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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume III
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Mon marcher est prompt et ferme: et ne sçay lequel des deux,
ou l’esprit ou le corps, i’ay arresté plus mal-aisément, en mesme
poinct. Le prescheur est bien de mes amys, qui oblige mon attention,
tout vn sermon. Aux lieux de ceremonie, où chacun est si
bandé en contenance, où i’ay veu les dames tenir leurs yeux mesmes•
si certains, ie ne suis iamais venu à bout, que quelque piece
des miennes n’extrauague tousiours: encore que i’y sois assis, i’y
suis peu rassis. Comme la chambriere du Philosophe Chrysippus,
disoit de son maistre, qu’il n’estoit yure que par les iambes: car il
auoit cette coustume de les remuer, en quelque assiette qu’il fust:2
et elle le disoit, lors que le vin esmouuant ses compaignons, luy
n’en sentoit aucune alteration. On a peu dire aussi dés mon enfance,
que i’auoy de la follie aux pieds, ou de l’argent vif: tant i’y
ay de remuement et d’inconstance naturelle, en quelque lieu, que
ie les place. C’est indecence, outre ce qu’il nuit à la santé, voire•
et au plaisir, de manger gouluement, comme ie fais. Ie mors souuent
ma langue, par fois mes doigts, de hastiueté. Diogenes, rencontrant
vn enfant qui mangeoit ainsin, en donna vn soufflet à son
precepteur. Il y auoit des hommes à Rome, qui enseignoyent à
mascher, comme à marcher, de bonne grace. I’en pers le loisir de3
parler, qui est vn si doux assaisonnement des tables, pourueu que
ce soyent des propos de mesme, plaisans et courts. Il y a de la
ialousie et enuie entre nos plaisirs, ils se choquent et empeschent
l’vn l’autre. Alcibiades, homme bien entendu à faire bonne chere,
chassoit la musique mesme des tables, pour qu’elle ne troublast la•
douceur des deuis, par la raison, que Platon luy preste. Que c’est
vn vsage d’hommes populaires, d’appeller des ioüeurs d’instruments
et des chantres aux festins, à faute de bons discours et aggreables
entretiens, dequoy les gens d’entendement sçauent s’entrefestoyer.
Varro demande cecy au conuiue: l’assemblée de personnes belles
de presence, et aggreables de conuersation, qui ne soyent ny muets
ny bauarts: netteté et delicatesse aux viures, et au lieu: et le
temps serein. Ce n’est pas vne feste peu artificielle, et peu voluptueuse,•
qu’vn bon traittement de table. Ny les grands chefs de
guerre, ny les grands philosophes, n’en ont desdaigné l’vsage et la
science. Mon imagination en a donné trois en garde à ma memoire,
que la fortune me rendit de souueraine douceur, en diuers temps
de mon aage plus fleurissant. Mon estat present m’en forclost. Car1
chacun pour soy y fournit de grace principale, et de saueur, selon
la bonne trampe de corps et d’ame, en quoy lors il se trouue. Moy
qui ne manie que terre à terre, hay cette inhumaine sapience, qui
nous veut rendre desdaigneux et ennemis de la culture du corps.
I’estime pareille iniustice, de prendre à contre cœur les voluptez•
naturelles, que de les prendre trop à cœur. Xerxes estoit un fat,
qui enueloppé en toutes les voluptez humaines, alloit proposer prix
à qui luy en trouueroit d’autres. Mais non guere moins fat est celuy,
qui retranche celles, que nature luy a trouuées. Il ne les faut
ny suyure ny fuyr: il les faut receuoir. Ie les reçois vn peu plus2
grassement et gratieusement, et me laisse plus volontiers aller vers
la pente naturelle. Nous n’auons que faire d’exaggerer leur inanité:
elle se faict assez sentir, et se produit assez. Mercy à nostre
esprit maladif, rabat-ioye, qui nous desgouste d’elles, comme de
soy-mesme. Il traitte et soy, et tout ce qu’il reçoit, tantost auant,•
tantost arriere, selon son estre insatiable, vagabond et versatile:
Sincerum est nisi vas, quodcunque infundis, acescit.
Moy, qui me vente d’embrasser si curieusement les commoditez de
la vie, et si particulierement: n’y trouue, quand i’y regarde ainsi
finement, à peu pres que du vent. Mais quoy? nous sommes par3
tout vent. Et le vent encore, plus sagement que nous s’ayme à
bruire, à s’agiter: et se contente en ses propres offices: sans desirer
la stabilité, la solidité, qualitez non siennes. Les plaisirs
purs de l’imagination, ainsi que les desplaisirs, disent aucuns, sont
les plus grands: comme l’exprimoit la balance de Critolaüs. Ce•
n’est pas merueille. Elle les compose à sa poste, et se les taille en
plein drap. I’en voy tous les iours, des exemples insignes, et à l’aduenture
desirables. Mais moy, d’vne condition mixte, grossier,
ne puis mordre si à faict, à ce seul obiect, si simple: que ie ne me
laisse tout lourdement aller aux plaisirs presents, de la loy humaine
et generale. Intellectuellement sensibles, sensiblement intellectuels.
Les philosophes Cyrenaïques veulent, que comme les douleurs,
aussi les plaisirs corporels soyent plus puissants: et comme
doubles, et comme plus iustes. Il en est, comme dit Aristote, qui
d’vne farouche stupidité, en font les desgoustez. I’en cognoy d’autres
qui par ambition le font. Que ne renoncent ils encore au respirer?
que ne viuent-ils du leur, et ne refusent la lumiere, de ce
qu’elle est gratuite: ne leur coutant ny inuention ny vigueur? Que1
Mars, ou Pallas, ou Mercure, les substantent pour voir, au lieu de
Venus, de Cerez, et de Bacchus. Chercheront ils pas la quadrature
du cercle, iuchez sur leurs femmes? Ie hay, qu’on nous ordonne
d’auoir l’esprit aux nues, pendant que nous auons le corps à table.
Ie ne veux pas que l’esprit s’y clouë, ny qu’il s’y veautre: mais ie
veux qu’il s’y applique: qu’il s’y see, non qu’il s’y couche. Aristippus
ne defendoit que le corps, comme si nous n’auions pas d’ame:
Zenon n’embrassoit que l’ame, comme si nous n’auions pas de
corps. Touts deux vicieusement. Pythagoras, disent-ils, a suiuy vne
philosophie toute en contemplation: Socrates, toute en mœurs et2
en action: Platon en a trouué le temperament entre les deux. Mais
ils le disent, pour en conter. Et le vray temperament se trouue en
Socrates; et Platon est plus Socratique, que Pythagorique: et luy
sied mieux. Quand ie dance, ie dance: quand ie dors, ie dors.
Voire, et quand ie me promeine solitairement en vn beau verger,
si mes pensees se sont entretenuës des occurrences estrangeres
quelque partie du temps: quelque autre partie, ie les rameine à la
promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moy.
ou l’esprit ou le corps, i’ay arresté plus mal-aisément, en mesme
poinct. Le prescheur est bien de mes amys, qui oblige mon attention,
tout vn sermon. Aux lieux de ceremonie, où chacun est si
bandé en contenance, où i’ay veu les dames tenir leurs yeux mesmes•
si certains, ie ne suis iamais venu à bout, que quelque piece
des miennes n’extrauague tousiours: encore que i’y sois assis, i’y
suis peu rassis. Comme la chambriere du Philosophe Chrysippus,
disoit de son maistre, qu’il n’estoit yure que par les iambes: car il
auoit cette coustume de les remuer, en quelque assiette qu’il fust:2
et elle le disoit, lors que le vin esmouuant ses compaignons, luy
n’en sentoit aucune alteration. On a peu dire aussi dés mon enfance,
que i’auoy de la follie aux pieds, ou de l’argent vif: tant i’y
ay de remuement et d’inconstance naturelle, en quelque lieu, que
ie les place. C’est indecence, outre ce qu’il nuit à la santé, voire•
et au plaisir, de manger gouluement, comme ie fais. Ie mors souuent
ma langue, par fois mes doigts, de hastiueté. Diogenes, rencontrant
vn enfant qui mangeoit ainsin, en donna vn soufflet à son
precepteur. Il y auoit des hommes à Rome, qui enseignoyent à
mascher, comme à marcher, de bonne grace. I’en pers le loisir de3
parler, qui est vn si doux assaisonnement des tables, pourueu que
ce soyent des propos de mesme, plaisans et courts. Il y a de la
ialousie et enuie entre nos plaisirs, ils se choquent et empeschent
l’vn l’autre. Alcibiades, homme bien entendu à faire bonne chere,
chassoit la musique mesme des tables, pour qu’elle ne troublast la•
douceur des deuis, par la raison, que Platon luy preste. Que c’est
vn vsage d’hommes populaires, d’appeller des ioüeurs d’instruments
et des chantres aux festins, à faute de bons discours et aggreables
entretiens, dequoy les gens d’entendement sçauent s’entrefestoyer.
Varro demande cecy au conuiue: l’assemblée de personnes belles
de presence, et aggreables de conuersation, qui ne soyent ny muets
ny bauarts: netteté et delicatesse aux viures, et au lieu: et le
temps serein. Ce n’est pas vne feste peu artificielle, et peu voluptueuse,•
qu’vn bon traittement de table. Ny les grands chefs de
guerre, ny les grands philosophes, n’en ont desdaigné l’vsage et la
science. Mon imagination en a donné trois en garde à ma memoire,
que la fortune me rendit de souueraine douceur, en diuers temps
de mon aage plus fleurissant. Mon estat present m’en forclost. Car1
chacun pour soy y fournit de grace principale, et de saueur, selon
la bonne trampe de corps et d’ame, en quoy lors il se trouue. Moy
qui ne manie que terre à terre, hay cette inhumaine sapience, qui
nous veut rendre desdaigneux et ennemis de la culture du corps.
I’estime pareille iniustice, de prendre à contre cœur les voluptez•
naturelles, que de les prendre trop à cœur. Xerxes estoit un fat,
qui enueloppé en toutes les voluptez humaines, alloit proposer prix
à qui luy en trouueroit d’autres. Mais non guere moins fat est celuy,
qui retranche celles, que nature luy a trouuées. Il ne les faut
ny suyure ny fuyr: il les faut receuoir. Ie les reçois vn peu plus2
grassement et gratieusement, et me laisse plus volontiers aller vers
la pente naturelle. Nous n’auons que faire d’exaggerer leur inanité:
elle se faict assez sentir, et se produit assez. Mercy à nostre
esprit maladif, rabat-ioye, qui nous desgouste d’elles, comme de
soy-mesme. Il traitte et soy, et tout ce qu’il reçoit, tantost auant,•
tantost arriere, selon son estre insatiable, vagabond et versatile:
Sincerum est nisi vas, quodcunque infundis, acescit.
Moy, qui me vente d’embrasser si curieusement les commoditez de
la vie, et si particulierement: n’y trouue, quand i’y regarde ainsi
finement, à peu pres que du vent. Mais quoy? nous sommes par3
tout vent. Et le vent encore, plus sagement que nous s’ayme à
bruire, à s’agiter: et se contente en ses propres offices: sans desirer
la stabilité, la solidité, qualitez non siennes. Les plaisirs
purs de l’imagination, ainsi que les desplaisirs, disent aucuns, sont
les plus grands: comme l’exprimoit la balance de Critolaüs. Ce•
n’est pas merueille. Elle les compose à sa poste, et se les taille en
plein drap. I’en voy tous les iours, des exemples insignes, et à l’aduenture
desirables. Mais moy, d’vne condition mixte, grossier,
ne puis mordre si à faict, à ce seul obiect, si simple: que ie ne me
laisse tout lourdement aller aux plaisirs presents, de la loy humaine
et generale. Intellectuellement sensibles, sensiblement intellectuels.
Les philosophes Cyrenaïques veulent, que comme les douleurs,
aussi les plaisirs corporels soyent plus puissants: et comme
doubles, et comme plus iustes. Il en est, comme dit Aristote, qui
d’vne farouche stupidité, en font les desgoustez. I’en cognoy d’autres
qui par ambition le font. Que ne renoncent ils encore au respirer?
que ne viuent-ils du leur, et ne refusent la lumiere, de ce
qu’elle est gratuite: ne leur coutant ny inuention ny vigueur? Que1
Mars, ou Pallas, ou Mercure, les substantent pour voir, au lieu de
Venus, de Cerez, et de Bacchus. Chercheront ils pas la quadrature
du cercle, iuchez sur leurs femmes? Ie hay, qu’on nous ordonne
d’auoir l’esprit aux nues, pendant que nous auons le corps à table.
Ie ne veux pas que l’esprit s’y clouë, ny qu’il s’y veautre: mais ie
veux qu’il s’y applique: qu’il s’y see, non qu’il s’y couche. Aristippus
ne defendoit que le corps, comme si nous n’auions pas d’ame:
Zenon n’embrassoit que l’ame, comme si nous n’auions pas de
corps. Touts deux vicieusement. Pythagoras, disent-ils, a suiuy vne
philosophie toute en contemplation: Socrates, toute en mœurs et2
en action: Platon en a trouué le temperament entre les deux. Mais
ils le disent, pour en conter. Et le vray temperament se trouue en
Socrates; et Platon est plus Socratique, que Pythagorique: et luy
sied mieux. Quand ie dance, ie dance: quand ie dors, ie dors.
Voire, et quand ie me promeine solitairement en vn beau verger,
si mes pensees se sont entretenuës des occurrences estrangeres
quelque partie du temps: quelque autre partie, ie les rameine à la
promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moy.
Nature a maternellement obserué cela, que les actions qu’elle
nous a enioinctes pour nostre besoing, nous fussent aussi voluptueuses.3
Et nous y conuie, non seulement par la raison: mais aussi
par l’appetit: c’est iniustice de corrompre ses regles. Quand ie
vois, et Cæsar, et Alexandre, au plus espaiz de sa grande besongne,
iouïr si plainement des plaisirs humains et corporels, ie ne dis pas
que ce soit relascher son ame, ie dis que c’est la roidir: sousmettant•
par vigueur de courage, à l’vsage de la vie ordinaire, ces violentes
occupations et laborieuses pensées. Sages, s’ils eussent creu,
que c’estoit là leur ordinaire vocation, cette-cy, l’extraordinaire.
Nous sommes de grands fols. Il a passé sa vie en oisiueté, disons-nous:
ie n’ay rien faict d’auiourd’huy. Quoy? auez-vous pas vescu?
C’est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos
occupations. Si on m’eust mis au propre des grands maniements,
i’eusse montré ce que ie sçauoy faire. Auez vous sceu mediter et•
manier vostre vie? vous auez faict la plus grande besoigne de
toutes. Pour se montrer et exploicter, nature n’a que faire de fortune.
Elle se montre egallement en tous estages: et derriere,
comme sans rideau. Auez-vous sceu composer vos mœurs: vous
auez bien plus faict que celuy qui a composé des liures. Auez-vous1
sceu prendre du repos: vous auez plus faict, que celuy qui a pris
des Empires et des villes. Le glorieux chef-d’œuure de l’homme,
c’est viure à propos. Toutes autres choses: regner, thesauriser,
bastir, n’en sont qu’appendicules et adminicules, pour le plus. Ie
prens plaisir de voir vn general d’armée au pied d’vne breche qu’il•
veut tantost attaquer, se prestant tout entier et deliure, à son disner,
au deuis, entre ses amis. Et Brutus, ayant le ciel et la terre
conspirez à l’encontre de luy, et de la liberté Romaine, desrober à
ses rondes, quelque heure de nuict, pour lire et breueter Polybe en
toute securité. C’est aux petites ames enseuelies du poix des affaires,2
de ne s’en sçauoir purement desmesler: de ne les sçauoir et
laisser et reprendre.
O fortes peioràque passi
Mecum sæpe viri, nunc vino pellite curas,
Cras ingens iterabimus æquor.•
nous a enioinctes pour nostre besoing, nous fussent aussi voluptueuses.3
Et nous y conuie, non seulement par la raison: mais aussi
par l’appetit: c’est iniustice de corrompre ses regles. Quand ie
vois, et Cæsar, et Alexandre, au plus espaiz de sa grande besongne,
iouïr si plainement des plaisirs humains et corporels, ie ne dis pas
que ce soit relascher son ame, ie dis que c’est la roidir: sousmettant•
par vigueur de courage, à l’vsage de la vie ordinaire, ces violentes
occupations et laborieuses pensées. Sages, s’ils eussent creu,
que c’estoit là leur ordinaire vocation, cette-cy, l’extraordinaire.
Nous sommes de grands fols. Il a passé sa vie en oisiueté, disons-nous:
ie n’ay rien faict d’auiourd’huy. Quoy? auez-vous pas vescu?
C’est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos
occupations. Si on m’eust mis au propre des grands maniements,
i’eusse montré ce que ie sçauoy faire. Auez vous sceu mediter et•
manier vostre vie? vous auez faict la plus grande besoigne de
toutes. Pour se montrer et exploicter, nature n’a que faire de fortune.
Elle se montre egallement en tous estages: et derriere,
comme sans rideau. Auez-vous sceu composer vos mœurs: vous
auez bien plus faict que celuy qui a composé des liures. Auez-vous1
sceu prendre du repos: vous auez plus faict, que celuy qui a pris
des Empires et des villes. Le glorieux chef-d’œuure de l’homme,
c’est viure à propos. Toutes autres choses: regner, thesauriser,
bastir, n’en sont qu’appendicules et adminicules, pour le plus. Ie
prens plaisir de voir vn general d’armée au pied d’vne breche qu’il•
veut tantost attaquer, se prestant tout entier et deliure, à son disner,
au deuis, entre ses amis. Et Brutus, ayant le ciel et la terre
conspirez à l’encontre de luy, et de la liberté Romaine, desrober à
ses rondes, quelque heure de nuict, pour lire et breueter Polybe en
toute securité. C’est aux petites ames enseuelies du poix des affaires,2
de ne s’en sçauoir purement desmesler: de ne les sçauoir et
laisser et reprendre.
O fortes peioràque passi
Mecum sæpe viri, nunc vino pellite curas,
Cras ingens iterabimus æquor.•
Soit par gosserie, soit à certes, que le vin theologal et Sorbonique
est passé en prouerbe, et leurs festins: ie trouue que c’est raison,
qu’ils en disnent d’autant plus commodément et plaisamment,
qu’ils ont vtilement et serieusement employé la matinée à l’exercice
de leur eschole. La conscience d’auoir bien dispensé les autres3
heures, est vn iuste et sauoureux condiment des tables. Ainsin ont
vescu les sages. Et cette inimitable contention à la vertu, qui nous
estonne en l’vn et l’autre Caton, cette humeur seuere iusques à
l’importunité, s’est ainsi mollement submise, et pleuë aux loix de
l’humaine condition, et de Venus et de Bacchus. Suiuant les preceptes•
de leur secte, qui demandent le sage parfaict, autant expert et
entendu à l’vsage des voluptez qu’en tout autre deuoir de la vie.
Cui cor sapiat, ei et sapiat palatus. Le relaschement et facilité
honore ce semble à merueilles, et sied mieux à vne ame forte et
genereuse. Epaminondas n’estimoit pas que de se mesler à la dance
des garçons de sa ville, de chanter, de sonner, et s’y embesongner
auec attention, fust chose qui derogeast à l’honneur de ses glorieuses
victoires, et à la parfaicte reformation des mœurs qui estoit•
en luy. Et parmy tant d’admirables actions de Scipion l’ayeul, personnage
digne de l’opinion d’vne geniture celeste, il n’est rien qui
luy donne plus de grace, que de le voir nonchalamment et puerilement
baguenaudant à amasser et choisir des coquilles, et ioüer à
cornichon va deuant, le long de la marine auec Lælius. Et s’il faisoit1
mauuais temps, s’amusant et se chatouillant, à representer par
escript en comedies, les plus populaires et basses actions des
hommes. Et la teste pleine de cette merueilleuse entreprinse d’Annibal
et d’Afrique; visitant les escholes en Sicile, et se trouuant aux
leçons de la philosophie, iusques à en auoir armé les dents de l’aueugle•
enuie de ses ennemis à Rome. Ny chose plus remarquable
en Socrates, que ce que tout vieil, il trouue le temps de se faire instruire
à baller, et iouër des instrumens: et le tient pour bien employé.
Cettuy-cy, s’est veu en ecstase debout, vn iour entier et vne
nuict, en presence de toute l’armée Grecque, surpris et rauy par2
quelque profonde pensée. Il s’est veu le premier parmy tant de vaillants
hommes de l’armée, courir au secours d’Alcibiades, accablé
des ennemis: le couurir de son corps, et le descharger de la presse,
à viue force d’armes. En la bataille Delienne, releuer et sauuer Xenophon,
renuersé de son cheual. Et emmy tout le peuple d’Athenes,•
outré, comme luy, d’vn si indigne spectacle, se presenter le premier
à recourir Theramenes, que les trente tyrans faisoient mener à la
mort par leurs satellites: et ne desista cette hardie entreprinse,
qu’à la remontrance de Theramenes mesme: quoy qu’il ne fust
suiuy que de deux, en tout. Il s’est veu, recherché par vne beauté,3
de laquelle il estoit esprins, maintenir au besoing vne seuere abstinence.
Il s’est veu continuellement marcher à la guerre, et fouler la
glace les pieds nuds; porter mesme robbe en hyuer et en esté:
surmonter tous ses compaignons en patience de trauail, ne manger
point autrement en festin qu’en son ordinaire. Il s’est veu vingt et•
sept ans, de pareil visage, porter la faim, la pauureté, l’indocilité
de ses enfants, les griffes de sa femme. Et en fin la calomnie, la
tyrannie, la prison, les fers, et le venin. Mais cet homme là estoit-il
conuié de boire à lut par deuoir de ciuilité? c’estoit aussi celuy de
l’armée, à qui en demeuroit l’aduantage. Et ne refusoit ny à iouër4
aux noisettes auec les enfans, ny à courir auec eux sur vn cheual
de bois, et y auoit bonne grace: car toutes actions, dit la philosophie,
sieent egallement bien et honnorent egallement le sage. On a
dequoy, et ne doit-on iamais se lasser de presenter l’image de ce
personnage à tous patrons et formes de perfection. Il est fort peu
d’exemples de vie, pleins et purs. Et faict-on tort à nostre instruction,•
de nous en proposer tous les iours, d’imbecilles et manques:
à peine bons à vn seul ply: qui nous tirent arriere plustost: corrupteurs
plustost que correcteurs. Le peuple se trompe: on va bien
plus facilement par les bouts, où l’extremité sert de borne, d’arrest
et de guide, que par la voye du milieu large et ouuerte, et selon1
l’art, que selon nature; mais bien moins noblement aussi, et moins
recommendablement. La grandeur de l’ame n’est pas tant, tirer
à mont, et tirer auant, comme sçauoir se ranger et circonscrire.
Elle tient pour grand, tout ce qui est assez. Et montre sa hauteur,
à aimer mieux les choses moyennes, que les eminentes. Il n’est rien•
si beau et legitime, que de faire bien l’homme et deuëment. Ny
science si arduë que de bien sçauoir viure cette vie. Et de nos maladies
la plus sauuage, c’est mespriser nostre estre. Qui veut escarter
son ame, le face hardiment s’il peut, lors que le corps se
portera mal, pour la descharger de cette contagion. Ailleurs au contraire:2
qu’elle l’assiste et fauorise, et ne refuse point de participer
à ses naturels plaisirs, et de s’y complaire coniugalement: y apportant,
si elle est plus sage, la moderation, de peur que par indiscretion,
ils ne se confondent auec le desplaisir. L’intemperance, est
peste de la volupté: et la temperance n’est pas son fleau: c’est son•
assaisonnement. Eudoxus, qui en establissoit le souuerain bien, et
ses compaignons, qui la monterent à si haut prix, la sauourerent en
sa plus gracieuse douceur, par le moyen de la temperance, qui fut
en eux singuliere et exemplaire. I’ordonne à mon ame, de regarder
et la douleur, et la volupté, de veuë pareillement reglée:3
eodem enim vitio est effusio animi in lætitia, quo in dolore contractio:
et pareillement ferme: mais gayement l’vne, l’autre seuerement.
Et selon ce qu’elle y peut apporter, autant soigneuse d’en
esteindre l’vne, que d’estendre l’autre. Le voir sainement les biens,
tire apres soy le voir sainement les maux. Et la douleur a quelque•
chose de non euitable, en son tendre commencement: et la volupté
quelque chose d’euitable en sa fin excessiue. Platon les accouple:
et veut, que ce soit pareillement l’office de la fortitude combattre à
l’encontre de la douleur, et à l’encontre des immoderées et charmeresses
blandices de la volupté. Ce sont deux fontaines, ausquelles,
qui puise, d’où, quand et combien il faut, soit cité, soit homme,•
soit beste, il est bien heureux. La premiere, il la faut prendre par
medecine et par necessité, plus escharsement: l’autre par soif, mais
non iusques à l’yuresse. La douleur, la volupté, l’amour, la haine,
sont les premieres choses, que sent vn enfant: si la raison suruenant
elles s’appliquent à elle: cela c’est vertu. I’ay vn dictionaire1
tout à part moy: ie passe le temps, quand il est mauuais
et incommode; quand il est bon, ie ne le veux pas passer, ie le retaste,
ie m’y tiens. Il faut courir le mauuais, et se rassoir au bon.
Cette fraze ordinaire de passe-temps, et de passer le temps, represente
l’vsage de ces prudentes gens, qui ne pensent point auoir meilleur•
conte de leur vie, que de la couler et eschaper: de la passer,
gauchir, et autant qu’il est en eux, ignorer et fuir; comme chose de
qualité ennuyeuse et desdaignable. Mais ie la cognois autre: et la
trouue, et prisable et commode, voire en son dernier decours, où ie
la tiens. Et nous l’a nature mise en main, garnie de telles circonstances2
et si fauorables, que nous n’auons à nous plaindre qu’à nous,
si elle nous presse; et si elle nous eschappe inutilement. Stulti vita
ingrata est, trepida est, tota in futurum fertur. Ie me compose pourtant
à la perdre sans regret: mais comme perdable de sa condition,
non comme moleste et importune. Aussi ne sied-il proprement bien,•
de ne se desplaire à mourir qu’à ceux, qui se plaisent à viure. Il y a
du mesnage à la iouyr: ie la iouis au double des autres: car la
mesure en la iouissance, depend du plus ou moins d’application,
que nous y prestons. Principalement à cette heure, que i’apperçoy
la mienne si briefue en temps, ie la veux estendre en poix. Ie veux3
arrester la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie:
et par la vigueur de l’vsage, compenser la hastiueté de son escoulement.
A mesure que la possession du viure est plus courte, il me
la faut rendre plus profonde, et plus pleine. Les autres sentent
la douceur d’vn contentement, et de la prosperité: ie la sens ainsi•
qu’eux: mais ce n’est pas en passant et glissant. Si la faut-il estudier,
sauourer et ruminer, pour en rendre graces condignes à celuy
qui nous l’ottroye. Ils iouyssent les autres plaisirs, comme ils font
celuy du sommeil, sans les cognoistre. A celle fin que le dormir
mesme ne m’eschappast ainsi stupidement, i’ay autresfois trouué
bon qu’on me le troublast, afin que ie l’entreuisse. Ie consulte d’vn•
contentement auec moy: ie ne l’escume pas, ie le sonde, et plie ma
raison à le recueillir, deuenuë chagrigne et desgoustée. Me trouué-ie
en quelque assiette tranquille, y a il quelque volupté qui me chatouille,
ie ne la laisse pas friponner aux sens; i’y associe mon ame.
Non pas pour s’y engager, mais pour s’y agreer; non pas pour s’y1
perdre, mais pour s’y trouuer. Et l’employe de sa part, à se mirer
dans ce prospere estat, à en poiser et estimer le bon heur, et l’amplifier.
Elle mesure combien c’est qu’elle doit à Dieu, d’estre en repos
de sa conscience et d’autres passions intestines; d’auoir le corps
en sa disposition naturelle: iouissant ordonnément et competemment,•
des functions molles et flatteuses, par lesquelles il luy plaist
compenser de sa grace, les douleurs, dequoy sa iustice nous bat à
son tour. Combien luy vaut d’estre logee en tel poinct, que où
qu’elle iette sa veuë, le ciel est calme autour d’elle: nul desir, nulle
crainte ou doubte, qui luy trouble l’air: aucune difficulté passée,2
presente, future, par dessus laquelle son imagination ne passe sans
offence. Cette consideration prend grand lustre de la comparaison
des conditions differentes. Ainsi, ie me propose en mille visages,
ceux que la fortune, ou que leur propre erreur emporte et tempeste.
Et encores ceux cy plus pres de moy, qui reçoiuent si laschement,•
et incurieusement leur bonne fortune. Ce sont gens qui passent
voirement leur temps; ils outrepassent le present, et ce qu’ils
possedent, pour seruir à l’esperance, et pour des ombrages et vaines
images, que la fantasie leur met au deuant,
Morte obita quales fama est volitare figuras,3
Aut quæ sopitos deludunt somnia sensus;
lesquelles hastent et allongent leur fuitte, à mesme qu’on les suit.
Le fruict et but de leur poursuitte, c’est poursuiure: comme
Alexandre disoit que la fin de son trauail, c’estoit trauailler.
Nihil actum credens, cùm quid superesset agendum.•
est passé en prouerbe, et leurs festins: ie trouue que c’est raison,
qu’ils en disnent d’autant plus commodément et plaisamment,
qu’ils ont vtilement et serieusement employé la matinée à l’exercice
de leur eschole. La conscience d’auoir bien dispensé les autres3
heures, est vn iuste et sauoureux condiment des tables. Ainsin ont
vescu les sages. Et cette inimitable contention à la vertu, qui nous
estonne en l’vn et l’autre Caton, cette humeur seuere iusques à
l’importunité, s’est ainsi mollement submise, et pleuë aux loix de
l’humaine condition, et de Venus et de Bacchus. Suiuant les preceptes•
de leur secte, qui demandent le sage parfaict, autant expert et
entendu à l’vsage des voluptez qu’en tout autre deuoir de la vie.
Cui cor sapiat, ei et sapiat palatus. Le relaschement et facilité
honore ce semble à merueilles, et sied mieux à vne ame forte et
genereuse. Epaminondas n’estimoit pas que de se mesler à la dance
des garçons de sa ville, de chanter, de sonner, et s’y embesongner
auec attention, fust chose qui derogeast à l’honneur de ses glorieuses
victoires, et à la parfaicte reformation des mœurs qui estoit•
en luy. Et parmy tant d’admirables actions de Scipion l’ayeul, personnage
digne de l’opinion d’vne geniture celeste, il n’est rien qui
luy donne plus de grace, que de le voir nonchalamment et puerilement
baguenaudant à amasser et choisir des coquilles, et ioüer à
cornichon va deuant, le long de la marine auec Lælius. Et s’il faisoit1
mauuais temps, s’amusant et se chatouillant, à representer par
escript en comedies, les plus populaires et basses actions des
hommes. Et la teste pleine de cette merueilleuse entreprinse d’Annibal
et d’Afrique; visitant les escholes en Sicile, et se trouuant aux
leçons de la philosophie, iusques à en auoir armé les dents de l’aueugle•
enuie de ses ennemis à Rome. Ny chose plus remarquable
en Socrates, que ce que tout vieil, il trouue le temps de se faire instruire
à baller, et iouër des instrumens: et le tient pour bien employé.
Cettuy-cy, s’est veu en ecstase debout, vn iour entier et vne
nuict, en presence de toute l’armée Grecque, surpris et rauy par2
quelque profonde pensée. Il s’est veu le premier parmy tant de vaillants
hommes de l’armée, courir au secours d’Alcibiades, accablé
des ennemis: le couurir de son corps, et le descharger de la presse,
à viue force d’armes. En la bataille Delienne, releuer et sauuer Xenophon,
renuersé de son cheual. Et emmy tout le peuple d’Athenes,•
outré, comme luy, d’vn si indigne spectacle, se presenter le premier
à recourir Theramenes, que les trente tyrans faisoient mener à la
mort par leurs satellites: et ne desista cette hardie entreprinse,
qu’à la remontrance de Theramenes mesme: quoy qu’il ne fust
suiuy que de deux, en tout. Il s’est veu, recherché par vne beauté,3
de laquelle il estoit esprins, maintenir au besoing vne seuere abstinence.
Il s’est veu continuellement marcher à la guerre, et fouler la
glace les pieds nuds; porter mesme robbe en hyuer et en esté:
surmonter tous ses compaignons en patience de trauail, ne manger
point autrement en festin qu’en son ordinaire. Il s’est veu vingt et•
sept ans, de pareil visage, porter la faim, la pauureté, l’indocilité
de ses enfants, les griffes de sa femme. Et en fin la calomnie, la
tyrannie, la prison, les fers, et le venin. Mais cet homme là estoit-il
conuié de boire à lut par deuoir de ciuilité? c’estoit aussi celuy de
l’armée, à qui en demeuroit l’aduantage. Et ne refusoit ny à iouër4
aux noisettes auec les enfans, ny à courir auec eux sur vn cheual
de bois, et y auoit bonne grace: car toutes actions, dit la philosophie,
sieent egallement bien et honnorent egallement le sage. On a
dequoy, et ne doit-on iamais se lasser de presenter l’image de ce
personnage à tous patrons et formes de perfection. Il est fort peu
d’exemples de vie, pleins et purs. Et faict-on tort à nostre instruction,•
de nous en proposer tous les iours, d’imbecilles et manques:
à peine bons à vn seul ply: qui nous tirent arriere plustost: corrupteurs
plustost que correcteurs. Le peuple se trompe: on va bien
plus facilement par les bouts, où l’extremité sert de borne, d’arrest
et de guide, que par la voye du milieu large et ouuerte, et selon1
l’art, que selon nature; mais bien moins noblement aussi, et moins
recommendablement. La grandeur de l’ame n’est pas tant, tirer
à mont, et tirer auant, comme sçauoir se ranger et circonscrire.
Elle tient pour grand, tout ce qui est assez. Et montre sa hauteur,
à aimer mieux les choses moyennes, que les eminentes. Il n’est rien•
si beau et legitime, que de faire bien l’homme et deuëment. Ny
science si arduë que de bien sçauoir viure cette vie. Et de nos maladies
la plus sauuage, c’est mespriser nostre estre. Qui veut escarter
son ame, le face hardiment s’il peut, lors que le corps se
portera mal, pour la descharger de cette contagion. Ailleurs au contraire:2
qu’elle l’assiste et fauorise, et ne refuse point de participer
à ses naturels plaisirs, et de s’y complaire coniugalement: y apportant,
si elle est plus sage, la moderation, de peur que par indiscretion,
ils ne se confondent auec le desplaisir. L’intemperance, est
peste de la volupté: et la temperance n’est pas son fleau: c’est son•
assaisonnement. Eudoxus, qui en establissoit le souuerain bien, et
ses compaignons, qui la monterent à si haut prix, la sauourerent en
sa plus gracieuse douceur, par le moyen de la temperance, qui fut
en eux singuliere et exemplaire. I’ordonne à mon ame, de regarder
et la douleur, et la volupté, de veuë pareillement reglée:3
eodem enim vitio est effusio animi in lætitia, quo in dolore contractio:
et pareillement ferme: mais gayement l’vne, l’autre seuerement.
Et selon ce qu’elle y peut apporter, autant soigneuse d’en
esteindre l’vne, que d’estendre l’autre. Le voir sainement les biens,
tire apres soy le voir sainement les maux. Et la douleur a quelque•
chose de non euitable, en son tendre commencement: et la volupté
quelque chose d’euitable en sa fin excessiue. Platon les accouple:
et veut, que ce soit pareillement l’office de la fortitude combattre à
l’encontre de la douleur, et à l’encontre des immoderées et charmeresses
blandices de la volupté. Ce sont deux fontaines, ausquelles,
qui puise, d’où, quand et combien il faut, soit cité, soit homme,•
soit beste, il est bien heureux. La premiere, il la faut prendre par
medecine et par necessité, plus escharsement: l’autre par soif, mais
non iusques à l’yuresse. La douleur, la volupté, l’amour, la haine,
sont les premieres choses, que sent vn enfant: si la raison suruenant
elles s’appliquent à elle: cela c’est vertu. I’ay vn dictionaire1
tout à part moy: ie passe le temps, quand il est mauuais
et incommode; quand il est bon, ie ne le veux pas passer, ie le retaste,
ie m’y tiens. Il faut courir le mauuais, et se rassoir au bon.
Cette fraze ordinaire de passe-temps, et de passer le temps, represente
l’vsage de ces prudentes gens, qui ne pensent point auoir meilleur•
conte de leur vie, que de la couler et eschaper: de la passer,
gauchir, et autant qu’il est en eux, ignorer et fuir; comme chose de
qualité ennuyeuse et desdaignable. Mais ie la cognois autre: et la
trouue, et prisable et commode, voire en son dernier decours, où ie
la tiens. Et nous l’a nature mise en main, garnie de telles circonstances2
et si fauorables, que nous n’auons à nous plaindre qu’à nous,
si elle nous presse; et si elle nous eschappe inutilement. Stulti vita
ingrata est, trepida est, tota in futurum fertur. Ie me compose pourtant
à la perdre sans regret: mais comme perdable de sa condition,
non comme moleste et importune. Aussi ne sied-il proprement bien,•
de ne se desplaire à mourir qu’à ceux, qui se plaisent à viure. Il y a
du mesnage à la iouyr: ie la iouis au double des autres: car la
mesure en la iouissance, depend du plus ou moins d’application,
que nous y prestons. Principalement à cette heure, que i’apperçoy
la mienne si briefue en temps, ie la veux estendre en poix. Ie veux3
arrester la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie:
et par la vigueur de l’vsage, compenser la hastiueté de son escoulement.
A mesure que la possession du viure est plus courte, il me
la faut rendre plus profonde, et plus pleine. Les autres sentent
la douceur d’vn contentement, et de la prosperité: ie la sens ainsi•
qu’eux: mais ce n’est pas en passant et glissant. Si la faut-il estudier,
sauourer et ruminer, pour en rendre graces condignes à celuy
qui nous l’ottroye. Ils iouyssent les autres plaisirs, comme ils font
celuy du sommeil, sans les cognoistre. A celle fin que le dormir
mesme ne m’eschappast ainsi stupidement, i’ay autresfois trouué
bon qu’on me le troublast, afin que ie l’entreuisse. Ie consulte d’vn•
contentement auec moy: ie ne l’escume pas, ie le sonde, et plie ma
raison à le recueillir, deuenuë chagrigne et desgoustée. Me trouué-ie
en quelque assiette tranquille, y a il quelque volupté qui me chatouille,
ie ne la laisse pas friponner aux sens; i’y associe mon ame.
Non pas pour s’y engager, mais pour s’y agreer; non pas pour s’y1
perdre, mais pour s’y trouuer. Et l’employe de sa part, à se mirer
dans ce prospere estat, à en poiser et estimer le bon heur, et l’amplifier.
Elle mesure combien c’est qu’elle doit à Dieu, d’estre en repos
de sa conscience et d’autres passions intestines; d’auoir le corps
en sa disposition naturelle: iouissant ordonnément et competemment,•
des functions molles et flatteuses, par lesquelles il luy plaist
compenser de sa grace, les douleurs, dequoy sa iustice nous bat à
son tour. Combien luy vaut d’estre logee en tel poinct, que où
qu’elle iette sa veuë, le ciel est calme autour d’elle: nul desir, nulle
crainte ou doubte, qui luy trouble l’air: aucune difficulté passée,2
presente, future, par dessus laquelle son imagination ne passe sans
offence. Cette consideration prend grand lustre de la comparaison
des conditions differentes. Ainsi, ie me propose en mille visages,
ceux que la fortune, ou que leur propre erreur emporte et tempeste.
Et encores ceux cy plus pres de moy, qui reçoiuent si laschement,•
et incurieusement leur bonne fortune. Ce sont gens qui passent
voirement leur temps; ils outrepassent le present, et ce qu’ils
possedent, pour seruir à l’esperance, et pour des ombrages et vaines
images, que la fantasie leur met au deuant,
Morte obita quales fama est volitare figuras,3
Aut quæ sopitos deludunt somnia sensus;
lesquelles hastent et allongent leur fuitte, à mesme qu’on les suit.
Le fruict et but de leur poursuitte, c’est poursuiure: comme
Alexandre disoit que la fin de son trauail, c’estoit trauailler.
Nihil actum credens, cùm quid superesset agendum.•
Pour moy donc, i’ayme la vie, et la cultiue, telle qu’il a pleu à
Dieu nous l’octroyer. Ie ne vay pas desirant, qu’elle eust à dire la
necessité de boire et de manger. Et me sembleroit faillir non moins
excusablement, de desirer qu’elle l’eust double. Sapiens diuitiarum
naturalium quæsitor acerrimus. Ny que nous nous substantassions,
mettans seulement en la bouche vn peu de cette drogue par laquelle
Epimenides se priuoit d’appetit, et se maintenoit. Ny qu’on
produisist stupidement des enfans, par les doigts, ou par les talons,•
ains parlant en reuerence, que plustost encores, on les produisist
voluptueusement, par les doigts, et par les talons. Ny que le corps
fust sans desir et sans chatouillement. Ce sont plaintes ingrates et
iniques. I’accepte de bon cœur et recognoissant, ce que nature a
faict pour moy: et m’en aggree et m’en loue. On faict tort à ce1
grand et tout puissant donneur, de refuser son don, l’annuller et
desfigurer, tout bon, il a faict tout bon. Omnia, quæ secundum naturam
sunt, æstimatione digna sunt. Des opinions de la philosophie,
i’embrasse plus volontiers celles qui sont les plus solides: c’est à
dire les plus humaines, et nostres. Mes discours sont conformément•
à mes mœurs, bas et humbles. Elle faict bien l’enfant à mon gré,
quand elle se met sur ses ergots, pour nous prescher. Que c’est vne
farrouche alliance, de marier le diuin auec le terrestre, le raisonnable
auec le desraisonnable, le seuere à l’indulgent, l’honneste
au des-honneste. Que la volupté, est qualité brutale, indigne que le2
sage la gouste. Le seul plaisir, qu’il tire de la iouyssance d’vne
belle ieune espouse, que c’est le plaisir de sa conscience, de faire
vne action selon l’ordre. Comme de chausser ses bottes pour vne
vtile cheuauchee. N’eussent ses suyuans, non plus de droit, et de
nerfs, et de suc, au despucelage de leurs femmes, qu’en a sa leçon.•
Dieu nous l’octroyer. Ie ne vay pas desirant, qu’elle eust à dire la
necessité de boire et de manger. Et me sembleroit faillir non moins
excusablement, de desirer qu’elle l’eust double. Sapiens diuitiarum
naturalium quæsitor acerrimus. Ny que nous nous substantassions,
mettans seulement en la bouche vn peu de cette drogue par laquelle
Epimenides se priuoit d’appetit, et se maintenoit. Ny qu’on
produisist stupidement des enfans, par les doigts, ou par les talons,•
ains parlant en reuerence, que plustost encores, on les produisist
voluptueusement, par les doigts, et par les talons. Ny que le corps
fust sans desir et sans chatouillement. Ce sont plaintes ingrates et
iniques. I’accepte de bon cœur et recognoissant, ce que nature a
faict pour moy: et m’en aggree et m’en loue. On faict tort à ce1
grand et tout puissant donneur, de refuser son don, l’annuller et
desfigurer, tout bon, il a faict tout bon. Omnia, quæ secundum naturam
sunt, æstimatione digna sunt. Des opinions de la philosophie,
i’embrasse plus volontiers celles qui sont les plus solides: c’est à
dire les plus humaines, et nostres. Mes discours sont conformément•
à mes mœurs, bas et humbles. Elle faict bien l’enfant à mon gré,
quand elle se met sur ses ergots, pour nous prescher. Que c’est vne
farrouche alliance, de marier le diuin auec le terrestre, le raisonnable
auec le desraisonnable, le seuere à l’indulgent, l’honneste
au des-honneste. Que la volupté, est qualité brutale, indigne que le2
sage la gouste. Le seul plaisir, qu’il tire de la iouyssance d’vne
belle ieune espouse, que c’est le plaisir de sa conscience, de faire
vne action selon l’ordre. Comme de chausser ses bottes pour vne
vtile cheuauchee. N’eussent ses suyuans, non plus de droit, et de
nerfs, et de suc, au despucelage de leurs femmes, qu’en a sa leçon.•
Ce n’est pas ce que dit Socrates, son precepteur et le nostre. Il
prise, comme il doit, la volupté corporelle: mais il prefere celle de
l’esprit, comme ayant plus de force, de constance, de facilité, de
varieté, de dignité. Cette cy ne va nullement seule, selon luy; il
n’est pas si fantastique: mais seulement, premiere. Pour luy, la3
temperance est moderatrice, non aduersaire des voluptez. Nature
est vn doux guide: mais non pas plus doux, que prudent et iuste.
Intrandum est in rerum naturam, et penitus quid ea postulet, peruidendum.
Ie queste par tout sa piste: nous l’auons confondüe de
traces artificielles. Et ce souuerain bien Academique, et Peripatetique,•
qui est viure selon icelle: deuient à cette cause difficile à
borner et expliquer. Et celuy des Stoïciens, voisin à celuy-là, qui est,
consentir à nature. Est-ce pas erreur, d’estimer aucunes actions
moins dignes de ce qu’elles sont necessaires? Si ne m’osteront-ils
pas de la teste, que ce ne soit vn tres-conuenable mariage, du plaisir
auec la necessité, auec laquelle, dit vn ancien, les Dieux complottent•
tousiours. A quoy faire desmembrons nous en diuorce, vn
bastiment tissu d’vne si ioincte et fraternelle correspondance? Au
rebours, renouons le par mutuels offices: que l’esprit esueille et
viuifie la pesanteur du corps, le corps arreste la legereté de l’esprit,
et la fixe, Qui velut summum bonum laudat animæ naturam, et tanquam1
malum naturam carnis accusat, profectò et animam carnaliter
appetit et carnem carnaliter fugit, quoniam id vanitate sentit humana,
non veritate diuina. Il n’y a piece indigne de nostre soing, en
ce present que Dieu nous a faict: nous en deuons comte iusques à
vn poil. Et n’est pas vne commission par acquit à l’homme, de conduire•
l’homme selon sa condition. Elle est expresse, naïfue et tres-principale:
et nous l’a le Createur donnee serieusement et seuerement.
L’authorité peut seule enuers les communs entendemens: et
poise plus en langage peregrin. Reschargeons en ce lieu. Stultitiæ
proprium quis non dixerit, ignauè et contumaciter facere quæ facienda2
sunt: et alio corpus impellere, alio animum: distrahique inter diuersissimos
motus? Or sus pour voir, faictes vous dire vn iour, les
amusemens et imaginations, que celuy-là met en sa teste, et pour
lesquelles il destourne sa pensee d’vn bon repas, et plainct l’heure
qu’il employe à se nourrir: vous trouuerez qu’il n’y a rien si fade, en•
tous les mets de vostre table, que ce bel entretien de son ame (le plus
souuent il nous vaudroit mieux dormir tout à faict, que de veiller à
ce, à quoy nous veillons) et trouuerez que son discours et intentions,
ne valent pas vostre capirotade. Quand ce seroient les rauissemens
d’Archimedes mesme, que seroit-ce? Ie ne touche pas icy, et3
ne mesle point à cette marmaille d’hommes que nous sommes, et
à cette vanité de desirs et cogitations, qui nous diuertissent, ces
ames venerables, esleuees par ardeur de deuotion et religion, à vne
constante et conscientieuse meditation des choses diuines, lesquelles
preoccupans par l’effort d’vne viue et vehemente esperance, l’vsage•
de la nourriture eternelle, but final, et dernier arrest des Chrestiens
desirs: seul plaisir constant, incorruptible: desdaignent de
s’attendre à nos necessiteuses commoditez, fluides et ambigues: et
resignent facilement au corps, le soin et l’vsage, de la pasture sensuelle
et temporelle. C’est vn estude priuilegé. Entre nous, ce sont
choses, que i’ay tousiours veuës de singulier accord: les opinions•
supercelestes, et les mœurs sousterraines. Esope ce grand homme
vid son maistre qui pissoit en se promenant, Quoy donq, fit-il, nous
faudra-il chier en courant? Mesnageons le temps, encore nous en
reste-il beaucoup d’oisif, et mal employé. Nostre esprit n’a volontiers
pas assez d’autres heures, à faire ses besongnes, sans se desassocier1
du corps en ce peu d’espace qu’il luy faut pour sa necessité. Ils
veulent se mettre hors d’eux, et eschapper à l’homme. C’est folie:
au lieu de se transformer en Anges, ils se transforment en bestes:
au lieu de se hausser, ils s’abbattent. Ces humeurs transcendentes
m’effrayent, comme les lieux hautains et inaccessibles. Et rien ne•
m’est facheux à digerer en la vie de Socrates, que ses ecstases et ses
demoneries. Rien si humain en Platon, que ce pourquoy ils disent,
qu’on l’appelle diuin. Et de nos sciences, celles-là me semblent plus
terrestres et basses, qui sont les plus haut montees. Et ie ne trouue
rien si humble et si mortel en la vie d’Alexandre, que ses fantasies2
autour de son immortalisation. Philotas le mordit plaisamment par sa
responce. Il s’estoit coniouy auec luy par lettre, de l’oracle de Iupiter
Hammon, qui l’auoit logé entre les Dieux. Pour ta consideration,
i’en suis bien ayse: mais il y a dequoy plaindre les hommes, qui
auront à viure auec vn homme, et luy obeyr, lequel outrepasse,•
et ne se contente de la mesure d’vn homme. Diis te minorem quòd
geris, imperas. La gentille inscription, dequoy les Atheniens honnorerent
la venue de Pompeius en leur ville, se conforme à mon sens:
D’autant es tu Dieu, comme
Tu te recognois homme.3
prise, comme il doit, la volupté corporelle: mais il prefere celle de
l’esprit, comme ayant plus de force, de constance, de facilité, de
varieté, de dignité. Cette cy ne va nullement seule, selon luy; il
n’est pas si fantastique: mais seulement, premiere. Pour luy, la3
temperance est moderatrice, non aduersaire des voluptez. Nature
est vn doux guide: mais non pas plus doux, que prudent et iuste.
Intrandum est in rerum naturam, et penitus quid ea postulet, peruidendum.
Ie queste par tout sa piste: nous l’auons confondüe de
traces artificielles. Et ce souuerain bien Academique, et Peripatetique,•
qui est viure selon icelle: deuient à cette cause difficile à
borner et expliquer. Et celuy des Stoïciens, voisin à celuy-là, qui est,
consentir à nature. Est-ce pas erreur, d’estimer aucunes actions
moins dignes de ce qu’elles sont necessaires? Si ne m’osteront-ils
pas de la teste, que ce ne soit vn tres-conuenable mariage, du plaisir
auec la necessité, auec laquelle, dit vn ancien, les Dieux complottent•
tousiours. A quoy faire desmembrons nous en diuorce, vn
bastiment tissu d’vne si ioincte et fraternelle correspondance? Au
rebours, renouons le par mutuels offices: que l’esprit esueille et
viuifie la pesanteur du corps, le corps arreste la legereté de l’esprit,
et la fixe, Qui velut summum bonum laudat animæ naturam, et tanquam1
malum naturam carnis accusat, profectò et animam carnaliter
appetit et carnem carnaliter fugit, quoniam id vanitate sentit humana,
non veritate diuina. Il n’y a piece indigne de nostre soing, en
ce present que Dieu nous a faict: nous en deuons comte iusques à
vn poil. Et n’est pas vne commission par acquit à l’homme, de conduire•
l’homme selon sa condition. Elle est expresse, naïfue et tres-principale:
et nous l’a le Createur donnee serieusement et seuerement.
L’authorité peut seule enuers les communs entendemens: et
poise plus en langage peregrin. Reschargeons en ce lieu. Stultitiæ
proprium quis non dixerit, ignauè et contumaciter facere quæ facienda2
sunt: et alio corpus impellere, alio animum: distrahique inter diuersissimos
motus? Or sus pour voir, faictes vous dire vn iour, les
amusemens et imaginations, que celuy-là met en sa teste, et pour
lesquelles il destourne sa pensee d’vn bon repas, et plainct l’heure
qu’il employe à se nourrir: vous trouuerez qu’il n’y a rien si fade, en•
tous les mets de vostre table, que ce bel entretien de son ame (le plus
souuent il nous vaudroit mieux dormir tout à faict, que de veiller à
ce, à quoy nous veillons) et trouuerez que son discours et intentions,
ne valent pas vostre capirotade. Quand ce seroient les rauissemens
d’Archimedes mesme, que seroit-ce? Ie ne touche pas icy, et3
ne mesle point à cette marmaille d’hommes que nous sommes, et
à cette vanité de desirs et cogitations, qui nous diuertissent, ces
ames venerables, esleuees par ardeur de deuotion et religion, à vne
constante et conscientieuse meditation des choses diuines, lesquelles
preoccupans par l’effort d’vne viue et vehemente esperance, l’vsage•
de la nourriture eternelle, but final, et dernier arrest des Chrestiens
desirs: seul plaisir constant, incorruptible: desdaignent de
s’attendre à nos necessiteuses commoditez, fluides et ambigues: et
resignent facilement au corps, le soin et l’vsage, de la pasture sensuelle
et temporelle. C’est vn estude priuilegé. Entre nous, ce sont
choses, que i’ay tousiours veuës de singulier accord: les opinions•
supercelestes, et les mœurs sousterraines. Esope ce grand homme
vid son maistre qui pissoit en se promenant, Quoy donq, fit-il, nous
faudra-il chier en courant? Mesnageons le temps, encore nous en
reste-il beaucoup d’oisif, et mal employé. Nostre esprit n’a volontiers
pas assez d’autres heures, à faire ses besongnes, sans se desassocier1
du corps en ce peu d’espace qu’il luy faut pour sa necessité. Ils
veulent se mettre hors d’eux, et eschapper à l’homme. C’est folie:
au lieu de se transformer en Anges, ils se transforment en bestes:
au lieu de se hausser, ils s’abbattent. Ces humeurs transcendentes
m’effrayent, comme les lieux hautains et inaccessibles. Et rien ne•
m’est facheux à digerer en la vie de Socrates, que ses ecstases et ses
demoneries. Rien si humain en Platon, que ce pourquoy ils disent,
qu’on l’appelle diuin. Et de nos sciences, celles-là me semblent plus
terrestres et basses, qui sont les plus haut montees. Et ie ne trouue
rien si humble et si mortel en la vie d’Alexandre, que ses fantasies2
autour de son immortalisation. Philotas le mordit plaisamment par sa
responce. Il s’estoit coniouy auec luy par lettre, de l’oracle de Iupiter
Hammon, qui l’auoit logé entre les Dieux. Pour ta consideration,
i’en suis bien ayse: mais il y a dequoy plaindre les hommes, qui
auront à viure auec vn homme, et luy obeyr, lequel outrepasse,•
et ne se contente de la mesure d’vn homme. Diis te minorem quòd
geris, imperas. La gentille inscription, dequoy les Atheniens honnorerent
la venue de Pompeius en leur ville, se conforme à mon sens:
D’autant es tu Dieu, comme
Tu te recognois homme.3
C’est vne absoluë perfection, et comme diuine, de sçauoir iouyr
loyallement de son estre. Nous cherchons d’autres conditions, pour
n’entendre l’vsage des nostres: et sortons hors de nous, pour ne
sçauoir quel il y faict. Si auons nous beau monter sur des eschasses,
car sur des eschasses encores faut-il marcher de nos iambes. Et au
plus esleué throne du monde, si ne sommes nous assis, que sus nostre
cul. Les plus belles vies, sont à mon gré celles, qui se rangent au
modelle commun et humain auec ordre: mais sans miracle, sans•
extrauagance. Or la vieillesse a vn peu besoin d’estre traictee plus
tendrement. Recommandons la à ce Dieu protecteur de santé et de
sagesse: mais gaye et sociale:
Frui paratis et valido mihi,
Latoe, dones; et precor, integra1
Cum mente, nec turpem senectam
Degere, nec Cythara carentem.
FIN DES ESSAIS. (ORIGINAL)
loyallement de son estre. Nous cherchons d’autres conditions, pour
n’entendre l’vsage des nostres: et sortons hors de nous, pour ne
sçauoir quel il y faict. Si auons nous beau monter sur des eschasses,
car sur des eschasses encores faut-il marcher de nos iambes. Et au
plus esleué throne du monde, si ne sommes nous assis, que sus nostre
cul. Les plus belles vies, sont à mon gré celles, qui se rangent au
modelle commun et humain auec ordre: mais sans miracle, sans•
extrauagance. Or la vieillesse a vn peu besoin d’estre traictee plus
tendrement. Recommandons la à ce Dieu protecteur de santé et de
sagesse: mais gaye et sociale:
Frui paratis et valido mihi,
Latoe, dones; et precor, integra1
Cum mente, nec turpem senectam
Degere, nec Cythara carentem.
FIN DES ESSAIS. (ORIGINAL)
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