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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume III

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CHAPITRE V.    (TRADUCTION LIV. III, CH. V.)
Sur des vers de Virgile.

A mesure que les pensemens vtiles sont plus pleins, et solides, ils
sont aussi plus empeschans, et plus onereux. Le vice, la mort,
la pauureté, les maladies, sont subiects graues, et qui greuent. Il
faut auoir l’ame instruitte des moyens de soustenir et combatre
les maux, et instruite des regles de bien viure, et de bien croire:
et souuent l’esueiller et exercer en cette belle estude. Mais à vne
ame de commune sorte, il faut que ce soit auec relasche et moderation:
elle s’affolle, d’estre trop continuellement bandee. I’auoy
besoing en ieunesse, de m’aduertir et solliciter pour me tenir en office.3
L’alegresse et la santé ne conuiennent pas tant bien, dit-on,
auec ces discours serieux et sages. Ie suis à present en vn autre
estat. Les conditions de la vieillesse, ne m’aduertissent que trop,
m’assagissent et me preschent. De l’excez de la gayeté, ie suis
tombé en celuy de la seuerité: plus fascheux. Parquoy, ie me
laisse à cette heure aller vn peu à la desbauche, par dessein: et
employe quelque fois l’ame, à des pensemens folastres et ieunes,
où elle se seiourne. Ie ne suis meshuy que trop rassis, trop poisant,
et trop meur. Les ans me font leçon tous les iours, de froideur, et
de temperance. Ce corps fuyt le desreiglement, et le craint: il est
à son tour de guider l’esprit vers la reformation: il regente à son1
tour: et plus rudement et imperieusement. Il ne me laisse pas vne
heure, ny dormant ny veillant, chaumer d’instruction, de mort, de
patience, et de pœnitence. Ie me deffens de la temperance, comme
i’ay faict autresfois de la volupté: elle me tire trop arriere, et
iusques à la stupidité. Or ie veux estre maistre de moy, à tout
sens. La sagesse a ses excez, et n’a pas moins besoing de moderation
que la folie. Ainsi, de peur que ie ne seche, tarisse, et m’aggraue
de prudence, aux interualles que mes maux me donnent,

Mens intenta suis ne siet vsque malis,

ie gauchis tout doucement, et desrobe ma veuë de ce ciel orageux2
et nubileux que i’ay deuant moy. Lequel, Dieu mercy, ie considere
bien sans effroy, mais non pas sans contention, et sans estude. Et
me vay amusant en la recordation des ieunesses passees:

Animus quod perdidit, optat,
Atque in præterita se totus imagine versat.

Que l’enfance regarde deuant elle, la vieillesse derriere: estoit ce
pas ce que signifioit le double visage de Ianus? Les ans m’entrainnent
s’ils veulent, mais à reculons. Autant que mes yeux peuuent
recognoistre cette belle saison expiree, ie les y destourne à secousses.
Si elle eschappe de mon sang et de mes veines, aumoins n’en3
veux-ie déraciner l’image de la memoire.

Hoc est
Viuere bis, vita posse priore frui.
Platon ordonne aux vieillards d’assister aux exercices, danses,
et ieux de la ieunesse, pour se resiouyr en autruy, de la soupplesse
et beauté du corps, qui n’est plus en eux: et rappeller en leur souuenance,
la grace et faueur de cet aage verdissant. Et veut qu’en
ces esbats, ils attribuent l’honneur de la victoire, au ieune homme,
qui aura le plus esbaudi et resioui, et plus grand nombre d’entre
eux. Ie merquois autresfois les iours poisans et tenebreux, comme4
extraordinaires. Ceux-là sont tantost les miens ordinaires: les extraordinaires
sont les beaux et serains. Ie m’en vay au train de
tressaillir, comme d’vne nouuelle faueur, quand aucune chose ne
me deult. Que ie me chatouille, ie ne puis tantost plus arracher vn
pauure rire de ce meschant corps. Ie ne m’esgaye qu’en fantasie et
en songe: pour destourner par ruse, le chagrin de la vieillesse.
Mais certes il faudroit autre remede, qu’en songe. Foible lucte, de
l’art contre la nature. C’est grand simplesse, d’alonger et anticiper,
comme chacun fait, les incommoditez humaines. I’ayme mieux
estre moins long temps vieil, que d’estre vieil, auant que de l’estre.1
Iusques aux moindres occasions de plaisir que ie puis rencontrer,
ie les empoigne. Ie congnois bien par ouyr dire, plusieurs especes
de voluptez prudentes, fortes et glorieuses: mais l’opinion ne
peut pas assez sur moy pour m’en mettre en appetit. Ie ne les veux
pas tant magnanimes, magnifiques et fastueuses, comme ie les veux
doucereuses, faciles et prestes. A natura discedimus: populo nos
damus, nullius rei bono auctori. Ma philosophie est en action, en
vsage naturel et present: peu en fantasie. Prinssé-ie plaisir à
iouer aux noisettes et à la toupie!

Non ponebat enim rumores ante salutem.2

La volupté est qualité peu ambitieuse; elle s’estime assez riche de
soy, sans y mesler le prix de la reputation: et s’ayme mieux à
l’ombre. Il faudroit donner le foüet à vn ieune homme, qui s’amuseroit
à choisir le goust du vin, et des sauces. Il n’est rien que
i’aye moins sçeu, et moins prisé: à cette heure ie l’apprens. I’en ay
grand honte, mais qu’y feroy-ie? I’ay encor plus de honte et de
despit, des occasions qui m’y poussent. C’est à nous, à resuer et
baguenauder, et à la ieunesse à se tenir sur la reputation et sur le
bon bout. Elle va vers le monde, vers le credit: nous en venons.
Sibi arma, sibi equos, sibi hastas, sibi clauam, sibi pilam, sibi natationes3
et cursus habeant: nobis senibus, ex lusionibus multis, talos
relinquant et tesseras. Les loix mesme nous enuoyent au logis. Ie
ne puis moins en faueur de cette chetiue condition, où mon aage
me pousse, que de luy fournir de ioüets et d’amusoires, comme à
l’enfance: aussi y retombons nous. Et la sagesse et la folie, auront
prou à faire, à m’estayer et secourir par offices alternatifs, en cette
calamité d’aage.

Misce stultitiam consiliis breuem.

Ie fuis de mesme les plus legeres pointures: et celles qui ne
m’eussent pas autresfois esgratigné, me transpercent à cette heure.4
Mon habitude commence de s’appliquer si volontiers au mal: in
fragili corpore odiosa omnis offensio est.

Ménsque pati durum sustinet ægra nihil.

I’ay esté tousiours chatouilleux et delicat aux offences, ie suis plus
tendre à cette heure, et ouuert par tout.

Et minimæ vires frangere quassa valent.

Mon iugement m’empesche bien de regimber et gronder contre les
inconuenients que Nature m’ordonne à souffrir, mais non pas de
les sentir. Ie courrois d’vn bout du monde à l’autre, chercher vn
bon an de tranquillité plaisante et eniouee, moy, qui n’ay autre fin
que viure et me resiouyr. La tranquillité sombre et stupide, se
trouue assez pour moy, mais elle m’endort et enteste: ie ne m’en1
contente pas. S’il y a quelque personne, quelque bonne compagnie,
aux champs, en la ville, en France, ou ailleurs, resseante, ou voyagere,
à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me
soyent bonnes, il n’est que de siffler en paume, ie leur iray fournir
des Essays, en chair et en os.   Puisque c’est le priuilege de l’esprit,
de se r’auoir de la vieillesse, ie luy conseille autant que ie
puis, de le faire: qu’il verdisse, qu’il fleurisse ce pendant, s’il
peut, comme le guy sur vn arbre mort. Ie crains que c’est vn traistre:
il s’est si estroittement affreté au corps, qu’il m’abandonne à
tous coups, pour le suiure en sa necessité. Ie le flatte à part, ie le2
practique pour neant: i’ay beau essayer de le destourner de cette
colligence, et luy presenter et Seneque et Catulle, et les dames et
les dances royalles: si son compagnon a la cholique, il semble
qu’il l’ayt aussi. Les puissances mesmes qui luy sont particulieres
et propres, ne se peuuent lors sousleuer: elles sentent euidemment
le morfondu: il n’y a poinct d’allegresse en ses productions,
s’il n’en y a quand et quand au corps.   Noz maistres ont tort, dequoy
cherchants les causes des eslancements extraordinaires de
nostre esprit, outre ce qu’ils en attribuent à vn rauissement diuin,
à l’amour, à l’aspreté guerriere, à la poësie, au vin: ils n’en ont3
donné sa part à la santé. Vne santé bouillante, vigoureuse, pleine,
oysiue, telle qu’autrefois la verdeur des ans et la securité, me la
fournissoient par venuës. Ce feu de gayeté suscite en l’esprit des
eloises viues et claires outre nostre clairté naturelle: et entre les
enthousiasmes, les plus gaillards, sinon les plus esperdus. Or bien,
ce n’est pas merueille, si vn contraire estat affesse mon esprit, le
clouë, et en tire vn effect contraire.

Ad nullum consurgit opus cum corpore languet.

Et veut encores que ie luy sois tenu, dequoy il preste, comme il
dit, beaucoup moins à ce consentement, que ne porte l’vsage ordinaire4
des hommes. Aumoins pendant que nous auons trefue,
chassons les maux et difficultez de nostre commerce,

Dum licet, obducta soluatur fronte senectus:

tetrica sunt amœnanda iocularibus. I’ayme vne sagesse gaye et
ciuile, et fuis l’aspreté des mœurs, et l’austerité: ayant pour suspecte
toute mine rebarbatiue:

Tristémque vultus tetrici arrogantiam;
Et habet tristis quoque turba cynædos.

Ie croy Platon de bon cœur, qui dit les humeurs faciles ou difficiles,
estre vn grand preiudice à la bonté ou mauuaistié de l’ame.
Socrates eut vn visage constant, mais serein et riant. Non fascheusement1
constant, comme le vieil Crassus, qu’on ne veit iamais rire.
La vertu est qualité plaisante et gaye.   Ie sçay bien que fort peu
de gens rechigneront à la licence de mes escrits, qui n’ayent plus
à rechigner à la licence de leur pensee. Ie me conforme bien à leur
courage: mais i’offence leurs yeux. C’est vne humeur bien ordonnee,
de pinser les escrits de Platon, et couler ses negociations pretendues
auec Phedon, Dion, Stella, Archeanassa. Non pudeat dicere,
quod non pudet sentire. Ie hay vn esprit hargneux et triste, qui
glisse par dessus les plaisirs de sa vie, et s’empoigne et paist aux
malheurs. Comme les mouches, qui ne peuuent tenir contre vn2
corps bien poly, et bien lissé, et s’attachent et reposent aux lieux
scabreux et raboteux. Et comme les vantouses, qui ne hument et
appetent que le mauuais sang.   Au reste, ie me suis ordonné
d’oser dire tout ce que i’ose faire: et me desplaist des pensees
mesmes impubliables. La pire de mes actions et conditions, ne me
semble pas si laide, comme ie trouue laid et lasche, de ne l’oser
aduouer. Chacun est discret en la confession, on le deuroit estre
en l’action. La hardiesse de faillir, est aucunement compensee et
bridee, par la hardiesse de le confesser. Qui s’obligeroit à tout
dire, s’obligeroit à ne rien faire de ce qu’on est contraint de taire.3
Dieu vueille que cet excés de ma licence, attire nos hommes iusques
à la liberté: par dessus ces vertus couardes et mineuses, nees
de nos imperfections: qu’aux despens de mon immoderation, ie
les attire iusques au point de la raison. Il faut voir son vice, et
l’estudier, pour le redire: ceux qui le celent à autruy, le celent
ordinairement à eux mesmes: et ne le tiennent pas pour assés couuert,
s’ils le voyent. Ils le soustrayent et desguisent à leur propre
conscience. Quare vitia sua nemo confitetur? Quia etiam nunc in
illis est, somnium narrare vigilantis est. Les maux du corps s’esclaircissent
en augmentant. Nous trouuons que c’est goutte, ce que
nous nommions rheume ou foulleure. Les maux de l’ame s’obscurcissent
en leurs forces: le plus malade les sent le moins. Voyla
pourquoy il les faut souuent remanier au iour, d’vne main impiteuse:
les ouurir et arracher du creus de nostre poitrine. Comme
en matiere de biens faicts, de mesme en matiere de mesfaicts, c’est
par fois satisfaction que la seule confession. Est-il quelque laideur
au faillir, qui nous dispense de nous en confesser? Ie souffre peine
à me feindre: si que i’euite de prendre les secrets d’autruy en1
garde, n’ayant pas bien le cœur de desaduouer ma science. Ie puis
la taire, mais la nyer, ie ne puis sans effort et desplaisir. Pour
estre bien secret, il le faut estre par nature, non par obligation.
C’est peu, au seruice des Princes, d’estre secret, si on n’est menteur
encore. Celuy qui s’enquestoit à Thales Milesius, s’il deuoit
solemnellement nyer d’auoir paillardé, s’il se fust addressé à moy,
ie luy eusse respondu, qu’il ne le deuoit pas faire, car le mentir
me semble encore pire que la paillardise. Thales luy conseilla tout
autrement, et qu’il iurast, pour garentir le plus, par le moins. Toutesfois
ce conseil n’estoit pas tant election de vice, que multiplication.2
Sur quoy disons ce mot en passant, qu’on fait bon marché à
vn homme de conscience, quand on luy propose quelque difficulté
au contrepoids du vice: mais quand on l’enferme entre deux vices,
on le met à vn rude choix. Comme on fit Origene: ou qu’il idolatrast,
ou qu’il se souffrist iouyr charnellement, à vn grand vilain
Æthiopien qu’on luy presenta. Il subit la premiere condition: et
vitieusement, dit-on. Pourtant ne seroient pas sans goust, selon
leur erreur, celles qui nous protestent en ce temps, qu’elles aymeroient
mieux charger leur conscience de dix hommes, que d’vne
messe.   Si c’est indiscretion de publier ainsi ses erreurs, il n’y a3
pas grand danger qu’elle passe en exemple et vsage. Car Ariston
disoit, que les vens que les hommes craignent le plus, sont ceux qui
les descouurent. Il faut rebrasser ce sot haillon qui cache nos
mœurs. Ils enuoyent leur conscience au bordel, et tiennent leur
contenance en regle. Iusques aux traistres et assassins, ils espousent
les loix de la ceremonie, et attachent là leur deuoir. Si n’est-ce,
ny à l’iniustice de se plaindre de l’inciuilité, ny à la malice de
l’indiscretion. C’est dommage qu’vn meschant homme ne soit encore
vn sot, et que la decence pallie son vice. Ces incrustations n’appartiennent
qu’à vne bonne et saine paroy, qui merite d’estre conseruee,
d’être blanchie.   En faueur des Huguenots, qui accusent nostre
confession auriculaire et priuee, ie me confesse en publiq, religieusement
et purement. Sainct Augustin, Origene, et Hippocrates, ont
publié les erreurs de leurs opinions: moy encore de mes mœurs.
Ie suis affamé de me faire congnoistre: et ne me chaut à combien,
pourueu que ce soit veritablement. Ou pour dire mieux, ie n’ay
faim de rien: mais ie fuis mortellement, d’estre pris en eschange,1
par ceux à qui il arriue de congnoistre mon nom. Celuy qui fait
tout pour l’honneur et pour la gloire, que pense-il gaigner, en se
produisant au monde en masque, desrobant son vray estre à la
congnoissance du peuple? Louez un bossu de sa belle taille, il le
doit receuoir à iniure: si vous estes couard, et qu’on vous honnore
pour vn vaillant homme, est-ce de vous qu’on parle? On vous prend
pour vn autre. I’aymeroy aussi cher, que celuy-là se gratifiast des
bonnetades qu’on luy faict, pensant qu’il soit maistre de la trouppe,
luy qui est des moindres de la suitte. Archelaus Roy de Macedoine,
passant par la ruë, quelqu’vn versa de l’eau sur luy: les assistans2
disoient qu’il deuoit le punir. Voyre mais, fit-il, il n’a pas versé
l’eau sur moy, mais sur celuy qu’il pensoit que ie fusse. Socrates
à celuy, qui l’aduertissoit: qu’on mesdisoit de luy. Point, dit-il: il
n’y a rien en moy de ce qu’ils disent. Pour moy, qui me loüeroit
d’estre bon pilote, d’estre bien modeste, ou d’estre bien chaste, ie
ne luy en deurois nul grammercy. Et pareillement, qui m’appelleroit
traistre, voleur, ou yurongne, ie me tiendroy aussi peu offencé.
Ceux qui se mescognoissent, se peuuent paistre de fauces approbations:
non pas moy, qui me voy, et qui me recherche iusques aux
entrailles, qui sçay bien ce qu’il m’appartient. Il me plaist d’estre3
moins loué, pourueu que ie soy mieux congneu. On me pourroit
tenir pour sage en telle condition de sagesse, que ie tien pour sottise.
Ie m’ennuye que mes Essais seruent les dames de meuble
commun seulement, et de meuble de sale: ce chapitre me fera du
cabinet. I’ayme leur commerce vn peu priué: le publique est sans
faueur et saueur. Aux adieux, nous eschauffons outre l’ordinaire
l’affection enuers les choses que nous abandonnons. Ie prens l’extreme
congé des ieux du monde: voicy nos dernieres accolades.
Mais venons à mon theme. Qu’a faict l’action genitale aux
hommes, si naturelle, si necessaire, et si iuste, pour n’en oser parler
sans vergongne, et pour l’exclurre des propos serieux et reglez?
Nous prononçons hardiment, tuer, desrober, trahir: et cela, nous
n’oserions qu’entre les dents. Est-ce à dire, que moins nous en
exhalons en parole, d’autant nous auons loy d’en grossir la pensee?
Car il est bon, que les mots qui sont le moins en vsage, moins
escrits, et mieux teuz, sont les mieux sceus, et plus generalement
cognus. Nul aage, nulles mœurs l’ignorent non plus que le pain.1
Ils s’impriment en chascun, sans estre exprimez, et sans voix et sans
figure. Et le sexe qui le fait le plus, a charge de le taire le plus.
C’est vne action, que nous auons mis en la franchise du silence,
d’où c’est crime de l’arracher. Non pas pour l’accuser et iuger. Ny
n’osons la fouëtter, qu’en periphrase et peinture. Grand faueur à vn
criminel, d’estre si execrable, que la iustice estime iniuste, de le
toucher et de le veoir: libre et sauué par le benefice de l’aigreur
de sa condamnation. N’en va-il pas comme en matiere de liures, qui
se rendent d’autant plus venaux et publiques, de ce qu’ils sont supprimez?
Ie m’en vay pour moy, prendre au mot l’aduis d’Aristote,2
qui dit, L’estre honteux, seruir d’ornement à la ieunesse, mais de
reproche à la vieillesse. Ces vers se preschent en l’escole ancienne:
escole à laquelle ie me tien bien plus qu’à la moderne: ses vertus
me semblent plus grandes, ses vices moindres.

Ceux qui par trop fuyant Venus estriuent,
Faillent autant que ceux qui trop la suiuent.

Tu, Dea, tu rerum naturam sola gubernas,
Nec sine te quicquam dias in luminis oras
Exoritur, neque fit lætum, nec amabile quicquam.
Ie ne sçay qui a peu mal mesler Pallas et les Muses, auec Venus,3
et les refroidir enuers l’amour: mais ie ne voy aucunes deitez qui
s’auiennent mieux, ny qui s’entredoiuent plus. Qui ostera aux muses
les imaginations amoureuses, leur desrobera le plus bel entretien
qu’elles ayent, et la plus noble matiere de leur ouurage: et qui
fera perdre à l’amour la communication et seruice de la poësie
l’affoiblira de ses meilleures armes. Par ainsin on charge le Dieu
d’accointance, et de bien-vueillance, et les Deesses protectrices
d’humanité et de iustice, du vice d’ingratitude et de mescognoissance.
Ie ne suis pas de si long temps cassé de l’estat et suitte de ce
Dieu, que ie n’aye la memoire informee de ses forces et valeurs:

Agnosco veteris vestigia flammæ.

Il y a encore quelque demeurant d’emotion et chaleur apres la
fiéure.

Nec mihi deficiat calor hic, hyemantibus annis.

Tout asseché que ie suis, et appesanty, ie sens encore quelques
tiedes restes de cette ardeur passee.1

Qual l’alto Ægeo per che Aquilone o Noto
Cessi, che tutto prima il vuolse et scosse,
Non s’accheta ei perto, ma’l sono el’ moto,
Ritien dell’ onde anco agitate è grosse.

Mais de ce que ie m’y entends, les forces et valeur de ce Dieu, se
trouuent plus vifues et plus animees, en la peinture de la poësie,
qu’en leur propre essence.

Et versus digitos habet.

Elle represente ie ne sçay quel air, plus amoureux que l’amour
mesme. Venus n’est pas si belle toute nüe, et viue, et haletante,2
comme elle est icy chez Virgile.

Dixerat, et niueis hinc atque hinc Diua lacertis
Cunctantem amplexu molli fouet. Ille repente
Accepit solitam flammam, notúsque medullas
Intrauit calor, et labefacta per ossa cucurrit.
Non secus atque olim tonitru cùm rupta corusco
Ignea rima micans percurrit lumine nimbos.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ea verba loquutus,
Optatos dedit amplexus, placidúmque petiuit
Coniugis infusus gremio per membra soporem.3
Ce que i’y trouue à considerer, c’est qu’il la peinct vn peu bien
esmeüe pour vne Venus maritale. En ce sage marché, les appetits
ne se trouuent pas si follastres: ils sont sombres et plus mousses.
L’amour hait qu’on se tienne par ailleurs que par luy, et se mesle
laschement aux accointances qui sont dressees et entretenues soubs
autre titre: comme est le mariage. L’alliance, les moyens, y poisent
par raison, autant ou plus, que les graces et la beauté. On ne
se marie pas pour soy, quoy qu’on die: on se marie autant ou plus,
pour sa posterité, pour sa famille. L’vsage et l’interest du mariage
touche nostre race, bien loing par delà nous. Pourtant me plaist4
cette façon, qu’on le conduise plustost par main tierce, que par les
propres: et par le sens d’autruy, que par le sien. Tout cecy, combien
à l’opposite des conuentions amoureuses? Aussi est-ce vne
espece d’inceste, d’aller employer à ce parentage venerable et sacré,
les efforts et les extrauagances de la licence amoureuse, comme il
me semble auoir dict ailleurs. Il faut, dit Aristote, toucher sa femme
prudemment et seuerement, de peur qu’en la chatouillant trop lasciuement,
le plaisir ne la face sortir hors des gons de raison. Ce
qu’il dit pour la conscience, les medecins le disent pour la santé.
Qu’vn plaisir excessiuement chaud, voluptueux, et assidu, altere la
semence, et empesche la conception. Disent d’autre part, qu’à vne
congression languissante, comme celle là est de sa nature: pour la
remplir d’vne iuste et fertile chaleur, il s’y faut presenter rarement,1
et à notables interualles;

Quo rapiat sitiens Venerem interiúsque recondat.

Ie ne voy point de mariages qui faillent plustost, et se troublent,
que ceux qui s’acheminent par la beauté, et desirs amoureux. Il y
faut des fondemens plus solides, et plus constans, et y marcher
d’aguet: cette boüillante allegresse n’y vaut rien.   Ceux qui pensent
faire honneur au mariage, pour y ioindre l’amour, font, ce me
semble, de mesme ceux, qui pour faire faueur à la vertu, tiennent
que la noblesse n’est autre chose que vertu. Ce sont choses qui ont
quelque cousinage: mais il y a beaucoup de diuersité: on n’a que2
faire de troubler leurs noms et leurs tiltres. On fait tort à l’vne ou
à l’autre de les confondre. La noblesse est vne belle qualité, et introduite
auec raison: mais d’autant que c’est vne qualité dependant
d’autruy, et qui peut tomber en vn homme vicieux et de neant, elle
est en estimation bien loing au dessoubs de la vertu. C’est vne
vertu, si ce l’est, artificielle et visible: dependant du temps et de la
fortune: diuerse en forme selon les contrees, viuante et mortelle:
sans naissance, non plus que la riuiere du Nil: genealogique et
commune; de suite et de similitude: tiree par consequence, et consequence
bien foible. La science, la force, la bonté, la beauté, la3
richesse, toutes autres qualitez, tombent en communication et en
commerce: cetty-cy se consomme en soy, de nulle emploite au seruice
d’autruy. On proposoit à l’vn de nos Roys, le choix de deux
competiteurs, en vne mesme charge, desquels l’vn estoit Gentil’homme,
l’autre ne l’estoit point: il ordonna que sans respect de
cette qualité, on choisist celuy qui auroit le plus de merite: mais
où la valeur seroit entierement pareille, qu’alors on eust respect à
la noblesse: c’estoit iustement luy donner son rang. Antigonus à
vn ieune homme incogneu, qui luy demandoit la charge de son
pere, homme de valeur, qui venoit de mourir: Mon amy, dit-il, en
tels bien faicts, ie ne regarde pas tant la noblesse de mes soldats,
comme ie fais leur proüesse. De vray, il n’en doibt pas aller comme
des officiers des Roys de Sparte, trompettes, menestriers, cuisiniers,
à qui en leurs charges succedoient les enfants, pour ignorants qu’ils
fussent, auant les mieux experimentez du mestier. Ceux de Callicut
font des nobles, vne espece par dessus l’humaine. Le mariage leur
est interdit, et toute autre vacation que bellique. De concubines,
ils en peuuent auoir leur saoul: et les femmes autant de ruffiens:1
sans ialousie les vns des autres. Mais c’est vn crime capital et irremissible,
de s’accoupler à personne d’autre condition que la leur.
Et se tiennent pollus, s’ils en sont seulement touchez en passant:
et, comme leur noblesse en estant merueilleusement iniuriee et
interessee, tuent ceux qui seulement ont approché vn peu trop pres
d’eux. De maniere que les ignobles sont tenus de crier en marchant,
comme les gondoliers de Venise, au contour des ruës, pour ne
s’entreheurter: et les nobles leur commandent de se ietter au
quartier qu’ils veulent. Ceux cy euitent par là, cette ignominie,
qu’ils estiment perpetuelle; ceux là vne mort certaine. Nulle duree2
de temps, nulle faueur de Prince, nul office, ou vertu, ou richesse
peut faire qu’vn roturier deuienne noble. A quoy ayde cette coustume,
que les mariages sont defendus de l’vn mestier à l’autre. Ne
peut vne de race cordonniere, espouser vn charpentier: et sont les
parents obligez de dresser les enfants à la vacation des peres,
precisement, et non à autre vacation: par où se maintient la distinction
et continuation de leur fortune.   Vn bon mariage, s’il en
est, refuse la compagnie et conditions de l’amour: il tasche à representer
celles de l’amitié. C’est vne douce societé de vie, pleine
de constance, de fiance, et d’vn nombre infiny d’vtiles et solides3
offices, et obligations mutuelles. Aucune femme qui en sauoure le
goust,

Optato quam iunxit lumine tæda,

ne voudroit tenir lieu de maistresse à son mary. Si elle est logee en
son affection, comme femme, elle y est bien plus honorablement et
seurement logee. Quand il fera l’esmeu ailleurs, et l’empressé, qu’on
luy demande pourtant lors, à qui il aymeroit mieux arriuer vne
honte, ou à sa femme ou à sa maistresse, de qui la desfortune l’affligeroit
le plus, à qui il desire plus de grandeur: ces demandes
n’ont aucun doubte en vn mariage sain.   Ce qu’il s’en voit si peu
de bons, est signe de son prix et de sa valeur. A le bien façonner et
à le bien prendre, il n’est point de plus belle piece en notre societé.
Nous ne nous en pouuons passer, et l’allons auilissant. Il en aduient
ce qui se voit aux cages, les oyseaux qui en sont dehors, desesperent
d’y entrer; et d’vn pareil soing en sortir, ceux qui sont au dedans.
Socrates, enquis, qui estoit plus commode, prendre, ou ne
prendre point de femme: Lequel des deux, dit-il, on face, on s’en1
repentira. C’est vne conuention à laquelle se rapporte bien à point
ce qu’on dit, homo homini, ou Deus, ou lupus. Il faut le rencontre
de beaucoup de qualitez à le bastir. Il se trouue en ce temps plus
commode aux ames simples et populaires, où les delices, la curiosité,
et l’oysiueté, ne le troublent pas tant. Les humeurs desbauchees,
comme est la mienne, qui hay toute sorte de liaison et d’obligation,
n’y sont pas si propres.

Et mihi dulce magis resoluto viuere collo.
De mon dessein, i’eusse fuy d’espouser la sagesse mesme, si
elle m’eust voulu. Mais nous auons beau dire: la coustume et2
l’vsage de la vie commune, nous emporte. La plus part de mes
actions se conduisent par exemple, non par choix. Toutesfois ie ne
m’y conuiay pas proprement. On m’y mena, et y fus porté par des
occasions estrangeres. Car non seulement les choses incommodes,
mais il n’en est aucune si laide et vitieuse et euitable, qui ne puisse
deuenir acceptable par quelque condition et accident, tant l’humaine
posture est vaine. Et y fus porté, certes plus preparé lors, et plus
rebours, que ie ne suis à present, apres l’auoir essayé. Et tout
licencieux qu’on me tient, i’ay en verité plus seuerement obserué
les loix de mariage, que ie n’auois ny promis ny esperé. Il n’est3
plus temps de regimber quand on s’est laissé entrauer. Il faut prudemment
mesnager sa liberté: mais depuis qu’on s’est submis à
l’obligation, il s’y faut tenir soubs les loix du debuoir commun,
aumoins s’en efforcer. Ceux qui entreprennent ce marché pour s’y
porter auec hayne et mespris, font iniustement et incommodément.
Et cette belle regle que ie voy passer de main en main entre elles,
comme vn sainct oracle,

Sers ton mary comme ton maistre,
Et t’en garde comme d’vn traistre:

qui est à dire: Porte toy enuers luy, d’vne reuerence contrainte,
ennemye, et deffiante (cry de guerre et de deffi) est pareillement
iniurieuse et difficile. Ie suis trop mol pour desseins si espineux. A
dire vray, ie ne suis pas arriué à cette perfection d’habileté et galantise
d’esprit, que de confondre la raison auec l’iniustice, et mettre1
en risee tout ordre et regle qui n’accorde à mon appetit. Pour
hayr la superstition, ie ne me iette pas incontinent à l’irreligion. Si
on ne fait tousiours son debuoir, au moins le faut il tousiours
aymer et recognoistre: c’est trahison, se marier sans s’espouser.
Passons outre.   Nostre poëte represente vn mariage plein d’accord
et de bonne conuenance, auquel pourtant il n’y a pas beaucoup
de loyauté. A il voulu dire, qu’il ne soit pas impossible de se rendre
aux efforts de l’amour, et ce neantmoins reseruer quelque deuoir
enuers le mariage: et qu’on le peut blesser, sans le rompre
tout à faict? Tel valet ferre la mule au maistre qu’il ne hayt pas2
pourtant. La beauté, l’oportunité, la destinee (car la destinee y met
aussi la main)

Fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit: nam si tibi sidera cessent,
Nil faciet longi mensura incognita nerui,

l’ont attachée à vn estranger: non pas si entiere peut estre, qu’il
ne luy puisse rester quelque liaison par où elle tient encore à son
mary. Ce sont deux desseins, qui ont des routes distinguees, et non
confondues. Vne femme se peut rendre à tel personnage, que nullement
elle ne voudroit auoir espousé: ie ne dy pas pour les conditions3
de la fortune, mais pour celles mesmes de la personne. Peu
de gens ont espousé des amies qui ne s’en soient repentis. Et iusques
en l’autre monde, quel mauuais mesnage fait Iupiter avec sa
femme, qu’il auoit premierement pratiquee et iouyë par amourettes?
C’est ce qu’on dit, chier dans le panier, pour apres le mettre
sur sa teste. I’ay veu de mon temps en quelque bon lieu, guerir
honteusement et deshonnestement, l’amour, par le mariage: les
considerations sont trop autres. Nous aymons, sans nous empescher
deux choses diuerses, et qui se contrarient. Isocrates disoit,
que la ville d’Athenes plaisoit à la mode que font les dames qu’on4
sert par amour, chacun aymoit à s’y venir promener, et y passer
son temps: nul ne l’aymoit pour l’espouser: c’est à dire, pour s’y
habituer et domicilier. I’ay auec despit, veu des maris hayr leurs
femmes, de ce seulement, qu’ils leur font tort. Aumoins ne les faut
il pas moins aymer, de nostre faute: par repentance et compassion
aumoins, elles nous en deuroient estre plus cheres.   Ce sont fins
differentes, et pourtant compatibles, dit-il, en quelque façon. Le
mariage a pour sa part, l’vtilité, la iustice, l’honneur, et la constance:
vn plaisir plat, mais plus vniuersel. L’amour se fonde au
seul plaisir: et l’a de vray plus chatouilleux, plus vif, et plus aigu:1
vn plaisir attizé par la difficulté: il y faut de la piqueure et de la
cuison. Ce n’est plus amour, s’il est sans fleches et sans feu. La
liberalité des dames est trop profuse au mariage, et esmousse la
poincte de l’affection et du desir. Pour fuïr à cet inconuenient,
voyez la peine qu’y prennent en leurs loix Lycurgus et Platon.
   Les femmes n’ont pas tort du tout, quand elles refusent les regles
de vie, qui sont introduites au monde: d’autant que ce sont les
hommes qui les ont faictes sans elles. Il y a naturellement de la
brigue et riotte entre elles et nous. Le plus estroit consentement
que nous ayons auec elles, encores est-il tumultuaire et tempestueux.2
A l’aduis de nostre autheur, nous les traictons inconsiderément
en cecy. Apres que nous auons cogneu, qu’elles sont sans
comparaison plus capables et ardentes aux effects de l’amour que
nous, et que ce prestre ancien l’a ainsi tesmoigné, qui auoit esté
tantost homme, tantost femme:

Venus huic erat vtraque nota.

Et en outre, que nous auons appris de leur propre bouche, la
preuue qu’en firent autrefois, en diuers siecles, vn Empereur et vne
Emperiere de Rome, maistres ouuriers et fameux en cette besongne:
luy despucela bien en vne nuict dix vierges Sarmates ses3
captiues: mais elle fournit reelement en vne nuict, à vingt et cinq
entreprinses, changeant de compagnie selon son besoing et son goust,

Adhuc ardens rigidæ tentigine vuluæ:
Et lassata viris, nondum satiata recessit.

Et que sur le different aduenu à Cateloigne, entre vne femme, se
plaignant des efforts trop assiduelz de son mary (non tant à mon
aduis qu’elle en fust incommodee, car ie ne crois les miracles qu’en
foy, comme pour retrancher soubs ce pretexte, et brider en ce
mesme, qui est l’action fondamentale du mariage, l’authorité des
maris enuers leurs femmes: et pour montrer que leurs hergnes, et4
leur malignité passent outre la couche nuptiale, et foulent aux pieds
graces et douceurs mesmes de Venus) à laquelle plainte, le mary
respondoit, homme vrayement brutal et desnaturé, qu’aux iours
mesme de ieusne il ne s’en sçauroit passer à moins de dix: interuint
ce notable arrest de la Royne d’Aragon: par lequel, apres meure
deliberation de conseil, cette bonne Royne, pour donner regle et
exemple à tout temps, de la moderation et modestie requise en vn
iuste mariage: ordonna pour bornes legitimes et necessaires, le
nombre de six par iour: relaschant et quitant beaucoup du besoing
et desir de son sexe, pour establir, disoit-elle, vne forme aysee, et1
par consequent permanante et immuable. En quoy s’escrient les
docteurs, quel doit estre l’appetit et la concupiscence feminine,
puisque leur raison, leur reformation, et leur vertu, se taille à ce
prix? considerans le diuers iugement de nos appetits. Car Solon
patron de l’eschole legiste ne taxe qu’à trois fois par mois, pour ne
faillir point, cette hantise coniugale. Apres avoir creu, dis-ie, et
presché cela, nous sommes allez, leur donner la continence peculierement
en partage: et sur peines dernieres et extremes.   Il
n’est passion plus pressante, que cette cy, à laquelle nous voulons
qu’elles resistent seules: non simplement, comme à vn vice de sa2
mesure: mais comme à l’abomination et execration plus qu’à l’irreligion
et au parricide: et nous nous y rendons ce pendant sans
coulpe et reproche. Ceux mesme d’entre nous, qui ont essayé d’en
venir à bout, ont assez auoué quelle difficulté, ou plustost impossibilité
il y auoit, vsant de remedes materiels, à mater, affoiblir et
refroidir le corps. Nous au contraire, les voulons saines, vigoreuses,
en bon point, bien nourries, et chastes ensemble: c’est à
dire, et chaudes et froides. Car le mariage, que nous disons auoir
charge de les empescher de bruler, leur aporte peu de refraichissement
selon nos mœurs. Si elles en prennent vn, à qui la vigueur3
de l’aage boult encores, il fera gloire de l’espandre ailleurs.

Sit tandem pudor, aut eamus in ius,
Multis mentula millibus redempta,
Non est hæc tua, Basse, vendidisti.

Le philosophe Polemon fut iustement appellé en iustice par sa
femme, de ce qu’il alloit semant en vn champ sterile le fruict deu
au champ genital. Si c’est de ces autres cassez, les voyla en plein
mariage, de pire condition que vierges et vefues. Nous les tenons
pour bien fournies, par ce qu’elles ont vn homme aupres. Comme
les Romains tindrent pour viollee Clodia Læta, vestale, que Caligula
auoit approchée, encore qu’il fust aueré, qu’il ne l’auoit qu’approchée.
Mais au rebours; on recharge par là, leur necessité:
d’autant que l’attouchement et la compagnie de quelque masle que
ce soit, esueille leur chaleur, qui demeureroit plus quiete en la1
solitude. Et à cette fin, comme il est vray-semblable, de rendre par
cette circonstance et consideration, leur chasteté plus meritoire.
Boleslaus et Kinge sa femme, Roys de Poulongne, la vouërent d’vn
commun accord, couchez ensemble, le iour mesme de leurs nopces:
et la maintindrent à la barbe des commoditez maritales.   Nous
les dressons dés l’enfance, aux entremises de l’amour: leur grace,
leur attiffeure, leur science, leur parole, toute leur instruction, ne
regarde qu’à ce but. Leurs gouuernantes ne leur impriment autre
chose que le visage de l’amour, ne fust qu’en le leur representant
continuellement pour les en desgouster. Ma fille, c’est tout ce que2
i’ay d’enfans, est en l’aage auquel les loix excusent les plus eschauffees
de se marier. Elle est d’vne complexion tardiue, mince et
molle, et a esté par sa mere esleuee de mesme, d’vne forme retiree
et particuliere: si qu’elle ne commence encore qu’à se desniaiser
de la naifueté de l’enfance. Elle lisoit vn liure François deuant moy:
le mot de, fouteau, s’y rencontra, nom d’vn arbre cogneu: la
femme qu’ell’ a pour sa conduitte, l’arresta tout court, vn peu rudement,
et la fit passer par dessus ce mauuais pas. Ie la laissay
faire, pour ne troubler leurs regles: car ie ne m’empesche aucunement
de ce gouuernement. La police feminine a vn train mysterieux,3
il faut le leur quitter. Mais si ie ne me trompe, le commerce de
vingt laquays, n’eust sçeu imprimer en sa fantasie, de six moys,
l’intelligence et vsage, et toutes les consequences du son de ces
syllabes scelerees, comme fit cette bonne vieille, par sa reprimende
et son interdiction.

Motus doceri gaudet Ionicos
Matura virgo, et frangitur artubus,
Iam nunc, et incestos amores
De tenero meditatur vngui,

Qu’elles se dispensent vn peu de la ceremonie, qu’elles entrent en4
liberté de discours, nous ne sommes qu’enfans au prix d’elles, en
cette science. Oyez leur representer nos poursuittes et nos entretiens:
elles vous font bien cognoistre que nous ne leur apportons
rien, qu’elles n’ayent sçeu et digeré sans nous. Seroit-ce ce que dit
Platon, qu’elles ayent esté garçons desbauchez autresfois? Mon
oreille se rencontra vn iour en lieu, où elle pouuoit desrober aucun
des discours faicts entre elles sans soupçon: que ne puis-ie le dire?
Nostre dame, (fis-ie), allons à cette heure estudier des frases d’Amadis,
et des registres de Boccace et de l’Aretin, pour faire les
habiles: nous employons vrayement bien notre temps: il n’est ny
parole, ny exemple, ny démarche qu’elles ne sçachent mieux que1
nos liures. C’est vne discipline qui naist dans leurs veines,

Et mentem Venus ipsa dedit,

que ces bons maistres d’escole, nature, ieunesse, et santé, leur
soufflent continuellement dans l’ame. Elles n’ont que faire de l’apprendre,
elles l’engendrent.

Nec tantum niueo gauisa est ulla columbo
Compar, vel si quid dicitur improbius,
Oscula mordenti semper decerpere rostro,
Quantum præcipuè multiuola est mulier.
Qui n’eust tenu vn peu en bride cette naturelle violence de leur2
desir, par la crainte et honneur, dequoy on les a pourueuës, nous
estions diffamez. Tout le mouuement du monde se resoult et rend
à cet accouplage: c’est vne matiere infuse par tout: c’est vn centre
où toutes choses regardent. On void encore des ordonnances de la
vieille et sage Rome, faictes pour le seruice de l’amour: et les
preceptes de Socrates, à instruire les courtisanes.

Necnon libelli Stoici inter sericos
Iacere puluillos amant.

Zenon parmy les loix, regloit aussi les escarquillemens, et les secousses
du depucelage. De quel sens estoit le liure du philosophe3
Strato, de la conionction charnelle? Et dequoy traittoit Theophraste,
en ceux qu’il intitula, l’vn l’Amoureux, l’autre de l’Amour?
Dequoy Aristippus au sien, des anciennes delices? Que veulent pretendre
les descriptions si estendues et viues en Platon, des amours
de son temps? Et le liure de l’Amoureux, de Demetrius Phalereus:
et Clinias, ou l’Amoureux forcé de Heraclides Ponticus? Et d’Antisthenes,
celuy de faire les enfants, ou des nopces: et l’autre, du
maistre ou de l’Amant? Et d’Aristo, celuy, des exercices amoureux?
de Cleanthes, vn de l’Amour, l’autre de l’art d’aymer? Les dialogues
amoureux de Spherus? Et la fable de Iupiter et Iuno de4
Chrysippus, eshontee au delà de toute souffrance? Et ses cinquante
epistres si lasciues? Ie veux laisser à part les escrits des philosophes,
qui ont suiuy la secte d’Epicurus protectrice de la volupté.
Cinquante deitez estoient au temps passé asseruies à cet office. Et
s’est trouué nation, où pour endormir la concupiscence de ceux qui
venoient à la deuotion, on tenoit aux temples des garses à iouyr
et estoit acte de ceremonie de s’en seruir auant venir à l’office:
Nimirum propter continentiam incontinentia necessaria est, incendium
ignibus extinguitur.   En la plus part du monde, cette partie
de nostre corps estoit deifiee. En mesme prouince, les vns se l’escorchoient
pour en offrir et consacrer vn lopin: les autres offroient1
et consacroient leur semence. En vne autre, les ieunes hommes se
le perçoient publiquement, et ouuroient en diuers lieux entre chair
et cuir, et trauersoient par ces ouuertures, des brochettes, les plus
longues et grosses qu’ils pouuoient souffrir: et de ces brochettes
faisoient apres du feu, pour offrande à leurs Dieux: estimez peu
vigoureux et peu chastes, s’ils venoient à s’estonner par la force de
cette cruelle douleur. Ailleurs, le plus sacré magistrat, estoit reueré
et recogneu par ces parties là. Et en plusieurs ceremonies
l’effigie en estoit portee en pompe, à l’honneur de diuerses diuinitez.
Les dames Ægyptiennes en la feste des Bacchanales, en portoient2
au col vn de bois, exquisement formé, grand et pesant,
chacune selon sa force: outre ce que la statue de leur Dieu, en representoit,
qui surpassoit en mesure le reste du corps. Les femmes
mariées icy pres, en forgent de leur couurechef vne figure sur leur
front, pour se glorifier de la iouyssance qu’elles en ont: et venant
à estre vefues, le couchent en arriere, et enseuelissent soubs leur
coiffure. Les plus sages matrones à Rome, estoient honnorees d’offrir
des fleurs et des couronnes au Dieu Priapus. Et sur ses parties
moins honnestes, faisoit-on soir les vierges, au temps de leurs
nopces. Encore ne sçay-ie si i’ay veu en mes iours quelque air de3
pareille deuotion. Que vouloit dire cette ridicule piece de la chaussure
de nos peres, qui se voit encore en nos Suysses? A quoy faire,
la montre que nous faisons à cette heure de nos pieces en forme,
soubs nos grecgues: et souuent, qui pis est, outre leur grandeur
naturelle, par fauceté et imposture? Il me prend enuie de croire,
que cette sorte de vestement fut inuentee aux meilleurs et plus
conscientieux siecles, pour ne piper le monde: pour que chacun
rendist en publiq compte de son faict. Les nations plus simples,
l’ont encore aucunement rapportant au vray. Lors on instruisoit la
science de l’ouurier, comme il se faict, de la mesure du bras ou du
pied. Ce bon homme qui en ma ieunesse, chastra tant de belles et
antiques statues en sa grande ville, pour ne corrompre la veuë,
suyuant l’aduis de cet autre antien bon homme,

Flagitij principium est nudare inter ciues corpora:

se deuoit aduiser, comme aux mysteres de la bonne Deesse, toute
apparence masculine en estoit forclose, que ce n’estoit rien auancer,
s’il ne faisoit encore chastrer, et cheuaux, et asnes, et nature en fin.1

Omne adeo genus in terris, hominùmque, ferarúmque,
Et genus æquoreum, pecudes pictæque volucres,
In furias ignémque ruunt.

Les Dieux, dit Platon, nous ont fourni d’vn membre inobedient et
tyrannique: qui, comme vn animal furieux, entreprend par la violence
de son appetit, sousmettre tout à soy. De mesmes aux femmes
le leur, comme vn animal glouton et auide, auquel si on refuse
aliments en sa saison, il forcene impatient de delay; et soufflant
sa rage en leurs corps, empesche les conduits, arreste la respiration,
causant mille sortes de maux: iusques à ce qu’ayant humé le2
fruit de la soif commune, il en ayt largement arrousé et ensemencé
le fond de leur matrice.   Or se deuoit aduiser aussi mon legislateur,
qu’à l’auanture est-ce vn plus chaste et fructueux vsage, de
leur faire de bonne heure cognoistre le vif, que de le leur laisser
deuiner, selon la liberté, et chaleur de leur fantasie. Au lieu des
parties vrayes, elles en substituent par desir et par esperance,
d’autres extrauagantes au triple. Et tel de ma cognoissance s’est
perdu, pour auoir faict la descouuerte des siennes, en lieu où il
n’estoit encore au propre de les mettre en possession de leur plus
serieux vsage. Quel dommage ne font ces enormes pourtraicts, que3
les enfants vont semant aux passages et escalliers des maisons
Royalles? De là leur vient vn cruel mespris de nostre portee naturelle.
Que sçait-on, si Platon ordonnant apres d’autres republiques
bien instituees que les hommes, femmes, vieux, ieunes, se presentent
nuds à la veuë les vns des autres, en ses gymnastiques, n’a pas
regardé à cela? Les Indiennes qui voyent les hommes à crud, ont
aumoins refroidy le sens de la veuë. Et quoy que dient les femmes
de ce grand royaume du Pegu, qui au dessous de la ceinture, n’ont
à se couurir qu’vn drap fendu par le deuant: et si estroit, que
quelque cerimonieuse decence qu’elles y cerchent, à chasque pas on
les void toutes; que c’est vne inuention trouuee aux fins d’attirer
les hommes à elles, et les retirer des masles, à quoy cette nation
est du tout abandonnee: il se pourroit dire, qu’elles y perdent plus1
qu’elles n’auancent: et qu’vne faim entiere, est plus aspre, que
celle qu’on a rassasiee, au moins par les yeux. Aussi disoit Liuia,
qu’à vne femme de bien, vn homme nud, n’est non plus qu’vne
image. Les Lacedemoniennes, plus vierges femmes, que ne sont
noz filles, voyoyent tous les iours les ieunes hommes de leur ville,
despouillez en leurs exercices: peu exactes elles mesmes à couurir
leurs cuisses en marchant: s’estimants, comme dit Platon, assez
couuertes de leur vertu sans vertugade. Mais ceux là, desquels
parle Sainct Augustin, ont donné vn merueilleux effort de tentation
à la nudité, qui ont mis en doubte, si les femmes au iugement2
vniuersel, resusciteront en leur sexe, et non plustost au nostre,
pour ne nous tenter encore en ce sainct estat. On les leurre en
somme, et acharne, par tous moyens. Nous eschauffons et incitons
leur imagination sans cesse, et puis nous crions au ventre. Confessons
le vray, il n’en est guere d’entre nous, qui ne craigne plus la
honte, qui luy vient des vices de sa femme, que des siens: qui ne
se soigne plus (esmerueillable charité) de la conscience de sa bonne
espouse, que de la sienne propre: qui n’aymast mieux estre voleur et
sacrilege, et que sa femme fust meurtriere et heretique, que si elle
n’estoit plus chaste que son mary. Inique estimation de vices. Nous3
et elles sommes capables de mille corruptions plus dommageables
et desnaturees, que n’est la lasciueté. Mais nous faisons et poisons
les vices, non selon nature, mais selon nostre interest. Par où ils
prennent tant de formes inegales.   L’aspreté de noz decrets, rend
l’application des femmes à ce vice, plus aspre et plus vicieuse, que
ne porte sa condition: et l’engage à des suittes pires que n’est leur
cause. Elles offriront volontiers d’aller au palais querir du gain, et
à la guerre de la reputation, plustost que d’auoir au milieu de
l’oisiueté, et des delices, à faire vne si difficile garde. Voyent-elles
pas, qu’il n’est ny marchant ny procureur, ny soldat, qui ne quitte
sa besongne pour courre à cette autre: et le crocheteur, et le sauetier,
tout harassez et hallebrenez qu’ils sont de trauail et de faim?

Num tu, quæ tenuit diues Achæmenes,
Aut pinguis Phrygiæ Mygdonias opes,1
Permutare velis crine Licymniæ,
Plenas aut Arabum domos,
Dum fragrantia detorquet ad oscula
Ceruicem, aut facili sæuitia negat,
Quæ poscente magis gaudeat eripi,
Interdum rapere occupet?

Ie ne sçay si les exploicts de Cæsar et d’Alexandre surpassent en
rudesse la resolution d’vne belle ieune femme, nourrie à nostre
façon, à la lumiere et commerce du monde, battue de tant d’exemples
contraires, se maintenant entiere, au milieu de mille continuelles2
et fortes poursuittes. Il n’y a point de faire, plus espineux,
qu’est ce non faire, ny plus actif. Ie trouue plus aysé, de porter
vne cuirasse toute sa vie, qu’vn pucelage. Et est le vœu de la virginité,
le plus noble de tous les vœux, comme estant le plus aspre.
Diaboli virtus in lumbis est: dict Sainct Ierosme.   Certes le plus
ardu et le plus vigoureux des humains deuoirs, nous l’auons resigné
aux dames, et leur en quittons la gloire. Cela leur doit seruir
d’vn singulier esguillon à s’y opiniastrer. C’est vne belle matiere à
nous brauer, et à fouler aux pieds, cette vaine preeminence de valeur
et de vertu, que nous pretendons sur elles. Elles trouueront,3
si elles s’en prennent garde, qu’elles en seront non seulement tres-estimees,
mais aussi plus aymees. Vn galant homme n’abandonne
point sa poursuitte, pour estre refusé, pourueu que ce soit vn refus
de chasteté, non de choix. Nous auons beau iurer et menasser, et
nous plaindre: nous mentons, nous les en aymons mieux. Il n’est
point de pareil leurre, que la sagesse, non rude, et renfrongnee.
C’est stupidité et lascheté, de s’opiniastrer contre la hayne et le
mespris. Mais contre vne resolution vertueuse et constante, meslee
d’vne volonté recognoissante, c’est l’exercice d’vne ame noble et
genereuse. Elles peuuent recognoistre nos seruices, iusques à certaine
mesure, et nous faire sentir honnestement qu’elles ne nous
desdaignent pas. Car cette loy qui leur commande de nous abominer,
par ce que nous les adorons, et nous hayr de ce que nous les
aymons: elle est certes cruelle, ne fust que de sa difficulté. Pourquoy
n’orront elles noz offres et noz demandes, autant qu’elles se
contiennent sous le deuoir de la modestie? Que va lon deuinant,
qu’elles sonnent au dedans, quelque sens plus libre? Vne Royne de1
nostre temps, disoit ingenieusement, que de refuser ces abbors,
c’est tesmoignage de foiblesse, et accusation de sa propre facilité:
et qu’vne dame non tentee, ne se pouuoit venter de sa chasteté.
Les limites de l’honneur ne sont pas retranchez du tout si court:
il a dequoy se relascher, il peut se dispenser aucunement sans se
forfaire. Au bout de sa frontiere, il y a quelque estendue, libre,
indifferente, et neutre. Qui l’a peu chasser et acculer à force,
iusques dans son coin et son fort: c’est vn mal habile homme s’il
n’est satisfaict de sa fortune. Le prix de la victoire se considere par
la difficulté. Voulez vous sçauoir quelle impression a faict en son2
cœur, vostre seruitude et vostre merite? mesurez-le à ses mœurs.
Telle peut donner plus, qui ne donne pas tant. L’obligation du bien-faict,
se rapporte entierement à la volonté de celuy qui donne: les
autres circonstances qui tombent au bien faire, sont muettes,
mortes et casueles. Ce peu luy couste plus à donner, qu’à sa compaigne
son tout. Si en quelque chose la rareté sert d’estimation, ce
doit estre en cecy. Ne regardez pas combien peu c’est, mais combien
peu l’ont. La valeur de la monnoye se change selon le coin et,
la merque du lieu. Quoy que le despit et l’indiscretion d’aucuns
leur puisse faire dire, sur l’excez de leur mescontentement: tousiours3
la vertu et la verité regaigne son auantage. I’en ay veu, desquelles
la reputation a esté long temps interessee par iniure, s’estre
remises en l’approbation vniuerselle des hommes, par leur seule
constance, sans soing et sans artifice: chacun se repent et se desment,
de ce qu’il en a creu. De filles vn peu suspectes, elles tiennent le
premier rang entre les dames d’honneur. Quelqu’vn disoit à Platon:
Tout le monde mesdit de vous. Laissez les dire, fit-il: ie viuray de
façon, que ie leur feray changer de langage. Outre la crainte de
Dieu, et le prix d’vne gloire si rare, qui les doibt inciter à se conseruer,
la corruption de ce siecle les y force. Et si i’estois en leur
place, il n’est rien que ie ne fisse plustost que de commettre ma
reputation en mains si dangereuses. De mon temps, le plaisir d’en
comter (plaisir qui ne doit guere en douceur à celuy mesme de
l’effect) n’estoit permis qu’à ceux qui auoient quelque amy fidelle
et vnique: à present les entretiens ordinaires des assemblees et des
tables, ce sont les vanteries des faueurs receuës, et liberalité secrette
des dames. Vrayement c’est trop d’abiection, et de bassesse
de cœur, de laisser ainsi fierement persecuter, paistrir, et fourrager1
ces tendres et mignardes douceurs, à des personnes ingrates, indiscretes,
et si volages.   Cette nostre exasperation immoderee, et
illegitime, contre ce vice, naist de la plus vaine et tempesteuse
maladie qui afflige les ames humaines, qui est la ialousie.

Quis vetat apposito lumen de lumine sumi?
Dent licet assiduè, nil tamen inde perit.

Celle-là, et l’enuie sa sœur, me semblent des plus ineptes de la
trouppe. De cette-cy, ie n’en puis gueres parler: cette passion
qu’on peint si forte et si puissante, n’a de sa grace aucune addresse
en moy. Quant à l’autre, ie la cognois, au moins de veuë. Les bestes2
en ont ressentiment. Le pasteur Cratis estant tombé en l’amour
d’vne cheure, son bouc, ainsi qu’il dormoit, luy vint par ialousie
choquer la teste, de la sienne, et la luy escraza. Nous auons monté
l’excez de cette fieure, à l’exemple d’aucunes nations barbares. Les
mieux disciplinees en ont esté touchees: c’est raison: mais non pas
transportees:

Ense maritali nemo confossus adulter,
Purpureo Stygias sanguine tinxit aquas.

Lucullus, Cæsar, Pompeius, Antonius, Caton, et d’autres braues
hommes, furent cocus, et le sçeurent, sans en exciter tumulte. Il3
n’y eut en ce temps là, qu’vn sot de Lepidus, qui en mourut
d’angoisse.

Ah! tum te miserum malique fati,
Quem attractis pedibus, patente porta,
Percurrent mugilésque raphanique.

Et le Dieu de nostre poëte, quand il surprint auec sa femme l’vn de
ses compagnons, se contenta de leur en faire honte:

Atque aliquis de Diis non tristibus optat,
Sic fieri turpis.

Et ne laisse pourtant de s’eschauffer des molles caresses, qu’elle4
luy offre: se plaignant qu’elle soit pour cela entree en deffiance de
son affection:

Quid causas petis ex alto? fiducia cessit
Quo tibi, Diua, mei?

Voyre elle luy fait requeste pour vn sien bastard,

Arma rogo genitrix nato:

qui luy est liberalement accordee. Et parle Vulcan d’Æneas auec
honneur:

Arma acri facienda viro.

D’vne humanité à la verité plus qu’humaine. Et cet excez de bonté,
ie consens qu’on le quitte aux Dieux:

Nec diuis homines componier æquum est.
Quant à la confusion des enfans, outre ce que les plus graues
legislateurs l’ordonnent et l’affectent en leurs republiques, elle ne1
touche pas les femmes, où cette passion est ie ne sçay comment
encore mieux en siege.

Sæpe etiam Iuno, maxima cælicolum,
Coniugis in culpa flagrauit quotidiana.

Lors que la ialousie saisit ces pauures ames, foibles, et sans resistance,
c’est pitié, comme elle les tirasse et tyrannise cruellement.
Elle s’y insinue sous tiltre d’amitié: mais depuis qu’elle les possede,
les mesmes causes qui seruoient de fondement à la bien-vueillance,
seruent de fondement de hayne capitale: c’est des maladies
d’esprit celle, à qui plus de choses seruent d’aliment, et moins de2
choses de remede. La vertu, la santé, le merite, la reputation du
mary, sont les boutefeux de leur maltalent et de leur rage.

Nullæ sunt inimicitiæ, nisi amoris, acerbæ.

Cette fiéure laidit et corrompt tout ce qu’elles ont de bel et de bon
d’ailleurs. Et d’vne femme ialouse, quelque chaste qu’elle soit, et
mesnagere, il n’est action qui ne sente l’aigre et l’importun. C’est
vne agitation enragee, qui les reiette à vne extremité du tout contraire
à sa cause. Il fut bon d’vn Octauius à Rome. Ayant couché
auec Pontia Posthumia, il augmenta son affection par la iouyssance,
et poursuyuit à toute instance de l’espouser: ne la pouuant persuader,3
cet amour extreme le precipita aux effects de la plus
cruelle et mortelle inimitié: il la tua. Pareillement les symptomes
ordinaires de cette autre maladie amoureuse, ce sont haines intestines,
monopoles, coniurations:

Notumque, furens quid fæmina possit:

et vne rage, qui se ronge d’autant plus, qu’elle est contraincte de
s’excuser du pretexte de bien-vueillance.   Or le deuoir de chasteté,
a vne grande estendue. Est-ce la volonté que nous voulons
qu’elles brident? C’est vne piece bien soupple et actiue. Elle a
beaucoup de promptitude pour la pouuoir arrester. Comment? si
les songes les engagent par fois si auant, qu’elles ne s’en puissent
desdire. Il n’est pas en elles, ny à l’aduanture en la chasteté
mesme, puis qu’elle est femelle, de se deffendre des concupiscences
et du desirer. Si leur volonté seule nous interesse
où en sommes nous? Imaginez la grand’ presse, à qui auroit ce
priuilege, d’estre porté tout empenné, sans yeux, et sans langue,
sur le poinct de chacune qui l’accepteroit. Les femmes Scythes1
creuoyent les yeux à touts leurs esclaues et prisonniers de guerre,
pour s’en seruir plus librement et couuertement. O le furieux aduantage
que l’opportunité! Qui me demanderoit la premiere partie en
l’amour, ie respondrois, que c’est sçauoir prendre le temps: la seconde
de mesme: et encore la tierce. C’est vn poinct qui peut tout.
I’ay eu faute de fortune souuent, mais par fois aussi d’entreprise.
Dieu gard’ de mal qui peut encores s’en moquer. Il y faut en ce
siecle plus de temerité: laquelle nos ieunes gens excusent sous pretexte
de chaleur. Mais si elles y regardoyent de pres, elles trouueroyent
qu’elle vient plustost de mespris. Ie craignois superstitieusement2
d’offenser: et respecte volontiers, ce que i’ayme. Outre ce
qu’en cette marchandise, qui en oste la reuerence, en efface le lustre.
I’ayme qu’on y face vn peu l’enfant, le craintif et le seruiteur.
Si ce n’est du tout en cecy, i’ay d’ailleurs quelques airs de la sotte
honte dequoy parle Plutarque: et en a esté le cours de ma vie blessé
et taché diuersement. Qualité bien mal auenante à ma forme vniuerselle.
Qu’est-il de nous aussi, que sedition et discrepance? I’ay
les yeux tendres à soustenir vn refus, comme à refuser. Et me poise
tant de poiser à autruy, qu’és occasions où le deuoir me force d’essayer
la volonté de quelqu’vn, en chose doubteuse et qui lui couste,3
ie le fais maigrement et enuis. Mais si c’est pour mon particulier,
(quoy que die veritablement Homere, qu’à vn indigent c’est vne
sotte vertu que la honte) i’y commets ordinairement vn tiers, qui
rougisse en ma place: et esconduis ceux qui m’emploient, de pareille
difficulté: si qu’il m’est aduenu par fois, d’auoir la volonté
de nier, que ie n’en auois pas la force.   C’est donc folie, d’essayer
à brider aux femmes vn desir qui leur est si cuysant et si naturel.
Et quand ie les oye se vanter d’auoir leur volonté si vierge et si
froide, ie me moque d’elles. Elles se reculent trop arriere. Si c’est
vne vieille esdentee decrepite, ou vne ieune seche et pulmonique:
s’il n’est du tout croyable, aumoins elles ont apparence de le dire.
Mais celles qui se meuuent et qui respirent encores, elles en empirent1
leur marché. D’autant que les excuses inconsiderees seruent
d’accusation. Comme vn Gentilhomme de mes voysins, qu’on soupçonnoit
d’impuissance:

Languidior tenera cui pendens sicula beta,
Numquam se mediam sustulit ad tunicam:

trois ou quatre iours apres ses nopces, alla iurer tout hardiment,
pour se iustifier, qu’il auoit faict vingt postes la nuict precedente:
dequoy on s’est seruy depuis à le conuaincre de pure ignorance, et
à le desmarier. Outre, que ce n’est rien dire qui vaille. Car il n’y a
ny continence ny vertu, s’il n’y a de l’effort au contraire. Il est vray,2
faut-il dire, mais ie ne suis pas preste à me rendre. Les saincts
mesmes parlent ainsi. S’entend, de celles qui se vantent en bon
escient, de leur froideur et insensibilité, et qui veulent en estre
creuës d’vn visage serieux: car quand c’est d’vn visage affeté, où
les yeux dementent leurs parolles, et du iargon de leur profession,
qui porte coup à contrepoil, ie le trouue bon. Ie suis fort seruiteur
de la nayfueté et de la liberté: mais il n’y a remede, si elle n’est
du tout niaise ou enfantine, elle est inepte, et messeante aux dames
en ce commerce: elle gauchit incontinent sur l’impudence. Leurs
desguisements et leurs figures ne trompent que les sots: le mentir3
y est en siege d’honneur: c’est vn destour qui nous conduit à la
verité, par vne fauce porte. Si nous ne pouuons contenir leur imagination,
que voulons nous d’elles? les effects? Il en est assez qui
eschappent à toute communication estrangere, par lesquels la
chasteté peult estre corrompue.

Illud sæpe facit, quod sine teste facit.

Et ceux que nous craignons le moins, sont à l’auanture les plus à
craindre. Leurs pechez muets sont les pires.

Offendor mœcha simpliciore minus.

Il est des effects, qui peuuent perdre sans impudicité leur pudicité:
et qui plus est, sans leur sçeu. Obstetrix, virginis cuiusdam integritatem
manu velut explorans, siue maleuolentia, siue inscitia, siue casu,
dum inspicit, perdidit. Telle a adiré sa virginité, pour l’auoir cerchee:
telle s’en esbattant l’a tuee. Nous ne sçaurions leur circonscrire
precisement les actions que nous leur deffendons. Il faut conceuoir
nostre loy, soubs parolles generalles et incertaines. L’idee
mesme que nous forgeons à leur chasteté est ridicule. Car entre les
extremes patrons que i’en aye, c’est Fatua femme de Faunus, qui1
ne se laissa voir oncques puis ses nopces à masle quelconque. Et la
femme de Hieron, qui ne sentoit pas son mary punais, estimant que
ce fust vne qualité commune à tous hommes. Il faut qu’elles deuiennent
insensibles et inuisibles, pour nous satisfaire.   Or confessons
que le neud du iugement de ce deuoir, gist principallement en la
volonté. Il y a eu des maris qui ont souffert cet accident, non seulement
sans reproche et offence enuers leurs femmes, mais auec
singuliere obligation et recommandation de leur vertu. Telle, qui
aymoit mieux son honneur que sa vie, l’a prostitué à l’appetit forcené
d’vn mortel ennemy, pour sauuer la vie à son mary: et a2
faict pour luy ce qu’elle n’eust aucunement faict pour soy. Ce n’est
pas icy le lieu d’estendre ces exemples: ils sont trop hauts et trop
riches, pour estre representez en ce lustre: gardons-les à vn plus
noble siege. Mais pour des exemples de lustre plus vulgaire: est-il
pas tous les iours des femmes entre nous qui pour la seule vtilité
de leurs maris se prestent, et par leur expresse ordonnance et entremise?
Et anciennement Phaulius l’Argien offrit la sienne au Roy
Philippus par ambition: tout ainsi que par ciuilité ce Galba qui
auoit donné à souper à Mecenas, voyant que sa femme et luy commançoient
à comploter d’œuillades et de signes, se laissa couler sur3
son coussin, representant vn homme aggraué de sommeil: pour faire
espaule à leurs amours. Ce qu’il aduoua d’assez bonne grace: car
sur ce poinct, vn valet ayant pris la hardiesse de porter la main sur
les vases, qui estoient sur la table: il luy cria tout franchement:
Comment coquin? vois tu pas que ie ne dors que pour Mecenas?
Telle a les mœurs desbordees, qui a la volonté plus reformee que
n’a cet’ autre, qui se conduit soubs vne apparence reglee. Comme
nous en voyons, qui se plaignent d’auoir esté vouees à chasteté,
auant l’aage de cognoissance: i’en ay veu aussi, se plaindre veritablement,
d’auoir esté vouees à la desbauche, auant l’aage de cognoissance.
Le vice des parens en peut estre cause: ou la force du
besoing, qui est vn rude conseiller. Aux Indes Orientales, la chasteté
y estant en singuliere recommandation, l’vsage pourtant souffroit,
qu’vne femme mariee se peust abandonner à qui luy presentoit
vn elephant: et cela, auec quelque gloire d’auoir esté estimee
à si haut prix. Phedon le philosophe, homme de maison, apres la1
prinse de son païs d’Elide, feit mestier de prostituer, autant qu’elle
dura, la beauté de sa ieunesse, à qui en voulut, à prix d’argent,
pour en viure. Et Solon fut le premier en la Grece, dit-on, qui
par ses loix, donna liberté aux femmes aux despens de leur pudicité
de prouuoir au besoing de leur vie: coustume qu’Herodote
dit auoir esté receuë auant luy, en plusieurs polices. Et puis, quel
fruit de cette penible sollicitude? Car quelque iustice, qu’il y ayt
en cette passion, encore faudroit-il voir si elle nous charie vtilement.
Est-il quelqu’vn, qui les pense boucler par son industrie?

Pone seram, cohibe: sed quis custodiet ipsos2
Custodes? cauta est, et ab illis incipit vxor.

Quelle commodité ne leur est suffisante, en vn siecle si sçauant?
La curiosité est vicieuse par tout: mais elle est pernicieuse icy.
C’est folie de vouloir s’esclaircir d’vn mal, auquel il n’y a point de
medecine, qui ne l’empire et le rengrege: duquel la honte s’augmente
et se publie principalement par la ialousie: duquel la vengeance
blesse plus nos enfans, qu’elle ne nous guerit. Vous assechez
et mourez à la queste d’vne si obscure verification. Combien
piteusement y sont arriuez ceux de mon temps, qui en sont venus à
bout? Si l’aduertisseur n’y presente quand et quand le remede et3
son secours, c’est vn aduertissement iniurieux, et qui merite mieux
vn coup de poignard, que ne faict vn dementir. On ne se moque pas
moins de celuy qui est en peine d’y pouruoir, que de celuy qui
l’ignore. Le charactere de la cornardise est indelebile: à qui il est
vne fois attaché, il l’est tousiours. Le chastiement l’exprime plus,
que la faute. Il faict beau voir, arracher de l’ombre et du doubte,
nos malheurs priuez, pour les trompeter en eschaffaux tragiques:
et malheurs, qui ne pinsent, que par le rapport. Car bonne
femme et bon mariage, se dit, non de qui l’est, mais duquel on se
taist. Il faut estre ingenieux à euiter cette ennuyeuse et inutile cognoissance.
Et auoyent les Romains en coustume, reuenans de
voyage, d’enuoyer au deuant en la maison, faire sçauoir leur arriuee
aux femmes, pour ne les surprendre. Et pourtant a introduit
certaine nation, que le prestre ouure le pas à l’espousee, le iour
des nopces: pour oster au marié, le doubte et la curiosité, de cercher
en ce premier essay, si elle vient à luy vierge, ou blessee
d’vne amour estrangere.   Mais le monde en parle. Ie sçay cent1
honnestes hommes coquus, honnestement et peu indecemment. Vn
galant homme en est pleint, non pas desestimé. Faites que vostre
vertu estouffe votre malheur: que les gens de bien en maudissent
l’occasion: que celuy qui vous offence, tremble seulement à le
penser. Et puis, de qui ne parle on en ce sens, depuis le petit
iusques au plus grand?

Tot qui legionibus imperitauit,
Et melior quàm tu multis fuit, improbe, rebus.

Voys tu qu’on engage en ce reproche tant d’honnestes hommes en
ta presence, pense qu’on ne t’espargne non plus ailleurs. Mais2
iusques aux dames elles s’en moqueront. Et dequoy se moquent
elles en ce temps plus volontiers, que d’vn mariage paisible et bien
composé? Chacun de vous a fait quelqu’vn coqu: or nature est
toute en pareilles, en compensation et vicissitude. La frequence de
cet accident, en doibt mes-huy auoir moderé l’aigreur: le voyla
tantost passé en coustume.   Miserable passion, qui a cecy encore,
d’estre incommunicable.

Fors etiam nostris inuidit questibus aures.

Car à quel amy osez vous fier vos doleances: qui, s’il ne s’en rit,
ne s’en serue d’acheminement et d’instruction pour prendre luy-mesme3
sa part à la curee? Les aigreurs comme les douceurs du
mariage se tiennent secrettes par les sages. Et parmy les autres
importunes conditions, qui se trouuent en iceluy, cette cy à vn
homme languager, comme ie suis, est des principales: que la coustume
rende indecent et nuisible, qu’on communique à personne
tout ce qu’on en sçait, et qu’on en sent.   De leur donner mesme
conseil à elles, pour les desgouter de la ialousie, ce seroit temps
perdu: leur essence est si confite en soupçon, en vanité et en curiosité,
que de les guarir par voye legitime, il ne faut pas l’esperer.
Elles s’amendent souuent de cet inconuenient, par vne forme de4
santé, beaucoup plus à craindre que n’est la maladie mesme. Car
comme il y a des enchantemens, qui ne sçauent pas oster le mal,
qu’en le rechargeant à vn autre, elles reiettent ainsi volontiers
cette fieure à leurs maris, quand elles la perdent. Toutesfois à dire
vray, ie ne sçay si on peut souffrir d’elles pis que la ialousie. C’est
la plus dangereuse de leurs conditions, comme de leurs membres,
la teste. Pittacus disoit, que chacun auoit son defaut: que le sien
estoit la mauuaise teste de sa femme: hors cela, il s’estimeroit de
tout point heureux. C’est vn bien poisant inconuenient, duquel vn
personnage si iuste, si sage, si vaillant, sentoit tout l’estat de sa
vie alteré. Que deuons nous faire nous autres hommenets? Le Senat1
de Marseille eut raison, d’interiner sa requeste à celuy qui demandoit
permission de se tuer, pour s’exempter de la tempeste de sa
femme: car c’est vn mal, qui ne s’emporte iamais qu’en emportant
la piece: et qui n’a autre composition qui vaille, que la fuitte, ou
la souffrance: quoy que toutes les deux, tres-difficiles. Celuy là s’y
entendoit, ce me semble, qui dit qu’vn bon mariage se dressoit d’vne
femme aueugle, auec vn mary sourd.   Regardons aussi que cette
grande et violente aspreté d’obligation, que nous leur enioignons,
ne produise deux effects contraires à nostre fin: à sçauoir, qu’elle
aiguise les poursuyuants, et face les femmes plus faciles à se rendre.2
Car quant au premier point, montant le prix de la place, nous
montons le prix et le desir de la conqueste. Seroit-ce pas Venus
mesme, qui eust ainsi finement haussé le cheuet à sa marchandise,
par le maquerelage des loix: cognoissant combien c’est vn sot desduit,
qui ne le feroit valoir par fantasie et par cherté? En fin c’est
toute chair de porc, que la sauce diuersifie, comme disoit l’hoste
de Flaminius. Cupidon est vn Dieu felon. Il fait son ieu, à luitter la
deuotion et la iustice. C’est sa gloire, que sa puissance chocque
tout’ autre puissance, et que toutes autres regles cedent aux
siennes.3

Materiam culpæ prosequitúrque suæ.

Et quant au second poinct: serions nous pas moins coqus, si nous
craignions moins de l’estre? suyuant la complexion des femmes: car
la deffence les incite et conuie.

Vbi velis nolunt, vbi nolis volunt vltrò:

Concessa pudet ire via.

Quelle meilleure interpretation trouuerions nous au faict de Messalina?
Elle fit au commencement son mary coqu à cachetes,
comme il se faict: mais conduisant ses parties trop aysément, par
la stupidité qui estoit en luy, elle desdaigna soudain cet vsage: la
voyla à faire l’amour à la descouuerte, aduoüer des seruiteurs, les
entretenir et les fauoriser à la veüe d’vn chacun. Elle vouloit qu’il
s’en ressentist. Cet animal ne se pouuant esueiller pour tout cela,
et luy rendant ses plaisirs mols et fades, par cette trop lasche facilité,
par laquelle il sembloit qu’il les authorisast et legitimast: que
fit elle? Femme d’vn Empereur sain et viuant, et à Rome, au theatre
du monde, en plein midy, en feste et ceremonie publique, et
auec Silius, duquel elle iouyssoit long temps deuant, elle se marie
vn iour que son mary estoit hors de la ville. Semble-il pas qu’elle1
s’acheminast à deuenir chaste, par la nonchallance de son mary?
Ou qu’elle cherchast vn autre mary, qui luy aiguisast l’appetit par
sa ialousie, et qui en luy insistant, l’incitast? Mais la premiere difficulté
qu’elle rencontra, fut aussi la derniere. Cette beste s’esueilla
en sursaut. On a souuent pire marché de ces sourdaux endormis.
I’ay veu par experience, que cette extreme souffrance, quand elle
vient à se desnoüer, produit des vengeances plus aspres. Car prenant
feu tout à coup, la cholere et la fureur s’emmoncelant en vn,
esclatte tous ses efforts à la premiere charge.

Irarúmque omnes effundit habenas.2

Il la fit mourir, et grand nombre de ceux de son intelligence:
iusques à tel qui n’en pouuoit mais, et qu’elle auoit conuié à son
lict à coups d’escourgee.   Ce que Virgile dit de Venus et de Vulcan,
Lucrece l’auoit dict plus sortablement, d’vne iouyssance desrobee,
d’elle et de Mars.

Belli fera mœnera Mauors
Armipotens regit, in gremium qui sæpe tuum se
Reiicit, æterno deuinctus vulnere amoris
Pascit amore auidos inhians in te, Dea, visus,
Eque tuo pendet resupini spiritus ore:3
Hunc tu, Diua, tuo recubantem corpore sancto
Circumfusa super, suaueis ex ore loquelas
Funde.

Quand ie rumine ce, reiicit, pascit, inhians, molli, fouet, medullas,
labefacta, pendet, percurrit, et cette noble, circumfusa, mere du
gentil infusus, i’ay desdain de ces menues pointes et allusions verballes,
qui nasquirent depuis. A ces bonnes gens, il ne falloit d’aigue
et subtile rencontre. Leur langage est tout plein, et gros d’vne
vigueur naturelle et constante. Ils sont tout epigramme: non la
queuë seulement, mais la teste, l’estomach, et les pieds. Il n’y a
rien d’efforcé, rien de trainant: tout y marche d’vne pareille teneur.
Contextus totus virilis est, non sunt circa flosculos occupati. Ce
n’est pas vne eloquence molle, et seulement sans offence: elle est
nerueuse et solide, qui ne plaist pas tant, comme elle remplit et
rauit: et rauit le plus, les plus forts esprits. Quand ie voy ces1
braues formes de s’expliquer, si vifues, si profondes, ie ne dis pas
que c’est bien dire, ie dis que c’est bien penser. C’est la gaillardise
de l’imagination, qui esleue et enfle les parolles. Pectus est quod
disertum facit. Nos gens appellent iugement, langage, et beaux
mots, les pleines conceptions. Cette peinture est conduitte, non tant
par dexterité de la main, comme pour auoir l’obiect plus vifuement
empreint en l’ame. Gallus parle simplement, par ce qu’il conçoit
simplement. Horace ne se contente point d’vne superficielle expression,
elle le trahiroit: il voit plus clair et plus outre dans les
choses: son esprit crochette et furette tout le magasin des mots et2
des figures, pour se representer: et les luy faut outre l’ordinaire,
comme sa conception est outre l’ordinaire. Plutarque dit, qu’il veid
le langage Latin par les choses. Icy de mesme: le sens esclaire et
produit les parolles: non plus de vent, ains de chair et d’os. Elles
signifient, plus qu’elles ne disent. Les imbecilles sentent encores
quelque image de cecy. Car en Italie ie disois ce qu’il me plaisoit
en deuis communs: mais aux propos roides, ie n’eusse osé me fier
à vn idiome, que ie ne pouuois plier ny contourner, outre son alleure
commune. I’y veux pouuoir quelque chose du mien.   Le
maniement et employte des beaux esprits, donne prix à la langue:3
non pas l’innouant, tant, comme la remplissant de plus vigoreux et
diuers seruices, l’estirant et ployant. Ils n’y apportent point des
mots: mais ils enrichissent les leurs, appesantissent et enfoncent
leur signification et leur vsage: luy apprenent des mouuements
inaccoustumés: mais prudemment et ingenieusement. Et combien
peu cela soit donné à tous, il se voit par tant d’escriuains François
de ce siecle. Ils sont assez hardis et dédaigneux, pour ne suyure la
route commune: mais faute d’inuention et de discretion les pert.
Il ne s’y voit qu’vne miserable affectation d’estrangeté: des desguisements
froids et absurdes, qui au lieu d’esleuer, abbattent la matiere.
Pourueu qu’ils se gorgiasent en la nouuelleté, il ne leur
chaut de l’efficace. Pour saisir vn nouueau mot, ils quittent l’ordinaire,
souuent plus fort et plus nerueux.   En nostre langage ie1
trouue assez d’estoffe, mais vn peu faute de façon. Car il n’est rien,
qu’on ne fist du iargon de nos chasses, et de nostre guerre, qui est
vn genereux terrein à emprunter. Et les formes de parler, comme
les herbes, s’amendent et fortifient en les transplantant. Ie le
trouue suffisamment abondant, mais non pas maniant et vigoureux
suffisamment. Il succombe ordinairement à vne puissante conception.
Si vous allez tendu, vous sentez souuent qu’il languit soubs
vous, et fleschit: et qu’à son deffaut le Latin se presente au secours,
et le Grec à d’autres. D’aucuns de ces mots que ie viens de
trier, nous en apperçeuons plus mal-aysement l’energie, d’autant2
que l’vsage et la frequence, nous en ont aucunement auily et rendu
vulgaire la grace. Comme en nostre commun, il s’y rencontre des
frases excellentes, et des metaphores, desquelles la beauté flestrit
de vieillesse, et la couleur s’est ternie par maniement trop ordinaire.
Mais cela n’oste rien du goust, à ceux qui ont bon nez: ny
ne desroge à la gloire de ces anciens autheurs, qui, comme il est
vraysemblable, mirent premierement ces mots en ce lustre.   Les
sciences traictent les choses trop finement, d’vne mode artificielle,
et differente à la commune et naturelle. Mon page fait l’amour, et
l’entend: lisez luy Leon Hebreu, et Ficin: on parle de luy, de ses3
pensees, et de ses actions, et si n’y entend rien. Ie ne recognois
chez Aristote, la plus part de mes mouuemens ordinaires. On les a
couuers et reuestus d’vne autre robbe, pour l’vsage de l’eschole.
Dieu leur doint bien faire: si i’estois du mestier, ie naturaliserois
l’art, autant comme ils artialisent la nature. Laissons là Bembo et
Equicola.   Quand i’escris, ie me passe bien de la compagnie, et
souuenance des liures: de peur qu’ils n’interrompent ma forme.
Aussi qu’à la verité, les bons autheurs m’abbattent par trop, et
rompent le courage. Ie fais volontiers le tour de ce peintre, lequel
ayant miserablement representé des coqs, deffendoit à ses garçons,
qu’ils ne laissassent venir en sa boutique aucun coq naturel. Et auroy
plustost besoing, pour me donner vn peu de lustre, de l’inuention
du musicien Antinonydes, qui, quand il auoit à faire la musique,
mettoit ordre que deuant ou apres luy, son auditoire fust abbreuué1
de quelques autres mauuais chantres. Mais ie me puis plus malaisément
deffaire de Plutarque: il est si vniuersel et si plain, qu’à
toutes occasions, et quelque suiect extrauagant que vous ayez pris,
il s’ingere à vostre besonge, et vous tend vne main liberale et inespuisable
de richesses, et d’embellissemens. Il m’en fait despit,
d’estre si fort exposé au pillage de ceux qui le hantent. Ie ne le
puis si peu racointer, que ie n’en tire cuisse ou aile.   Pour ce
mien dessein, il me vient aussi à propos, d’escrire chez moy, en
pays sauuage, où personne ne m’aide, ny me releve: où ie ne
hante communément homme, qui entende le Latin de son patenostre;2
et de François vn peu moins. Ie l’eusse faict meilleur ailleurs,
mais l’ouurage eust esté moins mien. Et sa fin principale et perfection,
c’est d’estre exactement mien. Ie corrigerois bien vne erreur
accidentale, dequoy ie suis plein, ainsi que ie cours inaduertemment:
mais les imperfections qui sont en moy ordinaires et constantes,
ce seroit trahison de les oster. Quand on m’a dict ou que moy-mesme
me suis dict: Tu es trop espais en figures, voyla vn mot du
cru de Gascongne: voyla vne phrase dangereuse: (ie n’en refuis aucune
de celles qui s’vsent emmy les rues Françoises: ceux qui veulent
combatre l’vsage par la grammaire se moquent) voylà vn discours3
ignorant: voylà vn discours paradoxe, en voylà vn trop fol: tu te
ioues souuent, on estimera que tu dies à droit, ce que tu dis à
feinte. Oüy, fais-ie, mais ie corrige les fautes d’inaduertence, non
celles de coustume. Est-ce pas ainsi que ie parle par tout? me represente-ie
pas viuement? suffit. I’ay faict ce que i’ay voulu: tout
le monde me recognoist en mon liure, et mon liure en moy.   Or
i’ay vne condition singeresse et imitatrice. Quand ie me meslois de
faire des vers, et n’en fis iamais que des Latins, ils accusoient euidemment
le poëte que ie venois dernierement de lire. Et de mes
premiers Essays, aucuns puent vn peu l’estranger. A Paris ie parle
vn langage aucunement autre qu’à Montaigne. Qui que ie regarde
auec attention, m’imprime facilement quelque chose du sien. Ce
que ie considere, ie l’vsurpe: vne sotte contenance, vne desplaisante
grimace, vne forme de parler ridicule. Les vices plus. D’autant
qu’ils me poingnent, ils s’acrochent à moy, et ne s’en vont pas
sans secouer. On m’a veu plus souuent iurer par similitude, que1
par complexion. Imitation meurtriere, comme celle des singes horribles
en grandeur et en force, que le Roy Alexandre rencontra en
certaine contree des Indes. Desquels il eust esté autrement difficile
de venir à bout. Mais ils en presterent le moyen par cette leur inclination
à contrefaire tout ce qu’ils voyent faire. Car par là les
chasseurs apprindrent de se chausser des souliers à leur veuë,
auec force nœuds de liens: de s’affubler d’accoustremens de teste à
tout des lacs courants, et oindre par semblant, leurs yeux de glux.
Ainsi mettoyent imprudemment à mal, ces pauures bestes, leur
complexion singeresse. Ils s’engluoient, s’encheuestroyent et garrotoyent2
eux mesmes. Cette autre faculté, de representer ingenieusement
les gestes et parolles d’vn autre, par dessein qui apporte
souuent plaisir et admiration, n’est en moy, non plus qu’en vne
souche. Quand ie iure selon moy, c’est seulement, par Dieu, qui est
le plus droit de touts les serments. Ils disent, que Socrates iuroit le
chien: Zenon cette mesme interiection, qui sert à cette heure aux
Italiens, Cappari: Pythagoras, l’eau et l’air. Ie suis si aisé à receuoir
sans y penser ces impressions superficielles, que si i’ay eu
en la bouche, Sire ou Altesse, trois iours de suite, huict iours apres
ils m’eschappent, pour excellence, ou pour seigneurie. Et ce que3
i’auray pris à dire en battelant et en me moquant, ie le diray lendemain
serieusement. Parquoy, à escrire, i’accepte plus enuis les
argumens battus, de peur que ie les traicte aux despens d’autruy.
Tout argument m’est egallement fertile. Ie les prens sur vne mouche.
Et Dieu vueille que celuy que i’ay icy en main, n’ait pas esté
pris, par le commandement d’vne volonté autant volage. Que ie commence
par celle qu’il me plaira, car les matieres se tiennent toutes
enchesnees les vnes aux autres.   Mais mon ame me desplaist,
de ce qu’elle produit ordinairement ses plus profondes resueries,
plus folles, et qui me plaisent le mieux, à l’improuueu, et lors que
ie les cherche moins: lesquelles s’esuanouissent soudain, n’ayant
sur le champ où les attacher. A cheual, à la table, au lict. Mais plus
à cheual, où sont mes plus larges entretiens. I’ay le parler vn peu
delicatement ialoux d’attention et de silence, si ie parle de force.
Qui m’interrompt, m’arreste. En voyage, la necessité mesme des
chemins couppe les propos. Outre ce, que ie voyage plus souuent
sans compagnie, propre à ces entretiens de suite: par où ie prens
tout loisir de m’entretenir moy-mesme. Il m’en aduient comme de1
mes songes: en songeant, ie les recommande à ma memoire, car
ie songe volontiers que ie songe, mais le lendemain, ie me represente
bien leur couleur, comme elle estoit, ou gaye, ou triste, ou
estrange, mais quels ils estoient au reste, plus i’ahane à le trouuer,
plus ie l’enfonce en l’oubliance. Aussi des discours fortuites
qui me tombent en fantasie, il ne m’en reste en memoire qu’vne
vaine image: autant seulement qu’il m’en faut pour me faire ronger,
et despiter apres leur queste, inutilement.   Or donc, laissant
les liures à part, et parlant plus materiellement et simplement: ie
trouue apres tout, que l’amour n’est autre chose, que la soif de2
cette iouyssance en vn subiect desiré: ny Venus autre chose, que
le plaisir à descharger ses vases: comme le plaisir que nature nous
donne à descharger d’autres parties: qui deuient vicieux ou par
immoderation, ou par indiscretion. Pour Socrates, l’amour est appetit
de generation par l’entremise de la beauté. Et considerant
maintefois la ridicule titillation de ce plaisir, les absurdes mouuemens
esceruelez et estourdis, dequoy il agite Zenon et Cratippus:
cette rage indiscrete, ce visage enflammé de fureur et de cruauté,
au plus doux effect de l’amour: et puis cette morgue graue,
seuere, et ecstatique, en vne action si folle, qu’on ayt logé pesle-mesle3
nos delices et nos ordures ensemble: et que la supreme volupté
aye du transy et du plaintif, comme la douleur: ie crois qu’il
est vray, ce que dit Platon, que l’homme a esté faict par les Dieux
pour leur iouët.

Quænam ista iocandi
Sæuitia?

Et que c’est par moquerie, que Nature nous a laissé la plus trouble
de nos actions, la plus commune: pour nous esgaller par là, et
apparier les fols et les sages, et nous et les bestes. Le plus contemplatif,
et prudent homme, quand ie l’imagine en cette assiette, ie le1
tiens pour affronteur, de faire le prudent et le contemplatif. Ce
sont les pieds du paon, qui abbatent son orgueil.

Ridentem dicere verum
Quid vetat?

Ceux qui parmi les ieux, refusent les opinions serieuses, font, dit
quelqu’vn, comme celuy qui craint d’adorer la statuë d’vn sainct,
si elle est sans deuantiere. Nous mangeons bien et beuuons comme
les bestes: mais ce ne sont pas actions qui empeschent les offices
de nostre ame. En celles-là, nous gardons nostre auantage sur
elles: cette-cy met toute autre pensee soubs le ioug: abrutit et2
abestit par son imperieuse authorité, toute la theologie et philosophie
qui est en Platon: et si ne s’en plaint pas. Par tout ailleurs
vous pouuez garder quelque decence: toutes autres operations
souffrent des regles d’honnesteté: cette-cy ne se peut pas seulement
imaginer, que vicieuse ou ridicule. Trouuez y pour voir vn proceder
sage et discret. Alexandre disoit qu’il se connoissoit principallement
mortel, par cette action, et par le dormir: le sommeil suffoque
et supprime les facultez de nostre ame, la besongne les absorbe
et dissipe de mesme. Certes c’est vne marque non seulement de
nostre corruption originele: mais aussi de nostre vanité et deformité.3
   D’vn costé Nature nous y pousse, ayant attaché à ce desir,
la plus noble, vtile, et plaisante de toutes ses functions: et la nous
laisse d’autre part accuser et fuyr, comme insolente et deshonneste,
en rougir et recommander l’abstinence. Sommes nous pas bien
bruttes, de nommer brutale l’operation qui nous faict? Les peuples,
és religions, se sont rencontrez en plusieurs conuenances:
comme sacrifices, luminaires, encensements, ieusnes, offrandes: et
entre autres, en la condemnation de cette action. Toutes les opinions
y viennent, outre l’vsage si estendu des circoncisions. Nous
auons à l’auanture raison, de nous blasmer, de faire vne si sotte
production que l’homme: d’appeller l’action honteuse, et honteuses
les parties qui y seruent (à cette heure sont les miennes proprement
honteuses). Les Esseniens, dequoy parle Pline, se maintenoient
sans nourrice, sans maillot, plusieurs siecles: de l’abbord des estrangers,
qui, suiuants cette belle humeur, se rengeoient continuellement
à eux: ayant toute vne nation, hazardé de s’exterminer
plustost, que s’engager à vn embrassement feminin, et de perdre la
suitte des hommes plustost, que d’en forger vn. Ils disent que Zenon
n’eut affaire à femme, qu’vne fois en sa vie: et que ce fut par ciuilité,1
pour ne sembler dedaigner trop obstinement le sexe. Chacun
fuit à le voir naistre, chacun court à le voir mourir. Pour le destruire,
on cerche vn champ spacieux en pleine lumiere: pour le
construire, on se musse dans vn creux tenebreux, et le plus contraint
qu’il se peut. C’est le deuoir, de se cacher pour le faire, et
c’est gloire, et naissent plusieurs vertus, de le sçauoir deffaire.
L’vn est iniure, l’autre est faueur: car Aristote dit, que bonifier
quelqu’vn, c’est le tuer, en certaine phrase de son païs. Les Atheniens,
pour apparier la deffaueur de ces deux actions, ayants à
mundifier l’isle de Delos, et se iustifier enuers Apollo, defendirent2
au pourpris d’icelle, tout enterrement, et tout enfantement ensemble.
Nostri nosmet pœnitet.   Il y a des nations qui se couurent en
mangeant. Ie sçay vne dame, et des plus grandes, qui a cette
mesme opinion, que c’est vne contenance desagreable, de mascher:
qui rabat beaucoup de leur grace, et de leur beauté: et ne se presente
pas volontiers en public auec appetit. Et sçay vn homme, qui
ne peut souffrir de voir manger, ny qu’on le voye: et fuyt toute assistance,
plus quand il s’emplit, que s’il se vuide. En l’empire du
Turc, il se void grand nombre d’hommes, qui, pour exceller les autres,
ne se laissent iamais veoir, quand ils font leur repas; qui n’en3
font qu’vn la sepmaine: qui se deschiquettent et decoupent la face
et les membres: qui ne parlent iamais à personne. Gens fanatiques,
qui pensent honnorer leur nature en se desnaturant: qui se
prisent de leur mespris, et s’amendent de leur empirement. Quel
monstrueux animal, qui se fait horreur à soy-même, à qui ses plaisirs
poisent: qui se tient à mal-heur? Il y en a qui cachent leur
vie,

Exilióque domos et dulcia limina mutant,

Et la desrobent de la veuë des autres hommes: qui euitent la santé
et l’allegresse, comme qualitez ennemies et dommageables. Non
seulement plusieurs sectes, mais plusieurs peuples maudissent leur
naissance, et benissent leur mort. Il en est où le soleil est abominé,
les tenebres adorees. Nous ne sommes ingenieux qu’à nous mal
mener: c’est le vray gibbier de la force de nostre esprit: dangereux
vtil en desreglement.

O miseri quorum gaudia crimen habent!

Hé pauure homme, tu as assez d’incommoditez necessaires, sans les1
augmenter par ton inuention: et és assez miserable de condition,
sans l’estre par art: tu as des laideurs reelles et essentielles à suffisance,
sans en forger d’imaginaires. Trouues tu que tu sois trop à
l’aise si la moitié de ton aise ne te fasche? Trouues tu que tu ayes
remply tous les offices necessaires, à quoy Nature t’engage, et
qu’elle soit oysiue chez toy, si tu ne t’obliges à nouueaux offices?
Tu ne crains point d’offencer ses lois vniuerselles et indubitables,
et te piques aux tiennes partisanes et fantastiques. Et d’autant plus
qu’elles sont particulieres, incertaines, et plus contredictes, d’autant
plus tu fais là ton effort. Les ordonnances positiues de ta paroisse2
t’attachent: celles du monde ne te touchent point. Cours vn
peu par les exemples de cette consideration: ta vie en est toute.
Les vers de ces deux poëtes, traictans ainsi reseruément et discrettement
de la lasciueté, comme ils font, me semblent la descouurir
et esclairer de plus pres. Les dames couurent leur sein d’vn reseul,
les prestres plusieurs choses sacrees, les peintres ombragent
leur ouurage, pour luy donner plus de lustre. Et dict-on que le
coup du soleil et du vent, est plus poisant par reflexion qu’à droit
fil. L’Ægyptien respondit sagement à celuy qui luy demandoit, Que
portes-tu là, caché soubs ton manteau? Il est caché soubs mon3
manteau, affin que tu ne sçaches pas que c’est. Mais il y a certaines
autres choses qu’on cache pour les montrer. Oyez cetuy-là plus
ouuert,

Et nudam pressi corpus adusque meum.

Il me semble qu’il me chapone. Que Martial retrousse Venus à sa
poste, il n’arriue pas à la faire paroistre si entiere. Celuy qui dit
tout, il nous saoule et nous desgouste. Celuy qui craint à s’exprimer,
nous achemine à en penser plus qu’il n’en y a. Il y a de la
trahison en cette sorte de modestie: et notamment nous entr’ouurant
comme font ceux cy, vne si belle route à l’imagination. Et
l’action et la peinture doiuent sentir leur larrecin.   L’amour des
Espagnols, et des Italiens, plus respectueuse et craintifue, plus mineuse
et couuerte, me plaist. Ie ne sçay qui, anciennement, desiroit
le gosier allongé comme le col d’vne gruë, pour sauourer plus long
temps ce qu’il aualloit. Ce souhait est mieux à propos en cette volupté,
viste et precipiteuse. Mesmes à telles natures comme est la
mienne, qui suis vicieux en soudaineté. Pour arrester sa fuitte, et
l’estendre en preambules; entre-eux, tout sert de faueur et de recompense:
vne œillade, vne inclination, vne parolle, vn signe. Qui1
se pourroit disner de la fumee du rost, feroit-il pas vne belle
espargne? C’est vne passion qui mesle à bien peu d’essence solide,
beaucoup plus de vanité et resuerie fieureuse: il la faut payer et
seruir de mesme. Apprenons aux dames à se faire valoir, à s’estimer,
à nous amuser, et à nous piper. Nous faisons nostre charge
extreme la premiere: il y a tousiours de l’impetuosité Françoise.
Faisant filer leurs faueurs, et les estallant en detail: chacun, iusques
à la vieillesse miserable, y trouue quelque bout de lisiere, selon
son vaillant et son merite. Qui n’a iouyssance, qu’en la iouyssance:
qui ne gaigne que du haut poinct: qui n’ayme la chasse qu’en la2
prise: il ne luy appartient pas de se mesler à nostre escole. Plus il
y a de marches et degrez, plus il y a de hauteur et d’honneur au
dernier siege. Nous nous deurions plaire d’y estre conduicts,
comme il se faict aux palais magnifiques, par diuers portiques, et
passages, longues et plaisantes galleries, et plusieurs destours.
Cette dispensation reuiendroit à nostre commodité: nous y arresterions,
et nous y aymerions plus long temps. Sans esperance, et
sans desir, nous n’allons plus rien qui vaille. Nostre maistrise et
entiere possession, leur est infiniement à craindre. Depuis qu’elles
sont du tout rendues à la mercy de nostre foy, et constance, elles3
sont vn peu bien hasardees. Ce sont vertus rares et difficiles: soudain
qu’elles sont à nous, nous ne sommes plus à elles.

Postquam cupidæ mentis satiata libido est,
Verba nihil metuere, nihil periuria curant.

Et Thrasonidez ieune homme Grec, fut si amoureux de son amour,
qu’il refusa, ayant gaigné le cœur d’vne maistresse, d’en iouyr:
pour n’amortir, rassasier et allanguir par la iouyssance cette ardeur
inquiete, de laquelle il se glorifioit et se paissoit.   La cherté
donne goust à la viande. Voyez combien la forme des salutations,
qui est particuliere à nostre nation, abastardit par sa facilité, la
grace des baisers, lesquels Socrates dit estre si puissans et dangereux
à voler nos cœurs. C’est vne desplaisante coustume, et iniurieuse
aux dames, d’auoir à prester leurs leures, à quiconque a
trois valets à sa suitte, pour mal plaisant qu’il soit,

Cuius liuida naribus caninis,
Dependet glacies, rigétque barba:1
Centum occurrere malo culilingis.

Et nous mesme n’y gaignons guere: car comme le monde se voit
party, pour trois belles, il nous en faut baiser cinquante laides. Et
à vn estomach tendre, comme sont ceux de mon aage, vn mauuais
baiser en surpaie vn bon.   Ils font les poursuyuans en Italie, et
les transis, de celles mesmes qui sont à vendre: et se defendent
ainsi: Qu’il y a des degrez en la iouyssance: et que par seruices
ils veulent obtenir pour eux, celle qui est la plus entiere. Elles ne
vendent que le corps. La volonté ne peut estre mise en vente, elle
est trop libre et trop sienne. Ainsi ceux cy disent, que c’est la volonté2
qu’ils entreprennent, et ont raison. C’est la volonté qu’il faut
seruir et practiquer. I’ay horreur d’imaginer mien, vn corps priué
d’affection. Et me semble, que cette forcenerie est voisine à celle de
ce garçon, qui alla saillir par amour, la belle image de Venus que
Praxiteles auoit faicte. Ou de ce furieux Ægyptien, eschauffé apres
la charongne d’vne morte qu’il embaumoit et ensueroit. Lequel
donna occasion à la loy, qui fut faicte depuis en Ægypte, que les
corps des belles et ieunes femmes, et de celles de bonne maison,
seroient gardez trois iours, auant qu’on les mist entre les mains de
ceux qui auoient charge de prouuoir à leur enterrement. Periander3
fit plus merueilleusement: qui estendit l’affection coniugale, plus
reglee et legitime, à la iouyssance de Melissa sa femme trespassee.
Ne semble ce pas estre vne humeur lunatique de la Lune, ne pouuant
autrement iouyr d’Endymion son mignon, l’aller endormir
pour plusieurs mois: et se paistre de la iouyssance d’vn garçon,
qui ne se remuoit qu’en songe? Ie dis pareillement, qu’on ayme vn
corps sans ame, quand on ayme vn corps sans son consentement,
et sans son desir. Toutes iouyssances ne sont pas vnes. Il y a des
iouyssances ethiques et languissantes. Mille autres causes que la
bien-vueillance, nous peuuent acquerir cet octroy des dames. Ce
n’est suffisant tesmoignage d’affection. Il y peut eschoir de la trahison,
comme ailleurs: elles n’y vont par fois que d’vne fesse;

Tanquam thura merûmque parent:
Absentem marmoreàmue putes.

I’en sçay, qui ayment mieux prester cela, que leur coche: et qui ne1
se communiquent, que par là. Il faut regarder si vostre compagnie
leur plaist pour quelque autre fin encores, ou pour celle là seulement,
comme d’vn gros garson d’estable: en quel rang et à quel
prix vous y estes logé,

Tibi si datur vni
Quo lapide illa diem candidiore notet.

Quoy, si elle mange vostre pain, à la sauce d’vne plus agreable
imagination?

Te tenet, absentes alios suspirat amores.

Comment? auons nous pas veu quelqu’vn en nos iours, s’estre2
seruy de cette action, à l’vsage d’vne horrible vengeance: pour tuer
par là, et empoisonner, comme il fit, vne honneste femme?   Ceux
qui cognoissent l’Italie, ne trouueront iamais estrange, si pour ce
subiect, ie ne cherche ailleurs des exemples. Car cette nation se
peut dire regente du reste du monde en cela. Ils ont plus communément
des belles femmes, et moins de laydes que nous: mais des
rares et excellentes beautez, i’estime que nous allons à pair. Et en
iuge autant des esprits: de ceux de la commune façon, ils en ont
beaucoup plus, et euidemment. La brutalité y est sans comparaison
plus rare: d’ames singulieres et du plus haut estage, nous ne leur3
en deuons rien. Si i’auois à estendre cette similitude, il me sembleroit
pouuoir dire de la vaillance, qu’au rebours, elle est au prix
d’eux, populaire chez nous, et naturelle: mais on la voit par fois,
en leurs mains, si pleine et si vigoreuse, qu’elle surpasse tous les
plus roides exemples que nous en ayons.   Les mariages de ce
pays là, clochent en cecy. Leur coustume donne communement la
loy si rude aux femmes, et si serue, que la plus esloignee accointance
auec l’estranger, leur est autant capitalle que la plus voisine.
Cette loy fait, que toutes les approches se rendent necessairement
substantieles. Et puis que tout leur reuient à mesme compte, elles
ont le choix bien aysé. Et ont elles brisé ces cloisons? Croyez
qu’elles font feu: Luxuria ipsis vinculis, sicut fera bestia, irritata,
deinde emissa. Il leur faut vn peu lascher les resnes.

Vidi ego nuper equum, contra sua frena tenacem,
Ore reluctanti fulminis ire modo.

On alanguit le desir de la compagnie, en luy donnant quelque liberté.
C’est vn bel vsage de nostre nation, qu’aux bonnes maisons,
nos enfans soyent receuz, pour y estre nourris et esleuez pages1
comme en vne escole de noblesse. Et est discourtoisie, dit-on,
et iniure, d’en refuser vn Gentil-homme. I’ay apperçeu, car autant
de maisons autant de diuers stiles et formes, que les dames qui ont
voulu donner aux filles de leur suite, les regles plus austeres, n’y
ont pas eu meilleure aduanture. Il y faut de la moderation. Il faut
laisser bonne partie de leur conduitte, à leur propre discretion:
car ainsi comme ainsi n’y a il discipline qui les sçeut brider de
toutes parts. Mais il est bien vray, que celle qui est eschappee bagues
sauues, d’vn escolage libre, apporte bien plus de fiance de
soy, que celle qui sort saine, d’vne escole seuere et prisonniere.2
   Nos peres dressoient la contenance de leurs filles à la honte et à la
crainte (les courages et les desirs tousiours pareils), nous à l’asseurance:
nous n’y entendons rien. C’est à faire aux Sarmates, qui
n’ont loy de coucher auec homme, que de leurs mains elles n’en
ayent tué vn autre en guerre. A moy qui n’y ay droit que par les
oreilles, suffit, si elles me retiennent pour le conseil, suyuant le
priuilege de mon aage. Ie leur conseille donc, et à nous aussi,
l’abstinence: mais si ce siecle en est trop ennemy, aumoins la discretion
et la modestie. Car, comme dit le compte d’Aristippus, parlant
à des ieunes hommes, qui rougissoient de le veoir entrer chez3
vne courtisane: Le vice est, de n’en pas sortir, non pas d’y entrer.
Qui ne veut exempter sa conscience, qu’elle exempte son nom: si
le fons n’en vaut guere, que l’apparence tienne bon.   Ie loüe la
gradation et la longueur, en la dispensation de leurs faueurs. Platon
montre, qu’en toute espece d’amour, la facilité et promptitude
est interdicte aux tenants. C’est vn traict de gourmandise, laquelle
il faut qu’elles couurent de tout leur art, de se rendre ainsi temerairement
en gros, et tumultuairement. Se conduisant en leur dispensation,
ordonnement et mesurement, elles pipent bien mieux
nostre desir, et cachent le leur. Qu’elles fuyent tousiours deuant
nous: ie dis celles mesmes qui ont à se laisser attraper. Elles nous
battent mieux en fuyant, comme les Scythes. De vray, selon la loy
que Nature leur donne, ce n’est pas proprement à elles de vouloir1
et desirer: leur rolle est souffrir, obeyr, consentir. C’est pourquoy
Nature leur a donné vne perpetuelle capacité; à nous, rare et incertaine.
Elles ont tousiours leur heure, afin qu’elles soyent tousiours
prestes à la nostre Pati natæ. Et où elle a voulu que nos appetis
eussent montre et declaration prominante, ell’ a faict que les leurs
fussent occultes et intestins. Et les a fournies de pieces impropres
à l’ostentation: et simplement pour la defensiue. Il faut laisser à la
licence Amazonienne pareils traits à cettuy cy. Alexandre passant
par l’Hyrcanie, Thalestris Royne des Amazones le vint trouuer auec
trois cents gens-darmes de son sexe: bien montez et bien armez:2
ayant laissé le demeurant d’vne grosse armee, qui la suyuoit, au
delà des voisines montaignes. Et luy dit tout haut, et en publiq,
que le bruit de ses victoires et de sa valeur, l’auoit menee là, pour
le veoir, luy offrir ses moyens et sa puissance au secours de ses
entreprinses. Et que le trouuant si beau, ieune, et vigoureux, elle,
qui estoit parfaitte en toutes ses qualitez, luy conseilloit qu’ils couchassent
ensemble: afin qu’il nasquist de la plus vaillante femme
du monde, et du plus vaillant homme, qui fust lors viuant, quelque
chose de grand et de rare, pour l’aduenir. Alexandre la remercia
du reste: mais pour donner temps à l’accomplissement de sa derniere3
demande, il arresta treize iours en ce lieu, lesquels il festoya
le plus alaigrement qu’il peut, en faueur d’vne si courageuse Princesse.
   Nous sommes quasi par tout iniques iuges de leurs actions,
comme elles sont des nostres. I’aduoüe la verité lors qu’elle me
nuit, de mesme que si elle me sert. C’est vn vilain desreglement,
qui les pousse si souuent au change, et les empesche de fermir leur
affection en quelque subiect que ce soit: comme on voit de cette
Deesse, à qui lon donne tant de changemens et d’amis. Mais si est-il
vray, que c’est contre la nature de l’amour, s’il n’est violant, et
contre la nature de la violance, s’il est constant. Et ceux qui s’en
estonnent, s’en escrient, et cherchent les causes de cette maladie en
elles, comme desnaturee et incroyable: que ne voyent ils, combien
souuent ils la reçoyuent en eux, sans espouuantement et sans miracle?
Il seroit à l’aduenture plus estrange d’y voir de l’arrest. Ce n’est
pas vne passion simplement corporelle. Si on ne trouue point de
bout en l’auarice, et en l’ambition, il n’y en a non plus en paillardise.
Elle vit encore apres la satieté: et ne luy peut on prescrire ny1
satisfaction constante, ny fin: elle va tousiours outre sa possession.
Et si l’inconstance leur est à l’aduenture aucunement plus pardonnable
qu’à nous. Elles peuuent alleguer comme nous, l’inclination
qui nous est commune à la varieté et à la nouuelleté: et alleguer secondement
sans nous, qu’elles achetent chat en sac. Ieanne Royne
de Naples, feit estrangler Andreosse son premier mary, aux grilles
de sa fenestre, auec un laz d’or et de soye, tissu de sa main propre:
sur ce qu’aux couruees matrimoniales, elle ne luy trouuoit
ny les parties, ny les efforts, assez respondants à l’esperance qu’elle
en auoit couçeuë, à veoir sa taille, sa beauté, sa ieunesse et disposition:2
par où elle auoit esté prinse et abusee. Que l’action a plus
d’effort que n’a la souffrance: ainsi que de leur part tousiours aumoins
il est pourueu à la necessité: de nostre part il peut auenir
autrement. Platon à cette cause establit sagement par ses loix,
auant tout mariage, pour decider de son opportunité, que les iuges
voient les garçons, qui y pretendent, touts fins nuds: et les filles
nuës iusqu’à la ceinture seulement. En nous essayant, elles ne nous
trouuent à l’aduenture pas digne de leur choix:

Experta latus, madidoque simillima loro
Inguina, nec lassa stare coacta manu,3
Deserit imbelles thalamos.

Ce n’est pas tout, que la volonté charrie droict. La foiblesse et l’incapacité,
rompent legitimement vn mariage:

Et quærendum aliunde foret neruosius illud,
Quod posset zonam soluere virgineam.

Pourquoy non, et selon sa mesure, vne intelligence amoureuse,
plus licentieuse et plus actiue?

Si blando nequeat superesse labori.
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