La Révolution Française et la psychologie des révolutions
CHAPITRE II
PSYCHOLOGIE DE L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE
§ 1. — Les événements politiques pendant la durée de l’Assemblée législative.
Avant d’examiner les caractéristiques mentales de l’Assemblée législative, résumons brièvement les événements politiques considérables qui marquèrent sa courte existence d’une année. Ils jouèrent naturellement un grand rôle sur ses manifestations psychologiques.
Très monarchiste, l’Assemblée législative ne songeait pas plus que la précédente à détruire la royauté. Le Roi lui paraissait un peu suspect, mais elle espérait cependant pouvoir le garder.
Malheureusement pour lui, Louis XVI réclamait sans cesse l’intervention de l’étranger. Enfermé aux Tuileries, défendu seulement par ses gardes suisses, le timide souverain flottait entre des influences contraires. Il pensionnait des journaux destinés à modifier l’opinion, mais les obscurs folliculaires qui les rédigeaient ignoraient totalement l’art d’agir sur l’âme des foules. Leur seul moyen de persuasion consistait à menacer de la potence tous les partisans de la Révolution et à prédire l’invasion d’une armée pour délivrer le roi.
La royauté ne comptait plus que sur les cours étrangères. Les nobles émigraient. La Prusse, l’Autriche, la Russie nous menaçaient d’une guerre d’envahissement. La Cour favorisait leurs menées.
A la coalition des rois contre la France, le club des Jacobins proposa d’opposer la ligue des peuples contre les rois. Les Girondins avaient alors, avec les Jacobins, la direction du mouvement révolutionnaire. Ils provoquèrent l’armement des masses. 600.000 volontaires furent équipés. La Cour accepta un ministère girondin. Dominé par lui, Louis XVI fut obligé de proposer à l’Assemblée une guerre contre l’Autriche. Elle fut votée immédiatement.
En la déclarant, le Roi n’était pas sincère. La Reine révélait aux Autrichiens nos plans de campagne et le secret des délibérations du Conseil.
Les débuts de la lutte furent désastreux. Plusieurs colonnes, prises de panique, se débandèrent. Stimulée par les clubs, persuadée, justement d’ailleurs, que le Roi conspirait avec l’étranger, la population des faubourgs se souleva. Ses meneurs, les Jacobins, et surtout Danton, l’envoyèrent porter, le 20 juin, à l’Assemblée, une pétition menaçant le Roi de révocation. Puis elle envahit les Tuileries et invectiva le souverain.
La fatalité poussait Louis XVI vers son tragique destin. Alors que les menaces des Jacobins contre la royauté avaient indigné beaucoup de départements, on apprenait l’arrivée d’une armée prussienne sur les frontières de la Lorraine.
L’espoir du Roi et de la Reine concernant le concours à obtenir de l’étranger était bien chimérique. Marie-Antoinette se faisait de complètes illusions, aussi bien sur la psychologie des Autrichiens que sur celle des Français. Voyant la France terrorisée par quelques énergumènes, elle supposa pouvoir également, au moyen de menaces, terrifier les Parisiens et les ramener sous l’autorité du Roi. Inspiré par elle, Fersen s’entremit pour faire publier le manifeste du duc de Brunswick menaçant Paris d’une « subversion totale si l’on touchait la famille du roi ».
L’effet produit fut diamétralement contraire à celui espéré. Le manifeste souleva l’indignation contre le monarque jugé complice, et augmenta son impopularité. Il était, dès ce jour, marqué pour l’échafaud.
Entraînés par Danton, les délégués des sections installèrent à l’Hôtel de Ville une Commune insurrectionnelle, qui arrêta le commandant de la garde nationale, dévoué au Roi, fit sonner le tocsin ameuta les gardes nationaux et les lança, avec la populace, le 10 août, sur les Tuileries. Les bataillons appelés par Louis XVI se débandèrent. Il n’y eut bientôt plus, pour le défendre, que les Suisses et quelques gentilshommes. Presque tous furent tués. Resté seul, le Roi se réfugia auprès de l’Assemblée. La foule demanda sa déchéance. La Législative décréta sa suspension et laissa une future Assemblée, la Convention, statuer sur son sort.
§ 2. — Caractéristiques mentales de l’Assemblée législative.
L’Assemblée législative, formée d’hommes nouveaux, présente au point de vue psychologique un intérêt tout spécial. Peu d’assemblées offrirent à un pareil degré les caractéristiques des collectivités politiques.
Elle comprenait sept cent cinquante députés divisés en royalistes purs, royalistes constitutionnels, républicains, Girondins et Montagnards. Les avocats et les hommes de lettres formaient la majorité. On y voyait aussi, mais en petit nombre, quelques évêques constitutionnels, des officiers supérieurs, des prêtres et de rares savants.
Les conceptions philosophiques des membres de cette Assemblée semblent assez rudimentaires. Plusieurs étaient imbus des idées de Rousseau préconisant le retour à l’état de nature. Mais tout comme leurs prédécesseurs, ils furent dominés surtout par l’antiquité grecque et latine. Caton, Brutus, Gracchus, Plutarque, Marc-Aurèle, Platon, constamment invoqués, fournissent des images. Quand les orateurs veulent injurier Louis XVI, ils l’appellent Caligula.
En souhaitant détruire la tradition, ils étaient révolutionnaires, mais en prétendant revenir à un passé lointain, ils se montraient fort réactionnaires.
Toutes les théories eurent d’ailleurs assez peu d’influence sur leur conduite. La raison apparaît sans cesse dans les discours, mais jamais dans les actes. Ils furent toujours dominés par ces suggestions affectives et mystiques dont nous avons tant de fois déjà montré la force.
Les caractéristiques psychologiques de l’Assemblée législative sont celles de la Constituante, mais plus accentuées encore. Elles se résument en quatre mots : impressionnabilité, mobilité, pusillanimité et faiblesse.
La mobilité et l’impressionnabilité se révèlent dans les variations constantes de leur conduite. Un jour ils échangent de bruyantes invectives et des coups. Le lendemain on les voit : « se jeter dans les bras les uns des autres avec des torrents de larmes ». Ils applaudissent vivement à une adresse demandant la punition de ceux qui pétitionnent pour la déchéance du roi, et dans la même journée accordent les honneurs de la séance à une délégation venant réclamer cette déchéance.
La pusillanimité et la faiblesse de l’Assemblée devant les menaces était complète. Bien que royaliste, elle vota la suspension du roi et, sur les exigences de la Commune, le lui livra avec sa famille pour les faire interner au Temple.
Grâce à sa faiblesse, elle se montra aussi incapable que la Constituante d’exercer aucun pouvoir et se laissa dominer par la Commune et les clubs que dirigeaient des meneurs influents : Hébert, Tallien, Rossignol, Marat, Robespierre, etc.
Jusqu’en Thermidor 1794, la Commune insurrectionnelle constitua le principal pouvoir de l’État et se conduisit exactement comme si on l’avait chargée de gouverner Paris.
Ce fut elle qui exigea l’emprisonnement de Louis XVI dans la tour du Temple, alors que l’Assemblée voulait l’interner dans le palais du Luxembourg. Ce fut elle encore qui remplit les prisons de suspects et ordonna ensuite de les égorger.
On sait avec quels raffinements de cruauté une poignée de 150 bandits, payés 24 livres par jour, guidés par quelques membres de la Commune, exterminèrent en quatre journées 1.200 personnes environ. C’est ce qu’on appela les massacres de Septembre. Le maire de Paris, Pétion, reçut avec égards la bande des assassins et leur fit verser à boire. Quelques Girondins protestèrent un peu, mais les Jacobins restèrent silencieux.
L’Assemblée terrorisée affecta d’abord d’ignorer les massacres, qu’encourageaient d’ailleurs plusieurs de ses membres influents : Couthon et Billaud-Varenne notamment. Lorsqu’elle se décida enfin à les blâmer, ce fut sans oser essayer d’en empêcher la continuation.
Consciente de son impuissance, l’Assemblée législative finissait quinze jours plus tard par se dissoudre pour faire place à la Convention.
Son œuvre fut évidemment néfaste, non dans les intentions, mais dans les actes. Royaliste, elle abandonna la monarchie ; humanitaire, elle laissa s’accomplir les massacres de Septembre ; pacifiste, elle lança la France dans une guerre redoutable, montrant ainsi qu’un gouvernement faible finit toujours par couvrir la patrie de ruines.
L’histoire des deux premières assemblées révolutionnaires prouve une fois de plus à quel point les événements portent en eux des enchaînements rigoureux. Ils constituent un engrenage de nécessités dont nous pouvons quelquefois choisir la première mais qui ensuite évoluent hors de notre volonté. Nous sommes libres d’une décision et impuissants sur ses conséquences.
Les premières mesures de l’Assemblée constituante furent rationnelles et volontaires, mais les conséquences qui suivirent échappèrent à toute volonté, à toute raison et à toute prévision.
Quels sont les hommes de 89 qui auraient osé vouloir ou prévoir la mort de Louis XVI, les guerres de Vendée, la Terreur, la guillotine en permanence, l’anarchie, puis le retour final à la tradition et à l’ordre par la main de fer d’un soldat ?
Dans ce déroulement d’événements qu’entraînèrent les premiers actes des assemblées révolutionnaires, le plus frappant peut-être furent la naissance et le développement du gouvernement des foules.
Derrière les faits que nous avons rappelés : prise de la Bastille, envahissement du palais de Versailles, massacres de Septembre, attaque des Tuileries, meurtre des gardes suisses, déchéance et emprisonnement du Roi, on découvre facilement les lois de la psychologie des foules et de leurs meneurs.
Nous allons voir maintenant le pouvoir de la multitude s’exercer de plus en plus, asservir tous les autres et finalement les remplacer.