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Émancipées

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A MARCEL PRÉVOST,

Au subtil et profond analyste des «Demi-Vierges»

et des «Vierges Fortes»,

Au maître connaisseur de la femme moderne.

Il n’est pas d’écrivain qui s’intéresse plus que vous, mon cher ami, aux questions féminines, qui les ait étudiées avec plus de pénétration et de hardiesse, et les possède mieux. L’éloge que l’érudit anthologiste Vinet adressait à Sainte-Beuve peut en toute assurance vous être appliqué: «Vous semblez confesser les femmes que vous nous montrez, et vos conseils ont quelque chose d’intime comme ceux de la conscience.»

C’est à ce très juste titre que j’inscris votre nom en tête de ce volume.

Malgré les énergiques avertissements des plus lumineux esprits de notre siècle, les efforts de nos plus puissants «éveilleurs d’idées» et «meneurs d’hommes», en dépit de Michelet et de Proudhon,—sans nommer Joseph de Maistre ni Bonald,—d’Auguste Comte, de Lamennais, de Renan, de Taine, etc., la femme est de plus en plus détournée de la vie de famille et dirigée vers la vie publique et le célibat. On s’applique à la masculiniser: l’idéal serait qu’il n’y eût plus qu’un sexe sur terre.

En attendant que ce glorieux règne arrive, on se marie de moins en moins en France, et de moins en moins aussi l’on y procrée. «L’Allemagne, écrivait dernièrement M. Jacques Bertillon, gagne chaque jour sur nous 1.600 habitants; c’est ce qui faisait dire au maréchal de Moltke que les Français perdent tous les jours une bataille.» Avant cinquante ans d’ici, la population de l’Allemagne sera le double de la nôtre. A défaut de femmes-mères et de femmes-nourrices, nous aurons sans doute alors, inappréciable compensation, quantité de femmes-avocats, de femmes-médecins, de femmes-vétérinaires, femmes-fonctionnaires, femmes-ingénieurs, etc.

Que la femme émancipée et masculinisée ait la haine de l’homme et s’éloigne de lui, ou bien que ce soit celui-ci qui trouve en elle peu d’attraits et se détourne de cette moitié trop semblable à lui, tant il y a que les mariages deviennent de plus en plus rares.

Et ce n’est pas seulement le mariage qui a fait faillite et tend à disparaître; c’est l’amour, l’amour monogamique, exclusif et absolu, dont la banqueroute et le krach ont été si bien attestés et démontrés par M. Edmond Deschaumes, et décrits plus récemment par M. J. Joseph-Renaud.

Mais si, comme on l’observe et le proclame de toutes parts, les hommes consentent volontiers et de plus en plus à se passer d’épouses et d’âmes sœurs, ils ne se croient pas tenus pour cela de se priver de femmes, bien au contraire: le diable, loin d’y perdre, ne fait que gagner au troc.

En d’autres termes et en fin de compte, c’est la polygamie qui s’implante de plus en plus dans nos mœurs.

Et c’est la polygamie qui se trouve être, selon la très judicieuse remarque de M. Paul Dollfus, non seulement le résultat, mais le châtiment du féminisme, la revanche prise contre lui par le masculisme. «Une bonne cure de polygamie! Si c’est, conclut plaisamment le chroniqueur de l’Événement, pour que j’aie un jour un harem, comme le roi de Siam, que Mme Pognon travaille, après tout, je veux bien!»

Il semble, en effet, que ce n’est que pour cela jusqu’à présent, pour augmenter le nombre des déclassées, inclassées et irrégulières, faciliter la prostitution et la mettre à plus bas prix, que se démènent et besognent ces dames.

Nombre d’observateurs et de penseurs, et des plus marquants, et de ceux qui portent à la femme le plus de réel intérêt et de respect, constatent ces inéluctables résultats et les déplorent. Hier encore, nous entendions M. Sully Prudhomme nous parler «du sort peu enviable réservé à la femme», et des tendances forcées des hommes, «des hommes sérieux, qui veilleront à ne pas manquer de cocotes et organiseront la production et le marché de la denrée érotique ...»

C’est cette organisation et ce marché, ce sont les immédiates et inévitables conséquences de ce qu’on appelle «le féminisme», qui sont exposées et développées dans ce livre.

Je n’ai d’ailleurs rien imaginé, et n’ai eu qu’à regarder et puiser autour de nous: les journaux ont plus d’une fois révélé l’existence des «Associations de Salomon», et inséré les menus des «Dîners des Infécondes»; la Ligue de l’Affranchissement des Femmes a bien publiquement déclaré, par la voix de ses déléguées et secrétaire, que «l’état social actuel donne à la femme le droit de l’avortement»; des écrivains, comme Mme Jenny P. d’Héricourt, nous ont réellement prédit que la femme n’aurait pas toujours besoin du secours de l’homme pour être fécondée, et que, par conséquent, l’homme, le mâle, deviendrait inutile sur la terre; etc. A l’occasion, j’ai cru devoir indiquer en note l’origine et la source de ces documents: on ne saurait trop éclairer les belles choses.

J’ignore si ces augustes prophéties se réaliseront et ce qu’il adviendra de ces aspirations et de ces souhaits, renouvelés d’Aristophane et de Lysistrata. L’avenir n’est à personne. Peut-être est-il sage de penser, avec Luther, que l’humanité ressemble à un homme ivre qui s’avance en zigzags, penche tantôt à droite, tantôt à gauche, et ne parvient jamais à marcher droit.

Quoi qu’il en soit, il y aura toujours—c’est certain, n’est-ce pas, mon cher ami?—de jolies filles, de braves femmes et de bons vieux livres, pour nous réconforter et nous réjouir, nous aider à faire de notre mieux notre temps ici-bas.

Que cela nous suffise.

Albert Cim.


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