histoire de ma conversion. Et bientôt elle s’imposa si despotique que je crus plaire au Bon Dieu en la mettant à exécution. Je consultai l’abbé M… qui approuva fort mon projet. Je lui dis alors combien il me semblait indiqué d’aller rédiger cette œuvre de réparation dans la solitude. Il en tomba d’accord, de sorte que, deux jours plus tard, après avoir communié encore une fois de sa main, je partis pour Arbonne.
Comme on n’en doute pas, la première chose que je fis, en arrivant, ce fut de monter à Cornebiche. Tout heureux de revoir ma chère forêt que novembre habillait de pourpre et d’or, je gravis la colline et j’allai me mettre aux pieds de Notre Dame de Grâce pour la remercier de l’aide qu’elle m’avait départie et pour la supplier de m’être auxiliatrice dans mon travail.
Je récitai, de tout cœur le Salve Regina. A peine avais-je fini qu’une oraison jaillit en moi si nette que je pus la noter tout de suite.
La voici :
SALVE REGINA
HUMBLE PARAPHRASE POUR LES PAUVRES CONVERTIS
Reine des anges de lumière, salut.
Mère, dont la miséricorde infinie répand les eaux vives de la Grâce dans l’âme des pauvres convertis, salut.
Nous étions comme des morts sans sépulcre dont la pourriture infectait les hommes de bonne volonté. Toi, Vie éternelle, Toi, ambroisie céleste, Toi, vaste espérance, voici que tu nous tiras de notre corruption.
Fils du péché originel, insurgés contre la rédemption, nous avons dû enfin crier vers Toi du fond de l’abîme où le prince de l’orgueil nous avait précipités. Et maintenant, humbles et les yeux en pleurs, nous soupirons vers Toi.
Hélas, Interprète des volontés divines, Interprète aussi de nos appels à la Trinité redoutable, viens à notre secours.
O Rose mystique, imprègne de tes parfums ce jardin envahi par les orties : notre âme. Tourne vers nous la splendeur miséricordieuse de tes yeux. Fais que notre orgueil se brise comme un caillou sous le pic qui fait jaillir la lumière du Seigneur. Fais que ton fils nous octroie sa couronne d’épines. Ah ! fais aussi que ce fruit de tes entrailles nous pénètre de sa divine saveur.
O trop Clémente pour les pécheurs que nous sommes, ô trois fois pitoyable, ô infiniment secourable Vierge Marie.
Quoique nous ne le méritions aucunement, prie pour nous, Sainte Mère de Dieu. Prends dans tes mains le cœur contrit de ces enfants derniers-nés de la Grâce : les pauvres convertis. Rends-les dignes de monter, au jour du jugement, à la droite du Juge équitable et terrible.
Seigneur tout-puissant, tu as voulu que ton Verbe incarné prît pour tabernacle le corps immaculé de notre Vierge bien aimée. O Saint-Esprit tu l’as empli de ta flamme. Sainte Trinité, daigne en souvenir de ce mystère, nous garder du Mauvais.
Par l’intercession de ta Mère auguste, notre douce Etoile du Matin, dissipe en nous les ténèbres du Mal. Délivre-nous de la mort éternelle que nous avions encourue par notre très grande faute.
Et qu’après l’épreuve de ce Purgatoire où nous entrerons en chantant tes louanges, ô Père, ô Fils, ô Saint-Esprit, nous soyons admis à contempler, pour l’Eternité, ta face adorable.
Que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous entende.
Agneau de Dieu, toi qui effaces les péchés du monde, toi qui saignes chaque jour sur tous les autels pour la rémission de nos fautes, pardonne aux pauvres convertis.
Agneau de Dieu, toi qui habitas parmi nous pour laver nos taches, exauce les pauvres convertis.
Agneau de Dieu, par les vertus du Miroir de ta Justice, laisse descendre à jamais en nous les rayons de ta Grâce et prends en pitié les pauvres convertis.
M’étant ainsi fortifié par la prière, je descendis la colline, je retournai à Arbonne et je commençai d’écrire ce livre…