Le Pays de l'Instar
VI. — Pour aller à la Préfecture
— On vous verra au bal de samedi, à la Préfecture ?
— Mon mari ne saurait s’en dispenser, en sa qualité de chef de service.
— Vous vous rappelez, l’an dernier, quelle cohue…
— C’est le fait de tous ces grands bals officiels, on est obligé d’inviter des tas de monde, et tout le monde se croit obligé d’y aller.
— Oh ! nous, nous y allons surtout pour le coup d’œil…
— Mme Bouton s’est commandé une toilette exprès à Saint-Étienne.
— Alors nous verrons aussi le beau Lambert ?
— Il paraît qu’il y aura des accessoires de cotillon qui sont des merveilles.
— Vous vous souvenez des lanternes, à la Trésorerie ?
— M. Rubillet m’avait donné la sienne, cela m’en a fait quatre, avec celle de mon mari, et une autre qu’on avait laissée sur une chaise.
— Et Mme Chamoix et ses rubans de bergère, que lui avait mis le petit Richard…
— Vous trouviez ça drôle ? Moi, je trouve ça inconvenant.
— Cette grosse femme qui persiste à danser comme une jeune fille…
— D’autant que ces messieurs se croient obligés de la faire danser, et il y a de pauvres jeunes filles qui restent sur leur banquette.
— Le nouveau colonel est très bien avec la Préfecture.
— Il faut reconnaître ceci en faveur des officiers, c’est qu’ils ne ménagent pas leurs jambes.
— Nos jeunes gens ne dansent plus, un genre qu’ils affectent…
— Comme dit mon mari, ce sont les vieux qui sont forcés de donner l’exemple.
— M. Ballot n’est pas encore dans la catégorie des vieux.
— Il a toujours adoré la danse ; d’ailleurs, comme je lui dis quelquefois en plaisantant : Sans cela, je ne t’aurais pas épousé !
— Je crois que le préfet fera très bien les choses.
— On ne se figure pas ce qui se gaspille dans ces soirées-là !
— On a bien des commodités pour recevoir, dans une Préfecture, que l’on n’aurait pas ailleurs.
— N’empêche, je trouve qu’une préfète a joliment du mérite.
— Qu’est-ce que vous voulez, ils sont payés pour ça.
— Savez-vous s’il y aura un buffet, ou si l’on passera des plateaux ?
— Au fond, cela revient aussi cher, mais ce sont toujours les mêmes personnes qui vont au buffet, tandis que, les plateaux, tout le monde peut en prendre.
— Je mange toujours très peu, en soirée, et je ne bois que du champagne, c’est un principe absolu.
— On parle d’un souper par petites tables ?
— Il faudra nous arranger pour être ensemble, on tâchera de ne pas s’ennuyer.
— Nous nous amuserons à voir les têtes…