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L'enfant prodigue du Vésinet : roman

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XI

La coutume des voyages de noces avait ce grand avantage, qu’à des jeunes gens qui souvent se connaissent peu, la variété du décor et les divers incidents de la route fournissaient tout naturellement des sujets d’entretien.

Si, au lieu d’être unis par les liens de l’hymen, un monsieur et une dame sont liés par le péché d’adultère, il est rare qu’ils puissent se trouver ensemble à toute heure du jour et de la nuit. Ce couple a donc moins besoin de distractions. D’autre part, les ruses qu’il faut imaginer pour se rencontrer, les précautions à prendre pour ne pas être surpris, tout cela anime et diversifie singulièrement la vie de deux amoureux illégitimes.

Or, Fabienne et Robert menaient l’existence la moins troublée, la plus régulière du monde.

Robert allait au bureau de huit heures à midi, rentrait pour déjeuner avec son amie, retournait au bureau après le café, et revenait souvent avant six heures pour la promenade à la campagne.

Le soir, la plupart du temps ils restaient à la maison. La ville de Caen, quand les stations balnéaires d’alentour reposent de leur sommeil hivernal, n’offre plus que les ressources d’un chef-lieu d’importance moyenne.

Quand on avait passé deux soirs par semaine au ciné, il ne fallait rien demander davantage.

Aller tous les deux au théâtre, à Caen ?… cela, c’était le scandale, c’était plus grave que tout, il ne fallait pas y songer…

Fabienne était musicienne. Mais elle n’aimait jouer que les morceaux qu’elle possédait parfaitement, à savoir trois mélodies de Schumann. C’était suffisant pour Robert, qui ne dormait que des nuits très courtes, et qui avait toutes les peines du monde à résister au charme berceur du piano.

Ils ne pouvaient se rejoindre dans la chambre de Fabienne que lorsque les domestiques étaient couchés. Il n’y restait d’ailleurs qu’un temps limité, car, depuis quelque temps, toutes les craintes qu’il avait éprouvées à Orléans : retour d’Ernest, irruption des domestiques dans la chambre, incendie de tout le quartier, tremblement de terre, ces mille épouvantails venaient à nouveau l’assaillir, aussitôt son exaltation quotidienne calmée.

Les promenades en auto étaient devenues moins fréquentes, car ils commençaient à connaître par cœur la douce Normandie de quinze lieues à la ronde. Ils ne ressentaient plus l’effroi complaisant de jadis devant les gentils sites sauvages des bords de l’Orne, dans cette région que les syndicats locaux d’initiative appellent la Suisse normande. A Bayeux, l’ingénuité de la tapisserie de la reine Berthe les attendrissait de moins en moins. Port-en-Bessin les avait rassasiés de sa marée. De Caen à Ouistreham, ils ne regardaient même plus les rives charmantes du canal. Et s’ils étaient toujours pris physiquement dans le pays d’Auge, par la douceur de la verdure et des chemins, ce n’était plus qu’avec une admiration réchauffée qu’ils s’arrêtaient devant la halle de Saint-Pierre-sur-Dives.

Les jeunes gens ont tort parfois de considérer le bonheur comme un feu inextinguible qui n’a pas besoin d’être entretenu.

Siméon Gormas, l’arrière-grand-père maternel de Robert, avait dit une fois cette forte parole : « Ce sont les affaires les plus belles dont il faut s’occuper le plus. »

Le paradis terrestre n’a pas de clients inamovibles.

Robert, à compter du soir où il était devenu l’amant de Fabienne, s’imaginait qu’il était entré dans un monde radieux, où il n’y a pas de porte de sortie.

Or, non seulement les cartes de bonheur que nous délivre le Destin ne sont pas éternelles, mais aucune mention spéciale ne nous indique leur durée de validité. C’est à nous de veiller au grain pour les faire prolonger en temps utile.

Robert qui, le mois précédent, écrivait à ses parents tout au plus trois fois par semaine, leur envoyait maintenant presque tous les jours des nouvelles de sa santé.

Sans s’en rendre compte, il relisait plusieurs fois les lettres de son cousin Lambert, qui, toutes les semaines, selon leurs conventions, lui écrivait comment allait sa famille.

Lambert Faussemagne était un grand garçon d’une trentaine d’années, venu au monde avec un binocle et une moustache rousse. Robert s’était attaché à lui depuis son jeune âge à cause de l’admiration que le cousin lui avait toujours témoignée. Lambert était employé chez M. Nordement père, au moment où Robert faisait sa seconde de latin-grec, ce qui émerveillait le cousin. Le dimanche, ils allaient au théâtre ensemble, en matinée.

Plus tard, le cousin avait quitté la maison pour s’établir à son compte, en achetant, avec un coup d’épaule de M. Nordement, une affaire de boutons d’os et de corozo. C’était sur des feuilles de papier à en-tête de sa maison que Lambert écrivait à Robert. Pour ces lettres personnelles, il avait renoncé à l’emploi de la machine à écrire, et il envoyait dix lignes fidèles de sa grande écriture régulière, où les majuscules étaient habillées d’une façon un peu surannée avec des traînes et des rubans flottants.

D’abord, ces lettres hebdomadaires s’étaient exprimées à peu près ainsi :

« Cher Robert, je suis allé hier dimanche, selon ma coutume, passer l’après-midi au Vésinet. Rien de spécial à te signaler. Tes parents n’ont pas parlé de toi. Leur santé est bonne. J’ai fait un bridge avec ton père et toujours les mêmes amis.

« Bonne poignée de main, mon très cher, et à ta disposition.

« Lambert Faussemagne. »

Robert avait donné à Lambert l’adresse du bureau. Il trouvait inutile qu’il apprît un jour qu’il habitait chez Ernest Gaudron.

Une lettre un jour avait ajouté ceci :

« … J’ai su que Mlle Ourson était fiancée depuis hier avec le fils Rourème, celui de Rourème aîné. Ton père et ta mère étaient au courant de la nouvelle. Mais ils n’y ont fait aucune allusion. Comme je ne savais pas si cela leur serait agréable, j’ai évité de mettre ce sujet de conversation sur le tapis. »

Ainsi donc, elle n’existait plus, la raison principale — ses parents eussent dit unique — de son départ du Vésinet.

Un matin, en arrivant au bureau, il trouva cette missive de Lambert Faussemagne :

« Cher Robert, selon l’ordinaire, je suis allé dimanche au Vésinet, et j’ai fait le bridge avec ton père.

« Je me vois obligé de te rapporter ici ce que ton père m’a dit à ton sujet.

« D’abord, en arrivant, lui et ta mère m’ont fait l’effet d’être très préoccupés.

« Or donc, avant que l’on se mette à table pour dîner, ton cher père m’a pris à part et m’a dit : « Léo, je te prie de me parler franchement. Tu dois savoir où est notre Robert ? ».

« Un autre que moi aurait pu se démonter. Mais je dois te dire que je pensais que d’un jour à l’autre cette question me serait posée. Je n’étais donc pas pris sans vert, et je savais ma réponse. J’ai donc répondu à ton père que j’ignorais complètement où tu pouvais être. Tu sais qu’il n’est pas dans mes habitudes de mentir, et je ne te cacherai pas que cela ne m’a pas été très agréable. Mais enfin je m’étais engagé à te garder le secret… Ton père m’a dit alors : « Je commence à trouver que l’absence de ce jeune homme se prolonge plus que de raison. Sa mère ne m’en dit rien, mais je ne crois pas me tromper en pensant qu’elle est aussi inquiète que moi. »

« Mon cher Robert, ma mission n’est pas de te donner des conseils, et de te dire ce que je ferais à ta place. Je sais seulement que tu as toujours été un bon fils et ce que je te rapporte, c’est uniquement pour ta gouverne.

« Sur ce, je te serre la main, mon très cher, et toujours à ta disposition.

« Lambert Faussemagne. »

Robert avait l’habitude de montrer à Fabienne tout ce qu’il recevait de son cousin. Mais, cette dernière lettre, il ne la montra pas spontanément.

Pendant le déjeuner, elle eut l’impression qu’il n’avait pas la conscience tranquille, et se dit qu’il devait lui cacher quelque chose.

— Vous n’avez rien eu de votre cousin Lambert ?

— Ah si ! dit-il d’un air détaché, j’ai une lettre de ce matin.

Il prit le papier dans sa poche et le lui tendit.

Elle lut la lettre et fit simplement :

— Ah ! ah !

Il dit alors, de son ton le plus calme et le plus indifférent :

— Ça devait arriver un jour ou l’autre… Je vais réfléchir à la lettre un peu plus détaillée que j’enverrai à mes parents pour calmer leurs inquiétudes.

Puis ils parlèrent d’autre chose.

Après le déjeuner, ils avaient l’habitude d’aller prendre le café dans le boudoir de Fabienne. C’était un petit instant de tranquillité tendre avant de partir au bureau.

Comme il la tenait dans ses bras pour lui dire au revoir, elle lui dit ce qu’elle s’était d’abord promis de garder pour elle. Mais elle était, comme beaucoup de ses pareilles, incapable de « classer » un grief, si minime fût-il.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas montré tout de suite la lettre de votre cousin, et pourquoi a-t-il fallu que je vous la demande ?

Il prit un air souriant et étonné…

— Pourquoi, mon chéri, je ne t’ai pas montré cette lettre ? Mais, mon chéri, parce que je n’y ai pas pensé…

Il y avait dans sa réponse trop d’étonnement et trop de « mon chéri ».

— Comme c’est naturel ! dit Fabienne, que vous ne m’ayez pas mis tout de suite au courant de ces nouvelles, qui devaient certainement vous préoccuper…

— Je t’assure…

— Ne m’assure rien et ne me mens pas. Car je ne pourrais pas supporter que tu me mentes !

— Je te jure, ma chérie, que je ne te mens jamais !

— Il vaut mieux que je te croie, dit-elle en l’embrassant, car autrement je serais trop malheureuse…

Au bout d’un instant :

— Dis-moi ? est-ce que tu penses de temps en temps à ta famille ?…

— Jamais, répondit-il avec la plus absolue franchise…

Mais à partir de ce moment, il y pensa.

D’abord, une fois arrivé au bureau, il fallut bien évoquer l’idée de ses parents pour imaginer la lettre qu’il allait leur écrire et en établir le plan. Il aurait voulu l’écrire le jour même, cette lettre, ou même leur envoyer un télégramme, car l’inquiétude des gens lui était insupportable. Mais il craignait obscurément, s’il était trop pressé de leur écrire, de confirmer Fabienne dans ses suppositions…

Cependant, dans son for intérieur bien caché, il fit revivre toutes sortes de souvenirs de sa jeunesse.

Il revit la cour de la Sorbonne, le jour ce son bachot, quand son père était venu l’accompagner… Ils étaient entrés ensemble dans l’amphithéâtre pour entendre lire la liste des admissibles. Papa était certainement plus ému que son fils. L’appariteur disait : « Septième série : Monnier, Monzel, Nardier… Nordement… » Papa l’avait regardé avec des yeux humides, papa qui ne pleurait jamais…

Aristide Nordement avait été à l’école jusqu’à l’âge de quatorze ans. Il n’avait jamais appris ni le grec ni le latin. Mais il avait suivi avec orgueil la préparation de Robert. Le répétiteur lui avait dit que l’enfant était très calé sur Cicéron, et qu’il était aussi assez bon sur Virgile. Papa, sur les gradins de l’amphithéâtre, suivait l’examen oral. Il voyait son fils de dos à la table d’examen, et quand un méchant homme à barbe grise avait dit à Robert en lui montrant une rangée de livres :

« Prenez les Adelphes », papa s’était penché vers un autre candidat, et, anxieux, lui avait demandé à voix basse :

— C’est du Cicéron ?

Le candidat avait répondu :

— Non, c’est du Térence.

Et papa, avait fait :

— Aïe ! Aïe ! Aïe !

Papa avait raconté lui-même tout cela, à la maison, une fois le triomphe acquis, et les grandes émotions calmées.

Francis Picard, pensait maintenant Robert, n’avait-il pas faussé ses idées, en dénigrant de parti pris sa famille ? Que serait-il advenu de papa, si le grand-père d’Aristide Nordement avait pu lui faire donner une brillante instruction ? Ce vieux bonhomme de papa aurait peut-être été un tout autre personnage ?

Ce qu’il était, lui, il le devait tout entier à ses parents. Évidemment quand son père et sa mère l’avaient poussé à faire ses études gréco-latines, c’était un peu par gloriole… Mais cette vanité de faire de lui un « sujet » de choix lui semblait touchante, et, en tout cas, ne lui déplaisait pas.

Et puis Francis Picard était-il capable d’apprécier à leur vraie valeur ces qualités obscures et solides du père Nordement, cette conscience, cette persévérance, qui avaient permis à ce fabricant de bouchons d’assurer le bien-être des siens ?

Et enfin, papa, c’était « papa » et maman, c’était « maman ».

Sa mère aussi l’attendrissait. Il fallait lui pardonner son petit air prétentieux, sa fausse distinction, son aplomb aussi pour parler de ce qu’elle ne connaissait pas très bien. Elle tenait cela de son père Gormas, un peu esbroufeur, et aussi de bonne maman Gormas, sa mère, une vieille dame de Bayonne, terriblement volubile.

Mme Nordement était une admirable maîtresse de maison. Quand on avait du monde, on « cherrait » un peu, c’est entendu, sur la qualité des vins, mais ces dîners de cérémonie étaient de tout premier ordre, et le service parfaitement organisé.

Lorsqu’ils étaient petits, lui et ses sœurs, et que l’un d’eux tombait malade, papa allait s’asseoir dans le grand fauteuil de la salle à manger, les jambes coupées d’inquiétude. Maman était d’un sang-froid merveilleux. Ah ! on ne pouvait lui reprocher de trop parler à ces moments-là ! Elle donnait les premiers soins, et c’est elle qui disait si on devait faire venir le docteur. Personne ne savait comme elle écouter le médecin, lui poser des questions utiles, et lui faire préciser le moment où il fallait prendre les potions… « Une demi-heure avant le repas, ou une ou deux heures après, et l’autre bouteille, indifféremment… »

Il souriait un peu en se rappelant ces détails.

Mais leur médiocrité même l’attendrissait infiniment.

Somme toute, il n’avait pas compris ses parents. Il les avait regardés comme fait un très jeune homme, qui ne sait pas qu’il faut demander à chaque être ce qu’il peut donner, et lui être reconnaissant, et l’estimer, s’il donne exactement ce qu’il doit.

Il ne pouvait communiquer à Fabienne toutes ces réflexions. Elle se méprendrait sur leur sens véritable, et croirait qu’il tenait à revoir sa famille.

Or il n’y tenait pas, pensait-il…

Ou, s’il y tenait, ce n’était que très peu.

S’il y tenait un peu, ce n’était pas précisément parce qu’il trouvait le temps long « après les siens », mais uniquement parce qu’il pensait que ses parents auraient un certain plaisir, à le revoir…

Quand on tient à revoir les gens pour leur faire plaisir, c’est tout de même que l’on pense un peu à son plaisir à soi et, en tout cas, que l’on serait heureux de savourer le plaisir que les gens auraient à vous revoir…

… Il avait trop pensé à ses parents ce jour-là, pour endurer l’idée de les laisser dans l’inquiétude. Il fallait décidément que sa lettre partît le jour même.

Il écrirait donc un mot, qu’il ferait porter à la gare de Caen. Le cachet de la poste ne leur révélerait que son passage dans cette ville, et ne leur indiquerait nullement qu’il y fût à demeure.

Il écrivit donc ce mot et le fit porter à la poste aussitôt qu’il eût adopté un texte définitif, afin de n’y plus penser…

« Chers parents, leur disait-il, je continue à me porter à merveille. Je vous écris de Caen, où je suis venu passer quelques heures.

« … Ne vous étonnez pas si mon absence se prolonge ainsi. Figurez-vous que j’ai écrit tous ces temps-ci des notes de voyage que je crois intéressantes, et que je voudrais publier. Il me reste quelques excursions à faire pour les compléter.

« … J’ai fait connaissance d’un monsieur, qui me mettra en rapport avec un éditeur, tout disposé à s’occuper de mon petit volume. »

(Il savait que ce gentil projet, qu’il venait d’inventer à l’instant même, flatterait la vanité de Mme Nordement.)

Il termina en les embrassant mille fois, selon le protocole. Mais, cette fois, cette marque de tendresse lui parut avoir une signification.

« Aussitôt, ajoutait-il en post-scriptum, que je serai fixé sur la date de mon retour, je vous en aviserai. »

Il avait recommencé plusieurs fois sa lettre. Il avait d’abord mis : mon retour qui ne saurait tarder. Mais il réfléchit qu’il n’oserait ni cacher ni avouer cette phrase à Fabienne. Une seconde version portait : Je vous en aviserai par télégramme. Mais il refit sa lettre pour supprimer ces deux mots, car il s’était dit que ses parents s’impatienteraient et s’énerveraient en attendant sa dépêche.

Il usa ainsi la moitié d’un cahier de papier pour cette missive de dix lignes.

La lettre partie, il éprouva un grand soulagement. Mais tout n’était pas fini cependant. Il s’agissait maintenant d’en parler à Fabienne.

D’ordinaire, il quittait le bureau vers six heures. Ce jour-là, il s’en alla une heure plus tôt. Quand il avait un aveu à faire, même d’un poids léger, il avait hâte de s’en débarrasser.

Il trouva la jeune femme dans son boudoir, en train de lire. Il l’embrassa avec tendresse, mais posément, et comme un homme que n’agitait aucun souci pressant.

Ce n’est qu’en s’asseyant près d’elle, au coin du feu, qu’il se décida à lui dire, d’un ton qui ne parût ni trop important, ni trop détaché :

— J’ai tout de même écrit à mes parents… Oui, je leur ai envoyé un petit mot, à ces pauvres gens, pour les tranquilliser sans retard.

Après un moment de silence :

— Vous avez bien fait, dit-elle.

Il la connaissait assez pour savoir que l’incident n’était pas clos, en dépit de cette parole rassurante.

— Comment leur avez-vous dit cela ? demanda-t-elle d’une voix angélique.

— … J’ai employé une formule vague… Je leur ai dit qu’aussitôt que je pourrais aller au Vésinet, je les en aviserais… Comme ça, ils s’imagineront que je puis revenir d’un jour à l’autre… Alors je pourrai les traîner autant que je voudrai…

Elle dit simplement, au bout d’un instant, toujours avec un grand air d’innocence :

— Il faudra tout de même que vous alliez les voir un jour…

C’était une petite autorisation qu’on lui faisait entrevoir. Mais, avec la même hypocrisie que celle d’Ernest dans des circonstances analogues, il ne voulut pas avoir l’air d’accepter trop vite…

— Oh ! il n’y a pas à y songer… Ils ne tiennent pas tant que ça à me revoir… L’important pour eux est d’être rassurés sur mon compte, et de savoir que je me porte bien.

— Et puis, dit-elle, si vous allez les voir, ils ne vous laisseront pas repartir facilement.

— Ça, ce serait un peu fort, dit Robert. Je suis majeur, ajouta-t-il, comme si cela signifiait vraiment quelque chose dans la vie.

Il déclara nettement :

— J’y resterai tout juste quarante-huit heures, et pas une minute de plus. Et je vous réponds bien que cette visite comptera pour un bout de temps.

— Et quand comptez-vous partir ? demanda-t-elle d’un ton détaché…

— Je vous ai dit que cela ne pressait pas…

— Je pense bien, dit-elle, déjà sur un autre ton, je pense bien que ça ne presse pas, et que vous n’allez pas me quitter en ce moment…

Et brusquement, elle fondit en larmes…

— Oh ! mon chéri ! tu ne vas pas m’abandonner !

— Mais il n’est pas question de ça, dit Robert.

— Je pense bien qu’il n’est pas question de ça… Mais je ne veux même pas que tu me quittes pour un jour. Si tu t’en vas, il me semble que tu ne reviendras plus !

— Tu es folle, dit Robert.

— Tu comprends, chéri, je n’ai que toi au monde !

Elle s’était blottie contre lui, et pleurait toutes les larmes de son corps. Il en était infiniment ému.

Une impression de doux emprisonnement pesait sur ses épaules.

Il pensait maintenant : Oui, je comprends, le Devoir est là, auprès de cette femme…

… Le Devoir, avec sa belle figure, si haute, si noble, et qui ne sourit pas…

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