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Du Diable à Dieu : $b Histoire d'une conversion

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IV

Avant de continuer ce récit, il importe de mentionner que, pour la rédaction des chapitres qui précèdent comme pour ce qui va suivre, je me suis servi des carnets de notes où je consigne, depuis des années, les principaux événements de mon existence et les réflexions qu’ils me suggèrent. Aidé, en outre, par l’excellente mémoire dont le Bon Dieu a bien voulu me favoriser, j’ai pu retracer, sans omissions graves ni erreurs, les crises de conscience par lesquelles je passais. Et c’est ainsi qu’il m’a été facile d’indiquer, d’une façon exacte, les endroits où se jouèrent les actes du drame dont j’étais le sujet.

Puis, à la lumière de la Grâce, certains faits, qui me semblaient obscurs au moment où ils se produisirent, se sont éclairés. C’est pourquoi je prie humblement le lecteur de bonne foi de se tenir pour assuré que c’est un homme non seulement sincère, mais renseigné sur lui-même qui parle ici.

Donc, le matin qui suivit ce songe où Maître Alighieri m’avait assisté, comme il le fut lui-même par Virgile, je me levai, dès qu’il fit jour, et je gagnai ma futaie de prédilection : celle des Fosses Rouges.

Il faisait un temps admirable. Le ciel, très haut, très bleu, où le soleil rayonnait comme le corps glorieux d’un Archange, versait une pluie d’or diamantée sur les jeunes frondaisons. Toutes les pousses du printemps à son apogée finissaient de s’épanouir. La forêt s’était parée des couleurs de l’espérance et de l’allégresse. O fête des clartés nouvelles, des sèves exubérantes et des feuillages tendres, que tu me semblas merveilleuse !

Sous les arbres, il régnait une lumière adoucie qui se teintait de toutes les nuances du vert et qui, aux lointains, devenait presque mauve. Les ramures, frémissantes sous les caresses d’un vent tiède, projetaient sur le sable du chemin et sur l’herbe fine qu’étoilaient des pervenches et des fleurs de fraisiers, des ombres roses. Les fougères balançaient leurs palmes délicates. Des merles sifflaient, insoucieux, et des ramiers roucoulaient amoureusement ; l’on eût dit, parmi les grès sonores, des chants de cascatelles et des carillons de clochettes en cristal.

Je suivais, à pas lents, le sentier si bien tracé par Charles Colinet. Il traverse la futaie dans sa plus grande largeur, non pas selon l’agaçante ligne droite, mais en décrivant nombre de courbes capricieuses, en épousant toutes les pentes. Si bien que nul aspect de ce site accidenté n’échappe aux regards admiratifs du promeneur.

J’étais dans le ravissement de cette beauté. Je saluais les vieux chênes barbus de mousse argentée et graves comme des patriarches. Les hêtres et les charmes, en cépées à sept ou huit tiges, me semblaient des tuyaux d’orgue où la sylve exhalait le cantique de sa joie. Lorsque les souffles abaissaient puis relevaient en cadence les feuillages éoliens, je croyais sentir passer sur ma face l’ombre vermeille de grandes ailes angéliques. J’aspirais, à pleins poumons, l’arome salubre des sèves. — Que c’est beau ! Que c’est beau ! me répétais-je, les mains jointes. Et cette effusion, n’est-ce pas, c’était déjà presque une prière.

Certes, on eût dit que parmi toute cette splendeur et toute cette douceur, le Saint Esprit s’épandait en effluves radieux et bénissait la forêt sacrée.

On comprend que, tout ému encore de mon rêve de la nuit précédente, je goûtai, jusqu’au plus profond de mon être, les sensations heureuses que me prodiguait ce printemps délectable. Mon âme s’ouvrait, humble et docile, aux bonnes pensées ; jamais je n’avais été mieux préparé à recevoir les appels de la Grâce.

Ce fut d’abord presque avec timidité que je regardai en moi-même. J’appréhendais un peu d’y retrouver quelques restes des ténèbres méphitiques où je m’étais égaré la veille. Il y eut bien une vague velléité de ricanement diabolique à l’encontre de la joie qui m’emplissait le cœur. Mais l’emprise de la Grâce était trop forte à ce moment ; la tentation se dissipa comme une vaine fumée ; le Diable humilié fit silence.

Rassuré de ce côté, je me dis : « Voyons, il s’agit, cette fois, d’établir le bilan de mes doutes et de mes convictions. Repassons les articles du credo scientifique ; épluchons d’abord paganisme, bouddhisme et panthéisme. Analysons-nous en toute franchise, sans faux-fuyants et sans détours.

Je récapitulai donc panthéisme, bouddhisme, paganisme. Et je m’aperçus tout de suite que ces erreurs n’avaient pris de force que par l’ivresse de mes sens ou par mon dégoût des Agités pervers qui mènent au gouffre la société contemporaine. Le voile que ces illusions avaient déployé devant les yeux de mon esprit se déchira d’un seul coup et la brise printanière en emporta les lambeaux. — Hélas, il se retissa par la suite ; cela m’arriva chaque fois que je me bouchai les oreilles pour ne pas entendre la voix divine qui me sollicitait. Pourtant, jamais plus l’étoffe n’en redevint aussi résistante que naguère.

Quant à la science, je n’eus pas beaucoup à m’interroger. Après avoir recensé avec soin les théories matérialistes, je m’aperçus, plein d’un étonnement joyeux, que l’édifice ne tenait plus debout. Je n’eus qu’à donner un coup de pioche et tout s’effondra. L’écroulement fut total — et définitif. Je peux affirmer que, depuis, en aucune occasion, cette lourde bâtisse ne s’est réédifiée en moi.

— Maintenant, que me reste-t-il ? m’écriai-je.

Aussitôt, il me fut répondu, tout bas, au dedans de moi : — Dieu !

Je tressaillis et j’eus un mouvement de recul. Mais la voix intérieure et si douce reprit : — Dieu !

Et il me sembla que les feuillages chanteurs répétaient autour de moi : — Dieu ! le Seigneur Dieu !

J’hésitai, je cherchai par où me dérober tant ce nom me faisait peur. Puis prenant mon parti : — Soit, dis-je, je veux bien aller à Lui. Mais comment m’y prendre ?…

Il arrive parfois, lorsqu’on erre dans les parties rocheuses de la forêt, sans suivre de chemin tracé, qu’on aboutit au fond d’un défilé où les blocs de grès paraissent se rejoindre pour vous empêcher d’avancer. On n’aperçoit d’abord nulle issue. On pourrait revenir sur ses pas, mais on n’y consent point parce qu’on se doute que, de l’autre côté de ces pierres, il y a des choses merveilleuses à voir. On s’approche et, dès qu’on est tout près, on découvre un passage étroit, obscur, encombré de ronces, mais tout de même praticable. — On s’y glisse, en butant et en chancelant ; on se rattrape aux ronces qui vous ensanglantent les mains, on s’appuie aux parois du roc, on tombe, on se relève, — et enfin l’on débouche sur une esplanade, baignée de clartés, du haut de laquelle on admire à l’infini un paysage grandiose.

Cette image rend on ne peut mieux non seulement cet épisode de ma conversion mais aussi ce qui devait m’arriver jusqu’au jour où l’Eglise accueillit dans son giron le pauvre pécheur repentant.

Tout en tergiversant, comme je viens de le dire, j’arrivai dans le bas des Fosses Rouges, au carrefour du Pivert. Là, le sentier bifurque : à gauche, il grimpe vers Mont-Chauvet, à droite, il s’enfonce dans la futaie du Nid de l’Aigle.

Je pris à droite ; et après avoir marché quelques pas, je quittai le chemin pour entrer dans la brousse. Je trouvai, au pied d’un chêne, une pierre moussue où je m’assis et je me demandai ce que j’allais construire pour remplacer le temple des vaines idoles dont les derniers débris roulaient, pêle-mêle, hors de mon âme.

J’étais dans un état de parfait équilibre, plein d’une quiétude rarement ressentie. Et je me sentais si lucide que je pouvais suivre sans peine toutes mes associations d’idées. C’est là encore un des bienfaits de la Grâce. Certes, les minutes où elle nous soulève hors de nous-même et nous remplit de rayons, en un ravissement ineffable, sont splendides. Mais combien douces également les heures qu’elle choisit pour couler en nous comme un fleuve paisible et majestueux où nos pensées se reflètent, plus précises qu’elles ne le furent jamais. Alors le calme dont on jouit, la perspicacité nouvelle qu’on se découvre permettent de dégrossir les matériaux pour le tabernacle où le Seigneur descendra quand il le jugera suffisamment purifié.

A l’endroit où j’étais assis, les buissons m’entouraient de toutes parts de sorte que du sentier, l’on ne pouvait m’apercevoir. — On verra pourquoi je donne ce détail.

Le dos appuyé au tronc du chêne, les prunelles levées vers le ciel radieux qui semait des médailles de soleil sur le sable, je me dis : — Un fait existe, c’est que, depuis qu’il y a des hommes pour se poser le problème du : Pourquoi sommes-nous mis au monde, cent religions et autant de philosophies ont tenté de le résoudre.

Elles ont varié sans cesse, suivant les milieux, les circonstances, les modes, et surtout suivant les caprices de l’esprit humain. Des croyances sont nées, se sont développées, ont péri. La raison et la science se sont évertuées à donner une explication de l’univers. Jamais elles n’ont réussi à rien établir de stable puisque telle hypothèse, tenue hier pour la vérité, est remplacée aujourd’hui par une hypothèse nouvelle qui, demain, sera elle-même détrônée par une autre conjecture.

Cela une expérience séculaire le prouve.

Or il faut reconnaître que seule, parmi cette versatilité perpétuelle, l’Eglise catholique demeure immuable. Ses dogmes ont été posés dès sa fondation. On les trouve déjà, en substance, dans les Evangiles. Depuis, les Apôtres et les Pères n’ont fait que les développer, les affirmer, en déduire une liturgie et une discipline. Jamais nul d’entre eux n’a varié : tous sont restés constamment en communion parfaite d’idées et de sentiments. Tandis que les savants et les philosophes sont livrés aux disputes continuelles. Tandis que les hérésiarques ne cessent de se morceler en une foule de sectes où chacun interprète Dieu à sa façon.

Et voilà dix-neuf cents ans que cela dure. L’Eglise maintient sa foi intacte cependant qu’autour d’elle, doctrines et théories tourbillonnent comme des feuilles mortes emportées par un cyclone.

C’est justement cette constance de l’Eglise à maintenir les enseignements du Christ en un faisceau que, depuis des siècles, rien n’a pu rompre, qui courrouce si fort ses adversaires. Fils de l’inquiétude et du changement, une telle mystérieuse unité les étonne et les irrite à la fois. N’ai-je pas, moi-même, publié maintes pages où je reprochais à l’Eglise de ne pas évoluer, où je la traitais de corps inerte, d’organe vestigiaire entravant la marche de la civilisation ? Et encore chez moi, ce n’était que l’orgueil étourdi d’un fanfaron d’indiscipline qui se figure que sa façon de penser prime celle de saint Paul, de saint Jérôme et de saint Bernard, lesquels ne passent cependant point pour des imbéciles.

Mais prenons des esprits destructeurs comme les encyclopédistes, qu’ont-ils fait d’autre que d’uriner contre les murs de l’Eglise dans l’espoir d’en ébranler la base. A quoi se ramènent leurs attaques ? — A des rabâchages sur l’omnipotence de la sensation, à des plaisanteries d’un goût douteux touchant telle légende ou telle prophétie dont ils ne comprenaient probablement pas le sens. Ils ont jeté par terre une société. Ont-ils construit ? — Point : puisque leurs menées ont créé cette France en décomposition et, par contre-coup, cette Europe incohérente où les nations chrétiennes se désagrègent et penchent vers la subversion totale et vers la barbarie que leur prépare le socialisme.

D’autre part, si je considère, par exemple un Balzac, génie dont l’œuvre domine le XIXe siècle, que me fournit-il ?

L’affirmation, avec preuves à l’appui, que notre fléau l’individualisme, né de la Révolution, source des variations perpétuelles, a pour première cause ces fameux principes encyclopédiques dont les différents régimes qui se succèdent au pouvoir depuis plus de cent ans, se sont si follement infatués.

Qu’est-ce que Balzac en a conclu ? Ceci : que l’Eglise étant immuable pouvait seule allumer le phare dont la lumière serait assez puissante pour rallier toutes ces barques à la dérive dans la brume que sont nos institutions et nos sciences.

Voilà donc une grande intelligence, douée d’une perspicacité supérieure, cela, même les indifférents l’avouent. Elle n’a fait que répéter, avec une force impérieuse, ce que les défenseurs de l’Eglise proclament depuis les origines, à savoir qu’en dehors d’elle, il n’y a point de salut. — Et je suis bien obligé de reconnaître que les faits leur donnent raison.

Donc l’Eglise n’ayant jamais varié, son unité, sa constance doivent avoir une cause plus qu’humaine puisque l’humanité, livrée à elle-même, n’est que changement.

En outre les préceptes de sa morale sont salutaires et il est certain que si nous les appliquions, nous n’en vaudrions que mieux. Par suite ces préceptes doivent être propres à fournir une règle de vie aux pauvres âmes qui, comme la mienne, errent douloureusement de grèves désertes en récifs, faute d’avoir trouvé le havre tranquille où elles pourraient jeter l’ancre.

Oui, continuai-je, tout heureux d’avoir enfin aperçu un flambeau dans mes ténèbres, l’Eglise doit détenir la vérité consolatrice et salvatrice. Et si elle la détient, comme elle déclare procéder d’une révélation divine, c’est donc que Dieu existe !…

Ah comme, alors, je respirai à l’aise ! La forêt me parut transfigurée ; et on eût dit que les rayons du ciel imprégnaient toujours davantage ses frondaisons harmonieuses. Une force nouvelle coulait dans mes veines. J’aurais pu m’écrier, avec saint Augustin : « Je ne vous aimais pas encore, ô mon Dieu, vous qui êtes maintenant la lumière de mon cœur, vous qui soutenez et fortifiez mon esprit. Et pourtant j’entendais votre voix me crier de tous côtés : Courage ! Courage[4] !… »

[4] Confessions : livre I, chap. XIII.

Mon âme s’épanouissait toute ; et je compris qu’il fallait rendre grâces. Je tombai à genoux sur la pierre moussue et, pour la première fois depuis ma quinzième année, je priai :

— Mon Dieu, dis-je, puisque vous existez, venez à mon secours. Vous voyez : je suis l’homme de bonne volonté qui ne demande qu’à vous obéir. Assistez-moi, instruisez-moi, éclairez-moi…

Ce fut tout : mais c’était suffisant puisque jamais plus, à partir de ce matin, la conviction que Dieu existait ne sortit de mon âme.

Je devais encore m’égarer de bien des façons, résister en maintes occasions, aux appels de la Grâce, me souiller de péchés nombreux. Cependant ma foi dans la Providence divine persista. Si imparfaite qu’elle fût, elle me soutint dans mes traverses et mes peines jusqu’au jour où le Bon Dieu estima qu’il était temps de me ramener tout à fait à Lui et où sa Grâce me foudroya définitivement. Je me relevai, les yeux pleins de larmes, après cette prière et je me dis : — Puisque ma raison comme mon cœur acceptent cette idée de la prééminence de l’Eglise catholique, il faudrait maintenant me mettre à l’école auprès de ceux qui sont missionnés pour expliquer sa doctrine. Car j’ignore à peu près tout de ses principes les plus essentiels et le peu que j’en connais est déformé en moi par les écrits et les dires des sophistes dont je partageai l’aberration.

La logique exigeait que j’agisse de la sorte. Pourtant je me sentis en proie à une véritable panique à la seule pensée d’aller trouver un prêtre. Je ne sais quelle prévention me retenait. D’autre part, je craignais d’être mal reçu. — Ah ! que j’ignorais l’infinie Charité de l’Eglise !

Et puis, il y avait du respect humain dans mon cas : — J’aurai l’air d’un nigaud… Que diront mes amis ?… Entrer dans une église et m’y agenouiller au vu et au su de tout le monde, c’est bien ennuyeux.

Je dus me répondre aussitôt : — Un homme qui pratique ce qu’il croit être la vérité n’est jamais ridicule ; quant à tes amis, il en est parmi eux qui sont des catholiques fervents : ceux-là ne pourront que se réjouir de ta conversion. Les autres, tu n’as pas coutume de te conduire d’après leurs opinions puisque tu es renommé pour l’indépendance ombrageuse de ton caractère. Aller à la messe n’est pas plus difficile car beaucoup qui valent mieux que toi, et qui ne sont pas des sots, le font…

Je me disais tout cela et pourtant je ne parvenais pas à me décider. Je me débattais contre mes propres raisonnements. En même temps, je sentais grouiller au fond de moi, comme un nœud de vipères sous une touffe d’aubépine en fleurs, des railleries et des blasphèmes, que je n’acceptais pas et qui pourtant m’obsédaient. — Le Diable, un moment déconcerté, relevait la tête.

Néanmoins, je ne me laissai pas faire : — Pouah ! m’écriai-je, vais-je encore triturer toutes ces saletés ? Non pas : je veux désormais en garder mon âme indemne… Louable résolution : mais j’aurais dû la corroborer par une entrée immédiate dans l’Eglise. Or j’avais beau m’inciter à cette démarche décisive, je ne pouvais m’y résoudre. Je pris donc un moyen terme : — Il faut, dis-je, avant tout, que j’acquière quelques notions touchant le catholicisme, que j’étudie, au moins, ses dogmes fondamentaux.

Après, après… je verrai !

Tandis que je balançais de la sorte, j’entendis marcher dans le sentier. Je regardai à travers le taillis. Et je vis un vieux prêtre, qui venait du Nid de l’Aigle et qui se dirigeait de mon côté. Il lisait son bréviaire et levait parfois les yeux pour admirer la futaie chatoyante. Dissimulé, comme je l’étais, dans le fourré, il ne pouvait m’apercevoir.

Je le regardais anxieusement s’approcher. Il devait seulement être de passage à Fontainebleau car, les figures du clergé de la ville m’étaient familières et je ne le reconnus pas pour en faire partie. Par la suite, je ne l’ai, d’ailleurs, jamais revu.

Il récitait sans doute l’Angelus puisque, quand il fut arrivé à la hauteur du chêne où je m’appuyais, il prononça ces mots que je saisis très distinctement : — Et Verbum caro factum est : Et habitavit in nobis

A l’ouïr, un frisson me passa par tout le corps. Je me répétai tout bas : — Le Verbe s’est fait chair ; il habita parmi nous !

O mon Dieu, c’était une grâce de plus que vous me faisiez. Au moment même où je venais de remettre mon âme entre vos mains adorables, vous avez voulu qu’une parole de Votre Sagesse me fût ainsi révélée. Père, Fils, Saint-Esprit, soyez-en glorifié tant qu’il me restera un souffle d’existence pour me prosterner devant Vous…

J’étais si bouleversé ; ces phrases divines résonnaient si haut en moi que je demeurai immobile ; le vieux prêtre dépassa mon gîte sans se douter que j’étais là.

Je le regardai s’éloigner, dans une sorte de stupeur. Mais quand il fut à deux cents mètres environ, je ne sais quelle force me poussa. Il me sembla entendre crier au dedans de moi : — Va !…

Je sortis de mon réduit, avec un grand fracas de branches froissées, et je courus vers lui, en l’appelant : — Monsieur, monsieur, s’il vous plaît !…

Il se retourna, parut surpris et même un peu alarmé. En effet je devais avoir vaguement l’apparence d’un malandrin surgi du fourré pour lui demander la bourse ou la vie. Mais il demeura, sur place à m’attendre.

Quand je fus près de lui, je ne sus quoi dire. Ma langue restait collée à mon palais. Je me sentais tout effaré.

Il m’examina et voyant que je gardais le silence, il me demanda : — Que désirez-vous, Monsieur ?

Les larmes, alors, ruisselèrent sur mes joues et je ne pus que lui répondre ceci : — Monsieur, je vous en supplie, priez pour moi.

Mon émoi, l’angoisse qu’exprimait toute mon attitude le touchèrent. Il comprit, certes, qu’il avait devant lui un homme en détresse. Après m’avoir sondé d’un regard aigu, il reprit : — Oui, monsieur, je vous promets de prier pour vous ; et je vais le faire tout de suite.

Puis, levant la main droite, il me bénit.

Ensuite il attendit que je parlasse de nouveau. Mais moi, pauvre misérable, je demeurais muet, la tête basse, n’osant rien ajouter. Il eut sans doute l’intuition que mon heure n’était pas venue car, me saluant profondément, il répéta :

— Oui, mon bon monsieur, je vais prier pour vous.

Et il s’éloigna.

Quand il eut disparu au tournant du sentier, je restai quelques minutes indécis. J’aurais voulu le rejoindre et, d’autre part, quelque chose comme une main rigoureuse me retenait.

Je me sentais heureux au possible et à la fois triste jusqu’au fond de mon être. Pourtant la joie l’emportait. Si bien que je m’en allai, au hasard dans la forêt, me répétant sans cesse ces mots dont la beauté surnaturelle me transportait : — Et le Verbe s’est fait chair. Et il habita parmi nous… Et de grandes vagues de lumière déferlaient majestueusement dans mon âme qui en restait toute lumineuse.

Sainte-Trinité, que vos voies sont sublimes. Vous avez voulu, en ce jour, imprimer, dans l’esprit du pauvre ignorant, le mystère adorable de Votre Incarnation. Sera-ce assez de toute une vie de prières pour reconnaître cette munificence de votre Grâce ? Sainte-Vierge, Mère de miséricorde, Refuge des pécheurs, intercédez auprès de Votre Fils, pour qu’Il m’octroie la faveur de ne jamais oublier le miracle que sa charité produisit alors en moi…

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