Justice de femme
Un soir, Simone venait d'embrasser dans son lit la petite Paulette. Elle était montée un peu tard, et l'enfant, par extraordinaire, s'était endormie sans attendre la maternelle caresse. La porte était ouverte sur la chambre de miss Mary, et l'Anglaise elle-même avait déjà éteint sa lumière. Simone, à la clarté de la veilleuse, regarda sa fille. «Comme elle est jolie!» pensa-t-elle, «Comme elle sera aimée!»
Puis, avec ce retour étonné sur elle-même qu'elle faisait de plus en plus fréquemment depuis quelques semaines, elle chercha dans son propre cœur les sentiments singuliers que doit éprouver devant le sommeil pur de sa fille une mère qui a un amant. Elle ne les y trouva pas; et, dans la surprise de se découvrir si peu différente de son ancien elle-même, Simone se condamnait au plus dur effort d'imagination pour se persuader qu'elle avait vraiment accompli la chose irréparable. Ce qu'elle rencontrait en elle ne ressemblait en rien aux catégories de pensées que lui suggérait autrefois, objectivement, et par rapport à d'autres femmes, l'idée de l'adultère. Elle s'était représenté des joies délirantes suivies d'affreux remords. Elle n'avait pas goûté les joies et elle n'éprouvait pas les remords. Des journées d'excitation, des heures de désappointement et des minutes de dégoût: voilà ce qu'elle avait recueilli. Mais tout cela restait confus, enchevêtré, dans un domaine obscur de sa personne morale, où elle ne voyait plus qu'une sorte de brouillard quand elle essayait d'y pénétrer. Une seule chose se détachait très nette: l'impossibilité de réaliser l'idée de sa faute et de se condamner comme elle se fût condamnée auparavant si elle avait lu sa propre histoire dans un livre. Et, entre autres étonnements, celui qui n'était pas le moindre venait de ce que sa trahison—à la gravité de laquelle pourtant elle ne pouvait croire—ne diminuait point à ses yeux celle de Roger. La guérison ne lui était pas venue par la vengeance. La plaie de jalousie restait toujours ouverte.
Quand elle quitta la chambre de sa fille, Simone, sur le palier de l'escalier, s'arrêta, l'oreille tendue. De l'étage supérieur s'échappait une musique très suave dont la mélancolie lui prit le cœur. «C'est joli,» pensa-t-elle, «ce qu'il joue là, Roger. Ce n'est pas de lui pourtant. Qu'est-ce que c'est donc?»
Elle écouta encore un instant, puis, au lieu de redescendre dans son petit salon, elle monta vers le cabinet de travail. Son pas léger ne s'entendit point sur le tapis. Très doucement elle ouvrit, entra, et, derrière elle, referma la porte. Mervil leva ses larges yeux vifs, tout flambants d'inspiration dans sa maigre figure, et, d'un signe des paupières, interdit à Simone de l'interrompre. La jeune femme s'étendit sur un divan, appuya son menton sur la paume d'une de ses mains, et regarda son mari.
Roger semblait se bercer au chant qui montait sous ses doigts. Assis devant l'énorme piano à queue, il se balançait suivant le rythme; ses prunelles s'alanguissaient dans une extase; sa bouche avait des sourires et ses épaules des frissons. Il jouait, non pas seulement avec ses mains, mais avec son être tout entier. Simone pouvait, dans ce corps mince, tordu par le souffle de la mélodie, deviner la vibration des fibres comme elle entendait celle des cordes sous les marteaux dans la caisse de l'instrument. Il y avait longtemps qu'elle n'avait vu Roger ainsi possédé par la folie de son art. D'ailleurs elle le regardait ce soir avec des yeux nouveaux, ou plutôt renouvelés. Elle comprit comment elle avait pu le trouver si beau quand elle était jeune fille et qu'il jouait sur le petit piano droit dans le salon de ses parents. A un moment où le chant prenait une douceur plus poignante, il la chercha des yeux et il lui envoya une de ces longues et tendres caresses d'âme avec lesquelles, autrefois, il lui avait fait croire à cette chose impossible: l'infini dans l'amour humain.
Simone, accoudée le visage vers lui, détourna la tête, et mit son front dans son bras replié.
Un moment après, il cessait de jouer et venait à elle. Sa surprise fut extrême de constater qu'elle pleurait.
—Ma Simone! dit-il,—et sa voix n'avait pas la sécheresse coutumière.—Eh bien, voilà qui me touche beaucoup! Tu n'es donc pas tout à fait blasée sur les divagations de ton musicien de mari?
—C'était de toi? s'écria-t-elle avec un sursaut.
—Tout simplement.
—Mais je ne connaissais pas cela. Quand donc l'as-tu composé?
—Ce n'est pas composé. J'improvisais.
—Ça, une improvisation?... Mais c'est admirable! Tu n'as jamais rien fait de mieux. Et ce n'est pas écrit? Et tu ne pourras pas l'écrire? Ah! quel dommage!
—Mais si, mais si... Ça me trottait dans la tête depuis longtemps, sous cette forme ou à peu près. Puis, tu sais si j'ai bonne mémoire!...
Elle s'était redressée, un genou pris entre ses mains croisées, toute pâle, et fixant sur Mervil ses yeux mouillés de larmes. Elle avait une expression si étrange que son mari, d'abord flatté par son émotion, s'en inquiéta. Il s'assit à côté d'elle sur le divan, l'attira contre lui, et lui dit avec une sollicitude dont il l'avait récemment un peu déshabituée:
—Qu'y a-t-il donc, ma petite Simone? Est-ce que ma petite femme aurait du chagrin?
Elle fit un faible mouvement pour s'écarter de lui, cacha de nouveau son visage et éclata en sanglots violents.
—Oh! s'écria-t-elle, pourquoi donc ne m'as-tu pas toujours parlé comme ça? Pourquoi donc as-tu cessé de m'aimer?
Il se leva, nerveux, dissimulant, comme toujours, son irritation sous un calme de glace.
—Ah! dit-il, si c'est une scène...
A son tour elle se mit debout, passa résolument son mouchoir sur son visage, vint à Roger, et, lui faisant face, posa ses deux mains sur les épaules de son mari.
—Non, Roger, dit-elle en dominant le tremblement de sa voix. Non, Roger, ce n'est pas une scène. Veux-tu m'écouter? Veux-tu qu'une fois pour toutes nous nous entendions, mon ami?
—Mais, ma chérie, avec toi, c'est bien difficile depuis quelque temps. Tu prends ombrage au moindre mot. Je ne sais plus ce qu'il faut te dire. Tu me paralyses, je t'assure.
Les bonnes dispositions de Simone s'évanouirent dans une flambée de colère.
—Ah! s'écria-t-elle, c'est comme cela que tu me parles, toi qui as eu les premiers torts! Eh bien, soit! Il paraît que c'est cela le mariage. Faisons comme les autres. Monsieur ira souper avec des actrices, et Madame prendra un amant. Je ne vois pas pourquoi je m'en tourmenterais, puisque c'est l'ordre des choses.
Mervil eut un cri, comme dans le brusque déchirement d'une blessure.
—Simone!... Oh! pas toi, Simone! Pas toi!... Ne prononce pas des choses pareilles!
Son accent produisit sur sa jeune femme un effet extraordinaire. Soudainement, ce remords qu'elle appelait en vain depuis sa chute récente, lui transperça le cœur comme une flèche. Durant quelques secondes elle eut le sentiment d'une déchéance horrible, des images physiques de sa faute s'évoquèrent en elle et lui soulevèrent l'âme d'une intolérable nausée. A cet instant, la trahison de son mari et la sienne s'intervertirent dans sa pensée. Pour la première fois, elle pressentit qu'elle pourrait lui pardonner, à lui, tandis qu'à elle-même, elle ne se pardonnerait jamais.
Toutefois une affreuse tentation lui vint de le braver, d'énoncer devant lui la chose inavouable.
—Ah! dit-elle froidement—avec une sorte de plaisir bizarre, mêlé de désespoir et de frayeur,—cela te ferait donc beaucoup de chagrin si tu savais que j'ai un amant?
Roger devint tout pâle, rien que de lui entendre articuler ces trois mots. Mais il dit avec calme:
—Prends garde, Simone. Tu as, depuis quelque temps, des façons de parler bien singulières! Il y a des suppositions qu'une honnête femme ne doit pas faire, ne doit pas suggérer à son mari...
Il s'arrêta, vint à elle, et, durant un instant, la considéra d'un regard qui s'adoucissait.
—Pourquoi veux-tu, reprit-il, me faire imaginer des choses que mon esprit se refuse à concevoir? Toi, Simone... Toi, un amant? Vois-tu, je ne pourrais pas plus le croire de toi que je ne le crois de notre fille, de notre innocente petite Paulette.
Il s'approcha davantage, s'inclina vers elle, la regarda très tendrement au fond des yeux. Maintenant il commençait à comprendre que les pleurs et la colère de Simone marquaient autre chose qu'un accès de querelleuse humeur. Il entrevoyait un malaise d'âme, devant lequel sa propre nervosité s'atténuait, disparaissait, pour faire place à une sollicitude mêlée d'une certaine anxiété. Le sentiment lui vint que, lui aussi, il avait eu des torts.—Oh! pas le tort de son infidélité, car Simone avait si bien gardé tout son cœur qu'il n'avait pas conscience de lui en avoir soustrait une parcelle,—mais les rudesses de sa nature un peu âpre, agressive, ironique, ses crises noires d'artiste en mal de produire, ses maussaderies d'homme de travail que replie sur lui-même la tyrannie de la pensée à l'heure même où sa jeune femme amoureuse attend la part qui lui revient de câlines paroles, d'attentions, de gâteries, de caresses. En un éclair, la conscience de tout ceci lui traversa le cœur. Il posa la main sur les doux cheveux pâles de Simone, et lui dit, avec une voix changée, où l'intention de plaisanterie soulignait l'émotion qu'elle prétendait exclure:
—Mauvaise petite femme, qui ne sait pas avoir de tolérance avec son ourson de mari, et qui menace de le tromper parce qu'il ne sait qu'aligner des doubles-croches et qu'il est maladroit à lui montrer combien il l'aime!
—Toi, m'aimer?... dit Simone. Oh! voyons!...
—En peux-tu douter?... reprit-il, très grave.
Ces paroles étaient bien simples, et tout à fait dépourvues de la rhétorique amoureuse avec laquelle jonglait si facilement d'Espayrac. Pourquoi donc Simone, en les écoutant ce soir, y crut-elle plus qu'elle ne croyait hier aux phrases passionnées de son amant? «En ai-je bien pu douter?» se répéta-t-elle. Mais, soudain, la vision de Roger sortant du théâtre côte à côte avec cette actrice rousse, avec Netty Davidson (car elle savait son nom, Jean le lui avait dit), réveilla tous ses soupçons, toutes ses jalousies, toutes ses colères.
—Non, s'écria-t-elle, non, je ne te crois plus. Notre bonheur est brisé, notre amour est mort. Et c'est toi qui as tué tout cela. Tu m'as trompée, et je le sais.
—Moi, je t'ai trompée! s'écria Roger. Mais tu es folle! Où donc? Quand cela? Et avec qui?
Entre ce mari et cette femme, quelque chose de bizarre, mais de bien profondément humain, se passait. Ils occupaient et remplissaient d'une si complète façon le cœur l'un de l'autre; leurs neuf années de tendresse les avaient enchaînés de si multiples, si subtils, si indissolubles liens; si peu importantes étaient pour chacun les circonstances extérieures à leurs deux personnes, qu'ils étaient de la meilleure foi du monde en abolissant de leur mémoire, chacun pour son propre compte, leurs respectives trahisons. Roger Mervil, étant homme, gardait cependant plus vive la réminiscence matérielle du fait. Quand sa femme lui dit avec certitude: «Tu m'as trompée, et je le sais,» il eut cette exclamation mentale: «C'est Netty! Ah! la satanée cabotine!... que le diable l'emporte!...» Mais Simone accusait son mari avec autant de passion jalouse et—mieux encore—autant de sincérité dans la souffrance qu'elle en eût exprimé, il y avait six semaines, avant ses vaines représailles.
—Dis-moi donc avec qui je t'ai trompée, et comment tu en es sûre, reprenait Mervil. Je serais curieux de savoir ce que ton imagination...
—Ce n'est pas mon imagination. Je... t'ai... vu...
—Mais quand?... Mais où?...
Et il affecta un ton plaisant, il essaya de ridiculiser la jalousie de Simone, pour la piquer, pour la faire parler.
—Toi, d'abord, il suffit que tu me voies dire quatre mots à une femme...
Puis il effleura la vérité pour y insinuer une signification d'innocence.
—Après ça, tu m'as peut-être aperçu sortant du théâtre avec une actrice... Oui... la reconduisant un bout de chemin... Cela m'arrive quelquefois... Si tu appelles cela une preuve?...
Simone secouait la tête, haussait légèrement les épaules, et continuait de poser sur son mari le reproche de son regard, mais elle n'ouvrait plus la bouche. Quelque chose scellait dans son cœur l'accusation précise, et le nom de la femme, et la date, et la formule de mensonge télégraphiée par son mari, l'histoire du dîner avec son directeur qu'il n'avait pas vu de la journée. Ce quelque chose qui fermait les lèvres de Simone, c'était la crainte inconsciente de placer entre elle et son mari—que, malgré tout, elle n'avait pas cessé d'aimer—la barrière qu'on ne peut plus franchir, la parole qui ne s'efface pas, le souvenir qui ne s'oublie jamais. Comment répondrait-il si elle prononçait le nom de Netty Davidson? Par la colère peut-être, et ce serait terrible, car alors elle-même se révolterait; par le mensonge encore, et ce serait bien pire; ou bien par l'aveu,—oh! l'aveu... Entendre Roger lui dire cela... quel supplice!
Simone se taisait donc, avec cette merveilleuse finesse de la femme dont la tendresse ne veut pas mourir. Mervil en conclut qu'elle avait été assez loin sur la piste de son aventure, mais qu'elle ne savait rien d'exact et que tout pouvait encore être sauvé. Il conçut aussitôt un soulagement qui lui détendit l'âme. Car il venait d'être en proie à la pire inquiétude. Affliger Simone, perdre la confiance de cette si chère compagne, s'aliéner ce cœur qu'il occupait absolument depuis tant d'années... Et cela pour qui? pour quoi?... Pour quelques heures d'une Netty Davidson!... Cette pensée lui avait causé l'exaspération d'un homme qui, par insouciance, ayant brûlé son billet de loterie, apprend ensuite qu'il avait le numéro gagnant et qu'il perd une fortune.
—Ah! Simone, lui disait-il un moment après, avec la plus indiscutable sincérité, sache-le bien, sois-en certaine, malgré les apparences,—oui, je dirai plus,—malgré les égarements mêmes, on ne trompe pas une femme comme toi. Vois-tu, donner à une autre ce qui t'appartient dans mon cœur, ce serait impossible, parce que c'est toi qui l'y crées. La tendresse, la confiance, la fidélité, l'intimité, la possibilité du bonheur, toutes ces choses-là, ce ne sont pas des mots ou des idées qui aient une existence indépendante, à mes yeux, en dehors de toi, et que je puisse chercher auprès d'une autre. Non, c'est toi-même. Je ne les ai pas connues avant toi; je ne les imagine pas sans toi. Quand on me dit: «Un tel est heureux», c'est une formule vide, qui ne précise rien pour mon imagination. Quand je me dis: «Je suis heureux», quelque chose, tout au fond de moi, murmure: «Simone», et tout de suite, devant mes yeux, surgit ta chère image. Sois-en sûre, mon amour, quand une femme est cela pour un homme, quoi qu'elle puisse craindre, quoi qu'elle puisse imaginer, quoi qu'elle puisse même surprendre, elle ne doit pas être jalouse de lui. Eh! oui, je sais bien, nous sommes des hommes; nous avons des moments de folie dont nous rougissons nous-mêmes... Ah! je t'assure, nous n'en sommes pas fiers... Mais, Simone, quand nous jurons bien, va, qu'on ne nous y reprendra plus, quand nous vous demandons notre grâce, d'où dépend notre seule chance de bonheur en ce monde... Alors, vous, les adorées, vous, les meilleures que nous, il faut...—penche ta petite oreille pour que je te le dise tout bas,—eh bien... il faut nous pardonner.
Mervil, en achevant, s'était glissé aux genoux de sa femme, du divan sur lequel tous deux se trouvaient assis. La profondeur, la vivacité de son attendrissement, donnaient à sa voix, à son geste, une éloquence de passion d'autant plus entraînante qu'elle était plus rare chez cet homme d'extérieur froid, de caractère concentré. Simone ne se rappelait point avoir vu, même aux premiers jours de leur mariage, la hauteur et la sécheresse plutôt naturelles à Roger se fondre en une telle ardeur de tendresse, en une telle grâce d'humilité. Que devint-elle quand, relevant vers elle le visage de son mari, par un geste de curiosité grave, intense, elle distingua deux traces humides sous les longues paupières, bistrées de laborieuses veilles, et qui battirent en une honte furtive, pour effacer ce qui ressemblait tant à deux larmes!
Elle put dire seulement:
—Ah! Roger...
Dans l'atroce regret qui lui torturait l'âme, elle n'avait même plus de sanglots. C'était donc contre cet homme-là, c'était contre lui qu'elle s'était irritée jusqu'au mépris, jusqu'à la haine, jusqu'à l'ineffaçable injure de la trahison!... C'était à lui qu'elle avait menti hier, qu'elle mentait ce soir, et qu'elle allait être forcée de mentir désormais jusqu'au bout, jusqu'au dernier baiser d'adieu au bord du tombeau! Et c'était elle, Simone, sa Simone, qui avait fait cela!
—Ah! Roger... murmura-t-elle à plusieurs reprises, avec une intonation si déchirante, que lui, la croyant subjuguée seulement par le triomphe douloureux d'une divine indulgence, disait:
—Ma Simone, comment peut-on faire du chagrin à une bonne petite âme comme toi? Ah! je ne suis qu'un brutal, un mauvais mari. C'est vrai, tu es si fine, si sensible!... Une petite femme comme toi, c'est trop délicat à manier... Moi, je ne suis qu'un maladroit, un bourru. Je te traite en vieux camarade, que je taquine... je m'oublie, je dépasse la mesure. Je devrais toujours être en adoration devant ma jolie madone, et je me conduis comme un païen.
Elle le fit taire, avec douceur.
—Ne causons plus, dit-elle, je suis brisée. Veux-tu être tout à fait bon?—Et elle touchait avec un geste timide et tendre le front du musicien toujours à demi prosterné sur le tapis à côté d'elle.—Va te remettre un instant au piano, et joue-moi encore quelque chose.
—Mais, mignonne, il est bien tard... J'ai peur de réveiller Paulette, et miss Mary, et tout notre monde.
—Oh! tu joueras très, très doucement. C'est si joli quand tu fais chanter le piano tout bas!
Il lui obéit. Il reprit en sourdine une des phrases et quelques-unes des variations qui l'avaient le plus charmée tout à l'heure.
En l'écoutant, ivre de tristesse et d'appréhension, Simone se disait:
«Rompre... Oui, je veux rompre... Mais comment?... L'autre est tellement attaché à notre vie! Près de lui, je suis perdue. Il m'a prise, il me reprendra. Et ses baisers sont si doux!... Ah! mon Dieu, est-ce que déjà je ne pourrais plus m'en passer?...»
Mervil continuait à effleurer lentement les touches, éveillant une mélodie de songe. Par instants il levait les yeux pour envoyer le sourire de ses prunelles au visage tout pâle de Simone.