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La Révolution Française et la psychologie des révolutions

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CHAPITRE IV
LE GOUVERNEMENT DE LA CONVENTION

§ 1. — Rôle des clubs et de la Commune pendant la Convention.

Pendant toute la durée de son existence, la Convention fut gouvernée par les meneurs des clubs et de la Commune.

Nous avons déjà montré leur influence sur les précédentes assemblées. Elle devint prépondérante durant la Convention. L’histoire de cette dernière est en réalité celle des clubs et de la Commune qui la dominèrent. Ils n’asservirent pas seulement la Convention mais encore la France. De nombreux petits clubs de province, dirigés par celui de la capitale, surveillaient les magistrats, dénonçaient les suspects et se chargeaient d’exécuter tous les ordres révolutionnaires.

Quand les clubs ou la Commune avaient décidé certaines mesures, ils les faisaient voter séance tenante à l’Assemblée. Si cette dernière résistait, ils lui expédiaient leurs délégations, c’est-à-dire des bandes armées choisies dans la plus basse populace. Elles apportaient des injonctions toujours servilement obéies. La Commune se sentait si forte qu’elle en vint à exiger de la Convention l’expulsion immédiate des députés qui lui déplaisaient.

Alors que la Convention se composait d’hommes généralement instruits, les membres de la Commune et des clubs comprenaient une majorité de petits boutiquiers, manœuvres, ouvriers, incapables d’opinions personnelles et toujours conduits par leurs meneurs : Danton, Camille Desmoulins, Robespierre, etc.

Des deux pouvoirs, clubs et Commune insurrectionnelle, cette dernière exerça le plus d’action à Paris parce qu’elle s’était constitué une armée révolutionnaire. Elle tenait sous ses ordres quarante-huit comités de gardes nationaux, ne demandant guère qu’à tuer, saccager et surtout piller.

La tyrannie dont la Commune écrasa Paris fut épouvantable. C’est ainsi, par exemple, qu’elle avait délégué à un certain savetier du nom de Chalandon, le droit de surveillance sur une partie de la capitale, droit impliquant la faculté d’envoyer au Tribunal révolutionnaire, et par conséquent à la guillotine, tous ceux qu’il suspectait. Certaines rues se trouvèrent ainsi dépeuplées par lui.

La Convention lutta d’abord un peu contre la Commune, mais n’essaya pas longtemps de lui résister. Le point culminant du conflit se produisit quand la Convention, ayant voulu faire arrêter Hébert, âme de la Commune, celle-ci lui envoya des bandes menaçantes qui la sommèrent d’expulser les Girondins ayant provoqué cette mesure. Devant son refus, la Commune la fit assiéger le 2 juin 1793, par son armée révolutionnaire, sous les ordres de Hanriot. Terrifiée, l’Assemblée livra vingt-sept de ses membres. La Commune lui expédia aussitôt une délégation pour la féliciter ironiquement d’avoir obéi.

Après la chute des Girondins, la Convention se soumit complètement aux injonctions de la Commune devenue toute-puissante. Celle-ci lui fit décréter la levée d’une armée révolutionnaire suivie d’un tribunal et d’une guillotine chargés de parcourir la France pour exécuter sommairement les suspects.

Vers la fin de son existence seulement, après la chute de Robespierre, la Convention parvint à se soustraire au joug de la Commune et du club des Jacobins. Elle fit fermer ce dernier et guillotiner ses membres influents.

Malgré de telles sanctions, les meneurs continuèrent à exciter la populace et à la lancer sur la Convention. En germinal et en prairial, elle subit de véritables sièges. Les délégations armées réussirent même à faire voter le rétablissement de la Commune et la convocation d’une nouvelle Assemblée, mesures que la Convention se hâta d’annuler dès que les insurgés se furent retirés. Honteuse de sa peur, elle fit venir des régiments qui opérèrent le désarmement des faubourgs et près de dix mille arrestations. Vingt-six chefs du mouvement furent passés par les armes, six députés ayant pactisé avec l’émeute, guillotinés.

En fait, la Convention n’eut que des velléités de résistance. Quand elle n’était pas menée par les clubs et la Commune, elle obéissait au comité de Salut public et votait sans discussion ses décrets.

« La Convention, écrit H. Williams, qui ne parlait de rien moins que de faire traduire à ses pieds tous les princes et tous les rois de l’Europe, chargés de chaînes, était faite prisonnière dans son propre sanctuaire par une poignée de mercenaires. »

§ 2. — Le gouvernement de la France pendant la Convention. La Terreur.

Dès qu’elle fut réunie en septembre 1792, la Convention commença par décréter l’abolition de la royauté, et, malgré les hésitations d’un grand nombre de ses membres qui savaient la province royaliste, proclama la république.

Intimement persuadée qu’une semblable proclamation transformerait l’univers civilisé, elle institua une ère et un calendrier nouveaux. L’an I de cette ère marquait l’aurore d’un monde où régnerait seule la raison. Il fut inauguré par le jugement de Louis XVI, mesure qu’ordonna la Commune, mais que la majorité de la Convention ne souhaitait pas.

A ses débuts en effet, cette Assemblée était gouvernée par des éléments relativement modérés, les Girondins. Le président et les secrétaires avaient été choisis parmi les plus connus de ces derniers. Robespierre, qui devait plus tard devenir le maître absolu de la Convention, possédait à ce moment tellement peu d’influence, qu’il n’obtint que six voix pour la présidence tandis que Pétion en réunit deux cent trente-cinq.

Les Montagnards n’eurent donc d’abord qu’une autorité très restreinte. Plus tard seulement naquit leur puissance. Il ne resta plus alors aucune place pour les modérés dans la Convention.

Malgré leur minorité, les Montagnards trouvèrent le moyen d’obliger l’Assemblée à faire le procès de Louis XVI. L’obtenir était pour eux à la fois une victoire sur les Girondins, la condamnation de tous les rois et un divorce définitif entre le nouveau régime et l’ancien.

Pour provoquer ce procès, ils manœuvrèrent fort habilement, lançant sur la Convention des pétitions de province et une délégation de la Commune insurrectionnelle de Paris, qui exigèrent le jugement.

Suivant cette caractéristique commune aux assemblées de la Révolution de plier devant les menaces et d’exécuter toujours le contraire de ce qu’elles souhaitaient, la Convention n’osa pas résister. Elle décida donc le procès.

Les Girondins, qui individuellement n’auraient pas voulu la mort du roi, une fois réunis, la votèrent par crainte. Espérant sauver sa propre tête, le duc d’Orléans, cousin de Louis XVI, la vota également. Si, en montant sur l’échafaud, le 21 janvier 1793, Louis XVI avait eu cette vision de l’avenir que nous attribuons aux dieux, il aurait vu l’y suivre tour à tour la plupart des Girondins dont la faiblesse n’avait pas su le défendre.

Envisagée uniquement au point de vue de l’utilité pure, l’exécution du roi fut un des actes maladroits de la Révolution. Elle engendra la guerre civile et arma contre nous l’Europe. Au sein de la Convention, cette mort suscita des luttes intestines qui amenèrent finalement le triomphe des Montagnards et l’expulsion des Girondins.

Les mesures prises sous l’influence des Montagnards finirent par devenir si despotiques, que soixante départements, comprenant l’Ouest et le Midi, se révoltèrent. L’insurrection ayant à sa tête plusieurs députés expulsés aurait peut-être triomphé, si la participation compromettante des royalistes au mouvement n’avait fait craindre le retour de l’ancien régime. A Toulon, en effet, les insurgés acclamaient Louis XVI.

La guerre civile ainsi déchaînée dura pendant la plus grande partie de la Révolution. Elle fut d’une sauvagerie extrême. Vieillards, femmes, enfants, tout était massacré, les villages et les moissons incendiés. En Vendée seulement, le nombre des tués a été évalué, suivant les auteurs, entre cinq cent mille et un million.

A la guerre civile se joignit bientôt la guerre étrangère. Les Jacobins s’imaginèrent remédier à tous ces maux en créant une nouvelle Constitution. Ce fut d’ailleurs une tradition dans toutes les assemblées révolutionnaires de croire à la vertu magique des formules. Cette conviction de rhéteurs n’a jamais été influencée en France par l’insuccès des expériences.

« Une foi robuste, écrit un des grands admirateurs de la Révolution, M. Rambaud, soutenait la Convention dans ce labeur ; elle croyait fermement que lorsqu’elle aurait formulé en une loi les principes de la Révolution, ses ennemis seraient confondus, bien plus, convertis, et que l’avènement de la justice désarmerait les insurgés. »

Pendant sa durée, la Convention rédigea deux Constitutions celle de 1793 ou de l’an I et celle de 1795, dite de l’an III. La première ne fut jamais appliquée, une dictature absolue la remplaça bientôt ; la seconde créa le Directoire.

La Convention renfermait un assez grand nombre de légistes et d’hommes d’affaires qui comprirent très vite l’impossibilité du gouvernement par une assemblée nombreuse. Ils l’amenèrent à se diviser en petits comités ayant chacun une existence indépendante : comités d’affaires, de législation, de finances, d’agriculture, des arts, etc. Ces comités préparaient les lois que l’Assemblée votait généralement les yeux fermés.

Grâce à eux, l’œuvre de la Convention ne fut pas purement destructrice. Ils provoquèrent des mesures très utiles : création de grandes écoles, établissement du système métrique, etc. La majorité des membres de l’Assemblée se réfugiait, nous l’avons dit déjà, dans ces comités pour éviter les luttes politiques où aurait été exposée leur tête.

Au-dessus de ces comités d’affaires, étrangers à la politique, se trouvait le Comité de Salut public, institué en avril 1793, et composé de neuf membres. Dirigé d’abord par Danton, puis en juillet de la même année par Robespierre, il parvint graduellement à absorber tous les pouvoirs, y compris celui de donner des ordres aux ministres et aux généraux. Carnot y dirigeait les opérations de la guerre, Cambon les finances, Saint-Just et Collot d’Herbois la politique générale.

Si les lois votées par les comités techniques furent souvent très sages et constituent l’œuvre durable de la Convention, celles que votait en corps l’Assemblée sous les menaces des délégations qui l’envahissaient avaient un caractère d’absurdité manifeste.

Parmi ces lois les moins utiles à l’intérêt public ou l’intérêt même de la Convention, on peut citer celles du maximum, votée en septembre 1793, prétendant taxer le prix des vivres et qui n’eut d’autre résultat que d’établir une persistante disette ; la destruction des sépultures royales de Saint-Denis, le jugement de la Reine, la dévastation systématique de la Vendée par l’incendie, l’établissement du Tribunal révolutionnaire, etc.

La Terreur fut le grand moyen de gouvernement de la Convention. Commencée en septembre 1793, elle régna sur la France pendant dix mois, c’est-à-dire jusqu’à la mort de Robespierre. Vainement quelques Jacobins : Danton, Camille Desmoulins, Hérault de Séchelles, etc., proposèrent-ils d’essayer la clémence. L’unique résultat de cette proposition fut d’envoyer ses auteurs à l’échafaud. Seule, la lassitude de l’opinion publique mit fin à ce honteux régime.

Les luttes successives des partis dans la Convention et sa marche vers les extrêmes éliminaient progressivement les hommes importants qui y avaient joué un rôle. Finalement, elle tomba sous la domination exclusive de Robespierre.

Pendant que la Convention désorganisait et ravageait la France, nos armées remportaient de brillantes victoires. Elles s’étaient emparées de la rive gauche du Rhin, de la Belgique et de la Hollande. Le traité de Bâle consacra ces conquêtes.

Nous avons déjà dit et y reviendrons bientôt, qu’il fallait séparer entièrement l’œuvre des armées républicaines de celle de la Convention. Les contemporains surent très bien faire cette distinction oubliée aujourd’hui.

Lorsque la Convention disparut, le 26 octobre 1795, après trois ans de règne, cette Assemblée était entourée d’un mépris universel. Jouet perpétuel des caprices populaires, elle n’avait pas réussi à pacifier la France, et l’avait plongée dans l’anarchie. L’opinion qu’elle inspira est parfaitement résumée dans une lettre écrite en juillet 1799 par le chargé d’affaires de Suède, le baron Drinckmann : « J’ose espérer que jamais un peuple ne sera gouverné par la volonté de scélérats plus imbéciles et plus cruels que la France ne l’a été depuis le commencement de sa nouvelle liberté. »

§ 3. — Fin de la Convention. — Origines du Directoire.

A la fin de son existence, la Convention, toujours confiante dans la puissance des formules, fabriqua une nouvelle Constitution, celle de l’an III, destinée à remplacer celle de 1793 qui n’avait d’ailleurs jamais fonctionné. Le pouvoir législatif devait être partagé entre un conseil dit des Anciens, composé de deux cent cinquante membres et un conseil de jeunes, composé de cinq cents membres. Le pouvoir exécutif confié à un Directoire de cinq membres nommés par les Anciens sur la présentation des Cinq-Cents et renouvelé chaque année par l’élection de l’un d’eux. Il était spécifié que les deux tiers des membres de la nouvelle Assemblée seraient choisis parmi les anciens députés de la Convention. Cette mesure prudente fut peu efficace, car dix départements seulement restèrent fidèles aux Jacobins.

Pour éviter des élections de royalistes, la Convention avait décidé le bannissement à perpétuité des émigrés.

L’annonce de cette constitution ne produisit sur le public aucun des effets attendus. Elle n’eut pas d’action sur les émeutes populaires continuant à se succéder. Une des plus importantes fut celle qui, le 5 octobre 1795, menaça la Convention. Les meneurs avaient lancé sur cette Assemblée une véritable armée. Devant de pareilles provocations la Convention se décida enfin à la défense, fit venir des troupes et en confia le commandement à Barras.

Bonaparte, qui commençait à surgir de l’ombre, fut chargé de la répression. Avec un pareil chef, elle fut énergique et rapide. Vigoureusement mitraillés auprès de l’église Saint-Roch, les insurgés s’enfuirent en laissant quelques centaines de morts sur place.

Cet acte de fermeté auquel la Convention était si peu habituée, ne fut dû qu’à la célérité des opérations militaires, car pendant qu’elles s’exécutaient, les insurgés avaient envoyé des délégués à l’Assemblée qui, comme d’habitude, se montra toute disposée à leur céder.

La répression de cette émeute constitua le dernier acte important de la Convention. Le 26 octobre. 1795, elle déclara sa mission terminée et fit place au Directoire.


Nous avons fait ressortir plusieurs des enseignements psychologiques que fournit le gouvernement de la Convention. Un des plus frappants est l’impuissance de la violence à dominer longtemps les âmes.

Jamais gouvernement ne posséda d’aussi redoutables moyens d’action, et cependant malgré la guillotine en permanence, malgré les délégués envoyés en province escortés du bourreau, malgré ses lois draconiennes, la Convention eut à lutter perpétuellement contre des émeutes, des insurrections et des conspirations. Les villes, les départements, les faubourgs de Paris se soulevaient, sans cesse, bien que les têtes tombassent par milliers.

Cette Assemblée, qui se croyait souveraine, combattait des forces invisibles, fixées dans les âmes et que les contraintes matérielles ne dominent pas. De ces moteurs cachés, elle ne comprit jamais la puissance et lutta vainement contre eux. Les forces invisibles finirent par triompher.

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