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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume III

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CHAPITRE XXXVII.    (TRADUCTION LIV. II, CH. XXXVII.)
De la ressemblance des enfans aux peres.

CE fagotage de tant de diuerses pieces, se faict en cette condition,
que ie n’y mets la main, que lors qu’vne trop lasche oysiueté me
presse, et non ailleurs que chez moy. Ainsin il s’est basty à diuerses
poses et interualles, comme les occasions me detiennent ailleurs
par fois plusieurs moys. Au demeurant, ie ne corrige point mes
premieres imaginations par les secondes, ouy à l’auenture quelque
mot: mais pour diuersifier, non pour oster. Ie veux representer le
progrez de mes humeurs, et qu’on voye chasque piece en sa naissance.1
Ie prendrois plaisir d’auoir commencé plustost, et à recognoistre
le train de mes mutations. Vn valet qui me seruoit à les
escrire soubs moy, pensa faire vn grand butin de m’en desrober
plusieurs pieces choisies à sa poste. Cela me console, qu’il n’y fera
pas plus de gain, que i’y ay fait de perte.   Ie me suis enuieilly
de sept ou huict ans depuis que ie commençay. Ce n’a pas esté
sans quelque nouuel acquest. I’y ay pratiqué la colique, par la liberalité
des ans: leur commerce et longue conuersation, ne se
passe aysément sans quelque tel fruit. Ie voudroy bien, de plusieurs
autres presens, qu’ils ont à faire, à ceux qui les hantent long2
temps, qu’ils en eussent choisi quelqu’vn qui m’eust esté plus acceptable:
car ils ne m’en eussent sçeu faire, que i’eusse en plus
grande horreur, des mon enfance. C’estoit à poinct nommé, de
tous les accidens de la vieillesse, celuy que ie craignois le plus.
I’auoy pensé mainte-fois à part moy, que i’alloy trop auant: et
qu’à faire vn si long chemin, ie ne faudroy pas de m’engager en
fin, en quelque malplaisant rencontre. Ie sentois et protestois assez,
qu’il estoit heure de partir, et qu’il falloit trencher la vie dans le
vif, et dans le sein, suyuant la regle des chirurgiens, quand ils ont
à coupper quelque membre. Qu’à celuy, qui ne la rendoit à temps,3
Nature auoit accoustumé de faire payer de bien rudes vsures. Il s’en
faloit tant, que i’en fusse prest lors, qu’en dix-huict mois ou enuiron
qu’il y a que ie suis en ce malplaisant estat, i’ay desia appris à
m’y accommoder. I’entre desia en composition de ce viure coliqueux:
i’y trouue dequoy me consoler, et dequoy esperer. Tant
les hommes sont accoquinez à leur estre miserable, qu’il n’est si
rude condition qu’ils n’acceptent pour s’y conseruer. Oyez Mæcenas.

Debilem facito manu,
Debilem pede, coxa,
Lubricos quate dentes:1
Vita dum superest, bene est.

Et couuroit Tamburlan d’vne sotte humanité, la cruauté fantastique
qu’il exerçoit contre les ladres, en faisant mettre à mort autant
qu’il en venoit à sa coignoissance, pour, disoit-il, les deliurer de la
vie qu’ils viuoient si penible. Car il n’y auoit nul d’eux, qui n’eust
mieux aymé estre trois fois ladre, que de n’estre pas. Et Antisthenes
le Stoïcien, estant fort malade, et s’escriant: Qui me deliurera
de ces maux? Diogenes, qui l’estoit venu veoir, luy presentant
vn couteau: Cestuy-cy, si tu veux, bien tost: Ie ne dy pas de
la vie, repliqua il, ie dy des maux. Les souffrances qui me touchent2
simplement par l’ame, m’affligent beaucoup moins qu’elles ne font
la pluspart des autres hommes: partie par iugement: car le monde
estime plusieurs choses horribles, ou euitables au prix de la vie,
qui me sont à peu pres indifferentes: partie, par vne complexion
stupide et insensible, que i’ay aux accidents qui ne donnent à moy
de droit fil: laquelle complexion i’estime l’vne des meilleures pieces
de ma naturelle condition. Mais les souffrances vrayment essentielles
et corporelles, ie les gouste bien vifuement. Si est-ce pourtant, que
les preuoyant autrefois d’vne veuë foible, delicate, et amollie par la
iouyssance de cette longue et heureuse santé et repos, que Dieu m’a3
presté, la meilleure part de mon aage: ie les auoy couceuës par
imagination, si insupportables, qu’à la verité i’en auois plus de
peur, que ie n’y ay trouué de mal. Par où i’augmente tousiours
cette creance, que la pluspart des facultez de nostre ame, comme
nous les employons, troublent plus le repos de la vie, qu’elles n’y
seruent.   Ie suis aux prises auec la pire de toutes les maladies,
la plus soudaine, la plus douloureuse, la plus mortelle, et la plus
irremediable. I’en ay desia essayé cinq ou six bien longs accez et
penibles: toutesfois ou ie me flatte, ou encores y a-t-il en cet estat,
dequoy se soustenir, à qui a l’ame deschargée de la crainte de la4
mort, et deschargée des menasses, conclusions et consequences,
dequoy la medecine nous enteste. Mais l’effect mesme de la douleur,
n’a pas cette aigreur si aspre et si poignante, qu’vn homme
rassis en doiue entrer en rage et en desespoir. I’ay aumoins ce
profit de la cholique, que ce que ie n’auoy encore peu sur moy,
pour me concilier du tout, et m’accointer à la mort, elle le parfera:
car d’autant plus elle me pressera, et importunera, d’autant
moins me sera la mort à craindre. I’auoy desia gaigné cela, de ne
tenir à la vie, que par la vie seulement: elle desnouëra encore cette
intelligence. Et Dieu vueille qu’en fin, si son aspreté vient à surmonter1
mes forces, elle ne me reiette à l’autre extremité non
moins vitieuse, d’aymer et desirer mourir.

Summum nec metuas diem, nec optes.

Ce sont deux passions à craindre, mais l’vne a son remede bien
plus prest que l’autre.   Au demeurant, i’ay tousiours trouué ce
precepte ceremonieux, qui ordonne si exactement de tenir bonne
contenance et vn maintien desdaigneux, et posé, à la souffrance
des maux. Pourquoy la philosophie, qui ne regarde que le vif, et
les effects, se va elle amusant à ces apparences externes? Qu’elle
laisse ce soing aux farceurs et maistres de rhetorique, qui font tant2
d’estat de nos gestes. Qu’elle condone hardiment au mal, cette lascheté
voyelle, si elle n’est ny cordiale, ny stomacale: et preste ses
pleintes volontaires au genre des souspirs, sanglots, palpitations,
pallissements, que Nature a mis hors de nostre puissance. Pourueu
que le courage soit sans effroy, les parolles sans desespoir, qu’elle
se contente. Qu’importe que nous tordions nos bras, pourueu que
nous ne tordions nos pensées? elle nous dresse pour nous, non
pour autruy, pour estre, non pour sembler. Qu’elle s’arreste à
gouuerner nostre entendement, qu’elle a pris à instruire. Qu’aux
efforts de la cholique, elle maintienne l’ame capable de se recognoistre,3
de suyure son train accoustumé: combatant la douleur et
la soustenant, non se prosternant honteusement à ses pieds: esmeuë
et eschauffée du combat, non abatue et renuersée: capable d’entretien
et d’autre occupation, iusques à certaine mesure. En accidents
si extremes, c’est cruauté de requerir de nous vne démarche
si composée. Si nous auons beau ieu, c’est peu que nous ayons
mauuaise mine. Si le corps se soulage en se plaignant, qu’il le
face; si l’agitation luy plaist, qu’il se tourneboule et tracasse à sa
fantasie: s’il luy semble que le mal s’euapore aucunement (comme
aucuns medecins disent que cela aide à la deliurance des femmes
enceintes) pour pousser hors la voix auec plus grande violence: ou
s’il en amuse son tourment, qu’il crie tout à faict. Ne commandons
point à cette voix, qu’elle aille, mais permettons le luy. Epicurus ne
pardonne pas seulement à son sage de crier aux tourments, mais
il le luy conseille. Pugiles etiam quum feriunt, in iactandis cæstibus
ingemiscunt, quia profundenda voce omne corpus intenditur, venitque
plaga vehementior. Nous auons assez de travail du mal, sans
nous trauailler à ces regles superflues.   Ce que ie dis pour excuser1
ceux, qu’on voit ordinairement se tempester, aux secousses et
assaux de cette maladie: car pour moy, ie l’ay passée iusques à
cette heure auec vn peu meilleure contenance et me contente de
gemir sans brailler. Non pourtant que ie me mette en peine, pour
maintenir cette decence exterieure: car ie fay peu de compte d’vn
tel aduantage. Ie preste en cela au mal autant qu’il veut: mais ou
mes douleurs ne sont pas si excessiues, ou i’y apporte plus de fermeté
que le commun. Ie me plains, Ie me despite, quand les aigres
pointures me pressent, mais ie n’en viens point au desespoir, comme
celuy là:2

Eiulatu, questu, gemitu, fremitibus
Resonando multum flebiles voces refert.

Ie me taste au plus espais du mal: et ay tousiours trouué que i’estoy
capable de dire, de penser, de respondre aussi sainement qu’en
vne autre heure, mais non si constamment: la douleur me troublant
et destournant. Quand on me tient le plus atterré, et que les
assistans m’espargnent, i’essaye souuent mes forces et leur entame
moy-mesme des propos les plus esloignez de mon estat. Ie puis
tout par vn soudain effort: mais ostez en la durée. O que n’ay ie la
faculté de ce songeur de Cicero, qui, songeant embrasser vne garse,3
trouua qu’il s’estoit deschargé de sa pierre emmy ses draps! Les
miennes me desgarsent estrangement. Aux interualles de cette douleur
excessiue lors que mes vreteres languissent sans me ronger, ie
me remets soudain en ma forme ordinaire: d’autant que mon ame
ne prend autre alarme, que la sensible et corporelle. Ce que ie doy
certainement au soing que i’ay eu à me preparer par discours à tels
accidens:

Laborum
Nulla mihi noua nunc facies inopináque surgit;
Omnia præcepi, atque animo mecum antè peregi.4

Ie suis essayé pourtant vn peu bien rudement pour vn apprenti, et
d’vn changement bien soudain et bien rude: estant cheu tout
à coup, d’vne tres-douce condition de vie, et tres-heureuse, à la
plus douloureuse, et penible, qui se puisse imaginer. Car outre ce
que c’est vne maladie bien fort à craindre d’elle mesme, elle fait
en moy ses commencemens beaucoup plus aspres et difficiles qu’elle
n’a accoustumé. Les accés me reprennent si souuent, que ie ne sens
quasi plus d’entiere santé: ie maintien toutesfois, iusques à cette
heure, mon esprit en telle assiette, que pourueu que i’y puisse apporter
de la constance, ie me treuue en assez meilleure condition1
de vie, que mille autres, qui n’ont ny fiéure, ny mal, que celuy qu’ils
se donnent eux mesmes, par la faute de leurs discours.   Il est
certaine façon d’humilité subtile, qui naist de la presomption:
comme ceste-cy: Que nous recognoissons nostre ignorance, en plusieurs
choses, et sommes si courtois d’auoüer, qu’il y ait és ouurages
de Nature, aucunes qualitez et conditions, qui nous sont imperceptibles,
et desquelles nostre suffisance ne peut descouurir les
moyens et les causes. Par cette honneste et conscientieuse declaration,
nous esperons gaigner qu’on nous croira aussi de celles, que
nous dirons, entendre. Nous n’auons que faire d’aller trier des miracles2
et des difficultez estrangeres: il me semble que parmy les
choses que nous voyons ordinairement, il y a des estrangetez si
incomprehensibles, qu’elles surpassent toute la difficulté des miracles.
Quel monstre est-ce, que cette goutte de semence, dequoy
nous sommes produits, porte en soy les impressions, non de la
forme corporelle seulement, mais des pensemens et des inclinations
de nos peres? Cette goutte d’eau, où loge elle ce nombre infiny
de formes? et comme portent elles ces ressemblances, d’vn progrez
si temeraire et si desreglé, que l’arriere fils respondra à son bisayeul,
le nepueu à l’oncle? En la famille de Lepidus à Rome, il y3
en a eu trois, non de suite, mais par interualles, qui nasquirent vn
mesme œuil couuert de cartilage. A Thebes il y auoit vne race qui
portoit dés le ventre de la mere, la forme d’vn fer de lance, et qui
ne le portoit, estoit tenu illegitime. Aristote dit qu’en certaine nation,
où les femmes estoient communes, on assignoit les enfans à
leurs peres, par la ressemblance.   Il est à croire que ie dois à mon
pere cette qualité pierreuse: car il mourut merueilleusement affligé
d’vne grosse pierre, qu’il auoit en la vessie. Il ne s’apperceut de son
mal, que le soixante septiesme an de son aage: et auant cela il
n’en auoit eu aucune menasse ou ressentiment, aux reins, aux costez,
ny ailleurs: et auoit vescu iusques lors, en vne heureuse santé,
et bien peu subiette à maladies, et dura encores sept ans en ce mal,
trainant vne fin de vie bien douloureuse. I’estoy nay vingt cinq ans
et plus, auant sa maladie, et durant le cours de son meilleur estat,
le troisiesme de ses enfans en rang de naissance. Où se couuoit
tant de temps, la propension à ce defaut? Et lors qu’il estoit si1
loing du mal, cette legere piece de sa substance, dequoy il me bastit,
comment en portoit elle pour sa part, vne si grande impression?
Et comment encore si couuerte, que quarante cinq ans apres,
i’aye commencé à m’en ressentir? seul iusques à cette heure, entre
tant de freres, et de sœurs, et tous d’vne mere. Qui m’esclaircira de
ce progrez, ie le croiray d’autant d’autres miracles qu’il voudra:
pourueu que, comme ils font, il ne me donne en payement, vne
doctrine beaucoup plus difficile et fantastique, que n’est la chose
mesme.   Que les medecins excusent vn peu ma liberté: car par
cette mesme infusion et insinuation fatale, i’ay receu la haine et le2
mespris de leur doctrine. Cette antipathie, que i’ay à leur art, m’est
hereditaire. Mon pere a vescu soixante et quatorze ans, mon ayeul
soixante et neuf, mon bisayeul pres de quatre vingts, sans auoir
gousté aucune sorte de medecine. Et entre eux, tout ce qui n’estoit
de l’vsage ordinaire, tenoit lieu de drogue. La medecine se forme
par exemples et experience: aussi fait mon opinion. Voyla pas vne
bien expresse experience, et bien aduantageuse? Ie ne sçay s’ils
m’en trouueront trois en leurs registres, nais, nourris, et trespassez,
en mesme fouïer, mesme toict, ayans autant vescu par leur
conduite. Il faut qu’ils m’aduoüent en cela, que si ce n’est la raison,3
aumoins que la Fortune est de mon party: or chez les medecins,
Fortune vaut bien mieux que la raison. Qu’ils ne me prennent point
à cette heure à leur aduantage, qu’ils ne me menassent point,
atterré comme ie suis: ce seroit supercherie. Aussi à dire la verité,
i’ay assez gaigné sur eux par mes exemples domestiques, encore
qu’ils s’arrestent là. Les choses humaines n’ont pas tant de constance:
il y a deux cens ans, il ne s’en faut que dix-huict, que cet
essay nous dure: car le premier nasquit l’an mil quatre cens deux.
C’est vrayment bien raison, que cette experience commence à nous
faillir. Qu’ils ne me reprochent point les maux, qui me tiennent4
asteure à la gorge: d’auoir vescu sain quarante sept ans pour ma
part, n’est-ce pas assez? Quand ce sera le bout de ma carriere, elle
est des plus longues.   Mes ancestres auoient la medecine à contre-cœur
par quelque inclination occulte et naturelle, car la veuë
mesme des drogues faisoit horreur à mon pere. Le Seigneur de
Gauiac mon oncle paternel, homme d’Eglise, maladif dés sa naissance,
et qui fit toutesfois durer cette vie debile, iusques à soixante
sept ans, estant tombé autrefois en vne grosse et vehemente fiéure
continue, il fut ordonné par les medecins, qu’on luy declaireroit,
s’il ne se vouloit ayder (ils appellent secours ce qui le plus souuent
est empeschement) qu’il estoit infailliblement mort. Ce bon homme,1
tout effrayé comme il fut de cette horrible sentence: Si, respondit-il,
ie suis donq mort: mais Dieu rendit tantost apres vain ce prognostique.
Le dernier des freres, ils estoyent quatre, Sieur de Bussaguet,
et de bien loing le dernier, se soubmit seul, à cet art: pour
le commerce, ce croy-ie, qu’il auoit auec les autres arts: car il
estoit conseiller en la cour de parlement: et luy succeda si mal,
qu’estant par apparence de plus forte complexion, il mourut pourtant
long temps auant les autres, sauf vn, le Sieur de Sainct Michel.
   Il est possible que i’ay receu d’eux cette dyspathie naturelle
à la medecine: mais s’il n’y eust eu que cette consideration, i’eusse2
essayé de la forcer. Car toutes ces conditions, qui naissent en nous
sans raison, elles sont vitieuses: c’est vne espece de maladie qu’il
faut combattre. Il peult estre, que i’y auois cette propension, mais
ie l’ay appuyée et fortifiée par les discours, qui m’en ont estably
l’opinion que i’en ay. Car ie hay aussi cette consideration de refuser
la medecine pour l’aigreur de son goust. Ce ne seroit aysément
mon humeur, qui trouue la santé digne d’estre r’achetée, par tous
les cauteres et incisions les plus penibles qui se facent. Et suyuant
Epicurus, les voluptez me semblent à euiter, si elles tirent à leurs
suittes des douleurs plus grandes: et les douleurs à rechercher,3
qui tirent à leur suitte des voluptez plus grandes. C’est vne pretieuse
chose, que la santé: et la seule qui merite à la verité qu’on
y employe, non le temps seulement, la sueur, la peine, les biens,
mais encore la vie à sa poursuite: d’autant que sans elle, la vie
nous vient à estre iniurieuse. La volupté, la sagesse, la science et
la vertu, sans elle se ternissent et esuanouyssent. Et aux plus
fermes et tendus discours, que la philosophie nous veuille imprimer
au contraire, nous n’auons qu’à opposer l’image de Platon,
estant frappé du haut mal, ou d’vne apoplexie: et en cette presupposition
le deffier d’appeller à son secours les riches facultez de4
son ame. Toute voye qui nous meneroit à la santé, ne se peut dire
pour moy ny aspre, ny chere. Mais i’ay quelques autres apparences,
qui me font estrangement deffier de toute cette marchandise. Ie ne
dy pas qu’il n’y en puisse auoir quelque art: qu’il n’y ait parmy
tant d’ouurages de Nature, des choses propres à la conseruation de
nostre santé, cela est certain. I’entends bien, qu’il y a quelque simple
qui humecte, quelque autre qui asseche: ie sçay par experience,
et que les refforts produisent des vents, et que les feuilles
du sené laschent le ventre: ie sçay plusieurs telles experiences:
comme ie sçay que le mouton me nourrit, et que le vin m’eschauffe.1
Et disoit Solon, que le manger estoit, comme les autres drogues,
vne medecine contre la maladie de la faim. Ie ne desaduouë pas
l’vsage, que nous tirons du monde, ny ne doubte de la puissance et
vberté de Nature, et de son application à nostre besoing. Ie vois
bien que les brochets, et les arondes se trouuent bien d’elle. Ie me
deffie des inuentions de nostre esprit: de nostre science et art: en
faueur duquel nous l’auons abandonnée, et ses regles: et auquel
nous ne sçauons tenir moderation, ny limite. Comme nous appellons
iustice, le pastissage des premieres loix qui nous tombent en
main, et leur dispensation et pratique, tres inepte souuent et tres2
inique. Et comme ceux, qui s’en moquent, et qui l’accusent, n’entendent
pas pourtant iniurier cette noble vertu: ains condamner
seulement l’abus et profanation de ce sacré titre. De mesme, en la
medecine, i’honore bien ce glorieux nom, sa proposition, sa promesse,
si vtile au genre humain: mais ce qu’il designe entre nous,
ie ne l’honore, ny l’estime   En premier lieu l’experience me le
fait craindre: car de ce que i’ay de cognoissance, ie ne voy nulle
race de gens si tost malade, et si tard guerie, que celle qui est
soubs la iurisdiction de la medecine. Leur santé mesme est alterée
et corrompue, par la contrainte des regimes. Les medecins ne se3
contentent point d’auoir la maladie en gouuernement, ils rendent
la santé malade, pour garder qu’on ne puisse en aucune saison
eschapper leur authorité. D’vne santé constante et entiere, n’en
tirent ils pas l’argument d’vne grande maladie future? I’ay esté
assez souuent malade: i’ay trouué sans leurs secours, mes maladies
aussi douces à supporter (et en ay essayé quasi de toutes les
sortes) et aussi courtes, qu’à nul autre: et si n’y ay point meslé
l’amertume de leurs ordonnances. La santé, ie l’ay libre et entiere,
sans regle, et sans autre discipline, que de ma coustume et de mon
plaisir. Tout lieu m’est bon à m’arrester: car il ne me faut autres4
commoditez estant malade, que celles qu’il me faut estant sain. Ie
ne me passionne point d’estre sans medecin, sans apotiquaire, et
sans secours: dequoy i’en voy la plus part plus affligez que du
mal. Quoy? eux mesmes nous font ils voir de l’heur et de la durée
en leur vie, qui nous puisse tesmoigner quelque apparent effect de
leur science?   Il n’est nation qui n’ait esté plusieurs siecles sans la
medecine: et les premiers siecles, c’est à dire les meilleurs et les
plus heureux: et du monde la dixiesme partie ne s’en sert pas encores
à cette heure. Infinies nations ne la cognoissent pas, où l’on
vit et plus sainement, et plus longuement, qu’on ne fait icy: et
parmy nous, le commun peuple s’en passe heureusement. Les Romains1
auoyent esté six cens ans, auant que de la receuoir: mais
apres l’auoir essayée, ils la chasserent de leur ville, par l’entremise
de Caton le Censeur, qui montra combien aysément il s’en pouuoit
passer, ayant vescu quatre vingts et cinq ans: et faict viure sa
femme iusqu’à l’extreme vieillesse, non pas sans medecine: mais
ouy bien sans medecin: car toute chose qui se trouue salubre à
nostre vie, se peut nommer medecine. Il entretenoit, ce dit Plutarque,
sa famille en santé, par l’vsage, ce me semble, du lieure.
Comme les Arcades, dit Pline, guerissent toutes maladies auec du
laict de vache. Et les Lybiens, dit Herodote, iouyssent populairement2
d’vne rare santé, par cette coustume qu’ils ont: apres que
leurs enfants ont atteint quatre ans, de leur causterizer et brusler
les veines du chef et des temples: par où ils coupent chemin pour
leur vie, à toute defluxion de rheume. Et les gens de village de ce
pays, à tous accidens n’employent que du vin le plus fort qu’ils
peuuent, meslé à force safran et espice: tout cela auec vne fortune
pareille.   Et à dire vray, de toute cette diuersité et confusion
d’ordonnances, quelle autre fin et effect apres tout y a il, que de
vuider le ventre? ce que mille simples domestiques peuuent faire.
Et si ne sçay si c’est si vtilement qu’ils disent: et si nostre nature3
n’a point besoing de la residence de ses excremens, iusques à certaine
mesure, comme le vin a de sa lie pour sa conseruation. Vous
voyez souuent des hommes sains, tomber en vomissemens, ou flux
de ventre par accident estranger, et faire vn grand vuidange d’excremens
sans besoin aucun precedent, et sans aucune vtilité
suyuante, voire auec empirement et dommage. C’est du grand Platon,
que i’apprins n’agueres, que de trois sortes de mouuements,
qui nous appartiennent, le dernier et le pire est celuy des purgations:
que nul homme, s’il n’est fol, ne doit entreprendre, qu’à
l’extreme necessité. On va troublant et esueillant le mal par oppositions
contraires. Il faut que ce soit la forme de viure, qui doucement
l’allanguisse et reconduise à sa fin. Les violentes harpades
de la drogue et du mal, sont tousiours à nostre perte, puis que la
querelle se desmesle chez nous, et que la drogue est vn secours infiable:
de sa nature ennemy à nostre santé, et qui n’a accez en1
nostre estat que par le trouble. Laissons vn peu faire. L’ordre qui
pouruoid aux puces et aux taulpes, pouruoid aussi aux hommes,
qui ont la patience pareille, à se laisser gouuerner, que les puces
et les taulpes. Nous auons beau crier bihore: c’est bien pour nous
enroüer, mais non pour l’auancer. C’est vn ordre superbe et impiteux.
Nostre crainte, nostre desespoir, le desgouste et retarde de
nostre ayde, au lieu de l’y conuier. Il doibt au mal son cours,
comme à la santé. De se laisser corrompre en faueur de l’vn, au
preiudice des droits de l’autre, il ne le fera pas: il tomberoit
en desordre. Suyuons de par Dieu, suyuons. Il meine ceux qui2
suyuent: ceux qui ne le suyuent pas, il les entraine, et leur rage,
et leur medecine ensemble. Faittes ordonner vne purgation à vostre
ceruelle. Elle y sera mieux employée, qu’à vostre estomach.   On
demandoit à vn Lacedemonien, qui l’auoit fait viure sain si long
temps: L’ignorance de la medecine, respondit-il. Et Adrian l’Empereur
crioit sans cesse en mourant, que la presse des medecins
l’auoit tué. Vn mauuais luicteur se fit medecin: Courage, luy dit
Diogenes, tu as raison, tu mettras à cette heure en terre ceux qui
t’y ont mis autresfois. Mais ils ont cet heur, selon Nicocles, que le
soleil esclaire leur succez, et la terre cache leur faute.   Et outre3
cela, ils ont vne façon bien auantageuse, à se seruir de toutes sortes
d’euenemens: car ce que la Fortune, ce que la Nature, ou
quelque autre cause estrangere, desquelles le nombre est infini,
produit en nous de bon et de salutaire, c’est le priuilege de la medecine
de se l’attribuer. Tous les heureux succez qui arriuent au
patient, qui est soubs son regime, c’est d’elle qu’il les tient. Les
occasions qui m’ont guery moy, et qui guerissent mille autres, qui
n’appellent point les medecins à leurs secours, ils les vsurpent en
leurs subiects. Et quant aux mauuais accidens, ou ils les desaduoüent
tout à fait, en attribuant la coulpe au patient, par des raisons
si vaines, qu’ils n’ont garde de faillir d’en trouuer tousiours
assez bon nombre de telles: Il a descouuert son bras, il a ouy le
bruit d’vn coche:

Rhedarum transitus arcto
Vicorum inflexu:

on a entrouuert sa fenestre, il s’est couché sur le costé gauche, ou
passé par sa teste quelque pensement penible. Somme vne parolle,
vn songe, vne œuillade, leur semble suffisante excuse pour se descharger
de faute. Ou, s’il leur plaist, ils se seruent encore de cet1
empirement, et en font leurs affaires, par cet autre moyen qui ne
leur peut iamais faillir: c’est de nous payer lors que la maladie se
trouue reschaufee par leurs applications, de l’asseurance qu’ils
nous donnent, qu’elle seroit bien autrement empirée sans leurs
remedes. Celuy qu’ils ont ietté d’vn morfondement en vne fieure
quotidienne, il eust eu sans eux, la continue. Ils n’ont garde de
faire mal leurs besongnes, puis que le dommage leur reuient à
profit. Vrayement ils ont raison de requerir du malade, vne application
de creance fauorable: il faut qu’elle le soit à la verité en
bon escient, et bien souple, pour s’appliquer à des imaginations si2
mal aisées à croire. Platon disoit bien à propos, qu’il n’appartenoit
qu’aux medecins de mentir en toute liberté, puis que nostre salut
despend de la vanité, et fauceté de leurs promesses. Æsope autheur
de tres-rare excellence, et duquel peu de gens descouurent
toutes les graces, est plaisant à nous representer cette authorité
tyrannique, qu’ils vsurpent sur ces pauures ames affoiblies et abatuës
par le mal, et la crainte: car il conte, qu’un malade estant
interrogé par son medecin, quelle operation il sentoit des medicamens,
qu’il luy auoit donnez: I’ay fort sué, respondit-il. Cela est
bon, dit le medecin. Vne autre fois il luy demanda encore, comme3
il s’estoit porté depuis: I’ay eu vn froid extreme, fit-il, et si ay fort
tremblé. Cela est bon, suyuit le medecin: à la troisieme fois, il luy
demanda de rechef, comment il se portoit: Ie me sens, dit-il,
enfler et bouffir comme d’hydropisie. Voyla qui va bien, adiousta
le medecin. L’vn de ses domestiques venant apres à s’enquerir à
luy de son estat: Certes mon amy, respond-il, à force de bien
estre, ie me meurs.   Il y auoit en Ægypte vne loy plus iuste, par
laquelle le medecin prenoit son patient en charge les trois premiers
iours, aux perils et fortunes du patient: mais les trois iours passez,
c’estoit aux siens propres. Car quelle raison y a-il, qu’Æsculapius4
leur patron ait esté frappé du foudre, pour auoir r’amené
Hypolitus de mort à vie,

Nam Pater omnipotens aliquem indignatus ab vmbris
Mortalem infernis, ad lumina surgere vitæ,
Ipse repertorem medicinæ talis et artis,
Fulmine Phœbigenam Stygias detrusit ad vndas:

et ses suyuans soyent absous, qui enuoyent tant d’ames de la vie à
la mort? Vn medecin vantoit à Nicoclés, son art estre de grande
auctorité: Vrayement c’est mon, dit Nicoclés, qui peut impunement
tuer tant de gens.   Au demeurant, si i’eusse esté de leur1
conseil, i’eusse rendu ma discipline plus sacrée et mysterieuse: ils
auoyent assez bien commencé, mais ils n’ont pas acheué de mesme.
C’estoit vn bon commencement, d’auoir fait des dieux et des dæmons
autheurs de leur science, d’auoir pris vn langage à part, vne escriture
à part. Quoy qu’en sente la philosophie, que c’est folie de
conseiller vn homme pour son profit, par maniere non intelligible:
Vt sî quis medicus imperet vt sumat

Terrigenam, herbigradam, domiportam, sanguine cassam.

C’estoit vne bonne regle en leur art, et qui accompagne toutes les
arts fanatiques, vaines, et supernaturelles, qu’il faut que la foy du2
patient, preoccupe par bonne esperance et asseurance, leur effect
et operation. Laquelle regle ils tiennent iusques là, que le plus
ignorant et grossier medecin, ils le trouuent plus propre à celuy,
qui a fiance en luy, que le plus experimenté, et incognu. Le choix
mesmes de la plus part de leurs drogues est aucunement mysterieux
et diuin. Le pied gauche d’vne tortue, l’vrine d’vn lezart, la fiante
d’vn elephant, le foye d’vne taupe, du sang tiré soubs l’aile droite
d’vn pigeon blanc: et pour nous autres coliqueux (tant ils abusent
desdaigneusement de nostre misere) des crottes de rat puluerisées,
et telles autres singeries, qui ont plus le visage d’vn enchantement3
magicien, que de science solide. Ie laisse à part le nombre imper
de leurs pillules: la destination de certains iours et festes de l’année:
la distinction des heures, à cueillir les herbes de leurs ingrediens:
et cette grimace rebarbatiue et prudente, de leur port et
contenance, dequoy Pline mesme se mocque. Mais ils ont failly,
veux-ie dire, de ce qu’à ce beau commencement, ils n’ont adiousté
cecy, de rendre leurs assemblées et consultations plus religieuses et
secretes: aucun homme profane n’y deuoit auoir accez, non plus
qu’aux secretes ceremonies d’Æsculape. Car il aduient de cette
faute, que leur irresolution, la foiblesse de leurs argumens, diuinations
et fondements, l’aspreté de leurs contestations, pleines de
haine, de ialousie, et de consideration particuliere, venants à estre
descouuertes à vn chacun, il faut estre merueilleusement aueugle,
si on ne se sent bien hazardé entre leurs mains. Qui vid iamais
medecin se seruir de la recepte de son compagnon, sans y retrancher
ou adiouster quelque chose? Ils trahissent assez par là leur
art: et nous font voir qu’ils y considerent plus leur reputation, et
par consequent leur profit, que l’interest de leurs patiens. Celuy là
de leurs docteurs est plus sage, qui leur a anciennement prescript,1
qu’vn seul se mesle de traiter vn malade: car s’il ne fait rien qui
vaille, le reproche à l’art de la medecine, n’en sera pas fort grand
pour la faute d’vn homme seul: et au rebours, la gloire en sera
grande, s’il vient à bien rencontrer: là où quand ils sont beaucoup,
ils descrient à tous les coups le mestier: d’autant qu’il leur aduient
de faire plus souuent mal que bien. Ils se deuoient contenter du
perpetuel desaccord, qui se trouue és opinions des principaux
maistres et autheurs anciens de cette science, lequel n’est cogneu
que des hommes versez aux liures, sans faire voir encore au peuple
les controuerses et inconstances de iugement, qu’ils nourrissent et2
continuent entre eux   Voulons nous vn exemple de l’ancien debat
de la medecine? Hierophilus loge la cause originelle des maladies
aux humeurs: Erasistratus, au sang des arteres: Asclepiades, aux
atomes inuisibles s’escoulants en noz pores: Alcmæon, en l’exuperance
ou deffaut des forces corporelles: Diocles, en l’inequalité
des elemens du corps, et en la qualité de l’air, que nous respirons:
Strato, en l’abondance, crudité, et corruption de l’alimant que nous
prenons: Hippocrates la loge aux esprits. Il y a l’vn de leurs amis,
qu’ils cognoissent mieux que moy, qui s’escrie à ce propos, que la
science la plus importante qui soit en nostre vsage, comme celle3
qui a charge de nostre conseruation et santé, c’est de mal’heur, la
plus incertaine, la plus trouble, et agitée de plus de changemens.
Il n’y a pas grand danger de nous mescomter à la hauteur du soleil,
ou en la fraction de quelque supputation astronomique: mais
icy, où il va de tout nostre estre, ce n’est pas sagesse, de nous
abandonner à la mercy de l’agitation de tant de vents contraires.
Auant la guerre Peloponnesiaque, il n’estoit pas grands nouuelles
de cette science: Hippocrates la mit en credit: tout ce que
cettuy-cy auoit estably, Chrysippus le renuersa: depuis Erasistratus
petit fils d’Aristote, tout ce que Chrysippus en auoit escrit.
Apres ceux-cy, suruindrent les Empiriques, qui prindrent vne voye
toute diuerse des anciens, au maniement de cet art. Quand le credit
de ces derniers commença à s’enuieillir, Herophilus mit en
vsage vne autre sorte de medecine, qu’Asclepiades vint à combattre
et aneantir à son tour. A leur reng gaignerent authorité les opinions
de Themison, et depuis de Musa, et encore apres celles de
Vexius Valens, medecin fameux par l’intelligence qu’il auoit auec
Messalina. L’empire de la medecine tomba du temps de Neron à
Thessalus, qui abolit et condamna tout ce qui en auoit esté tenu1
iusques à luy. La doctrine de cettuy-cy fut abbattue par Crinas de
Marseille, qui apporta de nouueau, de regler toutes les operations
medecinales, aux ephemerides et mouuemens des astres, manger,
dormir, et boire à l’heure qu’il plairoit à la lune et à Mercure. Son
authorité fut bien tost apres supplantée par Charinus, medecin de
cette mesme ville de Marseille. Cettuy-cy combattoit non seulement
la medecine ancienne, mais encore l’vsage des bains chauds, public,
et tant de siecles auparauant accoustumé. Il faisoit baigner
les hommes dans l’eau froide, en hyuer mesme, et plongeoit les
malades dans l’eau naturelle des ruisseaux. Iusques au temps de2
Pline aucun Romain n’auoit encore daigné exercer la medecine:
elle se faisoit par des estrangers, et Grecs: comme elle se fait entre
nous François, par des Latineurs. Car comme dit vn tres-grand
medecin, nous ne receuons pas aisément la medecine que nous entendons;
non plus que la drogue que nous cueillons. Si les nations,
desquelles nous retirons le gayac, la salseperille, et le bois d’esquine,
ont des medecins, combien pensons nous par cette mesme
recommendation de l’estrangeté, la rareté, et la cherté, qu’ils
façent feste de noz choulx, et de nostre persil? car qui oseroit
mespriser les choses recherchées de si loing, au hazard d’vne si3
longue peregrination et si perilleuse? Depuis ces anciennes mutations
de la medecine, il y en a eu infinies autres iusques à nous; et
le plus souuent mutations entieres et vniuerselles; comme sont
celles que produisent de nostre temps, Paracelse, Fiorauanti et Argenterius:
car ils ne changent pas seulement vne recepte, mais, à
ce qu’on me dit, toute la contexture et police du corps de la medecine,
accusans d’ignorance et de pipperie, ceux qui en ont faict
profession iusques à eux. Ie vous laisse à penser où en est le pauure
patient.   Si encor nous estions asseurez, quand ils se mescontent,
qu’il ne nous nuisist pas, s’il ne nous profite; ce seroit4
vne bien raisonnable composition, de se hazarder d’acquerir du
bien, sans se mettre en danger de perte. Æsope faict ce comte,
qu’vn qui auoit acheté vn More esclaue, estimant que cette couleur
luy fust venue par accident, et mauuais traictement de son premier
maistre, le fit medeciner de plusieurs bains et breuuages, auec
grand soing: il aduint, que le More n’en amenda aucunement sa
couleur basanee, mais qu’il en perdit entierement sa premiere
santé. Combien de fois nous aduient-il, de voir les medecins imputans
les vns aux autres, la mort de leurs patiens? Il me souuient
d’vne maladie populaire, qui fut aux villes de mon voisinage, il y a
quelques années, mortelle et tres-dangereuse: cet orage estant1
passé, qui auoit emporté vn nombre infiny d’hommes; l’vn des plus
fameux medecins de toute la contrée, vint à publier vn liuret, touchant
cette matiere, par lequel il se rauise, de ce qu’ils auoyent
vsé de la saignée, et confesse que c’est l’vne des causes principales
du dommage, qui en estoit aduenu. Dauantage leurs autheurs tiennent,
qu’il n’y a aucune medecine, qui n’ait quelque partie nuisible.
Et si celles mesmes qui nous seruent, nous offencent aucunement,
que doiuent faire celles qu’on nous applique du tout hors de
propos? De moy, quand il n’y auroit autre chose, i’estime qu’à ceux
qui hayssent le goust de la medecine, ce soit vn dangereux effort,2
et de preiudice, de l’aller aualler à vne heure si incommode, auec
tant de contre-cœur: et croy que cela essaye merueilleusement le
malade, en vne saison, où il a tant besoin de repos. Outre ce, qu’à
considerer les occasions, surquoy ils fondent ordinairement la
cause de noz maladies, elles sont si legeres et si delicates, que
i’argumente par là, qu’vne bien petite erreur en la dispensation de
leurs drogues, peut nous apporter beaucoup de nuisance. Or si le
mescomte du medecin est dangereux, il nous va bien mal: car il
est bien mal-aisé qu’il n’y retombe souuent: il a besoin de trop de
pieces, considerations, et circonstances, pour affuster iustement3
son dessein. Il faut qu’il cognoisse la complexion du malade, sa
temperature, ses humeurs, ses inclinations, ses actions, ses pensements
mesmes, et ses imaginations. Il faut qu’il se responde des
circonstances externes, de la nature du lieu, condition de l’air et
du temps, assiette des planetes, et leurs influances: qu’il sçache en
la maladie les causes, les signes, les affections, les iours critiques:
en la drogue, le poix, la force, le pays, la figure, l’aage, la dispensation:
et faut que toutes ces pieces, il les sçache proportionner et
rapporter l’vne à l’autre, pour en engendrer vne parfaicte symmetrie.
A quoy s’il faut tant soit peu, si de tant de ressorts, il y en a4
vn tout seul, qui tire à gauche, en voyla assez pour nous perdre.
Dieu sçait, de quelle difficulté est la cognoissance de la pluspart
de ces parties: car pour exemple, comment trouuera-il le signe
propre de la maladie; chacune estant capable d’vn infiny nombre
de signes? Combien ont ils de debats entr’eux et de doubtes, sur
l’interpretation des vrines? Autrement d’où viendroit cette altercation
continuelle que nous voyons entr’eux sur la cognoissance du
mal? Comment excuserions nous cette faute, où ils tombent si souuent,
de prendre martre pour renard? Aux maux, que i’ay eu, pour
peu qu’il y eust de difficulté, ie n’en ay iamais trouué trois d’accord.
Ie remarque plus volontiers les exemples qui me touchent.
Dernierement à Paris vn Gentil-homme fut taillé par l’ordonnance1
des medecins, auquel on ne trouua de pierre non plus à la vessie,
qu’à la main; et là mesmes, vn Euesque qui m’estoit fort amy,
auoit esté instamment sollicité par la pluspart des medecins, qu’il
appelloit à son conseil, de se faire tailler: i’aydoy moy mesme
soubs la foy d’autruy, à le luy suader: quand il fut trespassé, et
qu’il fut ouuert, on trouua qu’il n’auoit mal qu’aux reins. Ils sont
moins excusables en cette maladie, d’autant qu’elle est aucunement
palpable. C’est par là que la chirurgie me semble beaucoup plus
certaine, par ce qu’elle voit et manie ce qu’elle fait; il y a moins à
coniecturer et à deuiner. Là où les medecins n’ont point de speculum2
matricis, qui leur descouure nostre cerueau, nostre poulmon,
et nostre foye.   Les promesses mesmes de la medecine sont incroyables.
Car ayant à prouuoir à diuers accidents et contraires,
qui nous pressent souuent ensemble, et qui ont vne relation quasi
necessaire, comme la chaleur du foye, et froideur de l’estomach,
ils nous vont persuadant que de leurs ingrediens, cettuy-cy eschauffera
l’estomach, cet autre refraichira le foye: l’vn a sa charge
d’aller droit aux reins, voire iusques à la vessie, sans estaler ailleurs
ses operations; et conseruant ses forces et sa vertu, en ce
long chemin et plein de destourbiers, iusques au lieu, au seruice3
duquel il est destiné, par sa proprieté occulte: l’autre assechera le
cerueau: celuy là humectera le poulmon. De tout cet amas, ayant
fait vne mixtion de breuuage, n’est-ce pas quelque espece de resuerie,
d’esperer que ces vertus s’aillent diuisant, et triant de cette
confusion et meslange, pour courir à charges si diuerses? Ie craindrois
infiniement qu’elles perdissent, ou eschangeassent leurs ethiquettes,
et troublassent leurs quartiers. Et qui pourroit imaginer,
qu’en cette confusion liquide, ces facultez ne se corrompent, confondent,
et alterent l’vne l’autre? Quoy, que l’execution de cette
ordonnance despend d’vn autre officier, à la foy et mercy duquel
nous abandonnons encore vn coup nostre vie?   Comme nous
auons des pourpointiers, des chaussetiers pour nous vestir; et en
sommes d’autant mieux seruis, que chacun ne se mesle que de son
subiect, et a sa science plus restreinte et plus courte, que n’a vn
tailleur, qui embrasse tout. Et comme, à nous nourrir, les grands,
pour plus de commodité ont des offices distinguez de potagers et1
de rostisseurs, dequoy vn cuisinier, qui prend la charge vniuerselle,
ne peut si exquisement venir à bout. De mesme à nous guairir,
les Ægyptiens auoient raison de reiecter ce general mestier de
medecin, et descoupper cette profession à chasque maladie, à
chasque partie du corps son œuurier. Car cette partie en estoit
bien plus proprement et moins confusement traictée, de ce qu’on
ne regardoit qu’à elle specialement. Les nostres ne s’aduisent pas,
que, qui pouruoid à tout, ne pouruoid à rien: que la totale police
de ce petit monde, leur est indigestible. Cependant qu’ils craignent
d’arrester le cours d’vn dysenterique, pour ne luy causer la fieure,2
ils me tuerent vn amy, qui valoit mieux, que tout tant qu’ils sont.
Ils mettent leurs diuinations au poids, à l’encontre des maux presents:
et pour ne guarir le cerueau au preiudice de l’estomach,
offencent l’estomach, et empirent le cerueau, par ces drogues tumultuaires
et dissentieuses.   Quant à la varieté et foiblesse des
raisons de cet’ art, elle est plus apparente qu’en aucun’ autre art.
Les choses aperitiues sont vtiles à vn homme coliqueux, d’autant
qu’ouurans les passages et les dilatans, elles acheminent cette
matiere gluante, de laquelle se bastit la graue, et la pierre, et conduisent
contre-bas, ce qui se commence à durcir et amasser aux3
reins. Les choses aperitiues sont dangereuses à vn homme coliqueux,
d’autant qu’ouurans les passages et les dilatans, elles acheminent
vers les reins, la matiere propre à bastir la graue, lesquels
s’en saisissans volontiers pour cette propension qu’ils y ont, il est
mal aisé qu’ils n’en arrestent beaucoup de ce qu’on y aura charrié.
D’auantage, si de fortune il s’y rencontre quelque corps, vn peu
plus grosset qu’il ne faut pour passer tous ces destroicts, qui
restent à franchir pour l’expeller au dehors, ce corps estant esbranlé
par ces choses aperitiues, et ietté dans ces canaux estroits,
venant à les boucher, acheminera vne certaine mort et tres-douloureuse.
Ils ont vne pareille fermeté aux conseils qu’ils nous donnent
de nostre regime de viure: il est bon de tomber souuent de
l’eau, car nous voyons par experience, qu’en la laissant croupir,
nous luy donnons loisir de se descharger de ses excremens, et de
sa lye, qui seruira de matiere à bastir la pierre en la vessie: il est1
bon de ne tomber point souuent de l’eau, car les poisans excrements
qu’elle traine quant et elle, ne s’emporteront point, s’il n’y
a de la violence, comme on void par experience, qu’vn torrent qui
roule auecques roideur, baloye bien plus nettement le lieu où il
passe, que ne fait le cours d’vn ruisseau mol et lasche. Pareillement,
il est bon d’auoir souuent affaire aux femmes, car cela ouure
les passages, et achemine la graue et le sable. Il est bien aussi
mauuais, car cela eschauffe les reins, les lasse et affoiblit. Il est
bon de se baigner aux eaux chaudes, d’autant que cela relasche et
amollit les lieux, où se croupit le sable et la pierre. Mauuais aussi2
est-il, d’autant que cette application de chaleur externe, aide les
reins à cuire, durcir, et petrifier la matiere qui y est disposée. A
ceux qui sont aux bains, il est plus salubre de manger peu le soir,
affin que le breuuage des eaux qu’ils ont à prendre lendemain matin,
face plus d’operation, rencontrant l’estomach vuide, et non empesché.
Au rebours, il est meilleur de manger peu au disner, pour
ne troubler l’operation de l’eau, qui n’est pas encore parfaite, et ne
charger l’estomach si soudain, apres cet autre trauail, et pour
laisser l’office de digerer, à la nuict, qui le sçait mieux faire que
ne fait le iour, où le corps et l’esprit, sont en perpetuel mouuement3
et action. Voila comment ils vont bastelant, et baguenaudant à noz
despens en tous leurs discours, et ne me sçauroient fournir proposition,
à laquelle ie n’en rebastisse vne contraire, de pareille force.
Qu’on ne crie donc plus apres ceux qui en ce trouble, se laissent
doucement conduire à leur appetit et au conseil de Nature, et se
remettent à la fortune commune.   I’ay veu par occasion de mes
voyages, quasi tous les bains fameux de Chrestienté; et depuis
quelques années ay commencé à m’en seruir. Car en general i’estime
le baigner salubre, et croy que nous encourons non legeres
incommoditez, en nostre santé, pour auoir perdu cette coustume,
qui estoit generalement obseruée au temps passé, quasi en toutes
les nations, et est encores en plusieurs, de se lauer le corps tous
les iours: et ne puis pas imaginer que nous ne vaillions beaucoup
moins de tenir ainsi noz membres encroustez, et noz pores estouppez
de crasse. Et quant à leur boisson, la Fortune a faict premierement,
qu’elle ne soit aucunement ennemie de mon goust: secondement
elle est naturelle et simple, qui aumoins n’est pas
dangereuse, si elle est vaine. Dequoy ie prens pour respondant, cette1
infinité de peuples de toutes sortes et complexions, qui s’y assemble.
Et encores que ie n’y aye apperceu aucun effect extraordinaire et
miraculeux: ains que m’en informant vn peu plus curieusement
qu’il ne se faict, i’aye trouué mal fondez et faux, tous les bruits de
telles operations, qui se sement en ces lieux là, et qui s’y croyent
(comme le monde va se pippant aisément de ce qu’il desire) toutesfois
aussi, n’ay-ie veu guere de personnes que ces eaux ayent empiré;
et ne leur peut-on sans malice refuser cela, qu’elles n’esueillent
l’appetit, facilitent la digestion, et nous prestent quelque
nouuelle allegresse, si on n’y va par trop abbatu de forces; ce que2
ie desconseille de faire. Elles ne sont pas pour releuer vne poisante
ruyne: elles peuuent appuyer vne inclination legere, ou prouuoir à
la menace de quelque alteration. Qui n’y apporte assez d’allegresse,
pour pouuoir iouyr le plaisir des compagnies qui s’y trouuent, et
des promenades et exercices, à quoy nous conuie la beauté des
lieux, où sont communément assises ces eaux, il perd sans doubte
la meilleure piece et plus asseurée de leur effect. A cette cause i’ay
choisi iusques à cette heure, à m’arrester et à me seruir de celles,
où il y auoit plus d’amœnité de lieu, commodité de logis, de viures
et de compagnies, comme sont en France, les bains de Banieres:3
en la frontiere d’Allemaigne, et de Lorraine, ceux de Plombieres:
en Souysse, ceux de Bade: en la Toscane, ceux de Lucques; et specialement
ceux della Villa, desquels i’ay vsé plus souuent, et à
diuerses saisons.   Chasque nation a des opinions particulieres,
touchant leur vsage, et des loix et formes de s’en seruir, toutes diuerses:
et selon mon experience l’effect quasi pareil. Le boire n’est
aucunement receu en Allemaigne. Pour toutes maladies, ils se baignent,
et sont à grenouiller dans l’eau, quasi d’vn soleil à l’autre.
En Italie, quand ils boiuent neuf iours, ils s’en baignent pour le
moins trente; et communément boiuent l’eau mixtionnée d’autres4
drogues, pour secourir son operation. On nous ordonne icy, de
nous promener pour la digerer: là on les arreste au lict, où ils
l’ont prise, iusques à ce qu’ils l’ayent vuidée, leur eschauffant continuellement
l’estomach, et les pieds. Comme les Allemans ont de
particulier, de se faire generalement tous corneter et vantouser,
auec scarification dans le bain: ainsin ont les Italiens leurs doccie,
qui sont certaines gouttieres de cette eau chaude, qu’ils conduisent
par des cannes, et vont baignant vne heure le matin, et autant
l’apres disnée, par l’espace d’vn mois, ou la teste, ou l’estomach,
ou autre partie du corps, à laquelle ils ont affaire. Il y a infinies
autres differences de coustumes, en chasque contrée: ou pour
mieux dire, il n’y a quasi aucune ressemblance des vnes aux autres.1
Voylà comment cette partie de medecine, à laquelle seule ie
me suis laissé aller, quoy qu’elle soit la moins artificielle, si a elle
sa bonne part de la confusion et incertitude, qui se voit par tout
ailleurs en cet art.   Les poëtes disent tout ce qu’ils veulent, auec
plus d’emphase et de grace; tesmoing ces deux epigrammes.

Alcon hesterno signum Iouis attigit. Ille,
Quamuis marmoreus, vim patitur medici.
Ecce hodie iussus transferri ex æde vetusta,
Effertur, quamuis sit Deus atque lapis.

Et l’autre,2

Lotus nobiscum est, hilaris cænauit, et idem
Inuentus mane est mortuus Andragoras.
Tam subitæ mortis causam, Faustine, requiris?
In somnis medicum viderat Hermocratem.

Sur quoy ie veux faire deux comtes.   Le Baron de Caupene en
Chalosse, et moy, auons en commun le droit de patronage d’vn
benefice, qui est de grande estenduë, au pied de noz montaignes,
qui se nomme Lahontan. Il est des habitans de ce coin, ce qu’on
dit de ceux de la valée d’Angrougne; ils auoient vne vie à part, les
façons, les vestemens, et les mœurs à part: regis et gouuernez par3
certaines polices et coustumes particulieres, receuës de pere en
filz, ausquelles ils s’obligeoient sans autre contrainte, que de la
reuerence de leur vsage. Ce petit estat s’estoit continué de toute
ancienneté en vne condition si heureuse, qu’aucun iuge voisin
n’auoit esté en peine de s’informer de leur affaire; aucun aduocat
employé à leur donner aduis, ny estranger appellé pour esteindre
leurs querelles; et n’auoit on iamais veu aucun de ce destroit à
l’aumosne. Ils fuyoient les alliances et le commerce de l’autre
monde, pour n’alterer la pureté de leur police: iusques à ce,
comme ils recitent, que l’vn d’entre eux, de la memoire de leurs4
peres, ayant l’ame espoinçonnée d’vne noble ambition, alla s’aduiser
pour mettre son nom en credit et reputation, de faire l’vn de
ses enfans maistre Iean, ou maistre Pierre: et l’ayant faict instruire
à escrire en quelque ville voisine, en rendit en fin vn beau
notaire de village. Cettuy-cy, deuenu grand, commença à desdaigner
leurs anciennes coustumes, et à leur mettre en teste la pompe
des regions de deça. Le premier de ses comperes, à qui on escorna
vne cheure, il luy conseilla d’en demander raison aux iuges
Royaux d’autour de là; et de cettuy-cy à vn autre, iusques à ce
qu’il eust tout abastardy. A la suitte de cette corruption, ils disent,
qu’il y en suruint incontinent vn’ autre, de pire consequence,
par le moyen d’vn medecin, à qui il print enuie d’espouser vne
de leurs filles, et de s’habituer parmy eux. Cettuy-cy commença à1
leur apprendre premierement le nom des fiebures, des rheumes,
et des apostemes, la situation du cœur, du foye, et des intestins,
qui estoit vne science iusques lors tres esloignée de leur cognoissance:
et au lieu de l’ail, dequoy ils auoyent apris à chasser toutes
sortes de maux, pour aspres et extremes qu’ils fussent, il les accoustuma
pour vne toux, ou pour vn morfondement, à prendre les
mixtions estrangeres, et commença à faire trafique, non de leur
santé seulement, mais aussi de leur mort. Ils iurent que depuis
lors seulement, ils ont apperçeu que le serain leur appesantissoit
la teste, que le boire ayant chault apportoit nuisance, et que les2
vents de l’automne estoyent plus griefs que ceux du printemps:
que depuis l’vsage de cette medecine, ils se trouuent accablez
d’vne legion de maladies inaccoustumées, et qu’ils apperçoiuent
vn general deschet, en leur ancienne vigueur, et leurs vies de
moitié raccourcies. Voyla le premier de mes comtes.   L’autre est,
qu’auant ma subiection graueleuse, oyant faire cas du sang de
bouc à plusieurs, comme d’vne manne celeste enuoyée en ces
derniers siecles, pour la tutelle et conseruation de la vie humaine;
et en oyant parler à des gens d’entendement comme d’vne
drogue admirable, et d’vne operation infaillible: moy qui ay3
tousiours pensé estre en bute à tous les accidens, qui peuuent
toucher tout autre homme, prins plaisir en pleine santé à me
prouuoir de ce miracle; et commanday chez moy qu’on me nourrist
vn bouc selon la recepte. Car il faut que ce soit aux mois les
plus chaleureux de l’esté, qu’on le retire: et qu’on ne luy donne à
manger que des herbes aperitiues, et à boire que du vin blanc.
Ie me rendis de fortune chez moy le iour qu’il deuoit estre tué:
on me vint dire que mon cuysinier trouuoit dans la panse deux
ou trois grosses boules, qui se chocquoient l’vne l’autre parmy sa
mangeaille. Ie fus curieux de faire apporter toute cette tripaille4
en ma presence, et fis ouurir cette grosse et large peau: il en
sortit trois gros corps, legers comme des esponges, de façon
qu’il semble qu’ils soyent creuz, durs au demeurant par le dessus
et fermes, bigarrez de plusieurs couleurs mortes: l’vn parfaict en
rondeur, à la mesure d’vne courte boule: les autres deux, vn peu
moindres, ausquels l’arrondissement est imparfaict, et semble qu’il
s’y acheminast. I’ai trouué, m’en estant faict enquerir à ceux, qui
ont accoustumé d’ouurir de ces animaux, que c’est vn accident rare
et inusité. Il est vray-semblable que ce sont des pierres cousines
des nostres. Et s’il est ainsi, c’est vne esperance bien vaine aux
graueleux, de tirer leur guerison du sang d’vne beste, qui s’en alloit
elle mesme mourir d’vn pareil mal. Car de dire que le sang
ne se sent pas de cette contagion, et n’en altere sa vertu accoustumée,
il est plustost à croire, qu’il ne s’engendre rien en vn corps1
que par la conspiration et communication de toutes les parties: la
masse agist tout’ entiere, quoy que l’vne piece y contribue plus que
l’autre, selon la diuersité des operations. Parquoy il y a grande
apparence qu’en toutes les parties de ce bouc, il y auoit quelque
qualité petrifiante. Ce n’estoit pas tant pour la crainte de l’aduenir,
et pour moy, que i’estoy curieux de cette experience: comme c’estoit,
qu’il aduient chez moy, ainsi qu’en plusieurs maisons, que les
femmes y font amas de telles menues drogueries, pour en secourir le
peuple: vsant de mesme recepte à cinquante maladies, et de telle
recepte, qu’elles ne prennent pas pour elles, et si triomphent en2
bons euenemens.   Au demeurant, i’honore les medecins, non pas
suiuant le precepte, pour la necessité (car à ce passage on en oppose
vn autre du prophete, reprenant le Roy Asa d’auoir eu recours au
medecin) mais pour l’amour d’eux mesmes, en ayant veu beaucoup
d’honnestes hommes et dignes d’estre aymez. Ce n’est pas à
eux que i’en veux, c’est à leur art, et ne leur donne pas grand
blasme de faire leur profit de nostre sottise, car la plus part du
monde faict ainsi. Plusieurs vacations et moindres et plus dignes
que la leur, n’ont fondement, et appuy qu’aux abuz publiques. Ie les
appelle en ma compagnie, quand ie suis malade, s’ils se rencontrent3
à propos, et demande à en estre entretenu, et les paye comme
les autres. Ie leur donne loy, de me commander de m’abrier
chauldement, si ie l’ayme mieux ainsi, que d’autre sorte: ils peuuent
choisir d’entre les porreaux et les laictues, dequoy il leur
plaira que mon bouillon se face, et m’ordonner le blanc ou le
clairet: et ainsi de toutes autres choses, qui sont indifferentes à
mon appetit et vsage. I’entens bien que ce n’est rien faire pour
eux, d’autant que l’aigreur et l’estrangeté sont accidens de l’essence
propre de la medecine. Lycurgus ordonnoit le vin aux Spartiates
malades. Pourquoy? par ce qu’ils en haissoyent l’vsage,
sains. Tout ainsi qu’vn Gentil-homme mon voisin s’en sert pour
drogue tressalutaire à ses fiebures, par ce que de sa nature il en
hait mortellement le goust. Combien en voyons nous d’entr’ eux,
estre de mon humeur? desdaigner la medecine pour leur seruice,
et prendre vne forme de vie libre, et toute contraire à celle qu’ils
ordonnent à autruy? Qu’est-ce cela, si ce n’est abuser tout destroussément
de nostre simplicité? Car ils n’ont pas leur vie et leur santé1
moins chere que nous; et accommoderoient leurs effects à leur
doctrine, s’ils n’en cognoissoyent eux mesmes la faulceté.   C’est
la crainte de la mort et de la douleur, l’impatience du mal, vne
furieuse et indiscrete soif de la guerison, qui nous aueugle ainsi.
C’est pure lascheté qui nous rend nostre croyance si molle et
maniable. La plus part pourtant ne croyent pas tant, comme ils
endurent et laissent faire: car ie les oy se plaindre et en parler,
comme nous. Mais ils se resoluent en fin: Que feroy-ie donc?
Comme si l’impatience estoit de soy quelque meilleur remede, que
la patience. Y a il aucun de ceux qui se sont laissez aller à cette2
miserable subiection, qui ne se rende esgalement à toute sorte
d’impostures? qui ne se mette à la mercy de quiconque a cette
impudence, de luy donner promesse de sa guerison? Les Babyloniens
portoyent leurs malades en la place: le medecin c’estoit le
peuple: chacun des passants ayant par humanité et ciuilité à
s’enquerir de leur estat: et, selon son experience, leur donner
quelque aduis salutaire. Nous n’en faisons guere autrement: il
n’est pas vne simple femmelette, de qui nous n’employons les barbottages
et les breuets: et selon mon humeur, si i’auoy à en
accepter quelqu’vne, i’accepterois plus volontiers cette medecine3
qu’aucune autre: d’autant qu’aumoins il n’y a nul dommage à
craindre. Ce qu’Homere et Platon disoyent des Ægyptiens, qu’ils
estoyent tous medecins, il se doit dire de tous peuples. Il n’est
personne, qui ne se vante de quelque recepte, et qui ne la hazarde
sur son voisin, s’il l’en veut croire. I’estoy l’autre iour en vne
compagnie, où ie ne sçay qui, de ma confrairie, apporta la nouuelle
d’vne sorte de pillules compilées de cent, et tant d’ingrediens
de comte fait: il s’en esmeut vne feste et vne consolation singuliere:
car quel rocher soustiendroit l’effort d’vne si nombreuse
batterie? I’entens toutesfois par ceux qui l’essayerent, que la4
moindre petite graue ne daigna s’en esmouuoir.   Ie ne me puis
desprendre de ce papier, que ie n’en die encore ce mot, sur ce
qu’ils nous donnent pour respondant de la certitude de leurs
drogues, l’experience qu’ils ont faicte. La plus part, et ce croy-ie,
plus des deux tiers des vertus medecinales, consistent en la quinte
essence, ou proprieté occulte des simples; de laquelle nous ne
pouuons auoir autre instruction que l’vsage. Car quinte essence,
n’est autre chose qu’vne qualité, de laquelle par nostre raison nous
ne sçauons trouuer la cause. En telles preuues, celles qu’ils disent
auoir acquises par l’inspiration de quelque dæmon, ie suis content1
de les receuoir, (car quant aux miracles, ie n’y touche iamais) ou
bien encore les preuues qui se tirent des choses, qui pour autre
consideration tombent souuent en nostre vsage: comme si en la
laine, dequoy nous auons accoustumé de nous vestir, il s’est trouué
par accident, quelque occulte proprieté desiccatiue, qui guerisse
les mules au talon; et si au reffort, que nous mangeons pour la
nourriture, il s’est rencontré quelque operation aperitiue. Galen
recite, qu’il aduint à vn ladre de receuoir guerison par le moyen
du vin qu’il beut, d’autant que de fortune, vne vipere s’estoit coulée
dans le vaisseau. Nous trouuons en cet exemple le moyen, et vne2
conduitte vray-semblable à cette experience. Comme aussi en
celles, ausquelles les medecins disent, auoir esté acheminez par
l’exemple d’aucunes bestes. Mais en la plus part des autres experiences,
à quoy ils disent auoir esté conduis par la fortune, et
n’auoir eu autre guide que le hazard, ie trouue le progrez de cette
information incroyable. I’imagine l’homme, regardant au tour de
luy le nombre infiny des choses, plantes, animaux, metaulx. Ie ne
sçay par où luy faire commencer son essay: et quand sa premiere
fantasie se iettera sur la corne d’vn elan, à quoy il faut prester vne
creance bien molle et aisée: il se trouue encore autant empesché3
en sa seconde operation. Il luy est proposé tant de maladies, et
tant de circonstances, qu’auant qu’il soit venu à la certitude de ce
poinct, où doit ioindre la perfection de son experience, le sens
humain y perd son Latin: et auant qu’il ait trouué parmy cette
infinité de choses, que c’est cette corne: parmy cette infinité de
maladies, l’epilepsie: tant de complexions, au melancholique:
tant de saisons, en hyuer: tant de nations, au François: tant
d’aages, en la vieillesse: tant de mutations celestes, en la conionction
de Venus et de Saturne: tant de parties du corps au doigt.
A tout cela n’estant guidé ny d’argument, ny de coniecture, ny
d’exemple, ny d’inspiration diuine, ains du seul mouuement de la
fortune, il faudroit que ce fust par vne fortune, parfaictement artificielle,
reglée et methodique. Et puis, quand la guerison fut
faicte, comment se peut il asseurer, que ce ne fust, que le mal
estoit arriué à sa periode; ou vn effect du hazard? ou l’operation
de quelque autre chose, qu’il eust ou mangé, ou beu, ou touché ce1
iour là? ou le merite des prieres de sa mere-grand? Dauantage,
quand cette preuue auroit esté parfaicte, combien de fois fut elle
reiterée? et cette longue cordée de fortunes et de rencontres, r’enfilée,
pour en conclure vne regle? Quand elle sera conclue, par qui
est-ce? de tant de millions, il n’y a que trois hommes qui se meslent
d’enregistrer leurs experiences. Le sort aura il r’encontré à
poinct nommé l’vn de ceux-cy? Quoy si vn autre, et si cent autres,
ont faict des experiences contraires? A l’aduanture y verrions nous
quelque lumiere, si tous les iugements, et raisonnements des
hommes, nous estoyent cogneuz. Mais que trois tesmoings et trois2
docteurs, regentent l’humain genre, ce n’est pas la raison: il faudroit
que l’humaine nature les eust deputez et choisis, et qu’ils fussent
declarez nos syndics par expresse procuration.
A Madame de Dvras.

Madame, vous me trouuastes sur ce pas dernierement, que vous
me vinstes voir. Par ce qu’il pourra estre, que ces inepties se rencontreront
quelque fois entre vos mains: ie veux aussi qu’elles
portent tesmoignage, que l’autheur se sent bien fort honoré de la
faueur que vous leur ferez. Vous y recognoistrez ce mesme port,
et ce mesme air, que vous auez veu en sa conuersation. Quand3
i’eusse peu prendre quelque autre façon que la mienne ordinaire,
et quelque autre forme plus honorable et meilleure, ie ne l’eusse
pas faict: car ie ne veux tirer de ces escrits, sinon qu’ils me representent
à vostre memoire, au naturel. Ces mesmes conditions et
facultez, que vous auez pratiquées et recueillies, Madame, auec beaucoup
plus d’honneur et de courtoisie qu’elles ne meritent, ie les veux
loger, mais sans alteration et changement, en vn corps solide, qui
puisse durer quelques années, ou quelques iours apres moy, où
vous les retrouuerez, quand il vous plaira vous en refreschir la
memoire, sans prendre autrement la peine de vous en souuenir:
aussi ne le vallent elles pas. Ie desire que vous continuez en moy,
la faueur de vostre amitié, par ces mesmes qualitez, par le moyen
desquelles, elle a esté produite.   Ie ne cherche aucunement qu’on
m’ayme et estime mieux, mort, que viuant. L’humeur de Tybere1
est ridicule, et commune pourtant, qui auoit plus de soin d’estendre
sa renommée à l’aduenir, qu’il n’auoit de se rendre estimable
et aggreable aux hommes de son temps. Si i’estoy de ceux, à qui
le monde peut deuoir loüange, ie l’en quitteroy pour la moitié, et
qu’il me la payast d’auance. Qu’elle se hastast et ammoncelast tout
autour de moy, plus espesse qu’alongée, plus pleine que durable.
Et qu’elle s’euanouit hardiment, quand et ma cognoissance, et
quand ce doux son ne touchera plus mes oreilles. Ce seroit vne
sotte humeur, d’aller à cet’heure, que ie suis prest d’abandonner le
commerce des hommes, me produire à eux, par vne nouuelle recommandation.2
Ie ne fay nulle recepte des biens que ie n’ay peu
employer à l’vsage de ma vie. Quel que ie soye, ie le veux estre
ailleurs qu’en papier. Mon art et mon industrie ont esté employez
à me faire valoir moy-mesme. Mes estudes, à m’apprendre à faire,
non pas à escrire. I’ay mis tous mes efforts à former ma vie. Voyla
mon mestier et mon ouurage. Ie suis moins faiseur de liures, que
de nulle autre besongne. I’ay desiré de la suffisance, pour le seruice
de mes commoditez presentes et essentielles, non pour en faire
magasin, et reserue à mes heritiers. Qui a de la valeur, si le face
cognoistre en ses mœurs, en ses propos ordinaires: à traicter l’amour,3
ou des querelles, au ieu, au lict, à la table, à la conduicte de
ses affaires, à son œconomie. Ceux que ie voy faire des bons liures
sous des meschantes chausses, eussent premierement faict leurs
chausses, s’ils m’en eussent creu. Demandez à vn Spartiate, s’il ayme
mieux estre bon rhetoricien que bon soldat: non pas moy, que bon
cuisinier, si ie n’auoy qui m’en seruist. Mon Dieu, Madame, que ie
haïrois vne telle recommandation, d’estre habile homme par escrit,
et estre vn homme de neant, et vn sot, ailleurs. I’ayme mieux encore
estre vn sot, et icy, et là, que d’auoir si mal choisi, où
employer ma valeur. Aussi il s’en faut tant que i’attende à me faire
quelque nouuel honneur par ces sottises, que ie feray beaucoup, si
ie n’y en pers point, de ce peu que i’en auois aquis. Car, outre ce
que cette peinture morte, et muete, desrobera à mon estre naturel,
elle ne se raporte pas à mon meilleur estat, mais beaucoup descheu
de ma premiere vigueur et allegresse, tirant sur le flestry et le
rance. Ie suis sur le fond du vaisseau, qui sent tantost le bas et la
lye.   Au demeurant, Madame, ie n’eusse pas osé remuer si hardiment
les mysteres de la medecine, attendu le credit que vous et
tant d’autres luy donnez, si ie n’y eusse esté acheminé par ses1
autheurs mesmes. Ie croy qu’ils n’en n’ont que deux anciens Latins,
Pline, et Celsus. Si vous les voyez quelque iour, vous trouuerez
qu’ils parlent bien plus rudement à leur art, que ie ne fay:
ie ne fay que la pincer, ils l’esgorgent. Pline se mocque entre
autres choses, dequoy quand ils sont au bout de leur corde, ils
ont inuenté cette belle deffaite, de r’enuoyer les malades qu’ils ont
agitez et tormentez pour neant, de leurs drogues et regimes, les
vns, au secours des vœuz, et miracles, les autres aux eaux chaudes.
Ne vous courroussez pas, Madame, il ne parle pas de celles de
deça, qui sont soubs la protection de vostre maison, et toutes2
Gramontoises. Ils ont vne tierce sorte de deffaite, pour nous chasser
d’aupres d’eux, et se descharger des reproches, que nous leur
pouuons faire du peu d’amendement, à noz maux, qu’ils ont eu
si long temps en gouuernement, qu’il ne leur reste plus aucune
inuention à nous amuser: c’est de nous enuoyer chercher la bonté
de l’air de quelque autre contrée.   Madame en voyla assez: vous
me donnez bien congé de reprendre le fil de mon propos, duquel ie
m’estoy destourné, pour vous entretenir.
Ce fut ce me semble, Pericles, lequel estant enquis, comme il se
portoit: Vous le pouuez, dit-il, iuger par là: montrant des breuets,3
qu’il auoit attachez au col et au bras. Il vouloit inferer, qu’il estoit
bien malade, puis qu’il en estoit venu iusques-là, d’auoir recours
à choses si vaines, et de s’estre laissé equipper en cette façon. Ie
ne dy pas que ie ne puisse estre emporté vn iour à cette opinion
ridicule, de remettre ma vie, et ma santé, à la mercy et gouuernement
des medecins: ie pourray tomber en cette resuerie: ie ne
me puis respondre de ma fermeté future: mais lors aussi si quelqu’vn
s’enquiert à moy, comment ie me porte, ie luy pourray dire,
comme Pericles: Vous le pouuez iuger par là, montrant ma main
chargée de six dragmes d’opiate: ce sera vn bien euident signe
d’vne maladie violente: i’auray mon iugement merueilleusement
desmanché. Si l’impatience et la frayeur gaignent cela sur moy,
on en pourra conclure vne bien aspre fiéure en mon ame.   I’ay
pris la peine de plaider cette cause, que i’entens assez mal, pour
appuyer vn peu et conforter la propension naturelle, contre les1
drogues, et pratique de nostre medecine: qui s’est deriuée en moy,
par mes ancestres: à fin que ce ne fust pas seulement vne inclination
stupide et temeraire, et qu’elle eust vn peu plus de forme.
Aussi que ceux qui me voyent si ferme contre les exhortemens et
menaces, qu’on me fait, quand mes maladies me pressent, ne pensent
pas que ce soit simple opiniastreté: qu’il y ait quelqu’vn si
fascheux, qui iuge encore, que ce soit quelque esguillon de gloire.
Ce seroit vn desir bien assené, de vouloir tirer honneur d’vne
action, qui m’est commune, auec mon iardinier et mon muletier.
Certes ie n’ay point le cœur si enflé, ny si venteux, qu’vn plaisir2
solide, charnu, et moëlleux, comme la santé, ie l’allasse eschanger,
pour vn plaisir imaginaire, spirituel, et aëré. La gloire, voire
celle des quatre fils Aymon, est trop cher achetée à vn homme de
mon humeur, si elle luy couste trois bons accez de colique. La
santé de par Dieu! Ceux qui ayment nostre medecine, peuuent
auoir aussi leurs considerations bonnes, grandes, et fortes: ie ne
hay point les fantasies contraires aux miennes. Il s’en faut tant
que ie m’effarouche, de voir de la discordance de mes iugemens à
ceux d’autruy, et que ie me rende incompatible à la société des
hommes, pour estre d’autre sens et party que le mien: qu’au3
rebours, (comme c’est la plus generale façon que Nature aye
suiuy, que la varieté, et plus aux esprits, qu’aux corps: d’autant
qu’ils sont de substance plus souple et susceptible de formes) ie
trouue bien plus rare, de voir conuenir nos humeurs, et nos desseins.
Et ne fut iamais au monde, deux opinions pareilles, non
plus que deux poils, ou deux grains. Leur plus vniuerselle qualité,
c’est la diuersité.

FIN DV SECOND LIVRE. (ORIGINAL)

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