L'Asie inconnue : $b à travers le Tibet
CHAPITRE V
LA RECHERCHE D’UNE ROUTE
23 novembre. — De Boulak Bachi, c’est-à-dire de « la Tête de la Source », nous nous dirigeons vers la première passe dont on nous a menacés. Après une demi-heure de marche au flanc de la gorge, nous descendons dans le lit à sec d’un torrent et nous faisons halte au pied d’une montagne de sable. C’est le Koum Davane qu’il faudra escalader. Il est vierge du moindre sentier, et c’est à nous qu’échoit l’honneur d’en tracer un à notre goût dans la poussière. Il est inutile de songer à remonter le cours du torrent avec des chameaux et de suivre les ânes qu’on hisse après les avoir déchargés comme s’ils étaient eux-mêmes des bagages. Le sentier escarpé est interrompu par un véritable escalier qu’aucun animal domestique ne saurait enjamber, sans l’aide des hommes. Force nous est d’attaquer le Koum Davane.
Le sable est excessivement fin et il n’offre pas sur la pente assez de résistance pour que les chameaux trouvent un point d’appui et posent avec sûreté les larges tampons de leurs pieds malhabiles. Il leur arrive souvent de tomber sur les genoux, et comme cette position est celle du repos, ils s’y complaisent, laissant marcher ceux qui vont devant et arrêtant les autres. Nos hommes se donnent une grande peine pour les relever et ils n’y réussissent pas toujours. Ils les font avancer par tous les moyens possibles ; l’animal se traîne sur les genoux jusqu’au point où le sable est plus solide, grâce à une touffe de tamarix, et alors il se redresse d’un énergique coup de reins provoqué par le bâton et des aménités.
Des chameaux ont contemplé d’en bas les désagréments éprouvés par leurs camarades de l’avant-garde, et à peine ont-ils mis le pied sur le sentier qu’ils se refusent à aller plus loin. On les sépare et un à un on les oblige à l’escalade. Sur chaque plate-forme ou semblant de plate-forme on fait halte et l’on prend du repos. Puis chacun tire l’anneau de la bête en l’excitant par un cri de sa façon et s’égosille pour lui donner du courage. Jamais les échos de la montagne n’ont répercuté autant de jurons, d’exclamations, d’épithètes malsonnantes. Avouons toutefois que le mot our ! est prononcé plus que les autres, parce qu’il veut dire « tape ! tape ! »
Les ânes lourdement chargés et les moutons ferment la marche, le nez bas et l’oreille pendant tristement.
Le 25 et Le 26 novembre sont consacrés au Tach Davane (Passe des Pierres) ; notre troupe est harassée. Plusieurs ont saigné du nez, bien que nous n’ayons pas atteint la hauteur du Mont-Blanc. La pente est si raide, qu’on a dû par places hisser les chameaux et depuis le bas porter les bagages à dos d’hommes. Nous sommes campés au milieu d’une étroite vallée pierreuse, aride, sans eau, sans la moindre broussaille. Notre provision de glace diminue et les bêtes n’ont pas bu depuis deux jours.
Aussi les nouveaux venus dans cette montagne désolée se laissent-ils aller au découragement ; on entend des réflexions de dépités. Le Doungane en particulier est dans un état d’exaspération très grande. « Si plus loin, dit-il, la route n’est pas meilleure, que deviendrons-nous ? Et nous avons peu d’espoir que cela change, car du haut de cette passe maudite nous avons vu devant nous des montagnes entassées que dépassent des pics blancs de neige. Où allons-nous ? »
Et le petit Abdoullah s’approche du chamelier, dans l’espoir de manger des pâtes à la chinoise. A peine a-t-il salué poliment que le grincheux chamelier, lui lançant une bordée d’injures et de malédictions, le chasse avec des airs de menace, montrant le poing fermé, crachant de mépris et lui criant avec des sanglots de colère :
« Maudit chien, tu m’as trompé. Tu viens contempler ton œuvre. Hein ! hein ! tu viens voir si je vais bientôt mourir. Va-t’en ! »
Le petit Abdoullah bat en retraite, traînant la jambe, baissant la tête, car il est sans force, et, j’en suis sûr, il est profondément désolé de ne pouvoir manger de la pâte à la chinoise. Coupée fine, cuite à l’eau et à la graisse, assaisonnée de sel et de poivre, elle constitue en effet un aliment assez agréable à défaut d’autre chose.
La nuit du 27 est particulièrement mauvaise. Rachmed, parti à la chasse des mégaloperdrix, ne rentre qu’à une heure avancée. L’inquiétude passée, le mal de montagne tient longtemps les hommes éveillés. On les entend s’agiter, se dresser sur le séant, car ils sont oppressés ; quelques-uns vomissent, et, sans interruption, ce sont des gémissements, des plaintes en turc et en chinois ; la passe est accablée d’injures.
Heureusement qu’Abdoullah Ousta promet pour le prochain camp une rivière, des broussailles et même un peu d’herbe. La place sera bonne pour un séjour, on y reposera, et, la force revenue, le courage renaîtra parce qu’il n’est que « la conscience des forces qu’on a ». Le découragement vient précisément de la conscience qu’on n’a pas de forces.
Le 27 novembre, nous partons par un vent de nord-ouest qui rend peu supportables 13 degrés de froid ; dans la nuit le minimum a été de − 17 degrés.
Plus d’un dans notre bande souffle sur ses doigts en maniant les cordes ou simplement une boussole ou un appareil photographique. Mais nous descendons et le mal de montagne diminue, les têtes sont plus solides sur les épaules, les bourdonnements dans les oreilles moins bruyants. Quelques centaines de mètres en s’éloignant du ciel pour lequel l’enveloppe de l’homme n’est point faite suffisent à remettre à peu près ceux qui souffrent. Et lorsque nous sommes abrités du vent entre les parois des ravins, on éprouve une sensation de bien-être.
En cinq heures de marche, nous arrivons par la petite passe de l’Obo (Ilê Davane), sur les bords du Djahan Saï. Ses bords ont une collerette de glace, mais au milieu l’eau coule rapide, claire et potable.
La journée du 27 est consacrée au repos. Dès le matin on nous annonce qu’on a relevé des traces de yaks sauvages. Cela décide les chasseurs à partir. La veille, ils sont allés poser des pièges dans l’espoir de prendre des loups. Avant de se mettre en route pour la chasse, Abdoullah Ousta et les siens essayent leurs fusils. Ils mesurent avec soin la charge de poudre, enfoncent la petite balle, et ayant disposé un but à quatre-vingt pas environ, ils plantent leurs fourches, visent lentement et descendent la mèche avec mille précautions.
Ayant repris confiance dans leur arme en s’en servant plusieurs fois de suite, ils ramassent des poignées de sable et les lancent en l’air à diverses reprises. Ils considèrent attentivement la direction que prend la poussière afin de connaître celle du vent et ils se mettent en marche immédiatement, après avoir marmotté une prière et invoqué Allah. Ils vont en présentant le flanc au vent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé des traces, et contre lui dès qu’ils les suivent.
Ils reviennent le soir sans avoir pu tirer des koukou-iamanes qu’ils ont vus et ils attribuent la défiance extrême de ces bêtes à ce qu’elles nous auront aperçus la veille.
Dans les pièges il n’y avait pas la moindre prise pour les dédommager : les loups cependant s’étaient approchés fort près de l’appât, mais ils ne s’étaient pas laissés séduire. Cela prouve une fois de plus qu’en voyage on ne doit pas compter sur le produit de la chasse pour nourrir une caravane, à moins de faire passer la chasse avant l’exploration. Et nous nous applaudissons d’avoir emmené un petit troupeau de moutons afin de manger un peu de viande fraîche. On prend le plus gras des vingt-quatre survivants, et Iça le dépouille en un instant.
Cependant, on raccommode les selles, les vêtements, on nettoie les armes ; et Rachmed fabrique une baguette de fusil avec une branche empruntée aux broussailles d’à côté. Parpa recoud ses bottes de peau de chameau sauvage avec des tendons d’antilope ; il les assouplit en les trempant dans sa tasse de thé. Les chevaux et les chameaux errent. Nos chiens se disputent et s’arrachent les boyaux du mouton. Pour le dépecer, deux hommes le supportent à l’aide d’un bâton passé sous le tendon et appuyé sur leurs épaules.
On prépare un somptueux festin. On lave du riz pour le palao qui suivra le kaverdak qu’on mangera d’abord : ce plat consistera en bas morceaux que nous ferons sauter dans la graisse de mouton. On ne laisse pas le kaverdak chanter longtemps dans la marmite et on le dévore à peine cuit. Le petit Abdoullah, qui ne peut attendre le palao, obtient, au moyen de supplications, une épaule pas complètement désossée ; il la calcine à la flamme et la déchiquette avec les dents et les doigts en se plaignant : « Voilà le Tibet qui commence, voilà sa cuisine ! » et il pousse un soupir. On éclaire la marmite avec une branche qu’on arrose de graisse pour la transformer en torche. C’est là une prodigalité que l’on ne se permettra pas dans un mois, soyez-en sûr. On ne fera pas flamber la précieuse graisse de mouton lorsque la crainte de manquer de vivres hantera les cervelles. Aux fumeurs on passe du feu avec un tison qu’on éteint chaque fois en le piquant dans le sable par économie.
Personne qui ne fasse honneur au banquet en plein air. Les mâchoires fonctionnent avec énergie. Rachmed, montrant les rangs des dévorants, dit : « Nous ne manquons pas de guerriers pour livrer des batailles de ce genre ! » Le feu éclaire les figures tannées et les dents blanches des mangeurs agenouillés. Ils puisent avec la main dans les écuelles et happent les poignées de riz qu’ils se jettent dans la bouche. Tous sont enveloppés dans leurs pelisses bouffantes et forment un groupe de masses informes. Ils avalent jusqu’à réplétion parfaite.
Les restes, qui sont considérables, sont portés aux Lobis par le plus jeune. Seuls les chefs de ces gens avaient pris part au repas. L’arrivée de la marmite à moitié pleine jette la joie sur la figure de ces sauvages. C’est pour tout le monde une bien belle soirée qui fait oublier les fatigues et les ennuis des jours précédents. Nous avons même de la musique, car Tokta a emporté son instrument, son Allah-rabôb, comme il le nomme.
Il nous chante toujours à peu près les mêmes airs que nous avons déjà entendus. Ils sont diablement mélancoliques. Ici on les écoute avec plaisir. Je le répète, ils sont de circonstance.
Le Doungane, que la possibilité d’abreuver ses chameaux a rendu aimable, tient à son tour table ouverte. Il offre à qui en veut des pâtes à la chinoise. Malgré un repas copieux à peine achevé, nous en voyons qui acceptent l’invitation que Niaz a transmise. Si l’on ne connaissait les estomacs des hommes qui vivent au grand air, on aurait des craintes pour la santé des redîneurs. Ils reviennent à nos feux sans être incommodés de ce deuxième repas. Puis on se couche. On s’endort en songeant que les passes de l’Altyn Tagh sont derrière nous. C’est le tour du Tchimène Tagh. La plupart des hommes dorment sans se déshabiller, se contentant de tirer les bras hors des larges manches de leurs pelisses. Les Lobis se déshabillent et dorment complètement nus dans le tas de leurs vêtements où ils s’enfouissent. Auparavant ils les chauffent à la flamme pour les sécher et chasser la vermine. Ils ne s’abritent pas du vent derrière leurs ballots, mais derrière le feu, de sorte que le vent souffle sur eux la chaleur du foyer. Leur procédé est le meilleur lorsqu’on n’a pas d’autre abri que les belles étoiles.
Le 3 décembre, nous sommes à Ouzoun Tchor (la Grande Saline). Nous y sommes arrivés en passant par Pachalik, Kara Choto et Mandaïlik. Ces noms ne signifient pas que nous avons rencontré des habitations ou des hommes. Nous avons chevauché dans le désert ondulé, sous un ciel généralement empoussiéré par le vent du nord-ouest. Nous avons suivi à peu près la route de Carey, mais sans trouver d’eau, là où en mai il avait vu des ruisseaux couler. Nous avons dû emporter de la glace dans des sacs.
Un homme nous annonce qu’il a vu des empreintes de chameaux, empreintes de date déjà reculée. Le Doungane les examine et ne voit rien qui lui indique que ce soit une bête sauvage. Il conduit des chameaux depuis qu’il peut marcher, il les connaît bien, et, après avoir examiné du crottin déjà vieux, tombé près de ces empreintes, il conclut que dans tout ce qu’il a examiné, rien ne diffère des animaux domestiques.
Peut-être une caravane a-t-elle envoyé des hommes chercher du sel ? d’où ces traces au bord de la saline. Ou bien des chameaux sauvages sont-ils venus prendre une sorte d’apéritif ? On fait des suppositions. La curiosité est excitée. On espère du nouveau.
Peut-être ces traces marquent-elles le voisinage de la route du Sud ; on ne veut pas croire à pareil bonheur.
Les chasseurs s’en vont dans toutes les directions. Quant à moi, je m’en vais du côté de ces traces. Je grimpe sur les collines, j’erre, l’œil à mes pieds. Au sud de notre camp est posée la plus nue, la plus striée, la plus ridée, la plus caduque des montagnes. Elle s’use, elle est usée. Au bas de ses contreforts, le sel met comme une moisissure. En gravissant ses pentes, le pied enfonce dans la poussière. On casse ses débris plus facilement que le sucre. M’arrêtant à la pointe d’un piton afin de considérer le paysage, je m’assieds, et ce qui me semblait un rocher a la fragilité incroyable d’une momie, se réduit en poudre au moindre contact.
Dans la grande vasque à l’est, s’étale la large plaque vert jaune de l’Ouzoun Tchor ; elle est marbrée de bandes de sel. Tout à fait au bas, entre levant et midi, le miroir d’un petit lac s’arrondit ; les collines y plongent leurs silhouettes. Auprès, on distingue des koulanes broutant, regardant, puis disparaissant au grand galop de la peur.
Au delà de la vasque enfermant la saline, une steppe s’élève insensiblement jusqu’à d’autres montagnes perdant leurs sommets dans le brouillard. Cette chaîne s’abaisse vers le nord et semble se rattacher à d’autres montagnes déchiquetées. Celles-ci ferment l’horizon et laissent passer au couchant des cimes blanches.
Derrière nous — nous voulons dire là où nous avons passé hier, — les broussailles mettent comme des taches de gale sur la steppe grise dont la courbe, plus loin, se dessine mal dans une buée vibrant à l’ardeur du soleil.
Puis des mirages trompent l’œil et se rient de la raison. Le petit lac prend les apparences d’une mer dont l’eau monte comme par l’effet d’un déluge subit et touche un continent lointain qui a l’aspect de la Corse…
Des coups de fusil me font retourner au camp. Près de la montagne on voit les restes d’un koulane dévoré par les loups.
Dans la broussaille je trouve des vestiges d’hommes. On a gîté là. La place est fort bien choisie. On a dormi à cette place plusieurs fois, on a allumé du feu, mangé du koulane, dont il reste des fragments de côtes, des mèches de poil aux branches. Un marcheur a abandonné un bas de cuir fait de peau d’yak. La dernière troupe qui s’est abritée ici était assez nombreuse, car elle possédait plusieurs ânes, ainsi que le prouvent de petits tas correspondant à autant d’animaux.
En rentrant au camp, j’apprends que Henri d’Orléans a tué un beau koulane mâle, le premier jusqu’à présent. Deux hommes sont partis, ils le dépouilleront à la hâte avant la gelée et rapporteront sa peau ainsi qu’un peu de viande.
Ce 4 décembre, nous constatons que le minimum de la nuit a été − 29 degrés. Heureusement la brise de nord-ouest est excessivement légère. Avant de commencer les préparatifs de départ, nous attendons que le soleil ait dégourdi les hommes et dégelé les cordes. Nous buvons le thé, lorsque Timour pousse une exclamation. Tous les hommes se dressent et regardent précipitamment dans la direction des broussailles où hier j’ai trouvé un gîte. Avec ma lorgnette je distingue assez nettement deux ou trois ânes et quelques hommes armés de fusils. Ils disparaissent. Un mince filet de fumée s’élance et nous comprenons sans peine que ces voyageurs sont arrivés à la moitié de leur étape et qu’ils vont préparer leur nourriture.
Nous leur envoyons immédiatement Abdoullah Ousta qui suppose que ce sont des Lobis. Rachmed reçoit l’ordre de rejoindre le vieux afin de l’empêcher de prévenir les nouveaux venus contre nous. Car nous comptons cette fois obtenir quelques renseignements. Mais le vieil Abdoullah devine sans doute notre pensée, car il presse le pas et nous doutons que Rachmed arrive à propos.
Bientôt quatre hommes se dirigent vers notre camp. Deux anciens viennent nous offrir des présents. Ils déposent devant nous trois peaux de renard, une peau de loup. Ils ne laissent pas d’être intimidés par notre présence. Nos gens les entourent, leur serrent les mains : « Salamat ! Salamat ! Soyez bienvenus ! Soyez bienvenus ! » On les invite à s’asseoir près du feu. Ils n’osent croiser les jambes, ils sont mal à l’aise et se tiennent accroupis un genou à terre. Ils roulent des yeux effarés.
On les traite avec bienveillance, on leur donne de la viande cuite, du thé, du pain, du sucre. Ils mettent de côté la viande cuite, boivent le thé avec avidité, touchent à peine le sucre, et l’ayant passé sur leur langue ils le serrent dans leur main ; quant au pain, ils le rompent avec soin, ils le mangent avec religion comme un mets qui honorerait leur corps. Leurs figures se détendent enfin, elles expriment le bonheur. L’un d’eux, à barbe plus fournie qui nous l’a fait baptiser Tzigane, se penche vers son voisin et tout doucement chuchote quelques mots en souriant. Ils échangent un regard difficile à traduire et où il y a de l’étonnement, l’étonnement d’être aussi bien traités.
Nous profitons de leurs bonnes dispositions pour les questionner :
« Avez-vous vu le fils de votre ami Abdoullah Ousta ?
— Oui, répond le moins barbu ; il n’a pas trouvé beaucoup d’or et il chasse. Il est en bonne santé.
— Avez-vous fait bonne chasse ?
— Nous avons tué six koulanes et pris au piège trois renards et un loup.
— En combien de temps ?
— En un mois. Aussi nous sommes à court de vivres, et depuis deux semaines nous nous nourrissons de viande que nous faisons dégeler.
— N’avez-vous que de la viande ?
— Un peu de blé grillé et du sel autant que nous voulons. Nous le prenons sur les bords de l’Ouzoun Tchor.
— Avez-vous vu des Kalmouks ?
— Non, nous n’avons rencontré que des gens de Tcharkalik.
— Avez-vous vu des traces de chameaux sauvages ?
— Non, quoique nous sachions qu’ils errent quelquefois dans cette région.
— Connaissez-vous les chemins ?
— Abdoullah Ousta les connaît mieux que nous, c’est une barbe blanche.
— Alors vous n’avez pas vu de Kalmouks ?
— Non, pas un seul. Ils vivent au delà du Tchimène Tagh, qui est la frontière que nous nous sommes donnée d’un commun accord. Nous ne chassons pas au delà. »
Il est impossible de tirer un renseignement. Nous finissons par croire qu’ils n’ont rien à cacher. Nous les remercions et nos hommes les chargent de commissions pour Tcharkalik.
Ce matin, nos gens ont reçu chacun un morceau de sucre, ils l’adressent, Tokta à son petit garçon, Timour à sa femme, avec la recommandation qu’elle prenne patience et n’abandonne pas le foyer ; Iça, au fils de son maître l’aksakal.
Ainsi que je l’ai déjà dit, Iça avait la mauvaise habitude de fumer le hachich ; aussi Rachmed l’appelait Bangi, c’est-à-dire fumeur de hachich. Iça, très vexé de cette appellation, se plaignait à moi, mais je le raisonnais et il convenait avec bonne foi qu’il méritait ce nom : « Ne fume plus, lui dis-je, on te traitera alors en bon musulman et de plus je te ferai un présent. » Et un beau matin, Iça a brisé sa pipe à hachich. Il lui restait un peu de bang dans son sac ; il profite du passage des chasseurs pour l’envoyer à ses amis et il leur fait dire :
« Vous feriez bien de ne plus fumer le bang, mais si cela vous plaît, fumez celui-ci qu’Iça vous envoie et adressez des prières à Allah ; demandez-lui que notre voyage réussisse. »
Là-dessus les chasseurs s’éloignent après un « Allah est grand ! » dit en commun.
Il faut partir et l’on plie les tentes lestement. En cinq quarts d’heure nous arrivons à la corne de l’Ouzoun Tchor, qui n’est pas gelée et où nous enfonçons dans une épaisse couche de sel. On contourne l’extrémité du lac en suivant près de la montagne une sente assez étroite, menant au défilé qu’on appelle Le « Cou de l’Ouzoun Tchor » (Ouzoun Chornin Boïni). Nous revoyons les traces de chameaux. Personne ne voit une différence avec les animaux domestiques. Peut-être sont-ce des chameaux sauvages ? Le Doungane constate que ceux-ci ont été nourris comme les siens, c’est tout ce qu’il peut affirmer. Nous discutons à ce sujet et je me dis que les arguments des uns valent les arguments des autres.
Nous chevauchons tranquillement et soudain tous nous nous interpellons, on se rassemble, on crie « regarde, regarde », « des chameaux ! » dit celui-ci ; « non, des yaks ! » dit celui-là.
Une chose certaine est qu’à sept ou huit kilomètres monte lentement vers l’est la file d’une caravane. Je puis distinguer à la lorgnette que ce sont des bêtes chargées conduites par des cavaliers. Nous concluons de l’allure régulière et du bel ordre de marche que c’est une caravane de chameaux.
Immédiatement nous ordonnons à Abdoullah et Akhan, notre Chinois, de joindre à tout prix ces voyageurs, que nous supposons être des pèlerins de la suite du khan des Torgoutes qui a passé récemment par le Lob Nor. Ils les questionneront et examineront l’état des bêtes. Tandis qu’ils poursuivent avec ardeur les pèlerins, nous continuons gaiement notre route et les langues vont leur train. Personne qui ne voie l’avenir en beau.
Puis nous entrons dans le défilé de l’Ouzoun Tchor. Il se rétrécit à mesure qu’on s’élève. La caravane vient de le traverser. Ses chameaux ont laissé sur la terre molle de belles empreintes. Et cela prouve qu’on peut voyager plus loin avec des chameaux. Mais de quel côté se dirigent les traces ?
Nous retrouvons aussi celles des chasseurs lobis, il est probable qu’ils n’ont pas vu les pèlerins.
A examiner le terrain, nous perdons un peu de temps et cela permet à nos Lobis de nous devancer et d’arriver à la sortie du défilé. Ils n’ont pas repris la route des pèlerins, dont les traces suivent un sentier facile à travers les collines à droite du défilé.
Notre premier mouvement est de faire rétrograder l’avant-garde et de prendre cette nouvelle route. Mais Abdoullah Ousta nous en détourne.
« La route est très mauvaise, je vous assure, très mauvaise. »
Nous ne le croyons pas, mais nous suivons son conseil en pensant qu’il est bon d’attendre le retour des deux hommes envoyés aux renseignements, et qu’il ne nous sera pas difficile de retrouver cette piste.
Le défilé aboutit à une passe d’où nous descendons par un plateau que l’on nomme Tchimène : c’est le commencement de la chaîne de même nom que nous devinons au sud dans la brume.
Nous trottons sur un plateau dénudé, mais sans pierres ; la route est excellente. Puis nous descendons vers la plaine de Tchimène en longeant des contreforts. Tout à coup deux cavaliers, montés sur des chameaux, sortent d’un pli de terrain, à portée de lorgnette. On distingue leur fusil en bandoulière et je ne sais quoi battant les flancs de leur monture. Il est visible que ces gens nous ont aperçus et qu’ils sont effrayés, car ils s’éloignent au petit trop, allure dangereuse pour les bêtes sur les hauts plateaux. Nous supposons que ces deux voyageurs rejoignent la caravane que nous avons aperçue, et Dedeken, qui parle un peu le mogol, se met à leur poursuite de toute la vitesse de son cheval. Il les atteint, les questionne et revient vite nous conter ce qu’il a appris. Ce sont deux Torgoutes appartenant à la caravane que nous avons aperçue. La viande manquait ; ils se sont détachés de la troupe, ils ont chassé et ont tué un yak. Ils l’ont dépecé et ils emportent les meilleurs morceaux pour leurs frères. C’étaient ces quartiers de viande que je voyais ballotter suspendus à l’arçon des selles. Ils viennent du Tibet, de Lhaça, où ils ont été prier le grand lama. Ils ont demandé à Dedeken où nous allions, et il a prudemment répondu que nous voulions chasser du côté de l’est, du côté du Se-tchouen.
A la direction qu’Abdoullah Ousta nous fait prendre vers l’est, il est clair qu’il veut nous mener à Tchong-iar et de là au Tsaïdam. Demain nous modifierons l’itinéraire.
Nous campons sur une sorte de terrasse au milieu de quelques bouquets de broussailles. La nuit étant obscure et nos chameaux n’étant pas encore arrivés, nous allumons un buisson, la flamme s’élance et comme un phare montre le port.
Abdoullah et notre Chinois arrivent les derniers. Nous les pressons de questions. Ils racontent ce qu’ils ont vu. Ils ont compté vingt et un chameaux portant des coffres protégés par des peaux de bêtes. Ils ont reconnu que ces chameaux étaient de race kalmouk, qu’ils avaient fait une longue route : ils étaient maigres, les harnais étaient usés et l’enveloppe des charges gardait les traces des intempéries. Mais les pieds des bêtes n’étaient ni gercés, ni écorchés outre mesure, et à cela on voyait que la route ne devait pas être caillouteuse.
Le seul cavalier de la caravane était un homme voilé, un lama à moustache grise, qui daigna leur parler du haut de son chameau, sans vouloir leur donner de renseignements. Il leur affirma qu’il revenait du Tsaïdam, d’un endroit appelé Timourlik, et qu’il se dirigeait sur Abdallah. Il ne leur avoua pas qu’il venait du Tibet, et à brûle-pourpoint il leur posa cette question :
« Êtes-vous au service des Russes ?
— Non, répondirent-ils.
— Nous savons que des Russes veulent pénétrer dans Lhaça, mais ils n’ont pas reçu la permission. Si vous êtes ces Russes, ne l’oubliez pas !
— Nous sommes au service de Français qui ne se soucient pas d’aller au Tibet.
— Que viennent-ils faire par ici ?
— Chasser. »
Sur cette réponse, le lama a rabattu son voile et gardé le silence. Ses serviteurs l’ont donné pour un « Bouddha vivant ».
Nous convoquons les chasseurs de Lob et de Tcharkalik et nous leur demandons s’ils connaissent le chemin suivi par cette caravane. Après avoir beaucoup insisté, nous obtenons cet aveu du vieil Abdoullah Ousta :
« Il y a vingt-cinq ans, j’ai entendu dire que des Kalmouks étaient revenus du Tibet par une route plus directe que celle du Tsaïdam et plus facile. C’est tout ce que je sais. »
Là-dessus le vieux chasseur nous demande pour lui et les siens l’autorisation de nous quitter. « Le froid est de plus en plus insupportable, nos foyers sont plus loin chaque jour et nos vivres diminuent. » Je lui promets une réponse pour le lendemain matin.
Et la nuit même, Rachmed leur annonce que nous les renverrons dès que nous aurons retrouvé les traces de la caravane, et qu’ils seront richement récompensés, car nous sommes contents d’eux. De la sorte, ils nous aideront à trouver la bonne piste.
Ils répondent qu’ils sont heureux de nous avoir rencontrés et leur vieux chef jure que tous nous serviront fidèlement jusqu’au dernier moment. Pendant longtemps ils parlent à voix basse près de leurs feux. Leurs protestations ne m’empêchent pas de croire qu’ils nous quitteront à la première occasion, mais nous pourrons nous passer d’eux.
Cette journée du 4 décembre comptera dans notre voyage. Quelle admirable coïncidence ! Juste au moment décisif, juste à l’endroit où la route bifurque, nous rencontrons providentiellement des pèlerins qui reviennent de Lhaça. C’est trop de bonheur ! L’occasion est trop belle ! Nous profiterons d’une aussi précieuse indication. Demain nous rechercherons la piste des deux chasseurs de yaks et nous verrons où elle conduit.
Le 5 décembre, nous nous dirigeons sur le sud-ouest, laissant le Tsaïdam à notre gauche. A l’est, dans la grande plaine, une fumée attire notre attention. Tout d’abord on croit à un campement, mais cette prétendue fumée se déroule en volutes ainsi que celle qui s’échappe de la locomotive d’un train, et nous concluons qu’un troupeau de bêtes sauvages galope sur la « terre molle ». Nous sommes dans une sorte de « crau » poussiéreuse. Après cinq heures de marche, nous nous arrêtons dans le lit d’un torrent où l’eau a apporté des racines et des branches, qu’on ramasse avec le plus grand soin. Elles serviront à faire fondre la glace que nous avons emportée, car, depuis le 20 novembre, nous n’avons plus d’eau et nous ne savons quand nous en aurons.
L’herbe manque aussi, et, le 6 décembre, nous partons vers le sud-ouest, ayant hâte d’arriver au pied des collines vers lesquelles se dirigent les traces des chasseurs pèlerins.
Nous demandons à Abdoullah Ousta s’il connaît le prochain campement. Il avoue le connaître par ouï-dire et qu’il est bon. Il l’appelle Bag Tokai, c’est-à-dire le « Jardin des Broussailles ».
Arrivés près de Bag Tokai, nous trouvons que la dénomination de « jardin » n’est pas trop pompeuse. Nous sommes près d’une rivière d’eau douce, que nous annoncent quelques lamelles de glace brillant dans le lit desséché d’un de ses affluents. La rivière, en arrivant dans les bas-fonds de la plaine, a déposé de grands étangs, gelés bien entendu, et elle a formé une infinité de bras. Au bord du chenal, on voit l’eau couler.
Le soir nous tenons conseil. Nous questionnons nos chasseurs et nos âniers, nous leur prouvons qu’ils connaissaient déjà cette place. Le vieil Abdoullah nie avoir jamais mis le pied à Bag Tokai ; mais, poussé à bout, et peut-être par suite d’une entente avec Timour, il nous dit que celui-ci peut nous renseigner et qu’il en sait plus long que lui. Le vieux chasseur n’a pas voulu se dédire parce qu’il craint d’être puni de son mensonge ; et, dans le but de nous adoucir, il aura chargé Timour de nous renseigner. Et le brave garçon prend la parole :
« Parpa peut vous dire comme moi que nous sommes ici sur le chemin de la passe d’Ambane Achkane. Parpa est venu à Bag Tokai avec deux Européens (Carey et Dalgleish). Je crois qu’il y a une route vers le Tibet, au delà de la passe que je viens de citer. Voici comment j’ai découvert cela il y a eu onze ans cette année… »
Rachmed verse une tasse de thé à Timour et lui donne un morceau de sucre. Vous pouvez vous imaginer si nous écoutons avec attention.
« C’était l’année que Badoulet (Yakoub-Beg) fut empoisonné par ces maudits Chinois. J’étais dans cette région avec quelques hardis compagnons. Nous allions à Bogalik chercher de l’or, lorsque nous avons croisé une caravane revenant de Lhaça, une caravane de Kalmouks qui accompagnait la mère du khan actuel. Il y avait des chameaux et des yaks. Ayant refait leur chemin jusqu’à l’Ambane Achkane Davane, nous avons constaté de nos yeux que leurs traces se dirigeaient vers le sud. Voilà comment nous avons vu cette route, que les Kalmouks tiennent secrète. Ils ne parlent que de celle du Tsaïdam. »
Je ne me permets pas le moindre reproche à l’égard de Timour, car ma joie est trop grande.
« Est-ce que la route va vers le sud, une fois l’Ambane Achkane Davane franchi ? Réponds nettement, Timour.
— Oui, elle va au sud, droit au sud. Du moins les traces se perdaient dans cette direction. »
Décidément nous tenons cette route du Sud tant cherchée. Il ne s’agit plus que de ne pas la perdre.
Notre projet primitif était d’aller au Tonkin par Batang, en traversant le Tsaïdam, si nous ne pouvions trouver la route qu’on nous avait dit partir du Kizil Sou. Et voilà que les circonstances nous dispensent de chercher le Kizil Sou. Une caravane est allée et revenue par le même chemin, ainsi que le prouvent indiscutablement des traces anciennes et des traces fraîches ; elle transportait ses bagages sur des chameaux, que des passes difficiles eussent certainement arrêtés. Nos chameaux pourront bien faire la route que les leurs ont faite.
Prenons-la à rebours, et avec de l’attention nous avons quelques chances de retrouver la piste qui doit aboutir aux environs de Lhaça. Nous irons dans cette direction aussi loin que nous pourrons. Nous avons des bêtes de somme en assez bon état, des vivres pour quatre ou cinq mois encore, des munitions, des hommes assez bien portants, et il n’y a pas une imprudence extrême à tenter l’aventure. Si les circonstances nous favorisent, nous avons des chances de réussite, et pourquoi ne continuerions-nous pas ce que nous avons si bien commencé ? Telles sont à peu près les idées qui me traversent rapidement la tête et me font dire tout de suite à mes compagnons que nous allons piquer droit sur le sud, de manière à arriver au Namtso, au « Lac du Ciel », près de Lhaça. Nous ferons certainement des découvertes intéressantes, et, une fois là, nous songerons à Batang et au Tonkin. C’est bien un petit crochet en perspective, mais on ne saurait jamais trop allonger la route en pays inconnu.
Mon compagnon Henri d’Orléans sait ou devine que je pense au Tibet depuis quelques jours. Nous ne nous sommes rien dit encore de précis à ce sujet, mais je sens que nous serons d’accord sans peine. Et quand je lui dis : « Nous allons faire la route des Kalmouks en approchant de Lhaça le plus possible », il s’enthousiasme : « Vous verrez, nous réussirons ; j’en suis sûr, marchons. Vous pouvez compter sur moi. Quel beau projet ! Je savais bien que vous vouliez aller au Tibet. »
Puis je passe à Dedeken, qui vient le fusil sur l’épaule. Il était parti à la chasse des koulanes ; le matin, il en avait blessé un. Je ne lui avais jamais parlé de mes projets de derrière la tête, et il est surpris, car nous ne nous rapprocherons pas de la côte, où il pensait aller tout d’abord. Il fait quelques objections :
« Nous sommes sans papiers. Que ferons-nous ? Comment nous tirer d’entre les mains des Tibétains, que les Chinois conseillent ?
— Une fois là, nous verrons ce qu’il y a à faire. Mais nous ne sommes pas encore avec les Tibétains. »
Il réfléchit un instant, puis : « J’irai où vous voudrez, dit-il, marchons ! »
J’appelle Rachmed, il s’approche de notre tente, où nous nous réjouissons tous les trois en buvant le thé, et, s’étant agenouillé, suivant son habitude, près de l’entrée :
« Quoi ? fit-il.
— Nous allons vers le sud, dis-je, nous suivrons les traces des Kalmouks aussi longtemps qu’un œil pourra les distinguer, et si nous les perdons par notre faute, nous porterons, le restant de notre vie, chacun un bonnet avec des oreilles d’âne ? Que penses-tu de mon idée ?
— Maître, répond-il, vous n’êtes content que lorsque vous cherchez des routes nouvelles. Nous passons notre vie dans les mauvaises places. Vous m’aviez parlé de la Chine au départ, et je savais bien que vous songiez au Tibet. Maintenant nous n’avons plus qu’à regarder autour de nous et à marcher en ménageant nos bêtes. Nous nous tirerons d’affaire. »
Nous mettons dans la confidence le petit Abdoullah, que cette nouvelle n’égaye point, mais il n’ose faire la moindre objection. Quant au brave Toundja, aussi surnommé Akoun, Akhan, le Chinois de Dedeken, il fait remarquer malicieusement qu’il connaît les points cardinaux et que ce n’est pas du tout vers Ouroumtchi, ni même vers Sinin-fou que nous allons marcher, comme on le lui avait promis d’abord, mais qu’il suivra son maître. Je recommande à nos trois fidèles serviteurs de ne pas ébruiter la conversation et de tâcher de persuader aux quatre Dounganes et aux gens de Tcharkalik que nous voulons chasser dans la direction du sud, avec la ferme intention, une fois la chasse terminée, de nous rabattre sur l’est, c’est-à-dire sur Bogalik, le pays de l’or.
Avant le coucher, la bande d’Abdoullah Ousta vient nous signifier qu’elle ne peut aller plus loin, que deux fois déjà ils ont voulu retourner sur leurs pas et que nous les avons retenus. Maintenant ils veulent nous quitter, car ils ne connaissent pas la route d’Ambane Achkane Davane. Il leur est répondu que Parpa, l’homme de Carey et de Dalgleish, et Timour, le chercheur d’or, nous serviront de guides pour y aller, et qu’eux-mêmes sont assez fins limiers pour revenir sur leur propre passée. Puis on leur promet une belle récompense s’ils consentent à transporter nos bagages jusqu’au delà de la passe. On les assure de tout ce qui est l’opposé d’une récompense dans le cas où ils refuseront, et ils consentent à nous accompagner jusque-là. Mais je dois prendre l’engagement solennel de ne pas les entraîner plus loin.
Ils retournent auprès de leurs feux, et, à la façon dont ils bavardent, on peut juger qu’ils sont contents et que nous leur avons inspiré confiance.