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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume III
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I’ay la complexion du corps libre, et le goust commun, autant•
qu’homme du monde. La diuersité des façons d’vne nation à autre,
ne me touche que par le plaisir de la varieté. Chaque vsage a sa
raison. Soyent des assietes d’estain, de bois, de terre: bouilly ou
rosty; beurre, ou huyle, de noix ou d’oliue, chaut ou froit, tout
m’est vn. Et si vn, que vieillissant, i’accuse cette genereuse faculté:1
et auroy besoin que la delicatesse et le choix, arrestast l’indiscretion
de mon appetit, et par fois soulageast mon estomach. Quand
i’ay esté ailleurs qu’en France: et que, pour me faire courtoisie,
on m’a demandé, si ie vouloy estre serui à la Françoise, ie m’en
suis mocqué, et me suis tousiours ietté aux tables les plus espesses•
d’estrangers. I’ay honte de voir nos hommes, enyurez de cette sotte
humeur, de s’effaroucher des formes contraires aux leurs. Il leur
semble estre hors de leur element, quand ils sont hors de leur
village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, et abominent
les estrangeres. Retrouuent ils vn compatriote en Hongrie, ils2
festoient cette auanture: les voyla à se r’alier; et à se recoudre
ensemble; à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voyent.
Pourquoy non barbares, puis qu’elles ne sont Françoises? Encore
sont ce les plus habilles, qui les ont recognuës, pour en mesdire.
La pluspart ne prennent l’aller que pour le venir. Ils voyagent couuerts•
et resserrez, d’vne prudence taciturne et incommunicable, se
defendans de la contagion d’vn air incogneu. Ce que ie dis de ceux
là, me ramentoit en chose semblable, ce que i’ay par fois apperçeu
en aucuns de noz ieunes courtisans. Ils ne tiennent qu’aux hommes
de leur sorte: nous regardent comme gens de l’autre monde, auec3
desdain, ou pitié. Ostez leur les entretiens des mysteres de la
cour, ils sont hors de leur gibier. Aussi neufs pour nous et malhabiles,
comme nous sommes à eux. On dict bien vray, qu’vn honneste
homme, c’est vn homme meslé. Au rebours, ie peregrine
tressaoul de nos façons: non pour chercher des Gascons en Sicile,•
i’en ay assez laissé au logis: ie cherche des Grecs plustost, et des
Persans: i’accointe ceux-la, ie les considere: c’est là où ie me
preste, et où ie m’employe. Et qui plus est, il me semble, que ie
n’ay rencontré guere de manieres, qui ne vaillent les nostres. Ie
couche de peu: car à peine ay-ie perdu mes giroüettes de veuë. Au
demeurant, la plus-part des compaignies fortuites que vous rencontrez•
en chemin, ont plus d’incommodité que de plaisir: ie ne m’y
attache point, moins asteure, que la vieillesse me particularise et
sequestre aucunement, des formes communes. Vous souffrez pour
autruy, ou autruy pour vous. L’vn et l’autre inconuenient est poisant,
mais le dernier me semble encore plus rude. C’est vne1
rare fortune, mais de soulagement inestimable, d’auoir vn honneste
homme, d’entendement ferme, et de mœurs conformes aux vostres,
qui aime à vous suiure. I’en ay eu faute extreme, en tous mes
voyages. Mais vne telle compaignie, il la faut auoir choisie et acquise
dés le logis. Nul plaisir n’a saueur pour moy sans communication.•
Il ne me vient pas seulement vne gaillarde pensée en l’ame,
qu’il ne me fasche de l’auoir produite seul, et n’ayant à qui l’offrir.
Si cum hac exceptione detur sapientia, vt illam inclusam teneam, nec
enuntiem, reijciam. L’autre l’auoit monté d’vn ton au dessus. Si
contigerit ea vita sapienti, vt omnium rerum affluentibus copijs, quamuis 2
omnia, quæ cognitione digna sunt, summo otio secum ipse consideret,
et contempletur, tamen si solitudo tanta sit, vt hominem videre
non possit, excedat è vita. L’opinion d’Archytas m’agrée, qu’il feroit
desplaisant au ciel mesme, et à se promener dans ces grands et
diuins corps celestes, sans l’assistance d’vn compaignon. Mais il•
vaut mieux encore estre seul, qu’en compaignie ennuyeuse et
inepte. Aristippus s’aymoit à viure estranger par tout,
Me si fata meis paterentur ducere vitam
Auspicijs,
ie choisirois à la passer le cul sur la selle:3
Visere gestiens,
Qua parte debacchentur ignes,
Qua nebulæ pluuijque rores.
qu’homme du monde. La diuersité des façons d’vne nation à autre,
ne me touche que par le plaisir de la varieté. Chaque vsage a sa
raison. Soyent des assietes d’estain, de bois, de terre: bouilly ou
rosty; beurre, ou huyle, de noix ou d’oliue, chaut ou froit, tout
m’est vn. Et si vn, que vieillissant, i’accuse cette genereuse faculté:1
et auroy besoin que la delicatesse et le choix, arrestast l’indiscretion
de mon appetit, et par fois soulageast mon estomach. Quand
i’ay esté ailleurs qu’en France: et que, pour me faire courtoisie,
on m’a demandé, si ie vouloy estre serui à la Françoise, ie m’en
suis mocqué, et me suis tousiours ietté aux tables les plus espesses•
d’estrangers. I’ay honte de voir nos hommes, enyurez de cette sotte
humeur, de s’effaroucher des formes contraires aux leurs. Il leur
semble estre hors de leur element, quand ils sont hors de leur
village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, et abominent
les estrangeres. Retrouuent ils vn compatriote en Hongrie, ils2
festoient cette auanture: les voyla à se r’alier; et à se recoudre
ensemble; à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voyent.
Pourquoy non barbares, puis qu’elles ne sont Françoises? Encore
sont ce les plus habilles, qui les ont recognuës, pour en mesdire.
La pluspart ne prennent l’aller que pour le venir. Ils voyagent couuerts•
et resserrez, d’vne prudence taciturne et incommunicable, se
defendans de la contagion d’vn air incogneu. Ce que ie dis de ceux
là, me ramentoit en chose semblable, ce que i’ay par fois apperçeu
en aucuns de noz ieunes courtisans. Ils ne tiennent qu’aux hommes
de leur sorte: nous regardent comme gens de l’autre monde, auec3
desdain, ou pitié. Ostez leur les entretiens des mysteres de la
cour, ils sont hors de leur gibier. Aussi neufs pour nous et malhabiles,
comme nous sommes à eux. On dict bien vray, qu’vn honneste
homme, c’est vn homme meslé. Au rebours, ie peregrine
tressaoul de nos façons: non pour chercher des Gascons en Sicile,•
i’en ay assez laissé au logis: ie cherche des Grecs plustost, et des
Persans: i’accointe ceux-la, ie les considere: c’est là où ie me
preste, et où ie m’employe. Et qui plus est, il me semble, que ie
n’ay rencontré guere de manieres, qui ne vaillent les nostres. Ie
couche de peu: car à peine ay-ie perdu mes giroüettes de veuë. Au
demeurant, la plus-part des compaignies fortuites que vous rencontrez•
en chemin, ont plus d’incommodité que de plaisir: ie ne m’y
attache point, moins asteure, que la vieillesse me particularise et
sequestre aucunement, des formes communes. Vous souffrez pour
autruy, ou autruy pour vous. L’vn et l’autre inconuenient est poisant,
mais le dernier me semble encore plus rude. C’est vne1
rare fortune, mais de soulagement inestimable, d’auoir vn honneste
homme, d’entendement ferme, et de mœurs conformes aux vostres,
qui aime à vous suiure. I’en ay eu faute extreme, en tous mes
voyages. Mais vne telle compaignie, il la faut auoir choisie et acquise
dés le logis. Nul plaisir n’a saueur pour moy sans communication.•
Il ne me vient pas seulement vne gaillarde pensée en l’ame,
qu’il ne me fasche de l’auoir produite seul, et n’ayant à qui l’offrir.
Si cum hac exceptione detur sapientia, vt illam inclusam teneam, nec
enuntiem, reijciam. L’autre l’auoit monté d’vn ton au dessus. Si
contigerit ea vita sapienti, vt omnium rerum affluentibus copijs, quamuis 2
omnia, quæ cognitione digna sunt, summo otio secum ipse consideret,
et contempletur, tamen si solitudo tanta sit, vt hominem videre
non possit, excedat è vita. L’opinion d’Archytas m’agrée, qu’il feroit
desplaisant au ciel mesme, et à se promener dans ces grands et
diuins corps celestes, sans l’assistance d’vn compaignon. Mais il•
vaut mieux encore estre seul, qu’en compaignie ennuyeuse et
inepte. Aristippus s’aymoit à viure estranger par tout,
Me si fata meis paterentur ducere vitam
Auspicijs,
ie choisirois à la passer le cul sur la selle:3
Visere gestiens,
Qua parte debacchentur ignes,
Qua nebulæ pluuijque rores.
Auez-vous pas des passe-temps plus aisez? dequoy auez-vous
faute? Vostre maison est-elle pas en bel air et sain, suffisamment•
fournie, et capable plus que suffisamment? La majesté Royalle y a
peu plus d’vne fois en sa pompe. Vostre famille n’en laisse-elle pas
en reglement, plus au dessoubs d’elle, qu’elle n’en a au dessus, en
eminence? Y a il quelque pensée locale, qui vous vlcere, extraordinaire,
indigestible?
Quæ te nunc coquat et vexet sub pectore fixa?•
Où cuidez-vous pouuoir estre sans empeschement et sans destourbier?
Nunquam simpliciter fortuna indulget. Voyez donc, qu’il n’y a
que vous qui vous empeschez: et vous vous suiurez par tout, et
vous plaindrez par tout. Car il n’y a satisfaction ça bas, que pour
les ames ou brutales ou diuines. Qui n’a du contentement à vne si1
iuste occasion, où pense-il le trouuer? A combien de milliers d’hommes,
arreste vne telle condition que la vostre, le but de leurs souhaits?
Reformez vous seulement: car en cela vous pouuez tout: là
où vous n’aurez droict que de patience, enuers la fortune. Nulla
placida quies est, nisi quam ratio composuit. Ie voy la raison de•
cet aduertissement, et la voy tresbien. Mais on auroit plustost faict,
et plus pertinemment, de me dire en vn mot: Soyez sage. Cette resolution,
est outre la sagesse: c’est son ouurage, et sa production.
Ainsi fait le medecin, qui va criaillant apres vn pauure malade languissant,
qu’il se resiouysse: il luy conseillerait vn peu moins ineptement,2
s’il luy disoit: Soyez sain. Pour moy, ie ne suis qu’homme
de la commune sorte. C’est vn precepte salutaire, certain, et d’aisee
intelligence: Contentez vous du vostre: c’est à dire, de la raison:
l’execution pourtant, n’en est non plus aux plus sages, qu’en moy.
C’est vne parole populaire, mais elle a vne terrible estendue. Que•
ne comprend elle? Toutes choses tombent en discretion et modification.
Ie sçay bien qu’à le prendre à la lettre, ce plaisir de voyager,
porte tesmoignage d’inquietude et d’irresolution. Aussi sont ce
nos maistresses qualitez, et prædominantes. Ouy; ie le confesse:
ie ne vois rien seulement en songe, et par souhait, où ie me puisse3
tenir. La seule varieté me paye, et la possession de la diuersité:
au moins si quelque chose me paye. A voyager, cela mesme me
nourrit, que ie me puis arrester sans interest: et que i’ay où m’en
diuertir commodément. I’ayme la vie priuee, par ce que c’est par
mon choix que ie l’ayme, non par disconuenance à la vie publique:•
qui est à l’auanture, autant selon ma complexion. I’en sers plus
gayement mon Prince, par ce que c’est par libre eslection de mon
jugement, et de ma raison, sans obligation particuliere. Et que ie
n’y suis pas reiecté, ny contrainct, pour estre irreceuable à tout
autre party, et mal voulu. Ainsi du reste. Ie hay les morceaux que
la necessité me taille. Toute commodité me tiendroit à la gorge,
de laquelle seule i’aurois à despendre:
Alter remus aquas, alter mihi radat arenas.
Vne seule corde ne m’arreste iamais assez. Il y a de la vanité,•
dites vous, en cet amusement. Mais où non? Et ces beaux preceptes,
sont vanité, et vanité toute la sagesse. Dominus nouit cogitationes
sapientium, quoniam vanæ sunt. Ces exquises subtilitez, ne
sont propres qu’au presche. Ce sont discours qui nous veulent enuoyer
tous bastez en l’autre monde. La vie est vn mouuement materiel1
et corporel: action imparfaicte de sa propre essence, et desreglée.
Ie m’employe à la seruir selon elle.
Quisque suos patimur manes.
Sic est faciendum, vt contra naturam vniuersam nihil contendamus:
ea tamen conseruata, propriam sequamur. A quoy faire, ces•
poinctes esleuées de la philosophie, sur lesquelles, aucun estre humain
ne se peut rasseoir: et ces regles qui excedent nostre vsage
et nostre force? Ie voy souuent qu’on nous propose des images
de vie, lesquelles, ny le proposant, ny les auditeurs, n’ont aucune
esperance de suiure, ny qui plus est, enuie. De ce mesme papier où2
il vient d’escrire l’arrest de condemnation contre vn adultere, le
iuge en desrobe vn lopin, pour en faire vn poulet à la femme de
son compagnon. Celle à qui vous viendrez de vous frotter illicitement,
criera plus asprement, tantost, en vostre presence mesme, à
l’encontre d’vne pareille faute de sa compaigne, que ne feroit Porcie.•
Et tel condamne les hommes à mourir, pour des crimes, qu’il
n’estime point fautes. I’ay veu en ma ieunesse, vn galant homme,
presenter d’vne main au peuple des vers excellens et en beauté et
en desbordement; et de l’autre main en mesme instant, la plus
quereleuse reformation theologienne, dequoy le monde se soit desieuné3
il y a long temps. Les hommes vont ainsin. On laisse les
loix, et preceptes suiure leur voye, nous en tenons vne autre. Non
par desreglement de mœurs seulement, mais par opinion souuent,
et par iugement contraire. Sentez lire vn discours de philosophie:
l’inuention, l’eloquence, la pertinence, frappe incontinent vostre esprit,•
et vous esmeut. Il n’y a rien qui chatouille ou poigne vostre
conscience: ce n’est pas à elle qu’on parle. Est-il pas vray? Si disoit
Ariston, que ny vne estuue ny vne leçon, n’est d’aucun fruict
si elle ne nettoye et ne decrasse. On peut s’arrester à l’escorce:
mais c’est apres qu’on en a retiré la mouelle. Comme apres auoir
aualé le bon vin d’vne belle coupe, nous en considerons les graueures
et l’ouurage. En toutes les chambrées de la philosophie ancienne,
cecy se trouuera, qu’vn mesme ouurier, y publie des regles•
de temperance, et publie ensemble des escrits d’amour et desbauche.
Et Xenophon, au giron de Clinias, escriuit contre la vertu
Aristippique. Ce n’est pas qu’il y ait vne conuersion miraculeuse,
qui les agite à ondées. Mais c’est que Solon se represente tantost
soy-mesme, tantost en forme de legislateur: tantost il parle pour1
la presse, tantost pour soy. Et prend pour soy les regles libres et
naturelles, s’asseurant d’vne santé ferme et entiere.
Curentur dubij medicis maioribus ægri.
Antisthenes permet au sage d’aimer, et faire à sa mode ce, qu’il
trouue estre opportun, sans s’attendre aux loix: d’autant qu’il a•
meilleur aduis qu’elles, et plus de cognoissance de la vertu. Son
disciple Diogenes, disoit, opposer aux perturbations, la raison: à
fortune, la confidence: aux loix, nature. Pour les estomachs tendres,
il faut des ordonnances contraintes et artificielles. Les bons
estomachs se seruent simplement, des prescriptions de leur naturel2
appetit. Ainsi font nos medecins, qui mangent le melon et boiuent
le vin fraiz, ce pendant qu’ils tiennent leur patient obligé au sirop
et à la panade. Ie ne sçay quels liures, disoit la courtisanne Lays,
quelle sapience, quelle philosophie, mais ces gens-là, battent aussi
souuent à ma porte, qu’aucuns autres. D’autant que nostre licence•
nous porte tousiours au delà de ce qui nous est loisible, et permis,
on a estressy souuent outre la raison vniuerselle, les preceptes et
loix de nostre vie.
Nemo satis credit tantum delinquere, quantum
Permittas.3
Il seroit à desirer, qu’il y eust plus de proportion du commandement
à l’obeïssance. Et semble la visée iniuste, à laquelle on ne
peut atteindre. Il n’est si homme de bien, qu’il mette à l’examen
des loix toutes ses actions et pensées, qui ne soit pendable dix fois
en sa vie. Voire tel, qu’il seroit tres-grand dommage, et tres-iniuste•
de punir et de perdre.
Ole, quid ad te,
De cute quid faciat ille, vel illa sua?
Et tel pourroit n’offencer point les loix, qui n’en meriteroit point
la loüange d’homme de vertu: et que la philosophie feroit tres-iustement4
foiter. Tant cette relation est trouble et inegale. Nous
n’auons garde d’estre gens de bien selon Dieu: nous ne le sçaurions
estre selon nous. L’humaine sagesse, n’arriua iamais aux
deuoirs qu’elle s’estoit elle mesme prescript. Et si elle y estoit arriuee,
elle s’en prescriroit d’autres au delà, où elle aspirast tousiours
et pretendist. Tant nostre estat est ennemy de consistance.
L’homme s’ordonne à soy mesme, d’estre necessairement en faute.•
Il n’est guere fin, de tailler son obligation, à la raison d’vn autre
estre, que le sien. A qui prescript-il ce, qu’il s’attend que personne
ne face? Luy est-il iniuste de ne faire point ce qu’il luy est impossible
de faire? Les loix qui nous condamnent, à ne pouuoir pas,
nous condamnent de ce que nous ne pouuons pas. Au pis aller,1
cette difforme liberté, de se presenter à deux endroicts, et les actions
d’vne façon, les discours de l’autre; soit loisible à ceux, qui
disent les choses. Mais elle ne le peut estre à ceux, qui se disent
eux mesmes, comme ie fais, Il faut que i’aille de la plume comme
des pieds. La vie commune, doibt auoir conference aux autres vies.•
La vertu de Caton estoit vigoureuse, outre la raison de son siecle:
et à vn homme qui se mesloit de gouuerner les autres, destiné au
seruice commun; il se pourroit dire, que c’estoit vne iustice, sinon
iniuste, au moins vaine et hors de saison. Mes mœurs mesmes, qui
ne desconuiennent de celles, qui courent, à peine de la largeur2
d’vn poulce, me rendent pourtant aucunement farouche à mon
aage, et inassociable. Ie ne sçay pas, si ie me trouue desgouté sans
raison, du monde, que ie hante; mais ie sçay bien, que ce seroit
sans raison, si ie me plaignoy, qu’il fust desgouté de moy, puis que
ie le suis de luy. La vertu assignee aux affaires du monde, est vne•
vertu à plusieurs plis, encoigneures, et couddes, pour s’appliquer
et ioindre à l’humaine foiblesse: meslee et artificielle; non droitte,
nette, constante, ny purement innocente. Les annales reprochent
iusques à cette heure à quelqu’vn de nos Roys, de s’estre trop simplement
laissé aller aux consciencieuses persuasions de son confesseur.3
Les affaires d’estat ont des preceptes plus hardis.
Exeat aula,
Qui vult esse pius.
faute? Vostre maison est-elle pas en bel air et sain, suffisamment•
fournie, et capable plus que suffisamment? La majesté Royalle y a
peu plus d’vne fois en sa pompe. Vostre famille n’en laisse-elle pas
en reglement, plus au dessoubs d’elle, qu’elle n’en a au dessus, en
eminence? Y a il quelque pensée locale, qui vous vlcere, extraordinaire,
indigestible?
Quæ te nunc coquat et vexet sub pectore fixa?•
Où cuidez-vous pouuoir estre sans empeschement et sans destourbier?
Nunquam simpliciter fortuna indulget. Voyez donc, qu’il n’y a
que vous qui vous empeschez: et vous vous suiurez par tout, et
vous plaindrez par tout. Car il n’y a satisfaction ça bas, que pour
les ames ou brutales ou diuines. Qui n’a du contentement à vne si1
iuste occasion, où pense-il le trouuer? A combien de milliers d’hommes,
arreste vne telle condition que la vostre, le but de leurs souhaits?
Reformez vous seulement: car en cela vous pouuez tout: là
où vous n’aurez droict que de patience, enuers la fortune. Nulla
placida quies est, nisi quam ratio composuit. Ie voy la raison de•
cet aduertissement, et la voy tresbien. Mais on auroit plustost faict,
et plus pertinemment, de me dire en vn mot: Soyez sage. Cette resolution,
est outre la sagesse: c’est son ouurage, et sa production.
Ainsi fait le medecin, qui va criaillant apres vn pauure malade languissant,
qu’il se resiouysse: il luy conseillerait vn peu moins ineptement,2
s’il luy disoit: Soyez sain. Pour moy, ie ne suis qu’homme
de la commune sorte. C’est vn precepte salutaire, certain, et d’aisee
intelligence: Contentez vous du vostre: c’est à dire, de la raison:
l’execution pourtant, n’en est non plus aux plus sages, qu’en moy.
C’est vne parole populaire, mais elle a vne terrible estendue. Que•
ne comprend elle? Toutes choses tombent en discretion et modification.
Ie sçay bien qu’à le prendre à la lettre, ce plaisir de voyager,
porte tesmoignage d’inquietude et d’irresolution. Aussi sont ce
nos maistresses qualitez, et prædominantes. Ouy; ie le confesse:
ie ne vois rien seulement en songe, et par souhait, où ie me puisse3
tenir. La seule varieté me paye, et la possession de la diuersité:
au moins si quelque chose me paye. A voyager, cela mesme me
nourrit, que ie me puis arrester sans interest: et que i’ay où m’en
diuertir commodément. I’ayme la vie priuee, par ce que c’est par
mon choix que ie l’ayme, non par disconuenance à la vie publique:•
qui est à l’auanture, autant selon ma complexion. I’en sers plus
gayement mon Prince, par ce que c’est par libre eslection de mon
jugement, et de ma raison, sans obligation particuliere. Et que ie
n’y suis pas reiecté, ny contrainct, pour estre irreceuable à tout
autre party, et mal voulu. Ainsi du reste. Ie hay les morceaux que
la necessité me taille. Toute commodité me tiendroit à la gorge,
de laquelle seule i’aurois à despendre:
Alter remus aquas, alter mihi radat arenas.
Vne seule corde ne m’arreste iamais assez. Il y a de la vanité,•
dites vous, en cet amusement. Mais où non? Et ces beaux preceptes,
sont vanité, et vanité toute la sagesse. Dominus nouit cogitationes
sapientium, quoniam vanæ sunt. Ces exquises subtilitez, ne
sont propres qu’au presche. Ce sont discours qui nous veulent enuoyer
tous bastez en l’autre monde. La vie est vn mouuement materiel1
et corporel: action imparfaicte de sa propre essence, et desreglée.
Ie m’employe à la seruir selon elle.
Quisque suos patimur manes.
Sic est faciendum, vt contra naturam vniuersam nihil contendamus:
ea tamen conseruata, propriam sequamur. A quoy faire, ces•
poinctes esleuées de la philosophie, sur lesquelles, aucun estre humain
ne se peut rasseoir: et ces regles qui excedent nostre vsage
et nostre force? Ie voy souuent qu’on nous propose des images
de vie, lesquelles, ny le proposant, ny les auditeurs, n’ont aucune
esperance de suiure, ny qui plus est, enuie. De ce mesme papier où2
il vient d’escrire l’arrest de condemnation contre vn adultere, le
iuge en desrobe vn lopin, pour en faire vn poulet à la femme de
son compagnon. Celle à qui vous viendrez de vous frotter illicitement,
criera plus asprement, tantost, en vostre presence mesme, à
l’encontre d’vne pareille faute de sa compaigne, que ne feroit Porcie.•
Et tel condamne les hommes à mourir, pour des crimes, qu’il
n’estime point fautes. I’ay veu en ma ieunesse, vn galant homme,
presenter d’vne main au peuple des vers excellens et en beauté et
en desbordement; et de l’autre main en mesme instant, la plus
quereleuse reformation theologienne, dequoy le monde se soit desieuné3
il y a long temps. Les hommes vont ainsin. On laisse les
loix, et preceptes suiure leur voye, nous en tenons vne autre. Non
par desreglement de mœurs seulement, mais par opinion souuent,
et par iugement contraire. Sentez lire vn discours de philosophie:
l’inuention, l’eloquence, la pertinence, frappe incontinent vostre esprit,•
et vous esmeut. Il n’y a rien qui chatouille ou poigne vostre
conscience: ce n’est pas à elle qu’on parle. Est-il pas vray? Si disoit
Ariston, que ny vne estuue ny vne leçon, n’est d’aucun fruict
si elle ne nettoye et ne decrasse. On peut s’arrester à l’escorce:
mais c’est apres qu’on en a retiré la mouelle. Comme apres auoir
aualé le bon vin d’vne belle coupe, nous en considerons les graueures
et l’ouurage. En toutes les chambrées de la philosophie ancienne,
cecy se trouuera, qu’vn mesme ouurier, y publie des regles•
de temperance, et publie ensemble des escrits d’amour et desbauche.
Et Xenophon, au giron de Clinias, escriuit contre la vertu
Aristippique. Ce n’est pas qu’il y ait vne conuersion miraculeuse,
qui les agite à ondées. Mais c’est que Solon se represente tantost
soy-mesme, tantost en forme de legislateur: tantost il parle pour1
la presse, tantost pour soy. Et prend pour soy les regles libres et
naturelles, s’asseurant d’vne santé ferme et entiere.
Curentur dubij medicis maioribus ægri.
Antisthenes permet au sage d’aimer, et faire à sa mode ce, qu’il
trouue estre opportun, sans s’attendre aux loix: d’autant qu’il a•
meilleur aduis qu’elles, et plus de cognoissance de la vertu. Son
disciple Diogenes, disoit, opposer aux perturbations, la raison: à
fortune, la confidence: aux loix, nature. Pour les estomachs tendres,
il faut des ordonnances contraintes et artificielles. Les bons
estomachs se seruent simplement, des prescriptions de leur naturel2
appetit. Ainsi font nos medecins, qui mangent le melon et boiuent
le vin fraiz, ce pendant qu’ils tiennent leur patient obligé au sirop
et à la panade. Ie ne sçay quels liures, disoit la courtisanne Lays,
quelle sapience, quelle philosophie, mais ces gens-là, battent aussi
souuent à ma porte, qu’aucuns autres. D’autant que nostre licence•
nous porte tousiours au delà de ce qui nous est loisible, et permis,
on a estressy souuent outre la raison vniuerselle, les preceptes et
loix de nostre vie.
Nemo satis credit tantum delinquere, quantum
Permittas.3
Il seroit à desirer, qu’il y eust plus de proportion du commandement
à l’obeïssance. Et semble la visée iniuste, à laquelle on ne
peut atteindre. Il n’est si homme de bien, qu’il mette à l’examen
des loix toutes ses actions et pensées, qui ne soit pendable dix fois
en sa vie. Voire tel, qu’il seroit tres-grand dommage, et tres-iniuste•
de punir et de perdre.
Ole, quid ad te,
De cute quid faciat ille, vel illa sua?
Et tel pourroit n’offencer point les loix, qui n’en meriteroit point
la loüange d’homme de vertu: et que la philosophie feroit tres-iustement4
foiter. Tant cette relation est trouble et inegale. Nous
n’auons garde d’estre gens de bien selon Dieu: nous ne le sçaurions
estre selon nous. L’humaine sagesse, n’arriua iamais aux
deuoirs qu’elle s’estoit elle mesme prescript. Et si elle y estoit arriuee,
elle s’en prescriroit d’autres au delà, où elle aspirast tousiours
et pretendist. Tant nostre estat est ennemy de consistance.
L’homme s’ordonne à soy mesme, d’estre necessairement en faute.•
Il n’est guere fin, de tailler son obligation, à la raison d’vn autre
estre, que le sien. A qui prescript-il ce, qu’il s’attend que personne
ne face? Luy est-il iniuste de ne faire point ce qu’il luy est impossible
de faire? Les loix qui nous condamnent, à ne pouuoir pas,
nous condamnent de ce que nous ne pouuons pas. Au pis aller,1
cette difforme liberté, de se presenter à deux endroicts, et les actions
d’vne façon, les discours de l’autre; soit loisible à ceux, qui
disent les choses. Mais elle ne le peut estre à ceux, qui se disent
eux mesmes, comme ie fais, Il faut que i’aille de la plume comme
des pieds. La vie commune, doibt auoir conference aux autres vies.•
La vertu de Caton estoit vigoureuse, outre la raison de son siecle:
et à vn homme qui se mesloit de gouuerner les autres, destiné au
seruice commun; il se pourroit dire, que c’estoit vne iustice, sinon
iniuste, au moins vaine et hors de saison. Mes mœurs mesmes, qui
ne desconuiennent de celles, qui courent, à peine de la largeur2
d’vn poulce, me rendent pourtant aucunement farouche à mon
aage, et inassociable. Ie ne sçay pas, si ie me trouue desgouté sans
raison, du monde, que ie hante; mais ie sçay bien, que ce seroit
sans raison, si ie me plaignoy, qu’il fust desgouté de moy, puis que
ie le suis de luy. La vertu assignee aux affaires du monde, est vne•
vertu à plusieurs plis, encoigneures, et couddes, pour s’appliquer
et ioindre à l’humaine foiblesse: meslee et artificielle; non droitte,
nette, constante, ny purement innocente. Les annales reprochent
iusques à cette heure à quelqu’vn de nos Roys, de s’estre trop simplement
laissé aller aux consciencieuses persuasions de son confesseur.3
Les affaires d’estat ont des preceptes plus hardis.
Exeat aula,
Qui vult esse pius.
I’ay autresfois essayé d’employer au seruice des maniemens publiques,
les opinions et regles de viure, ainsi rudes, neufues, impolies•
ou impollues, comme ie les ay nées chez moy, ou rapportees de
mon institution et desquelles ie me sers, sinon si commodeement
au moins seurement en particulier: une vertu scholastique et
nouice: ie les y ay trouuees ineptes et dangereuses. Celuy qui va
en la presse, il faut qu’il gauchisse, qu’il serre ses couddes, qu’il•
recule, ou qu’il auance, voire qu’il quitte le droict chemin, selon ce
qu’il rencontre. Qu’il viue non tant selon soy, que selon autruy:
non selon ce qu’il se propose, mais selon ce qu’on luy propose: selon
le temps, selon les hommes, selon les affaires. Platon dit, que
qui eschappe, brayes nettes, du maniement du monde, c’est par1
miracle, qu’il en eschappe. Et dit aussi, que quand il ordonne son
philosophe chef d’vne police, il n’entend pas le dire d’vne police
corrompue, comme celle d’Athenes: et encore bien moins, comme
la nostre, enuers lesquelles la sagesse mesme perdroit son Latin.
Et vne bonne herbe, transplantee, en solage fort diuers à sa condition,•
se conforme bien plustost à iceluy, qu’elle ne le reforme à
soy. Ie sens que si i’auois à me dresser tout à fait à telles occupations,
il m’y faudroit beaucoup de changement et de rabillage.
Quand ie pourrois cela sur moy, et pourquoy ne le pourrois ie,
auec le temps et le soing? ie ne le voudrois pas. De ce peu que ie2
me suis essayé en cette vacation; ie m’en suis d’autant degousté. Ie
me sens fumer en l’ame par fois, aucunes tentations vers l’ambition:
mais ie me bande et obstine au contraire:
At tu, Catulle, obstinatus obdura.
On ne m’y appelle gueres, et ie m’y conuie aussi peu. La liberté et•
l’oysiueté, qui sont mes maistresses qualitez, sont qualitez, diametralement
contraires à ce mestier là. Nous ne sçauons pas distinguer
les facultez des hommes. Elles ont des diuisions, et bornes,
mal-aysees à choisir et delicates. De conclurre par la suffisance
d’vne vie particuliere, quelque suffisance à l’vsage public, c’est mal3
conclud. Tel se conduict bien, qui ne conduict pas bien les autres:
et faict des Essais, qui ne sçauroit faire des effects. Tel dresse bien
vn siege, qui dresseroit mal vne bataille: et discourt bien en priué,
qui harangueroit mal ou vn peuple ou vn Prince. Voire à l’auanture,
est-ce plustost tesmoignage à celuy qui peut l’vn, de ne pouuoir•
point l’autre, qu’autrement. Ie trouue que les esprits hauts, ne sont
de guere moins aptes aux choses basses, que les bas esprits aux
hautes. Estoit-il à croire, que Socrates eust appresté aux Atheniens
matiere de rire à ses despens, pour n’auoir onques sçeu computer
les suffrages de sa tribu, et en faire rapport au conseil? Certes la4
veneration, en quoy i’ay les perfections de ce personnage, merite,
que sa fortune fournisse à l’excuse de mes principales imperfections,
vn si magnifique exemple. Nostre suffisance est detaillee à
menues pieces. La mienne n’a point de latitude, et si est chetifue
en nombre. Saturninus, à ceux qui luy auoient deferé tout commandement:
Compaignons, fit-il, vous auez perdu vn bon capitaine,
pour en faire vn mauvais general d’armee. Qui se vante,
en vn temps malade, comme cestuy-cy, d’employer au seruice du
monde, vne vertu naifue et sincere: ou il ne la cognoist pas, les•
opinions se corrompans auec les mœurs (de vray, oyez la leur
peindre, oyez la pluspart se glorifier de leurs deportemens, et former
leurs regles; au lieu de peindre la vertu, ils peignent l’iniustice
toute pure et le vice: et la presentent ainsi fauce à l’institution
des Princes) ou s’il la cognoist, il se vante à tort: et quoy1
qu’il die, faict mille choses, dequoy sa conscience l’accuse. Ie croirois
volontiers Seneca de l’experience qu’il en fit en pareille occasion,
pourueu qu’il m’en voulust parler à cœur ouuert. La plus
honnorable marque de bonté, en vne telle necessité, c’est recognoistre
librement sa faute, et celle d’autruy: appuyer et retarder•
de sa puissance, l’inclination vers le mal: suyure enuis cette
pente, mieux esperer et mieux desirer. I’apperçois en ces desmembremens
de la France, et diuisions, où nous sommes tombez, chacun
se trauailler à deffendre sa cause: mais iusques aux meilleurs,
auec desguisement et mensonge. Qui en escriroit rondement, en2
escriroit temerairement et vitieusement. Le plus iuste party, si est-ce
encore le membre d’vn corps vermoulu et vereux. Mais d’vn tel
corps, le membre moins malade s’appelle sain: et à bon droit,
d’autant que nos qualitez n’ont tiltre qu’en la comparaison. L’innocence
ciuile, se mesure selon les lieux et saisons. I’aymerois bien à•
voir en Xenophon, vne telle loüange d’Agesilaus. Estant prié par
vn Prince voisin, auec lequel il auoit autresfois esté en guerre, de
le laisser passer en ses terres, il l’octroya: luy donnant passage à
trauers le Peloponnese: et non seulement ne l’emprisonna ou empoisonna,
le tenant à sa mercy: mais l’accueillit courtoisement,3
suyuant l’obligation de sa promesse, sans luy faire offence. A ces
humeurs là, ce ne seroit rien dire. Ailleurs et en autre temps, il se
fera conte de la franchise, et magnanimité d’vne telle action. Ces babouyns
capettes s’en fussent moquez. Si peu retire l’innocence
Spartaine à la Françoise. Nous ne laissons pas d’auoir des hommes•
vertueux: mais c’est selon nous. Qui a ses mœurs establies en reglement
au dessus de son siecle: ou qu’il torde, et émousse ses
regles: ou, ce que ie luy conseille plustost, qu’il se retire à quartier,
et ne se mesle point de nous. Qu’y gaigneroit-il?
Egregium sanctúmque virum si cerno, bimembri
Hoc monstrum puero, et miranti iam sub aratro•
Piscibus inuentis, et fœtæ comparo mulæ.
On peut regretter les meilleurs temps: mais non pas fuyr aux
presens: on peut desirer autres magistrats, mais il faut ce nonobstant,
obeyr à ceux icy. Et à l’aduanture y a il plus de recommendation
d’obeyr aux mauuais, qu’aux bons. Autant que l’image1
des loix receuës, et anciennes de cette monarchie, reluyra en quelque
coin, m’y voila planté. Si elles viennent par malheur, à se contredire,
et empescher entr’elles, et produire deux parts, de chois
doubteux, et difficile: mon election sera volontiers, d’eschapper, et
me desrober à cette tempeste. Nature m’y pourra prester ce pendant•
la main: ou les hazards de la guerre. Entre Cæsar et Pompeius,
ie me fusse franchement declaré. Mais entre ces trois voleurs,
qui vindrent depuis, ou il eust fallu se cacher, ou suyure le
vent. Ce que i’estime loisible, quand la raison ne guide plus.
Quo diuersus abis?2
Cette farcisseure, est vn peu hors de mon theme. Ie m’esgare:
mais plustost par licence, que par mesgarde. Mes fantasies se
suyuent: mais par fois c’est de loing: et se regardent, mais d’vne
veuë oblique. I’ay passé les yeux sur tel dialogue de Platon: mi party
d’vne fantastique bigarrure: le deuant à l’amour, tout le bas•
à la rhetorique. Ils ne craignent point ces muances: et ont vne
merueilleuse grace à se laisser ainsi rouller au vent: ou à le sembler.
Les noms de mes chapitres n’en embrassent pas tousiours la
matiere: souuent ils la denotent seulement, par quelque marque:
comme ces autres l’Andrie, l’Eunuche; ou ceux cy, Sylla, Cicero,3
Torquatus. I’ayme l’alleure poëtique, à sauts et à gambades. C’est
vn art, comme dit Platon, leger, volage, demoniacle. Il est des ouurages
en Plutarque, où il oublie son theme, où le propos de son
argument ne se trouue que par incident, tout estouffé en matiere
estrangere. Voyez ses alleures au Dæmon de Socrates. O Dieu, que•
ces gaillardes escapades, que cette variation a de beauté: et plus
lors, que plus elle retire au nonchalant et fortuit! C’est l’indiligent
lecteur, qui perd mon subiect; non pas moy. Il s’en trouuera tousiours
en vn coing quelque mot, qui ne laisse pas d’estre bastant,
quoy qu’il soit serré. Ie vois au change, indiscrettement et tumultuairement:
mon stile, et mon esprit, vont vagabondant de mesmes.•
Il faut auoir vn peu de folie, qui ne veut auoir plus de sottise:
disent, et les preceptes de nos maistres, et encores plus leurs
exemples. Mille poëtes trainent et languissent à la prosaïque, mais
la meilleure prose ancienne, et ie la seme ceans indifferemment
pour vers, reluit par tout, de la vigueur et hardiesse poëtique, et1
represente quelque air de sa fureur. Il luy faut certes quitter la
maistrise, et preeminence en la parlerie. Le poëte, dit Platon, assis
sur le trepied des Muses, verse de furie, tout ce qui luy vient en la
bouche: comme la gargouïlle d’vne fontaine, sans le ruminer et
poiser: et luy eschappe des choses, de diuerse couleur, de contraire•
substance, et d’vn cours rompu. Et la vieille theologie est
toute poësie, disent les sçauants, et la premiere philosophie. C’est
l’originel langage des Dieux. I’entends que la matiere se distingue
soy-mesmes. Elle montre assez où elle se change, où elle conclud,
où elle commence, où elle se reprend: sans l’entrelasser de parolles,2
de liaison, et de cousture, introduictes pour le seruice des
oreilles foibles, ou nonchallantes: et sans me gloser moy-mesme.
Qui est celuy, qui n’ayme mieux n’estre pas leu, que de l’estre en
dormant ou en fuyant? Nihil est tam vtile, quod in transitu prosit.
Si prendre des liures, estoit les apprendre: et si les veoir, estoit les•
regarder: et les parcourir, les saisir, i’auroy tort de me faire du
tout si ignorant que ie dy. Puisque ie ne puis arrester l’attention du
lecteur par le poix: manco male, s’il aduient que ie l’arreste par mon
embrouïlleure. Voire mais, il se repentira par apres, de s’y estre
amusé. C’est mon: mais il s’y sera tousiours amusé. Et puis il est3
des humeurs comme cela, à qui l’intelligence porte desdain: qui
m’en estimeront mieux de ce qu’ils ne sçauront ce que ie dis: ils
conclurront la profondeur de mon sens, par l’obscurité. Laquelle à
parler en bon escient, ie hay bien fort: et l’euiterois, si ie me sçauois
euiter. Aristote se vante en quelque lieu, de l’affecter. Vitieuse•
affectation. Par ce que la coupure si frequente des chapitres, dequoy
i’vsoy au commencement, m’a semblé rompre l’attention
auant qu’elle soit née, et la dissoudre: dedaignant s’y coucher
pour si peu, et se recueillir: ie me suis mis à les faire plus longs:
qui requierent de la proposition et du loisir assigné. En telle occupation,4
à qui on ne veut donner vne seule heure, on ne veut rien
donner. Et ne fait on rien pour celuy, pour qui on ne fait, qu’autre
chose faisant. Ioint, qu’à l’aduenture ay-ie quelque obligation particuliere,
à ne dire qu’à demy, à dire confusement, à dire discordamment.
Ie veux donq mal à cette raison trouble-feste. Et ces•
proiects extrauagants qui trauaillent la vie, et ces opinions si fines,
si elles ont de la verité; ie la trouue trop chere et trop incommode.
Au rebours: ie m’employe à faire valoir la vanité mesme, et l’asnerie,
si elle m’apporte du plaisir. Et me laisse aller apres mes
inclinations naturelles sans les contreroller de si pres. I’ay veu1
ailleurs des maisons ruynées, et des statues, et du ciel et de la terre:
ce sont tousiours des hommes. Tout cela est vray: et si pourtant
ne sçauroy reuoir si souuent le tombeau de cette ville, si grande,
et si puissante, que ie ne l’admire et reuere. Le soing des morts
nous est en recommandation. Or i’ay esté nourry des mon enfance,•
auec ceux icy. I’ay eu cognoissance des affaires de Rome, longtemps
auant que ie l’ay euë de ceux de ma maison. Ie sçauois le Capitole
et son plant, auant que ie sceusse le Louure: et le Tibre auant la
Seine. J’ay eu plus en teste, les conditions et fortunes de Lucullus,
Metellus, et Scipion, que ie n’ay d’aucuns hommes des nostres. Ils2
sont tres passez. Si est bien mon pere: aussi entierement qu’eux:
et s’est esloigné de moy, et de la vie, autant en dixhuict ans, que
ceux-là ont faict en seize cens: duquel pourtant ie ne laisse pas
d’embrasser et practiquer la memoire, l’amitié et societé, d’vne
parfaicte vnion et tres-viue. Voire, de mon humeur, ie me rends•
plus officieux enuers les trespassez. Ils ne s’aydent plus, ils en requierent
ce me semble d’autant plus mon ayde. La gratitude est là,
iustement en son lustre. Le bien-faict est moins richement assigné,
où il y a retrogradation, et reflexion. Arcesilaus visitant Ctesibius
malade, et le trouuant en pauure estat, luy fourra tout bellement3
soubs le cheuet du lict, de l’argent qu’il luy donnoit. Et en le luy
celant, luy donnoit en outre, quittance de luy en sçauoir gré. Ceux
qui ont merité de moy, de l’amitié et de la recognoissance, ne l’ont
iamais perdue pour n’y estre plus: ie les ay mieux payez, et plus
soigneusement, absens et ignorans. Ie parle plus affectueusement•
de mes amis, quand il n’y a plus de moyen qu’ils le sçachent. Or
i’ay attaqué cent querelles pour la deffence de Pompeius, et pour
la cause de Brutus. Cette accointance dure encore entre nous. Les
choses presentes mesmes, nous ne les tenons que par la fantasie.
Me trouuant inutile à ce siecle ie me reiecte à cet autre. Et en suis
si embabouyné, que l’estat de cette vieille Rome, libre, iuste, et
florissante, car ie n’en ayme, ny la naissance, ny la vieillesse, m’interesse
et me passionne. Parquoy ie ne sçauroy reuoir si souuent,•
l’assiette de leurs rues, et de leurs maisons, et ces ruynes profondes
iusques aux Antipodes, que ie ne m’y amuse. Est-ce par nature,
ou par erreur de fantasie, que la veuë des places, que nous sçauons
auoir esté hantées et habitées par personnes, desquelles la memoire
est en recommendation, nous emeut aucunement plus, qu’ouïr le1
recit de leurs faicts, ou lire leurs escrits? Tanta vis admonitionis
inest in locis! Et id quidem in hac vrbe infinitum: quacumque enim
ingredimur, in aliquam historiam vestigium ponimus. Il me plaist
de considerer leur visage, leur port, et leurs vestements. Ie remasche
ces grands noms entre les dents, et les fais retentir à mes•
oreilles. Ego illos veneror, et tantis nominibus semper assurgo. Des
choses qui sont en quelque partie grandes et admirables, i’en admire
les parties mesmes communes. Ie les visse volontiers deuiser,
promener, et soupper. Ce seroit ingratitude, de mespriser les reliques,
et images de tant d’honnestes hommes, et si valeureux lesquels2
i’ay veu viure et mourir: et qui nous donnent tant de bonnes
instructions par leur exemple, si nous les sçauions suyure. Et puis
cette mesme Rome que nous voyons, merite qu’on l’ayme. Confederée
de si long temps, et par tant de tiltres, à nostre couronne.
Seule ville commune, et vniuerselle. Le magistrat souuerain qui y•
commande, est recognu pareillement ailleurs: c’est la ville metropolitaine
de toutes les nations Chrestiennes. L’Espaignol et le François,
chacun y est chez soy. Pour estre des Princes de cet estat, il
ne faut qu’estre de Chrestienté, où qu’elle soit. Il n’est lieu çà bas,
que le ciel ayt embrassé auec telle influence de faueur, et telle3
constance. Sa ruyne mesme est glorieuse et enflée.
Laudandis preciosior ruinis.
Encore retient elle au tombeau des marques et image d’empire. Vt
palam sit vno in loco gaudentis opus esse naturæ. Quelqu’vn se blasmeroit,
et se mutineroit en soy-mesme, de se sentir chatouïller d’vn•
si vain plaisir. Nos humeurs ne sont pas trop vaines, qui sont plaisantes.
Quelles qu’elles soyent qui contentent constamment vn
homme capable de sens commun, ie ne sçaurois auoir le cœur de le
plaindre. Ie doibs beaucoup à la Fortune, dequoy iusques à cette
heure, elle n’a rien fait contre moy d’outrageux au delà de ma portée.
Seroit ce pas sa façon, de laisser en paix, ceux de qui elle n’est
point importunée?
Quanto quisque sibi plura negauerit,
A Diis plura feret: nil cupientium•
Nudus castra peto: multa petentibus,
Desunt multa.
Si elle continue, elle me r’enuoyera tres-content et satisfaict,
Nihil supra
Deos lacesso.1
Mais gare le heurt. Il en est mille qui rompent au port. Ie me console
aiséement, de ce qui aduiendra icy, quand ie n’y seray plus.
Les choses presentes m’embesongnent assez,
Fortunæ cætera mando.
Aussi n’ay-ie point cette forte liaison, qu’on dit attacher les hommes•
à l’aduenir, par les enfans qui portent leur nom, et leur honneur.
Et en doibs desirer à l’auanture d’autant moins, s’ils sont si desirables.
Ie ne tiens que trop au monde, et à cette vie par moy-mesme.
Ie me contente d’estre en prise de la Fortune, par les circonstances
proprement necessaires à mon estre, sans luy alonger par ailleurs2
sa iurisdiction sur moy. Et n’ay iamais estimé qu’estre sans enfans,
fust vn defaut qui deust rendre la vie moins complete, et moins
contente. La vacation sterile, a bien aussi ses commoditez. Les
enfans sont du nombre des choses, qui n’ont pas fort dequoy estre
desirées, notamment à cette heure, qu’il seroit si difficile de les•
rendre bons. Bona iam nec nasci licet, ita corrupta sunt semina. Et
si ont iustement dequoy estre regrettées, à qui les perd, apres les
auoir acquises. Celuy qui me laissa ma maison en charge, prognostiquoit
que ie la deusse ruyner, regardant à mon humeur, si
peu casaniere. Il se trompa; me voicy comme i’y entray: sinon vn3
peu mieux. Sans office pourtant et sans benefice. Au demeurant, si
la Fortune ne m’a faict aucune offence violente, et extraordinaire,
aussi n’a-elle pas de grace. Tout ce qu’il y a de ses dons chez nous,
il y est auant moy, et au delà de cent ans. Ie n’ay particulierement
aucun bien essentiel, et solide, que ie doiue à sa liberalité. Elle•
m’a faict quelques faueurs venteuses, honnoraires, et titulaires,
sans substance. Et me les a aussi à la verité, non pas accordées,
mais offertes. Dieu sçait, à moy: qui suis tout materiel, qui ne me
paye que de la realité, encores bien massiue: et qui, si ie l’osois
confesser, ne trouuerois l’auarice, guere moins excusable que l’ambition:4
ny la douleur, moins euitable que la honte: ny la santé,
moins desirable que la doctrine: ou la richesse, que la noblesse.
les opinions et regles de viure, ainsi rudes, neufues, impolies•
ou impollues, comme ie les ay nées chez moy, ou rapportees de
mon institution et desquelles ie me sers, sinon si commodeement
au moins seurement en particulier: une vertu scholastique et
nouice: ie les y ay trouuees ineptes et dangereuses. Celuy qui va
en la presse, il faut qu’il gauchisse, qu’il serre ses couddes, qu’il•
recule, ou qu’il auance, voire qu’il quitte le droict chemin, selon ce
qu’il rencontre. Qu’il viue non tant selon soy, que selon autruy:
non selon ce qu’il se propose, mais selon ce qu’on luy propose: selon
le temps, selon les hommes, selon les affaires. Platon dit, que
qui eschappe, brayes nettes, du maniement du monde, c’est par1
miracle, qu’il en eschappe. Et dit aussi, que quand il ordonne son
philosophe chef d’vne police, il n’entend pas le dire d’vne police
corrompue, comme celle d’Athenes: et encore bien moins, comme
la nostre, enuers lesquelles la sagesse mesme perdroit son Latin.
Et vne bonne herbe, transplantee, en solage fort diuers à sa condition,•
se conforme bien plustost à iceluy, qu’elle ne le reforme à
soy. Ie sens que si i’auois à me dresser tout à fait à telles occupations,
il m’y faudroit beaucoup de changement et de rabillage.
Quand ie pourrois cela sur moy, et pourquoy ne le pourrois ie,
auec le temps et le soing? ie ne le voudrois pas. De ce peu que ie2
me suis essayé en cette vacation; ie m’en suis d’autant degousté. Ie
me sens fumer en l’ame par fois, aucunes tentations vers l’ambition:
mais ie me bande et obstine au contraire:
At tu, Catulle, obstinatus obdura.
On ne m’y appelle gueres, et ie m’y conuie aussi peu. La liberté et•
l’oysiueté, qui sont mes maistresses qualitez, sont qualitez, diametralement
contraires à ce mestier là. Nous ne sçauons pas distinguer
les facultez des hommes. Elles ont des diuisions, et bornes,
mal-aysees à choisir et delicates. De conclurre par la suffisance
d’vne vie particuliere, quelque suffisance à l’vsage public, c’est mal3
conclud. Tel se conduict bien, qui ne conduict pas bien les autres:
et faict des Essais, qui ne sçauroit faire des effects. Tel dresse bien
vn siege, qui dresseroit mal vne bataille: et discourt bien en priué,
qui harangueroit mal ou vn peuple ou vn Prince. Voire à l’auanture,
est-ce plustost tesmoignage à celuy qui peut l’vn, de ne pouuoir•
point l’autre, qu’autrement. Ie trouue que les esprits hauts, ne sont
de guere moins aptes aux choses basses, que les bas esprits aux
hautes. Estoit-il à croire, que Socrates eust appresté aux Atheniens
matiere de rire à ses despens, pour n’auoir onques sçeu computer
les suffrages de sa tribu, et en faire rapport au conseil? Certes la4
veneration, en quoy i’ay les perfections de ce personnage, merite,
que sa fortune fournisse à l’excuse de mes principales imperfections,
vn si magnifique exemple. Nostre suffisance est detaillee à
menues pieces. La mienne n’a point de latitude, et si est chetifue
en nombre. Saturninus, à ceux qui luy auoient deferé tout commandement:
Compaignons, fit-il, vous auez perdu vn bon capitaine,
pour en faire vn mauvais general d’armee. Qui se vante,
en vn temps malade, comme cestuy-cy, d’employer au seruice du
monde, vne vertu naifue et sincere: ou il ne la cognoist pas, les•
opinions se corrompans auec les mœurs (de vray, oyez la leur
peindre, oyez la pluspart se glorifier de leurs deportemens, et former
leurs regles; au lieu de peindre la vertu, ils peignent l’iniustice
toute pure et le vice: et la presentent ainsi fauce à l’institution
des Princes) ou s’il la cognoist, il se vante à tort: et quoy1
qu’il die, faict mille choses, dequoy sa conscience l’accuse. Ie croirois
volontiers Seneca de l’experience qu’il en fit en pareille occasion,
pourueu qu’il m’en voulust parler à cœur ouuert. La plus
honnorable marque de bonté, en vne telle necessité, c’est recognoistre
librement sa faute, et celle d’autruy: appuyer et retarder•
de sa puissance, l’inclination vers le mal: suyure enuis cette
pente, mieux esperer et mieux desirer. I’apperçois en ces desmembremens
de la France, et diuisions, où nous sommes tombez, chacun
se trauailler à deffendre sa cause: mais iusques aux meilleurs,
auec desguisement et mensonge. Qui en escriroit rondement, en2
escriroit temerairement et vitieusement. Le plus iuste party, si est-ce
encore le membre d’vn corps vermoulu et vereux. Mais d’vn tel
corps, le membre moins malade s’appelle sain: et à bon droit,
d’autant que nos qualitez n’ont tiltre qu’en la comparaison. L’innocence
ciuile, se mesure selon les lieux et saisons. I’aymerois bien à•
voir en Xenophon, vne telle loüange d’Agesilaus. Estant prié par
vn Prince voisin, auec lequel il auoit autresfois esté en guerre, de
le laisser passer en ses terres, il l’octroya: luy donnant passage à
trauers le Peloponnese: et non seulement ne l’emprisonna ou empoisonna,
le tenant à sa mercy: mais l’accueillit courtoisement,3
suyuant l’obligation de sa promesse, sans luy faire offence. A ces
humeurs là, ce ne seroit rien dire. Ailleurs et en autre temps, il se
fera conte de la franchise, et magnanimité d’vne telle action. Ces babouyns
capettes s’en fussent moquez. Si peu retire l’innocence
Spartaine à la Françoise. Nous ne laissons pas d’auoir des hommes•
vertueux: mais c’est selon nous. Qui a ses mœurs establies en reglement
au dessus de son siecle: ou qu’il torde, et émousse ses
regles: ou, ce que ie luy conseille plustost, qu’il se retire à quartier,
et ne se mesle point de nous. Qu’y gaigneroit-il?
Egregium sanctúmque virum si cerno, bimembri
Hoc monstrum puero, et miranti iam sub aratro•
Piscibus inuentis, et fœtæ comparo mulæ.
On peut regretter les meilleurs temps: mais non pas fuyr aux
presens: on peut desirer autres magistrats, mais il faut ce nonobstant,
obeyr à ceux icy. Et à l’aduanture y a il plus de recommendation
d’obeyr aux mauuais, qu’aux bons. Autant que l’image1
des loix receuës, et anciennes de cette monarchie, reluyra en quelque
coin, m’y voila planté. Si elles viennent par malheur, à se contredire,
et empescher entr’elles, et produire deux parts, de chois
doubteux, et difficile: mon election sera volontiers, d’eschapper, et
me desrober à cette tempeste. Nature m’y pourra prester ce pendant•
la main: ou les hazards de la guerre. Entre Cæsar et Pompeius,
ie me fusse franchement declaré. Mais entre ces trois voleurs,
qui vindrent depuis, ou il eust fallu se cacher, ou suyure le
vent. Ce que i’estime loisible, quand la raison ne guide plus.
Quo diuersus abis?2
Cette farcisseure, est vn peu hors de mon theme. Ie m’esgare:
mais plustost par licence, que par mesgarde. Mes fantasies se
suyuent: mais par fois c’est de loing: et se regardent, mais d’vne
veuë oblique. I’ay passé les yeux sur tel dialogue de Platon: mi party
d’vne fantastique bigarrure: le deuant à l’amour, tout le bas•
à la rhetorique. Ils ne craignent point ces muances: et ont vne
merueilleuse grace à se laisser ainsi rouller au vent: ou à le sembler.
Les noms de mes chapitres n’en embrassent pas tousiours la
matiere: souuent ils la denotent seulement, par quelque marque:
comme ces autres l’Andrie, l’Eunuche; ou ceux cy, Sylla, Cicero,3
Torquatus. I’ayme l’alleure poëtique, à sauts et à gambades. C’est
vn art, comme dit Platon, leger, volage, demoniacle. Il est des ouurages
en Plutarque, où il oublie son theme, où le propos de son
argument ne se trouue que par incident, tout estouffé en matiere
estrangere. Voyez ses alleures au Dæmon de Socrates. O Dieu, que•
ces gaillardes escapades, que cette variation a de beauté: et plus
lors, que plus elle retire au nonchalant et fortuit! C’est l’indiligent
lecteur, qui perd mon subiect; non pas moy. Il s’en trouuera tousiours
en vn coing quelque mot, qui ne laisse pas d’estre bastant,
quoy qu’il soit serré. Ie vois au change, indiscrettement et tumultuairement:
mon stile, et mon esprit, vont vagabondant de mesmes.•
Il faut auoir vn peu de folie, qui ne veut auoir plus de sottise:
disent, et les preceptes de nos maistres, et encores plus leurs
exemples. Mille poëtes trainent et languissent à la prosaïque, mais
la meilleure prose ancienne, et ie la seme ceans indifferemment
pour vers, reluit par tout, de la vigueur et hardiesse poëtique, et1
represente quelque air de sa fureur. Il luy faut certes quitter la
maistrise, et preeminence en la parlerie. Le poëte, dit Platon, assis
sur le trepied des Muses, verse de furie, tout ce qui luy vient en la
bouche: comme la gargouïlle d’vne fontaine, sans le ruminer et
poiser: et luy eschappe des choses, de diuerse couleur, de contraire•
substance, et d’vn cours rompu. Et la vieille theologie est
toute poësie, disent les sçauants, et la premiere philosophie. C’est
l’originel langage des Dieux. I’entends que la matiere se distingue
soy-mesmes. Elle montre assez où elle se change, où elle conclud,
où elle commence, où elle se reprend: sans l’entrelasser de parolles,2
de liaison, et de cousture, introduictes pour le seruice des
oreilles foibles, ou nonchallantes: et sans me gloser moy-mesme.
Qui est celuy, qui n’ayme mieux n’estre pas leu, que de l’estre en
dormant ou en fuyant? Nihil est tam vtile, quod in transitu prosit.
Si prendre des liures, estoit les apprendre: et si les veoir, estoit les•
regarder: et les parcourir, les saisir, i’auroy tort de me faire du
tout si ignorant que ie dy. Puisque ie ne puis arrester l’attention du
lecteur par le poix: manco male, s’il aduient que ie l’arreste par mon
embrouïlleure. Voire mais, il se repentira par apres, de s’y estre
amusé. C’est mon: mais il s’y sera tousiours amusé. Et puis il est3
des humeurs comme cela, à qui l’intelligence porte desdain: qui
m’en estimeront mieux de ce qu’ils ne sçauront ce que ie dis: ils
conclurront la profondeur de mon sens, par l’obscurité. Laquelle à
parler en bon escient, ie hay bien fort: et l’euiterois, si ie me sçauois
euiter. Aristote se vante en quelque lieu, de l’affecter. Vitieuse•
affectation. Par ce que la coupure si frequente des chapitres, dequoy
i’vsoy au commencement, m’a semblé rompre l’attention
auant qu’elle soit née, et la dissoudre: dedaignant s’y coucher
pour si peu, et se recueillir: ie me suis mis à les faire plus longs:
qui requierent de la proposition et du loisir assigné. En telle occupation,4
à qui on ne veut donner vne seule heure, on ne veut rien
donner. Et ne fait on rien pour celuy, pour qui on ne fait, qu’autre
chose faisant. Ioint, qu’à l’aduenture ay-ie quelque obligation particuliere,
à ne dire qu’à demy, à dire confusement, à dire discordamment.
Ie veux donq mal à cette raison trouble-feste. Et ces•
proiects extrauagants qui trauaillent la vie, et ces opinions si fines,
si elles ont de la verité; ie la trouue trop chere et trop incommode.
Au rebours: ie m’employe à faire valoir la vanité mesme, et l’asnerie,
si elle m’apporte du plaisir. Et me laisse aller apres mes
inclinations naturelles sans les contreroller de si pres. I’ay veu1
ailleurs des maisons ruynées, et des statues, et du ciel et de la terre:
ce sont tousiours des hommes. Tout cela est vray: et si pourtant
ne sçauroy reuoir si souuent le tombeau de cette ville, si grande,
et si puissante, que ie ne l’admire et reuere. Le soing des morts
nous est en recommandation. Or i’ay esté nourry des mon enfance,•
auec ceux icy. I’ay eu cognoissance des affaires de Rome, longtemps
auant que ie l’ay euë de ceux de ma maison. Ie sçauois le Capitole
et son plant, auant que ie sceusse le Louure: et le Tibre auant la
Seine. J’ay eu plus en teste, les conditions et fortunes de Lucullus,
Metellus, et Scipion, que ie n’ay d’aucuns hommes des nostres. Ils2
sont tres passez. Si est bien mon pere: aussi entierement qu’eux:
et s’est esloigné de moy, et de la vie, autant en dixhuict ans, que
ceux-là ont faict en seize cens: duquel pourtant ie ne laisse pas
d’embrasser et practiquer la memoire, l’amitié et societé, d’vne
parfaicte vnion et tres-viue. Voire, de mon humeur, ie me rends•
plus officieux enuers les trespassez. Ils ne s’aydent plus, ils en requierent
ce me semble d’autant plus mon ayde. La gratitude est là,
iustement en son lustre. Le bien-faict est moins richement assigné,
où il y a retrogradation, et reflexion. Arcesilaus visitant Ctesibius
malade, et le trouuant en pauure estat, luy fourra tout bellement3
soubs le cheuet du lict, de l’argent qu’il luy donnoit. Et en le luy
celant, luy donnoit en outre, quittance de luy en sçauoir gré. Ceux
qui ont merité de moy, de l’amitié et de la recognoissance, ne l’ont
iamais perdue pour n’y estre plus: ie les ay mieux payez, et plus
soigneusement, absens et ignorans. Ie parle plus affectueusement•
de mes amis, quand il n’y a plus de moyen qu’ils le sçachent. Or
i’ay attaqué cent querelles pour la deffence de Pompeius, et pour
la cause de Brutus. Cette accointance dure encore entre nous. Les
choses presentes mesmes, nous ne les tenons que par la fantasie.
Me trouuant inutile à ce siecle ie me reiecte à cet autre. Et en suis
si embabouyné, que l’estat de cette vieille Rome, libre, iuste, et
florissante, car ie n’en ayme, ny la naissance, ny la vieillesse, m’interesse
et me passionne. Parquoy ie ne sçauroy reuoir si souuent,•
l’assiette de leurs rues, et de leurs maisons, et ces ruynes profondes
iusques aux Antipodes, que ie ne m’y amuse. Est-ce par nature,
ou par erreur de fantasie, que la veuë des places, que nous sçauons
auoir esté hantées et habitées par personnes, desquelles la memoire
est en recommendation, nous emeut aucunement plus, qu’ouïr le1
recit de leurs faicts, ou lire leurs escrits? Tanta vis admonitionis
inest in locis! Et id quidem in hac vrbe infinitum: quacumque enim
ingredimur, in aliquam historiam vestigium ponimus. Il me plaist
de considerer leur visage, leur port, et leurs vestements. Ie remasche
ces grands noms entre les dents, et les fais retentir à mes•
oreilles. Ego illos veneror, et tantis nominibus semper assurgo. Des
choses qui sont en quelque partie grandes et admirables, i’en admire
les parties mesmes communes. Ie les visse volontiers deuiser,
promener, et soupper. Ce seroit ingratitude, de mespriser les reliques,
et images de tant d’honnestes hommes, et si valeureux lesquels2
i’ay veu viure et mourir: et qui nous donnent tant de bonnes
instructions par leur exemple, si nous les sçauions suyure. Et puis
cette mesme Rome que nous voyons, merite qu’on l’ayme. Confederée
de si long temps, et par tant de tiltres, à nostre couronne.
Seule ville commune, et vniuerselle. Le magistrat souuerain qui y•
commande, est recognu pareillement ailleurs: c’est la ville metropolitaine
de toutes les nations Chrestiennes. L’Espaignol et le François,
chacun y est chez soy. Pour estre des Princes de cet estat, il
ne faut qu’estre de Chrestienté, où qu’elle soit. Il n’est lieu çà bas,
que le ciel ayt embrassé auec telle influence de faueur, et telle3
constance. Sa ruyne mesme est glorieuse et enflée.
Laudandis preciosior ruinis.
Encore retient elle au tombeau des marques et image d’empire. Vt
palam sit vno in loco gaudentis opus esse naturæ. Quelqu’vn se blasmeroit,
et se mutineroit en soy-mesme, de se sentir chatouïller d’vn•
si vain plaisir. Nos humeurs ne sont pas trop vaines, qui sont plaisantes.
Quelles qu’elles soyent qui contentent constamment vn
homme capable de sens commun, ie ne sçaurois auoir le cœur de le
plaindre. Ie doibs beaucoup à la Fortune, dequoy iusques à cette
heure, elle n’a rien fait contre moy d’outrageux au delà de ma portée.
Seroit ce pas sa façon, de laisser en paix, ceux de qui elle n’est
point importunée?
Quanto quisque sibi plura negauerit,
A Diis plura feret: nil cupientium•
Nudus castra peto: multa petentibus,
Desunt multa.
Si elle continue, elle me r’enuoyera tres-content et satisfaict,
Nihil supra
Deos lacesso.1
Mais gare le heurt. Il en est mille qui rompent au port. Ie me console
aiséement, de ce qui aduiendra icy, quand ie n’y seray plus.
Les choses presentes m’embesongnent assez,
Fortunæ cætera mando.
Aussi n’ay-ie point cette forte liaison, qu’on dit attacher les hommes•
à l’aduenir, par les enfans qui portent leur nom, et leur honneur.
Et en doibs desirer à l’auanture d’autant moins, s’ils sont si desirables.
Ie ne tiens que trop au monde, et à cette vie par moy-mesme.
Ie me contente d’estre en prise de la Fortune, par les circonstances
proprement necessaires à mon estre, sans luy alonger par ailleurs2
sa iurisdiction sur moy. Et n’ay iamais estimé qu’estre sans enfans,
fust vn defaut qui deust rendre la vie moins complete, et moins
contente. La vacation sterile, a bien aussi ses commoditez. Les
enfans sont du nombre des choses, qui n’ont pas fort dequoy estre
desirées, notamment à cette heure, qu’il seroit si difficile de les•
rendre bons. Bona iam nec nasci licet, ita corrupta sunt semina. Et
si ont iustement dequoy estre regrettées, à qui les perd, apres les
auoir acquises. Celuy qui me laissa ma maison en charge, prognostiquoit
que ie la deusse ruyner, regardant à mon humeur, si
peu casaniere. Il se trompa; me voicy comme i’y entray: sinon vn3
peu mieux. Sans office pourtant et sans benefice. Au demeurant, si
la Fortune ne m’a faict aucune offence violente, et extraordinaire,
aussi n’a-elle pas de grace. Tout ce qu’il y a de ses dons chez nous,
il y est auant moy, et au delà de cent ans. Ie n’ay particulierement
aucun bien essentiel, et solide, que ie doiue à sa liberalité. Elle•
m’a faict quelques faueurs venteuses, honnoraires, et titulaires,
sans substance. Et me les a aussi à la verité, non pas accordées,
mais offertes. Dieu sçait, à moy: qui suis tout materiel, qui ne me
paye que de la realité, encores bien massiue: et qui, si ie l’osois
confesser, ne trouuerois l’auarice, guere moins excusable que l’ambition:4
ny la douleur, moins euitable que la honte: ny la santé,
moins desirable que la doctrine: ou la richesse, que la noblesse.
Parmy ses faueurs vaines, ie n’en ay point qui plaise tant à cette
niaise humeur, qui s’en paist chez moy, qu’vne bulle authentique
de bourgeoisie Romaine: qui me fut octroyée dernierement que i’y
estois, pompeuse en seaux, et lettres dorées: et octroyée auec toute
gratieuse liberalité. Et par ce qu’elles se donnent en diuers stile,•
plus ou moins fauorable: et qu’auant que i’en eusse veu, i’eusse
esté bien aise, qu’on m’en eust montré vn formulaire: ie veux, pour
satisfaire à quelqu’vn, s’il s’en trouue malade de pareille curiosité à
la mienne, la transcrire icy en sa forme.
Quod Horatius Maximus, Martius Cecius, Alexander Mutus, almæ1
vrbis conseruatores de Illustrissimo viro Michaèle Montano equite
sancti Michaèlis, et à cubiculo Regis Christianissimi, Romana Ciuitate
donando, ad Senatum retulerunt, S. P. Q. R. de ea re ita fieri
censuit.
niaise humeur, qui s’en paist chez moy, qu’vne bulle authentique
de bourgeoisie Romaine: qui me fut octroyée dernierement que i’y
estois, pompeuse en seaux, et lettres dorées: et octroyée auec toute
gratieuse liberalité. Et par ce qu’elles se donnent en diuers stile,•
plus ou moins fauorable: et qu’auant que i’en eusse veu, i’eusse
esté bien aise, qu’on m’en eust montré vn formulaire: ie veux, pour
satisfaire à quelqu’vn, s’il s’en trouue malade de pareille curiosité à
la mienne, la transcrire icy en sa forme.
Quod Horatius Maximus, Martius Cecius, Alexander Mutus, almæ1
vrbis conseruatores de Illustrissimo viro Michaèle Montano equite
sancti Michaèlis, et à cubiculo Regis Christianissimi, Romana Ciuitate
donando, ad Senatum retulerunt, S. P. Q. R. de ea re ita fieri
censuit.
CVM, veteri more et instituto, cupidè illi semper studioséque suscepti
sint, qui, virtute ac nobilitate præstantes, magno Reip. nostræ•
vsui atque ornamento fuissent, vel esse aliquando possent: Nos, maiorum
nostrorum exemplo atque auctoritate permoti, præclaram hanc
consuetudinem nobis imitandam ac seruandam fore censemus. Quamobrem
cum Illustrissimus Michaèl Montanus, Eques sancti Michaèlis, et
a cubiculo Regis Christianissimi Romani nominis studiosissimus, et2
familiæ laude atque splendore et propriis virtutum meritis dignissimus
sit, qui summo Senatus Populique Romani iudicio ac studio in
Romanam Ciuitatem adsciscatur; placere Senatui P. Q. R. Illustrissimum
Michaèlem Montanum rebus omnibus ornatissimum, atque huic
inclyto populo charissimum, ipsum posterosque in Romanam Ciuitatem•
adscribi, ornarique omnibus et præmiis et honoribus, quibus illi
fruuntur, qui Ciues Patriciique Romani nati aut iure optimo facti
sunt. In quo censere Senatum P. Q. R. se non tam illi Ius Ciuitatis
largiri quàm debitum tribuere, neque magis beneficium dare quám ab
ipso accipere, qui hoc Ciuitatis munere accipiendo, singulari Ciuitatem3
ipsam ornamento atque honore affecerit. Quam quidem S. C. auctoritatem
iidem Conseruatores per Senatus P. Q. R. scribas in acta
referri atque in Capitolij curia seruari, priuilegiumque huiusmodi
fieri, solitoque vrbis sigillo communiri curarunt. Anno ab vrbe condita
CXƆCCCXXXI, post Christum natum M. D. LXXXI. III. Idus Martij.•
Horatius Fuscus sacri S. P. Q. R. scriba.
Vincent. Martholus sacri S. P. Q. R. scriba.
sint, qui, virtute ac nobilitate præstantes, magno Reip. nostræ•
vsui atque ornamento fuissent, vel esse aliquando possent: Nos, maiorum
nostrorum exemplo atque auctoritate permoti, præclaram hanc
consuetudinem nobis imitandam ac seruandam fore censemus. Quamobrem
cum Illustrissimus Michaèl Montanus, Eques sancti Michaèlis, et
a cubiculo Regis Christianissimi Romani nominis studiosissimus, et2
familiæ laude atque splendore et propriis virtutum meritis dignissimus
sit, qui summo Senatus Populique Romani iudicio ac studio in
Romanam Ciuitatem adsciscatur; placere Senatui P. Q. R. Illustrissimum
Michaèlem Montanum rebus omnibus ornatissimum, atque huic
inclyto populo charissimum, ipsum posterosque in Romanam Ciuitatem•
adscribi, ornarique omnibus et præmiis et honoribus, quibus illi
fruuntur, qui Ciues Patriciique Romani nati aut iure optimo facti
sunt. In quo censere Senatum P. Q. R. se non tam illi Ius Ciuitatis
largiri quàm debitum tribuere, neque magis beneficium dare quám ab
ipso accipere, qui hoc Ciuitatis munere accipiendo, singulari Ciuitatem3
ipsam ornamento atque honore affecerit. Quam quidem S. C. auctoritatem
iidem Conseruatores per Senatus P. Q. R. scribas in acta
referri atque in Capitolij curia seruari, priuilegiumque huiusmodi
fieri, solitoque vrbis sigillo communiri curarunt. Anno ab vrbe condita
CXƆCCCXXXI, post Christum natum M. D. LXXXI. III. Idus Martij.•
Horatius Fuscus sacri S. P. Q. R. scriba.
Vincent. Martholus sacri S. P. Q. R. scriba.
N’estant bourgeois d’aucune ville, ie suis bien aise de l’estre de
la plus noble qui fut et qui sera onques. Si les autres se regardoient
attentiuement, comme ie fay, ils se trouueroient comme ie fay,
pleins d’inanité et de fadaise. De m’en deffaire, ie ne puis, sans me
deffaire moy-mesmes. Nous en sommes tous confits, tant les vns que•
les autres. Mais ceux qui le sentent, en ont vn peu meilleur compte:
encore ne sçay-ie. Cette opinion et vsance commune, de regarder
ailleurs qu’à nous, a bien pourueu à nostre affaire. C’est vn obiect
plein de mescontentement. Nous n’y voyons que misere et vanité.
Pour ne nous desconforter, Nature a reietté bien à propos, l’action1
de nostre veuë, au dehors. Nous allons en auant à vau l’eau, mais
de rebrousser vers nous, nostre course, c’est vn mouuement penible:
la mer se brouille et s’empesche ainsi, quand elle est repoussée
à soy. Regardez, dict chacun, les branles du ciel: regardez au
public: à la querelle de cestuy-là: au pouls d’vn tel: au testament•
de cet autre: somme regardez tousiours haut ou bas, ou à costé,
ou deuant, ou derriere vous. C’estoit vn commandement paradoxe,
que nous faisoit anciennement ce Dieu à Delphes: Regardez dans
vous, recognoissez vous, tenez vous à vous. Vostre esprit, et vostre
volonté, qui se consomme ailleurs, ramenez la en soy: vous vous2
escoulez, vous vous respandez: appilez vous, soustenez vous: on
vous trahit, on vous dissipe, on vous desrobe à vous. Voy tu pas,
que ce monde tient toutes ses veuës contraintes au dedans, et ses
yeux ouuerts à se contempler soy-mesme? C’est tousiours vanité
pour toy, dedans et dehors: mais elle est moins vanité, quand elle•
est moins estendue. Sauf toy, ô homme, disoit ce Dieu, chasque
chose s’estudie la premiere, et a selon son besoin, des limites à ses
trauaux et desirs. Il n’en est vne seule si vuide et necessiteuse que
toy, qui embrasses l’vniuers. Tu és le scrutateur sans cognoissance:
le magistrat sans iuridiction: et apres tout, le badin de la farce.3
la plus noble qui fut et qui sera onques. Si les autres se regardoient
attentiuement, comme ie fay, ils se trouueroient comme ie fay,
pleins d’inanité et de fadaise. De m’en deffaire, ie ne puis, sans me
deffaire moy-mesmes. Nous en sommes tous confits, tant les vns que•
les autres. Mais ceux qui le sentent, en ont vn peu meilleur compte:
encore ne sçay-ie. Cette opinion et vsance commune, de regarder
ailleurs qu’à nous, a bien pourueu à nostre affaire. C’est vn obiect
plein de mescontentement. Nous n’y voyons que misere et vanité.
Pour ne nous desconforter, Nature a reietté bien à propos, l’action1
de nostre veuë, au dehors. Nous allons en auant à vau l’eau, mais
de rebrousser vers nous, nostre course, c’est vn mouuement penible:
la mer se brouille et s’empesche ainsi, quand elle est repoussée
à soy. Regardez, dict chacun, les branles du ciel: regardez au
public: à la querelle de cestuy-là: au pouls d’vn tel: au testament•
de cet autre: somme regardez tousiours haut ou bas, ou à costé,
ou deuant, ou derriere vous. C’estoit vn commandement paradoxe,
que nous faisoit anciennement ce Dieu à Delphes: Regardez dans
vous, recognoissez vous, tenez vous à vous. Vostre esprit, et vostre
volonté, qui se consomme ailleurs, ramenez la en soy: vous vous2
escoulez, vous vous respandez: appilez vous, soustenez vous: on
vous trahit, on vous dissipe, on vous desrobe à vous. Voy tu pas,
que ce monde tient toutes ses veuës contraintes au dedans, et ses
yeux ouuerts à se contempler soy-mesme? C’est tousiours vanité
pour toy, dedans et dehors: mais elle est moins vanité, quand elle•
est moins estendue. Sauf toy, ô homme, disoit ce Dieu, chasque
chose s’estudie la premiere, et a selon son besoin, des limites à ses
trauaux et desirs. Il n’en est vne seule si vuide et necessiteuse que
toy, qui embrasses l’vniuers. Tu és le scrutateur sans cognoissance:
le magistrat sans iuridiction: et apres tout, le badin de la farce.3
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