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Du Diable à Dieu : $b Histoire d'une conversion

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TROISIÈME PARTIE

Cum invocarem, exaudivit me Deus justitiæ meæ ; in tribulatione dilatasti mihi.

PSAUME 4.

Gloria tibi, Stella matutina mea.

XI

La première chose que je fis en arrivant à Paris, ce fut de me rendre à Saint-Germain-des-Prés pour y prier[11]. Cette appréhension étrange qui m’avait empêché si longtemps d’entrer dans les églises avait tout à fait disparu. Je franchis délibérément le seuil et j’allai m’agenouiller devant l’autel de la Sainte Vierge.

[11] Je ne choisis pas cette église plutôt qu’une autre. Elle se trouvait sur mon chemin : j’y pénétrai.

— Bonne Mère, lui dis-je, c’est vous qui m’avez amené jusqu’ici. Faites maintenant que je trouve le prêtre qui me réconciliera avec Dieu. Vous voyez mon âme : encore toute chancelante sous le poids de ses fautes, elle demande à se libérer. Je vous supplie donc de m’ouvrir la porte du sanctuaire où j’aurai part à l’amour infini.

Cette prière me fit grand bien. Je gagnai la maison de Coppée où je fus reçu tout de suite. Le poète se récria d’abord sur ma mauvaise mine. Il y avait de quoi car, comme on le pense bien, la crise que je venais de traverser ne me donnait pas précisément l’air florissant. Je le rassurai ; puis, après lui avoir peint l’état de mon âme, je lui demandai de m’indiquer un prêtre qui consentît à m’instruire et à me guider.

— Car vous comprenez, ajoutai-je, que je ne puis plus marcher tout seul. J’ai besoin d’un appui et je suis venu à vous avec la conviction que vous sauriez me le fournir.

Coppée, fort heureux de la bonne nouvelle, me dit : — Je vais vous adresser à l’Abbé M. vicaire de Saint-Sulpice. C’est un saint et savant homme de qui vous recevrez, j’en suis sûr, l’aide nécessaire.

Il écrivit une lettre pressante et me la remit en me disant : — Vous n’aurez qu’à la porter au presbytère ; l’abbé M… s’y trouve toujours le soir, à partir de cinq heures et demie.

Je le remerciai et je le quittai non sans qu’il m’eût prodigué les plus chauds encouragements.

Une fois dans la rue, je me demandai ce que j’allais faire pendant les trois heures qu’il me restait à user. Il me sembla que le mieux serait de retourner à l’église.

Je revins donc à Saint-Germain-des-Prés. Je m’assis auprès du grand autel et, la tête dans les mains, je me pris à réfléchir sur la façon dont je m’expliquerais auprès de l’abbé M… Mais alors, en pensant à tout ce qu’il faudrait lui avouer, je sentis une grande honte m’envahir.

Jamais, me dis-je, je n’oserai lui confier ces choses ; ou si je m’y résous, il est fort probable qu’il se récusera, n’ayant pas de temps à perdre avec le sale pécheur que je suis…

Cet accès de scrupule me tortura d’autant plus qu’il allait sans cesse en augmentant et que je ne savais comment lui tenir tête. Je ne pus rester dans l’église ; je sortis et me mis à errer au hasard sur la rive gauche. J’écoutais, tout crispé, une voix captieuse chuchoter en moi : — Sauve-toi, va te cacher n’importe où puisque tu te rends compte de ton indignité, puisque tu saisis que le salut n’est point pour toi…

La tentation était forte. Néanmoins, ayant subi force assauts de ce genre, j’avais pris de l’expérience ; j’eus l’intuition qu’il ne fallait y céder à aucun prix et que le moment était arrivé où je ne devais plus reculer. Rassemblant mon énergie éparse, je me dis : Cette dérobade est absurde. Si le Bon Dieu m’a conduit au point où j’en suis, ce n’est pas pour me délaisser lorsque je vais faire le pas décisif. J’ai confiance en Lui : quoiqu’il puisse arriver, j’irai à cinq heures et demie chez l’abbé M…

Mon parti semblait bien pris — de fait il l’était. Cependant, à mesure que le temps s’écoulait, je me sentais en proie à une très sombre tristesse qui pesait sur moi comme un ciel d’hiver sur une campagne flétrie. Tout était en léthargie au dedans de mon être ; tout se taisait : plus même de remords ni de scrupules, mais un immense accablement. La lumière de la Grâce me paraissait éteinte et il ne restait qu’une nuit intense où mon âme se cherchait à tâtons sans se trouver.

Ah ! cette sensation de solitude totale dans des ténèbres opaques, c’est peut-être la plus terrible des épreuves que l’âme qui se repent ait à supporter.

Ma course sans but me conduisit sur la place du Panthéon. J’avisai le portail de Saint-Etienne du Mont et je me dis : — Si j’entrais là. Peut-être que la clarté divine m’y reviendra…

J’entrai donc. J’errai, le front bas, sous les arceaux. J’essayais de prier et ce m’était impossible. Il y avait sur mon âme comme une couche de givre que je ne réussissais pas à percer.

Je repris mon vagabondage par les rues. Il n’y avait plus que mon corps qui agissait. Mon âme était comme défunte.

Mes pas me conduisirent à Saint-Sulpice. J’y entrai, pareil à un somnambule ; mais quand je fus sous ces voûtes embaumées de prières, je repris un peu conscience de moi-même, c’est-à-dire que je ressentis d’une façon encore plus aiguë ma solitude.

Je m’agenouillai sur la première chaise venue et je tentai une supplication à l’adresse du Ciel impassible. Je pus tout juste dire : — Mon Dieu !… Rien de plus.

Et la nuit glacée s’appesantit de nouveau sur moi.

Je me relevai ; je me traînai, en détresse, dans l’église. Comme cinq heures sonnaient, je me trouvai près de la Chapelle du Sacré-Cœur. Un prêtre en méditation s’y tenait assis. Aussitôt que je l’eus distingué dans la pénombre, il me vint à l’idée de lui demander du secours.

— Monsieur l’abbé, lui dis-je, sans autre préambule, je voudrais prier et je ne puis pas… C’est horrible !

Il me regarda, plein de pitié. Certainement il devina quelque chose de mon angoisse car il me répondit : — Le Bon Dieu vous tient compte de l’intention, soyez-en certain. Prenez courage : je vais prier pour vous.

Je le remerciai d’un signe de tête, étant incapable d’ajouter un mot, et je me remis à vaguer dans les bas-côtés. Alors, voici que, peu à peu, mon cœur se desserra et qu’il fit plus clair en moi. En même temps, je sentis naître, grandir, s’affirmer la certitude que je dirais tout à l’abbé M… et l’espoir qu’il me recevrait à merci au nom du Seigneur.

Ce réveil de mon âme fut semblable au retour à l’existence d’un homme qui s’est évanoui et qu’un cordial administré à temps remet sur pied.

Je fus soudain en pleine possession de mes facultés. Sans nulle hésitation, je me dirigeai vers le presbytère ; cinq heures et demie sonnant, j’étais dans la loge du concierge et je demandais l’abbé M…

Tout en montant l’escalier vers la cellule qui m’avait été indiquée, j’examinais encore une fois l’état de mon âme et je m’étonnais que tant de calme et de décision eût succédé à tant de fièvre et d’incertitude. Toutefois, comme je frappais à la porte, le cœur me battait assez fort car une parole de Byron, qui s’appliquait à mon cas, me revenait à la mémoire : « C’est ici un de ces relais où les Destins changent de chevaux. »

Entré, je vis un petit vieillard à cheveux blancs, assis dans un grand fauteuil. Il me regardait d’un air interrogateur. Je lui remis la lettre de Coppée ; et il la lut sans rien témoigner de l’impression qu’elle lui causait. Puis, m’ayant fait asseoir, il me demanda tranquillement, et comme s’il s’agissait de la chose la plus facile du monde, de lui exposer par suite de quelles circonstances je m’était senti attiré vers l’Eglise.

Je me trouvais un peu embarrassé, ne sachant trop par quel bout entamer mon récit, quand je me souvins que j’avais sur moi quelques-unes des lettres de mon ami S… Elles mettaient si bien dans leur jour les péripéties les plus récentes de ma conversion qu’elles constituaient la meilleure des entrées en matière. Je les tendis à l’abbé M… en le priant de les parcourir.

Il les lut avec attention puis me dit : — Vous avez eu là, pour conseiller, un excellent catholique. Il faut remercier le Bon Dieu qui vous inspira d’avoir d’abord recours à lui. — Maintenant, causons.

Il me posa d’abord quelques questions touchant mes origines et l’éducation que j’avais reçue. Ensuite il m’invita à lui narrer comment mes idées avaient évolué pour que, parti de l’hostilité à l’égard de l’Eglise, j’en fusse arrivé à cette évidence que je ne pouvais plus vivre en dehors d’elle.

La simplicité de son accueil m’avait mis tout à fait en confiance de sorte que je n’éprouvai aucune difficulté à lui retracer ma vie intellectuelle depuis le jour où les brouillards du socialisme et de la science s’étaient dissipés en moi et où la Grâce m’avait pris par grands coups de lumière. Il est inutile de recommencer ce récit puisque j’en ai donné le détail dans les chapitres précédents.

Enfin j’arrivai à l’époque où démuni de toute croyance ferme, ballotté entre mon désir de vivre selon la foi et mes aberrations anciennes, j’étais tombé dans une mélancolie profonde.

— Et alors, interrompit l’abbé, naturellement, vous avez pensé à vous suicider ?

— Mais oui, répondis-je, assez surpris qu’il eût deviné cette conclusion de mes égarements.

— C’est bien cela, reprit l’abbé, continuez…

Je lui décrivis les affres subies durant les dernières semaines qui venaient de s’écouler. Tandis que je parlais, le souvenir de ces heures effroyables me revenait si vivement que je dus m’arrêter pour me reprendre un peu.

— Oui, me dit alors l’abbé M… c’est affreux n’est-ce pas ? Cela peut vous donner une idée — et encore affaiblie — de ce qui se passe en enfer. Mais remettez-vous et terminez.

Je lui racontai la nuit terrible où j’avais failli succomber aux incitations du désespoir. Puis, tout anxieux, je lui demandai : — Maintenant, monsieur l’abbé, croyez-vous que je puisse être sauvé ?

Un bon sourire lui éclaira le visage. Il se leva et me frappant sur l’épaule : — Mais, mon cher ami, me dit-il, la chose est aux trois quarts faite. Vous vous repentez ; vous avez pleuré des larmes de sang sur vos fautes. Soyez sûr que vous avez été entendu Là-Haut. Moi, je n’ai plus qu’à vous instruire des vérités essentielles de notre sainte religion. Puis, d’ici quelques jours, vous ferez votre confession générale et vous communierez. Et vous verrez que tout ira bien.

Je m’ébahis car je m’étais ancré cette idée dans la tête qu’il faudrait de longs mois avant que je fusse jugé digne des sacrements.

Comme je lui confiais mon scrupule à cet égard, l’abbé M… se mit à rire franchement : — Quel enfant vous faites, me dit-il, croyez-vous que je vais vous laisser comme cela en pénitence dans un coin ?

Puis reprenant son sérieux : — L’Eglise ne demeure pas fermée à qui, comme vous, fait appel à sa charité. Il est vrai, vous avez beaucoup péché, mais vous avez beaucoup souffert. Il est nécessaire qu’on vous vienne en aide. Dites-vous bien que Dieu vous a traité comme ceux qu’il aime. Remerciez-le, remerciez la Sainte Vierge qui, certes, intercéda pour vous. Et ayez confiance puisque je vous affirme que vous possédez la vraie contrition.

— Ah ! m’écriai-je, les larmes aux yeux, grâce à vous, mon bon Père, je vais enfin récupérer cette paix intérieure que je croyais avoir perdue à jamais.

— Non, rectifia l’abbé, pas grâce à moi, grâce à Dieu dont je ne suis que le très humble instrument.

Il me dit ensuite de me procurer mon acte de baptême et de le lui apporter le lendemain. Puis il me remit un catéchisme où il me marqua au crayon ce que je devais d’abord apprendre, à savoir : les actes de foi, d’espérance et de charité, l’oraison dominicale, la salutation angélique et le symbole des Apôtres.

— Outre ces prières, ajouta-t-il, laissez-vous aller à ces élans d’adoration dont vous m’avez parlé. Ces effusions viennent du Saint Esprit et il ne faut pas craindre de les multiplier… Maintenant, savez-vous faire le signe de la croix ?

— Hélas non, répondis-je.

— Je vais vous l’apprendre car il constitue, en abrégé, la profession de foi de l’Eglise catholique. Allons, faites comme moi : la main droite au front, puis à la poitrine, ensuite à l’épaule gauche et enfin à l’épaule droite en disant : Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.

J’imitai l’abbé en répétant ces paroles. Mais je me trompai : je mettais la main droite au front puis j’allais à l’une ou l’autre épaule et je m’arrêtais tout confus en m’excusant de ma maladresse. J’étais si ému que je perdais un peu la tête. N’était-il pas touchant, en effet, ce doux vieillard qui, plein de mansuétude, apprenait ainsi, au pauvre pécheur ignorant les pratiques élémentaires de la religion ?

Enfin, ayant réussi à faire comme il faut le signe de la croix, je pris congé sur ces derniers mots de l’abbé M… : — Allez en paix, mon cher fils, couchez-vous de bonne heure car je vois à votre figure que vous êtes épuisé par les insomnies. Priez, avant de vous endormir. Ne perdez pas une minute de vue cette pensée que vous allez être racheté de l’esclavage du péché. Confiance et prière : tout est là. Je vous bénis. A demain, à la même heure.

Je le remerciai et lui promis d’être exact. — Dehors, j’arpentai la rue, tout songeur et tout heureux d’avoir pris le bon parti.

Qui m’aurait dit, pensais-je, que ce serait si facile ? Puis j’admirais la bonté de la Providence qui m’avait conduit, comme par la main, au prêtre qu’il me fallait. Ah ! si l’abbé M… m’avait accueilli par des phrases pompeuses et des tirades ampoulées, il est probable que je me serais cabré. Mais son ton paternel, sa façon de me présenter comme une chose toute simple l’empreinte divine sur mon âme, l’onction enjouée de ses propos avaient agi en moi mieux que n’auraient pu le faire les discours les plus apprêtés.

— Maintenant, conclus-je, en me mettant au lit, je n’ai plus qu’à me laisser conduire… Ouf, quelle délivrance !

J’ouvris mon catéchisme. Que les actes de foi, d’espérance et de charité me touchèrent ! De quelle allégresse je répétais : — Oui, mon Dieu, je crois en vous et en votre sainte Eglise, parce que, j’en ai fait l’expérience, vous ne pouvez ni me tromper ni la tromper. Oui, mon Dieu, j’espère que vous me conserverez votre grâce et que, si j’observe vos commandements, vous me recevrez dans votre gloire. Oui, mon Dieu, je vous aime par-dessus tout, car vous n’avez pas cessé de me prouver votre amour.

Ensuite je dis le Pater et l’Ave en m’attachant à en bien pénétrer le sens et à m’appliquer l’adorable miséricorde qui pénètre ces versets. Enfin je méditai le Credo. Puis je m’écriai : — O Mère de mon Dieu, je me remets tout entier entre vos mains et je vous donne mon âme. Daignez la présenter à votre Fils…

Alors, ayant tracé sur moi le signe de la croix, je m’endormis d’un sommeil paisible, tel que je ne l’avais pas connu depuis bien des jours.

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