Le Pays de l'Instar
V. — Pour inviter sans façon
— Je vous répète que c’est tout à fait sans façon…
— C’est qu’avec vous il faut toujours se méfier !…
— Ne vous attendez pas à des choses extraordinaires.
— Vous dites toujours cela, et puis on n’en finit plus de sortir de table.
— On ne peut pourtant pas vous laisser mourir de faim !…
— Ce n’est pas ce que nous craignons !
— D’ailleurs, Mme Robin est encore un peu en deuil : il n’y aura absolument que vous.
— Nous n’acceptons qu’à cette condition.
— Et vous amènerez votre petit Paul ?
— Non, cela vous ferait trop de dérangements : il ira dîner chez l’oncle Gaspard…
— Et que dira alors sa petite amie Florentine ?…
— Oh ! mais votre Florentine est déjà une grande personne, qui se tient très bien à table ; tandis que notre Paul est si polisson !…
— Pas du tout, et si vous ne l’amenez pas, nous dirons que c’est vous qui faites des cérémonies…
— Vous savez bien le contraire, et que, quand vous venez à la maison…
— N’oubliez pas le violon de M. Sicard.
— Nous n’aurions pas osé… le deuil de Mme Robin…
— Un petit air de violon, ça n’empêche pas le deuil : d’ailleurs, on n’est pas forcé de jouer des contredanses.
— Et puis, n’est-ce pas, on est entre soi…
— Il est certain qu’il vaut bien mieux se recevoir plus simplement et plus souvent…
— Allez donc dire ça aux Chaninel…
— Il y a des gens qui semblent ne vous inviter que pour chercher à vous éblouir.
— C’est la vérité, aussi on n’ose plus les avoir chez soi…
— Je ne suis pas l’ennemi d’un bon dîner, parbleu ! mais je ne demande pas qu’on me serve tout le temps des truffes…
— Moi, je pense que, quand on s’invite, c’est d’abord pour se voir, et non pas seulement pour manger.