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L'enfant prodigue du Vésinet : roman

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IX

Le lendemain, ils se retrouvèrent à table à l’heure du déjeuner.

Robert s’était dit qu’il aurait assez d’empire sur lui-même pour ne rien changer à son attitude vis-à-vis d’Ernest Gaudron. Mais Fabienne, elle, serait-elle capable de cette simulation nécessaire et courageuse ? La jeune femme l’étonna par son air de parfaite tranquillité.

Rien ne ressemble à un innocent comme un coupable qui ne risque rien.

Ce n’était pas pour Robert jour de courrier familial. Les deux amis ne firent donc pas de promenades en limousine. D’ailleurs Fabienne devait se rendre à un thé, chez une dame de Caen. Elle s’y montra particulièrement gaie et animée.

De son côté, Robert apporta à son travail de bureau une ardeur extraordinaire. Il aurait voulu se dire que, grâce à son acharné labeur, à sa conscience exceptionnelle, il était la sauvegarde vivante de la fortune d’Ernest Gaudron. Malheureusement il n’en était pas persuadé, et pensait même que, privée de sa surveillance, la maison Gaudron eût marché tout aussi bien.

Après le repas du soir, Ernest Gaudron se leva, une fois son café pris, et, selon sa coutume, baisa la main de Fabienne, et serra celle de Robert. A la stricte vérité, ils n’éprouvèrent à ces marques d’affection et d’amitié aucune impression gênante.

Seulement, il sembla à Robert qu’au moment où ils restèrent seuls, Fabienne ne tenait pas trop à le regarder. Ils passèrent dans le boudoir sans s’adresser la parole.

Depuis quelques soirs, on allumait dans la cheminée un feu de bois léger. Fabienne, debout, appuya une main sur le marbre et les yeux baissés, considéra les bûches avec une vive attention.

Robert qui, en somme, avait bien le droit de se chauffer aussi, s’approcha de la cheminée à son tour, et, comme il se trouvait très près de Fabienne, il lui passa un bras derrière le dos et lui mit la main sur l’épaule. Cette main, tout naturellement, remonta ensuite jusqu’à la tempe de la jeune femme et amena doucement la jolie tête blonde dans le voisinage des lèvres du jeune homme, qui, après un stage assez court au-dessous de la paupière, descendirent ensuite, plus délibérément que la veille, jusqu’à des lèvres qui ne se refusèrent point : se refuser, en effet, eût conféré trop de gravité à cette démonstration purement amicale.

Désormais, dans leurs entrevues, le baiser sur les lèvres fut adopté comme geste de bienvenue, et aussi de congé. Ce qui ne l’empêchait pas d’ailleurs de prendre souvent sa place au cours de la conversation, soit à l’occasion d’une parole plus tendre, d’un souvenir plus ému, et même sans prétexte apparent.

Ils abandonnèrent, ou semblèrent abandonner un des sujets de leur entretien de la veille, leur résolution toujours ferme de ne jamais tromper Ernest Gaudron. Mais cela avait été dit une fois, et avec assez de solennité pour qu’il parût inutile d’y revenir.

Il ne manquait à ce prélude, pour que le mouvement en fût pressé davantage, que d’être un peu contrarié. Ernest Gaudron laissait trop de liberté à cette femme fidèle et à ce loyal ami. L’obstacle providentiel se présenta sous les espèces d’une tante de Fabienne, qui vint passer quelques jours chez ses neveux.

Mme Barnèche n’avait pas eu une carrière sentimentale très agitée et très fertile en souvenirs. L’âge mûr donne cependant à des personnes, que leur existence calme n’a point enrichies d’expérience, une méfiance systématique : la tante jeta dès l’abord, un regard assez inquiet sur Robert. Mais il la gagna à force de courtisanerie.

La tante faisait un peu de musique. Une fois Ernest parti pour Cabourg, on asseyait la brave dame au piano. Et c’était pour les auditeurs distraits des occasions de frôlements à la dérobée, gestes beaucoup plus faciles à accomplir quand les circonstances interdisent de les accompagner de paroles, qui les souligneraient dangereusement en leur donnant trop de signification.

Vers dix heures, la surveillante improvisée mollissait dans son devoir sous l’influence du sommeil. Elle était assez corpulente, et peu entraînée à veiller et à surveiller très tard.

Aussitôt qu’elle avait disparu, c’était comme une libération pour Robert et pour Fabienne. Il leur semblait que légitimement il fallait réparer le temps perdu. Alors les baisers avaient quelque chose de plus hâtif, de plus frénétique, de plus passionné.

La chambre de la tante donnait sur la cour, en face des fenêtres du boudoir. Un soir, Robert fit une remarque probablement ingénue : Mme Barnèche devait certainement guetter les petits morceaux de lumière qui filtraient au coin des rideaux baissés de leur fenêtre.

Elle s’étonnait sans doute de les voir rester ensemble si longtemps. Ne valait-il pas mieux, pour la dépister, lui faire croire que Robert était remonté dans sa chambre et Fabienne partie dans la sienne ?… Si l’on éteignait l’électricité ?

Les voilà donc tous deux dans le salon obscur.

Robert, qui est allé jusqu’à la porte pour tourner le bouton électrique, revient à tâtons auprès de Fabienne. La nuit est bien complète, car le feu s’est éteint dans la cheminée.

Ainsi donc, Robert, assis sur un canapé dans l’obscurité, à côté d’une dame qu’il aimait avec passion, dans une tranquillité absolue, puisque la tante était allée se coucher, puisque Gaudron était encore pour deux heures à Cabourg, Robert se trouvait dans des conditions favorables pour connaître un grand bonheur.

Or, Robert n’était pas heureux.

Il fallait agir, prendre une résolution. Souhaitait-il à ce moment d’être l’amant de Fabienne ? Il n’en était pas sûr.

Qu’attendait-elle de lui ?

N’allait-elle pas le décevoir, en continuant à la serrer dans ses bras, sans plus, en appuyant ses lèvres sur les siennes, en un long baiser rituel et interminable ?

Sa jeunesse lui disait de profiter de l’occasion.

Mais son expérience médiocre l’emplissait de timidité.

Il aurait voulu dire à Fabienne : Non, pas encore. Nous ne devons pas être l’un à l’autre d’une façon aussi furtive. Il faut que notre rapprochement ait quelque chose de plus solennel, de plus nuptial.

Mais ces paroles mêmes, il ne pouvait guère les prononcer. Car, en paroles, ils n’avaient pas été bien loin. C’était bien entendu qu’on serait un jour amant et maîtresse. Mais il ne fallait pas encore se le dire.

D’autre part, il était mal installé, et craignait de se montrer maladroit.

Toutes ces conditions n’auraient pas pesé lourd, s’il avait eu moins de réflexion et plus d’emportement. Mais sa réflexion paralysait son emportement.

Ah ! les dames sont bien plus tranquilles, car elles ne sont pas tourmentées dans des aventures de ce genre par le souci de l’initiative. Elles n’ont, les très chères, qu’à attendre les événements.

Tout en baisant les lèvres de Fabienne littéralement à en perdre haleine, Robert ne pouvait s’empêcher de guetter de l’oreille les bruits du dehors. Mais M. Gaudron ne rentrait jamais avant la fermeture du Casino.

Ce fut Fabienne qui sauva le situation. Eut-elle une sorte de divination vague de l’embarras de Robert ? Fut-ce simplement le besoin de respirer ? Toujours est-il qu’elle repoussa doucement le jeune homme en murmurant :

— Il faut être sage.

Il ne se le fit pas dire deux fois… Il s’écarta de Fabienne, et sans penser que l’obscurité l’empêchait de le voir, il passa la main sur son front d’un air accablé et douloureux, comme un homme qui fait un gros effort sur lui-même.

— Et d’abord, dit-elle, rallumez l’électricité.

— Mais si votre tante épie encore à sa fenêtre, que pensera-t-elle d’une lumière qui s’éteint et se rallume ?

— Ma tante dort certainement à cette heure.

Toujours très obéissant, il alla tourner le bouton électrique. La lumière envahit à nouveau la chambre.

Puis il revint s’asseoir à côté d’elle. Comme il était mécontent de lui-même, il commença par prendre un air méchant.

— Mais qu’est-ce que vous avez maintenant ? demanda-t-elle toute anxieuse.

Il parut plus accablé que jamais.

— Je crois, dit-il, que j’ai entrepris une tâche au-dessus de mes forces… Rester auprès de vous, auprès de l’être, dit-il avec une sombre expression romantique, auprès de l’être que j’aime par-dessus tout, et sentir entre nous une barrière infranchissable, non, non, j’ai trop présumé de mon courage…

— Vous m’avez pourtant bien promis que vous seriez fort…

— Oui, je sais. J’étais de bonne foi. Mais je ne savais pas combien j’allais souffrir. Ou plutôt je m’efforçais de ne pas le savoir. Et j’étais trop lâche pour vous quitter…

Elle murmura :

— Méchant…

— Pourquoi méchant ?

— Vous me demandez des choses impossibles…

— Je vous en supplie… Laissez-moi un petit espoir… Même si vous croyez que ce que je désire est irréalisable, ne me le dites pas… Laissez-moi croire qu’un jour…

— Ne me dites rien…

— Ne me dites pas non, au moins ?

— Ne me dites rien !

C’est tout ce qu’il put tirer d’elle. Il fit semblant de s’en contenter. D’ailleurs pourquoi s’entêter, jeune homme qu’il était, à lui demander une promesse explicite ? Comme si le consentement tacite ne devait pas arriver à son heure ! Il eût été donné dix minutes auparavant, si Robert avait été plus entreprenant, et s’il avait mieux su ce qu’il voulait… Peut-être, à ce moment, dans l’obscurité, Fabienne avait-elle eu l’impression qu’elle était sur le point de céder. Mais cela, elle l’avait oublié déjà. Heureusement pour Robert, elle attribuait sa résistance non à la faible insistance du jeune homme, mais à sa propre énergie.

Le moment était venu de se séparer. Il lui donna avant de s’en aller un long baiser, qui fut infiniment plus agréable que celui d’avant, parce qu’ils étaient en pleine lumière, parce qu’Ernest Gaudron n’allait pas tarder à rentrer, et parce qu’ils avaient ainsi la sécurité de penser que cela n’irait pas plus loin.

Robert, en regagnant sa chambre solitaire, pensait que cela était mieux ainsi, qu’ils s’aimaient trop profondément, trop religieusement pour que leur première union fût hâtive et furtive. Il se félicita de sa sagesse, et ne pensa plus à lui donner le nom de timidité.

Quelques instants après, ils s’endormaient, chacun de son côté, plus épris que jamais l’un de l’autre parce qu’ils étaient arrivés à être contents d’eux-mêmes.

Ils n’entendirent pas dans leur premier sommeil l’auto qui ramenait M. Gaudron. Ernest alla se coucher tout doucement pour ne pas réveiller Fabienne, qui reposait dans le chambre voisine. Il s’endormit, lui aussi, avec satisfaction, parce qu’il s’était bien défendu ce soir-là au baccara, et sans se douter du sursis dont il venait de bénéficier.


Rencontrer Fabienne à l’hôtel ? C’était plein de difficultés.

Où trouver un appartement meublé convenable ?

A Cabourg, à Villers, à Deauville, bien que la saison fût très avancée, on risquait de rencontrer des gens de connaissance.

D’autre part, on n’était pas assez sûr de la discrétion du chauffeur.

On avait la ressource évidemment de le faire arrêter sur une place, en lui disant : « Nous allons faire des courses, et nous reviendrons vous retrouver ici… »

Mais tout cela n’était pas sans danger, surtout pour le prévoyant Robert, qui n’avait pas le tempérament d’un risqueur, et à qui il fallait une certitude mathématique d’être à l’abri de toute surprise. Or, la certitude mathématique est bien difficile à réaliser dans de telles circonstances.

Cependant il était nécessaire d’agir. Car il était impossible de rester longtemps encore à l’étape où ils étaient arrivés. Le métier de conquérant exige impérieusement une marche plus rapide.

Cette fois encore, ce fut le Destin, organisateur plein de prévenances, qui vint en aide à ce jeune homme embarrassé.

Très heureux depuis qu’il avait chez lui ce fondé de pouvoir de tout repos, qui surveillait sa maison et, en tenant compagnie à sa femme, lui permettait de se rendre chaque soir sans remords à son baccara quotidien, Ernest Gaudron ne songeait plus à s’en aller à la Plata. Seulement la saison de Cabourg tirant à sa fin, il cherchait une affaire de chevaux à traiter dans le Sud-Ouest, à proximité du Casino de Biarritz.

… Il y fit une allusion vague, au cours d’un repas.

— Je vous emmènerais bien, dit-il à Fabienne, mais là-bas, je serai obligé de circuler à droite et à gauche, et j’ai peur de vous laisser un peu seule…

Fabienne, qui faisait de grands progrès dans la tolérance conjugale, n’éleva aucune objection.

Ernest Gaudron sentit monter en lui un grand contentement… Mais il ne voulut pas avoir l’air de s’en aller trop vite…

— Je vais encore télégraphier dans le midi… Si ma présence n’est pas nécessaire…

— Oh ! elle sera nécessaire ! ne put s’empêcher de dire Fabienne en souriant.

Il ne voulut pas remarquer ce sourire ironique, car c’eût été ouvrir une discussion…

— S’il faut que je m’en aille, dit-il, je vous laisserai la limousine, et je ferai la route en torpedo… A moins que… pour éviter une route si longue… je ne me fasse conduire à Orléans pour prendre le rapide, en laissant le chauffeur continuer tout seul jusqu’à Biarritz. Car j’aurai besoin de la voiture là-bas.

On sembla trouver toutes ces dispositions fort raisonnables.

La tante, Mme Barnèche, était repartie vers une autre fraction de la famille, complètement rassurée sur les intentions de Robert. Il avait endormi son inquiétude par de constantes flatteries ; mais, tout de même, il était temps qu’elle s’en allât, car ces flatteries inlassables commençaient à se lasser.

Ernest s’apprêtait donc à partir avec la torpedo. Or, il se trouva que cette voiture eut un avaro la veille du départ. Elle serait peut-être réparée à temps. Mais Ernest, que des affaires de plus en plus urgentes attendaient à Biarritz, ne voulut point rester dans l’incertitude. Il proposa à Fabienne de l’accompagner en limousine jusqu’à Orléans, où il prendrait, comme convenu, le rapide de Bordeaux. Naturellement, on emmènerait Robert, qui pouvait bien laisser la maison pendant un jour ou deux.

— C’est entendu comme cela, dit Ernest, sans même attendre l’acquiescement de sa femme. Je vais téléphoner encore à la gare des Aubrais pour m’assurer que ma place a été retenue dans le rapide du soir… Même, ajouta-t-il en se levant de table, je vais téléphoner du bureau, parce que d’ici je n’ai pas facilement les communications interurbaines.

Il se sauva, avec la légèreté d’un écolier en vacances. Robert et Fabienne passèrent dans le boudoir et s’embrassèrent tendrement. Ils sentaient qu’il valait mieux ne rien se dire, et qu’une fois de plus ils étaient mieux d’accord en ne parlant pas.

Ernest prenait le lendemain le rapide qui passe vers onze heures du soir aux Aubrais. La limousine était forte et donnait une grosse moyenne sur la route. Mais il valait mieux s’assurer contre l’imprévu, s’en aller de Caen vers dix heures du matin pour déjeuner tranquillement en cours de route. Ils arriveraient à Orléans dans l’après-midi, dîneraient à l’hôtel. On conduirait Ernest au train des Aubrais. Puis Robert et Fabienne repartiraient pour Caen le lendemain matin, après avoir passé la nuit à l’hôtel, où ils retiendraient des chambres en arrivant.

Le voyage en auto fut des plus agréables. Ernest, qui aimait le grand air, avait pris place à côté du chauffeur. Fabienne et Robert, la main dans la main sous la couverture de fourrure, étaient tendrement installés dans le fond.

Cette expédition amoureuse, presque sous la tutelle du mari, plaisait à leurs douces âmes bourgeoises, qui avaient horreur de ce qui était scandaleux. Leurs amours adultères arrivaient tout gentiment à leur couronnement, sans éclat, sans tumulte, sans bouleverser la vie de personne…

Ernest, tout à la joie de partir, les fit dîner au champagne. On prolongea le repas le plus longtemps possible. Ils avaient tous, pour des raisons différentes, l’impression que jusqu’à l’heure du train la soirée serait longue à tirer. Ernest devait revivre ces heures d’impatience du permissionnaire qui a son titre dans sa poche, et attend dans la cour du quartier l’heure de filer vers la gare, avec la crainte de récolter quelque chose d’inattendu qui flanque par terre tous ses projets.

A neuf heures et demie, il tira sa montre…

— Nous avons le temps. Mais il faudrait tout de même y aller, les enfants.

— C’est à cinq minutes en auto, dit Robert.

— Je sais. Mais on peut avoir une panne. Et s’il vient à pleuvoir, ça serait ennuyeux de continuer la route à pied.

Ils traînèrent le plus qu’ils purent. Ils n’en arrivèrent pas moins à la gare des Aubrais une bonne heure avant le passage du train.

— Vous feriez bien de vous en aller tout de suite et ne pas vous geler sur ce quai en attendant le départ.

— Non, non, dit vivement Robert qui tenait à voir partir Ernest, de ses propres yeux.

Ils examinèrent une à une toutes les affiches de publicité, sans grand profit pour l’annoncier, car ils n’avaient aucune intention d’acheter les produits recommandés. Ils tarirent tout le stock des distributeurs automatiques de chocolat et de bonbons au miel. Puis, les deux messieurs, l’un après l’autre, s’éloignèrent discrètement, mais surtout par désœuvrement, vers le « côté des hommes ».

Les ressources de la gare semblaient épuisées, quand ils s’aperçurent que le buffet était encore ouvert… Mais il ne les aida à tuer qu’une dizaine de minutes, au prix de bien inutiles grenadines à l’eau de seltz.

Enfin une légère animation se manifesta sur les quais. Des hommes d’équipe fantômes apparurent avec des camionnettes, en même temps que les ombres de deux ou trois voyageurs.

Robert avait frémi l’instant d’avant, en voyant sur l’ardoise que le 126 avait 58 minutes de retard. Mais il s’agissait d’un train omnibus, qui venait de Blois.

Une cloche traînante se fit entendre. On regarda dans la direction de Paris. Parmi les lumières de la voie, une lumière parut bouger, passer devant d’autres lumières. Puis elle grandit, grandit. Ernest et Fabienne se dirent adieu, au moyen de deux baisers sur la joue, qui faisaient un gros bruit tout familial.

Une masse noire immense glissa presque silencieusement le long du quai. Un rien de lueur s’exhalait des longs wagons déjà endormis.

Deux ou trois employés étaient descendus sur le quai. L’un d’eux, consulté par Ernest, déchiffra péniblement le bout de papier que le chef de gare des Aubrais avait déjà délivré au voyageur.

— Wagon 3, couchette 4, venez par ici…

Nouveau baiser à Fabienne. Nouvelle poignée de main à Robert. On vit s’éloigner, s’assombrir, et se confondre avec les ténèbres le large dos d’un long pardessus gris.

Ce rapide allait-il maintenant se presser un peu ?

Il ne se fit pas prier, et s’en alla bientôt doucement, comme il était venu…

Retour en auto à Orléans de deux êtres complètement privés de la parole…

Arrivée devant l’hôtel…

— Quels ordres faut-il donner au chauffeur ? demanda Robert d’une voix étranglée et à peine perceptible…

— Hé bien, souffla Fabienne, qu’il vienne dans la matinée…

— Soyez ici vers neuf heures, Augustin…

Pendant toute la montée de l’étage, il avait cherché et fini par trouver ce qu’il dirait à Fabienne, une fois sur le pas de sa porte.

— Je reviens tout à l’heure pour vous dire bonsoir.

Évidemment, ce n’était pas sorcier. Mais il fallait bien dire quelque chose, et en même temps ne pas trop en dire.

Elle ne répondit que par un regard de supplication, où elle ne mit pas une conviction suffisante. D’ailleurs, il avait déjà tourné la tête et s’éloignait.

Quand il reparut en pyjama, il frappa à la porte…

On ne répondit pas. Il entra. Fabienne était en kimono…

— Je vous en supplie, lui dit-elle.

Mais il l’avait enlacée tendrement. Elle se laissa entraîner du côté du lit. Sur le parcours, il fit un crochet pour éteindre au passage une indiscrète lampe électrique.

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